SenePlus | La Une | l'actualité, sport, politique et plus au Sénégal
12 avril 2025
Développement
VIDEO
AES-CEDEAO, ANATOMIE D'UNE SÉPARATION
Pour Gilles Yabi, le retrait du Niger, du Mali et du Burkina relève davantage d'une stratégie de survie politique. Son analyse révèle les contradictions d'une posture qui pourrait coûter cher à l'avenir de toute la région
Dans un entretien accordé mardi soir à la TFM, Gilles Yabi, fondateur du think tank Wathi, a dévoilé les véritables enjeux derrière l'annonce du retrait du Mali, du Niger et du Burkina Faso de la CEDEAO. Son analyse révèle une réalité plus complexe que le simple discours souverainiste affiché.
Selon l'expert, cette décision s'inscrit d'abord dans une stratégie politique interne des régimes militaires. Face aux difficultés économiques et sociales persistantes dans leurs pays respectifs, ces dirigeants auraient besoin d'un "discours politique mobilisateur". Le narratif anti-occidental, et particulièrement anti-français, servirait ainsi de levier pour maintenir une adhésion populaire, malgré l'absence d'amélioration concrète des conditions de vie des populations.
L'incohérence de cette posture apparaît notamment dans le maintien de ces pays au sein de l'UEMOA, organisation qui, selon Gilles Yabi, représente paradoxalement une plus forte empreinte de l'héritage colonial que la CEDEAO elle-même. "Si le problème majeur est la France et la colonisation, l'organisation qui incarne le plus la proximité avec la France et l'héritage colonial, c'est l'UEMOA", souligne-t-il.
Plus préoccupant encore, ce retrait s'accompagne d'une dégradation de l'espace démocratique dans ces pays. L'invité de Chérif Diop pointe l'absence totale de débat public autour de cette décision capitale : "Il n'y a pas eu de débat ni au Mali, ni au Niger, ni au Burkina Faso".
Pour Gilles Yabi, la décision de retrait ne peut être dissociée de la façon dont ces régimes sont arrivés au pouvoir. Bien que ces dirigeants militaires bénéficient d'une légitimité de fait, leurs décisions n'émanent pas d'un processus démocratique, ce qui soulève des questions sur la pérennité et la validité de tels choix pour l'avenir de leurs nations.
L'expert met en garde contre les conséquences à long terme de cette fragmentation régionale. Au-delà des implications économiques immédiates, c'est toute l'architecture de la coopération régionale en matière de sécurité qui se trouve fragilisée, alors même que la menace terroriste nécessite plus que jamais une réponse coordonnée entre pays sahéliens et côtiers.
par l'éditorialiste de seneplus, Amadou Elimane Kane
LA MÉMOIRE DE THIAROYE OU LE BATAILLON DES TIRAILLEURS SÉNÉGALAIS CONTINGENT DE LA FORCE COLONIALE
EXCLUSIF SENEPLUS - Pourquoi nous, peuples d'Afrique subsaharienne et particulièrement du Sénégal, continuons-nous à célébrer ceux qui ont participé à notre oppression historique et à l’extermination de notre souveraineté ?
Amadou Elimane Kane de SenePlus |
Publication 18/12/2024
Au moment de la commémoration du massacre du camp de Thiaroye, survenu le 1er décembre 1944, l’histoire du bataillon des Tirailleurs Sénégalais mérite que l’on s’y attarde pour éclairer l’histoire de l'hégémonie coloniale.
Le bataillon des Tirailleurs Sénégalais a été formé par un décret de Napoléon III en juillet 1857, sous le commandement de Louis Faidherbe, gouverneur du Sénégal depuis 1854 et dont on connaît le rôle dans l’expansion coloniale et ses violences meurtrières. Le recrutement effectué d’abord sur les terres sénégalaises s’est peu à peu étendu à d’autres nations africaines, recrutant dans ses rangs des soldats d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique du Nord.
L’objectif de l’existence de ce contingent était d’apporter un soutien militaire aux opérations d'envahissement et de conquêtes coloniales. Les Tirailleurs sénégalais avaient d’abord pour mission de réprimer toute résistance à l’empire colonial français, utilisant les mêmes armes que l’impérialisme colonial. Ainsi, les Tirailleurs Sénégalais devenaient la main armée de l’empire colonial français, sur leur propre territoire en combattant les peuples en lutte. Et il n’est pas insultant de dire que Les Tirailleurs Sénégalais devenaient ainsi les collaborateurs de la domination coloniale française. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le bataillon a été dissout entre 1960 et 1962, au moment des indépendances des États africains.
Plusieurs questions se posent alors. Comment peut-on encore défendre un groupe armé à la solde de la colonisation ? Pourquoi en Afrique et au Sénégal en particulier, devient-on les défenseurs naturels des collaborateurs ?
Engagés inconsciemment ou consciemment comme tous les soldats de la première guerre mondiale et de la seconde guerre mondiale, les Tirailleurs Sénégalais tirent toutefois leur existence dans des actes de collaboration et de répression envers leur propre peuple, avec des avantages non négligeables à ce moment de l’histoire. De même, ils ont contribué aux guerres coloniales en Afrique, en Indochine, en Algérie et à Madagascar, aux côtés de l’empire colonial français.
Souvenons-nous que les collaborateurs ont partout été jugés, tués et indexés dans l’histoire de leur pays. Le Maréchal Pétain, héros de la première guerre mondiale et alors vainqueur dans l’opinion publique, est accusé de collaboration avec les nazis à la fin de la seconde guerre mondiale pour avoir installé le régime autoritaire de Vichy. À la libération, il est jugé et arrêté pour haute trahison et condamné à mort, une peine commuée en détention à perpétuité. Il meurt en prison en 1951. Aujourd'hui encore, l’histoire de la France ne reconnaît pas la mémoire du Maréchal Pétain car cela n’est pas acceptable pour tous les combattants et les résistants à l’occupation nazie.
En Italie, Benito Mussolini, dictateur fasciste et collaborateur du régime nazi, a été exécuté en place publique en avril 1945 par les partisans italiens et son corps mutilé a été exposé à la foule, comme l’ultime humiliation.
En Algérie, les harkis, combattants anti-indépendance à la solde de l’armée française, ont été bannis de leur pays, avec un traitement de violence qui aujourd'hui continue de subsister, pour dénoncer leur collaboration avec l’empire colonial français.
Alors pourquoi nous, Africains noirs sub-sahariens, et en particulier Sénégalais, conscients des luttes sanglantes que nous avons eues à mener face à l’agression perpétuelle et à l’extermination de notre souveraineté humaine, culturelle et historique, célébrons-nous encore ceux qui ont été les complices de notre propre désintégration ?
J’ose m’adresser au peuple sénégalais en disant de ne pas soutenir les oppresseurs de notre libre-arbitre. C'est une insulte à ceux et à celles qui se sont levés contre la colonisation et qui ont œuvré pour la liberté. Si nous voulons nous affranchir définitivement du joug colonial, nous devons examiner notre conscience pour oser prendre position contre ce type de manipulations mentales.
