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22 novembre 2024
Développement
YAAY DUND, RAPHAEL BELMIN MET EN LUMIÈRE L'ENGAGEMENT DES FEMMES DANS LA TRANSITION AGROÉCOLOGIQUE
Depuis quinze ans, l’agronome et photographe sillonne les campagnes africaines, capturant le rôle fondamental des femmes dans la préservation du vivant.
« Depuis 15 ans, mon travail d’agronome de terrain m’a permis de parcourir le monde rural africain. Partout, j’ai rencontré des femmes, des sœurs, des mères, des grand-mères qui s’engagent au quotidien pour prendre soin de notre nature, de notre santé, et de notre société. » Ces mots de Raphael Belmin, agronome et photographe au CIRAD, expriment l’origine de l’exposition « YAAY DUND – Régénérer le vivant », qui se tient au pied du Monument de la Renaissance africaine jusqu'au 7 décembre dans le cadre de la Biennale d'art contemporain Dak’Art 2024. Cette exposition témoigne de son admiration pour ces femmes engagées, rendant visible leur travail essentiel et leur dévouement à un avenir plus durable.
Organisée dans le cadre du « off » de la Biennale, cette exposition, initiée par la DyTAES, le CIRAD, l’ISRA, et l’IRD, célèbre les contributions de la recherche et les avancées de la transition agroécologique au Sénégal. Birame Mabrou Diouf, administrateur général du Monument de la Renaissance africaine, a salué cette initiative « singulière à plus d’un titre », soulignant le talent de Belmin et de Marie Thouvenot, la Commissaire d’exposition, pour ce projet pluridisciplinaire. « Votre projet met en avant le rôle fondamental des femmes dans la tradition agroécologique et dans l'adoption de solutions basées sur la nature, » a-t-il déclaré.
L’exposition coïncide également avec le cinquième anniversaire de la DyTAES, un moment symbolique pour cette organisation qui milite pour une transition agroécologique au Sénégal. Absa Mbodj, Secrétaire exécutif de la DyTAES, voit dans cette exposition un moyen puissant de sensibiliser le grand public à la contribution cruciale des femmes dans ce domaine. « Ces photos racontent une histoire de pouvoir, de rôle clé et d’impact que les femmes jouent dans la transition agro-écologique », a-t-elle affirmé, ajoutant que les œuvres seront mises en vente, avec les profits reversés aux activités de la DyTAES.
La portée de l’exposition va au-delà de l’esthétique. Laurent Viguié, représentant de l'ambassade de France au Sénégal, a souligné le talent de Belmin, à la fois chercheur en agronomie et photographe, en expliquant que son travail témoigne du lien entre la recherche et la culture. « L’art peut promouvoir des valeurs et des ambitions politiques auprès d’un public large, » a-t-il déclaré, rappelant l'importance d'un dialogue entre art et engagement citoyen.
Pour Benoît Faucheux, représentant de la Banque mondiale, cette exposition n’a rien d’anodin. « La Banque mondiale n’est pas venue financer cette action par hasard. Depuis l’an dernier, nous avons un troisième objectif qui est de se développer dans une planète vivable, » a-t-il précisé. Dans le cadre du programme régional pour la sécurité alimentaire soutenu par le gouvernement sénégalais, la transition agroécologique s’avère essentielle, et cette exposition vise à susciter un dialogue fécond entre citoyens, agriculteurs, chercheurs et autorités afin de soutenir ce changement.
En plus des photographies de Belmin, qui capturent les étapes clés des systèmes alimentaires, du champ à la table, un espace agora accueillera des débats et discussions sur les thèmes de l’agroécologie et de l’égalité de genre. Ces rencontres rassembleront scientifiques, artistes et militants, offrant un lieu d’échange et d’inspiration pour un avenir où le rôle des femmes et l’adoption de pratiques durables seront au cœur des préoccupations.
Avec « YAAY DUND – Régénérer le vivant », Raphael Belmin rend un hommage poignant aux héroïnes invisibles de l’agroécologie, celles qui œuvrent « dans l’ombre pour garder notre monde vivant ». « Ne vous arrêter pas aux images. Ce qui compte ici, ce n’est pas uniquement la dimension esthétique ou poétique des photos, ces images se veulent aussi un miroir de la condition de ces femmes africaines, de leur engagement de leur travail de soin quotidien pour le monde vivant », a déclaré Belmin.
ATTÉNUATION CLIMATIQUE, LE SÉNÉGAL A BESOIN DE 13 MILLIARDS $, SELON LE DR GORA NIANG
Selon lui, les phénomènes climatiques extrêmes que nous constatons, tels que les crues soudaines ou les épisodes de pluies intenses comme les 140 mm en une seule journée à Touba, montrent l’urgence d’actions concertées.
Invité de l’émission matinale Salam Sénégal sur Radio Sénégal Internationale, le Docteur Gora Niang, expert en énergie, environnement, et ancien directeur du Centre d’éducation et de formation environnementale au ministère de l’Environnement, a livré une analyse approfondie sur les enjeux environnementaux et climatiques à l’aube de la COP29. Au cours de son intervention, il a abordé les thèmes cruciaux du changement climatique, des priorités nationales du Sénégal et des défis que posent les climatosceptiques dans la lutte mondiale pour l’environnement.
