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20 avril 2025
Culture
MEMORIALES, PAR ELGAS
L’ÊTRE FÉMININ, LETTRES FÉMINISTES
EXCLUSIF SENEPLUS - Chez beaucoup d’écrivaines sénégalaises, existe un malaise tenace quant au bon dosage du discours féministe. On assiste ainsi à une forme de cohabitation entre les exigences morales et les exigences libertaires
Il a été déjà dit d’Aminata Sow Fall qu’elle était la gardienne du temple des lettres sénégalaises. Et on ne peut pas dire qu’elle ne s’y soit pas employée, et même avec brio. Il y a même fort à parier que cette idée de matrone primale, ne perdra pas de sitôt valeur même si des plaisantins s’y essayent. Avec sa maîtrise du memento doucereux et son talent de tempérance, la grande royale, foulard et boubou majestueux, est devenue l’auréole maternelle qui veille sur les lettres nationales. Une irradiation si précieuse qu’elle s’est aussi faite continentale, tant l’icône s’est muée en totem sacré chez qui on fait pèlerinage, que l’on accable presque d’honneurs, et que le grand âge dans lequel elle se meut, la présente en fossile muséal, qui séduit et rassure avec la déférence requise. Amadou Hampâté Ba doit bien souvent maudire dans sa tombe son impuissance à refréner ce besoin de sanctuariser les personnes âgées, assimilées assez indistinctement à des bibliothèques qui brûlent. Hymne à la gérontocratie continentale, il casse les ailes de toutes critiques priées de se laisser attendrir par l’âge et fatalement de renoncer à la nécessaire évaluation des œuvres, sans laquelle la littérature emprunte à la caste maraboutique son confort et son privilège de mandarin.
Garder la morale et écrire, l’équation impossible ?
J’ai lu La grève des bàttu (1979)avec spasmes, pour la beauté et la justesse de ce livre si évocateur, si séminal dans les lettres sénégalaises. Pour son objet, pour la finesse de son point de vue. Sans y penser, je suis devenu aussi un enfant de la maman généreuse, mère première des aspirants littérateurs. Pourtant, L’empire du mensonge (2017), ce dernier opus de la gardienne du temple consume la bibliothèque et jette une poussière cendrée sur les belles antiquités qui ont fait sa réputation. Le retour de l’œuvre de la doyenne ne se fait pas sans un pincement au cœur, tant le contentement, la suffisance, ont dépouillé le texte. Regret d’autant plus amer, que la gardienne n’est pas seulement une écrivaine. Elle a été un gouvernail et un baromètre dont le legs reste encore fondateur d’un déchirement sans fin.
Elle a coloré grandement et inconsciemment les lettres nationales dans une logique de genre et de statut qui a conforté tous les clichés sur le devoir maternel, la préservation des mœurs, la vertu, une idée de la retenue littéraire, une vision morale conciliatrice et diplomatique que les gardiens du temple, bien mâles, possiblement religieux, n’avaient plus qu’à célébrer pour gagner en sursis. La littérature peut-elle évoluer dans un corset étroit et étouffant, doit-elle comme dans une logique épicière ménager la chèvre et le chou, donner des gages de sa bonne conduite aux inquisitions ? Sans mérites ni affres, ni rejets, Aminata Sow Fall a donné cette licence, tout compte fait, toute bourgeoise, d’un regard pondéré et neutre, probablement dépolitisé, qui au bout du compte, conforte toute la structure de domination. L’injonction au respect, le refus d’agiter la mer des idées, pour préserver la paix sociale et sa légendaire stabilité, sont proprement l’argument par excellence pour étouffer le débat, miner la création, dont on délimite d’avance le périmètre du « permis ». Si la vitalité se trouve dans la saine et sainte controverse, gageons que dans le moule des convenances, elle devient le bras armé du conservatisme.
Le plafond de verre féministe ?
Elle l’a d’ailleurs compris en reprenant le flambeau, Mariama Bâ. Elle l’étoffe certes, le revivifie, se borne à déchirer le corset. Elle déchire le bâillon des consensus dans sa Si Longue lettre (1979). Sa complainte est pourtant toujours marquée par cette docilité de l’attente qui subit. Les évènements et leur cours la percutent et si les lettres chez elle sont un facteur d’émancipation, c’est bien souvent dans une proportion timide, tant l’héritière dans sa rébellion même, pave la voie à cette idée de soumission à l’ordre patriarcal, qu’elle gifle, mais qu’elle renonce à déboulonner. On est troublé par ce roman puissant, si bien écrit, mais qui dans son huis-clos, dit encore l’extrême fragilité d’une condition qui essaie de grignoter sa survie, pactisant avec son bourreau. Si le livre résonne, et que son écho paraît fort, c’est que Mariama Bâ, encore plus verte et vive dans Un chant écarlate (1981), semble combattre après avoir déjà renoncé. Cette troublante impression tend à montrer qu’au cœur même des classiques féministes sénégalais, les doléances restent timides.
Contexte sans doute, cette littérature féminine naissante se débat dans ses contradictions éthiques, bourgeoises, transpercée elle aussi par des logiques de classes. Entre un désir de desserrer l’étreinte des pesanteurs et la nécessité d’honorer ce cœur féminin, l’idée sacrée de la « mère », arbitre des élégances dont le cœur doit être arrimé à la raison nationale. Tâche qui requiert en conséquence modération, acte premier, notons-le, dans ce cas précis, de la renonciation car céder sur l’horizon final, c’est se contacter de victoires mineures. Malgré la violence de la peine, le beau lamento de l’épouse éplorée et trahie, le discours féministe, Mariama Bâ ne renverse pas la table, elle pleure juste son sort. Comment concilier la notabilité maternelle par laquelle la société vous donne des galons de respectabilité avec ce cri littéraire libérateur qui vibre dans le cœur ? Défi générationnel avec infortunes et fortunes, elle dit la déchirure originelle de l’être féminin, et des lettres féministes sénégalaises. Argument déjà visité et pourtant fondateur, l’extraction bourgeoise de nombre d’autrices en fait des continuatrices inconscientes d’un ordre, telle Madame de La Fayette et sa Princesse de Clèves dont les tourments paraissent finalement si anecdotiques face à l’étendue du malheur féminin de l’époque.
Les problèmes de la société comme voix de la raison ?
Si l’idée de dénoncer la société et ses problèmes forment le canevas de l’essentiel la production littéraire nationale – toutes les autrices en cochent les cases - elle semble plafonner à ce devoir de pondération que d’autres héritières, quoique brillantes, dans le même esprit que Mariama Bâ, n’ont pas su déplafonner. Il se trouve ainsi sur le plateau des lettres, en fonction des auteurs, à la fois du talent, du panache, de l’inventivité, du punch et un courage à révéler les coutures, hideurs, arrière-cuisine, de la société. Et en même temps, tout cet élan semble parfois tourner autour de lui-même. On retrouve cette filiation à la fois dans la génération des années 80 et bien au-delà. Héritières à leur corps défendant, par dessein aussi probablement, de cette littérature qui module son cri pour ne pas effrayer la morale nationale.
« La Beat génération sénégalaise » ?
D’autres pousseront le hurlement bien plus loin, et il n’est pas de hasard qu’elles forment un club d’amies. Elles forment une génération littéraire au courant des mêmes années 80-90-2000, avec Ken Bugul (Le baobab fou, 84), Khady Sylla (Le jeu de la mer, 1992), Aminata Sophie Dieye (La nuit est tombée sur Dakar, 2004). Triptyque refondateur d’une idée du roman, de la chronique, et d’une littérature du dévoilement, de l’audace, du charnel et des bas-fonds, elles ont jeté une fraicheur littéraire à leurs risques et périls. En gagnant à l’extérieur une notoriété, et en perdant parfois sur le territoire national la figure de l’exemplarité si précieuse pour les mondanités littéraires locales. Même chez elles, où le gage de liberté semble plus prononcé, l’être féminin se débat contre des lettres féministes, tant leur combat pour le droit des femmes sera intermittent, parfois contradictoire, dans une logique qui ne permet pas forcément de les situer sur l’échiquier féministe. Exemple notoire, Ken Bugul – probablement la plus connue du trio – fraye avec un discours féministe à la fois ambigu et troublant, parfois à rebours de son œuvre, parfois à l’avant-garde de ce combat. On note, avec le développement fulgurant de la question féministe récemment, l’émergence d’une vision plus radicale, portée par de jeunes autrices, qui essaient de puiser dans cet héritage tout en traçant des chemins de rupture plus francs.
