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9 avril 2025
Développement
PAR Amadou Lamine Sall
THIAROYE 44, LES MISÈRES DE LA FRANCE
EXCLUSIF SENEPLUS - Il y a beaucoup de Français au Sénégal, mais il n'y aura plus la France ? Que non. Souffler sans répit sur les flammes ne sert pas à venger des mémoires. L'impératif au sommet de l'État sénégalais indiquent, désormais, la voie
Notre cher frère, le bien nommé Malick Rokhaya Ba, nous a envoyé un message par WhatsApp, pour s'interroger ainsi qu'il suit : « …on attendait de toi un texte sur Thiaroye 44 pour avoir plus d'éclairages sur les écrivains et le massacre, le contexte de sortie du film de Sembene Ousmane, les perspectives culturelles ouvertes par la nouvelle attitude de la France, les biens culturels spoliés… »
Ma réponse et ce que j'en rajoute ici, est la suivante : « Vous lirez mon cher Malick Rokhy Ba, sous envoi séparé, par WhatsApp, suite à votre message, mon poème en hommage aux tirailleurs tombés à Thiaroye. Vous me faites sourire… Si vous aviez suivi de près ce que nous avons écrit et chanté sur les tirailleurs tombés à Thiaroye, vous m'auriez décerné ne serait-ce qu'un tout petit prix ! Les poètes, dont Senghor, ont écrit et chanté ces héros ! Mais c'est comme si rien n'avait jamais existé ! Peut-être que je ne suis pas bien informé, mais les poètes, les écrivains, les artistes ont été comme écartés et oubliés de cette touchante et si émouvante commémoration du massacre de Thiaroye ! Cette commémoration, depuis Senghor, a été toujours célébrée. Il faut se féliciter qu'elle ait pris une telle ampleur sous le président Diomaye ! On ne pouvait pas rêver mieux !
Quant à la pauvre France, il y a bien longtemps qu'elle a reconnu son forfait ! J'ai lu et appris qu'elle avait mis à la disposition du Sénégal ses archives ! Tout, tout se saura alors si ce n'est déjà fait ! Que nous reste-t-il encore à demander ou à exiger d'une France fatiguée, assiégée, humiliée ? Sur la tragédie de Thiaroye, elle a capitulé ! Elle a rendu les armes ! Faut-il encore et encore continuer et sans répit à l'acculer, la punir ? N'avons-nous pas d'autres combats plus pressants à mener ? Je crois que si ! Alors, sans tourner la page, mais en y laissant un signet, allons vers des combats plus urgents !
Rien, rien que nous ne sachions où ne devinons, ne sera une surprise ! Nos historiens, poètes, cinéastes, ont fait un solide travail il y a déjà bien longtemps Il faut rester avec l'histoire, dans l'histoire et la vérité de l'histoire ! Halte aux révisionnistes qui tentent de réinventer l'histoire pour mieux empoisonner et faire ferrailler les civilisations entre elles. L'heure est à la paix et non à la guerre. L'heure est à l'apaisement et à la sérénité, sans rien céder, et pas un seul pouce, de notre souveraineté, notre identité. Souffler, souffler sans répit sur les flammes, ne sert pas à venger des mémoires ! Personne, même les bêtes de la forêt, n'ignorent cette tragédie innommable ! Le Sénégal, c'est acté, défendra de mieux en mieux ses acquis, ses conquêtes, sa dignité, l'avenir de ses enfants !
Quelque chose s'est levée dans ce pays et cette chose bâtira, vaincra ou décevra et périra ! Mais nous gagnerons, car ce pays a toujours gagné et il a encore mieux gagné quand tout est devenu glauque, injuste et tragique ! C'est ainsi la marche des nations et des peuples. Il n'existe pas de génération spontanée. Il n'existe que des femmes et des hommes qui, au bout de toutes les épreuves, nourris par le vécu et la marche de l'histoire de leur peuple, s'engagent à grandir davantage leur pays, non en effaçant tout, mais en additionnant la volonté de construire de tous, pour gagner ensemble ! Il fallait bien que la cabane ait existé pour que la maison se fasse. Viendra le gratte-ciel au bout de l'effort, de l'exigence, du patriotisme, du civisme ! Le Sénégal est déjà grand, très grand ! Il faut continuer à le grandir dans l'ouverture et l'alliance des civilisations ! Chaque régime politique ajoute une page à l'histoire. Reste toujours à souhaiter que cette page soit noble, forte, inoubliable !
Ne perdons pas trop de temps à compter et à recompter caillou après caillou, les forfaits du colonisateur. Ce qui est fait est fait ! Nous ne ressusciterons pas les morts, mais nous pouvons les habiller d'un manteau royal dans toutes les mémoires. La jeune génération des Français de 2024 n'est en rien coupable de ce que leur pays a commis comme tragédie par le monde, à l'époque des conquêtes coloniales. La jeunesse sénégalaise n'a pas non plus pour mission de se venger à la hauteur des crimes et forfaits. Mais elle doit tout savoir, tout apprendre. Elle doit toujours se souvenir, rien oublier, mais avancer ! Commençons au plus vite par l'école pour protéger notre histoire et la mettre à l'abri de la seule version coloniale. Les « vaincus » doivent répondre aux « vainqueurs » pour que la vérité triomphe ! Ce n'est pas le combat de la jeunesse de rester scotchée au rétroviseur. D'ailleurs Diomaye comme Sonko, doivent également regarder devant, mais en sachant tout de l'histoire du rétroviseur !
Nous ne changerons pas tout en un jour ! Nous ne réinventerons pas un autre Sénégal dans la rage et la passion ! Mais ce pays doit changer, évoluer et il y faudra beaucoup d'autorité, de fermeté, d'échange sans compromission. Continuerons-nous à avoir le français comme langue officielle inscrite dans notre Constitution ou allons-nous vers une ou d'autres langues nationales ? Notons que près de 20% de notre population parlent et écrivent le français ! Si tous les Sénégalais parlent le Wolof, combien la lisent et l'écrivent ? Certains font de ce combat un combat d'avant-garde, mais la précipitation et le populisme viral conduiraient à l'irréparable ! Rien ne presse ! Pensons-y et travaillons-y ! Par contre, notre système éducatif doit déjà amorcer le combat des langues nationales à l'école ! Nous y arriverons mais pas en une génération ! L'Afrique est condamnée à vivre en partenariat avec le monde !
Notre identité culturelle et nos valeurs culturelles ne sont pas négociables mais nous continuerons longtemps encore, longtemps, à prendre des avions construits par Airbus, Boeing, le temps de construire nos propres avions, nos propres trains, nos propres voitures ! Que ceux qui disent et réclament de tout changer tout de suite et maintenant, de jeter la France à la mer et tous les autres compris, doivent commencer par eux-mêmes : ne plus parler, ni écrire le français. Ne plus prendre l'avion. Ne plus prendre le train. Ne plus conduire de voitures françaises, japonaises, américaines, allemandes, italiennes, et attendre les avions, les trains, les voitures africaines !
Thomas Sankara était charmant ! Il avait le génie de la répartie et de la moquerie : « Si nous ne payons pas, les bailleurs ne mourront pas. Mais si nous payons, nous allons mourir ! »
Pour revenir à Thiaroye 44, il s'est toujours agi, depuis Senghor, de réhabiliter nos morts et qu'au tribunal de l'histoire, les génocidaires soient reconnus et que ces derniers acceptent et assument leur imposture. Son poème sur Thiaroye est entré dans l'histoire ! C'est le 06 septembre 1988, que Thierno Faty Sow et Ousmane Sembene réalisèrent leur film « Camp de Thiaroye ». Le film obtiendra le « Grand Prix du jury de la Mostra de Venise, Silver Lion » ! Les deux fabuleux réalisateurs sénégalais auraient pu refuser ce Prix décerné par les « Grands Blancs », comme les appelait Senghor. Qui connait Sembene Ousmane, sait de quoi il était capable comme homme de refus et intraitable ! Mais, ils acceptèrent de recevoir ce Prix !
Réinventons une nouvelle alliance avec la France et qui commence par le respect mutuel. À elle, surtout, d'y travailler, d'y veiller dans de nouvelles approches dictées par l'humilité, l'écoute, l'échange, l'ouverture, la fraternité et non l'arrogance. La France est restée toujours belle et grande à chaque fois qu'elle a regagné la lumière. Il s'agit pour elle de restaurer une nouvelle grandeur dans un monde qui semble cruellement lui échapper ! Les journalistes qui allument des incendies sur les chaînes de télévisions françaises en fusillant ces jours derniers le Sénégal et le peuple sénégalais face à la rectification du pouvoir politique sénégalais sur la tragédie de Thiaroye et courageusement validé par le mea-culpa de la France, sont ceux-là mêmes, français d'adoption de surcroît, qui demandent à ce que la France ferme ses frontières aux Sénégalais et à ceux qui viennent pour s'y soigner !
Ces Français d'adoption qui constituent désormais la majorité en France, ou presque, - les Français de souche, de génération en génération, se font rares- et dont la France est devenue, tout naturellement, avec générosité, leur pays avec leurs pleins droits, sont ceux-là, qui, dans la presse de droite et d'extrême droite, dans le milieu faisandé de la politique et des partis fiévreux, ajoutent le feu au feu partout où la France est chassée, mise dehors !
L'impératif, la fermeté, l'inflexibilité au sommet de l'État sénégalais indiquent, désormais, la voie à suivre. Et personne n'y pourra rien.
De Senghor à Bassirou Diomaye Faye, ce n'est pas le peuple qui a changé, c'est la jeunesse Sénégalaise qui a changé, évolué et qui dicte sa feuille de route ! Gare à ceux qui s'en écarteront ! Cette jeunesse, osons le dire, ne s'est jamais véritablement adressée à Macron, Biden, Poutine, Xi Jinping, mais plutôt à Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, Macky Sall. On ne l'a pas vu venir dans sa masse, son nombre, ses armes, ses cris, sa témérité. Un certain Ousmane Sonko, lui, l'a vue, pesée, soupesée et s'est préparé en chamane et gourou, à l'hypnotiser, la conquérir. Rester à la dompter et elle ne se dompte pas. Attention à la dissipation de l'hypnose, au réveil !
C'est cette admirable et exigente jeunesse qui a ouvert les portes de tous les pouvoirs à Pastef ! À Pastef de gagner le combat ou rendre les armes ! Mais le combat sera gagné, car tous nous voulons qu'il soit gagné pour continuer à bâtir un pays et un grand pays. Rien n'est impossible au peuple sénégalais. Mais il demande le respect et ce respect à un nom et une demeure : bienien vivre et chez soi ! ! La jeunesse, c'est le destin du Sénégal et de l'Afrique ! Tout ce qui est en face d'elle, n'est que de la politique et des «combinaisons» !
Aujourd'hui, l'Afrique face à la France et la France face à l'Afrique, nous apparaissent comme le théâtre douloureux d'une concurrence de souffrances ! L'Afrique a décrété que l'injustice, l'humiliation, l'exploitation, l'inacceptable déséquilibre des « termes de l'échange », sont terminés ! Elle en a trop, trop longtemps souffert et ce depuis les indépendances africaines. La France, humiliée, « déshéritée », souffre également, au regard de son rejet et de son expulsion brutale de l'Afrique. Le Sénégal, fidèle à sa délicatesse sans faiblesse, a trouvé les mots et pris les décisions qu'il lui fallait prendre. Sans violence. « Rester soi-même, coûte moins cher », disait étrangement d'ailleurs le plus grand des Français et des colonisateurs : Charles de Gaulle !
Une histoire se termine. Une autre commence.
« Le petit Nègre avec le coeur bleu, blanc, rouge » a tourné les pages de tout le livre maudit ! Cela n'a jamais été facile d'être longtemps à la fois bête, soumis et muet !
Il y a beaucoup de français au Sénégal, mais il n'y aura plus la France ? Que non ! Il y en aura encore et encore des Français au Sénégal, dans plus de 50 ans et toujours. Ils sont des nôtres. Nous avons fondé des familles avec eux. La France sans la « France », n'est qu'une formule ! La France ne disparaitra pas. Elle ne disparaitra jamais, mais elle aura beaucoup, beaucoup appris de son histoire et de ses « conquêtes » en payant le prix !
