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12 avril 2025
Développement
UNE LENTE STRANGULATION DE LA FRANÇAFRIQUE AU SÉNÉGAL
Boubacar Boris Diop décrit un processus d'émancipation qui se distingue par sa subtilité. Cette transition en douceur, explique-t-il, masque une réalité implacable : le "joyau de la couronne" française en Afrique s'est définitivement détaché
L'intellectuel Boubacar Boris Diop n'y est pas allé de main morte concernant les rapports entre le Sénégal et la France. Rehaussant de sa présence la cérémonie de dédicace du livre "De la démocratie en Françafrique, une histoire de l'impérialisme électoral" de la journaliste française Fanny Pigeaud et de l'économiste Ndongo Samba Sylla, l'écrivain sénégalais pense que la France a perdu définitivement le Sénégal. À l'en croire, en effet, l'ambassadeur français est devenu un diplomate parmi d'autres dans le pays.
Pour Boubacar Boris Diop, la Françafrique est en train de perdre un de ses «joyaux» en Afrique. Avec le changement de régime au Sénégal, l'écrivain qui est certainement l'un des penseurs les plus connus souligne l'importance de constater la fin de la Françafrique dans plusieurs pays du continent, à commencer par le Sénégal. Devant une avalanche d'intellectuels et de membres de la société civile du pays, et disséquant l'actualité du livre "De la démocratie en Françafrique, une histoire de l'impérialisme électoral", Boubacar Boris Diop soutient sans ambages : «Le Sénégal était un peu le joyau de la couronne. Et il n'a jamais été question d'accepter de perdre le Sénégal pour la Françafrique. Mais c'est perdu».
Ce qui se passe ici, c'est que ça ne se fait pas de manière spectaculaire, ça se fait avec beaucoup de délicatesse. «Au fond, c'est une lente strangulation de la Françafrique au Sénégal. L'ambassadeur de France est devenu un diplomate parmi tant d'autres», renseigne l'auteur de "Murambi, le livre des ossements". Il a fait savoir en outre qu'en quatre ans, l'Afrique est pratiquement passée dans une autre dimension du temps. «Aujourd'hui le Mali, le Burkina, le Niger ont chassé les français. Il y a quelques jours le Tchad a fait de même», ajoute-t-il.
«Le livre est en realiteune autopsie de Lafrançafrique»
S'exprimant sur le livre, l'écrivain sénégalais trouve que c'est un ouvrage important en ce sens qu'il parle de la Françafrique. «Ce que malheureusement l'on n'a pas fait assez souvent sur le continent africain. Fanny et Ndongo prennent la parole sur des sujets essentiels pour nous. J'ai même envie de dire des sujets existentiels», note-t-il avec satisfaction avant d'ajouter : «Nous nous sommes habitués à cette dimension sanglante de la Françafrique, dimension spectaculaire. Ce que font Ndongo et Fanny, c'est de nous montrer que la Françafrique est aussi un tricotage au quotidien dans les cabinets ministériels. On n'a pas besoin d'avoir du sang à flot, mais on contrôle la situation à travers des élections qui sont truquées, à travers des articles dans telle ou telle constitution».
Indiquant dans la foulée que dans l'ouvrage, il n'y a pas de vociférations, il n'y a pas de véhémence. «C'est écrit de manière clinique. C'est écrit avec beaucoup de précision», déclare le Fondateur de Defuwaxu.com, unique quotidien en ligne en langue wolof du Sénégal. Selon lui, il est possible de voir ce livre comme un diagnostic de la Françafrique. Mais en fait, révèle-t-il, c'est une autopsie de la Françafrique. Néanmoins il se désole du fait que sur le continent, les gens ne semblent pas prendre la mesure de l'événement. Le tournant, d'après lui, constitue le fait que la CEDEAO est en train d'exploser en plein vol le fait que tous ces pays se libèrent. «Cette ébullition-là, nous ne l'analysons pas», s'inquiète-t-il.
Ndongo Samba Sylla :«Bassirou Diomaye est leseul anti françafriquequi soit parvenu au pouvoir via les elections,c'est la seule exception»
Pour sa part, Ndongo Samba Sylla rappelle que de 1960 jusqu'à maintenant, il n'y a jamais eu de dirigeant anti Françafrique, ouvertement anti-Françafrique qui soit parvenu au pouvoir via des élections normales. «La seule exception, c'est l'élection de Bassirou Diomaye Faye en mars 2024, c'est la première exception», renseigne le chercheur sénégalais dans son analyse non sans indiquer que les seuls anti Françafrique qui sont parvenus au pouvoir dans l'histoire sont des militaires comme Thomas Sankara. De l'avis de Sylla, il n'y a que les militaires qui ont le niveau d'organisation pour lutter contre l'impérialisme. « Et je ne suis pas d'accord avec ceux qui disent que c'est un recul démocratique. Pour ce qui se passe au Sahel, c'est qu'on est dans une dynamique de libération. Je ne dirais jamais si un coup d'Etat est bon ou mauvais. Tout dépend si on est dans une perspective de libération», explique Ndongo Samba Sy en observant ce qui se passe dans la sous-région actuellement. Rappelons que la journaliste française et l'économiste sénégalais avaient déjà coécrit le livre l'Arme invisible de la Françafrique, une histoire du CFA.
PAR Ndiaga Sylla
L'INADÉQUATION DES TEXTES À PROPOS DE LA RÉVOCATION DU MAIRE
La confusion entre les différents articles du Code électoral et du Code général des Collectivités territoriales soulève des questions cruciales sur la légalité de la procédure. Rien ne justifie la violence utilisée et l’inélégance
L.article L.277 du Code électoral énonce les conditions d’inéligibilité et d'incompatibilité. Or les cas d’inéligibilité aux élections municipales sont évoqués aux articles L.271 à L.276.