Selon le docteur Niang, la COP29, qui se tient cette année à Bakou, est une tribune mondiale où chaque pays est appelé à renforcer son engagement face au réchauffement climatique. « Ce rendez-vous annuel rassemble le monde depuis 1995 pour débattre du changement climatique. Les phénomènes climatiques extrêmes que nous constatons, tels que les crues soudaines ou les épisodes de pluies intenses comme les 140 mm en une seule journée à Touba, montrent l’urgence d’actions concertées. À Bakou, les pays se rassemblent pour discuter de solutions durables, éviter la destruction de la planète, et apporter un soutien aux nations vulnérables comme le Sénégal qui font face aux avancées de la mer et à d’autres menaces écologiques », a-t-il déclaré.
Le docteur Niang a ensuite abordé les priorités climatiques pour le Sénégal, en particulier la nécessité d’adaptation et d’atténuation face aux impacts du changement climatique. Il a rappelé que la contribution nationale déterminée (CDN) du Sénégal a déjà été établie, évaluant les besoins à 13 milliards de dollars américains pour financer les mesures d’atténuation et d’adaptation. « Le Sénégal ne peut pas mobiliser seul de tels fonds. Le soutien de la communauté internationale est vital pour financer des actions durables, telles que les infrastructures résistantes aux inondations et l’implantation d’énergies renouvelables », a-t-il souligné, insistant sur la nécessité d’un accès équitable aux financements climatiques.
À la question de l’impact des climatosceptiques, Dr. Niang a dénoncé l’attitude de certains leaders internationaux qui remettent en question les changements climatiques. « Les experts du GIEC, des scientifiques de toutes disciplines, alertent depuis des décennies sur l’évolution du climat. Le changement climatique est un phénomène réel, et il est regrettable que certains continuent de le nier. Les récents événements climatiques extrêmes, comme les ouragans aux États-Unis et les inondations en Europe, montrent que personne n’est à l’abri », a-t-il affirmé. Il a exhorté les pays à renforcer leur engagement malgré l’influence de certains pays climatosceptiques.
Dr. Niang a également exprimé sa déception face à l’absence de discours écologique dans la campagne électorales pour les législatives. « Aucun candidat n’a abordé la question de l’environnement ou de la protection du climat. Pourtant, des mesures urgentes sont nécessaires : le renforcement du transport en commun comme le TER ou le BRT, la promotion de l’énergie solaire, les constructions écologiques… C’est ce que l’on attend de nos dirigeants pour une action efficace contre le changement climatique », a-t-il déploré, appelant les décideurs à intégrer ces questions dans leurs programmes politiques.
Le docteur Gora Niang a insisté sur l’urgence pour chaque nation de reconnaître et d’agir face à la crise climatique. Les discussions de la COP29 pourraient ouvrir la voie à des actions concrètes, mais, selon lui, cela nécessite un engagement collectif et une compréhension profonde des défis que posent le réchauffement climatique et ses conséquences pour l’avenir de la planète.
par Aboubacry Moussa LAM
MULTIPLE PHOTOS
LE PULAAR NE MÉRITE PAS CELA AU SÉNÉGAL
Vouloir imposer l’assimilation à tous par l’hégémonie forcée d’une langue est un projet insensé. Revenons à la raison et trouvons un aménagement linguistique plus équitable et plus respectueux de nos réalités
La récente contribution cosignée par Ngugi wa Thiongo et Boubacar Boris Diop, à laquelle répond celle de Boubou Sanghote, auxquelles viennent s’ajouter celles antérieures du même Boubacar Boris Diop et de Souleymane Bachir Diagne nous poussent toutes à nous pencher sur une question à laquelle nos travaux académiques et notre statut d’écrivain en langue pulaar nous avaient déjà familiarisé depuis fort longtemps. Nous ne voulions pas nous engager dans un débat qui, compte tenu de sa nature, soulève forcément des passions alimentées par des partis pris difficiles à éviter du fait de nos appartenances et de nos idéologies linguistiques différentes.
Le pulaar est notre langue maternelle et une bonne partie de notre production, toutes catégories confondues, s’est faite dans cette langue. Contrairement à Boubacar B. Diop qui s’est promis de privilégier le wolof, nous écrivons, pour le moment, plus dans la langue française (notre dernier essai dans cette langue remonte seulement au mois de mai 2023 alors que celui en pulaar à 2012). Mais, en toute honnêteté, nous sommes plus à laise en pulaar qu’en français et un amour profond nous attache au pulaar. Cela est si vrai que nous avons pris le risque de déplaire à de nombreux Fulɓe en affirmant courageusement que leur vrai combat ne doit pas être l’affirmation de la « Pulaagu » (la manière d’être des Peuls et dont ils sont très fiers) mais celle du pulaar, leur langue commune.
En effet, en 2012 quand nous écrivions cela, nous étions convaincus, après avoir assisté au Assises de Tabital Pulaagu International à Bamako, en 2002, que sans le pulaar, la « Pulaagu » ressemblerait à un « tuuba ba alaa duhól », c’est-à-dire un pantalon bouffant sans ceinture. C’est reconnaître que dans un débat linguistique, idéologique et politique impliquant cette langue, nous ne pouvons rester neutre. Cependant, en universitaire qui cherche à être digne de ce titre, tout ce que nous avancerons dans nos positions, reposera sur des faits tangibles, les plus objectifs possibles, et non sur nos voeux ou penchants.