L’exil et le contournement ?
Dans ce paysage, il apparait parfois des profils singuliers, qui mènent leur carrière en contournant les écueils, et dont le souffle international déjoue les enfermements et les assignations. Fatou Diome semble appartenir à cette classe, il n’y a pas besoin de redire combien son œuvre est féministe, il suffit de la lire. Elle a empoigné les questions identitaires, les angoisses personnelles, l’attachement au pays Sérère, l’endurance des femmes. On pourrait citer, avec la même vista, une Khadi Hane aussi, entre autres. Au total, autant de sujets que l’on retrouve chez toutes ses devancières et ses consœurs, mais avec un regard et une maestria qui lui sont propres. Avec aussi un détachement qui peut la précipiter dans la désaffection et l’exil littéraire au sens premier du terme.
Si Awa Thiam, dans le registre de l’essai moins soumis aux contraintes esthétiques, a poussé un cri dans son Parole aux négresses (1978), elle semble bien seule hors du champ universitaire à avoir charpenté un travail d’exploration sur les féminismes et leurs liens avec la littérature. Son texte fondateur reste une Bible qui traverse les époques en ouvrant encore plus grand le champ. Bien sûr, il est impossible de prétendre à l’exhaustivité, tant les écrivaines sénégalaises sont nombreuses, différentes, entre la France, l’Afrique et le monde. Il serait imprudent de dresser une liste, les omissions seraient terribles, les exceptions nombreuses. Elles foisonnent. Avec des récits, des préoccupations, des intérêts différents. Mais le cœur du sujet reste commun.
Comment une littérature féministe peut-elle naitre, s’épanouir, porter la flamme du combat, sans trahir aucune des implications de l’écosystème littéraire ? Voilà bien une équation difficile à résoudre. Elle a été pendant longtemps la prison de la littérature féministe. Si les ainées comme Aminata Sow Fall ont décidé d’en épouser les murs et les contours à dessein ou à décharge, et que les héritières ont crié pour s’en échapper, la réalité semble bien complexe. Dans cette longue route féministe, chez beaucoup d’écrivaines sénégalaises, existe un malaise tenace quant au bon dosage du discours féministe, pour à la fois satisfaire la littérature comme esthétique, la société comme code moral et prescripteur, et les principes qui les meuvent comme devise et étendard.
On assiste ainsi à une forme de cohabitation entre les exigences morales et les exigences libertaires. Malgré la diversité des profils, le sujet demeure, et les nouvelles générations semblent toujours tiraillées par ces questions dans un contexte de regain religieux. Dans leurs productions, connues ou inconnues, la société devient le réceptacle anonyme et impersonnel où l’on projette le courage comme les renoncements, tant l’acte de dissidence, comme la révolution chez Camus, ne peut aller à son terme sans risquer de défaire le fragile fil de l’équilibre social et identitaire.
L’ENJEU CULTUREL ET LINGUISTIQUE DANS L’ÉTAT-NATION AU SÉNÉGAL
EXCLUSIF SENEPLUS - Le projet de formation d’un type idéal d’un l’homme franco-sénégalais nourri des valeurs de la France et enraciné dans ses appartenances ne semble plus d’époque
La mondialisation a créé 3 types d’actualités qui reconfigurent les enjeux de la culture, des langues et identités dans le destin du pays.
La réorganisation de l’espace.
Du fait de la connexion planétaire avec le numérique, l’internet et les réseaux satellitaires, la question de l’espace, des territoires, est devenue historiquement un enjeu politique, économique et identitaire. Un espace mondialisé entraîne d’un point historique et logique a des regroupements régionaux qui lui correspondent. La mondialisation est, sous cet angle, multiplicateur potentiel de la puissance nationale. Elle présente l’opportunité d’émergences d’espaces régionaux élargis et de construction de cohésions sociales et culturelles plus larges et plus fortes. Ainsi les actuels micros États-nation n’expriment que la dispersion de puissance des sociétés africaines sans aucune possibilité d’assurer leur développement intégral.
L’actualité de la démocratie participative
La mondialisation a entraîné une certaine remise en cause de l’État-nation et de la souveraineté nationale. De nombreux acteurs sociaux porteurs de nouvelles légitimités et d’expertise émergente avec qui l’État doit désormais négocier. Ainsi les catégories sociales, les communautés culturelles brimées ou marginalisées voient leur possibilité d’expression s’affirmer et leur capacité à peser sur l’échiquier politique, renforcé. « En tout état de cause, souligne Zaki Laidi (2000), les grandes configurations d’idées planétaires, les valeurs et les processus qui prennent le monde seront obligés de négocier avec les acteurs et les sociétés locales et de s’y adapter ».
Les affirmations identitaires
La mondialisation en unifiant les localités et les communautés de la planète a en même temps étalé au grand jour la pluralité culturelle du monde. Elle a restitué à la culture son actualité historique et sa dimension fondamentale. Le capital le précieux n’est pas tant le capital en milliards de dollars, mais le capital de savoir, l’intelligence et la capacité d’innovation, la sagesse spirituelle à préserver la planète et la paix. La culture est la dimension organisatrice fondamentale de la résistance, de l’émancipation politique et du développement économique et social intégral. C’est pourquoi elle est au centre de la compétition pour le leadership de la gouvernance mondiale. L’enjeu du durcissement de cette compétition est qui va avoir la direction culturelle du monde, qui va avoir l’hégémonie de civilisation.
La question fondamentale
Mais les États-nation peuvent-ils arriver à relever le grand défi avec la configuration politique de la plupart d’entre eux. Vu leur souveraineté confisquée, Willy Jackson (2000 : 58)[1]s’est posé la question : « L’Afrique peut-elle, dans le contexte actuel de son insertion dépendante dans la mondialisation, concevoir des politiques cohérentes de développement des capacités » ?
L’inadaptation aux changements
Des changements en profondeur et des mutations inédites affectent la société sénégalaise de part en part. En effet les rapports de genre, de génération, d’ethnies, de région, d’autorité, de savoir, de communication et de pouvoir sont aujourd’hui au Sénégal dans un processus critique de redéfinition. Mais face à ces défis majeurs, l’État-nation sénégalais reste dans le conservatisme politique du fait précisément du maintien du modèle de développement colonial français et des alliances d’intérêts qui s’y rattachent.
Alors que les lignes dans le pays bougent au plan social, intellectuel, artistique et culturel, et que des tendances lourdes négatives s’identifient nettement, mais aussi des signaux d’un possible renouveau, le mode de gestion politique des dirigeants est resté idem, sans initiative, sans imagination. Les discours et les pratiques politiques restent ainsi décalés des processus de transformation et dynamiques de changement qui travaillent la société sénégalaise.
La crise de l’appareil éducatif
L’école publique francophone comme gage de réussite, lieu de production d’une élite subordonnée est aujourd’hui en profonde crise. Le projet de formation d’un type idéal d’un l’homme franco-sénégalais nourri des valeurs de la France et enraciné dans ses appartenances ne semble plus d’époque. Le statut hégémonique de la langue française, langue officielle de travail et d’enseignement et les humanités gréco-latines civilisatrices ne sont plus d’époque.
Une reconfiguration des langues
La mondialisation libérale a ouvert un vaste champ communicationnel selon un nouveau modèle de gravitation des langues. (Calvet 2005 : 229-233).[2] De nouveaux rapports de force s’établissent autour de la langue hyper centrale, l’Anglais devenu le ciment des systèmes de bilinguisme. En même temps se produisent à la fois l’éclatement en micro-communautés linguistiques et l’affirmation élargie des grandes langues régionales du continent. La langue française est en train donc de perdre de son statut de langue coloniale de chasse gardée pour devenir de plus en plus dans l’espace culturel africain francophone en plein renforcement identitaire, une langue utilitaire comme l’anglais, une langue de communication avec le monde.