La vérité est que cette disposition du Code électoral est inadaptée et son contenu équivoque.
En effet, il fallait préciser la notification en question et le caractère suspensif du recours.Toufois, il ne serait pas judicieux de dire que la décision de déclarer le conseiller municipal démissionnaire "devient immédiatement exécutoire", c'est omettre de prendre en considération le reste de la disposition L.277, al 1er : "... SAUF RECOURS DEVANT LA COUR D'APPEL DANS LES 10 JOURS DE LA NOTIFICATION".
De plus, l'article L.272, qui n'a pas été visé par l'autorité administrative, concerne l'électeur privé du droit électoral.
Il convient de souligner que l'article L.29 du code électoral n'est pas relatif à l’inéligibilité. C'est une condition d'inscription sur les listes électorales.
À noter que la décision instituant une déchéance électorale et la peine prononcée contre le maire de Dakar, Barthélémy Diaz, a été déjà purgée en vertu de L.29 nouveau.
Retenons ici et maintenant qu'il n'y a pas lieu d'invoquer l'article L.30 Code électoral dès lors qu'il ne saurait être visé dans ce cas précis.
L’article 135 du Code général des Collectivités territoriales (CGCT) ne saurait s'appliquer à Monsieur Dias qui est condamné pour délit et non pour crime. Et à l'article 140, l'énumération bien que non exhaustive ne vise pas son cas.
A présent, je pose ces pistes de réflexion :
1. Est-ce que l'élection du maire au suffrage universel ne ferait pas obstacle à l'exécution de L.277 ?
2. Ne faudrait-il pas se référer aux CGCT (art. 135 et 140) ?
3. A titre principal, l'expiration/exécution de la peine prévue à L.29 dernier alinéa ne devrait-elle pas être décomptée à partir du prononcé de la peine en première instance confirmé en appel ?
Rien ne justifie la violence utilisée et l’inélégance. Même démis, le maire est tenu de passer service... Dès lors, vouloir le chasser, comme cela a été fait, lui donnerait-il le droit de refuser de passer le témoin à son successeur.
Enfin, je persiste et signe que l'article 61 de la Constitution sur lequel se fonde le brillant ministre de la Justice et repris par l'article 51 du RIAN ne précise pas la procédure de radiation d'un député... Pourtant celle-ci est régie par les articles LO.162 et LO.198 du Code électoral.
Ndiaga Sylla est expert électoral.
Référence :
Article 61 Constitution : "Le membre de l’Assemblée nationale qui fait l’objet d’une condamnation pénale définitive est radié de la liste des parlementaires sur demande du ministre de la Justice."
de la déchéance du mandat de député : art lo.162 du Code électoral : "Sera déchu de son mandat de député celui dont l’inéligibilité se révélera après la proclamation des résultats et l’expiration du délai de recours, ou qui, pendant son mandat, se trouvera dans un cas d’inéligibilté prévu par le présent Code".
LO.198 : "La déchéance prévue par l’article LO.162 du présent code est constatée par le Conseil Constitutionnel à la requête du bureau de l’Assemblée nationale, d'un groupe de députés, conformément au règlement intérieur de l’Assemblée nationale ou du président de la République.
En outre, en cas de condamnation définitive postérieure à l’élection, la déchéance est constatée dans les même formes, à la requête du ministère public".
Art l.29 Code électoral, avant dernier alinéa : "Cette interdiction d'inscription sur les listes électorales ne concerne que ceux qui sont condamnés pour crimes,trafic de stupéfiants et pour les infractions portant sur les deniers publics à l’exception des cas prévus à l’article L.28-3 du Code électoral".
Art l.29 Code électoral, dernier alinéa : "Pour les autres infractions, cette interdiction est de cinq (5) ans après l’expiration de la durée de la peine prononcée".
par Patrick Chamoiseau
FAITES SORTIR LES ELFES !
Face à l’inquiétant paysage d’aujourd’hui, nous avons besoin, plus que jamais, des puissances de la narration. Nous pouvons imaginer un autre monde, inspiré par ce que la fiction peut nous apprendre de la danse des lucioles et des visites de la Beauté
Allocution de Patrick Chamoiseau lors de la réception du Prix de l’excellence à vie au Center For Fiction de New York, le 10 décembre 2024.
L’écrivain islandais Thor Vilhjálmsson, me raconta un jour cette très belle histoire. Il admirait beaucoup l’écrivain français Michel Butor, grand partisan du Nouveau Roman. Ce mouvement littéraire avait réussi à élargir les limites de la fiction romanesque, à une époque où celle-ci paraissait ne plus rien comprendre à la complexité du monde.
Thor Vilhjálmsson appela Butor pour l’inviter à donner une conférence dans son petit pays de rochers, de glaciers, de geysers et de volcans. Quand Vilhjálmsson eut Butor au bout du fil, il lui formula l’invitation la plus chaleureuse qui soit. Michel Butor l’écouta poliment mais, peu enclin à voyager vers cette île de mousse grise, il lui bredouilla les excuses que les écrivains utilisent pour échapper à une invitation... Qu’il avait du travail... Qu’il était fatigué... Que les voyages en avion ne lui convenaient pas... et-cætera, et-cætera.
Mais, Thor n’était pas homme à se décourager. Comme il était lui-même un grand romancier, un fils béni de l’art de conter, il eut soudain l’idée qui allait tout changer. Sur un ton mystérieux, il expliqua à Butor que si l’Islande n’était qu’une île de glace et de cailloux, elle détenait malgré tout une vertu extraordinaire qu’il fallait voir absolument. Intrigué, Michel Butor lui demanda : Laquelle ? Nous sommes environ 400 000 habitants, poursuivit Vilhjálmsson, mais la nuit, notre population double pour s’élever à plus de 800 000 âmes !