Nous pensions donc tôt ou tard nous prononcer sur la place faite au pulaar au Sénégal, notre pays. C’est le lieu de rappeler que cette langue est transfrontalière et concerne donc plusieurs pays de l’espace compris entre le Sénégal et le Soudan (au moins 24 pays d’après certaines sources) où elle rancontre différents problèmes. Mais nous nous limiterons seulement aux difficultés du pulaar au Sénégal pour nous en tenir aux faits que nous maîtrisons.
La raison directe qui nous a poussé à nous jeter à l’eau est le constat que nous avons fait à l’occasion de l’avant-première du film « 1776 : Thierno Souleymane Baal et la Révolution du Fouta » au Cinéma Pathé de Dakar, le 3 septembre 2024. En effet, le mot de bienvenue qui débutait la projection était ainsi libellé : « DAL LEEN AK JAMM/BIENVENUE ».
Surprise et indignation seraient les termes les plus justes pour décrire l’état dans lequel nous nous retrouvâmes alors à cet instant. Comment est-il possible d’« oublier » le pulaar dans la bienvenue pour un film sur le digne fils du Fuuta que fut Ceerno Siléymaan Baal ? Il m’apparut en un éclair que cela ne pouvait pas être un oubli (une des responsables du film étant la petite fille de l’illustre personnage), mais bien quelque chose de volontaire. Nous eûmes donc brutalement la confirmation d’une conviction que nous avions déjà depuis longtemps que notre langue maternelle était, délibérément et méthodiquement, en train d’être exclue du champ linguistique du Sénégal : en effet, en la mettant de côté pour un événement concernant avant tout une région où elle était parlée, il devenait clair que sa marginalisation voire sa disparition était recherchée. En pensant aux conséquences que ce choix pouvait entraîner pour le pays, à court, moyen ou long termes, il devenait dès lors pour nous un devoir d’entrer dans le débat en l’enrichissant de nos points de vue. Notre objectif est d’apporter des éclairages permettant de voir :
1. La place du pulaar, au Sénégal surtout et en Afrique après ;
2. Certaines réflexions (anciennes et nouvelles) sur l’aménagement linguistique en Afrique et au Sénégal ;
3. La légitimité ou la pertinence de la voie suivie actuellement en matière d’aménagement linguistique ;
4. Et dans le cas contraire, la proposition de solutions qui nous semblent en mesure de rétablir l’équilibre et d’éviter au pays une aventure lourde de menaces.
Nous ne ferons pas un tour d’horizon complet sur la question de l’aménagement linguistique. Nous nous contenterons de trois réflexions qui nous semblent éclairer suffisamment la question.
Nous commençons par Cheikh Anta Diop qui, dans le cadre de la renaissance africaine, a proposé l’État fédéral comme solution organisationnelle étatique. Ce faisant, il a abordé la question de l’aménagement lingistique au niveau fédéral et au niveau des États fédérés.
Le poids du pulaar au Sénégal et en Afrique
Au Sénégal
Pour ce qui est du poids du pulaar au Sénégal, nos analyses s’appuient essentiellement sur les documents officiels que sont les deux recensements de 2013 et de 2023. Nous n’ignorons pas que les effectifs sont vraisemblablement en deçà de ce qu’ils auraient dû être en raison des difficultés de recensement en rapport avec les activités dominantes du groupe, l’élevage et l’agriculture.
Nous commençons par la cartographie qui a l’avantage d’être plus explicite quand il s’agit de camper la répartition spatiale des locuteurs des principales langues du pays.
Cette carte (voir en illustration 1) s’accompagne du commentaire suivant :
Données linguistiques pour le Sénégal
Le recensement de 2013 au Sénégal recense plus de 30 langues et dialectes parlés dans le pays. Bien que le français soit la langue officielle, il n'est parlé que par environ 37 % de la population, principalement comme deuxième langue. En revanche, 72 % utilisent le wolof pour communiquer avec les locuteurs d'autres langues sénégalaises. Le recensement indique que le wolof est également la première langue la plus parlée (50 % de la population), suivi du pular (25 %) et du sérère (11 %). En 2001, six langues ont reçu le statut de langue nationale : le wolof, le sérère, le pular, le mandingue, le soninké et le diola-foñy.
Le wolof est la langue la plus parlée dans les zones urbaines et à la radio. Le français est presque la seule langue parlée à la télévision et dans la presse écrite.
Cette description reste globalement fidèle sauf pour le statut du français à la télévision. Le wolof s’est taillé depuis la part du lion à la télévision. Cette carte de 2021 reprend des éléments du recensement de 2013 et montre clairement que le pulaar domine largement dans tous les départements de l’arrière-pays, avec un taux de couverture de 52 à 55% sauf dans les parties ouest et sud-ouest. Elle pourrait être considérée comme dépassée parce que s’appuyant sur des données remontant à onze ans. Cependant, les données du recensement de 2023 confirment la place prépondérante du pulaar dans l’arrière-pays. En effet, l’exploitation du tableau ANSD. RGPH-5, 2023, de la page 81 du rapport provisoire nous apprend que le bloc wolof/pulaar/seereer compte, à lui seul, 14 235 077 locuteurs sur un total (langues locales et étrangères confondues) de 15 940 213. Dans ces 14 235 077, le pulaar représente 4 175 468.