La détérioration politique
La détérioration politique est consécutive à l’abandon du système d’exercice de l’hégémonie politique et des stratégies de reproduction spécifique à l’État sénégalais depuis Senghor. Certains des différents appareils idéologiques, institutionnels, les soupapes de sûreté, les courroies de transmission et de contrôle hégémonique se sont affaiblise ou ont disparu, pendant que le relais confrérique ne fonctionne plus en bloc homogène. Il en résulte un affaiblissement de la communication politique devenue minimale entre l’État et la société, la jeunesse et les dirigeants.
La culture de la violence
Lorsque le pouvoir est concentré entre les mains d’un groupe restreint alors que la masse des administrés en éveil de conscience s’accroît en nombre alors s’applique la loi tendancielle au durcissement, à l’usage de la force répressive. C’est alors que s’instaure une violence d’État à partir de la zone centre du pouvoir face aux contradictions sociales nées des inégalités et de la crise aggravée. Celle-ci engendre au niveau de la jeunesse en désarroi, une mentalité suicidaire avec le Barça ou Barsax, mais aussi une violence domestique accrue. Depuis les années 2000, on a assisté à un accroissement de la violence dans le pays avec les viols, agressions, meurtres sacrificiels, crimes odieux, témoins d’une société malade. De nouveaux phénomènes sont apparus, annonciateurs de désordres...grèves de la faim répétées, suicides fréquents, immolations par le feu, profanations de cimetières, actes de pédophilie, rapts et meurtres d’enfants. On assiste malgré la force du lien communautaire, de la culture religieuse ambiante, à une surprenante individuation radicale, cela dans une atmosphère où tout semble se défaire : autorité, hiérarchie, justice, sécurité.
Le monde a changé, la société sénégalaise a changé. Ce n’est pas le cas de l’État-nation arcbouté sur lui-même, sur des options et des politiques qui manifestement ne correspondent plus à l’évolution historique, aux besoins vitaux et nouveaux des citoyens et de la jeunesse.
L’État-nation se trouve fragilisé dans un contexte régional d’insécurité du fait du terrorisme jihadiste, de la crise sanitaire du Covid, des conséquences économiques et sociales du conflit ukrainien. C’est pourquoi l’évolution du monde et les bouleversements en cours dans les sociétés africaines annoncent l’actualité à l’ère du dépérissement nécessaire des micro-États-nations, héritage le plus lourd de la colonisation spoliatrice. L’enjeu est le remembrement politique unitaire, le développement économique prodigieux du continent et le renouveau de ses civilisations.
[1] Willy Jackson (2000). Mondialisation, exode des compétences et développement des capacités en Afrique, in Exode des compétences et développement des capacités en Afrique, éd. CEA/CRDI/OIM, p.58.
[2]Jean Louis Calvet (2005). L’avenir des langues africaines en liaison avec les problèmes de développement, in Mondialisation, cultures et développement (Isidore Ndaywel E Nziem et Julien Kilanga Musinde (dir). Paris : éd. Maisonneuve et Larose, pp.229-233.
UN COMEDIEN AUX MULTIPLES CASQUETTES
Ablaye Mbaye alias Djibson revient sur son riche parcours ponctué de plusieurs participations à des séries dont «Njabar» d’Evenprod qui passe sur le petit écran
L’art occupe une large place dans le cœur de Ablaye Mbaye alias Djibson et que l’on surnomme aussi Atou. N’ayant pu échapper à l’univers artistique qu’il partage avec sa mère chanteuse hal pulaar, Aïssatou Sow dit Fama Boly, Ablaye Mbaye alias Djibson revient sur son riche parcours ponctué de plusieurs participations à des séries dont «Njabar» d’Evenprod qui passe sur le petit écran. Continuant de s’inspirer de son père, feu El Hadji Alassane Mbaye, qui a travaillé dans une société de la place, Ablaye Mbaye est aussi dans le cinéma et offre son image à plusieurs sociétés de la place dans le cadre de leur publicité.
Il y a certains qui n’arrivent point à s’éloigner du chemin que leur ont tracé leurs parents. Ils les suivent comme leur ombre. Ce sont généralement ceux qui sont appelés à assurer la relève d’une mère ou d’un père dans le domaine où ces derniers évoluent. Ablaye Mbaye alias Djibson que l’on surnomme aussi Atou fait partie de cette catégorie de personnes. Né d’une mère chanteuse haal pulaar, Aïssatou Sow dit Fama Boly, Djibson rejoint cette dernière dans l’univers de l’art en choisissant le théâtre et le cinéma comme mode d’expression culturelle. Il s’en explique. «Originaire d’une famille ancrée dans ses traditions, ayant une maman gardienne du temple d’une partie de la musique traditionnelle hal pulaar, dépositaire de la «science» des anciens traditionnellement et culturellement, ma personne ne saurait échapper à l’élan universel de la culture. Artiste de sang, les chants de ma culture me bercent et m’inspirent. Je chante, je danse, je joue du théâtre. Et après tout, je suis artiste, comme le moi est haïssable dit-on. Je suis…, nous sommes Espoir», surligne Djibson.
Débuts prometteurs au théâtre
Membre de la compagnie théâtrale «Les Espoirs de la Banlieue», il y a commencé à faire ses premiers pas dans le théâtre au début des années 2000. «J’ai fait mes premiers pas dans le théâtre vers 2002, 2003 et la compagnie théâtrale «Les Espoirs de la Banlieue» m’a ouvert ses portes. Comme on dit chemin faisant, l’appétit vient en mangeant. J’ai ensuite intégré la troupe du lycée Seydina Limamoulaye qu’on a après rebaptisée Ousmane Sembène», ainsi résume-t-il son parcours.
Son intégration dans la troupe du lycée Seydina Lima¬moulaye rebaptisée Ousmane Sembène a été rendu possible grâce à un club de français où il était partie prenante et grâce auquel il dit avoir pris part au Festival interscolaire de théâtre (Fist) au cours duquel il dit avoir décroché en 2007, le prix «Griot de la meilleure comédie» décerné exclusivement aux lycéens, en plus de la palme de la meilleure innovation théâtrale. «Donc, mes débuts au théâtre se sont faits entre ma compagnie d’initiation, «Les Espoirs de la Banlieue», et «Ousmane Sembène», qui m’ont propulsé dans le théâtre scolaire», embraye Djibson Atou, qui a fait son cursus scolaire au lycée Limamou Laye de Guédiawaye jusqu’en classe terminale L2. «J’étais malade, c’est pourquoi je n’ai pu poursuivre mes études», indique celui qui voue un amour au théâtre depuis sa tendre enfance.
Ablaye Mbaye dit s’inspirer des qualités de son défunt père pour avancer. «Mon père, feu El hadji Alassane Mbaye, paix à son âme, fut mon mentor, il m’inspire et continue à m’inspirer car toute sa vie durant il était un brave travailleur modeste, il avait le sens du partage, de l’entraide et de l’assistance», indique Ablaye Mbaye.
L’artiste-comédien a évolué dans plusieurs pièces com¬me Cruche cassée, qui est une réadaptation d’une œuvre allemande par feu Oumar Ndao et Ibrahima Mbaye Sopé. Les autres pièces dans lesquelles l’artiste-comédien a joué sa partition sont, entre autres, Urgen¬ce, D’un temps à l’écran, le Sa¬cre de Medina de Mou¬hamed Bachir Sy, La légende du fusil de feu Masseye Niang, mise en scène par l’un des grands metteurs en scène et chorégraphes, feu Mamadou Diop , Les corbeaux et les hirondelles doivent se marier, Recto Verso, Liking de Berengère Brooks. A celles-là, s’ajoute la pièce Ennemi du Peuple, réadaptation et mise en scène du texte du Norvégien Henrik Ibsen par Berengère.
Ayant eu la chance de bénéficier d’une session de formation offerte en 2012 au Grand Théâtre aux artistes-comédiens du Sénégal et encadré par des experts comme feu Mamadou Diop, Sayba Traoré, Moustapha Mbaye, tous des professeurs à l’Ecole nationale des arts, mais aussi Ibrahima Mbaye Thié de Sorano, Ibrahima Mbaye Sopé et Matar Diouf, Ablaye Mbaye a emmagasiné une somme d’expériences pour être parmi les mieux placés pour parler du théâtre sénégalais et de son évolution. Pour se plier à l’exercice, l’artiste-comédien de se livrer à une sorte d’étude comparative en partant de deux époques différentes. «Parler de l’évolution du théâtre m’oblige à prendre un point de départ. Disons qu’il y a quelques années auparavant je trouvais que l’animation culturelle côté théâtre était encore beaucoup plus dense. Les créations étaient-là, il y avait beaucoup de mouvements avec l’ouverture de la saison culturelle au Ccf (Institut français), à Blaise Senghor, qui est le centre culturel régional, le Théâtre national Daniel Sorano, la maison de la culture Douta Seck, etc.» «Aujourd’hui, il y a moins de créations qu’à l’époque», diagnostique-t-il. «Cela dit, il y a des aspects où nous acteurs du théâtre avons fait des pas en avant comme il y a aussi des côtés où nous n’avons pas du tout avancé», fait comprendre Mbaye.