Je ne dis pas que les assassinats du camp de Thiaroye en décembre 1944 sont une bonne chose, je dis simplement que notre mémoire doit s'accompagner d’une conscience entière, sans déni de vérité historique.
Si les archives françaises du 1er décembre 1944 restent nébuleuses ou inaccessibles, c’est encore une fois une manière de garder la mainmise sur notre histoire. Ce n’est pas non plus un hasard si l’État français continue d’honorer la mémoire des Tirailleurs Sénégalais car ils sont le symbole de leur suprématie qui continue d’instrumentaliser notre conscience historique. Mais gardons-nous de pleurer ceux qui ont collaboré pour mieux écrire notre propre récit historique et pour célébrer la mémoire de ceux qui ont toujours résisté à l’empire colonial français.
Ce qui nous importe aujourd'hui au XXIe siècle, c'est de faire vivre notre propre récit, de célébrer les combattants historiques des luttes pour notre liberté, sans omettre de dénoncer ceux qui nous ont trahis. Notre devoir de mémoire s’accompagne de cette prise de conscience qui contribue à la renaissance africaine et à l’émergence de tous les soleils de notre émancipation.
Amadou Elimane Kane est enseignant, écrivain poète et chercheur en sciences cognitives.
POUR LA LIBÉRATION DE MOUSSA TCHAGARY
Le traitement qui lui a été réservé lors de son arrestation, notamment le fait d'avoir été "cagoulé" avant d'être conduit aux services de renseignement, soulève de sérieuses questions sur le respect des droits fondamentaux au Niger
Moussa Tchagary, figure emblématique de la défense des droits humains au Niger, se trouve aujourd'hui derrière les barreaux dans des conditions qui soulèvent de graves préoccupations. Secrétaire général de l'association Alternative Espace Citoyen, il a été brutalement arrêté à son domicile de Niamey le 9 décembre, dans des circonstances troublantes qui rappellent les méthodes des régimes autoritaires.
Les accusations portées contre lui - "apologie du terrorisme, atteinte à la sûreté de l'État et association de malfaiteurs en relation avec le terrorisme" - apparaissent comme un prétexte pour faire taire une voix critique de la société civile. Le traitement qui lui a été réservé lors de son arrestation, notamment le fait d'avoir été "cagoulé" avant d'être conduit aux services de renseignement, soulève de sérieuses questions sur le respect des droits fondamentaux au Niger.
Cette pétition demande au Général Abdouramane Tiané, actuel chef de l'État nigérien, d'intervenir pour mettre fin à ce qui s'apparente à une violation flagrante des libertés d'expression et de manifestation. L'abandon immédiat des charges contre Moussa Tchagary et sa libération constitueraient un signal fort du respect de l'État de droit dans un pays où la société civile joue un rôle crucial de contre-pouvoir.
Face à cette situation préoccupante, votre signature représente plus qu'un simple soutien : elle participe à la défense des droits humains et des libertés fondamentales au Niger, et plus largement en Afrique de l'Ouest.
Être maire de Dakar, ce n’est pas seulement diriger une ville. C’est occuper une place stratégique dans le paysage politique sénégalais, entre influence locale et rayonnement national. Mais, Mamadou Diop, Pape Diop, Khalifa et Barth en ont fait les frais
La Ville de Dakar s’est toujours affirmée comme le cœur battant de la vie politique sénégalaise. Ses enjeux démographiques, ses figures politiques emblématiques et ses dynamiques sociales en font une plateforme stratégique pour toute ambition électorale. Son rôle dans l’échiquier politique ne peut aller que crescendo, confirmant ainsi son statut de poumon politique et électoral du pays. Etre le maire de Dakar, ce n’est pas seulement diriger une ville. C’est occuper une place stratégique dans le paysage politique sénégalais, entre une influence locale et un rayonnement national. International même. C’est également revêtir une importance politique unique, un mélange de pouvoir symbolique, économique et institutionnel. La fonction confère une visibilité exceptionnelle. Mais, Mamadou Diop, Pape Diop, Khalifa Sall et Barthélémy Dias en ont fait les frais.
Depuis l’indépendance du Sénégal en 1960, Dakar s’est imposée comme le pivot de la vie politique et électorale du pays. Capitale politique, économique et culturelle, cette mégapole incarne un enjeu stratégique pour les partis politiques et les candidats à la présidence. Avec ses 4 millions d’habitants, Dakar est bien plus qu’une capitale: c’est le thermomètre de l’opinion publique nationale. Lors des scrutins présidentiels et législatifs, cette densité électorale confère à la capitale un rôle décisif. Gagner Dakar représente un avantage psychologique et numérique crucial pour les candidats, car la ville donne imprime le reflet de dynamiques nationales, soulignant son poids stratégique.
Pendant 40 ans, le Parti socialiste a dominé Dakar, en ayant recours à partir de 1993 à des fraudes massives, selon l’opposition, pour ne pas perdre la mairie de la ville. L’année 1996 marque un tournant avec la nouvelle réforme de la décentralisation, qui renforçait les pouvoirs des collectivités locales. Ce changement a aiguisé les appétits politiques, transformant les élections municipales en un véritable bras de fer entre le Parti socialiste (PS), au pouvoir, et une opposition de plus en plus structurée. Dakar, en tant que capitale économique et politique, représentait un terrain hautement symbolique pour cette bataille.
Les élections locales de 1996 ont été l’un des scrutins les plus houleux de l’histoire électorale du pays. Spécialement dans la capitale sénégalaise. Dès le début du processus électoral, les tensions sont palpables. Plusieurs partis d’opposition dénoncent des irrégularités dans la distribution des cartes d’électeur et le recensement des votants.
Le scrutin, marqué par des irrégularités et de très fortes tensions. La contestation postélectorale, menée par l’opposition, Abdoulaye Wade en tête, et d’autres leaders, crient à la fraude massive et les observateurs nationaux et internationaux présents sur place constatent des manquements graves à l’organisation du scrutin. Les accusations de fraude se multiplient, visant directement le Parti socialiste et ses élus locaux, accusés de vouloir maintenir leur mainmise sur la capitale
Ils exigent l’annulation des résultats dans plusieurs communes et appellent à une mobilisation populaire. Face à l’ampleur de la crise, les autorités électorales se voient contraintes de réagir pour éviter un embrasement généralisé. Des résultats sont annulés dans certaines communes et les citoyens invités à revoter. Cette décision des autorités est perçue comme un aveu d’échec des autorités. Finalement, les résultats confirment la victoire du Parti socialiste dans plusieurs communes stratégiques, mais au prix d’un profond discrédit. Pour l’opposition, ces élections symbolisent un tournant, marquant leur progression dans la capitale et préfigurant la chute du PS en 2000.