Il nous apprend également que les autres langues locales du pays totalisent 1 313 508 locuteurs. Ainsi, le wolof et le seereer étant cantonnés à l’ouest et au centre-ouest du pays, l’omniprésence du pulaar sur le reste du Sénégal est un fait qui demeure encore. Le décalage entre le nombre de Sénégalais (18 126 390) et les 15 548 580 représentant les locuteurs des langues locales s’explique par la non prise en compte, tout à fait logique, des enfants de moins de trois ans pas encore en âge d’être recensés comme locuteurs d’une langue donnée (2,4%), des résidents sénégalais absents (7%), des locuteurs de langues étrangères, etc.
Donc sur le plan géographique, le pulaar est la langue la plus présente, globalement parlant tandis que le wolof se cantonne essentiellement dans les villes concentrées presque toutes en pays wolof, c’est-à-dire à l’ouest du pays. Autrement dit, dans le cadre d’un aménagement linguistique équitable, ne tenant compte que des réalités objectives du terrain, le pulaar est incontournable dans de nombreuses régions (5 au total) où il est parlé, rappelons-le, par 52 à 55% des populations. Ces régions sont : Saint-Louis, Matam, Tambacounda, Kédougou et Kolda. Quand on pousse plus loin l’analyse des cartes interactives du site de « Translators Without Borders », il apparaît que même dans certaines régions où le wolof, le manndiŋka, le joolaa sont en tête, le pulaar vient en deuxième position. C’est déjà le cas pour Dakar où le wolof fait 61,6% et le pulaar 12,8%. C’est encore le cas dans la région de Sédhiou où il fait 24,1% derrière le manndiŋka (40,7%). C’est aussi le cas dans la région de Louga où il se place juste derrière le wolof (71%) avec 26,8%. C’est toujours le cas dans la région de Kaffrine où le wolof arrive en tête (avec 66,7%), suivi du pulaar qui fait 17,2%. Dans la région de Kaolack, le pulaar vient en troisième position (15%) après le wolof (61,2%) et le seereer (17%).
C’est le même cas dans la région de Diourbel où le pulaar occupe aussi la troisième place (6,3%) même si c’est loin derrière le wolof (54,8%) et le seereer (38,9%). Même en pays seereer, dans la région de Fatick, le pulaar conserve toujours sa troisième place (3, 6%) derrière le seereer (86%) et le wolof (9,3%. Dans la région de Thiès, le pulaar conserve encore sa troisième place (7,7%) derrière le wolof (72,8%) et le seereer (16%). C’est seulement dans la région de Ziguinchor que le pulaar (13,1%) vient en quatrième position après le Joolaa-Fóóñy (29%), le wolof (17,1%), le Manndiŋka (16,8). Dans les cinq régions qui restent, le pulaar est majoritaire à 52/55%.
Nous avons déjà dit plus haut que ces données sont celles tirées du recensement de 2013 et qu’on pourrait penser qu’elles ne sont plus actuelles. Il n’en est pourtant rien. En effet, l’exploitation du tableau (voir en illustration 2) issu du recensement de 2023, p. 47 ou 82 en pagination continue, montre que le poids du pulaar a même augmenté au lieu de reculer comme celui de certaines langues :
Sur les dix ans écoulés entre les deux recensements, le pulaar passe ainsi de 24,6% à 26,2% soit une progression de 1,6% alors que le seereer régresse de 11,1% à 9,6% (1,5% de perte) ; le joolaa, de 3,6% à 2,9% (0,7 de perte) ; et que le Manndiŋka reste stable (passant de 2,7% à 2,8%). Le wolof a fait le bond le plus fort en passant de 50% à 53,5%, sans doute du fait de son dynamisme propre mais aussi du fait de l’absorption du seereer complètement enclavé dans sa zone géographique. Cette absorption se ferait, d’après des sources bien informées, essentiellement dans le Bawol, avec l’islamisation et la mouridisation de certains Seereer.
En Afrique
À l’échelle du continent, le pulaar est la seule des grandes langues à aller de l’Atlantique à la mer Rouge, soit une distance, à vol d’oiseau, de 6 478 km. Il s’étend ainsi sur toute la bande saharo-équatoriale sans rupture spatiale jusqu’au Tchad et de manière discontinue jusqu’au Soudan ; se présentant ainsi comme la langue la plus répandue et la plus partagée, avec une vingtaine de pays où elle est présente. Il est ainsi sans doute la seconde langue après l’arabe en termes de répartition spatiale. Il va pratiquement du 5ème au 18ème parallèle de latitude, de l’Atlantique à la mer Rouge (zones poularophones des régions du Nil Bleu, d’Adret, de Kassala, au Soudan Oriental), soit une superficie d’environ 9 000 000 de kilomètres carrés (voir carte en illustration 3). Il est généralement classé comme la 4ème langue de l’Afrique en termes de locuteurs derrière le swahili, l’haoussa et le yoruba. Viennent ensuite l’oromo, l’igbo, l’amharique, le lingala, le zulu et, enfin, le shona.
Comme on peut le constater ici, le wolof est absent du « top 10 » des langues les plus parlées en Afrique. Au Sénégal même, son statut de langue la plus parlée ne se vérifie que dans les grandes villes que le système colonial a créées sur les côtes et dans le bassin arachidier situés à l’ouest. Donc son hégémonie est loin d’être absolue, surtout par rapport au pulaar qui tient les campagnes du pays.
Le yoruba (20,6%, soit 39,6 millions, l’haoussa (18,3% soit 35,2 millions, et l’igbo (14,8, soit 28,5 millions ne débordent que très peu les frontières du Nigéria. Autrement dit, ces trois grandes langues africaines se concentrent dans un espace géographique réduit à l’inverse du pulaar (7,9%, soit 15,3 millions) qui, bien que présent dans le même espace, se retrouve à l’ouest et à l’est de cette zone commune (voir carte en illustration 3).