— Ah bon ? Et ... pourquoi ? s’étrangla Butor.
— C’est parce que la nuit, murmura Vilhjálmsson, les elfes sortent des rochers et viennent vivre parmi nous !
— J’arrive tout de suite ! lui répondit Butor.
Cette petite histoire illustre à merveille l’importance que nous devons accorder à la fiction narrative. Qu’elle passe par la littérature ou par d’autres formes d’expression artistique, son rôle est d’enchanter les ombres qui nous entourent, de faire jaillir des roches et des glaciers, toutes sortes d’éclats et de merveilles. Avant de conquérir la planète, homo sapiens l’avait d’abord imaginée. Plutôt que de se limiter à une vision utilitaire ou prosaïque, il l’avait enveloppée de ses propres narrations. Ce faisant, avant même de peupler une quelconque géographie, il a de tous temps habité son propre imaginaire. Malgré le bruit et la fureur, l’être humain a toujours su rendre la terre désirable en y projetant de grands enchantements. Homo-sapiens est, par essence, un créateur de mondes. Il a su accompagner ses souffrances, ses résistances, ses pensées, ses fondations, de tous les fastes qui remplissaient ses imaginations. C’est au cœur de ses propres utopies narratives qu’il a trouvé moyen d’inventer des chemins, de dégager des solutions, de gravir les montagnes ou de franchir les océans.
Face à l’inquiétant paysage d’aujourd’hui – l’effondrement du vivant, les désordres climatiques, les reculs de la démocratie, les spectres du fascisme, du racisme, de la haine et de la division – nous avons besoin, plus que jamais, des puissances de la narration. Nous devons, nous pouvons, imaginer un autre monde, inspiré par ce que la fiction peut nous apprendre de la danse des lucioles et des visites de la Beauté. Nous avons l’obligation de deviner en nous la vie que nous voulons, de rêver ses contours, et de retrouver, dans cette nuit qui menace, la haute capacité à faire sortir les elfes !
C’est avec le sentiment de cette urgence, et de cette certitude, que je me sens proche de ceux qui m’ont précédé ici : Toni Morrison, Kazuo Ishiguro, Wole Soyinka, Salman Rushdie. Nous avons besoin d’eux, et leurs livres font partie de nos armes pacifiques les plus miraculeuses.
Je pense aussi à ceux qui peuplent mon écriture de leurs présences magiques : à William Faulkner, à Gabriel Garcia Márquez, à Aimé Césaire, à Édouard Glissant, à Frantz Fanon, à Saint-John Perse, à René Char, à Victor Segalen, à James Baldwin, à Zora Neale Hurston... et à tant d’autres !... Je sais que l’on n’écrit pas pour recevoir des distinctions, mais cela fait toujours plaisir de se voir offrir les signes de l’amitié. Des soirées comme celle-ci honorent avant toute chose, les paysages, jusqu’ici invaincus, de nos littératures.
C’est d’abord en leur nom que je vous dis merci !
Merci au Center for Fiction.
Merci à ceux qui le soutiennent et à vous tous qui êtes ici !
Merci à M. Errol Mac Donald pour son amicale fidélité, et merci à tous ceux qui travaillent pour que la lecture se développe, que la poésie vive et que le livre circule.
Et maintenant : libérez les lucioles et faites sortir les elfes !
par Abdoul Aziz Diop
LE BUDGET NON ANTISYSTÈME DES PERCEPTEURS FAYE ET SONKO
EXCLUSIF SENEPLUS - Avec un déficit de 7,09% et une baisse globale de 8,68%, la LFI 2025 peine à incarner la rupture annoncée. Les institutions critiquées conservent leurs moyens tandis que la décentralisation fiscale promise reste lettre morte
Le charme du régime de séparation des pouvoirs qu’est la démocratie n’est pas seulement de permettre à une opposition, dite antisystème, d’arriver au pouvoir. Plus charmante encore est la sentence à laquelle s’expose l’antisystème, devenu majoritaire, lorsque commencent les choses sérieuses dont la principale est le budget annuel de l’État, premier du genre pour le duo que forment les percepteurs Bassirou D.D. Faye et Ousmane Sonko. Ce dernier nous facilite l’instruction à charge à laquelle est consacrée la tribune dont le contenu, adossé au réel, est tiré du rapprochement de ce que nous savons du budget initial 2025 avec les plus récentes caprices des amis Ousmane Sonko, premier ministre, et Moussa Bala Fofana, ministre de l'Urbanisme, des Collectivités territoriales et de l'Aménagement des territoires.
Déficit et boulimie d’un trio
Peu avant les élections locales du 23 janvier 2022, Moussa Bala Fofana et Ousmane Sonko publient un essai intitulé « Les territoires du développement » (L’Harmattan, 2023), prenant ainsi l’initiative du débat local pour donner le tempo, s’octroyer les moyens de le gagner et engranger les bons résultats électoraux qu’ils en attendent. Mais les choix fiscal et monétaire que Sonko et Fofana disaient être les leurs il y a un peu plus de deux ans seulement résistent-ils encore aux choix budgétaires pour l’année 2025 ?
Pour montrer jusqu’où un gouvernement peut aller et jusqu’où il ne peut pas aller, les économistes font état, quand on les y invite, des différences qui existent entre les politiques fiscale et monétaire. L’analyse montre que c’est du côté des recettes qu’il faut regarder pour expliquer pourquoi le déficit public augmente ou diminue. Aussi l’« évaluation du potentiel de recettes publiques », demandée par les gouvernements, vise-t-elle l’«augmentation des ressources publiques tout en minimisant les coûts collectifs entraînés par les [impôts et taxes]».
