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29 novembre 2024
Culture
Propos recueillis par Vieux Savané et René Lake
MBOUGAR, LE PLURIVERSEL
EXCLUSIF SENEPLUS ET SUD QUOTIDIEN – Tous mes romans tentent d’interroger la condition humaine, ce qui fait de nous, où que nous soyons, des êtres humains, solidaires dans nos angoisses, nos désirs, nos tragédies - ENTRETIEN AVEC MOHAMED MBOUGAR SARR
Vieux Savané et René Lake |
Publication 10/11/2021
Auréolé du Goncourt 2021, Mohamed Mbougar Sarr s'exprime dans cet entretien accordé à SenePlus et à Sud Quotidien (à retrouver dans l'édition de ce jeudi 11 novembre). L'auteur de La plus secrète mémoire des hommes parle de son écriture, de la symbolique de cette prestigieuse récompense, ainsi que de son entrée dans le monde des écrivains qui compte désormais. Il réagit par ailleurs au débat né d'une chronique signée par ses soins sur SenePlus en 2013 à propos de Bercy.
SenePlus - Sud : Cent ans après René Maran, vous voilà à 31 ans, le 2e noir à recevoir le prix Goncourt, le 2e des plus jeunes, et enfin le 1er noir sub-saharien. Comment avez-vous accueilli cette distinction ? La vivez-vous comme une célébration des « Lettres africaines » ?
Mbougar Sarr : Je suis le premier Africain subsaharien, le troisième noir aux côtés de Maran et il ne faut pas oublier Patrick Chamoiseau pour son merveilleux Texaco en 1992, ni Marie Ndiaye pour Trois femmes puissantes en 2009. Mais au fond, cela a-t-il une réelle importance, d’être le premier Noir à faire ceci ou cela, en littérature particulièrement ? La couleur a-t-elle une quelconque importance pour un écrivain ? Insister sur ce point ne conforte-t-il pas l’idée que tout accomplissement effectué par un Africain ou un Noir est un fait exceptionnel, ce qui, à bien y regarder, n’est pas si éloigné d’une vision raciste et coloniale ? La réponse n’est pas simple, mais je pose la question. J’ai accueilli la nouvelle du prix avec la joie simple et pure d’un écrivain qui voyait son livre recevoir une distinction littéraire très prestigieuse. Que cet écrivain soit un Noir du Sénégal, c’est un hasard de la biologie et de la géographie, même si l’Histoire complique la situation. Ce ne sont pas les lettres africaines qui sont célébrées, mais, j’espère, la littérature, que pratique aussi l’Afrique ; et je le dis sans minorer le signal envoyé symboliquement aux lettres de l’espace francophone, singulièrement africain. Car évidemment, j’ai conscience du symbole et du moment historique. C’est un moment important.
Peut-on considérer que ce moment historique met fin à une anomalie ?
Je ne peux ignorer la charge symbolique de ce prix, surtout en ce moment ; mais j’aimerais qu’on parte de la question de la valeur littéraire pour mieux poser celle de la signification et de l’implication politiques. Les deux sont liées, mais l’ordre du discours est important. C’était, en un sens, une anomalie que le livre d’un Africain subsaharien n’ait jamais été récompensé par le prix Goncourt en 120 ans. Cela posait, sur le terrain littéraire, des questions structurelles, des questions de sociologie littéraire liées à la domination coloniale et à ses conséquences, racisme, mépris éditorial, méconnaissance, désintérêt du milieu littéraire et du public français pour la production romanesque de l’espace francophone, singulièrement africain.
Cette anomalie a été « corrigée » avec ce récent prix, mais ce serait une erreur, je crois, de l’inscrire dans un régime d’exceptionnalité, de l’interpréter comme une grâce seigneuriale rare et précieuse. Le voir ainsi voudrait encore dire que c’est une… anomalie historique ; que rien n’a changé ; que ce prix est une simple dérogation et qu’on reviendra bientôt à l’ordre ancien.
Quelle posture adopter alors ?
Il faudrait plutôt affirmer fortement ces trois choses : 1) il y a, depuis plus d’un siècle, de grands textes en français dans tout l’espace francophone africain ; 2) qu’un de ces textes soit reconnu par le Goncourt ne devrait pas, ou plus, étonner ; et enfin, 3), qu’à partir de maintenant, il faudra se battre et rester attentif pour que les romans écrits par des Africains échappent plus aux catégorisations littéraires faciles, aux ghettoïsations éditoriales, politiques et médiatiques, pour circuler pleinement dans l’espace francophone. Jouer dans la bibliothèque et l’espace de l’imaginaire comme y jouent tous les textes littéraires. Prétendre aux plus prestigieux prix littéraires sans que ce soit ahurissant. Et la meilleure manière d’accomplir cela est de mettre en avant la qualité littéraire. C’est pour cela, pour ma part, que j’insiste autant sur la valeur poétique d’abord. Pour le reste, le Prix Goncourt est un formidable encouragement pour moi dans la construction de mon travail, mais aussi pour les écrivains africains, surtout les jeunes. L’avenir est à eux. Ils n’ont plus de complexe à avoir vis-à-vis de la langue ou du milieu français.
Avec ce succès et la notoriété planétaire qui s’en est suivie, vous voilà désormais sorti du confort de l’anonymat. Ne craignez-vous pas que « moi Mbougar Sarr, prix Goncourt » ne vous tétanise, ne soit un poids trop lourd à porter ?
Ce qui est le plus lourd à porter, ce qui a toujours été le plus lourd à supporter, c’est le regard des habitants de la bibliothèque humaine : les grands écrivains et les grandes œuvres. Le Prix Goncourt ne changera rien à cela : devant les œuvres du passé, je me sentirai toujours écrasé, tétanisé. Mais le paradoxe est que c’est aussi cette angoisse qui me fait écrire, jusqu’à présent. Le Prix Goncourt peut stériliser, assécher l’inspiration et la force de travail transformer un écrivain en « agraphe ». Mais il peut aussi libérer, en délivrant son récipiendaire de certaines contingences matérielles, de certaines obsessions. J’espère que j’aurai la force de rester tranquille. J’espère que je continuerai à lire. J’espère que je pourrai encore écrire deux ou trois choses. Mais si ce n’est pas le cas et que je suis tétanisé - ce qui est possible - ce sera mon destin et ce ne sera pas grave. Je retournerais alors chez moi, dans le Sine ; je cultiverais la terre et je mangerais du thiéré et je regarderais les magnifiques crépuscules de mon village.
On pourrait considérer que les thématiques abordées dans vos différents romans se structurent autour de la condition humaine et requièrent par conséquent une dimension universelle, bien loin du « réalisme socialiste », de la littérature de dénonciation, voire de combat. L’universel serait-il une nouvelle forme d’engagement ?
L’engagement est pour la condition humaine, expression que vous avez utilisée, et qui me semble à la fois plus forte et plus intéressante que l’universel. Il est impossible de définir l’universel ; c’est le piège théorique de cette notion, à laquelle, cependant, je veux croire. La définir, c’est déjà l’amputer de l’expérience que l’autre a de l’universel. Il faut que les deux se rencontrent pour faire jaillir un universel, un pluriversel. Tous mes romans tentent d’interroger la condition humaine : ce qui fait de nous, où que nous soyons, dans n’importe quel temps et lieu, des êtres humains, solidaires dans nos angoisses, nos désirs, nos tragédies, nos espoirs, nos cruautés et nos beautés. « Terre ceinte », « Silence du chœur », « De purs hommes », « La Plus secrète mémoire des hommes », tous mes textes posent au fond la même question de perspectives différentes : qu’est-ce qui fait de nous des êtres humains, qu’est-ce qui nous lie dans cette expérience, au-delà des particularités identitaires ou culturelles ? Ce sont des questions philosophiques, mais elles deviennent proprement littéraires à partir du moment où des fictions leur donnent corps dans un drame romanesque. Et pas question pour moi de faire du roman un espace idéologique, d’opinion. C’est un espace ouvert, d’interrogation, de jeu, de liberté, de travail du réel, dont le but est de confronter tout lecteur à lui-même, à sa condition d’homme, à ce qu’il fait pour en être digne ou non.