Amadou Lamine Sall est poète, lauréat des Grands Prix de l’Académie française, lauréat du Prix international de poésie 1573 Golden Antilope Tibétain 2025, Chine.
par Abdoul Aziz Diop
L’ESPRIT D’ANTHOLOGIE NOUS LIAIT AU DRAMATURGE ALIOUNE BADARA BÈYE
EXCLUSIF SENEPLUS - Celui auquel Nous étions liés - Alioune Badara Bèye - par la parole et l’écrit n’est pas mort. Il est « dans l’Ombre qui s’éclaire ». « Et dans l’ombre qui s’épaissit »
Dans une longue interview accordée au quotidien Le Populaire, daté du vendredi 14 avril 2011, l’écrivain et éditeur Elie Charles Moreau disait sans détour ce qu’il pense, entre autres, de la gestion de l’Association des écrivains du Sénégal (AES) par son président, le dramaturge et éditeur Alioune Badara Bèye. Pour l’ami Elie, l’ami Bèye « devrait se libérer et libérer Keur Birago – le siège de l’AES – qu’il gère comme une maison sans portes ». Elie Charles Moreau déplorait le fait que Keur Birago soit devenu un « bunker » et que tous les écrivains ne puissent intégrer l’Association pour bénéficier des opportunités qu’elle est censée offrir à ses adhérents. Il n’en fallait pas plus pour que le président de l’AES, depuis 17 ans, opposât un cinglant démenti à son « contempteur ».
Dans les colonnes du même journal, en date du vendredi 22 avril 2011, Bèye se défend de fermer des portes. « L’Association, avait-il laissé entendre, est réservée uniquement aux écrivains de fiction, les essayistes n’en font pas partie, mais ils peuvent se retrouver au sein du Pen – Poètes, Nouvellistes, Essayistes – qu’on n’a jamais interdit à personne ». Cette façon de recadrer le débat sur l’AES était à elle seule révélatrice du malaise à l’origine de la querelle entre les deux hommes par presse interposée.
« Le Sénégal écrit »
Le 9 octobre 1975, le poète-président Léopold Sédar Senghor signait l’avant-propos de l’Anthologie de la Littérature Sénégalaise d’Expression Française éditée par Gisela Bonn. « Le Sénégal écrit ». C’est le beau titre de l’ouvrage dont Bonn introduisit les 508 pages. Pas moins de 186 pages – la poésie, les contes, les récits et le théâtre se contentant du reste - furent réservées à l’essai, permettant ainsi à des essayistes de renom de figurer dans le même livre : Léopold Sédar Senghor, Alioune Diop, Alioune Sène, Souleymane Niang – auteur de Négritude et mathématique – Gaston Berger – dans Civilisations et cultures, Gabriel d’Arboussier, Cheikh Anta Diop, Maurice Sonar Senghor, Bakary Traoré, Lamine Diakhaté et Mohamadou Kane. Alioune Badara Bèye ne les aurait pas admis à l’AES si ces figures emblématiques de notre littérature d’expression française tapaient à la porte de « son » association. Il aurait exigé de Léopold Sédar Senghor une œuvre de fiction au risque de se faire rabrouer par un grand écrivain pour qui essai, poésie, conte, roman, récit et théâtre ne font qu’un. Senghor lui-même s’en explique dans l’avant-propos susmentionné. Pour rendre à la littérature sénégalaise de langue française sa « saveur de métissage », Senghor demanda à Madame Gisela Bonn de « retrancher la Légende de Samba Guéladio Diégui, qui n’a pas été directement écrite en français, mais traduite du peul, et d’y ajouter un texte du philosophe Gaston Berger, Fondateur de la Prospective comme science ». Il faut avoir lu la contribution de Berger à l’anthologie pour comprendre l’esprit d’assortiment cher à Senghor. Planchant sur les « Rapports de l’Occident avec le reste du monde » (Prospective N°3), Gaston Berger écrit : « On n’achète jamais l’amitié des hommes ; on la mérite, et une des meilleures manières d’y parvenir est encore d’être attentif à leur manière de sentir et de vivre ». On ne dénombrera jamais assez le nombre d’œuvres de fiction qu’inspira cette réflexion. C’est sans doute pourquoi « aux poètes et aux romanciers – de l’Anthologie – se sont ajoutés des conteurs et des dramaturges, mais aussi des professeurs et essayistes. Sans parler des savants comme le mathématicien Souleymane Niang, dont les articles sont, de l’avis de Senghor, des modèles de précision, (...) de concision, d’élégance ». Invoquant pour sa part l’« interpénétration insoluble entre le poète et l’homme d’État », Gisela Bonn considère qu’« à côté d’oppressantes images d’une beauté magique, il y a des vers d’une force politique explosive ». Et Bonn d’ajouter : « Dans le poème on trouve les mêmes thèmes que dans l’essai, le discours politique, l’allocution devant le Parlement ou devant le Parti. »
Au moment où elle écrivait ces lignes, Gisela Bonn serait stupéfiée d’apprendre qu’un jour une association sénégalaise d’écrivains ne compterait pas un seul essayiste. Le dernier mot revient à l’essayiste Mohamadou Kane. Parlant du groupe de Paris comprenant entre autres, Senghor, Ousmane Socé, Birago Diop, Kane dit que « ce groupe n’a pas séparé la littérature de la politique et, à l’effort de théorisation, a joint un remarquable souci de création ». Effort de théorisation par l’essai qui inspire la fiction.
Bèye n’est pas mort…
Nous nous souvenons avoir étalé sur une table des coupures de journaux qui nous servirent de pièces pour reconstituer un puzzle. A chaque fois que nous relisons le chapitre de l’essai Une succession en démocratie (L’Harmattan, 2009) qui en est issu, nous pensons au dramaturge, romancier et scénariste à succès Alioune Badara Bèye pour une adaptation au théâtre ou au cinéma. Et si le Grand théâtre de Dakar devenait sous peu le réceptacle de toutes les adaptations des protubérances du magistère de l’ancien président Abdoulaye Wade…
« Je l’ai dit, la culture est action. J’ajoute qu’elle est action révolutionnaire, action de l’homme, c’est en effet le propre de l’homme que de pouvoir exercer consciemment, librement, une activité créatrice », insiste Léopold Sédar Senghor. Pourquoi donc enfermer l’homme dans un genre ? Il suffit enfin d’un esprit d’anthologie pour qu’Elie Charles Moreau rende par la parole et l’écrit un vibrant hommage à l’ami Alioune Badara Bèye. Birago s’en réjouirait car « ceux qui sont morts ne sont jamais partis ». « Ils sont dans la Demeure » (Souffles).
Celui auquel Nous étions liés - Alioune Badara Bèye - par la parole et l’écrit n’est pas mort. Il est « dans l’Ombre qui s’éclaire ». « Et dans l’ombre qui s’épaissit » (Souffles).
Abdoul Aziz Diop est essayiste traduit en 6 langues.
"La presse m'emmerde, mais elle pourrait être utile aux petits princes." La phrase prophétique du roi Hassan II éclaire d'une lumière nouvelle les tensions actuelles entre les médias et le gouvernement au Sénégal
Les tensions persistantes entre les médias hautement précieux et les dirigeants très légitimes du Sénégal sont regrettables.
Voilà deux compagnons de route marchant séparément mais, chacun armé de sa truelle, se donnant la double vocation de cimenter la démocratie, d’une part, et de créer la prospérité, d’autre part !
Sous cet angle, la posture du gouvernement, les faits et les gestes du puissant Premier ministre et non moins plébiscité homme politique Ousmane Sonko demeurent essentiels.
Un jour, on a demandé au Roi Hassan II (Monarque absolu) ce qu’il pense de l’organisation Amnesty international. Réponse du Souverain : « Amnesty international m’emmerde, mais elle pourrait être, un jour, utile aux petits Princes ».
Réponse avisée d’un visionnaire ! Car, en effet, si le coup d’État des aviateurs de 1972 avait réussi, l’artisan du putsch aérien, le Général Mohamed Oufkir, aurait réservé un sort incertain (c’est un euphémisme) au Roi actuel Mohamed VI alors âgé de moins de dix ans.
Moralité : l’opacité du futur et les vicissitudes de la vie politique suggèrent voire recommandent la modération tous azimuts. La modération n’étant nullement la faiblesse. Bien au contraire ! Elle est la synthèse de la responsabilité assumée et de la souplesse opportune.
Indiscutablement, la presse (à l’instar de quelques segments tenaces de la Société civile) empêche de gouverner en rond sous tous les cieux. Aussi bien dans la cruelle dictature de Birmanie que dans l’enchanteresse démocratie de l’Ile Maurice où un Premier ministre aguerri a trébuché suite à la forte médiatisation d’un scandale.
En effet, le propre de l’homme politique et la caractéristique de l’homme d’État sont la peau cuirassée et le mental d’acier. Toujours dopé jamais démoli par les critiques et les persiflages.
Des qualités requises, singulièrement chez un Premier ministre (fusible devant l’Éternel) dont le pain quotidien est l’orage social en cours ou la tempête politique en perspective.
Tout réside donc dans l’art et la manière de faire face à la pugnacité normale et aux harcèlements habituels des médias. La panoplie des recettes est assez fournie à la lumière des expériences historiques et instructives. C’est une question d’ingéniosité et de finesse gouvernementales et non de débarquement de mammifères dans un magasin de porcelaines.
En décembre 1973, le très travailleur ministre de l’Intérieur français, Raymond Marcellin, ulcéré par l’avalanche d’informations secrètes régulièrement publiées par «Le Canard enchainé », décide de poser des micros dans les murs et sous les tapis des locaux de l’hebdomadaire satirique. Cette opération (ratée) menée par des policiers de la DST en tenues de plombiers donne une idée de la large gamme des moyens disponibles pour un État désireux de tacler, d’endiguer, d’infiltrer, de noyauter et même d’espionner la presse. Sans la neutraliser par des armes létales d’origines fiscale et légale.
Bien entendu, le droit à l’existence ne signifie pas que les entreprises de presse doivent faire litière de la loi qui induit la conformité. Une loi n’est jamais une contrainte arbitraire mais une contrainte…légale. Donc digne respect par tous. D’où son application sans restrictions troublantes ni géométrie variable.
Cependant, la gouvernance couvre et dépasse le champ étroit des lois. La trajectoire enviable, les acquis réels, l’image scintillante et le rayonnement croissant du Sénégal sont à porter au pinacle. Dans cette optique-là, qui mieux que le leader Ousmane Sonko, politiquement debout sur le toit du Sénégal, est conforté et outillé pour le faire ? Personne. L’homme qui a élu un Président de la république au premier tour puis meublé l’Assemblée nationale par une majorité écrasante et homogène doit camper sur la crête de la gloire.
Ousmane Sonko (bien conseillé) ne doit pas descendre dans la cuvette boueuse où se déroulent des bagarres picrocholines. Or son mutisme et son flegme, lui la dynamo de l’Exécutif, suggèrent sa bénédiction tacite dans le choc ministère-mresse.
Le Premier ministre Ousmane Sonko doit siffler la fin de la récréation. En le faisant, il évacue l’idée (fausse ou vraie) que les nouveaux dirigeants sont plus enclins à assassiner qu’à assainir la presse. L’immobilisme prolongé favorise évidemment les procès d’intention ou les procès en sorcellerie.
Faut-il rappeler encore que, du point de la genèse institutionnelle (contrôle démocratique du pays), le Projet pastéfien domine la Révolution de Thomas Sankara et surclasse la Révolution de Fidel Castro. Les « Ruptures » sankarienne et cubaine ayant été accouchées aux forceps par l’habituelle sage-femme de l’Histoire : la violence.
Au Sénégal, ce sont les urnes qui ont supplanté les armes ; ce sont les longues processions des citoyens-électeurs qui ont remplacé les vagues d’assaut des insurgés pour le triomphe du Projet.
La rue a certes bougé mais elle n’a pas vaincu l’armada du Général Moussa Fall. Ce qui a été fort heureux au demeurant. Sinon Diomaye Faye aurait été le chef d’un État évaporé.
En réalité, les leviers vecteurs de rapprochement bienfaisant et fécond entre l’État et les médias sont trouvables dans l’héritage légué et le génie trempé. Ils ont pour noms : volonté, intelligence et dialogue. Dans le respect de la Loi.
La discussion n’est pas synonyme de capitulation. Dans le dialogue, personne n’ira à Canossa. Le ministre de tutelle et journalistes iront tous vers le Sénégal, terre de concertation légendaire et, surtout, de quiétude propice pour la gouvernance performante et favorable à l’essor de la presse.
LE SÉNÉGAL CHAMPION AFRICAIN DE LA DETTE
Le pays consacre plus du tiers de ses recettes d'exportation au seul remboursement de sa dette, contre moins de 20% pour la plupart de ses voisins. Avec une dette représentant 133% de son RNB et 545% de ses exportations, Dakar bat des records
(SenePlus) - La Banque mondiale vient de publier son rapport sur la dette internationale 2024, et les chiffres concernant le Sénégal interpellent. Avec une dette extérieure culminant à 39,95 milliards de dollars fin 2023, le pays s'impose comme l'un des États africains les plus endettés proportionnellement à ses capacités économiques.