Parlant de la méthode empruntée par les uns et les autres pour faire du théâtre, Ablaye Mbaye d’arriver à la conclusion selon laquelle que les méthodes «diffèrent d’une troupe ou compagnie à une autre selon les hommes, le contexte et les réalités». Mais ce «qui est bien», souligne-t-il, «est cette diversité» comme pour reprendre Senghor qui disait «s’enrichir de nos différences pour converger vers l’universel».
Se projetant sur la Journée internationale du théâtre célébrée le 26 mars, le comédien dit être incapable de voir le monde dans lequel il évolue soit fêté après une pause imposée par le contexte sanitaire sur fond de pandémie du Covid-19. Aujourd’¬hui que les acteurs du milieu renouent avec cette célébration, l’occasion sera saisie par eux pour diagnostiquer les maux dont souffre le secteur pour tenter d’y apporter des solutions. «La Journée internationale du théâtre est d’abord pour moi un acquis, une fierté que de voir un jour consacré à ma passion. Lors de cette journée, au-delà de l’animation, il s’agit pour nous d’un moment de réflexion, d’échanges et de perspectives sur le théâtre et les métiers du théâtre. J’ai longtemps participé à la Journée mondiale du théâtre, surtout lors des cérémonies officielles. En raison de la pandémie, cela fait déjà deux ans que je ne suis pas monté sur scène pour la Journée mondiale du théâtre.» «Pour cette année aussi, la journée est célébrée au lendemain de la fin du Forum mondial de l’eau et je participe à cet évènement mondial a enjeu important», souligne-t-il.
Carrière dans le cinéma
Le théâtre n’est pas seulement le dada de Ablaye Mbaye, il a aussi évolué dans le cinéma. «Le cinéma et moi, c’est aussi une longue histoire car je suis comédien et acteur et j’ai très tôt fait mes balbutiements dans le 7ème art», fait-il remarquer. Il a été d’abord figurant dans le film court-métrage intitulé La jeune maman, puis a participé à des téléfilms comme Feex aduna, tous deux faits par «Les Espoirs de la Banlieue», diffusés sur la Rts et qui l’ont révélé au petit écran. Il y a aussi Tolouway de Mouhamed Bachir Sy, directeur artistique de «Les Espoirs de la Banlieue», le film documentaire Les amants de Gorée de Gregory Hietin, qui part d’un spectacle théâtral La résurrection rouge et blanche de Roméo et Juliette de Sony Labou Tansi mis en scène par Stella Beuvard et Matar Diouf et le film court métrage L’arme de Pape Bounama Lopy, qui avait remporté le festival «7 jours, un film» sont les autres films auxquels Ablaye Mbaye a pris part.
Dans Deukeundo de Ibra¬hima Mbaye Sopé sur la Rdv, l’artiste-comédien se voit con¬fier des rubriques dans des émissions à la télé : Balcon de Aziz Samb avec «Les Espoirs de la Banlieue» dans le sketch du jour et a joué sa partition dans Takussan sur la Rts avec Aïssatou Sarr, dans Actu show (l’actualité de la semaine sous forme de comédie) et dans l’émission Les ados à la radio, Fm Sénégal ensuite Origines Fm, etc. et dans l’émission Kinkéliba à la Rts sur des plateaux de fin d’année.
Ayant pris part à un camp d’échanges culturels sénégalo-belge, Ablaye Mbaye a participé aussi à des projets de recherche artistique et théâtrale comme l’apport du théâtre dans la lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation, le théâtre pour la résolution non violente des conflits.
En plus de la série Chez Abdou de Bérengère Brooks, Casting, une production de Sabadol’Art, l’artiste-comédien joue actuellement dans la série Njabar d’Evenprod. Diplômé d’Etat des collectivités éducatives, Ablaye Mbaye est aussi un publiciste dont l’image est associée à une grande société de téléphonie et à d’autres entreprises de la place.
EN AFRIQUE, LES GRAMMY DE LA DISCORDE
La prestigieuse cérémonie de récompense de l’industrie américaine de la musique a vu cette année l’artiste béninoise Angélique Kidjo primée au détriment du Nigérian Wizkid, provoquant un tollé chez les fans de ce dernier
De la joie aux grincements des dents. Le 24 novembre 2021 à l’annonce de la liste des nommés aux Grammy Awards, le Nigeria s’enthousiasmait de compter cinq des huit noms africains éligibles à la prestigieuse récompense.
Grâce à son industrie du disque foisonnante de créativité, le pays aux 206 millions d’habitants est depuis quelques années une des places fortes du continent en matière musicale.
Mais l’enthousiasme aura vite tourné à la désolation, voire à une certaine acrimonie, moins de cinq mois plus tard. Finalement organisée le 3 avril 2022 à Las Vegas après un premier report dû à la pandémie du coronavirus, la 64e cérémonie des Grammy a en effet été marquée par l’échec des représentants nigérians à se hisser au palmarès final.
Fortunes diverses
Wizkid, Burna Boy, Tems, Femi Kuti et Made Kuti auront tous échoué à convaincre la Recording Academy – l’organisatrice des Grammy – du mérite de leurs œuvres à être récompensées dans leurs catégories respectives. Cela contraste fortement avec la précédente édition où le géant d’Afrique de l’Ouest était reparti de Sin City avec deux statuettes dorées.
L’une pour l’artiste Burna Boy dans la catégorie "meilleur album de musique mondiale" et l’autre au profit de Wizkid, gratifié du "meilleur clip vidéo" pour sa performance dans la chanson "Brown skin girl" de l’Américaine Beyoncé.
Les mélomanes, les Nigérians en particulier, avaient donc de quoi être frustrés au lendemain de la cérémonie. Mais ce qui suscite davantage leur colère, notamment sur les réseaux sociaux, c’est la défaite de Wizkid, coiffé au poteau par une autre artiste africaine, en l’occurrence la Béninoise Angélique Kidjo.
Vives désapprobations
Cette dernière a en effet triomphé de son jeune compétiteur nigérian dans la catégorie meilleur album de musique mondiale grâce à son opus paru en juin 2021 "Mother Nature", le dernier d’une discographie riche de plus d’une dizaine d’albums. Avec cette nouvelle distinction, la native de Ouidah, désignée première diva africaine en 2007 par le magazine Times, compte désormais cinq Grammy au total. Soit plus que n’importe quel artiste en Afrique.
Reste que sa dernière récompense n’est pas du goût des internautes nigérians. Ils sont depuis mobilisés sur Twitter pour défendre leur vedette Wizkid, estimé plus méritant. Notamment en raison du succès de son album "Made in Lagos", sorti l’année dernière. Propulsée par le titre "Essence" en tête de nombreux hit-parades outre-Atlantique depuis son lancement, l’œuvre de 14 morceaux est l’une des principales réussites musicales africaines de ces derniers mois.
Le succès populaire de "Made in Lagos", n’aura pas suffi à convaincre l’Académie des Grammy qui a manifestement pris en considérations d’autres critères d’appréciation.
«LE STATUT DU CADRE DES FONCTIONNAIRES DE LA CULTURE N’A PAS EVOLUE DEPUIS 1980»
Horizon Thierno Diagne Bâ, président de l’Adac est Titulaire d’un master en développement, spécialiste des industries culturelles de l’université Senghor à Alexandrie et détenteur aussi d’un master en management de projets et gestion axé sur les résultat
Titulaire d’un master en développement, spécialiste des industries culturelles de l’université Senghor à Alexandrie et détenteur aussi d’un master en management de projets et gestion axé sur les résultats de l’université Alioune Diop de Bambey, Thierno Diagne Bâ est le président de l’Association des animateurs culturels et conseillers aux affaires culturelles (Adac). Dans cet entretien qu’il a accordé au journal Le Quotidien, il décline les axes prioritaires de l’Adac. M. Bâ, conseiller technique à la Direction des arts, lance un appel pressant à l’Etat du Sénégal dans sa volonté de développer les industries culturelles, pour que celui-ci veille au suivi et à l’évaluation des différents fonds ainsi que les projets financés. Il estime également qu’il est important de mettre en place des industries nationales, fortes, dynamiques et qui vont à l’assaut du monde.