De vos aînés à vous, que ce soit Boubacar Boris Diop ou Thierno Monenembo pour n’en citer que deux, on reste frappé par la place centrale qu’occupe la grand-mère dans le façonnement de l’imaginaire du futur écrivain que vous êtes devenus. Cette figure à qui vous avez dédié votre prix n’est-elle pas menacée aujourd’hui par les réseaux sociaux tant ils semblent être le lieu de prédilection d’une grande majorité de jeunes qui s’y livrent à toutes sortes d’extravagances. N’est-ce pas là une menace pour la littérature ? Que faire pour qu’ils soient plus en contact avec cette « figure centrale » ou tout au moins avec la lecture, une expérience qui dites-vous, « vous change » ?
Aujourd’hui, je suis à peu près sûr que mon désir de raconter des histoires et d’en entendre, mon imaginaire poétique, est né dans les contes que me racontaient ma mère et mes grand-mères, mes tantes, mes cousines. Je ne sais pas si les jeunes d’aujourd’hui ont encore ces expériences-là : écouter pendant un temps magique, suspendu, une voix vous introduire dans un autre monde et y donner vie aux choses et aux êtres les plus extraordinaires, qui deviennent pourtant vos amis, vous terrifient, mais en tout cas ouvrent et enrichissent votre imagination. Peut-être que les jeunes ont d’autres sources pour féconder leur imaginaire. Peut-être que les réseaux sociaux contiennent des media qui stimulent différemment leur rapport à la parole, au langage, à l’expérience démocratique ou à l’information. Je ne sais pas. Mais une chose me semble certaine : l’arène féroce que peuvent être ces réseaux, le mélange du tout-venant et du sérieux qu’ils opèrent, la relativisation absolue du savoir, de la culture et même de la vérité qu’ils induisent, le nivellement par le bas qu’ils effectuent, le flux des opinions, une contre-vérité pouvant passer pour une opinion libre et légitime, tout cela me laisse songeur quant à leurs conséquences sur les jeunes esprits, et singulièrement sur leur rapport à la concentration et de la sérénité nécessaires à l’acquisition d’une culture. Je ne dis pas que tout y est affreux et à jeter, bien sûr. Nombre d’études scientifiques ont démontré le caractère chronophage et addictif des écrans et des réseaux sociaux. Cela réduit non seulement le temps dont nous disposons pour lire des livres ou nous consacrer à l’art, même s’il est possible de lire et de se consacrer à l’art en ligne, mais réduit aussi notre capacité à nous concentrer, à nous retirer en nous.
Vous voulez réconcilier vérité et fiction. Vous ne semblez pas les opposer, bien au contraire, vous extirpez la tension entre les deux pour les rapprocher dans un espace partagé qui serait un espace poétique. Au-delà des réseaux sociaux, les populismes qui envahissent la planète de nos jours peuvent se réjouir de cet espace de « réalités alternatives ». N’entrons-nous pas dans un monde où justement la frontière entre vérité et fiction est beaucoup trop ténue ?
L’ère de la post-vérité, portée à son climax par Trump, est en effet tout entière née d’une confusion. Mais cette confusion est celle entre la vérité et le mensonge. En littérature, la confusion, ou le jeu, que je tente d’installer, pour faire advenir l’espace poétique, s’effectue entre la vérité et fiction, qui est autre chose que le mensonge. Il y a une vérité, une vérité existentielle, qui peut jaillir de l’espace poétique créé par le roman. Mais de l’espace flou qui rend interchangeable la vérité et le mensonge, aucune vérité ne peut naître, puisque rien n’a plus de valeur : les faits sont friables, les preuves réversibles ou manipulables ou effaçables, les croyances individuelles érigées en loi, les bases collectives sapées par un doute qu’on ne peut mettre en doute, les procès rapides et instruits par une frange minoritaire mais bruyante et régnant par une terreur qui la fait paraître symboliquement majoritaire : autant d’effets et de causes à quoi on reconnaît un certain fascisme. C’est tout l’inverse du roman.
À quel moment avez-vous rêvé d’être écrivain ?
Je n’en ai jamais vraiment rêvé. Je voulais être footballeur, ou journaliste, ou professeur, ou avocat. J’ai cependant toujours aimé lire, beaucoup lire. C’est par la lecture que je suis arrivé à l’écriture. Cela s’est fait progressivement, au fur et à mesure que se développait ma sensibilité littéraire et que se formait ma voie. Mais ce n’était pas un rêve. J’ai commencé à écrire régulièrement autour de la vingtaine.
Vous avez fait votre scolarité primaire à Diourbel et secondaire au Prytanée militaire de Saint-Louis. Votre réussite en littérature dit-elle quelque chose de la qualité de l’école sénégalaise ou est-ce plutôt le résultat d’un effort personnel et solitaire ?
Je crois que les deux sont liées. J’ai eu la chance d’être bien formé. L’école sénégalaise, malgré toutes ses carences et ses défauts, peut encore former dans l’excellence. L’environnement familial, mon goût et ma passion pour les livres, m’ont toujours poussé à aller plus loin dans ce que j’aimais : la langue, l’écriture, les mots. L’école a développé et mûri ce goût en me donnant des armes nouvelles, en me mettant à l’épreuve, en m’ouvrant à d’autres horizons. Je crois que la passion est toujours personnelle : c’est toujours seul qu’on construit ou découvre ce qui nous passionne. Tout le travail de l’école outre la transmission des compétences techniques et connaissance de base, tout son travail philosophique, j’entends, devrait être de voir chez chaque élève la passion qui l’habite, même à l’état de traces, et de la stimuler, pour pousser l’élève le plus loin possible. L’école sénégalaise le fait encore. Sans doute plus assez. Sans doute pas pour tous. Mais je suis fier d’en être le produit pur.
Depuis l’annonce de votre victoire au Goncourt, il y a eu beaucoup de réactions très diverses sur un article que vous avez signé en 2013 sur SenePlus. Cette chronique ne semble pas avoir été comprise et du coup fait polémique. Êtes-vous surpris par cette polémique ?
Je ne suis pas surpris, pour la simple raison que le texte y prête facilement le flanc, l’appelle presque. La chronique avait déjà fait polémique à sa publication, il y a quelques années. Je ne suis pas du tout étonné que ce texte ressorte maintenant, juste après l’attribution du Goncourt à mon dernier roman ; c’est tout sauf un hasard. C’est un texte de jeunesse, écrit alors que j’avais à peine vingt-deux ans. Mais ce n’est pas une question d’âge, au fond, car je savais très bien ce que j’écrivais. Je ne me cacherai donc pas derrière cette excuse. Cependant, il est clair qu’avec plus de maturité j’aurais écrit autrement, avec moins de provocation. Alors même que j’admire Youssou Ndour, alors même que je suis déjà allé à Bercy, je voulais faire de Bercy une satire teintée de caricature et de dérision, voire d’autodérision, puisque je me moque aussi de moi. Évidemment, ces typologies d’écrits et de registre, satire, caricature, dérision, etc., ne parleront pas à tous.
Est-ce là une naïveté de jeunesse ?
Ma naïveté a été de croire que ce texte, qui n’était pas une thèse ou un éditorial, pouvait faire à la fois rire et réfléchir malgré ses outrances. Ça n’a pas été le cas pour tout le monde. Beaucoup ont lu au premier degré un texte qui en possédait plusieurs. Pris au premier degré, évidemment, il est violent, négrophobe, injurieux, ce que je ne suis pas, mais je n’oblige personne à me croire. Il y a une veine d’humour écrit qui se fonde sur cette provocation cruelle, parfois grossière et toujours insolente, mais dont l’objectif n’est jamais d’agresser ou de heurter. Je peux donc comprendre qu’il soit mal reçu et mal compris, mais son ton fait partie de la palette d’un registre littéraire auquel je me suis essayé librement, comme apprenti-écrivain. Ce n’est manifestement pas le genre pour lequel je suis le plus doué. Je l’ai d’ailleurs abandonné depuis. Avec le temps, je reconnais que c’est un texte maladroit et mal exécuté. Qu’il se prenne un tel retour de flamme est de bonne guerre, je ne m’attendais bien sûr pas à ce qu’on l’applaudisse unanimement.