Mamadou Diop, le parti socialiste et l’administration locale
La trajectoire politique de Mamadou Diop, maire de Dakar durant plus d’une décennie entre les années 1984 et 2002, reste à la fois remarquable et semée d’embûches. Arrivé à la tête de la capitale sénégalaise dans un contexte de transformations sociales et politiques majeures, il a dû composer avec une scène locale souvent agitée, marquée par des tensions entre les autorités centrales, membres du Parti socialiste et les attentes croissantes des populations.
Pendant près de deux décennies, la mairie de Dakar a été le théâtre d’une relation complexe entre Mamadou Diop et le Parti socialiste dont il est membre. En tant que maire, il a été un acteur central du pouvoir local, mais également un rouage essentiel dans la mécanique politique du PS, marquée par des alliances, des tensions internes et des jeux d’influence permanents.
Dès son arrivée à la mairie, Mamadou Diop s’est heurté à un système où la décentralisation est balbutiante. Si la Constitution sénégalaise prévoyait une autonomie relative pour les collectivités locales, dans les faits, le pouvoir central, le Parti socialiste donc, exerçait un contrôle étroit sur la gestion municipale, ce qui a souvent limité sa marge de manœuvre. Les rapports complexes entre la mairie et l’État ont été au cœur de nombreux blocages, notamment en matière d’urbanisme et de financement des projets structurants pour la ville.
Membre fidèle du Parti socialiste, Mamadou Diop a bénéficié du soutien à la fois politique et institutionnel du régime. Ce lien étroit lui a permis de s’imposer durablement à la tête de Dakar, une ville stratégique dans le dispositif électoral et économique du pays. Dakar était alors considérée comme une « vitrine politique », où le PS devait maintenir son ancrage face à une opposition croissante.
Cependant, cette relation n’était pas exempte de frictions. Au sein du Parti socialiste, les critiques à l’égard de Mamadou Diop ont émergé au fil des années. Certains barons du parti, aspirant eux aussi à des postes influents, voyaient en lui une figure parfois trop autonome. La centralisation du pouvoir au sein du PS, a souvent limité les initiatives locales et mis Mamadou Diop dans une posture délicate
Par ailleurs, la métropole dakaroise, en proie à une urbanisation incontrôlée et des revendications sociales pressantes, était un terrain fertile pour l’opposition. Les premières fissures apparaissent à la fin des années 1990, lorsque les contestations populaires s’intensifient. La pression des syndicats, des acteurs de la société civile et des électeurs frustrés à laquelle il faut ajouter celle de l’opposition, se fait de plus en plus grande, fragilisant l’assise politique du PS à Dakar et, par ricochet, celle de Mamadou Diop.
Sous la pression constante des populations, Mamadou Diop a dû faire face à l’accroissement des besoins en infrastructures. Dakar, qui s’imposait comme la métropole économique du pays, était étouffée par une urbanisation galopante et une explosion démographique. Les problèmes d’assainissement, de gestion des ordures et d’aménagement urbain se sont multipliés. de la mairie.
Et la tâche du maire était d’autant plus complexe qu’elle s’inscrivait dans un environnement politique national tendu. Dans les années 1990, alors que l’opposition gagnait du terrain face au Parti socialiste, au pouvoir depuis l’indépendance, Mamadou Diop est devenu la cible de critiques dont les plus virulentes, venaient de son parti. Si les opposants lui reprochaient son appartenance au système politique dominant et une gestion opaque et autoritaire, il est même arrivé que ses camarades de parti lui interdisent une campagne d’affichage en prévision de l’élection municipale de 1996!.
En parallèle, la crise économique qui frappait le pays à cette époque a laissé des traces profondes dans la gestion municipale. Les recettes fiscales étaient insuffisantes pour répondre aux ambitions de modernisation de la ville. Mamadou Diop a tenté d’y répondre par des partenariats public-privé, mais ces solutions n’ont pas toujours rencontré l’adhésion des populations, qui y voyaient une marchandisation des services essentiels.
Malgré ces difficultés, Mamadou Diop a laissé un héritage contrasté. Certaines de ses réalisations, comme la modernisation partielle de l’administration municipale sont reconnues.
Face à ces pressions, le maire, tout en restant loyal au PS, tentera de naviguer entre ses devoirs envers le parti et ses responsabilités vis-à-vis des habitants. Mais cette équation s’avéra difficile à résoudre, d’autant que le Parti socialiste s’essoufflait nationalement, laissant entrevoir une alternance. En 2000, avec l’arrivée d’Abdoulaye Wade au pouvoir et la chute du PS, Mamadou Diop, symbole de ce système en déclin, se retrouve isolé
Ainsi, la relation entre Mamadou Diop et le Parti socialiste illustre les dynamiques complexes de la politique pour diriger Dakar. Si elle a été longtemps bénéfique pour les deux parties, elle a fini par souffrir des tensions internes et des évolutions du paysage politique. Mamadou Diop, en tant que maire, restera une figure emblématique, mais aussi l’un des derniers représentants d’une époque où le PS dominait sans partage à Dakar, la scène politique sénégalaise.
Pape diop, une ascension politique sous l’ombre du pouvoir
Pape Diop, fidèle d’Abdoulaye Wade élu président de la République en 2000 , et cadre du Parti démocratique sénégalais (PDS), bénéficie du soutien direct du président pour accéder à la tête de la mairie en 2002. Cette victoire électorale survient dans un contexte où le pouvoir central cherche à renforcer son ancrage à Dakar, stratégique tant sur le plan économique que symbolique.
Rapidement, les critiques se font entendre. Certains observateurs et opposants accusent Pape Diop d’être moins un maire autonome qu’un « gardien de la place » pour le clan Wade. Les spéculations se concentrent particulièrement sur Karim Wade, alors conseiller spécial de son père et figure controversée. L’arrivée de Pape Diop est perçue par certains comme une manœuvre pour stabiliser Dakar en attendant que Karim Wade soit en mesure de briguer des fonctions électorales.
Les soupçons se nourrissent des interventions régulières du pouvoir central dans les affaires de la mairie. La relation de confiance entre Pape Diop et Abdoulaye Wade est à double tranchant. Si elle permet à la capitale de bénéficier de financements importants pour des projets majeurs, elle accentue aussi les critiques sur l’autonomie du maire. La gestion de projets comme la modernisation des infrastructures et l’aménagement urbain est souvent associée aux ambitions de Karim Wade, qui dirige parallèlement plusieurs programmes nationaux d’infrastructures, notamment ceux de l’Agence nationale de l’Organisation de la Conférence Islamique (ANOCI). Cette superposition de compétences alimente les soupçons d’une stratégie coordonnée pour asseoir l’influence du fils du président à Dakar.