L'analyse comparative révèle une situation alarmante : la dette sénégalaise représente 545% des exportations du pays, un ratio qui pulvérise les moyennes régionales. Cette proportion dépasse largement celle des autres économies majeures du continent : la Côte d'Ivoire (203%), le Ghana (257%), ou encore le Nigeria (163%). Même des pays traditionnellement considérés comme fortement endettés présentent des ratios plus modérés, à l'instar du Maroc avec 180%.
Le poids du service de la dette illustre la gravité de la situation : 37% des recettes d'exportation sont englouties par les remboursements, contre 21% pour la Côte d'Ivoire et 19% pour le Cameroun. Ce fardeau représente 9% du Revenu National Brut (RNB) sénégalais, compromettant sérieusement les capacités d'investissement public dans les secteurs essentiels du développement.
Une dépendance marquée aux créanciers multilatéraux
La structure de l'endettement sénégalais révèle une autre vulnérabilité : la prédominance des créanciers multilatéraux, qui détiennent 50% de la dette. Cette proportion, nettement supérieure à celle observée au Nigeria (33%) ou au Maroc (38%), traduit une forte dépendance aux institutions financières internationales. La Banque mondiale-IDA (23%) et la Banque africaine de développement (10%) figurent en tête des créanciers.
Malgré ces indicateurs préoccupants, le Sénégal continue d'attirer les capitaux. Les flux nets atteignent 10 milliards de dollars en 2023, dont 7,36 milliards de dette nouvelle et 2,64 milliards d'investissements directs étrangers. Ces chiffres, supérieurs à ceux du Nigeria (2,5 milliards) ou du Ghana (0,8 milliard), suggèrent une confiance persistante des investisseurs internationaux.
La situation s'inscrit dans un contexte particulièrement défavorable : hausse globale des taux d'intérêt, ralentissement économique post-Covid, et volatilité des marchés internationaux. La Banque mondiale souligne que ces conditions affectent particulièrement les pays fortement endettés comme le Sénégal.
Un défi crucial pour l'avenir
Cette position de "champion" de la dette pose un défi majeur pour le Sénégal. Le pays doit impérativement augmenter ses capacités d'exportation et diversifier ses sources de financement pour réduire sa vulnérabilité financière. Sans une stratégie efficace de gestion de la dette, le risque d'une spirale d'endettement pourrait compromettre les perspectives de développement du pays.
La comparaison avec d'autres nations africaines montre que le Sénégal a atteint un niveau critique d'endettement qui nécessite des mesures urgentes. Le rapport de la Banque mondiale sonne comme un avertissement : sans correction de trajectoire, le pays pourrait faire face à des difficultés croissantes pour honorer ses engagements financiers.
PAR Less Salla
JUB-JUBAL-JUBBANTI OU LE PARACHÈVEMENT DU SOPI
EXLCUSIF SENEPLUS - Les similitudes sont frappantes entre ces deux mouvements qui ont promis une transformation radicale de la société. Mais le nouveau pouvoir, fort de sa double victoire électorale, semble avoir retenu les leçons de l'échec du PDS
Le rideau vient de tomber sur les élections législatives anticipées du 17 novembre, avec une victoire écrasante du parti au pouvoir Pastef les Patriotes qui rafle 130 députés sur les 165 sièges de l’hémicycle. Ce succès vient couronner celui de la présidentielle du 24 mars qui avait porté le candidat Bassirou Diomaye Faye à la tête du pays, et conforter le parti et ses sympathisants dans leur plébiscite. Le Sénégal a encore une fois montré sa maturité démocratique en se prononçant sans heurt, le jour du scrutin après une campagne teintée de violence et de provocations et dérapages multiples. Avec l’installation de la nouvelle législature le 2 décembre, l’heure est désormais au travail.
Neuf mois après son accession au pouvoir, le Pastef a désormais les coudées franches pour matérialiser son agenda national de transformation Sénégal 2050 présenté à la communauté nationale et internationale le 14 octobre dernier. Cette période de gestation a accouché d’un bébé bien portant et selon la formule consacrée « le bébé et la maman se portent bien ». Maintenant, il faut que le bébé grandisse en bonne santé, soit bien éduqué, et se réalise pleinement dans les 25 prochaines années que représente l’horizon fixé par le référentiel 2050.
La maman Pastef a déjà annoncé que l’éducation de son bébé de projet devra se faire suivant les valeurs du Jub-Jubal-Jubbanti qui incarne la rupture ou changement radical d’avec les modes de gouvernance passés. Cela n’est pas sans rappeler le mouvement Sopi de Maitre Abdoulaye Wade comme dépositaire des frustrations et revendications du peuple, qui avait entretenu l’espoir de transformer le Sénégal en une terre de valeurs partagées comme socle de rayonnement et d’émergence. Malheureusement, ce ne fut pas le cas. De plus, la soi-disant deuxième alternance de 2012 qui émanait des flancs des libéraux, à l’ombre du patriarche Wade a très vite montré ses limites, incapable de changer en profondeur le mode de gouvernance et de gestion de la chose publique pourtant annoncée sobre et vertueuse.
Aujourd’hui, l’avènement des pastéfiens au pouvoir, après une longue lutte faite de multiples rebondissements douloureux et énigmatiques, mettant fin à douze ans de mackyavélisme, fait renaitre l’espoir d’une rupture qui rappelle bien celle qui était attendue de la première alternance sous la déferlante bleue du Sopi.
Nous écrivions à ce sujet, dans une tribune intitulée L’insoutenable légèreté de Maître : Discours de la méthode, publié dans l'édition du vendredi 2 décembre 2005 du journal Le Quotidien : « Pour tous les Sénégalais, désormais actionnaires de l’alternance, l’accession de Maître Abdoulaye Wade au pouvoir inaugurait une nouvelle ère de rupture d’avec l’ancien système socialiste et ses méthodes décriées sous tous les fronts, par les politiques, la société civile et les différentes couches de la population qui réclamaient un nouveau leadership. La demande sociale rimait avec un appel à l’espoir par le changement profond des méthodes jusque-là appliquées. Le slogan Sopi, que l’on traduit à tort et de manière réductrice par le substantif « changement », était plus que jamais d’actualité pour le peuple qui vivait une véritable « révolution » pacifique et ordonnée. Mais le Sopi, plus qu’un changement de personnes auquel l’opinion l’avait faussement réduit (« tout le monde sauf Diouf »), veut en réalité dire « Changeons !» L’impératif ici contraste avec le substantif statique « changement », en ce que le verbe appelle à une double action d’introspection et de mutation vers un Sénégal régénéré à travers un nouveau contrat social qui affranchirait ses citoyens des gabegies et pratiques clientélistes des socialistes usés par le pouvoir à l’aube du troisième millénaire. Le peuple sénégalais venait ainsi de signer un chèque à blanc à Maître Wade et rempli d’espoir, avait misé sur le vieil homme pour renvoyer les pratiques du dinosaure socialiste à la préhistoire. »
Nous retiendrons ici que le « Sopi » traduit mécaniquement par « changement » avait été dévoyé de sa portée transformatrice. En réalité, le « Sopi » comme slogan fait appel à l’action et devrait être plutôt traduit par « Changeons ! » Et là se posent les questions suivantes : changer qui ? quoi ? comment ? Pour répondre à ces interrogations, il faudrait disséquer les trois dimensions que renferme le concept même de Sopi. Tout d’abord au niveau individuel, le Sopi comme transformation de soi, c’est-à-dire de sa manière de voir et d’être qui a longtemps été théorisé comme le nouvel homo-senegalensis, affranchi des pesanteurs du post-colonialisme et conscient de sa propre responsabilité dans son émancipation. Ensuite, vient la dimension Sopi comme l’appel à changer sa manière de faire vis-à-vis de son entourage. Et enfin, la dimension du Sopi vu comme l’injonction de changer les habitudes et les modes opératoires et de gouvernance au niveau collectif.
Changeons ! La première étape du Sopi est donc celle de la transformation personnelle, se changer soi-même, comme premier gage de rupture car il nécessite de remplacer notre logiciel intérieur par une prise de conscience et un dépassement personnel. Une fois ce travail accompli, changeons nos comportements pour impacter positivement les choses autour de nous et transformer notre environnement direct. Puis, changeons notre action collective et corrigeons les erreurs du passé pour sortir du statu quo ante, et réaliser nos aspirations légitimes en tant que peuple. Toutefois, le PDS et son leader Maitre Wade une fois au pouvoir ont péché sur le « comment ? ». Comment transformer cette manne du Sopi en ciment fédérateur d’une société avide de changement et de dépassement ?
Pour comprendre cet échec, il faut se rappeler, qu’en s’installant au palais, les premiers mots du président Wade étaient : « nos problèmes de sous sont terminés », son premier directeur de cabinet, Idrissa Seck dixit (d’ailleurs on attend toujours le livre « Lui et moi » qu’il nous avait promis). Quel message envoie-t-on à sa jeunesse, à son peuple qui aspire au changement et à une gestion rigoureuse des maigres deniers publics, avec une déclaration pareille ? L’accession au pouvoir et faire de la politique d’une manière générale était désormais vue comme un moyen de s’enrichir rapidement. De plus, c’est sous le magistère de Maitre Wade que nous avons entendu dire que « xalis da niu key lijenti » une sorte d’hymne à la roublardise légitimée par certains actes des proches et sympathisants du président et autres arrivistes qui engraissaient la thèse de l’enrichissement illicite. Dès lors, la vertu qui devait être érigée comme soubassement du Sopi pour porter la rupture tant désirée, était absente.
Comment changer soi-même, son entourage et son mode de fonctionnement de manière durable si l’attitude et le comportement donnés par le leadership au sommet du pays ne sont pas louables ? La suite du magistère de Maitre Wade est assez révélatrice du désenchantement de la population devant les pratiques affairistes, clientélistes et dérives antidémocratiques du pouvoir libéral qui fut sanctionné aux urnes en 2012, faute d’avoir su répondre de manière satisfaisante à la demande sociale, malgré quelques réalisations notables au plan des infrastructures.
La situation actuelle ressemble fort à celle de la première alternance en matière d’engouement populaire mais surtout par le parcours des deux figures politiques et chefs de partis emblématiques du PDS et du Pastef qui ont porté leurs mouvements respectifs au sommet, à savoir Maitre Abdoulaye et Ousmane Sonko. Ils ont des traits de personnalités et des trajectoires similaires à bien des égards. Le charisme et l’aura des deux personnages, leur côté populiste, la nature de leur combat contre un establishment décrié par le peuple appelant à la rupture, et leur panafricanisme affiché, sont autant de points communs qu’ils partagent allègrement.
Toutefois, la différence majeure qui pourrait voir le parti Pastef porter et parachever le combat jadis entamé par le PDS à travers le Sopi, est dans la manière de gérer le pays une fois au pouvoir. Là où le PDS a rencontré des difficultés à transformer le Sopi en action par manque de repères et valeurs partagées, le Pastef a, aussitôt arrivé au pouvoir, élevé la droiture ou « jub » comme valeur cardinale de son action. Ainsi, le triptyque Jub-Jubal-Jubbanti (ou Se redresser-Redresser-Dresser) a été érigé comme la colonne vertébrale qui va soutenir la réalisation du projet de société de Pastef tel qu’il a été présenté aux Sénégalais et théorisé à travers le référentiel 2050.
Jub ou « Se redresser » : c’est se tenir droit, c’est être honnête. C’est un appel à s’assumer, à changer soi-même, comme l’a été la première étape du Sopi, au niveau individuel après une prise de conscience. Le Sénégalais, à l’instar des ex-colonisés a longtemps marché courbé, la tête en bas, ignorant le plus souvent ses droits les plus élémentaires et subissant la loi du plus fort. Le temps est venu de se redresser, de relever la tête et de marcher droit.
Jubal que l’on peut traduire par redresser, mettre sur le droit chemin, vise à changer les comportements et impacter positivement son entourage, correspondant à la deuxième étape du Sopi décrite plus haut. C’est faire ce qui est juste et faire son devoir.
Jubbanti ou Dresser, veut dire littéralement « remettre à la verticale », c’est-à-dire détordre ce qui est tordu ou rectifier ce qui est hors champs, ou encore mettre sur les rails c’est-à-dire ramener sur le droit chemin. Il y a là, la notion de corriger les choses, pour le bien commun. En fait, toutes ces actions du Jub-Jubal-Jubbanti sont mues par le désir de rendre compte, à soi-même et à son peuple. Le pouvoir en place a donc donner le la.