L’oromo et l’amharique sont dans la même situation que le yoruba, l’haoussa et l’igbo. Ces deux grandes langues par le nombre de locuteurs se réduisent à l’espace éthiopien (voir carte en illustration 4).
Terminons par la langue la plus parlée en Afrique, le swahili. La carte en illustration 5 (le jaune) montre que cette langue occupe elle aussi un espace géographique relativement réduit : Tanzanie, Kenya, Ouganda, Rwanda, Burundi, l’est de la RDC, le nord du Mozambique, Zanzibar ; ce qui constitue un bloc compacte. cependant, son aire déborde sur le Soudan du Sud, la Somalie, le Malawi, les Comores et le Yémen. On estime le nombre des locuteurs du swahili à environ 150 000 000 là où ceux du pulaar sont évalués à 50 000 000. Mais, d’après notre ami Amadou Sadio Dia, un géographe qui a parcouru tous les pays peuls d’Afrique, ce chiffre est en deçà de ce qu’il aurait dû être.
S’il faut tenir compte du fait que les « Ful » ne sont pas reconnus dans les statistiques officielles des États comme le Sud-Soudan (prolongement méridional du Kordofan), le Kenya (périphérie occidentale du lac Turkana), l’Éthiopie (vallée de Gambella), la RCA ( les dits « Mbororo » sont présumés « nomades sans lieux fixes »). Parfois, ce sont des régimes racistes et dictatoriaux qui « trafiquent » ou biaisent les statistiques (Mauritanie, Soudan-Khartoum). Au Nigeria du nord et du nord-est, il y a un problème de définition précise et concise du concept « Fulani » pour bien des groupes et se posent des questions statistiques que le Nigeria officiel ne résout pas. Enfin, quid des Ful qui se baladent librement et tournent le dos aux autorités pour se faire recenser alors qu’ils existent bel et bien dans la réalité (sans bulletin de naissance, encore moins de carte d’identité ? [Communication personnelle du 12/10/2024].
En conclusion, l’atout incontestable du pulaar en Afrique, c’est son extension géographique. Avec un appui politique de tous les États où il est parlé, il aurait pu être un concurrent plus que sérieux pour le swahili dans le choix d’une langue de travail pour l’Union Africaine : certaines sources diplomatiques affirment même que la proposition de Kadhafi dans ce sens fut vivement combattue par les présidents du Sénégal et de la Mauritanie. On peut deviner aisément les raisons d’une telle attitude pour chacun de ces deux pays.
Une théorie défavorable
Cheikh Anta Diop
Cheikh Anta a préconisé très tôt l’usage des langues locales dans le cadre de la renaissance africaine. C’est en effet dans un texte intitulé « Quand pourra-t-on parler d’une renaissance africaine ? » qu’il écrit : « Toutes ces raisons – et bien d’autres – nous incitent à poser comme condition préalable d’une vraie renaissance africaine le développement des langues indigènes. On apprend mieux dans sa langue maternelle parce qu’il y a un accord incontestable entre le génie d’une langue et la mentalité du peuple qui la parle. D’autre part, il est évident qu’on évite des années de retard dans l’acquisition de l’enseignement » [texte publié pour la première fois en 1948 et repris dans Alerte sous les tropiques, Présence Africaine, 1990, p. 35].
Cheikh Anta estime ce retard à six ans (même page). Précisant sa pensée dans Nations nègres et culture (synthèse de ce qui devait être sa thèse de Doctorat ès Lettres publiée en 1954), précisément à la page 416 du tome II, il estime que l’unité linguistique doit d’abord être réalisée à travers le choix d’une langue unique dans un territoire. Pour le Sénégal qu’il prend pour exemple, cela doit être fait malgré la vivacité « des particularismes (sérère, diola, ou toucouleur), qui ont parfois la force d’un véritable micro-nationalisme » reposant sur l’ignorance de la parenté entre les langues de ces groupes. Lequel, pense-t-il, peut être évité par une démonstration de cette parenté (Les fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique Noire, Présence Africaine 1960, p. 20) Mais, reconnaissant aussi que cette unité ne tombe pas du ciel, il dégage une méthodologie s’appuyant sur l’histoire de la France qui a utilisé la violence coercitive pour imposer le français :
Cette dernière, loin d’être un fait naturel propre à certains pays privilégiés et faisant défaut à d’autres, apparaît comme le résultat d’un effort officiel conscient à travers le temps. Le français n’a pu s’imposer aux différentes provinces que par un étouffement des langues locales : il importe de souligner ici qu’il ne s’agissait pas de dialectes du français mais de véritables langues différentes de la langue française ; un Basque ou un Breton, etc. qui n’a pas appris le français est incapable de saisir la moindre idée exprimée en cette langue et inversement (souligné par nous) […] La multiplicité des langues est donc un problème qui a été résolu ailleurs, du moins pratiquement, et que nous pouvons résoudre à notre tour [Nations nègres et culture, pp. 416-417].
Cheikh Anta élude la question subséquente qui vient immédiatement à l’esprit de tout décideur : le Sénégal de 1960 pouvait-il se permettre d’exercer la violence qu’un tel choix supposait ? C’est donc tout logiquement qu’il arrive à la conclusion que dans un pays comme le Sénégal, en toute objectivité, le choix du walaf s’impose comme langue nationale, comme langue de gouvernement : toutes les minorités sont pratiquement bilingues et parlent le walaf [Les fondements…, pp. 20-21].