«NOUS N’AVONS PAS ENCORE D’ARTISTE A LA DIMENSION DE ALPHA BLONDY»
Entretien avec Cheikh Amala Doucouré, reggaeman et animateur
Cheikh Amala Doucouré fut l’un des précurseurs de la musique reggae, sous nos cieux. Présentateur d’émissions radiophoniques et promoteur culturel, le reggaeman fait partie de ceux qui pensent que l’Afrique est l’avenir du monde. Sans langue de bois, il affirme que les musiciens sénégalais pourraient être au même niveau que les Alpha Blondy, Tiken Jah Fakoly et autres. Encore faudrait-il qu’ils aient le soutien nécessaire. Il animait la quatrième session du Salon journalistique Ndadje, une initiative du Goethe Institute, sur le thème : «Le message du reggae face aux défis actuels de la jeunesse africaine.»
Est-ce que le reggae est toujours une musique contestataire ?
Toujours. Ziggy Marley, le fils de Bob Marley, les fils de Peter Tosh, de Denis Brown, n’ont pas vécu les mêmes dures réalités que leurs pères, donc ça impacte forcément les expressions, mais ils défendent toujours les mêmes idéaux. Seulement, avec de la musique un peu moderne, parce qu’aujourd’- hui nous sommes dans l’ère du digital et la manière de composer, de jouer est différente, car il y a une présence massive des instruments comme l’ordinateur qui n’existait pas du temps de Bob et Burning Spear.
Comment voyez-vous le reggae au Sénégal, à l’heure actuelle ?
Il est à l’image de toutes les musiques du monde. Ces deux dernières années, on a vécu le coronavirus et, avec l’arrivée des téléchargements internet, YouTube, ça n’a pas facilité le travail des musiciens. La plupart des maisons de disque sont fermées parce que les gens n’achètent plus beaucoup maintenant. Ils téléchargent gratuitement et ça a forcément impacté le pouvoir d’achat des musiciens et des producteurs. Je ne sais pas encore combien de temps ça va durer, mais c’est à l’image de ce que l’on constate en Europe et en Amérique, où les consommateurs retournent aux sons analogiques, c’est-à-dire les cassettes et les 33 tours. On peut donc imaginer que dans très peu de temps, on va revenir à la vieille méthode, c’està-dire la musique avec les instruments, la musique avec le cœur et l’âme.
On est à quelques mois des élections locales, quel message aimeriez-vous lancer à la classe politique?
Je suis acteur culturel, animateur de radio. Je ne me suis pas trop impliqué dans le milieu politique, même si j’ai mon mot à dire en tant que citoyen. Il faut que les citoyens prennent leurs responsabilités, qu’ils votent en fonction de l’espoir, la confiance, la vision qu’ils ont envers ceux pour qui ils vont voter, mais ne pas se faire appâter par de beaux discours, des liasses de billets, pour quelque 72 heures, et après revenir au même discours de gémissement, de pleurnichement. Ça ne sert à rien. L’essentiel, c’est de rester sereins. La violence n’a pas droit de cité dans ce milieu. On fait la guerre aujourd’hui, demain on se réconcilie. Pourquoi ne pas rester en amitié, fraternité, et voter, faire la politique d’une manière très civilisée ?
Quel doit être le message du reggae face aux défis actuels de la jeunesse africaine ?
Le message du reggae reste toujours le même. Comme le dit Bob Marley, il faut que nous nous émancipions dans la tête, dans la mentalité. Il n’y pas de pays riches, il n y a pas de pays pauvres, il n’y a que des pays développés et des pays, excusez-moi du terme, «bordéliques», qui ne sont pas organisés. La preuve, les pays les plus développés, les plus avancés, la Corée, le Japon, n’ont pas de ressources, n’ont pas de richesses mais ils ont la technologie, l’imagination, le civisme. Ils ont travaillé, ont de grosses industries, de la discipline et ils se sont développés. Maintenant, au niveau des pays sous-développés comme les nôtres, il y a une indiscipline incroyable, un incivisme, de la paresse. Les gens veulent réussir tout de suite sans faire des efforts et ça ne marche pas. Combien de chansons Bob Marley a composé concernant la jeunesse africaine ? On se rappelle Africa Unite en 1978, où il dit : «Je vous demande, vous Africains installés sur le sol africain comme installés en dehors de l’Afrique, de vous unir pour le bien-être des Africains sur place, mais aussi pour le bien-être des Africains à l’étranger.» La musique reggae est une révolution mentale. Et tout ce qui est bon en Afrique est passé par le reggae. Même l’indépendance africaine. Les intellectuels ont failli à leur mission. Parce que le rôle d’un intellectuel, c’est de participer à l’éveil de conscience des masses. Mais ils fuient les responsabilités.
Quel doit être, selon vous, le message du reggae pour l’Afrique ?
Il y a un problème très important dans la mentalité. Marcus Garvey dit que si les Indiens ont regardé Dieu avec leurs lunettes d’Indiens, les Chinois avec leurs lunettes chinoises, les arabes avec leurs lunettes arabes, nous Africains, nous devons voir Dieu à travers nos lunettes africaines. Il faut créer une nouvelle image de Dieu qui nous appartiendra et ça, c’est la première révolution parce que les dogmes et les cultes ont été faits de telle sorte que, pour continuer la domination, on nous empêche d’y toucher. Mais, il a franchi la ligne rouge. Il dit que si Dieu est blanc, nous, nous allons créer notre Dieu noir. Et c’est là où il y a tout l’enjeu. Nous autres, on est indépendants mais l’acculturation culturelle et religieuse, vous savez combien ça nous coûte en termes de milliards ? Rien que le pèlerinage religieux en Arabie Saoudite, leur fait gagner six milliards d’euros par an. On dilapide les biens de l’Afrique, on appauvrit l’Afrique pour des pensées religieuses et on est les premiers à aller pleurer devant les télévisions. Mon Dieu ! Qu’est-ce que nous pouvons faire ? Révolutionner notre continent, révolutionner nos croyances pour que, tout ce que nous faisons comme efforts, nous apporte de quoi on va bénéficier. C’est ça la révolution du reggae. Et peu de gens peuvent parler de ça. Ce sont des sujets tabous et tant qu’on n’aura pas touché cette plaie avec nos doigts, on ne va bouger d’un iota. On va tourner en rond. Et ça, c’est la révolution du reggae. Le message du reggae c’est ça. Donc, il faut qu’on s’émancipe, il faut qu’on soit évolués et qu’on ait confiance en nous-mêmes. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à des défis, comme la plupart des pays du monde entier. Mais, celui qui procèdera à l’éveil culturel, à l’éveil des mentalités, fera partie de ceux qui vont résoudre les problèmes. Malheureusement et culturellement, depuis l’avènement de Senghor, le Sénégal est en décadence
Alpha Blondy, Tiken Jah Fakoly, entre autres, sont les porte-flambeau du reggae sur le continent. Mais pourquoi la relève tarde à se mettre en orbite ?
En Jamaïque, ils n’ont plus jamais eu des artistes comme Bob Marley, Denis Brown. Ils ont leurs enfants, mais les enfants ne peuvent pas faire comme leur papa. Au Sénégal, nous n’avons pas encore d’artiste à la dimension de Alpha Blondy. Il y a des réalités sociologiques au Sénégal, mais aussi il y a un manque de participation de l’Etat, des autorités publiques pour accompagner les artistes. On a un exemple en ce moment, Meta Dia, artiste chanteur sénégalais qui vit en New York et qui vient de sortir un nouvel album, est beaucoup accompagné, soutenu par les medias américains. Je crois que dans son pays d’origine le Sénégal, s’il bénéficie du soutien de la population et celui de l’Etat, il peut concurrencer ou bien avoir le même niveau que Alpha Blondy, Tiken Jah et Lucky Dube, parce qu’il a plein de talent.