Arrêté à seulement 6 395,1 milliards FCFA (9,74 milliards d'euros), contre 7 003,6 milliards FCFA (10,57 milliards d'euros) en 2024, soit une baisse de 8,68% (608,6 milliards FCFA), le projet de budget pour l'année 2025 montre un déficit de 7,09 %. Ce déficit budgétaire est 2,36 fois plus élevé que celui de 3 %, correspondant, en la matière, à la valeur à laquelle convergent, pour s’y retrouver, les bons élèves de la zone UEMOA.
En 2014 - année de lancement du Plan Sénégal émergent (PSE) - l’effort d’adaptation de la politique fiscale à l’ambition d’émergence du Sénégal devait permettre de gagner trois points de PIB. « Sur la période 2020-2023 », l’ancien ministre des Finances et du Budget, Abdoulaye Daouda Diallo, clôturant la session budgétaire de l’année 2019, « se [fixait] pour objectif de faire passer le taux de pression fiscale de 17 % à 20 % » obtenu en rapportant les recettes fiscales au produit national.
Pour la LFI 2025, et en dépit du bavardage présidentiel et primatorial sur les impôts et taxes à faire honorer dare-dare, les percepteurs Faye et Sonko tablent sur « un taux de pression fiscale projeté [à seulement 19,3 %] contre 19,4 % dans la LFI 2024 ».
Huit mois après leur prise tintamarresque de tous les pouvoirs, le duo - pas génial du tout au regard des chiffres - a encore tout à prouver au secteur privé national et aux partenaires techniques et financiers plutôt méfiants depuis le 26 septembre 2024, date à laquelle le Premier ministre du Sénégal s’en est pris à son propre pays en l’accusant d’État faussaire.
Au même moment, le caractère multinational de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’ouest (BCEAO) met cette dernière à l’abri des décisions unilatérales des gouvernements dont elle est l’émanation. Depuis les réformes de janvier 2003, la mission claire, attribuée à la BCEAO contre les facteurs de risques pouvant peser sur la stabilité des prix et la croissance économique, l’indépendance des organes de direction de la pression des États membres et la limite au financement monétaire des États ont contribué au renforcement de la crédibilité de l’autorité monétaire, à la réduction des risques d’éclatement de l’Union et au succès de l’intégration économique.
Il ressort de ce qui précède que là où le gouvernement finance chaque année le déficit et redistribue les revenus publics engrangés grâce à sa politique fiscale, la politique monétaire est, elle, le fait de l’autorité monétaire indépendante qui vise la stabilité des prix et la stimulation de l’activité économique. Cette division du travail est pour beaucoup dans la « faible autonomie fiscale » des collectivités territoriales de tous les pays du monde dont les gouvernements se voient dépouillés, dans le cas contraire, du pouvoir politique de décider souverainement. Dans le cas du Sénégal, Ousmane Sonko parle d’« autonomie fiscale fluette », c’est-à-dire mince, dont il trouve, dans l’ouvrage cité au début de cette tribune, une explication valable pour un pays riche comme l’Allemagne ou pauvre comme le nôtre. « L’État, écrit-il, est toujours le premier à se servir du fait de sa prééminence légale et des tensions financières permanentes qui le minent. » Il aurait été donc plus logique pour le trio Faye, Sonko et Ndiaye (le jeune, mais non barbu El Malick notabilisé par le perchoir) de soumettre respectivement la présidence de la République, la Primature et l’Assemblée nationale (marionnette) à une vraie cure d’amaigrissement. Or, écrit le journal Le Quotidien - traqué par le pouvoir pour cause de liberté d’analyse et de liberté de ton dans l’examen des faits - « contrairement aux infos qui ont circulé (…) sur la toile, les crédits alloués à certaines institutions de l’Etat sont plus importants que les chiffres avancés annonçant une réduction drastique du train de vie de l’Etat. » Et Le Quotidien d’ajouter : « Le budget de la présidence de la République est de 78 milliards 609 millions F CFA, soit une baisse d’1 milliard 495 millions. Pour la Primature, ce sont 25 milliards 723 millions F CFA, soit une réduction de 716 millions F. » Sans oublier qu’à « l’Assemblée nationale dont le budget est de 22 milliards 474 millions, on a constaté une hausse de 2 milliards 316 millions F CFA ». Sans qu’on ne dise pourquoi puisque le personnel de la chambre législative est resté en l’état.
Le carré d’as improbable
Ousmane Sonko voit-il aujourd’hui encore dans la mince autonomie fiscale et dans ce qu’il appelle « l’exiguïté des autres ressources financières des collectivités territoriales » le « corset de sujétions » locales dont il voudrait se débarrasser en modifiant, aidé par sa majorité écrasante, le Code général des collectivités territoriales en vigueur au Sénégal. Sans trop y croire, on peut encore le penser quand on sait que les auteurs Fofana et Sonko ont consacré 58 pages - 30 % de ce que nous considérons comme une longue note technique à l’actuel ministre des Finances et du Budget - aux « instruments et stratégies de financement de la décentralisation ». Mais avec moins de chance d’être suivi par les Ziguinchorois sur au moins un point puisqu’en bon percepteur convaincu que «personne n’ira vers le Fisc pour avoir le droit de payer l’impôt», l’ancien maire, devenu premier des ministres, veut conditionner, pour les impôts personnels, «l'obtention de toute pièce å caractère administratif (certificat de naissance, de décès, de résidence, carte d'identité nationale, passeport et permis de conduire) par la présentation d'un quitus sur lequel devra figurer la mention d'une quittance de paiement de la “taxe payée par tous les résidents” des communes des zones urbaines et locales en substitution à l'IMF, de la TRIMF et de la taxe rurale». En même temps, l'État souverain et unitaire du Sénégal verrait d’un très mauvais œil des « pôles régionaux de développement [qui] ne doivent nullement être promus et initiés par l’Etat central » progressivement dessaisi, proposent Fofana et Sonko, de «la gestion des ressources naturelles non renouvelables » comme le pétrole et le gaz. S’agissant des hydrocarbures, les revenus engrangés par l’État et inscrits à la LFI 2025 se chiffrent, écrit Le Quotidien, à «72,53 milliards de F CFA réparti, conformément à la loi portant sur les hydrocarbures, comme suit : Budget général : 50, 85 milliards de F CFA (70%) ; Comptes spéciaux du Trésor : 21, 68 milliards de F Cfa (30%) dont Fonds intergénérationnel : 7, 25 milliards de F Cfa (10%), Fonds de stabilisation : 14, 43 milliards de F Cfa (20%) ».