Maintenant que vous êtes élu président de l’Association des animateurs et conseillers aux affaires culturelles (Adac), pouvez- vous nous décliner vos axes prioritaires d’intervention ?
L’Adac est une association créée en 1979, regroupant les corps des animateurs culturels et conseillers aux affaires ¬culturelles. Les corporations sont le fer de lance et ¬composent, pour l’essentiel, les cadres du ministère de la Culture et de la communication. Ces deux corps sont régis par les décrets n°61-059 du 8 février 1961 et n°80-717 du 14 juillet 1980, portant statut ¬particulier du cadre des fonctionnaires de la culture. Et depuis 1980, le statut du cadre des fonctionnaires de la culture n’a pas évolué. C’est pourquoi, dans notre plan stratégique, notre premier axe prioritaire est la révision du statut des corps des animateurs culturels et conseillers aux affaires culturelles. Nous pensons que le décret est caduque, le secteur de la culture a évolué et est complètement bousculé par le numérique, avec de nouveaux enjeux et métiers. De cette révision découle inéluctablement la création de nouveaux corps. Au ministère de la culture, il ¬n’existe que cinq corps, à savoir le corps des conseillers aux ¬affaires culturelles, celui des conservateurs de musée, le corps des animateurs culturels, celui des techniciens de musée et le corps des gardiens de musée.
Ils sont certes importants, mais ne sont plus suffisants face à l’évolution drastique du secteur. Les industries ¬culturelles et créatives, bouleversées par le numérique, la ¬dynamique du patrimoine et les politiques culturelles, sont obligées de s’adapter à la mondialisation de la culture.
Notre deuxième axe ¬stratégique concerne la visibilité et la lisibilité de l’Adac à travers l’organisation de ¬panels sur des thèmes qui s’articulent autour des industries culturelles et créatives, le patrimoine, le tourisme, la formation, la diplomatie culturelle, les politiques culturelles.
Il sera aussi mis en place la revue annuelle de l’Adac, afin d’apporter notre modeste contribution à la réflexion et de formuler des recommandations pour le développement du Sénégal. Et enfin, le troisième axe stratégique porte sur l’animation, afin de donner vie à notre association à travers des after-works et notamment une soirée annuelle de la diversité de l’Adac, à travers laquelle nous comptons rendre hommage à nos anciens qui ont tout donné à la culture, des personnes de l’ombre comme les secrétaires, les chauffeurs,…qui sont importantes dans la mise en oeuvre de la politique culturelle, mais aussi aux artistes et acteurs culturels qui participent activement au rayonnement culturel du Sénégal.
Depuis quelques années, les industries culturelles bénéficient d’un fonds de développement. Est-ce que ce fonds est satisfaisant ?
L’Etat du Sénégal a beaucoup fait pour la culture. Il est conscient que les industries culturelles et créatives sont parmi les secteurs les plus florissants au monde. Au Sénégal, il existe différents fonds pour le financement et la structuration de certaines filières. Nous pouvons donner l’exemple du Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel (Fopica), d’un milliard par an. Le président de la République, Macky Sall, a bien voulu l’amener à deux milliards par an. Ce que je trouve satisfaisant pour mettre en place une industrie cinématographique au Sénégal.
Il y a le Fonds de développement des cultures urbaines (Fdcu), qui est passé de trois cent millions à six cent millions entre 2017 et 2022 ; le Fonds d’aide à l’édition, qui donne beaucoup de satisfaction, comme le Fonds d’aide aux artistes.
Il faut saluer la dotation de ces fonds par l’Etat du Sénégal, dans sa volonté de développer les industries culturelles et d’accompagner les artistes.
Ce que nous recommandons, c’est de veiller au suivi et à ¬l’évaluation des différents fonds ainsi que les projets financés. Le secteur a besoin de statistiques et d’indicateurs fiables pour prouver son poids essentiel au développement ¬économique et social.
Pourquoi estimez-vous qu’il est nécessaire de réformer et moderniser les instruments de politique culturelle afin de les adapter de façon dynamique au numérique ?
Nous assistons à une nouvelle géopolitique de la culture, accentuée par la mondialisation et le numérique. Frédéric Martel n’a pas tort de souligner que «la guerre mondiale des contenus est déclarée. C’est une bataille qui se déroule à travers les médias pour le contrôle de l’information ; dans les télévisions, pour la domination des formats audiovisuels, des séries et talk-shows ; dans la culture, pour la conquête de nouveaux marchés à travers le cinéma, la musique et le livre ; enfin, c’est une bataille ¬internationale des échanges de ¬contenus sur internet.
Cette guerre pour le soft power met en ¬présence des forces très inégales». Et aucun Etat ne peut résister à ce tsunami des industries de contenus, le paysage culturel est dominé par les plateformes numériques (Google, Amazone, Facebook, Netflix, Deezer, Youtube, Hbo max, Disney +, Spotify…) et la diversité culturelle a un autre visage. Les politiques culturelles n’ont jamais été si interpellées car aujourd’hui, la mondialisation, la culture et le numérique opèrent ensemble.
A mon humble avis, les Etats africains doivent relever le défi d’une culture numérique globalisée dans les décennies à venir. Et cela passe, sans aucun doute, par adapter et renouveler les politiques culturelles à l’ère du numérique.
L’univers culturel est complètement bousculé et il appartient à chaque gouvernement de comprendre les enjeux et trouver les bonnes réponses.
La création artistique reste fragilisée. Que préconisez-vous pour améliorer la qualité de certains contenus ?
La création artistique n’est pas fragilisée. Les artistes sénégalais créent de bons produits et certains s’exportent. Par ailleurs, dans le contexte actuel, il est important de mettre en place des industries nationales, fortes, dynamiques et qui vont à l’assaut du monde. Pour y arriver, la base de toute industrie de qualité est la formation.
Il est heureux de savoir que le décret portant création de l’Ecole nationale des arts et métiers a été adopté. Cette école aura un rôle important à jouer dans la production artistique de qualité et devrait tenir en compte les nouveaux métiers. Il serait aussi important d’y mettre un département cinéma et audiovisuel.
Je rappelle toujours que le Sénégal n’a pas suffisamment investi sur la formation d’une industrie technique. Pour répondre à ta question, je dirais que la formation est aujourd’hui le socle d’une industrie de contenus de qualité.
UN HYMNE POUR LES LIONS
Mamadou Bâ, enseignant à la retraite, y chante en mandinka, pulaar, soninké et wolof, langues que parle couramment cet ancien vice-président de l’Oncav, chargé des affaires culturelles, du temps de Ousmane Oscar Diagne et de feu Dr Issa Mbaye Samb
La mélodie est envoutante. Le rythme inclassable. L’hymne que l’acteur culturel, Mamadou Bâ, 66 ans, a produit en hommage aux Lions de la Teranga, vainqueurs de la Coupe d’Afrique des nations de football et qualifiés pour les phases finales de la Coupe du monde, Qatar 2022, est à la fois un mélange du ekonkone des Diolas Cassa, du diambadong des Mandingues et du riiti des Peuls du Fouladou. Kuu baa keta, un grand événement en mandingue, est le titre de ce single présenté au public de Vélingara la semaine dernière, à travers les plateformes électroniques de la localité.
Mamadou Bâ, enseignant à la retraite, y chante en mandinka, pulaar, soninké et wolof, langues que parle couramment cet ancien vice-président de l’Oncav (Organisme national de coordination des activités de vacances), chargé des affaires culturelles, du temps de Ousmane Oscar Diagne et de feu Dr Issa Mbaye Samb. Il dit : «Tous les refrains sont repris dans toutes ces 4 langues. Une manière de couvrir toutes les zones géographiques du Sénégal : le mandinka et le pulaar sont parlés dans le Sud-est du pays, le soninké à l’Est et au Nord tout comme le pulaar, et le wolof au Centre et à l’Ouest. Le rythme est aussi un mélange des sonorités musicales traditionnelles de toutes ces zones.»