Peut-on être reggaeaman sans fumer la marijuana ni porter des rastas ?
Oui bien sûr, moi je suis reggaeaman et voilà je ne fume pas (rire). On n’est pas obligés de fumer pour être reggaeman. On n’est pas obligés de faire des rastas. Rien que la musique, de bons vibes avec le bon son que tu aimes dans ton cœur. C’est un problème de «feeling ». Le son, la voix, l’instrument de la musique peut te donner la vibe.
Par Yoro DIA
LES INQUISITEURS DE L’IMAGINATION
Au Sénégal, les rentiers de la tension et de la foi veulent s’emparer de l’imagination. S’ils réussissent, on va droit vers un nouveau Moyen âge. Parce qu’il ne peut y avoir de grands écrivains, de grands artistes, sans liberté intellectuelle
Me Lamine Guèye a été le premier Africain au sud du Sahara à être Docteur en Droit. Senghor a été le premier agrégé, et Blaise Diagne, le premier député et le premier noir ministre dans un gouvernement français. En devenant le premier subsaharien à remporter le Goncourt, Mbougar Sarr, cette éclaircie dans la pénombre culturelle sénégalaise, permet au Sénégal de retrouver son rang, parce que dans les années 60 et 70, le Sénégal était un flambeau de la littérature, avant de le perdre au profit du Nigeria et du Kenya. Les sacres de Boubacar Boris Diop et de Mohamed Mbougar Sarr peuvent avoir deux significations. Soit le début d’une renaissance littéraire et culturelle ou des vestiges fabuleux comme les ruines du Panthéon (qui trône au-dessus d’Athènes) d’un Sénégal qui n’existe plus (le Sénégal de Senghor qui rêvait de faire de Dakar pour l’Afrique, ce qu’Athènes a été à la civilisation occidentale). Si le Goncourt de Mbougar marque le début de la renaissance cultuelle et littéraire, Boubacar Boris Diop serait ainsi le dernier des anciens et Mbougar le premier des modernes. On passerait ainsi des écrivains africains à des écrivains tout court, dont l’ambition serait de s’adresser au monde, et sur ce plan Mbougar a réussi à s’affranchir du piège de l’écrivain africain. Notre pays a besoin d’une renaissance culturelle et intellectuelle qui, comme la renaissance italienne, passera par une liberté de pensée, d’écrire et même d’imagination.
La renaissance italienne n’a été possible que quand la pensée et l’imagination se sont affranchies de l’inquisition de l’Eglise, marquant ainsi la fin des ténèbres du Moyen âge et le début de la Renaissance. Au Sénégal, des inquisiteurs tropicaux veulent nous replonger dans un Moyen âge, en criminalisant la fiction et même l’imagination. «Il faut que l’imagination s’empare du pouvoir avant que le pouvoir ne s’empare de l’imagination», disaient les étudiants révoltés de Mai 68.
Au Sénégal, ce sont les rentiers de la tension et de la foi qui veulent s’emparer aujourd’hui de l’imagination. S’ils réussissent, on va tout droit vers un nouveau Moyen âge, parce qu’il ne peut y avoir de grands écrivains, de grands artistes, de grands peintres, sans liberté intellectuelle, qui commence par une libération de l’imagination. C’est parce qu’ils l’avaient compris que les musulmans à Cordoue et à Bagdad, étaient devenus les héritiers de l’Antiquité gréco-latine, alors que l’Eglise enfermait la pensée et l’imagination dans les couvents, avant que l’Europe ne reprenne cet héritage à la Renaissance, en créant des conditions de liberté et de créativité qui n’existaient plus en terre d’Islam.
Sans l’imagination fertile de Goethe, l’humanité n’aurait jamais eu les Souffrances du jeune Werther, tout comme Frankenstein, sorti de l’imagination de Mary Shelley. La renaissance italienne a créé un climat de tolérance et de créativité qui a fait éclore Leonard de Vinci, l’architecte Brunelleschi (qui a construit la dôme de la cathédrale de Florence) et a été aussi un combat entre les inquisiteurs comme Savonarole, et les Médicis.
Heureusement pour Florence, pour l’Italie et le monde, Savonarole a perdu. Nos «Savonorole» locaux vont aussi perdre, parce qu’il n’y a pas de grands pays sans écrivains. Qui se souvient que Goethe était aussi homme politique ? Qui se souvient de la carrière de sénateur de Victor Hugo ? Mais tout le monde se souvient de leurs livres. Que serait l’âme russe sans les classiques de Léon Tolstoï et Boris Pasternak, lui aussi victime d’une persécution politique qui l’a poussé à renoncer à son Nobel de littérature. Ce totalitarisme politique soviétique, comme celui religieux de Savonarole, a cherché vainement à embrigader l’imagination. Que seraient la langue et la littérature arabe sans les poètes de la Jahiliya comme Imrul Qays, qui ont surtout déclamé des vers faisant l’éloge du vin ? Que serait l’Iran sans ses poètes comme Ferdowsi et Omar Khayyâm, qui ont aidé l’Iran à garder sa culture et sa langue, contrairement à la Syrie et l’Egypte qui seront arabisés. L’Iran est le seul pays du Moyen-Orient à avoir gardé sa langue, grâce en grande partie à ses écrivains et poètes.
En projetant dans l’universel les particularismes du pays serère et ses traditions, Mbougar est pour le pays serère, ce que Ferdowsi a été pour la culture perse. L’histoire montre qu’on peut régenter la presse, embrigader les politiques, mais jamais l’imagination et la fiction. Le roman relève de l’imagination qui, non seulement ne peut être embrigadée, mais est illimitée. Tellement illimitée qu’elle a permis à Pasternak de «s’évader» du goulag soviétique et remporter le Nobel de littérature sans bouger de chez lui. Le Goncourt récompense certes une œuvre, mais au-delà de l’œuvre, Mbougar a permis à notre pays de retrouver son rang : un phare qui illumine le continent par sa démocratie et sa créativité culturelle et intellectuelle. N’est-ce pas Achille Mbembé qui disait que Dakar est la capitale intellectuelle du continent ? Les prix de Souleymane Bachir Diagne, Boubacar Boris Diop et Mbougar Sarr le confirment. 2021 est une bonne crue pour les Lettres sénégalaises. N’écoutons pas les Cassandres de l’auto flagellation. Sabrons le bissap pour Mbougar, un pur produit de l’école sénégalaise, qui trône au sommet des lettres françaises.
SEMBENE OUSMANE, L’ITINÉRAIRE D’UN AUTODIDACTE DEVENU ECRIVAIN ET CINEASTE À SUCCÈS
De la plume à la caméra, des docks de Marseille aux feux de la rampe
C’est à travers « Les bouts de bois de Dieu » que Sembène est connu par la plupart des jeunes Sénégalais puisque ce livre faisait partie des ouvrages recommandés aux élèves par les professeurs. Mais c’est surtout le cinéaste qui a attiré le regard du monde entier grâce à sa production d’une qualité originale qui lui a valu l’obtention de nombreux prix tant en Afrique qu’ailleurs. Après le Fespaco (Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou) où le Sénégal a remporté de nombreux prix, Le Témoin a le plaisir de retracer pour ses lecteurs le parcours exceptionnel de cet autodidacte qui a conquis le monde du cinéma.
Ousmane Sembène était un écrivain prolifique, un producteur inspiré, un scénariste hors pair et un militant politique qui prônait une société égalitaire où l’éthique joue un rôle prépondérant. L’homme était un autodidacte, autrement dit, qui s’est formé tout seul.