Pour le retour au calme, le ministre Moussa Bala Fofana (ami du Premier ministre) devrait pouvoir compter sur la suppression du Conseil économique social et environnemental (CESE) et du Haut conseil des collectivités territoriales (HCTT) pour tirer le meilleur parti des premières économies de bouts de chandelles réalisées par le nouveau pouvoir. Surtout lorsqu’on sait, insiste Le Quotidien, que les crédits accordés aux deux anciennes assemblées consultatives « sont maintenus dans le projet de Loi de Finances initiale à respectivement 7 milliards 541 millions et 7 milliards 810 millions. » Assez pour former le carré d’as mâle Faye, Sonko, Ndiaye et Fofana ? Attendons de voir !
LFI 2025 sans monnaie locale
Connu pour son imprécision et/ou le manque de clarté dans l’argumentation, l’économiste Khadim Bamba Diagne appuya sans réserve l’idée d’une « monnaie locale » agitée en juillet 2022 par Ousmane Sonko en campagne pour la mairie de Ziguinchor. Rappelons qu’une monnaie locale, complémentaire de la monnaie nationale à laquelle elle est adossée, est mise en place par une association à laquelle il faut adhérer pour disposer de la liste des commerces et des entreprises qui acceptent ladite monnaie. Parce qu’elle ne recouvre pas la fonction de réserve de valeur que possède la monnaie nationale, une monnaie locale ne permet pas d’épargner et de produire des intérêts. Comment fonctionne-t-elle alors ? À titre d’exemple, en échangeant des francs CFA contre de la monnaie locale, une association crée un fonds de garantie géré par une banque partenaire qui permet ainsi aux commerces et aux entreprises concernés de reconvertir la monnaie locale en francs CFA. En campagne électorale, Ousmane Sonko annonce - c’est nous qui traduisons les passages en ouolof - son « engagement local appliqué à la Casamance » en ces termes : « Le dernier levier, appelé monnaie complémentaire ou monnaie locale, est une technique qui permet à l’échelle de la Casamance d’échanger des billets imprimés suite au retrait de la monnaie conventionnelle qui est le Franc CFA. L’épargne est alors réinvestie dans des créneaux beaucoup plus rentables en même temps qu’elle sécurise l’argent des déposants. En résumé, ça peut rapporter énormément en termes de gain et en termes de capacité d’investissement dans la commune. » Faux ! Bonne nouvelle néanmoins : nulle part dans les 123 pages de la LFI 2025 ne figure le projet de monnaie locale de l’ancien maire de Ziguinchor qui aurait troqué le global contre le local pour devenir bon commis de l’État unitaire du Sénégal. Mais pour combien de temps ? Une chose est néanmoins sûre : le premier budget des percepteurs Faye et Sonko n’est pas antisystème. Retour non innovant sur terre.
SIX MOIS POUR ÉVITER L'ÉCLATEMENT DE LA CEDEAO
L'organisation ouvre ce dimanche 15 décembre une dernière fenêtre de négociation en offrant un sursis aux trois pays désireux de partir. Une gageure face à des États qui affirment le caractère "irréversible" de leur décision
(SenePlus) - La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ouvre une nouvelle page dans ses relations avec les États dissidents. Selon Reuters, l'organisation régionale a décidé ce dimanche 15 décembre 2024, d'accorder un délai de grâce de six mois au Mali, au Burkina Faso et au Niger, dans la cadre de leur retrait initialement prévu le 29 janvier prochain.
Cette décision intervient alors que ces trois pays du Sahel central, désormais dirigés par des juntes militaires, avaient annoncé conjointement leur départ il y a un an, marquant un revirement sans précédent dans l'histoire de l'organisation régionale.
"L'objectif est de ramener les trois pays membres au sein de la CEDEAO sans préjudice", a déclaré le président de la commission, Oumar Touray, à l'issue du sommet, comme le rapporte l'agence Reuters. Concrètement, bien que la date officielle de retrait reste fixée au 29 janvier, la période de transition s'étendra jusqu'au 29 juillet 2025.
Cette initiative de la CEDEAO intervient dans un contexte particulièrement tendu. La veille du sommet, les trois États ont réaffirmé le caractère "irréversible" de leur décision de quitter l'organisation. Dans un geste significatif, ils ont néanmoins annoncé le maintien de la libre circulation des citoyens de la CEDEAO sur leurs territoires après leur départ.
Selon Reuters, cette dernière mesure pourrait être interprétée comme une tentative d'apaiser les inquiétudes concernant l'impact de leur retrait sur la liberté de mouvement et le marché commun de 400 millions de personnes que représente la CEDEAO.