Au fil des années, les interrogations se multiplient. Pape Diop est-il un simple exécutant des plans de la présidence ? Les tensions montent lorsque Karim Wade commence à jouer un rôle de plus en plus visible dans la gestion des affaires publiques. L’idée d’une succession dynastique, avec Karim Wade préparé pour prendre la tête de Dakar, devient un sujet central dans les discours de l’opposition. Certaines décisions prises par la mairie, sont interprétées comme des initiatives visant à créer un socle électoral pour Karim Wade. Pour l’opinion publique, la frontière entre les rôles de Pape Diop et de Karim Wade est floue.
C’est ainsi que son passage à la tête de la mairie de Dakar est marqué par cette ambivalence : un maire reconnu pour sa capacité à réaliser des chantiers d’envergure, mais aussi perçu comme un maillon d’une stratégie politique plus large orchestrée par Abdoulaye Wade, pour son fils. Les soupçons persistants jusqu’à sa défaite en 2009, ont contribué à alimenter les débats sur l’équilibre entre loyauté politique et gestion locale qui s’entremêlent, au point de brouiller les lignes.
2009 a vu l’opposition occuper l’Hotel de Ville. C’est cette situation qui prévaut encore aujourd’hui. Les manifestations contre la loi constitutionnelle en 2011, qui visait à instaurer un “ticket présidentiel” favorable à Abdoulaye Wade, ont trouvé leur épicentre dans les rues de Dakar. En 2021 et 2022, les manifestations de soutien à Ousmane Sonko, opposant radical à Macky Sall, sont parties de Dakar pour faire tâche d’huile dans le pays. Ces mobilisations populaires, largement relayées par la jeunesse, ont contribué à faire revoir leurs plans aux pouvoirs en place.
Khalifa Sall, Barthelemy T. Dias : sous l’étau politique et judiciaire
Si Mamadou Diop et Pape Diop ont vécu les plus fortes résistances dans leur parti respectif, le Ps et le Pds, le sort réservé à Khalifa Sall et à Barthélémy Dias illustre un problème plus large de la démocratie sénégalaise : la confusion entre justice et politique. Ces deux hommes sont devenus des symboles de la résilience face à des régimes perçus, par les opposants du régime de Abdoulaye Wade, de Macky Sall puis de ceux d’aujourd’hui, comme oppressifs. Leurs cas interrogent sur l’indépendance de la justice et la capacité des institutions à garantir un jeu politique équitable.
Khalifa Sall : une chute préméditée ?
Elu à la tête de la capitale en 2009 sous le régime de Me Abdoulaye Wade et du PDS et alliés, il a été réélu en 2014, quand Macky Sall était président de la République depuis deux ans déjà. Sa popularité, il l’a bâtie sur son pragmatisme et sa proximité avec les Dakarois, en initiant des projets innovants, s’appuyant sur des pouvoirs que lui conféraient les transferts de compétences contenus dans l’Acte II et III de la Décentralisation.
En 2017, une accusation de détournements de deniers publics dans ce qui a été appelé « l’affaire de la Caisse d’avance de la mairie de Dakar », le plonge dans un tourbillon judiciaire qui l’a conduit en prison. L’affaire repose sur l’utilisation de fonds de la mairie estimés à 1,8 milliard de francs CFa. Les enquêtes menées par l’Inspection générale d’Etat ont conclu à un détournement, mais ses partisans réclament une lecture plus nuancée des faits, invoquant des pratiques administratives courantes et un manque de preuves tangibles. Condamné à 5 ans de prison, le verdict a été interprété comme étant une manœuvre politique, visant à écarter un adversaire politique potentiel de Macky Sall, président de la République. Pour rappel, lors de la campagne présidentielle de 2012, Macky Sall avait promis de raccourcir le mandat présidentiel, en le faisant passer de 7 à 5 ans. Mais le Conseil constitutionnel en avait décidé autrement.
Son immunité parlementaire levée en pleine procédure judiciaire et sa radiation de la mairie de Dakar actée, sa mise au ban du Parti socialiste allié dans la coalition de Macky Sall, son inéligibilité déclarée ont suscité une vague d’indignation aussi bien sur le plan national qu’international. L’opposition et des organisations de la société civile dénoncent une instrumentalisation de la justice pour tuer dans l’œuf, toute velléité de concurrencer Macky Sall à la présidentielle de 2019.
Libéré en 2019 suite à une grâce présidentielle de Macky Sall réélu, Khalifa Sall reste inéligible. Il n’abandonne pas ses activités politiques, se posant comme un rassembleur et initiant des alliances conjoncturelles qui se sont défaites sur des coups de tête et d’égos hypertrophiés. Redevenu éligible, se présente sa candidature à la présidentielle de 2024, qui s’est soldée par un cuisant échec.
Barthélémy Dias, le combat permanent
Vendredi dernier dans la matinée, un arrêté rendu public, signé du préfet de Dakar, révoquait Barthélémy T. Dias l’une des figures les plus déterminantes mais aussi les plus controversées de la scène politique sénégalaise. Maire de Dakar depuis janvier 2022, il incarne cette nouvelle génération de leaders audacieux. Qu’ils soient au pouvoir ou pas. Retracer le chemin politique de Barthélémy Dias revient à explorer l’évolution d’un homme qui a su imposer son style direct et combatif dans un paysage politique souvent polarisé.
En devenant maire de la commune de Fann-Mermoz-SacréCœur, en 2009, Barthélémy Dias fait de cette station une tribune pour exprimer ses positions tranchées contre les injustices et les dysfonctionnements du système politique du pays dirigé à l’époque par Me Abdoulaye Wade.
Une polémique nait en 2011, lorsqu’un jeune homme, (nervi pour l’opposition, non membre du parti pour le Pds) est tué devant la mairie. Cet évènement a entrainé pendant 13 ans, des implications judiciaires, des polémiques politiques, une polarisation des opinions publiques. Les évolutions récentes se sont terminées par la perte de son mandat parlementaire suite aux législatives de novembre 2024 et par sa révocation de la mairie de la Ville de Dakar, le vendredi 13 décembre.
Les positions politiques suite à la mort de Ndiaga Diouf ont été prises selon le moment, selon les régimes. Quant à Barthélémy Dias, il a toujours crié avoir agi en légitime défense, face à une attaque orchestrée contre sa mairie de commune et son éventuel assassinat et a dénoncé l’utilisation de nervis pour intimider les opposants du régime
Le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) a toujours nié son implication dans l’organisation de l’attaque et s’est défendu d’avoir parmi ses membres, Ndiaga Diouf, qu’il ne qualifie pas de nervi, mais une victime de violences politiques
Macky Sall, opposant à Wade en 2011, a implicitement soutenu Barthélémy Dias et dénoncé ce qu’il considérait comme une tentative de manipulation politique et judiciaire du régime de Abdoulaye Wade pour neutraliser un opposant très critique. Son parti, l’Alliance pour la République (APR) se montrait solidaire du maire de la commune de Fann-Point E – Amitié et a de temps en temps, pris prétexte cette affaire pour renforcer son discours contre le régime de Wade, qu’il accusait de créer un climat de tension et de répression visant à se maintenir au pouvoir par tous les moyens, en vue de l’élection présidentielle de 2012, s’inscrivant de ce fait dans une stratégie plus large de mobilisation contre le régime de l’époque
En 2012, Macky Sall est élu président de la République et l’APR et la coalition qui la soutient sont majoritaires à l’Assemblée nationale. Parmi les alliés, le Parti socialiste auquel appartient Barthélémy Dias. Le régime affirme que l’affaire relève de la justice. Dias poursuit ses activités et assure ses fonctions politiques. Des critiques se font entendre, interprétant cela comme étant une volonté de Macky Sall de ne pas fragiliser la coalition qui le soutient.