Né à Ziguinchor le 1er janvier 1923 de parents lébous qui avaient émigré en Casamance, Sembène est envoyé à l’école dès ses huit ans. Mais il ne fait pas preuve d’une grande discipline. Il est exclu de l’école Escale et, pour le punir, son père l’éloigne de Ziguinchor pour le confier à son oncle maternel Abdourahmane Diop, qui était le directeur de la première école en langue française à Marsassoum en 1922. Son oncle, un homme très strict, lui fait suivre également l’école coranique ce qui calme un peu ses ardeurs. En 1936, il est envoyé à Dakar où il devait préparer son certificat d’études. Mais dans la capitale, son esprit rebelle reprend le dessus et il est, une nouvelle fois, exclu de l’école à cause d’une altercation avec son directeur qui avait entrepris de leur apprendre le… corse.
Commence alors pour le jeune Sembène une vie de bohême. Il devient tour à tour apprenti mécanicien puis maçon. Puis il commence à s’intéresser au cinéma lorsqu’il voit le film « Les dieux du stade » réalisé par un certain Leni Riefenstahl. Après la visite du général de Gaulle au Sénégal en février 1942, il est mobilisé par l’armée française. C’est là qu’il découvre les inégalités profondes entre soldats africains et français d’origine, ce qui provoque chez lui un sentiment de révolte et des velléités anticolonialistes. En 1946, il embarque clandestinement dans un bateau pour la France et se retrouve à Marseille où il exerce pendant 10 ans le métier de docker au port de la ville phocéenne. C’est en tant que docker qu’il devient syndicaliste et militant politique en adhérant à la CGT (Confédération générale des travailleurs) et au Parti communiste français. Il milite alors contre la guerre en Indochine et pour l’indépendance de l’Algérie. Il joue d’ailleurs comme figurant dans le film « Le Rendez-vous des quais », qui témoigne de la solidarité entre les indépendantistes indochinois et les dockers de la CGT.
Il est attiré par les lettres et fréquente assidûment les bibliothèques du Parti communiste et boit littéralement toutes les œuvres qui lui tombent sous la main tout en suivant des cours dispensés par les responsables communistes qui voulaient que leurs militants soient dotés d’une certaine instruction. C’est ainsi qu’en 1956, il publie son premier roman « Le Docker noir » qui relate son expérience dans le port de Marseille. Puis en 1957 il sort « Ô pays, mon beau peuple ». En 1960, paraît un nouveau roman, « Les Bouts de bois de Dieu », connu de tous les élèves des lycées et qui raconte l’histoire de la grève des cheminots du Dakar-Niger, la ligne de chemin de fer qui relie Dakar à Bamako en 1947-1948. L’histoire se déroule entre Dakar, Thiès, Kayes et Bamako où les cheminots africains voulaient avoir les mêmes droits que leurs collègues français. Une grève longue, socialement difficile pour les protagonistes et qui sera durement réprimée mais qui donnera des résultats. C’est en 1960, avec les indépendances, que Sembène revient au pays. Il entreprend plusieurs voyages notamment en Guinée, au Mali et au Congo et en revient avec une conscience plus aigüe de la nécessité pour les Africains de s’unir afin de lutter contre le néocolonialisme et de fonder des sociétés plus justes.
De la plume à la caméra !
Il commence à penser au cinéma pour atteindre les analphabètes encore très nombreux sur le continent mais surtout pour donner une autre image de l’Afrique car il voulait montrer la réalité du continent d’une autre manière, hors des sentiers battus qu’empruntaient les cinéastes européens.
Aussi se rend-t-il en 1961 à Moscou où il intègre une école de cinéma et il réalise son premier film, un court métrage intitulé « Borom sarett » (le charretier), suivi en 1964 par « Niaye » qui gagnera le Prix CIC du festival de court métrage de Tours et une mention spéciale au Festival international du film de Locarno. Ce film, qui est l’adaptation cinématographique de son livre « Véhi Ciossane » (Blanche génèse) raconte l’histoire d’une famille noble de la région des Niayes qui se voit déshonorée après que le père ait commis l’inceste sur sa fille. En 1966 sort son premier long-métrage, qui est aussi le premier long métrage « négro-africain » du continent, intitulé « La Noire de… ». Il y retrace l’histoire d’une jeune Sénégalaise qui quitte son pays et sa famille pour se rendre en France travailler chez un couple qui l’humiliera et la traitera en esclave, la poussant jusqu’au suicide.
Considéré comme l’un de ses chefs d’œuvre et couronné par le Prix de la critique internationale au Festival de Venise, « Le Mandat » qui sort en 1968 est une comédie acerbe et satirique contre la nouvelle bourgeoisie sénégalaise apparue avec l’indépendance.
En 1969, Sembène est invité au premier Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) par les fondateurs de ce festival, dont il ne fait pas partie. En revanche, à partir de 1970, il prend un rôle très important dans le festival et participe à son envol. Jusqu’à sa mort il participera au Fespaco, tout en refusant de prendre part à la compétition proprement dite, afin de laisser émerger les jeunes cinéastes africains qui commençaient à produire des œuvres de qualité.
En 1979, son film « Ceddo » est interdit au Sénégal par le président Léopold Sédar Senghor qui justifie cette censure par une « faute » d’orthographe : le terme ceddo ne s’écrirait, selon Senghor, qu’avec un seul « d ». Le pouvoir sénégalais avait en fait à cœur de ne pas froisser les autorités religieuses, notamment musulmanes. Sembène relate la révolte à la fin du XVIIe siècle des Ceddos, vaillants guerriers traditionnels aux convictions animistes qui refusent de se convertir à l’Islam. Il attaque ainsi avec virulence les invasions conjointes du catholicisme et de l’Islam en Afrique de l’Ouest, leur rôle dans le délitement des structures sociales traditionnelles avec la complicité de certains membres de l’aristocratie locale.
En 1988, malgré le prix spécial du jury reçu au Festival de Venise, son film, « Camp de Thiaroye », est interdit de salle en France. Ce long-métrage est un hommage aux tirailleurs sénégalais et, surtout, une dénonciation d’un épisode accablant pour l’armée coloniale française en Afrique, qui se déroula à Thiaroye en 1944. Le film ne sera finalement diffusé en France que vers le milieu des années 1990. En 2000, avec « Faat Kiné », le cinéaste à la célèbre pipe commence un triptyque sur « l’héroïsme au quotidien », dont les deux premiers volets sont consacrés à la condition de la femme africaine (le troisième, « La Confrérie des Rats » était en préparation).
Le second, « Moolaadé » (2003), aborde de front le thème très sensible de l’excision. Le film relate l’histoire de quatre fillettes qui fuient l’excision et trouvent refuge auprès d’une femme, Collé Ardo (jouée par la Malienne Fatoumata Coulibaly), qui leur offre l’hospitalité (le « moolaadé ») malgré les pressions du village et de son mari. Sembène a récolté à cette occasion une nouvelle kyrielle de récompenses en 2004 : prix du meilleur film étranger décerné par la critique américaine, prix « Un certain regard » à Cannes, prix spécial du jury au festival international de Marrakech entre autres. Sembène revendiquait un cinéma militant et allait lui-même de village en village, parcourant l’Afrique, pour montrer ses films et transmettre son message. Malade depuis plusieurs mois, il meurt à l’âge de 84 ans à son domicile à Yoff le 9 juin 2007. Il est inhumé au cimetière musulman de Yoff.
AUX RYTHMES DU SLAM
Podor a été la capitale du slam pendant trois jours. Une quatrième edition du festival «Slam Légende» placée sous le parrainage duc hanteur Mansour Seck.
Podor a été la capitale du slam pendant trois jours. Une quatrième edition du festival «Slam Légende» placée sous le parrainage duc hanteur Mansour Seck.
La fin du mois d’octobre a vu la ville de Podor se transformer en capitale des cultures urbaines. Le slameur podorois, Double Servo, organisateur du festival Slam Légende, avait convié moins d’acteurs culturels (slameurs, chanteurs et enseignants) pour cette édition à cause du contexte sanitaire. Mais la série d’activités au programme, a attiré le nombreux public composé de spectateurs et de participants et surtout des bénéficiaires de formation.