Cette crise institutionnelle s'inscrit dans une période tumultueuse pour le Sahel. Depuis 2020, la région a connu une série de coups d'État qui ont porté au pouvoir des autorités militaires. Ces nouveaux dirigeants ont progressivement réorienté leurs alliances, se rapprochant de la Russie au détriment de la France, leur ancien colonisateur, et d'autres partenaires traditionnels.
Les trois pays ont par ailleurs renforcé leur coopération mutuelle, notamment en matière de défense, et envisagent même de quitter l'union monétaire ouest-africaine, rapporte Reuters. Cette évolution marque une recomposition géopolitique majeure dans la région, dont les conséquences restent encore à déterminer.
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LA LOI D'AMNISTIE RESTERA, SELON MOUSSA BOCAR THIAM
L'ancien ministre de Macky Sall affirme que le Pastef n'osera pas abroger ce texte controversé. Une position qu'il justifie par l'implication de nombreux membres du parti au pouvoir dans les événements concernés par sa mise en oeuvre
L'ancien ministre de la Communication, Maître Moussa Bocar Thiam, a livré une analyse approfondie de l'actualité politique nationale lors de son passage ce dimanche 15 décembre 2024 dans l'émission "Grand Jury" de RFM. Au cours de cet entretien, il s'est notamment exprimé sur la question sensible de l'abrogation de la loi d'amnistie, un sujet qui cristallise les tensions dans le pays.
Selon lui, le parti au pouvoir Pastef ne procèdera pas à l'abrogation de cette loi, contrairement à ce qui avait annoncé été. "Ce serait se tirer une balle dans le pied", a-t-il déclaré, car de nombreux membres du parti seraient concernés par les événements couverts par cette amnistie. Il a notamment souligné que certains dossiers impliquaient des partisans du Pastef dans des actes de vandalisme et de violence.
L'invité de Babacar Fall s'est également exprimé sur la radiation controversée de Barthélémy Dias de l'Assemblée nationale et sa révocation de la mairie de Dakar, qualifiant ces décisions d'"illégales". Il a particulièrement évoqué l'intervention musclée de la police à l'hôtel de ville, la définissant comme un retour aux pratiques que le nouveau pouvoir dénonçait lorsqu'il était dans l'opposition.
Concernant la configuration actuelle du pouvoir exécutif, Maître Thiam a évoqué une éventuelle nécessité de réviser la Constitution pour clarifier la répartition des pouvoirs entre le président et le Premier ministre. Il a notamment parlé d'une "déchéance de la fonction présidentielle", le chef de l'État se trouvant selon lui cantonné aux affaires diplomatiques.
Sur le dossier des victimes des violences politiques, l'ancien ministre a commenté le projet gouvernemental de verser 5 milliards de francs CFA aux familles des victimes des événements survenus entre 2021 et 2024. Il a insisté sur l'importance d'établir les responsabilités dans ces drames et d'éviter leur répétition.
Enfin, l'ancien ministre de la Communication s'est montré critique envers la récente publication d'une liste de médias conforme au Code de la presse, dénonçant une approche qu'il juge inadaptée et appelant à une plus grande implication des professionnels du secteur dans toute réforme médiatique.
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LE FAUX REMBOURSEMENT DE LAT DIOP
L'ancien ministre des Sports, poursuivi pour un préjudice accru à 8 milliards de FCFA, aurait selon certains médias, remboursé plus du tiers du montant à l'État. Son avocat a catégoriquement démenti cette allégation
Une information largement relayée sur les réseaux sociaux le 12 décembre 2024 affirmait que Lat Diop, l'ancien directeur général de la Lonase actuellement en détention, aurait remboursé 3 milliards de FCFA à l'État du Sénégal sur les 5 milliards qu'il devrait. Après vérification, cette information s'avère totalement fausse.
L'origine de cette désinformation a pu être retracée jusqu'à une émission de la web TV Feeling Dakar, où la présentatrice avait partagé cette information en direct, l'ayant elle-même reçue d'une influenceuse, Maty Sarr Niang. Cette dernière a rapidement reconnu avoir été induite en erreur par sa source et a supprimée sa publication quelques minutes après l'avoir postée.
Maître Aloul Badara Fall, avocat de Lat Diop, a catégoriquement démenti cette allégation. Il précise que non seulement son client n'a effectué aucun remboursement, mais qu'il conteste même l'existence d'une dette quelconque envers l'État sénégalais.
Pour remplacer les faits dans leur contexte, l'ancien ministre des Sports fait l'objet de poursuites pour détournement de deniers publics, extorsion de fonds et blanchiment de capitaux, avec un préjudice évalué à 8 milliards de FCFA. Placé sous mandat de dépôt depuis le 27 septembre 2024, il reste en détention après le rejet, le 13 décembre, des requêtes de ses avocats demandant l'annulation de la procédure et le dégel de ses comptes.
La procédure judiciaire suit donc son cours, sans qu'aucun remboursement n'ait été effectué à ce jour.
LES REMPARTS MILLÉNAIRES DU ROYAUME DU BÉNIN EN PÉRIL
À Benin City, un ensemble architectural unique au monde, l'Iya, est grignoté jour après jour par l'expansion urbaine. Les archéologues se lancent dans une course contre la montre pour préserver ce témoignage exceptionnel de l'ingéniosité africaine
(SenePlus) - Une course contre la montre s'engage pour sauver l'un des plus impressionnants sites archéologiques d'Afrique. Les fortifications de l'ancien royaume du Bénin, aujourd'hui situées au Nigeria, constituent un chef-d'œuvre architectural menacé de disparition.