Au niveau du contenu, Madou Bâ, comme l’appellent les intimes, et son duo de ¬choristes y rendent un hommage à l’entraîneur Aliou Cissé qui, malgré les critiques négatives, la forte pression parfois, a maintenu le cap, visé haut et loin et laissé sur le carreau «les kakataar qui ne verront pas le Qatar».
Dans ce flot d’hommages sont confondus Sadio Mané, l’ensemble des Lions de l’épopée de 2022, ceux de 2002, des anciens de la Tanière comme Jules François Bocandé, la Fédération sénégalaise de ¬football, les autorités étatiques, le 12ème Gaïndé, ainsi que les journalistes qui, tous, «ont fait bloc autour de l’Equipe nationale et joué leur partition dans cette double victoire qui a eu le bonheur de mettre d’accord tous les groupes ethniques et de relancer l’élan patriotique et le sentiment de fierté nationale», a renseigné Madou Bâ.
«Nous avons encore besoin de ça pour pousser les Lions à aller loin, à nous valoir ¬d’autres satisfactions car cette ¬équipe est un cran au-dessus de celle de 2002», poursuit-il. Madou Bâ est en train de jouer des mains et des coudes pour la projection de ce single sur petit écran.
LA COMPAGNIE WECCO BLOQUÉE À COTONOU
Remporter un trophée après une première participation et se retrouver dans des difficultés pour rentrer au bercail. C’est ce qui est arrivé à la compagnie théâtrale sénégalaises Wecco.
Pour sa première participation à la 5ème édition de la Semaine béninoise, 9éme arrondissement, tenue au Bénin du 28 mars au 3 avril, la compagnie Wecco a remporté le trophée «Alougbine Dine». Espérant rentrer avec son trophée avant-hier, cette compagnie théâtrale n’a pu le faire à cause de l’indisponibilité d’un vol d’Air Sénégal, qui promet de rectifier le tir aujourd’hui.
Remporter un trophée après une première participation et se retrouver dans des difficultés pour rentrer au bercail. C’est ce qui est arrivé à la compagnie théâtrale sénégalaises Wecco. Après leur victoire, les membres de Wecco devaient rentrer avant-hier à Dakar, mais sont toujours bloqués à Cotonou à cause de l’indisponibilité d’un vol d’Air Sénégal qui devait les ramener après qu’ils ont pris part à la Semaine béninoise.
Espérant voir le bout du tunnel aujourd’hui, les membres de Wecco disent être dans l’impossibilité de savoir où se situe le problème. «On devait rentrer le 7 avril (avant-hier). La compagnie Air Sénégal nous a amenés ici et devait nous faire ramener à Dakar. On a cherché à savoir, mais jusqu’à présent on ne nous a donné aucun motif. On nous dit qu’ils sont en train de discuter avec la direction. Il y a d’autres qui ont besoin, à leur retour, de justifier le retard accusé pour rentrer au Sénégal, mais ils n’ont reçu aucun justificatif. Ils nous ont tout juste dit qu’il n’y avait pas de vol, qu’il est annulé. On a fait l’enregistrement entre11h et midi pour s’envoler vers 14h et arriver à 16h 30 à Dakar. Cela n’a pu avoir lieu», a déclaré Pape Mary Diakhaté, administrateur de la compagnie théâtre Wecco, au cours d’un entretien téléphonique avec le journal Le Quotidien. «Ils ont dit que demain (Aujourd’hui), il y a un vol à 14h. Et qu’ils vont essayer de nous y mettre, un vol régulier d’Air Sénégal», soutient l’administrateur de la compagnie, qui trouve leur situation «trop pénible».
Les tentatives pour recueillir la version d’Air Sénégal se sont révélées infructueuses, dans la mesure où nous n’avons pas pu joindre le responsable de la communication de la boîte. Le numéro à partir duquel nous avons essayé de le joindre, était indisponible. Sélectionné pour prendre part à ce festival après deux tentatives infructueuses dues, en 2020, à la pandémie du Covid-19 et, en 2021, au manque de moyen avant que cette 5ème édition ne soit la bonne avec l’appui du ministère de la Culture, par le canal de la Direction des arts, et le Centre culturel régional Blaise Senghor, la compagnie Wecco a été reçue par le directeur du Fonds d’aide à la culture du Bénin, l’honorable Chantal Ayi. Wecco, qui veut dire partage en wolof, a fait face à d’autres acteurs culturels venant de six pays qui ont participé à ce festival, dont le Bénin, le Niger, le Mali, entre autres.
Durant leur séjour, les acteurs culturels de Wecco ont été reçus par le directeur du Fonds d’aide à la culture du Bénin, l’honorable Chantal Hayi, et celui qui porte le nom du trophée qu’ils ont gagné, à savoir Alougbine Dine. La compagnie théâtrale Wecco a fait honneur au Sénégal en se distinguant de la meilleure des manières lors de sa première participation à la Semaine culturelle béninoise du 9ème arrondissement organisé par Yad-Africa. Cette troupe a en effet remporté le trophée «Alougbine Dine».
La compagnie Wecco a ainsi hissé très haut le drapeau national avec cette distinction, à travers la prestation théâtrale qui a pour titre: «Victime ou coupable.» Une pièce sur laquelle travaillait depuis 2019 cette compagnie théâtrale, a été interprétée par l’artiste comédien Pape Sidy Sy, à travers un «one man show». M. Sy s’est rendu au Bénin avec Pape Mary Diakhaté, administrateur de la compagnie théâtrale Wecco, pour défendre les couleurs du Sénégal
DE LANGUE À LANGUE, L’HOSPITALITÉ DE LA TRADUCTION
Langue dominante. Langue dominée. Langues d’égale dignité. Ce sont là un ensemble de thèmes visités par Souleymane Bachir Diagne dans son ouvrage : « De langue à langue »
Langue dominante. Langue dominée. Langues d’égale dignité. Ce sont là un ensemble de thèmes visités par Souleymane Bachir Diagne dans son ouvrage : « De langue à langue ». Selon que l’on adhère à l’une ou l’autre perspective, les conséquences s’avèrent radicalement différentes. Dans le premier cas de figure, pour affirmer sa suprématie, se profile un nationalisme linguistique qui s’organise autour de la conflictualité et du rejet, contrairement au second où il est plutôt question de domestication de la différence, à travers notamment un plurilinguisme fécond.
En convoquant d’emblée la question de la diglossie, si prompte à hiérarchiser la pratique des langues sur la base de statuts opposant un niveau inférieur, de moindre allure, à un autre, supérieur, capable de véhiculer un savoir de dimension internationale , Souleymane Bachir Diagne nous met ainsi en face d’enjeux fondamentaux. Ceux qui agitent l’espace francophone et que l’on retrouve dans la diglossie français-créole, aux Antilles, ou tout simplement, français langues locales, dans moult pays africains. De par cette dichotomie encore persistante, le français y apparaît comme langue impériale voire de domination, réduisant les autres à la réalité infamante de langues périphériques. De telles postures d’adoubement et/ou d’exclusion déroulent forcément une foultitude d’interrogations qui, en arrière fond, posent la question centrale de savoir si la langue promeut le repli identitaire ou au contraire embrasse l’ouverture. C’est précisément sur cet aspect que porte la réflexion de l’auteur. Elle se focalise sur la capacité de la traduction à tisser une relation, à mettre en rapport, et plus précisément à réconcilier des identités plurielles. Au fil de l’argumentaire on comprend toutefois que la traduction n’est pas chose aisée, parce qu’au-delà de l’ « intraduisible », au sens que lui donne la philosophe Barbara Cassin, à savoir « ce qu’on ne cesse pas de (ne pas) traduire », un détournement de sens reste possible.