En 2017, Barthélémy Dias est condamné à deux ans de prison ferme pour « coups mortels », mais n’a pas été incarcéré immédiatement, pour raison de remises de peine. La peine a été confirmée en appel en 2022 et attestée définitive en décembre 2023 par la Cour Suprême qui a rejeté le pourvoi en cassation de Dias. Pour les partisans de Macky Sall, cette condamnation n’a fait que renforcer le fait que le régime observait strictement la séparation des pouvoirs.
Pour le nouveau pouvoir installé en avril 2024, cette condamnation définitive entraine la déchéance de Barthélémy Dias de son statut de député élu lors les élections législatives de novembre 2024. De son côté la famille de Ndiaga Diouf qui avait entrepris des démarches pour recouvrer les 25 millions de F CFa de dommages et intérêts que Dias devait payer, sous peine de contrainte par corps a été créditée de cette somme le 12 décembre, par la sœur de Barthélémy, en raison de l’insolvabilité de son frère.
Suite à la déchéance de son statut de député de la XVème législature, Barthélémy Dias s’est vu notifié, le 13 décembre, par le préfet de Dakar, sa « démission de [son] mandat de conseiller municipal, de la Ville de Dakar » . Cette décision du préfet a pour base, la lettre du « citoyen Beyna Guèye, datant du 10 décembre, fondée sur l’article 277 du Code électoral ». En réponse, Barthélemy Dias a marqué un refus de cette décision, tant que ses recours ne sont pas épuisés et a qualifié sa révocation de manœuvre politique. Pour l’heure, les débats juridiques, les arguments des sachants ou non, inondent les plateaux de télévision, les ondes des radios et les réseaux sociaux
Dans ce cas précis, la mort de Ndiaga Diouf a révélé des fractures profondes dans le paysage politique sénégalais, qui se pansent vaille que vaille selon les alliances (parfois contre-nature) ou mésalliances du moment et continue encore aujourd’hui à polariser les débats autour des questions de rivalités politiques qui se transforment en batailles juridiques.
Le budget : le champ de bataille
D’une centaine de millions de F CFa en 1984, le budget de la Ville de Dakar, avec un budget qui dépasse 60 milliards de F CFa, et représente un enjeu stratégique pour les hommes politiques. Or, la capitale est qualifiée de « bastion de l’opposition » depuis 2009, qui tient tête aux régimes en place. Ces fonds, alimentés par une combinaison de recettes fiscales, de taxes aux entreprises, de subventions de l’Etat et de partenaires internationaux, destinés à financer des infrastructures, des équipements sociaux, attisent convoitises et rivalités au sein de la classe politique. Surtout de celle des régimes au pouvoir avec toujours de forts soupçons de faire de la mairie de Dakar, un tremplin pour la présidence de la République, qui se trouve à un jet de pierre.
C’est la raison pour laquelle chaque élection municipale est une véritable bataille pour le contrôle de cette ressource stratégique. L’enjeu est clair. Maîtriser le budget de Dakar, c’est non seulement disposer de moyens financiers importants, mais aussi contrôler un levier d’influence politique considérable. Les enjeux de ce budget vont bien au-delà des simples chiffres : ils traduisent des luttes de pouvoir et des visions concurrentes pour l’avenir de la capitale. Cette lutte pour le contrôle de la mairie est d’autant plus intense que Dakar « est dans l’opposition » dans un paysage politique national dominé par le parti au pouvoir. Les deux derniers maires de la Ville, Khalifa Sall et Barthélémy Dias en sont des exemples emblématiques. Sous leurs gestions respectives, Dakar a été au centre de nombreuses initiatives de développement, mais aussi de controverses politiques, notamment avec son incarcération et sa radiation suite à des accusations de mauvaise gestion, pour le premier nommé et celle de Barthélémy Dias, suite à l’ « affaire Ndiaga Diouf », sont perçues par beaucoup comme une tentative d’affaiblir des figures politiques montantes de l’opposition et des manœuvres pour écarter des adversaires potentiels. Ce type de confrontation illustre comment la mairie de Dakar est un champ de bataille politique au sens propre et chaque élection municipale, à Dakar, un véritable enjeu national.
VERSIONS CONTRADICTOIRES SUR LA BROUILLE À DAKAR
D'un côté, le Bureau municipal dénonce un blocage de l'Hôtel de Ville et une entrave aux activités du maire. De l'autre, la police réfute catégoriquement ces accusations, affirmant n'avoir fait qu'assurer sa mission normale de sécurisation
(SenePlus) - Dans un communiqué officiel publié ce 17 décembre, le Bureau Municipal de la Ville de Dakar dément fermement les affirmations de la police nationale concernant les "prétendus blocages" des activités du maire Barthélemy Dias et des conseillers municipaux.
Selon le document municipal, dont notre rédaction a obtenu copie, les forces de l'ordre ont effectivement bloqué l'accès à l'Hôtel de Ville, empêchant l'entrée des conseillers municipaux. Pour étayer ses dires, la mairie évoque des "images et vidéos largement diffusées sur les réseaux sociaux" et s'appuie sur un procès-verbal de constat dressé par un huissier de justice attestant de la fermeture des accès.
Face à cette situation, une délégation d'adjoints s'est rendue à la Préfecture de Dakar. Le communiqué révèle que le Préfet par intérim a reconnu avoir "donné des instructions à la Police" tout en précisant qu'il devait "consulter ses supérieurs hiérarchiques à ce sujet".
La tension s'est encore accrue lorsqu'un "dispositif policier impressionnant" a été déployé pour interdire au maire de visiter les chantiers de la ville. La mairie dénonce "une entrave directe à l'exercice de ses fonctions" et des actions qui "ne respectent pas l'autorité légitime des élus".
Le point culminant de cette journée du 13 décembre fut la conférence de presse de Barthélemy Dias, au cours de laquelle, selon le communiqué municipal, "la Police a fait usage de force, entraînant des dégâts matériels à l'Hôtel de Ville".
La police nationale, par le biais de sa Division Communication et Relations Publiques, présentait un peu plus tôt, une version radicalement différente. Dans son communiqué, elle affirme n'avoir "bloqué ni Monsieur Dias, ni les conseillers municipaux", expliquant que le déploiement de ses forces "rentre dans le cadre normale de l'exécution de sa mission de sécurisation".