Mais Diop sent la contestation prévisible quant à l’objectivité et à la pertinence de son choix ; il y répond et enfonce le clou : « On voit ainsi que, suivant le contexte local, des langues de culture, comme le toucouleur-peulh, entrent dans la catégorie de groupes minoritaires, tandis qu’il en est autrement dès qu’il s’agit de régions telles que le Fouta-Djallon ou le Nord-Cameroun […] Un gouvernement sénégalais approprié pratiquera un jour systématiquement une politique culturelle visant à favoriser le développement de la langue dans les meilleurs délais […] Le walaf devra devenir le plus rapidement possible la langue de gouvernement utilisée dans tous les actes publics et politiques : interventions au parlement, rédaction de la constitution, du code, etc. » [c’est nous qui soulignons ; même source, pp. 21-22].
Pour la langue fédérale, il pense que « le choix d’une telle langue devra incomber à une commission internationale compétente, inspirée par un très profond sentiment patriotique, à l’exclusion de tout chauvinisme déguisé » [Les fondements…, p. 23]. Comme dans le cadre de l’Union Soviétique, celle-ci « couvrira toutes les langues territoriales de la même façon que le russe se superpose à la langue de chaque république soviétique. » (même source et même page).
Dans son analyse, Cheikh Anta aborde aussi un point crucial pour l’aménagement linguistique en Afrique indépendante. Il remarque que les principales langues qui se sont développées au détriment d’autres ont en fait été favorisées par une économie coloniale extravertie (Nations nègres…, II, p. 416). Cheikh Anta pense qu’une telle situation pourrait évoluer et s’inverser même si certains facteurs en cause restaient encore indéterminés au moment où il écrivait : …Le jour où l’économie africaine sera entre les mains des Africains eux-mêmes et qu’elle ne sera plus adaptée à des nécessités d’exploitation mais à leurs besoins, la concentration démographique s’en trouvera modifiée : les langues de certaines régions perdront de leur importance alors que celles d’autres régions (Guinée française, par exemple) en acquerront [p. 416].
Cette prospective, même si l’économie du continent n’a pas totalement rompu avec son extraversion 70 ans après, connaît un début de vérification avec, un peu partout, des politiques publiques plus soucieuses des besoins des populations et des équilibres régionaux. Les flux de populations vers des zones, jusqu’alors privilégiées, ont totalement cessé ou en voie de se tarir : c’est le cas du bassin arachidier de l’ouest du Sénégal sous les effets combinés de l’épuisement des sols, de la sécheresse et du développement de la riziculture dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal. Désormais les destinations recherchées des partants sont la Côte-d’Ivoire, l’Afrique Centrale ( les deux Congo et la République Centrafricaine), Orientale (Zambie), Australe (Afrique du Sud) ou même l’Europe et l’Amérique du Nord. Ce processus se fait, à n’en pas douter, au détriment de la langue wolof qui, d’un autre côté, ne bénéficie plus de l’exode rural si fort durant les années 1970 dans les centres urbains, presque tous situés en pays wolof, du fait des sécheresses répétitives. C’est cela qui inquiète les « suprémacistes » wolofs et les pousse à faire du forcing pour imposer le wolof hic et nunc (tout de suite) avant qu’il ne soit trop tard. Par suprémacistes, nous entendons tous ceux qui s’activent pour que les Wolofs soient au-dessus de tous et le wolof au-dessus de toutes les autres langues, à tout prix, et refusent de voir que le Sénégal est fondamentalement un pays multi-ethnique, où chaque groupe doit être mis à l’abri du mépris culturel et s’épanouir dans la paix. Il en existe malheureusement dans notre pays.
Pathé Diagne
Pathé Diagne aussi s’est essayé à l’aménagement linguistique en Afrique dans un texte publié dans la revue Présence Africaine : « Linguistique et culture en Afrique », Présence Africaine, Nouvelle série, n° 46, 2ème trimestre, 1963, pp. 52-63. Appréciant la situation linguistique en Afrique de l’Ouest, il distingue deux grands types de langues : D’une part les langues urbaines véhiculaires en expansion constante : Malinke-Dioula, Wolof, Hawsa, Susu et Fon. D’autre part les parlers de groupes « ethnico-linguistiques » repliés sur eux-mêmes dans des zones quelque peu en marge des courants de l’économie moderne. Il en est de toutes sortes. Certains parlers importants : Poular, Sourhai, Tamaslek, More Djenma…d’autres constituent des dialectes d’un ou de deux villages. Les langues « urbaines véhiculaires en expansion » définissent des aires linguistiques à vocation nationale. Et c’est sur elles que devraient [sic] reposer l’insertion progressive de la culture africaine dans l’enseignement scolaire et universitaire [p. 61].