A l’image de l’interprète colonial qui refuse d’être cantonné au rôle d’élément devant rendre compte avec exactitude de la parole impériale dans une adéquation qui n’en altère aucunement le sens. Aussi, lorsqu’il est capable de saisir la complexité d’une situation et de la gérer, l’interprète s’évertue-t-il à mettre en place un « troisième espace au sein de l’empire colonial, participant à la fois de l’imperium et du monde colonisé ». Par les codes qui régissent son milieu sociétal, il se positionne alors comme médiateur culturel, en émancipant la traduction de la stricte exposition d’une « pure technique de transposition des mots d’une langue dans ceux d’un autre ». Ce qui explique que moult d’entre eux se soient convertis en écrivains qui ont su sauvegarder le « trésor de l’orature », autrement dit la littérature orale, en l’imprimant dans la langue impériale. Une telle coexistence serait-elle alors de l’ordre de « la reddition » et du « paiement de tribut » puisqu’il ne saurait y avoir de littérature africaine qui ne soit pas portée par une langue éponyme ?
« LA LANGUE DES LANGUES »
Tout en concédant cette possibilité, l’auteur soutiendra toutefois qu’une littérature de traduction a fait de l’anglais, du français ou du portugais des langues d’Afrique. Il la retrouve en période coloniale avec des auteurs comme Amadou Hampâthé Bâ, Bernard Dadié et autre Birago Diop. Quitte à y adjoindre Léopold Sédar Sédar, co-auteur avec Abdoulaye Sadji, de « La Belle Histoire de Leuk-le-Lièvre » . Ce livre destiné aux classes de primaire qui a meublé et accompagné l’imaginaire de tant d’enfants est une traduction en français de la geste de cet animal rusé, héros de maints contes ouestafricains. A travers cet ouvrage, tout comme « Le Pagne noir » de Bernard Dadié, ou les « Contes d’Amadou Koumba » de Birago Diop , Souleymane Bachir Diagne découvre « une contre-écriture » telle que définie par Sartre dans la préface d’Orphée noir , consistant à « un décentrement de la langue hypercentrale pour l’engager dans son devenir-africain ». A travers ces exemples, dit-il, on retrouve « ce que veut dire recréer en écriture, dans la fidélité et la trahison assumée », lesquelles sont constitutives de la tâche de traduire. Pour lui, on est face à un travail de déconstruction dans le sens où , profitant de « l’hospitalité réciproque entre les langues », ces différents auteurs « ont fait de la traduction de l’orature tout autre chose que ce que l’appropriation impériale avait construit sous le label « contes ». Parce que dans l’acte de traduire on se retrouve entre deux langues, entre deux cultures, qu’on les habite, Souleymane Bachir Diagne invite à tisser des liens au sens où Ngugi Wa Thiong’o, militant des langues africaines , affirme que « la traduction est la langue des langues ». Ce rôle que joue la traduction se love aussi dans la religion, à travers notamment le Coran dont le message est révélé en arabe. Souleymane Bachir Diagne de convoquer alors l’œuvre du poète mystique Moussa Ka pour qui, « versifier en wolof, en langue arabe et en toute autre langue est la même chose ». Une manière d’affirmer leur égale noblesse car « dès lors qu’elles s’attachent à chanter le prophète de Dieu, toutes voient leur essence ennoblie ». Il s’agit bien sûr, avertit l’auteur, d’une traduction, non point malveillante, plombée par une volonté de discrédit, mais celle qui se donne comme un art de construire des ponts, de mettre en rapport, de sortir des enfermements identitaires mortifères, pour installer dans la rencontre, la pluralité, le partage et la réciprocité. Cette conviction qui structure toute la production intellectuelle de Souleymane Bachir Diagne dit que nous sommes différents, que cette différence ne doit pas nous atomiser en nous enfermant dans des certitudes exclusivistes, mais plutôt nous installer dans le souci et l’ inquiétude pour autrui. Une manière de suggérer, en clin d’oeil à Léopold Sédar Senghor, que « l’orgueil d’être différent ne doit pas empêcher d’être ensemble ». C’est en cela que consiste « l’hospitalité de la traduction ». « De langue à langue ».
MACKY REVOIT A LA HAUSSE LA SUBVENTION DE LA BIENNALE DAK'ART
L’Etat du Sénégal, ‘’principal contributeur’’ du Dak’Art, la Biennale de l’art africain contemporain de Dakar, a fortement augmenté sa subvention annuelle octroyée à cet événement, de 36 % en 2008 à 75 % depuis 2018
Dakar, 8 avr (APS) – L’Etat du Sénégal, ‘’principal contributeur’’ du Dak’Art, la Biennale de l’art africain contemporain de Dakar, a fortement augmenté sa subvention annuelle octroyée à cet événement, de 36 % en 2008 à 75 % depuis 2018, a indiqué le ministre de la Culture et de la Communication, Abdoulaye Diop.
‘’L’Etat du Sénégal est le principal contributeur de la Biennale de Dakar, le montant de son apport au budget dédié à chaque édition est passé d’environ 36 % en 2008, par exemple, à 75 % depuis 2018’’, a déclaré M. Diop dans un document de presse consacré à cette manifestation artistique.
‘’L’Etat a maintenu ce rôle prépondérant, avec la planification effective, à partir de 2020, d’une allocation annuelle de 750 millions de francs CFA’’ à l’événement, a-t-il affirmé dans ce document parvenu vendredi à l’APS.
Au total, la Biennale de Dakar reçoit de l’Etat du Sénégal 1,5 milliard de francs CFA pour chaque édition, a précisé le ministre de la Culture et de la Communication.
‘’C’est dire l’importance que le Sénégal accorde à l’organisation de la Biennale de Dakar, qui a fini de s’ériger en vitrine de la créativité, dans ses plus belles expressions’’, a-t-il souligné.
Le Dak’Art, dont la 14e édition est prévue du 19 mai au 21 juin prochain, bénéficie de ressources additionnelles provenant du secteur privé national et des partenaires techniques et financiers de l’Etat, selon Abdoulaye Diop.
La 14e édition, initialement prévue en 2020, a été reportée à cause de la pandémie de Covid-19. Elle maintient toutefois sa sélection officielle composée de 59 artistes qui viendront de nombreux pays, dont 16 d’Afrique.
Le Sénégal aura huit représentants dans l’exposition internationale, le ‘’IN’’, qui se tiendra dans l’ancien palais de justice du cap Manuel, à Dakar. Il s’agit d’Aboubakry Ba, de Caroline Guèye, de Fally Sène Sow, d’Abdoulaye Ka, d’Omar Ba, d’Alioune Diagne, de Modou Dieng Yacine et de Mbaye Diop.
Malgré le report, le Dak’Art a maintenu l’invitation qui avait été faite à ses quatre commissaires internationales, Greer Odile Valley (Afrique du Sud), Lou Mo (Canada), Nana Oforiatta Ayim (Ghana) et Syham Weigant (Maroc).
‘’Ĩ Ndaffa#’’, l’action de forger en sérère, est le thème retenu pour la prochaine édition, pour laquelle le comité d’organisation a prévu une ‘’programmation diversifiée et inclusive’’.
‘’Bien avant la crise engendrée par le Covid-19, le thème de cette biennale nous invitait à réinventer nos modèles. La pandémie a rendu cette démarche impérieuse et urgente, d’où la nécessité de la penser’’, a expliqué la secrétaire générale du Dak’Art, Marième Ba.
Selon elle, dans le programme de la biennale figure une exposition qui rendra hommage au ‘’grand maître’’ des arts plastiques maliens Abdoulaye Konaté, lauréat du Grand Prix Léopold-Sédar-Senghor de l’événement, lors de l’édition de 1996.
Lors du Dak’Art 2022, l’artiste plasticien sénégalais Soly Cissé va exposer à la Galerie nationale d’Art, sur le thème : ‘’Incursion dans un monde de métamorphoses’’.
Les Manufactures sénégalaises des arts décoratifs, implantées à Thiès (ouest) depuis 1966, vont présenter les œuvres de grands tapissiers du Sénégal, à l’occasion de la biennale.
par Fadel Kane
L'AVENTURE AMBIGUË ET LE PREMIER CERCLE CONCENTRIQUE
Je me propose ici, pour ce qui est de l'Aventure ambiguë, de partager comment la parution de l'ouvrage a été vécue dans sa famille, ses parents et amis
Lorsqu'on jette une pierre dans un étang, on voit des cercles se constituer, des cercles concentriques par ricochets, d'autant plus forts et rapprochés que le poids immergé est important. Je me propose ici, pour ce qui est de l'Aventure ambiguë, de partager comment la parution de l'ouvrage a été vécue dans sa famille, ses parents et amis pour autant que j'ai pu recueillir de telles informations.