Face à cette situation, le Bureau Municipal appelle à "une démarche responsable et républicaine" de la part de la police, tout en réaffirmant sa "détermination à exercer ses fonctions dans le respect de la loi". Il plaide pour "une collaboration respectueuse entre les différentes institutions, dans l'intérêt de la ville et de ses habitants.
par Gilles Yabi
VIDEO
SAUVER LES ACQUIS DU PROCESSUS D’INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE DE L'OUEST
Aucune remise en cause de ses piliers, et notamment du protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, ne doit être envisagée pour faire plaisir à ceux qui veulent en réalité un retour aux régimes autocratiques en Afrique de l’Ouest
Ce 15 décembre 2024, la CEDEAO tient à Abuja son dernier sommet ordinaire avant le départ des États membres de la Confédération des États du Sahel, à savoir le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Les ambassadeurs puis les ministres des Affaires étrangères et de la Défense se sont déjà réunis à Abuja. Il faudra décider des termes de la séparation entre la CEDEAO et les pays de la Confédération des États du Sahel. Lors d’une réunion ministérielle le 13 décembre à Niamey, ces derniers ont rappelé une nouvelle fois que leur décision de retrait de la CEDEAO était « irréversible ».
J’avais publié une tribune en juin dernier sur le site de WATHI, qui reprenait essentiellement mon intervention lors d’un événement public organisé par le bureau de représentation de la CEDEAO auprès des Nations unies à l’occasion de la célébration des 49 ans de l’organisation régionale à New York le 7 Juin 2024. Je terminais le texte par ces mots :
« Ce qui se jouera dans les prochains mois, ce sont les contours de l’Afrique de l’Ouest dans laquelle vivront les jeunes, les enfants, nos enfants, au cours des prochaines décennies. Le choix qui est devant nous, c’est celui de continuer à croire en la possibilité de faire de l’Afrique de l’Ouest un espace de progrès collectif, de liberté, où les droits fondamentaux sont protégés. L’autre choix, c’est la résignation qui consisterait à accepter que notre espace soit profondément et durablement fragmenté, que chaque pays se referme sur lui-même et sur ce qu’il perçoit comme étant ses intérêts strictement nationaux. Cela consisterait à accepter de prendre le risque réel et très élevé d’un retour, partout ou presque, de régimes autocratiques où les dirigeants n’ont de comptes à rendre à personne ».
Quelques évènements récents permettent de bien comprendre à quoi je fais allusion. Moussa Tchangari, secrétaire général de l’association Alternative Espaces Citoyens, une des voix les plus fortes et respectées de la société civile nigérienne et ouest-africaine depuis des décennies, a été brutalement enlevé chez lui le 3 décembre par des hommes armés qui l’ont emmené vers un lieu inconnu et gardé au secret pendant deux jours. Moussa Tchangari fut un de nos intervenants lors d’une table ronde virtuelle organisée par WATHI le 19 septembre dernier sur le thème de l’état des lieux sécuritaire dans le Sahel et les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest.
Le même 3 décembre à Conakry en Guinée, le journaliste Habib Marouane Camara, responsable d’un site d’information, a été enlevé par des gendarmes selon les témoins de la scène. Et depuis plus de cinq mois désormais, deux voix fortes de la société civile en Guinée, Oumar Sylla alias Foniké Menguè, coordonnateur du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), et Billo Bah, responsable des antennes et de la mobilisation du FNDC, ont disparu après avoir été enlevés par des éléments des forces armées. Au Burkina Faso, beaucoup de journalistes, d’acteurs de la société civile, de personnalités critiques de la dérive violente du pouvoir militaire ont dû s’exiler, en Côte d’Ivoire, au Sénégal ou ailleurs.
Soyons clairs : des violations graves de droits humains et l’instrumentalisation d’une justice non indépendante sont observables aussi dans des pays de la région dirigés par des civils. Bien au-delà des pays sahéliens sous présidence militaire actuellement, les pratiques politiques réelles dans plusieurs pays côtiers montrent que des dirigeants civils élus qui se disent démocrates ne le sont pas en réalité et sont prêts à toutes les violations des textes constitutionnels pour conserver le pouvoir, pour contrôler toutes les institutions et/ou pour faire main basse sur les ressources de leur pays. Ils aimeraient bien que la CEDEAO abandonne son ambition démocratique et ses principes de convergence constitutionnelle décrits dans le protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance adopté en 2001.
Je rappelle que ce sont des personnalités ouest-africaines, civiles et militaires, qui ont travaillé pendant des années pour élaborer ce protocole conçu comme un complément du protocole relatif au Mécanisme de Prévention, de Gestion, de Règlement des Conflits, de Maintien de la Paix et de la Sécurité de décembre 1999. La logique qui n’avait rien d’absurde était celle-ci : la bataille pour le pouvoir politique par tous les moyens est une des sources les plus évidentes des conflits violents dans la région ; alors dotons l’Afrique de l’Ouest d’un ensemble de principes constitutionnels consacrant la démocratie et l’État de droit qui vont être applicables à tous les pays membres.
Alors oui le fonctionnement de la Commission de la CEDEAO est loin d’en faire un modèle de bonne gouvernance, à l’exacte image du fonctionnement moyen des institutions publiques dans les pays membres. Mais au fil des décennies, aux côtés de ceux qui ne sont animés que par la recherche des missions à l’étranger pour les perdiem, des dizaines de femmes et d’hommes des 15 pays membres ont travaillé avec conviction au service de l’intégration, de la sécurité et du développement économique régional, au sein de la commission, des agences spécialisées ou de la Cour de justice de la communauté qui est un véritable instrument de protection et de promotion des droits humains dans la région.
Malgré toutes les insuffisances de son bilan, et malgré des décisions très malheureuses de la Conférence des chefs d’État au cours des dernières années, l’apport de l’organisation aux populations de la région est incontestable et précieux. Aucune remise en cause de ses piliers, et notamment du protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, ne doit être envisagée pour faire plaisir à ceux qui veulent en réalité un retour aux régimes autocratiques en Afrique de l’Ouest.
Dans l’immédiat, face à la décision de trois dirigeants de fait des États du Sahel central de faire quitter leurs pays et leurs compatriotes de la communauté régionale, sans consultation, les dirigeants de la CEDEAO devraient garder la porte ouverte pendant un certain nombre d’années à un retour, avec un minimum de formalités, de ces États dans la communauté. Il faudrait maintenir pendant cette période un maximum d’avantages pour les populations de ces pays qui n’ont, à aucun moment, choisi de se couper de leurs frères et sœurs, cousines et cousins, des autres pays ouest-africains. Il faudrait aussi proposer un cadre de dialogue entre la CEDEAO et la confédération des États du Sahel sur la coopération dans le domaine vital de la sécurité collective.