Après l’accueil des artistes, le premier rendez-vous était donné aux Podorois à la bibliothèque municipale pour une conférence dont le thème était : «La jeunesse, vecteur de développement et de vulgarisation des cultures», animée par le conseiller technique au ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, le professeur Mamoudou Diallo. C’est le Centre départemental d’éducation populaire et sportive (Cdeps) qui accueillera ensuite les activités de formations sur les cultures urbaines. Il s’est agi d’échanges sur la poésie, de plusieurs ateliers d’écriture de poésie et de slam. C’est durant cette activité que le slameur et initiateur du festival, Double Servo, Adama Sy de son vrai nom, et ses collaborateurs sont entrés en jeu.
Le Cdeps était envahi par des écoliers qui ont bénéficié de formations en technique d’écriture, prises en charge par le slameur daganois, Kaaw Diang. C’est au deuxième jour du festival que les slameurs ont rivalisé par le talent avec des styles variés et les spectateurs du «Dîner slam» sont rentrés de cette soirée très satisfaits de la prestation des artistes.
Au troisième jour, pour démarrer la longue journée d’activités, c’est le camp militaire et la bibliothèque municipale de Podor qui ont servi de cadres avec l’inauguration des fresques murales. Ici le public s’est émerveillé du génie des artistes qui ont changé le visage de ces deux lieux très respectés des Podorois. Pour évaluer les bénéficiaires des formations en écriture en poésie et slam, les slameurs ont organisé un mini tournoi de slam et de poésie.
La lecture et l’exposition des textes produits a été l’un des moments forts du festival. Le parrain de cette édition, le chanteur Mansour Seck, a apprécié l’honneur qui lui est fait et a invité les populations à soutenir les activités culturelles dans la ville et le département de Podor. «Les activités diversifiées lors de ces festivités montrent que c’est un événement culturel très important. Toutes les forces vives du département ont le devoir d’appuyer les organisateurs pour pérenniser ce festival», souligne-t-il.
Le slameur, Hamza, venu de Foundiougne révèle : «Je viens pour la troisième fois à ce festival et ce qui retient mon attention c’est l’aspect culturel de Podor. Et je vois l’engagement des populations dans les activités lors du festival, surtout dans les ateliers d’écriture avec les enfants et le grand monde présent au Dîner slam.»
Le slameur podorois et initiateur du festival Slam Légende, Double Servo, indique que l’édition de cette année a joint l’utile à l’agréable. Selon Adama Sy, «le festival s’est déjà fait un nom dans le monde des cultures urbaines du Sénégal par sa régularité. Les populations se sont appropriées le festival et Podor n’a cessé de démontrer son caractère culturel».
Par Hamidou ANNE
MBOUGAR, MIÑELAM
Le Goncourt a célébré un héros ordinaire des lettres universelles, qui est le dépositaire sénégalais, africain, d’une flamme à la trajectoire longue et merveilleuse. Faire un livre aussi grand sur quelque chose dont on peut se passer relève du génie
La plus secrète mémoire des hommes est un grand livre. Il pose une question essentielle, existentielle : que reste-t-il quand tout est fini ? ; quand ce que nous avons sacralisé disparaît sous nos yeux, tel un château de cartes qui s’effondre ; quand il ne nous reste qu’une litanie de questions orphelines ; quand la seule hypothèse plausible est la fin, le néant, un noir absolu. Nous sommes arrivés à la fin d’une certaine idée du monde. Je ne saurais dire quoi au juste, avec précision. Mais toute notre époque, en sa vulgarité, raconte le crépuscule de quelque chose qui a vécu et qui a enveloppé le monde par sa substance. C’est un peu le déclin d’un art, d’un modèle et d’une certaine idée de vivre qui s’étiole sous nos yeux. Quelque chose d’autre arrive ; pour l’instant diffus. Car le monde, lui, continue sa chevauchée sans nous, avec d’autres passagers. C’est la marche de l’histoire. Ce qui émergera des décombres de notre ère sera-t-il mieux que le présent, je ne sais pas. Au fond, la question importe peu ; il n’est pas donné à tout le monde de trouver l’objet de sa quête. Tout le monde n’est pas Diégane Latyr sur les traces de T.C. Elimane. Mais dans ce monde d’hier que les heures actuelles ensevelissent, des éclats permettent de croire en la possibilité du devenir. Ce devenir, selon moi, a toujours été matérialisé par trois possibles, certes abstraites, mais qui permettent de garder une certaine foi devant la torpeur qu’infligent les vents incertains actuels : l’amour, la littérature et la révolution. Ils ne sauveront pas le monde voué à éprouver, jusqu’au bout, son cycle actuel, à disparaître peut-être d’une manière brutale, mais ils peuvent retarder l’échéance de notre finitude, au moins en nous laissant le rêve, la foi en l’à-venir, après nous avoir arraché tout le reste. Le livre de Mbougar recèle l’âme de chacune des trois possibles qui font le monde.
La plus secrète mémoire des hommes est un livre magnifique ; dans son style, son érudition, sa sensibilité, son exploration des labyrinthes de l’âme humaine, sa vocation totale, ses personnages habités, sa pénétration des cavités du pays seereer, ses silences, ses bavardages intelligents, son exigence, sa volonté à ne sacraliser que la littérature. Dans sa vocation à dire tout en ne disant rien. Dans sa rage d’être, d’abord et avant tout, un texte littéraire, voué à être lu. Lu. L’œuvre –car elle en est une– évoque une exigence sur la littérature, au sujet de ce qu’elle peut et de ce qu’elle ne peut pas. La littérature ne peut rien au sujet de l’époque, qui devient folle, incontrôlable et verse dans la trivialité. Elle ne peut que baisser les bras devant une machine qui, comme un monstre issu d’expériences scientifiques ayant mal tourné, échappe à ses créateurs, les dévore, les mâche, les régurgite et les piétine, pour mieux s’assurer de la vérité de leur supplice. Dans ce contexte, c’est d’autant plus respectable de la part de Mbougar de croire encore en ce qui ne sert à rien, ce qui appartient aux reliques du monde d’hier, aux fantômes d’un monde que les mœurs actuelles ensevelissent par diverses pelletées de «pragmatisme», d’«efficacité», de «rapidité», de «paraître» et donc d’insignifiance.
La plus secrète mémoire des hommes, malgré les tribulations des personnages sur différents continents, est un livre lent, car il explore chaque recoin de la sacralité de la littérature, pour en tirer, non pas une conviction quelconque sur la nécessité de celle-ci, mais pour montrer qu’on peut s’en passer. La littérature n’est pas essentielle. On peut vivre sans aucune espèce de culture. Il suffit d’accepter d’ignorer ce qui est non essentiel à une vie.
L’académie du Goncourt a célébré un héros ordinaire des lettres universelles, qui est le dépositaire sénégalais, africain, d’une flamme aux origines vieilles et à la trajectoire longue et merveilleuse. Il est l’héritier de ses maîtres auxquels il rend hommage en restant un humble -mais exigeant- citoyen de la patrie littéraire. Son passeport est la littérature. Avec ce sésame, il nous fait voyager et nous extirpe de nos certitudes pour nous entraîner dans le sillage de ses héros dans les ruelles du verbe ; là où aucune liberté n’est réprimée, car le pays de la création, donc du pouvoir, du rêve, laisse les écrivains libres. Le livre de Mbougar m’a ému, tiraillé, bouleversé. Faire un livre aussi grand sur quelque chose dont on peut se passer - dont on se passe- relève du génie. C’est cela le génie de Mbougar, pour ceux qui cherchaient et qui n’avaient pas vu en lui un talent solaire dès l’incipit de son premier roman, Terre ceinte.
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LE DÉVELOPPEMENT PAR LA CULTURE
EXCLUSIF SENEPLUS - Comment se porte la culture sénégalaise ? Comment se décline la politique culturelle du pays ? Que rest-t-il de la vision de Senghor ? Quand Mohamed Mbougar Sarr débattait avec Elgas, Penda Mbow et Abdou Latif Coulibaly
Mohamed Mbougar Sarr, Elgas, Abdou Latif Coulibaly et Penda Mbow étaient appelés à débattre de la culture au Sénégal en 2019 dans l'émission Sans Détour conjointement organisée par SenePlus et l'école d'image numérique Sup'Imax. Nous publions à nouveau cet échange après le sacre de Mbougar Sarr au Goncourt 2021 grâce à son roman "La plus secrète mémoire des hommes".