En effet, les premières mesures de reddition des comptes sont en phase avec les promesses de campagne et combat du Pastef depuis sa création, laissent espérer que la démarche est logique et soutenue. Le discours de la méthode pastéfienne est jusque-là cartésien, donc rationnel. Les moyens de mettre en œuvre leur projet de société, le référentiel 2050, sur base de rupture, sont déployées au fur et à mesure de l’évolution de leur trajectoire allant de la conquête à l’exercice du pouvoir. C’est ce que le PDS n’a pas pu réussir avec la déconnexion entre la lutte vers le sommet et la réalité des faits dans l’exercice du pouvoir. L’aurait-il réussi que Macky Sall ne serait certainement pas arrivé au sommet de l’État, pour en plus décevoir les espoirs de tout un peuple à qui il avait promis la patrie avant le parti.
Aujourd’hui, le Pastef a une belle occasion de réaliser la vraie deuxième alternance du Sénégal, à travers le Jub-Jubal-Jubbanti, en instaurant un mode de gouvernance basé sur la droiture avec des atouts tangibles de faire de l’équité sociale une réalité. En effet, qui dit droiture invoque les valeurs d’honnêteté, de dignité, de liberté, et de fierté. Le jub-Jubal-Jubbanti appelle les Sénégalais à se tenir droit, libres et à marcher ensemble vers la prospérité et le développement. Pour cela, il faudrait que la justice soit là pour tout le monde. La réussite du projet exige que le nouveau leadership se tienne droit et s’applique les règles qu’il invite les citoyens à adopter. Ce n’est qu’ainsi que la population qui s’érige désormais en sentinelle de la démocratie et de la justice sociale, pourra accompagner et veiller sur la mise en œuvre du référentiel Sénégal 2050. La page des compromissions devra être définitivement tournée, et une nouvelle s’ouvrir. Le futur du Sénégal sera écrit par les dignes fils et filles du pays ou ne sera pas.
En réalité, le Jub-Jubal-Jubbanti est voué à réussir là où le Sopi a buté, c’est-à-dire sur l’affranchissement de tout un peuple qui désormais relève la tête et décide de prendre son destin en main. Le renouveau du Sénégal est en marche et se caractérise déjà à l’interne par la reddition des comptes, et la mise en place d’un pool judiciaire financier, la séparation effective des pouvoirs avec l’indépendance affirmée de la justice, l’assainissement du secteur galvaudé de l’audiovisuel, l’exigence du paiement des impôts en souffrance auprès des entreprise, les actions prises en vue régler le secteur de l’immobilier et mettre fin à la gabegie foncière du patrimoine national. A l’externe, déjà, nous observons la redéfinition des relations avec les institutions de Bretton Woods, la renégociation des contrats d’affaires désavantageux pour le pays, le suivi alerte de l’exploitation de notre énergie pétrolière et gazière, mais aussi le départ annoncé des troupes étrangères stationnées sur le territoire sénégalais dont celle de l’ancienne métropole particulièrement, qui représenterait urbi et orbi, une étape importante dans l’affirmation de notre souveraineté nationale. La commémoration ce 1er décembre, des 80 ans de la tragédie des tirailleurs sénégalais du camp de Thiaroye en 1944, qui a vu la France reconnaitre ce massacre, en est belle une illustration.
Toutefois, le chèque à blanc signé par le peuple en faveur du pouvoir n’est pas dépourvu de conditionnalités intrinsèques. Nul n’a envie de revoir les pratiques abusives d’un passé récent se reproduire, et les leaders du Pastef en sont certainement conscients et sont donc avertis. La période de grâce est terminée, place à l’action : Sopi ak Jub-Jubal-Jubbanti !
LA FRANCE ENTRE RÉACTION ET RÉINVENTION, UN MOMENT DE VÉRITÉ
L’intérêt de Paris repose désormais sur la capacité à écouter, à comprendre et à accompagner, sans chercher à diriger. Il ne s’agit pas seulement d’un choix stratégique, mais d’une exigence morale pour garder un minimum de pertinence en Afrique
Le double revers diplomatique infligé à la France par le Sénégal et le Tchad, analysé dans l’éditorial du Monde du 2 décembre 2024, marque une étape critique dans les relations franco-africaines. Ces deux décisions souveraines, bien que portées par des contextes distincts, soulignent un rejet grandissant de l’ordre néocolonial par les nations africaines. Ce moment historique pose une question fondamentale : la France continuera-t-elle de s’accrocher à une posture réactive, dictée par le maintien de ses intérêts stratégiques et économiques, ou bien adoptera-t-elle une approche proactive et transformatrice, axée sur la reconnaissance des aspirations africaines ? Ce choix déterminera si Paris peut encore prétendre à un rôle significatif sur le continent.
Depuis les indépendances des années 1960, les relations entre la France et ses anciennes colonies africaines se sont construites sur des bases pour le moins déséquilibrées et à bien des égards abusives. Si les indépendances ont officiellement marqué la fin de la domination coloniale, la réalité a été toute autre. À travers des dispositifs institutionnels comme le franc CFA, des accords de défense unilatéraux et une politique étrangère paternaliste, la France a maintenu une emprise économique, politique et culturelle sur les pays de la zone francophone.
Le franc CFA, instauré dès 1945, est emblématique de cette continuité néocoloniale. Contrôlé par le Trésor français, il lie les économies africaines à une monnaie dont les priorités ne reflètent pas leurs besoins. Ce système a permis à la France de garantir la stabilité et la croissance de ses opérations économiques multiples et de préserver ainsi son influence économique, tout en maintenant les pays africains dans un état de dépendance structurelle. En parallèle, les accords de défense conclus après les indépendances ont permis à la France de maintenir son influence militaire sur le continent, en échange de garanties sécuritaires largement perçues comme illusoires et avant tout destinées à protéger des régimes impopulaires et autocratiques, alignés sur les intérêts français.
Cependant, ces mécanismes, qui ont longtemps servi les intérêts français, s’effritent sous la pression d’une jeunesse africaine affranchie et des rivalités géopolitiques croissantes. Des puissances comme la Chine, la Russie, la Turquie, les pays du Golfe et même les États-Unis d’Amérique ont investi dans des partenariats stratégiques en Afrique, offrant des alternatives à une domination française perçue comme obsolète.
Le projet de l’Eco, monnaie ouest-africaine censée remplacer le franc CFA, illustre la maladresse de la France dans sa tentative de réformer son héritage néocolonial sans en abandonner les fondements. En décembre 2019, lors d'une visite à Abidjan, Emmanuel Macron et Alassane Ouattara, président de la Côte d’Ivoire, avaient annoncé la transition vers l’Eco. Présentée comme une réponse aux critiques croissantes contre le franc CFA, cette initiative devait incarner une avancée historique.
Mais le projet a rapidement été discrédité. L’Eco, tel que proposé, maintenait une parité fixe avec l’euro et dépendait toujours du Trésor français pour sa garantie. Ce qui devait être un symbole d’émancipation s’est révélé être une simple réinvention cosmétique du système existant. Pour de nombreux Africains, ce projet représentait une tentative de sauvegarder l’influence française sous une autre forme. Les critiques ont fusé de toutes parts, y compris de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), qui travaille depuis des années sur une véritable monnaie régionale.
L’Eco, dans sa version franco-ivoirienne, n’a toujours pas vu le jour. Cet échec souligne une leçon essentielle : la France ne peut plus imposer de réformes de haut en bas en Afrique dans la continuité néocoloniale. La stratégie de Macron, consistant à réformer sans bouleverser l’ordre établi, a montré ses limites. Toute initiative future devra être pilotée par les Africains eux-mêmes, avec, éventuellement, la France dans un rôle d’accompagnement technique et non de leadership.
Une souveraineté africaine portée par les jeunesses
La montée en puissance des aspirations souverainistes en Afrique, portée principalement par les jeunesses, représente un défi majeur pour la France. Ces générations connectées et informées rejettent les cadres hérités de la colonisation et exigent des relations internationales fondées sur l’égalité et le respect mutuel. Ce souverainisme moderne, loin d’être une simple réaction à des frustrations passées, incarne une volonté de transformation profonde.
Dans des pays comme le Sénégal et le Tchad, cette revendication s’exprime de manière variée, mais elle converge autour de principes communs : autonomie économique, contrôle des ressources nationales et respect des choix politiques locaux. La France, en tant qu’ancienne puissance coloniale, est souvent perçue comme l’obstacle principal à ces aspirations.
La persistance des relations néocoloniales est contre-productive pour toutes les parties. Elle perpétue des déséquilibres économiques et politiques en Afrique, alimentant les frustrations populaires et les mouvements anti-français. Pour la France, ce modèle est devenu un fardeau diplomatique. Il ternit son image et limite sa capacité à nouer des partenariats authentiques avec des acteurs africains émergents.
Décoloniser ces relations implique :
Une autonomie monétaire totale. Le franc CFA et toute tentative similaire doivent être abandonnés. La France doit clarifier qu’elle n’a aucun rôle à jouer dans la gestion des monnaies africaines, tout en offrant un soutien technique, si demandé, pour faciliter une transition autonome.
Des partenariats économiques équitables. Les termes des contrats doivent être revus pour refléter les intérêts des nations africaines. Cela inclut des clauses garantissant que les bénéfices des industries extractives profitent davantage aux populations locales.
Une approche diplomatique horizontale. La France doit traiter les nations africaines comme des égaux, sans interférence dans leurs affaires intérieures. Cela inclut le respect des choix politiques et des orientations stratégiques définis par les Africains eux-mêmes.
Le moment est venu pour la France de réinventer ses relations avec l’Afrique. Il ne s’agit pas seulement de préserver ses intérêts économiques ou stratégiques, mais de redéfinir sa place dans un monde multipolaire. Une rupture franche avec le passé néocolonial permettra de construire des partenariats fondés sur la confiance et le respect mutuel, à l’image de ceux que la France entretient déjà avec des pays anglophones comme le Ghana ou le Nigeria.
Ce repositionnement exigera du courage politique et une vision à long terme. Mais c’est également une chance pour la France de se réconcilier avec son histoire et de jouer un rôle positif dans l’émergence d’une Afrique souveraine et prospère. C’est à travers une telle transformation que Paris pourra prétendre à un rôle d’allié respecté, et non de puissance déclinante accrochée à un passé révolu.
L’avenir des relations franco-africaines repose désormais sur la capacité de la France à écouter, à comprendre et à accompagner, sans chercher à diriger. Il ne s’agit pas seulement d’un choix stratégique, mais d’une exigence morale face aux aspirations légitimes de millions d’Africains. La balle est dans le camp de Paris.
par l'éditorialiste de seneplus, Amadou Elimane Kane
RÉINVENTER NOTRE ROMAN AU PLURIEL
EXCLUSIF SENEPLUS - Le Sénégal doit se saisir de la construction d’un récit commun qui commence par la connaissance de son histoire car le récit est au confluent de plusieurs disciplines qui se rencontrent dans l’union et la symphonie des peuples
Amadou Elimane Kane de SenePlus |
Publication 04/12/2024
Quiconque détient le récit d’un peuple détient son âme.
Réimaginer notre récit, c'est s'approprier et se réapproprier de manière perpétuelle l’équilibre fragile de notre vivre en commun
Si le récit, dans son sens premier, est une présentation (orale ou écrite) d'événements (réels ou imaginaires), il incarne aussi une action de rapporter des faits. On peut souligner que tout est récit, tout est narration et que c’est la fondation solide d’une culture donnée qui en fait la beauté et la singularité.
C'est pourquoi je suis de ceux qui pensent qu’il est essentiel, je dirai même vital, de construire notre propre récit africain. Un récit construit en tant que mode de pensée, mais aussi en tant qu’expression de la manière dont une culture considère le monde. C’est essentiellement au travers de nos récits que nous construisons une conception de ce que nous sommes dans l’univers, c’est au travers des récits qu’une culture fournit à ses membres des modèles d’identité et d’action.
Il faut porter notre récit et pas seulement celui des autres. Non pas que ceux-là ne comptent pas mais ils constituent un ailleurs ; si on fait sien un récit extérieur qui ne relève pas de notre canevas historique et culturel, on demeure dans l’imitation. C’est pourquoi je pense qu’il faut en finir avec toute cette imagerie qui est malheureusement encore transmise, et qui consiste à dire que l’Afrique serait née de l’Occident. Le récit africain existe de manière fondatrice et bien avant l’arrivée de l’envahissement occidental.
Toutefois, un récit n’est jamais figé, il est en perpétuel mouvement, en constante métamorphose. Investir notre imaginaire fleuri, c’est réimaginer notre socle culturel qui est vivant et qui constitue nos entrailles identitaires.