Enfin, et c’est peut-être aujourd’hui le message le plus important, il faut que les acteurs de la société civile ouest-africaine, et les acteurs du secteur privé, y compris sahéliens, trop souvent absents des débats sur des questions vitales pour l’avenir de la région, lancent ensemble une campagne destinée à sauver les acquis du processus d’intégration régionale. Il ne faut pas se faire d’illusion : le chemin vers une CEDEAO des peuples, et vers une Afrique de l’Ouest en paix et en progrès, n’est pas compatible avec le retour des nationalismes étriqués et des dictatures civiles ou militaires.
Podcast Les voix et voies de WATHI, à écouter en audio sur Youtube, Spotify, Soundcloud.
LE GAZ SÉNÉGALAIS DANS L'INCERTITUDE
Après plusieurs reports, Grand Tortue Ahmeyim se heurte au refus de BP de poursuivre le projet au-delà de la phase 1, sur fond de tensions avec Dakar et Nouakchott. Le Sénégal aurait exigé des clarifications auprès du géant pétrolier britannique
(SenePlus) - Selon les révélations de Jeune Afrique, le méga-projet gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA), situé à la frontière maritime entre le Sénégal et la Mauritanie, pourrait connaître un nouveau contretemps majeur. Non seulement son démarrage est repoussé au premier semestre 2025, mais sa phase 2 pourrait être compromise.
Le projet, qui a déjà connu plusieurs reports - initialement prévu pour 2022, puis reporté à 2023, avant d'être décalé au second semestre 2024 - fait face à des obstacles techniques significatifs. Un cadre de BP, cité par le magzine, attribue ce nouveau délai aux "difficultés techniques rencontrées dans le développement d'un projet aussi complexe que GTA".
Cette situation intervient dans un contexte particulièrement délicat pour BP, l'opérateur principal qui détient 61% des parts du projet, aux côtés de Kosmos Energy (29%) et des sociétés nationales Petrosen et SMHPM (10%). Le géant britannique, qui a déjà cédé ses découvertes gazières de Yakaar-Teranga au Sénégal en octobre 2023 et de BirAllah en Mauritanie en avril 2024, semble désormais réticent à s'engager dans la phase 2 du projet.
Cette seconde phase, qui devait doubler la production de GNL de 2,5 à 5 millions de tonnes métriques par an, paraît aujourd'hui compromise. Plusieurs facteurs expliquent cette situation, d'après JA : la volonté de renégociation des contrats exprimée par les présidents Bassirou Diomaye Faye du Sénégal et Mohamed Ould Ghazouani de la Mauritanie, ainsi que des désaccords persistants sur le cost oil - la part de production destinée au remboursement des coûts de développement.
Le climat de tension est palpable entre les parties prenantes. D'après Jeune Afrique, Dakar a récemment exigé des clarifications de BP concernant les nouvelles échéances. Un responsable sénégalais, cité par le magazine, confirme : "Nous attendons une réponse de BP sur la nouvelle date de la mise en exploitation de GTA", précisant que les projections actuelles tablent sur un démarrage "entre fin mars et début avril 2025".
Malgré l'installation en mai dernier d'une unité flottante de production et de stockage de gaz, élément crucial pour l'exploitation, les incertitudes persistent. Cette infrastructure devait assurer le traitement initial du gaz avant son transfert vers une unité de liquéfaction située à environ 10 kilomètres des côtes.
Face à ces développements, BP, dirigé par Murray Auchincloss, maintient une position prudente, privilégiant, selon ses déclarations rapportées par le journal, "le démarrage sûr et efficace de la phase 1". La société n'a pas souhaité répondre aux sollicitations du magazine panafricain concernant ces nouvelles complications.
Ces retards successifs et l'augmentation des coûts du projet ont considérablement affecté la réputation de BP dans la région, mettant en péril l'un des plus importants projets gaziers d'Afrique de l'Ouest, dont les retombées économiques sont attendues avec impatience par les deux pays concernés.
ALIOUNE SALL DÉSAVOUÉ
Des collaborateurs du ministre n'hésitent plus à exprimer leur opposition à sa politique de régulation des médias. Le CNRA, de son côté, a adressé un courrier cinglant au ministère, exigeant le retrait ou la suspension d'un arrêté jugé illégal
Au sein de son ministère, comme au Cnra, les décisions du ministre de la Communication de ne pas reconnaître des entreprises de presse ne font pas que des heureux. Il lui est reproché de passer outre les dispositions du Code de la presse en privant le Cnra de son pouvoir de décision en la matière.
La mise en place de la Commission d’examen et de validation de la Déclaration des entreprises de presse du Sénégal, qui est en train de bousculer le paysage médiatique au Sénégal, menace de créer des dissensions entre le ministère de la Communication, des télécommunications et du numérique (Mctn), le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) et au sein du personnel du Mctn, en particulier certains proches collaborateurs du ministre Alioune Sall.
En effet, des collaborateurs du ministre ont, semble-t-il, commencé à exprimer leur mécontentement quant à la manière dont le processus de régularisation des organes de presse est mené par leur département. Ils trouvent que l’autorité de tutelle serait en train de s’arroger des droits qui ne lui seraient pas reconnus, notamment par le Code de la presse. Ces personnes se disent confortées par des remarques qu’aurait faites le président du Cnra, dans un courrier adressé à son ministre de tutelle. Ledit courrier aurait également pointé le fait que «l’arrêté n° 024462 du 1er octobre 2024 portant création et fixant l’organisation et le fonctionnement de la Commission d’examen et de validation de la Déclaration des entreprises de presse du Sénégal viole le Code de la presse».
Le courrier du Cnra portait principalement sur le volet des médias audiovisuels, mais les agents du ministère, qui ont exprimé leurs états d’âme, n’ont pas caché que la situation n’est pas meilleure en ce qui concerne la presse écrite, où des problèmes similaires se posent. Tout le monde constate que le ministère a voulu doter la commission de régulation de «pouvoirs exorbitants qui la placent au-dessus des organes de régulation de la presse que sont le Cnra et le Cored». S’il est manifeste que le Cored semble se désintéresser du sort des organes de presse et des journalistes qui y travaillent, le Cnra, lui, semble déterminer à ne pas laisser rogner le peu de pouvoirs que lui reconnaît la loi.
Ils mettent en charge notamment, l’art 2 de l’arrêté, qui dispose que les dossiers validés par la commission sont soumis au Mctn pour qu’il délivre une attestation avec un numéro d’identification unique, valant reconnaissance légale. Pour ces fonctionnaires, ce faisant, cet arrêté saute les pouvoirs du Cnra et viole les dispositions du Code de la presse. Le Cnra, dans le courrier cité plus haut, avait d’ailleurs tenu à rappeler lesdites dispositions en disant : «Le ministère chargé de la Communication et l’organe de régulation sont les seules structures habilitées à intervenir dans la reconnaissance légale des entreprises de communication audiovisuelle.