Cette structure monumentale, baptisée "Iya", s'étend sur plus de 16 000 kilomètres à travers le territoire. Constituée de remparts massifs et de fossés recouverts de végétation, elle représente le plus vaste ouvrage en terre jamais construit par l'homme. Son édification, achevée avant le XVIe siècle, témoigne d'une prouesse technique remarquable pour l'époque.
L'urgence de la situation pousse aujourd'hui archéologues nigérians et allemands à unir leurs efforts. Leurs observations sont alarmantes : plus de la moitié des structures cartographiées dans les années 1960-1970 ont déjà disparu. L'expansion urbaine de Benin City constitue la principale menace, les habitants utilisant les terres des remparts comme matériaux de construction et aplanissant les reliefs historiques pour bâtir de nouvelles habitations.
Au-delà de la préservation physique du site, les chercheurs espèrent percer les mystères de cette construction exceptionnelle. L'Iya aurait en effet rempli de multiples fonctions essentielles pour la cité : système défensif, régulation des eaux, protection de la faune et délimitation territoriale. Ces fortifications constituent un témoignage unique de l'ingéniosité du royaume du Bénin, avant sa chute face aux troupes britanniques en 1897.
La sauvegarde de ce patrimoine exceptionnel représente désormais un défi majeur pour les autorités nigérianes et la communauté scientifique internationale. Le temps presse pour préserver ce qui reste de ce monument historique, témoin d'une civilisation africaine à son apogée.
LE DOUBLE VISAGE DE JUAN BRANCO
L'avocat de 35 ans, figure médiatique des mouvements contestataires, fait l'objet d'une enquête pour viols et agressions sexuelles. Quatre femmes témoignent aujourd'hui d'actes qui se seraient déroulés entre 2017 et 2021
(SenePlus) - Dans une enquête publiée le 13 décembre 2024, le quotidien français Libération lève le voile sur une affaire qui secoue le milieu judiciaire parisien. Juan Branco, avocat de 35 ans connu pour ses engagements médiatiques et ses positions controversées, fait face à de graves accusations de viols et d'agressions sexuelles portées par quatre femmes pour des faits survenus entre 2017 et 2021.
L'avocat triplement mis en examen s'était fait connaître du grand public lors du mouvement des gilets jaunes, devenant une figure de proue de la contestation contre le pouvoir macroniste. Conseil de Julian Assange et auteur d'ouvrages critiques du système, dont "Crépuscule", il s'était forgé une image de défenseur des opprimés et de pourfendeur des élites.
Les récits recueillis par Libération dessinent un mode opératoire similaire. Marie, l'une des premières à témoigner, décrit une rencontre qui commence par des échanges intellectuels avant de basculer dans l'horreur. "J'étais naïve, j'ai cru à une discussion intellectuelle, je n'ai pas vu la drogue", confie-t-elle. Son témoignage fait état d'une soirée qui dégénère rapidement, où elle se retrouve piégée dans une situation qu'elle n'a pas choisie.
Charly, une autre victime présumée, rapporte une agression lors d'une projection en novembre 2017. Après une soirée au Mikado, une boîte du XVIIe arrondissement parisien, elle décrit des comportements inappropriés et des tentatives d'embrassements forcés. "Il a tenté un embrassement plusieurs fois sur la bouche sans prévenir", témoigne-t-elle.
Une stratégie d'intimidation sophistiquée
L'enquête met en lumière un aspect particulièrement troublant : l'utilisation des réseaux sociaux comme outil d'intimidation. Après le dépôt des plaintes, les victimes présumées ont fait l'objet d'une campagne de cyberharcèlement méthodique. Photos, données personnelles, commentaires dégradants : tout a été utilisé pour tenter de les décrédibiliser et les faire taire.
Sous la plume de l'écrivain, l'une des femmes témoigne de cette stratégie d'intimidation en ligne : "On n'est jamais préparée à vivre un viol. C'est terrifiant de voir quelqu'un que vous avez idolâtré pendant des années se transformer en prédateur sexuel face à vous."
Face à la gravité des accusations, la justice s'est saisie de l'affaire. Le conseil de l'ordre du barreau de Paris a prononcé en octobre 2024 une suspension d'activité de trois ans contre l'avocat. Une information judiciaire a été ouverte, et les investigations se poursuivent sous l'autorité d'un juge d'instruction.
Les témoignages recueillis révèlent des traumatismes profonds. Louise, l'une des plaignantes, évoque un "black-out" et des souvenirs fragmentés : "J'ai refait le calcul de ce que j'avais bu, cela n'expliquait pas mon black-out. À ce moment-là, j'ai pensé qu'un mec avait mis un truc dans le verre. Je crois que c'était lui."
Un système bien rodé
Les enquêteurs ont relevé des similitudes troublantes dans les différents témoignages. Les rencontres se déroulaient souvent dans un contexte professionnel ou militant, suivies de moments en tête-à-tête où la situation dérapait. Les victimes présumées décrivent toutes un sentiment de confusion et d'impuissance face à un homme qu'elles admiraient initialement.
Cette affaire s'inscrit dans un contexte plus large de libération de la parole autour des violences sexuelles, particulièrement dans les milieux intellectuels et militants. Elle soulève des questions importantes sur les dynamiques de pouvoir et l'utilisation des réseaux sociaux comme outil de représailles contre les victimes qui osent parler.
Juan Branco, qui bénéficie de la présomption d'innocence, n'a pas souhaité répondre aux sollicitations de Libération. Son silence contraste avec sa présence médiatique habituelle et soulève de nombreuses interrogations. L'enquête se poursuit, tandis que d'autres victimes potentielles pourraient encore se manifester.