Cheikh Hamidou Kane avait 33 ans lorsque son livre est publié. « Je crois, me dit-il, que maman a peut-être apprécié plus que les autres membres de la famille le livre parce qu’Alioune Diop est venu de Paris me voir». Alioune Diop était un grand intellectuel sénégalais qui a fondé la revue Présence Africaine. Maman connaissait Alioune Diop depuis leur enfance. Mon grand-père Racine était fonctionnaire à Dagana où vivait le père d’Alioune Diop. Alioune est venu à Thiès la saluer et lui dire sa fierté. Elle a compris que quelque chose de particulier arrivait à son fils. Il poursuit « quand j'ai reçu un montant d'argent qui accompagnait le Grand prix d'Afrique noire, je l'ai offert à papa et maman. Ils ont dû l'utiliser pour faire des aumônes ». On me rapporte que son père aurait dit, pour ce qui est du livre en général que « Baba (ainsi appelait-il son fils) connaît qui il est ; il pourrait donc bien se décrire s'il veut parler de lui ».
Venons en maintenant à ses frères. Le plus grand, de cinq ans son aîné, dit ne pas avoir lu le livre tant qu'on lui dit que le roman raconte la jeunesse de l'auteur. Il évoque, avec un brin de malice qu'il en connaît suffisamment, autant qu’un livre ne pourrait raconter. Par contre, il a tenu à ramener à la maison un disque « vinyle 33 tours » où quelqu'un lisait des passages de l'aventure ambiguë. Il y avait aussi une interview de personnes que nous ne connaissions pas ; le tout avec de la musique…
Quant à mon petit frère Fadel, il était très fier de la parution d'un livre de moi. En tant que journaliste et en tant qu’intellectuel. Il a beaucoup apprécié et nous avons retrouvé des traces de cela.
Binta Racine, la Grande Royale des Diallobe m'a dit « toi le petit fou, j'ai entendu ce que tu as dit de moi dans ton livre ». Apres m'avoir dit ça elle a vaqué à ses occupations du jour. Ce fut tout, pas un autre commentaire sur l'aventure ambiguë en ma présence…
Mamoudou Cheikh, un oncle de l'auteur a commenté avec un air taquin. Je crois que Baba Cheikh n'avait pas tous ses sens en écrivant le chapitre 10 de la deuxième partie du livre. Personne n'y comprend rien.
Pendant la période péri-parution du roman, une rumeur circulait dans la famille demandant de s'attendre à un livre dont certains personnages étaient tirés de nous. Fadel Dia, Ibrahima Niang et Abdoulaye Elimane Kane étaient élèves à Saint Louis. Lorsqu'ils ont reçu le livre, ils devraient le lire à tour de rôle. AEK me dit qu'ils se sont empressés de recouvrir le livre dans un papier journal pour ne pas l’abimer. Ce dernier évoque après avoir lu le livre, ses causeries avec sa propre maman à propos du maître des Diallobe, de sa rigueur et sa dureté. Sa maman lui confirmera qu'il en était ainsi. Un homme redoutable à beaucoup d’égards. En effet, sa maman et Samba Diallo ont tous deux été disciples de Thierno.
Les philosophes et littéraires donnent quelques critères pour qu'une œuvre soit universelle : 1) elle est lue par un large public au plan national et international ; 2) elle est traduite dans différentes langues ; 3) elle est enseignée dans les écoles et universités de différents pays, commentée, utilisée dans des exercices et contrôles de connaissances ; 4) ses personnages deviennent des modèles (Thierno, Grande Royale, le Fou, Samba Diallo) ; 5) des expressions formulées par des personnages ou celles de l'auteur dans son récit et ses descriptions deviennent des aphorismes cités et ayant valeur de maximes ; 6) il peut y avoir une interprétation cinématographique ou théâtrale de l'œuvre . D'autres critères sont possibles mais l'Aventure ambiguë remplit tous ceux-ci. D'où l'intérêt de considérer l'avis du premier lecteur du roman.
Il s'agit du Dr Ibrahima Wone qui mentionne avoir lu le manuscrit déjà avec le premier titre du roman initialement intitulé « les orgues mortes » et MG le premier nom de Samba Diallo. Il dit que ni la première lecture du manuscrit et du livre terminé ne l'avaient édifié. Selon ce cousin de l'auteur médecin, bien qu'écrit par un jeune homme, ce livre était destiné aux gens mûrs et même plus mûrs. C'était d'une profondeur remarquable. Parvenir à rassembler dans un seul roman l'ensemble des aventures que leur génération vivait relevée d'une prouesse. Ce brillant intellectuel a avoué lors d’une émission de télévision avoir lu ce roman vingt quatre fois. Il qualifie l'œuvre de fulgurance d'inspiration divine…
Jeune gouverneur de la région de Thiès, Cheikh Hamidou Kane et ses amis se retrouvaient à la résidence de Popeguine les fins de semaine. A l'époque, Popeguine était une résidence secondaire du gouverneur de Thiès. Et, semble-t-il ce fût le début des compilations des réactions dans le monde intellectuel tant au niveau local qu'à l'extérieur du pays. Des « ami de Baba » venaient rendre visite au père de l'auteur (le Chevalier du roman) à la maison familiale de Thiès assez souvent en cette période pour que nous puissions en identifier comme Vincent Monteil, celui qui a fait la préface du roman en février 1961 et un certain Jacques Chevier.
Une petite anecdote qui implique une fille de l'auteur. Elle était petite et voyageait avec ses parents dans une voiture. Son père conduisait et la police l'a arrêté pour un contrôle de routine. Le policier s'avance, se présente et demande les papiers de la voiture. Alors mademoiselle abaisse la vitre et s'adresse au policier « Vous ne savez pas à qui vous parlez. Mon père a tous ses papiers, il a même écrit un livre ! » Le policier a rigolé et les a laissé continuer leur chemin.
Je voudrais maintenant, pour le ‘Inside history’, relater une conversation entre le père et le fils. Non sur le contenu des échanges mais sur l'attitude que chacun adoptait et sur la fluidité de la conversation. Mame Lamine était couché sur son lit, sur toute sa longueur, les yeux fixant le plafond. Quelques fois il se tournait vers son fils la tête et le buste surélevés. Avec cette attitude d'avoir la main droite qui soutient la tête pour mieux suivre une conversation qui l'intéresse. Le fils lui, Samba Diallo donc, était assis sur la natte à même le sol, un oreiller lui servant à supporter soit les genoux soit la tête.
-Tu sais lui dit le fils, on a traduit mon livre dans beaucoup de langues et les commentaires qui y sont relatifs font plus de dix fois le volume du livre.
-Ce que tu y dis intéresse donc les gens, indéniablement.
-Cela me renvoie à une conférence que j'animais en décembre 1957 en France avant la parution du livre. C'était sur la totalisation du monde. Les discussions étaient passionnées. On sait qu'on va aller vers telle direction mais on a peur de s'y engager de peur de se perdre.
-Les autorités ici me disent qu'ils t'écoutent lorsque tu t'exprimes et c'est très bien ainsi.
Cette conversation je m'en souviens, bien que jeune. Je leur amenais du thé entre tisbar et taxussan. Ils ne finissaient pas de parler… Une image gravée dans le cerveau, ineffaçable.
La fin de ce premier cercle concentrique pourrait être ceci. Elle est rapportée par Samba Diallo qui retrouve le Chevalier dans son lit d'hôpital. Ce dernier avait bien vieilli, presque centenaire loin du pays des Diallobe. Il était aimé et respecté dans la société. Les médecins l'avaient gardé lorsqu'il a consulté. Ses enfants l'avaient presque obligé à les suivre. Samba Diallo entre donc dans la chambre d'hôpital et trouve son père en sueurs, tremblant de tout son corps, assis sur le lit. Il se précipite, le tient et voit que son père s'acquitte de sa prière de Taxussan. Il lui dit, « tu sais papa tu n'es pas obligé de prier si tu ne peux pas, assis sur un lit d'hôpital et à ton âge ». Après un petit silence, il lui répondit d'une voix rendue fluette par l’âge et la maladie « comment tu veux que je sache que je ne peux pas si je n'essaie pas ? » Imparable. Ainsi était le Chevalier.