Au ministère, revient la prérogative d’accorder l’autorisation, après avis conforme de l’organe de régulation. Quant à l’organe de régulation, il est investi des missions d’instruire les demandes d’autorisation, de donner un avis conforme, d’élaborer les cahiers des charges des acteurs de la chaîne de valeur de la communication audiovisuelle et de préétablir et de signer les conventions avec les éditeurs, diffuseurs et distributeurs.»
Le courrier du Cnra, que les services du ministère ont fait fuiter, recommande donc à M. Alioune Sall «de rapporter l’arrêté n° 024462 du 1er octobre 2024 portant création et fixant l’organisation et le fonctionnement de la Commission d’examen et de validation de la Déclaration des entreprises de presse du Sénégal ou de le reprendre ou de surseoir à son application». En plus de cela, le régulateur de l’audiovisuel suggère «d’autoriser les entreprises de presse dont les conventions avec l’organe de régulation ont été signées, conformément à l’article 147 du Code de la presse», qui dispose : «Le ministre chargé de la Communication délivre d’office une licence d’exploitation aux éditeurs de services de communication audiovisuelle déjà existants, sous réserve de la signature d’une nouvelle convention avec l’organe de régulation». Il reste à savoir si le ministre de la Communication et ses services, qui sont allés déjà assez loin dans leur entreprise de destruction, sauront mettre la pédale douce avant que la bronca n’atteigne de fortes ampleurs.
VIDEO
LE SÉNÉGAL COURT APRÈS SES RÊVES
Au moment où l'Assemblée nationale examine le budget 2025, Ndongo Samba Sylla pointe du doigt l'absence criante de souveraineté monétaire. Une situation qui pourrait condamner le pays à rester spectateur de son propre développement
Le Sénégal nourrit des ambitions économiques généreuses à travers sa Vision 2050, mais se heurte à des contraintes financières majeures qui pourraient freiner ses projets. C'est ce qu'a expliqué lundi l'économiste Ndongo Samba Sylla sur la TFM, alors que s'ouvre le marathon budgétaire à l'Assemblée nationale pour l'adoption du budget 2025.
L'expert souligne que cette vision, bien qu'allant dans la bonne direction, est confrontée à une réalité implacable : le pays ne dispose pas des instruments nécessaires à son développement. "Il n'y a aucun exemple de développement économique à la périphérie sans que l'État n'assume un rôle de plus en plus grand", explique-t-il, citant les expériences historiques de la Grande-Bretagne, des États- Unis, du Japon et plus récemment de la Chine.
Le problème fondamental, selon l’économiste, réside dans l’absence de souveraineté monétaire. "Quand vous avez votre propre monnaie, vous n'avez pas de contrainte financière dans celle-ci", précise-t-il, ajoutant que "un État qui dit qu'il n'a pas d'argent est un État qui ne comprend pas comment faire fonctionner le système monétaire et financier".
Cette situation se reflète dans les chiffres alarmants de la dette publique. En 2025, le service de la dette atteint 2900 milliards de FCFA, soit les deux niveaux des recettes fiscales. Sur les cinq prochaines années, le pays devra débourser au minimum 11 000 milliards de FCFA pour honorer ses engagements financiers.
Pour Ndongo Samba Sylla, la domestication de l'économie voulue par l'État, bien qu'ambitieuse, risque de se heurter à ces contraintes structurelles. Sans les instruments fondamentaux du développement, notamment le contrôle du secteur monétaire et financier, la Vision 2050 pourrait rester un vœu pieux, malgré ses intentions louables.
LES AVOCATS SÉNÉGALAIS, SENTINELLES HISTORIQUES DE LA DÉMOCRATIE
Des pionniers comme Valdiodio Ndiaye aux ténors actuels El Hadji Diouf et Ciré Clédor Ly, le barreau transcende le simple cadre judiciaire. Face à une justice souvent instrumentalisée, ces "bulldozers" du droit demeurent un contre-pouvoir essentiel
(SenePlus) - La figure de l'avocat au Sénégal incarne une tradition démocratique unique en Afrique de l'Ouest. Dans les couloirs des tribunaux de Dakar, ils ne sont qu'environ quatre cents à porter la robe noire, majoritairement des hommes, mais leur influence sur la vie politique et institutionnelle du pays s'avère considérable depuis l'indépendance.
"Au Sénégal, le pouvoir utilise souvent la justice pour frapper ses opposants", explique Maître Moussa Sarr dans les colonnes du Monde, soulignant ainsi le rôle crucial des avocats comme "défenseurs de la démocratie". Cette position s'illustre particulièrement à travers des figures emblématiques comme Maîtres El Hadji Diouf et Ciré Clédor Ly, dont les plaidoiries retentissantes dépassent souvent les frontières nationales.
L'histoire de cette profession au Sénégal se confond avec celle de la République elle-même. Comme le rappelle Céline Sow, journaliste et documentariste, "plusieurs des premiers hauts fonctionnaires et dirigeants du pays portaient la robe". Le cas de Valdiodio Ndiaye, premier ministre de l'Intérieur du Sénégal indépendant, symbolise cette époque pionnière où les avocats sénégalais ont commencé à s'imposer dans un milieu alors dominé par les Français.
Cette tradition s'est perpétuée jusqu'à la présidence, avec Abdoulaye Wade (2000-2012), longtemps connu comme "Maître Wade" avant d'accéder à la magistrature suprême. Sa défense historique de Mamadou Dia en 1963, bien qu'infructueuse, avait déjà forgé sa réputation. Le quotidien français rapporte également la présence régulière d'avocats dans les gouvernements successifs, notamment sous la présidence de Macky Sall (2012-2024), avec des figures comme Aïssata Tall Sall, Sidiki Kaba, ou Omar Youm.
Le rayonnement des avocats sénégalais s'étend bien au-delà des frontières nationales. Maître El Hadji Diouf, qui se décrit lui-même comme un "bulldozer", et son "meilleur ami au barreau" Maître Clédor Ly, plaident régulièrement devant les tribunaux de la sous-région et la Cour de justice de la Cedeao. Leur influence s'explique, selon Amadou Sall, ancien ministre cité par Le Monde, par "la démocratie sénégalaise [qui] permet aux avocats d'adopter un ton libre et de revenir dans leur pays sans crainte".
Cette liberté de ton se transmet aux nouvelles générations, à l'image de Bamba Cissé, figure montante du barreau de Dakar, formé dans le cabinet de Clédor Ly. Elle s'accompagne d'une vigilance constante sur l'état des institutions, comme en témoigne la récente prise de position de Maître Clédor Ly contre "une justice expéditive", rapportée par Le Monde, alors même que son ancien client Ousmane Sonko occupe désormais le poste de Premier ministre.
Ainsi, le barreau sénégalais continue d'incarner un contre-pouvoir essentiel, perpétuant une tradition d'engagement pour l'État de droit qui remonte aux premières heures de l'indépendance.