Pour cela, il existe plusieurs leviers qu’il nous faut investir de manière pérenne, sans avoir peur de nos référents historiques, culturels et linguistiques. Cela s’articule autour de l’éducation, de l’unité politique et sociale, de la citoyenneté et des médias de communication qui tous doivent porter un discours qui nous ressemble.
L’école, le premier lieu de socialisation, doit mieux utiliser les récits qui, dans la culture humaine, sont le principal support de la construction et de la transmission du sens. Ici, l’éducation est la tentative complexe d’adapter une culture aux besoins de ses membres et d’adapter ses membres et leurs manières d’apprendre aux besoins de la culture. De même, les outils modernes le permettent amplement avec le numérique, la télévision, la radio, la presse pour faire que cette transmission existe et demeure.
L’Afrique, et le Sénégal en particulier, doit partager une narration collective faisant émerger, par un discours sûr de lui, un passé, un présent, un avenir pour construire une société plus juste et plus prospère. Le Sénégal doit écrire son roman au pluriel en faisant chanter ses voix de connaissances et de savoirs et ses visions multiples.
Le Sénégal doit se saisir de la construction d’un récit commun qui commence par la connaissance de son histoire car le récit est au confluent de plusieurs disciplines qui se rencontrent dans l’union et la symphonie des peuples. C’est à nous, citoyens sénégalais, d’élaborer, de concevoir notre propre récit, notre propre discours sur nous-mêmes, pour nous-mêmes et par-delà pour l’humanité.
Bâtir notre propre récit à partir de notre mémoire, de nos référents culturels et historiques, de notre imaginaire pour proposer une vision du continent africain, celle d’un regard juste qui est à la fois singulier et universel.
C’est aussi dans ce sens que je défends la construction des Etats-Unis d’Afrique autour de valeurs solides et citoyennes. C’est de cette cohérence que nous arriverons à cheminer dans l’harmonie, de creuser le chemin de la terre africaine. Il nous faut façonner notre empreinte culturelle qui sera celle de l’Afrique renaissante, d’une Afrique souveraine et debout.
Il s'agit pour nous d’écrire notre propre récit, formant une narration collective qui permette la réhabilitation définitive de notre patrimoine et de nos empreintes culturelles et sociales. De faire vivre cette narration collective permettra non seulement de partager notre histoire commune mais aussi de redessiner les perspectives du futur, de nos besoins, de nos stratégies, en matière d’éducation, de droit, de politique unitaire et de citoyenneté. Nous aurons alors une symétrie libre ayant du sens pour répondre à nos véritables besoins sociaux, éducationnels et humains.
Réinventer notre roman au pluriel, c'est aussi faire face au tempérament fragile de notre vivre ensemble, qui peut accepter toutes les trajectoires plurielles à partir du moment où elles s’inscrivent dans l’égalité et l’équité humaines. Pour cela, nous devons nous saisir de notre héritage patrimonial, celui d’être dans la Maat, la justice, l’équilibre et le beau.
Amadou Elimane Kane est enseignant, poète, écrivain et chercheur en sciences cognitives.
PAR Aminata Ndiaye
DE L'HISTOIRE AUX PRÉMICES D'UNE RÉFORME DU SYSTÈME ÉDUCATIF AU SÉNÉGAL
Sureffectifs chroniques, inadéquation entre formations et marché de l'emploi, instabilité du calendrier académique... l'université sénégalaise peine à trouver sa voie, entre héritage colonial et quête d'identité
Cette Contribution est extraite d'un ouvrage collectif sur la réforme dans les universités, à paraître incessamment.
Au Sénégal, l'école sous sa forme actuelle, n'est pas le produit du développement interne des sociétés traditionnelles. Elle est la création et l'évolution du réseau scolaire qui ont accompagné la pénétration française, dominée par l'idéologie de l'assimilation, davantage accentuée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C'est de cette école que le Sénégal indépendant a héritée (Fall, 2013).
Cependant, éduquer au national a toujours été une sollicitation récurrente pour les différents chefs de l'État sénégalais qui, chacun en ce qui le concerne, a fait de son mieux pour initier soit des réformes, soit des ajustements ou orientations allant dans ce sens.
... « L'éducation, la formation aux métiers, l'emploi, l'entreprenariat des jeunes et des femmes restent des défis majeurs à relever. J'en ferai une priorité élevée des politiques publiques, en concertation avec le secteur privé. Nous devons, à cet effet, revisiter les mécanismes existants, les améliorer et les rationaliser afin qu'ils répondent mieux aux besoins d'emploi et autres activités génératrices de revenus pour les jeunes. »
... « Il y a urgence à gagner notre souveraineté alimentaire en investissant plus et mieux dans l'agriculture, la pêche et l'élevage, les trois mamelles nourricières de notre pays. », (https://www.presidence.sn/fr/actualites.../ 03/04/24).
Même si ses prédécesseurs, quasiment tous avant lui, ont discouru dans ce sens, également, et bien que son discours soit allé plus en profondeur en impératifs à atteindre, eu égard aux résultats discutables jusque-là obtenus en dépit des efforts considérables déployés, ces extraits de l'allocution à la Nation, le 3 avril 2024, du nouveau président de la République du Sénégal, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, interrogent notre système éducatif en général et invitent davantage encore à une réflexion approfondie sur l'enseignement supérieur. Un diagnostic de ce « grand corps malade » qu'est le système universitaire public sénégalais s'impose à nous, en tant qu'acteurs et partie prenante du système, depuis plusieurs décennies.
Si on se prend au jeu, a priori, on constate que, dans sa globalité, trois à quatre épisodes de réformes se sont opérés dans le système d'enseignement sans que, toutefois, aucun de ces changements de paradigme n'ait inversé la baisse de qualité qui a été généralement opposée au système considéré, qui pourtant a évolué sans cesse, mais pas nécessairement avec succès.
À y regarder de plus près, la succession des réformes du système éducatif au Sénégal révèle, pour chacune des séquences, l'avènement d'un nouveau président de la République. Autrement dit, chaque président, tirant les leçons du passé, a impulsé « sa réforme », à sa façon, tentant de réinitialiser le système éducatif.
Fort de ce constat, il s'agit, dans cette contribution, de réaliser une analyse des contextes qui ont conduit, depuis l'indépendance, à la nécessité de réformes dans le système éducatif en général et dans l'enseignement supérieur public, en particulier, afin d'alimenter la réflexion sur la nécessité pressante de l'adaptation effective du système aux besoins nationaux, afin de transformer radicalement l'université sénégalaise.
L'exercice se propose ici d'examiner les mutations survenues dans le système au travers des réformes, d'exposer les arguments qui justifieraient l'impérieuse nécessité d'options novatrices à l'aide d'une démarche inclusive et, enfin, de susciter la réflexion en faveur de l'adaptation de l'enseignement supérieur aux besoins locaux pour sa contribution réelle à la prospérité économique jugée indispensable.
Les contextes des réformes dans le système éducatif, de l'indépendance à nos jours
Il est aisé de comprendre que, dès le début de l'indépendance, le contexte était en faveur d'une véritable refondation du système scolaire. Du président Senghor, nous retenons dans son rapport d'orientation au congrès de son parti, l'Union progressiste sénégalaise (UPS), en février 1962 à Thiès, qu'il a insisté sur la mission assignée à l'institution scolaire en ces termes :
« Il est question, disait-il, par l'École, de former le Sénégalais nouveau : un homme préparé à l'action, tourné vers l'action. Or celle-ci suppose, pour être efficace, d'être une action solidaire, faite par et pour l'ensemble de la Nation, dans un projet national unanimement concerté et réalisé. »
Ainsi, des innovations portant sur la question linguistique sont expérimentées à l'école primaire au travers de la méthode « pour parler français » du Centre de Linguistique Appliquée de Dakar (CLAD).
Toutefois, cette première tentative d'adaptation de l'enseignement du français, même si elle tenait compte des réalités linguistiques et socioculturelles, esquivait d'autres questions à la fois fondamentales et urgentes, celles de l'introduction des langues nationales à l'école et du choix d'une langue nationale d'unification.
Retenons cependant, que l'enracinement et l'ouverture, termes si chers au président-poète, vont constituer les deux axes fondamentaux de la loi d'orientation de juin 1971, jetant ainsi les bases théoriques d'une réforme qui, à terme, devrait permettre l'africanisation et la sénégalisation des enseignements.
Par la suite, en application de la loi d'orientation, le décret 72-862 a été articulé autour d'une nouvelle nomenclature du système éducatif. La structuration du système subdivisé en cinq niveaux reste en vigueur jusqu'à présent : l'éducation préscolaire, l'enseignement élémentaire, l'enseignement moyen, l'enseignement secondaire, l'enseignement supérieur (Cissé et al. 2016).
En dépit de ces adaptations parcellaires intégrant quelques réalités locales dans les contenus des programmes, le constat est que la période post indépendance n'a quasiment pas connu de transformations structurelles importantes du système éducatif dans sa globalité. Il est apparu qu'aucun changement significatif par rapport aux orientations et programmes de la période coloniale ne vit le jour malgré les efforts déployés pour reformer le système (Cissé et al., 2016).
Toutefois, au regard des tendances dominantes, il apparaît que la situation géopolitique mondiale, en n'épargnant pas le système éducatif des pays industrialisés, a également impacté ses homologues africains et sénégalais en particulier. Même si des prémices de bouleversement de paradigmes ont réellement commencé à émerger à l'approche des années 70.
Au niveau global, à la fin des années 1960, la survenue de certaines crises telles que la guerre du Vietnam, en suscitant un cycle de contestations de l'ordre existant et une remise en cause de la rigidité des relations humaines et des mœurs dans toute la société (Prost, 2004), a exacerbé le dépérissement de l'espoir d'une démocratisation de l'école : idéal si cher à Jules FERRY, père fondateur de l'école républicaine en France : une instruction publique, gratuite, obligatoire et laïque pour toutes et tous. La quasi-généralisation du mouvement mondial des mouvements de contestations qui s'est exprimée ouvertement en mai 1968, notamment dans les universités, pour se diffuser plus largement dans les années suivantes, n'a pas épargné, dans leur globalité, les systèmes scolaires jugés trop archaïques mais aussi trop injustes. De nouvelles valeurs centrées sur la justice et l'égalité mais aussi sur l'autonomie, la créativité et l'épanouissement personnel ont ainsi émergé partout à travers le monde (Prost, 1997).
La crise des années 70 et ses corolaires parmi lesquels la stagnation des économies industrialisées, l'apparition de nouvelles formes de pauvreté et le point de départ du chômage de masse, a fait le reste des lors que se consolidaient les jalons de la fin des « Trente Glorieuses ». Avec le taux de chômage grandissant, le diplôme a commencé à perdre de sa valeur, créant un désenchantement dans les classes moyennes, notamment parmi bon nombre de jeunes diplômés du système éducatif des pays occidentaux.
Ce nouveau contexte va de plus en plus imposer une nouvelle forme de demande sociale d'éducation. Il ne revient plus seulement à l'école de dispenser aux jeunes la culture et de leur fournir des diplômes ne pouvant pas leur assurer une insertion dans le monde du travail. Une visée utilitaire de l'école s'impose d'elle-même afin d'éviter l'exclusion et le chômage survenus à cause d'un contexte économique de récession. Des empreintes locales ont partout commencé à apparaitre dans les curricula et les systèmes d'enseignement.
Au Sénégal, le mouvement de contestations est également parti de l'université, même si l'élément déclencheur a été d'un tout autre ordre. La réforme Fouchet qui supprimait la première partie du baccalauréat, véritable facteur bloquant pour l'accès à l'enseignement supérieur, a été à l'origine d'une massification des nouveaux bacheliers arrivés à l'Université de Dakar. Les crédits alloués étant insuffisants pour satisfaire cette pléthore de boursiers, il a fallu réajuster les paiements sur 10 mois et non plus sur 12 comme cela a toujours été le cas, afin de satisfaire toute la masse des bénéficiaires. S'en sont suivies des contestations autour des bourses : l'étincelle qui fit sauter la dynamite, le point de départ d'un cycle de manifestations qui se déclenche, atteignant son paroxysme dans la journée du 29 mai 1968, marquée par une intervention policière dans le campus (Gueye, 2017).
Les contestations et les grèves répétitives des élèves et des étudiants se sont ainsi accentuées tandis qu'au niveau du primaire, la dénonciation de la méthode « pour parler français » matérialisée par le CLAD polarisait les critiques. La situation était devenue intenable avec la consolidation du mouvement syndical dans le milieu enseignant : le SUDES remplaçant en 1976 le SES, dissolu de manière arbitraire en 1973 (Fall. (2013).