MOHAMED MBOUGAR SARR, L'ÉMANCIPATION PAR LA LITTÉRATURE
Mettre en avant le symbole, dans la victoire éclatante de l’auteur sénégalais, récompensé par le prix Goncourt, est réducteur. Car Mohamed Mbougar Sarr a justement su s’affranchir des tentatives d’assignation culturelle
Que le prix Goncourt crée des remous et amène certains commentateurs à brasser du fiel, c’est plutôt commun. Les frères Jules et Edmond de Goncourt, qui le baptisèrent, n’ont d’ailleurs pas toujours fait dans la dentelle. C’est l’une des identités de la plus haute distinction de la galaxie littéraire française que d’avoir ses mythes, ses rumeurs et autres mesquineries. On peut fort bien s’en accommoder, c’est de l’ordre du folklore. On peut même en sourire.
Clichés exotisants
Qu’en revanche Didier Decoin, l’actuel président de l’académie Goncourt, se fende dans une interview de déclarations équivoques sur « l’hermétisme » supposé de « certaines phrases, certaines tournures » de son tout nouveau lauréat, Mohamed Mbougar Sarr, cela surprend pour le moins. Peu avare de clichés exotisants, il poursuit dans la même veine quand il explique que les mots de l’auteur lui évoquent une « statuette fétichiste » et clôt ses comparaisons par des allusions malvenues sur une syntaxe littéraire « un peu africaine ».
Ces déclarations, qui accompagnent le couronnement du prodige sénégalais, n’ont pas manqué d’interpeller, voire de choquer, certains commentateurs ayant repris, bien entendu, le refrain de cette petite chanson désagréable.
Comme un air convenu, le politique tend ainsi à engloutir la littérature. C’est toujours la plus grande des injustices. D’autant que le livre primé, précisément, explore ce rapport entre littérature, symboles et politique. Et qu’il anticipe et dénonce magistralement ces tentatives d’assignation qui relèvent du maternalisme.
Mettre en avant le symbole, dans cette victoire éclatante, est, il faut bien le dire, tentant. Mais c’est surtout réducteur, voire à rebours du texte de Mohamed Mbougar Sarr. Dans une France marquée par des crispations identitaires, un Noir, jeune, étranger, de province, méconnu, un siècle après René Maran, récipiendaire du plus prestigieux prix automnal, ça vous pose un Goncourt particulier – et qui, de l’avis des gens du milieu, se cherche une nouvelle virginité ! De là à en faire le primat, à prospérer comme lecture première et unique, à écraser la valeur intrinsèque du texte, à ressusciter les pires stéréotypes de nature à singulariser et parquer les littératures du Sud, il y a un monde. Dans un moment aussi fondateur, ce serait un terrible aveu de la survivance de vieux schèmes.
Islamologue, chercheur, phytothérapeute de renom, Serigne Gora Sèye a édité, sur fonds propres, son premier ouvrage intitulé : «Naturmede». Un ouvrage où il partage ses connaissances sur les secrets et bienfaits des plantes. La présentation de l’ouvrage a eu lieu mercredi dernier, à la chambre de commerce de Dakar en présence d’autorités étatiques scientifiques et religieuses.
Sa passion pour les plantes a conduit tout naturellement Serigne Gora Sèye à écrire ce livre, pour partager ses recherches et ses connaissances sur les secrets et bienfaits des plantes et permettre aux populations de mieux comprendre l’utilité et l’importance des plantes, pour enfin une bonne utilisation de la phytothérapie. «Tout ce qui fait vivre l’Homme provient de l’arbre. Au-delà de leur échange, respectivement de gaz carbonique et d’oxygène avec l’Homme, les plantes sont d’une utilité inestimable et souvent ignorée. Toutefois, nous devons donner plus de valeur aux plantes et surtout nous rapprocher, au besoin, d’un bon phytothérapeute pour bénéficier pleinement de leurs bienfaits et vertus», signale l’auteur. Le phytothérapeute, auteur et chercheur, précise que le titre de l’ouvrage est venu naturellement, après mûre réflexion. «Je me suis dit que je dois donner un titre comme la nature mais, puisque je n’aime pas les choses très ordinaires, je me suis contenté de créer un mot, en faisant une sorte de liaison entre nature et remède.»
L’accès aux médicaments est souvent très difficile en Afrique et quotidiennement, des centaines de personnes affectées par des maladies convergent au domicile de Serigne Gora Sèye, en vue de bénéficier de sa science des plantes.
Originaire de Ndothie Sèye dans la région de Louga, le village fondé par ses grands-parents constitue, selon lui, sa source d’inspiration pour perpétuer l’œuvre de ses ancêtres. En effet, l’auteur avance que cet ouvrage «est un legs que je laisse à l’humanité, à la postérité, à mes arrièrepetits-fils, afin que mon passage sur terre soit a jamais marqué d’une pierre blanche». A travers le livre, l’auteur compte également développer une passion et la partager durablement avec la jeunesse partout à travers le monde pour leur bienêtre, en aidant ces jeunes à vaincre la dépendance et l’alcool, grâce à un traitement par les plantes. Il présente ainsi des recettes qui, ajoute-t-il, assurent une santé populaire accessible à tous.
Dans Naturmede, l’auteur ambitionne d’élargir, de moderniser ses activités, pour en faire bénéficier le maximum de personnes partout au Sénégal et dans le reste du monde, en créant le cabinet Bio keneya. «Grâce à notre projet phare, un centre de traitement spécialisé, nous serons en mesure de traiter l’addiction et la dépendance à la drogue», assure-t-il.
D’après lui, Naturmede, c’est le premier tome d’une série d’ouvrages thérapeutiques consacrés uniquement aux plantes médicinales, dont 16 plantes qui renferment des vertus énormes et qui sont traitées dans différents chapitres. «Ce livre est un viatique, une contribution pour le bienêtre de l’humanité, de l’Homme. Il est donc important de connaître les plantes et leurs vertus, traitées dans ce Tome 1, en attendant le Tome 2 qui sera consacré particulièrement aux plantes herbacées, elles aussi très utiles à l’Homme». «Pour ma part, mon destin est de servir l’humanité à travers la santé», précise le guide spirituel.
15 ans de recherches
Cet ouvrage, qui est le fruit de plus de quinze ans de recherches et de pratiques, «se consacre à reconstituer et à rassembler l’ensemble des connaissances ethnobotaniques, ethnopharmacologies et thérapeutiques de la plupart des plantes utilisées dans la médecine traditionnelle africaine», souligne le Dr Bédié Mbow, dans la préface de l’ouvrage. En Afrique, l’utilisation des essences végétales à des fins thérapeutiques est une pratique ancestrale. Selon Dr Bédié, le préfacier, cet ouvrage de Serigne Gora Sèye a eu le mérite d’être à la disposition des jeunes chimistes, pharmaciens et biologistes, comme un outil indispensable pour une meilleure connaissance des effets vertueux des plantes. «Les étudiants en formation doctorale feront de cet ouvrage le meilleur usage, notamment dans le choix et le déroulement de leurs sujets de thèse, en rapport avec les plantes médicinales d’Afrique. Quant aux chercheurs seniors, ils le consulteront, chaque fois qu’ils en sentiront le besoin», fait savoir Dr Bédié Mbow du Groupe de recherches sur les substances bioactives de la Faculté des sciences et techniques de l’université Cheikh Anta Diop. Abdoulaye Sow, le directeur de la Chambre de commerce de Dakar, indique, pour sa part, que «ce livre matérialise la générosité intellectuelle de Serigne Gora Sèye. Elle est une réponse africaine pour les problématiques de l’heure», dixit M. Sow
par Madou KANE
LE PRIX À DÉBATTRE
EXCLUSIF SENEPLUS - Le Goncourt qui honore le texte d’un jeune et pétillant Africain aura réussi la prouesse de relancer la question de l’homosexualité sur la place publique. Que chacun assume ses responsabilités devant l’histoire et pour l’avenir
Il est loin le temps où l’art était encadré et portait la signature de la communauté. Il assumait ses fonctions sociales et religieuses pour forger une identité culturelle, fondement de la cohésion du groupe. L’art est miroir de la société et expression de son génie avec sa kyrielle de codes et clés dans une diversité de formes et de sens. Au-delà du contenu rationnel moins déterminant, l’expression artistique est essentiellement du domaine sensoriel. Elle évoque l’esthétique, les émotions et l’harmonie qui émanent des mesures, formes et styles.