Ainsi, pour Pathé Diagne, les langues du second groupe sont condamnées à tomber dans la confidentialité, voire à disparaître à l’exception du pulaar et du More, par exemple. Les raisons qui conduisent Pathé Diagne à « repêcher » le pulaar et à l’intégrer dans le premier groupe sont d’un grand intérêt :
Il convient de leur adjoindre dans le second groupe ceux des parlers dont l’importance numérique est exceptionnelle. C’est le cas du Poular [souligné par nous]. Le choix du Poular oblige apparemment à rompre une tendance qui se dessinait sans se préoccuper de cette langue. L’assimilation des AL Poular telle qu’elle s’est faite au Sénégal et telle qu’elle s’opère par le bilinguisme au Macina et en Basse Guinée préfigurait son élimination au même titre que le Sérère ou le Sourhai devant les langues urbaines. Mais l’existence d’un autre facteur pèse : la mise en valeur des vastes régions habitées par les groupes Pular [sic], More…est susceptible d’introduire un renversement de tendance, du moins de faire apparaître de nouvelles aires linguistiques homogènes et fortes [p. 61, souligné par nous].
À l’arrivée, Pathé Diagne retient qu’il faut concevoir la politique linguistique de l’Afrique de l’Ouest autour de « quatre aires : Mandé, Hausa, wolof, Poular » (p. 61). Revenant sur l’aire wolof, Pathé Diagne estime qu’au Sénégal de l’époque, « l’unité linguistique est pratiquement réalisée. » (souligné par nous). Malgré cette unité linguistique presque terminée, Pathé Diagne se croit obligé « d’insister sur la nécessité d’un large travail d’explication sans lequel on ne ferait que susciter de violents remous »(p. 63).
Ces passages de Pathé Diagne méritent quelques commentaires :
– Bien que fervent partisan de la wolofisation totale du Sénégal, Il n’a pu ignorer l’importance du pulaar par le nombre de ses locuteurs et la résilience qui pourrait être la sienne avec un développement économique équilibré. Comme on le verra plus loin, c’est sa seule prévision que les faits ont confirmée.
– Comme le montrent clairement les tendances économiques actuelles, les éléments qui faisaient la force du wolof, n’opèrent plus aussi efficacement qu’avant ; d’où le piétinement actuel de son expansion.
Il commence tout d’abord par nous rappeler ce qu’il faut entendre par langue maternelle. Pour ce faire, Fary Ndao cite la définition de l’Unesco, l’organisme en charge de l’éducation et de la culture : « la ou les langue(s) de l’environnement immédiat et des interactions quotidiennes qui construisent l’enfant durant les quatre premières années de sa vie ». Il attire ensuite notre attention sur le fait que « beaucoup d’enfants africains, notamment en Afrique de l’Ouest, ont une langue maternelle africaine de portée nationale (wolof au Sénégal, bambara au Mali, fon au Bénin) et une seconde langue maternelle d’extension régionale parlée dans leur village, leur ville ou leur province. » Une telle situation lui permet de nous faire sa proposition d’aménagement linguistique : « En Afrique, il ne s’agira pas de remplacer le français ou l’anglais par une seule autre langue, fût-elle africaine. Il apparaît plus judicieux de se diriger vers un enseignement multilingue basé sur la langue maternelle comme le recommande l’Unesco et ses nombreuses études de cas pratiques depuis 1953. Cet enseignement pourrait se décliner comme suit : une langue africaine d’extension régionale pour la primo-alphabétisation, rapidement complétée par l’enseignement dans la langue africaine de portée nationale avant l’enseignement des langues internationales. Le triptyque « un territoire, une langue officielle, une nation » est davantage un fantasme qu’une réalité tangible dans les pays africains.
Il recommande que « la primo-alphabétisation » se fasse dans la langue maternelle de l’enfant pour qu’il puisse bénéficier de tous les avantages de l’opération ; en pulaar dans une zone comme le Fuuta mais que dans d’autres régions ayant des identités linguistiques fortes, des concertations sur le choix de la langue de primo-alphabétisation pourraient être menées par les autorités administratives avec les parents d’élèves, les enseignants appuyés par des spécialistes en sciences cognitives.
En clair, si l’enfant est dans une zone où sa langue maternelle est fortement minoritaire, il faudra une concertation entre les acteurs concernés pour trouver une solution. L’enfant devra-t-il s’exiler ou prendre par défaut la langue dominante ? Pour toute réponse, Fary Ndao nous renvoie à l’expérience burkinabè des années 2000. En tout état de cause, les réalités du Sénégal ne sont pas superposables à tout point de vue à celles du Burkina.
Une pratique hostile au pulaar
Celle de Diop
Rentré au Sénégal, Diop se lança dans la lutte politique afin de pouvoir appliquer ses idées sur la renaissance (utilisation des langues et fédéralisme). Il fonda à cet effet trois partis (B.M.S., en 1960 ; F.N.S., en 1963 et R.N.D., en 1976). Malheureusement, le succès ne fut pas au rendez-vous. Cependant, poursuivant ses idées, il délivra la plupart de ses déclarations politiques, faites dans le cadre de meetings et de manifestations, en wolof. Il tenta aussi, selon certaines sources ayant milité au sein du R.N.D., d’imposer le wolof comme langue de travail dans les réunions du parti à Dakar, même là où les locuteurs d’autres langues étaient majoritaires. Les deux organes de son dernier mouvement politique portèrent des noms wolofs (Siggi, puis Taxaw) et comportèrent une page « wolofal » (wolof transcrit en caractères arabes pour ceux qui n’ont pas accès au français).