La cristallisation de la situation dans une ébullition des forces et options en présence a d'ailleurs motivé l'une des premières décisions du nouveau Président de la République, Abdou Diouf, annonçant, ler janvier 1981, la convocation des États Généraux de l'Éducation et de la Formation, dès son premier discours radiotélévisé adressé à la Nation.
Pour se départir d'une école d'assimilation, il était apparu comme une nécessité impérieuse, d'adapter l'école aux réalités du pays, ce qui était devenu inévitable.
Pour cela, le préalable absolu était d'élever le niveau général basique, porteur de la pensée et de la culture du pays colonisateur, avec comme unique vecteur la langue française à maîtriser absolument, et ensuite élargir l'offre à toute la population concernée et ne plus s'adresser uniquement à une élite ingénument ou foncièrement alliée.
La seconde phase des réformes post indépendance démarre ainsi en 1981 avec les États Généraux de l'Éducation et de la Formation pour redéfinir une nouvelle vocation de l'école.
Pour le nouveau président de la République, Abdou Diouf, qui remplaçait ainsi le président Léopold Sédar Senghor, il était impérativement question de créer une école fondée sur les valeurs traditionnelles du pays, longtemps marginalisées, même si dans le même temps il fallait rester ouvert au progrès scientifique et technique mondial.
C'est ainsi que toutes les parties prenantes du système éducatif allant de la Communauté Internationale aux responsables des Agences de Développement, aux chercheurs, universitaires de diverses disciplines en passant par les syndicats, sont invitées du 28 au 31 janvier 1981, après plusieurs mois de concertations, à réformer le système éducatif dans la perspective d'une meilleure articulation des contenus à l'identité socioculturelle nationale et africaine.
« L'École Normale Supérieure est ainsi devenue une institution pédagogique avec un rôle primordial dans la formation des professeurs sénégalais des lycées et collèges du Sénégal. » (Cisse et al. 2016)
Toutefois, malgré tous les efforts déployés pour cette recherche de solutions, de nombreux problèmes persistent. Retenons cependant que, depuis ces États Généraux de 1981, le Sénégal connaît une intense activité de réflexion et de concertation sur le devenir et sur l'avenir de son système éducatif.
Quelle est la place de l'Enseignement Supérieur dans cette vague de réforme ?
En 1990, la fin du monopole universitaire de Dakar est actée avec l'ouverture à Saint-Louis, de l'Université Gaston Berger (UGB). Nous assistons par la suite, avec le président Abdoulaye Wade, à la création en 2007 de deux nouvelles universités à vocation régionale disséminées à l'intérieur du pays, à Thiès et Ziguinchor et d'un Collège Universitaire Régional (CUR) à Bambey, opérationnel la même année même si les textes qui l'ont créé remontent à 2004. Ce CUR constitue l'ancêtre de l'université de Bambey, présentement université Alioune Diop de Bambey.
« L'Université de Bambey est l'héritière du Centre Universitaire Regional (CUR) de Bambey, dont la création remonte en 2004 (cf. décret 2004-916 portant « création et organisation d'un CUR à Bambey »), même si les enseignements n'y auront finalement démarré qu'en 2007. Il s'agissait à l'époque de la première expérimentation au Sénégal du modèle du CUR, et à ce jour, elle reste encore une expérience unique. Selon les termes mêmes retenus à l'issue du séminaire de réflexion sur la carte universitaire (30-31 octobre 2002), les missions du CUR sont « de préparer les apprenants à la formation universitaire (...) et d'assurer la formation professionnelle », en contribuant « à la mise en place des conditions de qualification des citoyens par la formation continue » et en veillant « à valoriser et à développer les atouts (économiques, culturels et sociaux...) au niveau du site d'implantation et des zones voisines ». Dans le décret 2004-916, il est également stipulé que « le CUR est un établissement décentralisé de formation générale et professionnelle universitaire de courte durée répondant aux exigences du développement local », ce qui le distingue donc des universités classiques.
Depuis 2009, le CUR de Bambey a été transformé en université de plein exercice, suite à la promulgation du décret 2009-1221, portant « création, organisation et fonctionnement de l'Université de Bambey »'
En 2013, suite à la Concertation Nationale sur l'Avenir de l'Enseignement Supérieur au Sénégal (CNAES), organisée sous le magistère du président Sall, différentes lignes d'actions prioritaires ont été identifiées avec des recommandations permettant d'initier une réforme destinée à bouleverser en profondeur le système de l'enseignement supérieur. Cette réforme s'est voulue inclusive en impliquant quasiment des acteurs du système de l'enseignement supérieur au Sénégal et de la diaspora autour de paradigmes nouveaux. Les grands thèmes de réflexion ont concerné la gouvernance, la qualité, l'accès, le financement, les ressources humaines, la professionnalisation, l'utilisation des nouvelles technologies de l'information notamment, avec le développement des STEM', la réorientation vers les sciences, la technologie, et la mise en place de filières courtes, techniques et professionnelles avec le lancements des Instituts Supérieurs d'Enseignement Professionnel (ISEP) ; le but final étant, essentiellement, de faire de l'Enseignement Supérieur un levier capital pour le développement socioéconomique du Sénégal.
Deux principes ont été au cœur de l'élaboration des conclusions de cette CNAES : la vision dans le terme consistait à faire de sorte que l'enseignement supérieur et la recherche appartiennent de manière concrète à la Société. Pour cela il faut absolument que l'enseignement supérieur et la recherche deviennent le levier primordial du développement économique, social et culturel. Suite aux débats du 6 au 9 avril 2013 étaient ressorties 78 recommandations, 11 décisions et 69 directives.
Ainsi, de 2013 à 2022, se sont succédés, le programme des réformes prioritaires 2013/2017 de l'enseignement supérieur et de la recherche au Sénégal et le Plan de développement de l'Enseignement supérieur et de la recherche PDESR 2013-2022. Les 11 décisions retenues étaient les suivantes :
1. STEM et professionnalisation : Réorienter le système d'enseignement supérieur vers les sciences, la technologie et les formations professionnelles ;
2. ICT : Mettre les technologies de l'information et de la communication (TIC) au cœur du développement de l'enseignement supérieur et de la recherche ;
3. Gouvernance : Améliorer le pilotage du système d'enseignement supérieur et de recherche et réformer la gouvernance des établissements publics d'enseignement supérieur ;
4. Paix : Instaurer une culture de la paix au sein des établissements publics d'enseignement supérieur ;
5. Carrière : Favoriser la carrière des enseignants, des chercheurs et du personnel administratif, technique et de service ;
6. Affaires sociales : Faire de l'étudiant un acteur de sa formation, favoriser sa réussite et améliorer ses conditions de vie ;
7. Renforcer la carte universitaire pour favoriser l'accès, diversifier l'offre de formation et assurer la qualité de l'enseignement supérieur ;
8. STI : Donner un nouvel élan à la recherche et à l'innovation ;
9. Internationalisation : Ouvrir l'espace sénégalais de l'enseignement supérieur et de la recherche à l'Afrique et au monde ;
10. Gestion : Améliorer la gestion des budgets et de l'équité des universités en mettant en place des procédures et des mécanismes modernes et transparents ;
11. Investissement : Investir dans l'enseignement supérieur et la recherche à la hauteur de notre nouvelle ambition.
Les réformes intervenues dans le pilotage des universités ont amené un recadrage managérial par rapport à l'échelle institutionnelle, qui s'est traduit par un ensemble de dispositifs mis en place. Les instances de délibération sont hiérarchisées du sommet à la base et toutes les composantes de l'Université et de la société y siègent. Les décisions sont prises dans une démarche de co-construction et s'imposent ainsi à tous les organes exécutifs : personnel d'enseignement et de recherche (PER), personnel administratif, technique et de service (PATS) et étudiants).
Rappelons que l'Assemblée de l'Université (A.U) était un centre de décision pour les questions allant de l'ordre académique aux finances en passant par les questions disciplinaires. Avec la loi 2015-26 relative aux universités publiques, le Conseil d'administration, qui permet une meilleure ouverture sur le monde socioéconomique et la société, devient un organe délibératif en lieu et place de l'Assemblée de l'Université qui était présidé par le Recteur. La désignation du Recteur et du Secrétaire général de l'Université se fait après un appel à candidatures et sont créés des postes de Vice-Recteurs. L'Assemblée de Faculté ou Conseil d'Unité de Formation et de Recherche UFR est l'organe décisionnaire au niveau de la Faculté ou de l'UFR et peut éventuellement être présidé par le Recteur. L'Assemblée du département ou de section est la cellule de base de la faculté ou de l'UFR, sur le double plan de l'enseignement et de la recherche.
En outre, au sein des universités publiques, un ensemble de dispositifs vont être mis en place : les cellules internes d'assurance qualité (CIAQ) et des Centre de pédagogie universitaires (CPU), les incubateurs, les structures genre et équité, les responsables de médiation et de dialogue social, les organes de services à la communauté, les structures de génération de ressources, les comités d'éthique et de déontologie, les comités d'audit interne et les cadres stratégiques.
Le Conseil académique, remis entre les mains des universitaires, est l'organe de délibération de toutes les questions d'ordre académique. À ce titre, il a pour missions de délibérer sur les aspects scientifiques, académiques, pédagogiques, disciplinaires et de recherche. Il est chargé notamment de délibérer sur : les programmes et le contenu des enseignements; les mesures et les listes d'aptitude pour la promotion des enseignants et/ou des chercheurs ; le calendrier universitaire ; le régime des études et des examens ; les critères et mécanismes d'autoévaluation des programmes de formation ou d'études des filières des unités de formation et de recherche des facultés, des UFR, des écoles et des instituts selon les référentiels définis par l'Autorité Nationale d'Assurance Qualité de l'Enseignement Supérieur (ANAQ-sup) ; les mesures de nature à améliorer la qualité de l'enseignement et de la recherche ainsi qu'à développer la formation continue ; la création ou la suppression des filières et des structures.
Concernant la culture de l'évaluation institutionnelle, pédagogique, elle s'exerce sous la tutelle ministérielle par l'Autorité Nationale d'Assurance Qualité (ANAQ-Sup). La reddition des comptes s'opère à travers la création d'un comité d'audit au sein du Conseil d'Administration, d'une déclaration de patrimoine exigée de certains responsables par l'Office National de Lutte contre la Fraude et la corruption (Ofnac) et des missions ponctuelles des corps de contrôle qui sont l'Inspection des Affaires Administratives et Financières (IAAF), l'Inspection Générale des Finances (IGF), l'Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP), l'Inspection Générale d'Etat (IGE) et la Cour des Comptes.
Il est toutefois à constater que, même si cette dernière réforme de l'enseignement supérieur de 2013 à nos jours a pu contribuer à travers les grandes orientations à jeter les bases d'une dynamique sociale pouvant servir de leviers de développement (l'élargissement de la carte universitaire sur l'ensemble du territoire, le développement de filières scientifiques et techniques et l'augmentation des ressources investies pour la recherche et la formation des ressources humaines), des défis persistants restent à relever au regard des crises récurrentes qui continuent de secouer le système d'enseignement supérieur au Sénégal.
Une université qui évolue et tente de s'adapter aux besoins
Il serait d'un pléonasme criard que de rappeler que l'histoire de l'université au Sénégal est intimement liée à la colonisation française. En effet, Aristide Le Dantec avait créé en 1918 la première école africaine de médecine à Dakar pour pallier les besoins spécifiques en santé publique. Les 33 médecins français militaires ne pouvant plus suffire à couvrir l'Afrique occidentale française, il s'agissait de former du personnel autochtone pour lancer une campagne de santé publique étendue sur les territoires (Barthélemy, 2010). Avec le déploiement de la scolarisation au niveau primaire et secondaire, des étudiants ont commencé à être envoyés au sein des universités françaises et l'Université de Dakar, qui était d'abord un collège dépendant de l'université de Bordeaux, fut créée en 1957 en tant que 18° université française. Le personnel enseignant était majoritairement français de métropole à cette époque.
Aujourd'hui, l'enseignement supérieur au Sénégal, avec le chemin parcouru ces soixante dernières années, a formé des élites qui interviennent au niveau national et international. La recherche, qui n'a pas toujours les moyens escomptés, est cependant prolixe, remarquable et des partenariats multiples sont engagés dans des politiques de collaboration à l'échelle régionale et internationale, avec des institutions académiques, scientifiques, des ONG, des associations ou des entreprises. Toutefois, un enseignement supérieur stable et de qualité à l'instar des universités de renom au plan international (classements, ranking internationaux) n'est pas encore de mise malgré les transformations notoires amorcées dans la jeune république du Sénégal au fil des décennies, depuis les indépendances, avec les quatre présidents successifs que sont : Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall.