Les belles feuilles de notre littérature par Amadou Elimane Kane
UN DÉTOURNEMENT LITTÉRAIRE EN FAVEUR DES LETTRES AFRICAINES
EXCLUSIF SENEPLUS - On perçoit à travers La plus secrète mémoire des hommes, l’habileté de Mbougar Sarr à se moquer du monde impitoyable des lettres françaises qui catégorise et enferme dans des ghettos identitaires
Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
Le roman à clé est placé au carrefour des genres littéraires derrière lequel se cachent des vérités souvent étouffées et parfumées à l’odeur du scandale. Celui-ci représente, de manière plus ou moins explicite, un espace romanesque où des personnages réels renaissent à travers le tissu de la fiction. Le réel s’imbrique à l’illusion tel un fantôme qui revient pour nous interroger. L’histoire ainsi racontée s’autorise toute liberté pour mettre à jour une énigme en tordant tous les codes littéraires.
C'est bien sur cette nature littéraire que repose le roman de Mohamed Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes, dont le titre s’inspire d’un extrait du livre de Roberto Bolaño Les détectives sauvages, œuvre littéraire libre sur la littérature latino-américaine. Avec le roman de Mohamed Mbougar Sarr, ce processus littéraire est à son apogée car le roman nous captive autant qu’il nous surprend par sa construction habile qui contient des enjeux politiques et historiques, tout en bâtissant un vrai roman aux ressorts fictifs en embrassant la poésie, le fantastique et l’exaltation.
C'est l'histoire d’un jeune écrivain sénégalais, Diégane Latyr Faye, auteur d’un livre intitulé Anatomie du vide, qui vit en exil en France, très lettré et en quête de reconnaissance. Dès les premières pages, le cadre est posé par le truchement de son journal intime et littéraire. Celui-ci devient son alter-ego et le narrateur lui livre toutes ses pensées, en même temps qu’au lecteur que nous sommes. Et là commence la quête d’un mystère autour de la disparition d’un livre ou plus exactement celle de sa malédiction.
De manière fortuite, le jeune écrivain tombe sur un livre impénétrable, voire ésotérique, et surtout oublié, Le labyrinthe de l’inhumain, publié en 1938 par un auteur à l’apparence de squelette T.C. Elimane. La plongée dans la lecture de ce roman sulfureux tourne à l'obsession pour le narrateur. Ainsi commence la chasse à la vérité romanesque et littéraire. Cette énigme va entraîner Diégane Latyr Faye sur les chemins de la mémoire coloniale, de l’exil et de l’identité africaine.
Ainsi, les référents littéraires sont habilement transposés, chacun comprend ce qu’ils recouvrent, tout en créant un véritable univers littéraire. L’écrivain T.C. Elimane, qui a pourtant disparu, est véritablement incarné. Il est l’auteur d’un livre qui a fait scandale et qui figure dans le Précis des littératures nègres et qui a fait l’objet des pages littéraires avant-guerre. En 1948, un critique littéraire se pose la question Qui était vraiment le Rimbaud Nègre ?
On perçoit ici l’habileté de Mohamed Mbougar Sarr à se moquer du monde impitoyable des lettres françaises qui catégorise et qui enferme dans des ghettos identitaires.
Même si l’on sait que le personnage de T.C. Elimane est le double de Yambo Ouologuem, écrivain malien né en 1940, il est son incarnation sans l’être car tout est mouvant et devient fiction. La construction astucieuse de l’auteur tient à cela : qu’est-ce qui relève du réel ? Est-ce que la fiction est proche de la vérité ? La question que semble poser l’auteur : Qu’est-ce que la littérature ? À l’instar de Jean-Paul Sartre qui exposait les affres de l’écriture et de ses gouffres. Ainsi, le narrateur habite sa focalisation intérieure, celle de retrouver les traces de T.C. Elimane qui se dérobe à toutes ses recherches. C’est aussi ce qui fait l’attrait du roman, ce labyrinthe littéraire et humain qui se joue de l’histoire, avec malice, pour mieux dénoncer.
Le roman s’écrit lui-même avec la mise en abîme d’une réalité supposée qu’il détourne pour mieux s’en détacher. Il use de tous les artifices littéraires : épopée historique, récit fantastique et roman noir se côtoient dans une valse de mots, des mots qui n’ont pas peur de choquer ! Ce sont des tableaux imagés aux allures étranges et rocambolesques tout en conservant une langue réaliste, crue qui parfois s’échappe pour des envolées lyriques inattendues.
Dans le même temps, Mohamed Mbougar Sarr raconte, avec subtilité et brio, le destin tragique de Yambo Ouologuem, auteur du livre Le devoir de violence, publié en 1968 et récompensé par le Prix Renaudot, accusé alors de plagiat et effacé des pages littéraires. Ce qui va conduire Yambo Ouologuem à quitter le monde des lettres pour regagner son Mali natal, loin des caricatures du monde néocolonial.
Le talent de Mohamed Mbougar Sarr tient en cette capacité à bâtir un univers littéraire solide, référencé et documenté, tout en s’autorisant une grande liberté d’énonciation pour mieux dire la réalité de la littérature africaine.
Avec ce roman, Mohamed Mbougar Sarr fait un coup d’éclat en inscrivant la littérature africaine contemporaine au panthéon mémoriel, en révélant l'ostracisme dans lequel elle est encore maintenue par le regard néocolonial, tout en remportant la victoire du Prix Goncourt, le plus prestigieux des lettres françaises.
La profondeur de son arcane textuelle et intertextuelle et de sa stylistique polyphonique font assurément de Mohamed Mbougar Sarr un auteur majeur de notre paysage littéraire contemporain.
Amadou Elimane Kane est écrivain, poète.
La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr, éditions Philippe Rey, Paris, 2021.