L’artiste anonyme était astreint aux rituels issus d’une chaîne de transmission entretenue par un lignage. Il en est tout autrement avec les expressions artistiques contemporaines qui se caractérisent par la singularité des courants et par l’originalité de plus en plus individualisée des œuvres d’art en dépit du substrat identitaire particulariste. La création artistique devient performance, ou un exercice frivole parfois passeur de sens. Elle est néanmoins dangereuse pour un individu qui manipule un pouvoir humain quasi divin.
De la création de l’artiste à la perception du public, il y a une dimension qui relève de l’ésotérisme.
Le destin de l’artiste est cornélien. Entre contempteurs et thuriféraires, la réputation de l’artiste tient sur un fil. Parfois, il est voué aux gémonies, tant il a tendance à transgresser, à choquer, à user d’une originalité qui transcende les normes. Il a le toupet de brandir une liberté qui le détache du conformisme ambiant au risque de le confiner sur la marge.
Autrement, il est adulé, devenant l’idole de fanatiques qui absorbent systématiquement sa production avec ou sans discernement. Il est sur un piédestal et atteint le nirvana qui le coupe des réalités. Il s’engouffre alors dans des refuges qui ne sont que des abris précaires dans les mirages de l’illusion.
L’artiste n’est pas un modèle mais a le génie d’entrevoir les tendances qui fondent l’avenir. Il heurte les consciences dans sa trajectoire qui sort des cadres conventionnels.
Adulé puis cloué au pilori, houspillé avant la consécration, son sort est incertain. Nombre de nos illustres icônes ont vécu les abysses de l’oubli ou les paradis éphémères de la notoriété. Ils y laissent des plumes pour avoir trempé les leurs dans la mer d’encre qui immerge les mystères de la création.
La littérature par excellence est un exercice artistique. Elle produit du sens dans un contexte de solitude où la conscience de l’auteur est la seule limite qui vaille. Une conscience pour réguler une inspiration qui émane d’un néant générateur de vie et d’esprit, de l’observation de la nature, de déduction de séquences existentielles, d’imaginaires de toutes sortes.
L’écrivain est un être singulier qui construit son univers et exprime ses sensations. Il trouve son harmonie et étale ses maux dans la fiction qui n’est qu’une réalité en dentelle. Il écrit d’abord pour soi et se révèle quand il décide de publier son œuvre. Le moi est toujours distillé dans la fiction tout autant que le substrat culturel étriqué ou large qui couve son existence et ses expériences.
Il y a une mystique de la création dans la mesure où l’artiste manipule un pouvoir quasi divin qui lui procure la puissance d’un être supérieur. Il frôle en permanence le danger de succomber à la passion qui le stimule en même temps qu’elle consume son âme. Il valse entre muse et démon, entre extase et mélancolie. Il déverse ses sentiments qui transpirent frénétiquement de ses entrailles et coulent du tréfonds de son être. L’acte d’écriture est un don de soi qui plonge l’auteur dans un état second et fécond au relent cathartique ou traumatique. L’œuvre qui en est issue est un accouchement, une délivrance qui associe le plaisir le plus exquis à la douleur la plus déchirante.
Ainsi la contrepartie la plus significative est la reconnaissance de l’œuvre par les pairs ou par la communauté, même à titre posthume, plus que les avantages pécuniaires.
Il arrive que les artistes épousent des causes et engagent des combats qui déterminent des postures idéologiques. Dans ce cas, l’artiste devient un passeur d’idées et véhicule un message. Il s’expose ainsi aux critiques qui dépassent les paramètres purement artistiques.
Juger un artiste, c’est le condamner d’avance sans procès ou le sanctifier avec complaisance sans l’éprouver. Je m’en garde.
Toutefois dans ce système-monde que nous vivons avec des enjeux économiques et culturels, l’impérialisme culturel trouve sa voie. Dans ces rapports de forces pacifiques, le soft power place ses ‘’cheval de Troie’’ notamment dans la sphère artistique qui est un espace médiatisé et d’influence. Dans ce nouvel ordre mondial qui torpille les religions, désacralise la famille, l’initiative semble changer de camp. Les orientations sexuelles contre-nature sont promues et le libertinage assumé. Des comportements "humanicides" sont portés par les organisations internationales ainsi que le monde des médias et des arts qui veut bien se prêter au jeu. La pression est mise sur les États réfractaires. Au même moment, les élites, les jeunes et les femmes sont insidieusement ciblés pour propager le phénomène LGBT par le concept nébuleux du genre et des pseudo droits humains. L’autonomisation surfaite de l’individu au sein de la société, au nom de cette liberté galvaudée a suscité ce mal être généralisé qui sape le vivre ensemble.
L’affaire Mbougar se situe à ce niveau pour avoir provoqué un séisme, suite à l’attribution du fameux prix littéraire par l’académie Goncourt. Mbougar écrit merveilleusement bien. Il a fait ses preuves. Il a trusté avec brio des prix dans sa jeune et féconde carrière d’écrivain. En plus de sa grande culture littéraire, il manie la plume comme Sechat et scrute la nature humaine comme l’Oeil de Rê. Il est un écrivain immense et forme avec son alter ego, l’admirable Elgas auteur de "Mâle noir", un commando d’élite. Ce binôme a procédé en bonne et due forme à "l’autopsie" de la société sénégalaise avec la caution de l’Institut français. Ils sont en mesure d’inoculer la dose prescrite par leurs commanditaires à nos concitoyens qui végètent dans le coma de l’obscurantisme. Le remède qui permettra d’avaler la couleuvre de la cause lGBT qui traîne sa queue hideuse dans ce bled du Sénégal protégé par un simple tata de terre du Sahel.
C’est de bonne augure qu’une œuvre littéraire suscite un débat et l’auteur Mbougar s’y est préparé. ‘’La plus secrète mémoire des hommes ‘’ est presque prémonitoire. Le génial auteur de ce roman vraiment magnifique, un best-seller en devenir, a déjà prévu le scénario en cours.
Bien entendu qu’il mérite amplement le prix Goncourt, comme d’autres aussi talentueux qui n’auront jamais cette chance de s’attabler au restaurant Drouant avec les académiciens.
Il est vrai que les prix artistiques ont perdu de leur superbe. Ces médailles ne sont décernées qu’aux artistes, aussi brillants soient-ils, qui vouent aux gémonies leurs cultures et croyances d’origine ou épousent les idées scélérates qui sapent les valeurs cardinales qui fondent l’humanité. La pommade artistique ne passera pas. Halte aux renégats de tous bords qui occultent le référent culturel identitaire pour surfer sur un universalisme qui gomme le particularisme. Ce phénomène a atteint les arts plastiques contemporains, le cinéma et la musique. Sur le principe, Il faut dénoncer avec vigueur cette discrimination. L’intolérance s’installe dans le camp que personne ne soupçonne.
La pensée unique qui impose la standardisation des productions culturelles entrave la diversité des expressions culturelles. Cette standardisation à sens unique exprime la primauté voire la condescendance du référent occidental. Elle refuse l’ouverture et nie l’apport de ceux qui ne seraient pas ‘’suffisamment entrés dans l’Histoire’’ et qui sont restés au stade des ‘’arts premiers’’.
La manœuvre satanique qui adoube cette fameuse distinction qui honore le texte d’un jeune et pétillant Africain aura réussi la prouesse de relancer la question de l’homosexualité sur la place publique. Que chacun assume ses responsabilités devant l’histoire et pour l’avenir.