Le sous-secteur de l'enseignement supérieur dans son état actuel
Le sous-secteur de l'enseignement supérieur compte des établissements publics mais également des établissements privés pour lesquels l'ouverture a été autorisée en 1993. Malgré ce dispositif dont le maillage recouvre quasiment l'ensemble du territoire sénégalais, le secteur peine à absorber tous les sortants du cycle secondaire. Dans les années 2000, pour répondre à la pression démographique et afin d'absorber et de fixer les élèves dans leurs terroirs, un nombre important de collèges et de lycées a été déployé sur le territoire. L'élargissement de la carte universitaire ne s'est malheureusement pas réalisé de façon concomitante mais avec plus d'une décennie de retard.
• Le sous-système public d'enseignement supérieur compte en 2024 :
- 9 universités publiques :
• L'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) ;
• L'Université Gaston Berger de Saint-Louis (UGB) ;
• L'Université Iba Der Thiam de Thiès (UIDT) ;
• L'Université Assane Seck de Ziguinchor (UASZ) ;
• L'Université Alioune Diop de Bambey (UAD B) ;
• L'Université Amadou Mahtar Mbow (UAM) ;
• L'Université du Sine Saloum Elhadj Ibrahima Niass (USSEIN) ;
• L'Université numérique Cheikh Hamidou Kane (UN-CHK), ex
Université Virtuelle du Sénégal (UVS), qui dispose de vingt-trois
(23) espaces numériques ouverts (ENO) répartis dans le pays ;
• L'Université Rose Dieng France-Sénégal (URD-FS) ex Campus franco-sénégalais (CFS) qui constitue la 9° Université du pays ; de droit sénégalais, à gouvernance paritaire entre le Sénégal et la France.
- Cinq (5) écoles d'ingénieur, dont quatre (4) intégrées à des universités et une école autonome (école polytechnique de Thiès) ;
- Six (6) instituts supérieurs d'enseignement professionnel (ISEP) qui offrent des formations professionnelles courtes de niveau bac +2 : ISEP de Thiès, ISEP de Richard-Toll, ISEP de Matam, ISEP de Bignona, ISEP de Diamniadio, et ISEP de Mbacké. Huit (8) autres ISEP sont en développement de sorte à couvrir les quatorze (14) Régions administratives du Sénégal.
3 Cf. Loi nº94-82 du 23 décembre 1994 portant statut des établissements d'enseignement privés, modifiée par la loi n°2005-03 du 11 janvier 2005.
• Le sous-système privé d'enseignement supérieur compte, de son côté, selon le rapport sur la situation de l'enseignement supérieur au Sénégal (SAGNA et al., 2022), quelques 230 établissements regroupés au sein de trois organisations faîtières que sont la Conférence des grandes écoles (CGE), la Conférence des établissements privés d'enseignement supérieur (CEPES) et la Fédération des établissements privés d'enseignement supérieur (FEPES)*.
En dépit des acquis engrangés par leurs prédécesseurs, les nouvelles autorités devraient s'atteler aux exigences contemporaines de l'enseignement supérieur. Le « Projet Sénégal Vision 2050 », dont ils sont porteurs, mérite ainsi une attention particulière pour déterminer la façon dont les acteurs devraient s'investir pour la mise en œuvre des propositions concernant l'Enseignement supérieur, la Recherche et l'Innovation.
Les défis actuels
Après l'évaluation des acquis à l'existant qui a déjà été mise en place, le chemin qu'il reste à parcourir vers l'atteinte d'objectifs ambitieux pour une nation qui compte beaucoup sur son système éducatif reste encore long. Car, malgré les résultats plus ou moins probants de la concertation de 2013, le rapport annuel de performance 2022 du MESRI met en lumière certains défis persistants à relever, que nous passons en revue ci-dessous :
• La normalisation du calendrier universitaire
Pour éviter le chevauchement des années académiques, le calendrier universitaire est l'outil indispensable qui se doit d'être maîtrisé et régularisé en tenant compte des perspectives d'échanges avec les universités partenaires à l'international.
C'est un aspect fondamental pour apporter une stabilité à un système d'enseignement qui doit répondre aux critères internationaux de qualité.
L'insatisfaction des trois acteurs du système, à savoir, les PER, PATS et étudiants et la contestation sociale qui s'ensuit induisant tout un cortège de maux, serait l'une des principales causes de ces décalages perpétuels des rentrées universitaires des établissements publics au Sénégal. Les grèves, les troubles à l'ordre public et la paralysie de l'économie sont souvent des conséquences du décalage des rythmes scolaires et particulièrement au niveau universitaire.
La problématique a fait l'objet d'un séminaire de trois jours en mai-juin 2024, sous l'initiative du ministre de l'Enseignement supérieur de la Recherche et de l'Innovation, Dr Abdourahmane Diouf, invitant ainsi toutes les parties prenantes du sous-secteur à réfléchir ensemble, de manière inclusive, autour de la question afin de proposer des solutions idoines permettant de décrisper la situation. Les conclusions et recommandations issues en cours de validation par l'autorité et les instances universitaires sont à mettre en œuvre pour une meilleure sortie de situation de crise.
• L'accroissement continu de la population estudiantine, la question de l'orientation des nouveaux bacheliers et de la mobilité
En 2023, il y a eu cent cinquante-cinq mille cent neuf (155 109) candidats au baccalauréat, soit une augmentation de près de 5 000 candidats par rapport à 2022.
Même si les résultats sont loin d'atteindre les standards internationaux régis par l'UNESCO en matière de ratio nombre de bachelier/ population totale, l'effectif total des admis au baccalauréat de 2023 a été de 77 427, avec un taux de réussite de près de 52% (dont 62% pour le public).
Conséquemment la population estudiantine est en perpétuelle augmentation : en 2023, elle était de 269 556 étudiants répartis entre les établissements publics et privés, dont 137 393 hommes et 132 163 femmes (soit 49,03% de l'effectif). La part des bacheliers sénégalais qui partent étudier à l'étranger ne représente que 7% de ceux qui optent pour une mobilité internationale. En 2023, 15 252 étudiants sénégalais ont été recensés en France, qui est la première destination de nos étudiants à l'étranger (en cinq ans une évolution de + 39% a été constatée). Le Maroc (avec 1251 étudiants en 2021) se trouve en deuxième position et le Canada suit de près (1239 étudiants en 2021) avec des campagnes de recrutement d'étudiants de plus en plus attractives. Malgré le mythe lié à cette mobilité internationale qui offrirait plus d'espoir pour l'avenir, la grande majorité des étudiants sénégalais reste étudier au pays. Ainsi la pression sur les établissements d'enseignement supérieur sénégalais est très forte.
Il reste aussi à prendre en considération les effectifs d'étudiants potentiels exclus actuellement du système universitaire : les bacheliers « cartouchards », autrement dit ceux qui ressortent de l'université avec le même diplôme qu'à l'entrée, en l'occurrence le baccalauréat sans autre diplôme en sus mais aussi les non-orientés pour quelque motif que ce soit (non maîtrise du système de demande d'orientation pour la plupart du temps), la règle étant que tous les bacheliers accèdent à l'université. Certains de ces omis du système optent pour une insertion professionnelle, souvent précaire. Ce sont ainsi, des milliers de jeunes qui peuvent rester insatisfaits car n'ayant pas eu l'opportunité de poursuivre leurs études et qui peuvent se retrouver dans une situation de vulnérabilité.
Selon l'Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie, en 2022, le taux brut de la scolarisation des 19-23 ans dans l'enseignement supérieur était de 16,09 % et le taux de chômage de la population en âge de travailler autour de 20%. Selon le Bureau International du Travail, ce sont 3,26 millions de travailleurs de 15 ans et plus® au Sénégal qui occupent un emploi informel. Le nombre de jeunes sans emploi ou en emploi précaire reste difficile à déterminer. Toujours est-il qu'il existe une part très importante de jeunes sénégalais à intégrer et à prendre en charge par le système d'enseignement supérieur au Sénégal afin de leur permettre de monter en compétences et d'accéder à un emploi décent.
• La nécessité de renforcement de l'enseignement en distanciel et autres défis à relever
Au regard des aménagements opérés suite à l'amorce de mise en œuvre des certaines recommandations issues de la dernière réforme, le constat révèle que ce sont des changements majeurs du mode de fonctionnement des universités qui impactent le mode d'organisation des différents services et les relations hiérarchiques des acteurs qui interviennent dans le déroulement des programmes.
Il faut remarquer que l'administration universitaire tendrait à se professionnaliser pour répondre aux défis imposés par les dynamiques sociales au travers d'une contractualisation auprès des politiques publiques avec le contrat de performance (CDP), le développement d'un budget de programme et la dématérialisation progressive des procédures.
Pour procéder à une évaluation de ces dispositifs, il faudrait un recul un peu plus important. Cependant, force est de constater qu'avec les effectifs actuels, le système éducatif a du mal à être performant et n'arrive pas à intégrer une part importante de la masse de jeunes scolarisables à tous les niveaux. Les capacités d'accueil des infrastructures publiques d'éducation sont en-deçà des besoins provoquant une régulation des flux à l'entrée des universités. Malgré les dispositifs mis en place (IFOAD) et le programme « un étudiant, un ordinateur », l'enseignement à distance au sein de l'ensemble des universités n'a pas encore atteint le niveau escompté. L'UVS, devenue présentement l'UN-CHK avec un effectif qui avoisine les 80.000 étudiants avait, à son lancement en 2014, démarré ses activités dans des conditions d'urgence, avec près de 2 000 nouveaux bacheliers orientés ; elle est rapidement devenue la deuxième université du Sénégal en termes de nombre d'apprenants. Ainsi, même si l'apparition de la crise sanitaire du Covid19 a accéléré les initiatives dans ce sens, les autres universités peinent encore à intégrer l'enseignement à distance dans leurs programmes de formation. De nombreux défis restent encore à relever :
- Le renforcement du dispositif technologique et de la capacité de formation dans les Sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STEM) s'est effectué à travers le développement des écoles d'ingénieurs, des ISEP, des facultés ou UFR à orientations scientifique et technique. Également, l'on a assisté, comme ci-dessus indiqué, à la mise en place en 2014, de l'Université virtuelle sénégalaise (UVS) et des Espaces Numériques Ouverts (ENO) dans chacune des régions du Sénégal. Cela a permis de désengorger les amphithéâtres même si le nombre d'étudiants reste encore important dans les universités par rapport aux capacités d'accueil. S'y ajoute la création d'une multitude de plateformes en ligne à travers le Système d'Information et de Gestion de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (SIGESR) ;
- La stabilisation du nouveau modèle pédagogique et la sensibilisation des utilisateurs (corps enseignant et étudiants) à l'intérêt d'un enseignement hybride, en distanciel, co-modal ou bi-modal, reste encore à renforcer ;
- La généralisation de la formation et de la professionnalisation des tuteurs qui occupent une part importante du corps enseignant de l'université virtuelle ? ;
- L'optimisation du système d'évaluation et de correction des examens qui présente des faiblesses notoires ;
- L'amélioration et la garantie de la qualité des programmes de formations respectant les référentiels-qualité de l'ANAQ Sup et du CAMES.
Les tuteurs jouent le rôle de relais entre les étudiants et la plateforme de l'UVS. Les principales activités pédagogiques des tuteurs consistent : à accueillir et à orienter les apprenants au sein des plateformes d'apprentissage, à y animer des activités pédagogiques (TD, classes virtuelles, forums, etc.), à animer (en présentiel ou à distance) les activités de remédiation au bénéfice des apprenants, à superviser le bon déroulement des activités d'apprentissage, à participer activement au suivi des apprentissages et à la motivation des apprenants, à préparer les apprenants aux évaluations, à contribuer au bon déroulement des évaluations (surveillances, corrections, délibérations, etc.), à participer aux dispositifs dédiés à l'amélioration permanente des enseignements et des apprentissages.
Vers une nouvelle réforme de l'Enseignement supérieur ?
Au plan global et continental, l'évocation de certains évènements naturels et sociaux survenus au cours de ces dernières années, entre autres, Covid, vague de chaleur, inondations, coups d'États militaires dans la zone sahélienne, guerre en Ukraine, prémices de redistribution de la carte géopolitique mondiale, etc., suffit à démontrer que nous vivons dans un monde préoccupant et imprévisible.
Des effets directs du changement climatique au développement des mégalopoles, à la montée en puissance de l'intelligence artificielle en passant par les dynamiques démographiques, notamment en Afrique et au Sénégal, la jeunesse de la population accentue les autres besoins en autosuffisance alimentaire, en infrastructures et moyens indispensables pour une meilleure prise en charge sanitaire. Autant de forces structurelles qui contribuent ainsi à la nécessité de reconsidérer les risques auxquels les populations sont globalement exposées. Ces processus de mutations posent un redoutable défi aux systèmes de prise en charge de tout ordre des populations, notamment au sein des États africains qui éprouvent beaucoup de difficultés à protéger la vie et le bien-être des communautés, tout en soutenant la poursuite d'une activité économique hypothétique.
Sur un autre registre, au plan régional et local, à l'heure des innovations et de la mobilisation des forces partout au travers du monde pour une émergence économique durable, la jeunesse africaine fuit quasiment, sans déchirement, son continent par l'intermédiaire d'une émigration régulière et clandestine principalement vers l'Europe mais aussi vers d'autres pays du monde. À partir de villes telles que Dakar, les migrations vers l'Europe, les USA et d'autres continents, occupent 55% de la dynamique spatiale. Les exodes s'accentuent à la faveur de troubles politiques et économiques qui se multiplient dans les pays d'origine. Certaines de ces formes d'exode sont considérées comme suicidaires ; pourtant, au Sénégal, le choix est assumé par de nombreux jeunes, candidats à ces départs à conditions périlleuses.
Au regard de tous ces faits, le contexte est fondamentalement propice à l'adoption de démarches et d'adaptations nouvelles et innovantes dans la formation, la recherche universitaire prenant en compte les réalités nationales et locales, valorisant les pratiques et savoirs endogènes, tout en s'appuyant sur l'exploitation judicieuse des ressources naturelles propres pour l'amélioration du quotidien de nos compatriotes.
Même si le leitmotiv reste partout semblable, c'est-à-dire chercher la qualité en intégrant les fondamentaux socioculturels, au Sénégal, une « adaptation aux besoins nationaux » s'avère être d'une nécessité impérieuse. Cela d'autant que le contexte récent a fait que les universités ont quasiment touché le fond avec leur fermeture intégrale d'abord, puis partielle, imposée par le Covid-19, et plus récemment leur fermeture quasi arbitraire et sectorielle ; le privé universitaire n'étant pas concerné. Cette situation liée au contexte sociopolitique pré-électoral s'est traduite par des actes de vandalisme qui ont ébranlé l'université-mère (Ucad). Celle-ci a vu sa bibliothèque et nombre de ses infrastructures aussi bien dans le campus social que pédagogique saccagées mais aussi une partie de ses archives brûlées.
Au demeurant, dans un contexte de réouverture de l'université publique en 2023-2024 pratiquement au milieu du calendrier académique malgré les séquelles encore visibles des perturbations ci-dessus évoquées, on assiste quasiment à un redémarrage difficile de l'année en cours. Toutefois, il semble crucial, suite de l'évaluation du système LMD après quasiment plus de 15 ans d'effectivité de mettre en œuvre de manière effective les recommandations issues du diagnostic approfondi qui semble révéler que le dérèglement constaté semble émaner d'une application quasiment pas très appropriée du système. On assiste en effet, non pas à un système LMD mais à des systèmes LMD appliqués différemment au sein des universités sénégalaises. En conséquence, afin d'avoir une meilleure idée de l'efficacité de la CNAES, une évaluation tangible des résultats de son application, plus de 10 ans après sa tenue, devient un impératif. Au regard du contexte géopolitique mondial, africain et local, tout pousse à croire que les nouvelles autorités ne tarderont pas à imprimer leur empreinte sur une nouvelle réforme pour l'enseignement supérieur. Tout indique, en effet, qu'on s'achemine, comme ont eu à le faire ses prédécesseurs, vers une nouvelle réforme à associer au président Bassirou Diomaye Diakhar Faye.
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Aminata Ndiaye est Professeur titulaire des Universités (UCAD), Directrice des Affaires académiques et juridiques - Direction générale de l'Enseignement supérieur (MESRI).
par Jean Pierre Corréa
MA CHÈRE JEANNINE, DOUCE ANCRE DE MA SAINT-LOUISIANITE
Nous sommes tous là… Luttant avec la douleur de t’avoir perdue. Et pour mieux la surmonter, nous n’aurons qu’à nous souvenir de ton rire, de ta bonne humeur, de ta bonté et de ton éternel optimisme. Nous serons tous là ce mercredi pour te dire adieu
Ta disparition nous rappelle comme une évidence que nous sommes finalement bien peu de choses et qu’il faut profiter de chaque seconde, de chaque minute ici-bas…
Tout le monde est là. D’abord tes filles, sorties de plus loin que de tes entrailles, du fond de ton cœur qui ne battait que pour Jaja, Clo et Maïthé, mais aussi Ambou. Cathy et Loulou, inconsolables cousines te chargent d’aller pour elles, dire un énorme et tendre « MERCI » à tata Louise, figure tutélaire et digne maréchale des sœurs Carrère, pour l’aristocratique et juste manière avec laquelle elle a mené tout notre clan, exigeant de nous tous, tout cet amour qui s’est sédimenté au point de rendre nos liens indestructibles.
Nous serons tous là ce mercredi pour te dire adieu et te rendre un dernier hommage. Tu laisses un vide immense derrière toi. Toi, qui savais faire beaucoup avec si peu, toi qui savais cultiver l’amour et l’amitié… tu rendais ces moments rares… Ils se bousculent, émerveillant la mélancolie qui m’habite depuis Samedi soir, et convoquant ces traces, plus que des souvenirs, qui à tes côtés ont gravé dans mon âme cette indéfectible Saint-Louisianité. Comment les oublier ?
Quand je pense à maman, ta tante Toto, qui croyait dompter mes turbulences d’adolescent en m’envoyant, comme en maison de redressement, faire ma première et ma terminale chez tata Louise, alors qu’elle m’a permis de vivre mes plus belles et douces années, vivant comme un coq en pâte, entouré de tes attentions et de ta fierté de me voir devenir le gardien de but de ton équipe de football, La Linguère de Saint-Louis, et empli du sentiment qu’il ne pouvait m’arriver que du bonheur chez tata Louise, dans ce cocon d’amour posé au bord du Fleuve Sénégal.
Nous sommes tous là… Luttant avec la douleur de t’avoir perdue.
Et pour mieux la surmonter, nous n’aurons qu’à nous souvenir de ton rire, de ta bonne humeur, de ta bonté et de ton éternel optimisme.
Ta mémoire sera toujours gravée dans nos cœurs.
Repose en paix, Jeannine…
Thiampou Gnagna.
par Samba Gadjigo
SEMBÈNE ET THIAROYE : QUAND LA CAMÉRA EXPLORE L'HISTOIRE
EXCLUSIF SENEPLUS - Grâce à des œuvres comme celle de Sembène, l’histoire coloniale, souvent racontée à sens unique, trouve une pluralité de voix. il fut un éclaireur, un gardien d’une mémoire que d’autres voulaient tout simplement annihiler
Il est des hommes dont la vie s’érige en pont entre l’oubli et la mémoire, entre le silence imposé et les vérités proclamées. Ousmane Sembène est de ceux-là. Soldat de deuxième classe de 1944 à 1946, puis artiste en révolte permanente jusqu’à sa mort en 2007, il fut le témoin d’un siècle blessé par le colonialisme. Avec sa caméra comme arme et son imagination comme boussole, il a révélé les plaies béantes de l’histoire, parmi lesquelles celle du massacre de Thiaroye, le 1er décembre 1944.
Thiaroye demeure une cicatrice vive, un cri étouffé que Sembène a refusé de laisser disparaître. Ce lieu, où les tambours de la mort résonnèrent au rythme des mitrailleuses coloniales, incarne la trahison de ses valeurs supposées par un système de domination. Les tirailleurs sénégalais, de retour en Afrique après avoir survécu aux horreurs des camps allemands, espéraient pouvoir prétendre à un minimum de reconnaissance. Ils furent pourtant fauchés pour avoir réclamé leurs soldes et leur dignité. Le colonialisme tue deux fois : une première fois par la violence, une seconde fois par l'effacement des mémoires. Ousmane Sembène, en soldat devenu le vigile spirituel de ses camarades de combat, refusa cette double condamnation.
Il importe aujourd'hui plus que jamais de rappeler son parcours.
En février 1944, jeune maçon et apprenti-mécanicien, il rejoint le camp des Mamelles à Dakar en tant que soldat. Avec Djibril Mbengue et Omar Samb, il intègre la classe de 1944, un an plus tard que prévu. Pendant trois mois, il reçoit une instruction militaire, avant d’être affecté au Niger, dans la Troisième Compagnie de Transport, à l’annexe Artillerie. Là, pendant deux années d’un labeur harassant, il traverse l’enfer du désert : les convois interminables pour le ravitaillement des troupes d’Afrique du Nord, la chaleur accablante, la mort omniprésente signalée par le vol des charognards. Ces années de privations et de souffrances le marquèrent à jamais, façonnant en lui une conscience aiguë de l’injustice et du devoir de dire.
Rentré à Dakar en 1946, Sembène n’obtient même pas le certificat de bonne conduite. La même année, il s’embarque clandestinement pour Marseille, où il devient docker au Vieux-Port. C’est dans les bibliothèques du Parti communiste qu’il découvre la littérature, “comme un aveugle découvre la lumière”. Cette découverte le transforme et il publie Le Docker noir en 1956. Mais bientôt, il troque la plume pour la caméra, le cinéma étant à ses yeux plus accessible à son peuple que la littérature.
Avec Camp de Thiaroye (1988), réalisé avec Thierno Faty Sow, il laisse éclater sa révolte, racontant l’histoire des tirailleurs sénégalais revenus d'Europe brisés, mais dignes. Leur révolte légitime face au refus des autorités françaises de payer leurs droits se termine dans un bain de sang, mettant à nu les contradictions d’un système colonial qui exige loyauté et sacrifices tout en niant l’humanité de ceux qu’il exploite. Pendant le tournage, Sembène et son équipe font face aux intimidations : des avions de surveillance français survolent son plateau et son film sera interdit en France pendant dix ans (1988-1998). Mais il persévère et transforme cette œuvre en un monument mémoriel, empêchant ainsi Thiaroye de sombrer dans l’oubli.
Avant Camp de Thiaroye, Sembène avait déjà marqué les esprits avec Émitai (1971), une fresque dédiée aux résistances africaines. Ce film, situé en Casamance en 1940, retrace les conscriptions forcées imposées aux paysans pour servir une guerre qui n’était pas la leur. Il ressuscite la figure d’Aline Sitoé Diatta, héroïne du soulèvement des siens contre l’arbitraire colonial. Avec Émitai, il amorce son combat cinématographique : révéler les non-dits, célébrer les luttes et redonner une voix à ceux que le colonialisme a tenté de réduire au silence.
Ousmane Sembène n’a jamais été seul dans ce combat. Des poètes comme Léopold Sédar Senghor, dans son poème Thiaroye, ont pleuré les âmes des tirailleurs. Keïta Fodéba, dans Aube africaine, dénonçait l’injustice coloniale tout comme, dans les années soixante-dix, Boubacar Boris Diop, dans Thiaroye, Terre rouge. De leur côté, des historiens tels que Mbaye Guèye et Cheikh Faty Faye, confrontés au silence des archives coloniales, ont eu à cœur de reconstituer patiemment les faits, pour briser l’omerta de l’histoire officielle. De jeunes musiciens les ont rejoints pour former en leur compagnie un chœur puissant contre l’oubli.
L’art est une mémoire vivante. Il interroge, dérange et éclaire les zones d’ombre. Grâce à des œuvres comme celle de Sembène, l’histoire coloniale, souvent racontée à sens unique, trouve une pluralité de voix. Le cinéma et la littérature deviennent des outils de réappropriation, permettant aux peuples africains de se réconcilier avec leur passé.
Sembène disait que l’artiste est le témoin de son époque. Il fut bien plus qu’un témoin : il fut un éclaireur, un bâtisseur de ponts entre les générations, un gardien d’une mémoire que d’autres voulaient tout simplement annihiler.
La commémoration du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye va au-delà du simple hommage. Elle incarne une volonté politique forte, celle de rendre justice aux victimes et de célébrer le travail des artistes, écrivains et historiens qui ont refusé de se taire. Elle est un appel à regarder le passé en face, à en tirer les leçons, pour bâtir un avenir plus juste et plus humain.
Au-delà de Sembène, soldat, artiste et militant, cette commémoration est un acte de reconnaissance envers tous ceux qui pendant des décennies ont puissamment fait retentir les voix des oubliés. Elle est dédiée à ces panafricains qui nous ont appris que la mémoire est un combat, un flambeau à transmettre pour que jamais le mensonge n'impose le silence à la simple vérité historique.