Il est fort probable que les tentatives d’introduction du wolof à l’Assemblée nationale par Babacar Niang (finalement réussies) ont mûri au R.N.D. En effet, c’est lui, en tant que suppléant de Cheikh Anta, qui accepta d’occuper le seul siège obtenu par ce parti aux législatives de 1983 et que le titulaire avait refusé d’occuper pour des raisons de manque de transparence dans le vote. C’est le lieu de rappeler qu’il finit par créer le P.L.P. en août 1983, rompant ainsi avec le R.N.D. (avec lequel son parti fusionna par la suite, en 1997) mais conserva son idéologie. On se souvient encore de sa passe d’armes avec le ministre de l’économie et des finances, Mamoudou Touré, qu’il avait interpelé en wolof et qui lui répondit en pulaar sous l’oeil amusé de Daouda Sow, président de l’Assemblée de l’époque.
Ces premières difficultés à imposer le wolof ont dû faire prendre conscience à Cheikh Anta Diop que les choses n’étaient pas aussi simples qu’il le croyait dans ses théories estudiantines. Il avait certainement vu que le prix à payer pour étouffer une langue comme le pulaar serait énorme sans que le résultat soit pour autant garanti compte tenu de son emprise géographique, aussi bien au Sénégal (la plus parlée sur plus de 2/3 du pays, soit 142 432/196 722 kilomètres carrés) qu’en Afrique (9 000 000 de kilomètres carrés).
Sur le plan théorique, la solution de Cheikh Anta Diop qui s’inspire des modèles français et soviétique est inadaptée à l’environnement actuel. En effet, on n’est plus au temps ou une ordonnance suffisait pour tuer ou marginaliser des langues. Voyons donc de plus près la fameuse ordonnance de François 1er (dite de Villers-Cotterêts ) prise en 1639 dont l’article 111 se présentait comme suit :
– Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l'intelligence des mots latins contenus esdits arrests, nous voulons d'oresnavant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques, actes et exploicts de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement.
Et le monarque de droit divin substituait ainsi le français au latin, utilisé jusqu’alors. Ce coup de pouce royal allait lui permettre de s’imposer, à partir de ce moment, comme seule langue de l’État et de l’administration dans le royaume de France, marginalisant ainsi toutes les autres langues parlées jusqu’alors. La formule « car tel est nostre plaisir » qui termine l’ordonnance de François 1er montre que le roi était le seul à décider et n’avait de compte à rendre à personne. Aujourd’hui, nous sommes dans une démocratie régie de surcroît par une constitution qui ne donne la primauté à aucune des langues déjà codifiées (article 1er, alinéa 2 de la constitution de 2001) et préconise l’unité mais dans « le respect des spécificités culturelles de toutes les composantes de la nation. » (préambule). Quant au modèle soviétique, n’oublions pas que le russe a été imposé par la Russie impériale, d’abord, puis par l’État central soviétique, aux populations de l’Union et qu’avec la chute du mur de Berlin, en 1990, les autres langues ont repris leur droit au détriment du russe dans les États baltes et ailleurs. La présente guerre en Ukraine est partie des tentatives d’étouffement de cette langue russe, jadis dominante, au profit de l’ukrainien qu’on tente d’imposer aux minorités russophones du pays. La leçon à tirer de tout cela, c’est que la contrainte et la violence ne sont pas une garantie absolue pour pérenniser la suprématie d’une langue ; au contraire, elles suscitent une haine séculaire de la part des opprimés. S’il y a des gens que détestent les Ukrainiens, ce sont bien les Russes, contraints aujourd’hui de s’attaquer militairement à l’Ukraine pour des raisons avant tout linguistiques, car il s’agit officiellement de sauver les minorités russophones maltraitées depuis déjà de longues années et obligées de se rebeller pour exister culturellement.
Si Cheikh Anta était encore vivant, il n’aurait pas manqué, en homme avisé, de réévaluer ses propositions en matière d’aménagement linguistique. Pour la future langue de l’État fédéral africain, il opta pour le swahili (voir Antériorité des civilisations nègres, Présence Africaine, 1967, pp. 112-114) sans attendre la commission qu’il préconisait dans son livre sur l’État fédéral voir supra). Ici, on peut dire qu’il avait vu juste car cette option a finalement été choisie par l’Union africaine.
Celle de Diagne
Quant à Pathé Diagne, il a, une fois rentré au Sénégal, essayé, comme Cheikh Anta Diop de travailler la langue wolof pour la vulgariser et l’élever au rang d’une langue comparable aux grandes langues européennes. Rappelons qu’il a enseigné au département de linguistique de la faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’université de Dakar et a poursuivi ses recherches à l’IFAN. Citons parmi ses efforts la traduction du Coran et le lancement de Kaddu (un journal) dans cette langue. Ce que nous retenons de Pathé, c’est que sa passion pour la promotion du wolof au Sénégal fut telle qu’elle l’a poussé à faire des affirmations et prévisions démenties par les faits : à savoir que l’assimilation des Haal-pulaar-en était achevée en 1963 et que le pulaar serait voué à la disparition n’eût été un facteur qui pourrait le sauver. Or les chiffres fournis par les deux derniers recensements exploités prouvent qu’il n’en est rien, même en cette année 2024, c’est-à-dire 61 ans après sa prévision ! Ajoutons aussi que le seereer n’a pas disparu comme il le prévoyait (encore 9,6% de locuteurs) et qu’en 2013 (recensement), seuls 72% de Sénégalais parlaient wolof.
Celle du colonisateur et des présidents
Les explorateurs européens, les premiers, les administrateurs coloniaux, ensuite, divisèrent les Africains en « races » et « ethnies ». Les Fulɓe, par exemple, furent séparés des autres Noirs et classés comme Hamites, des Blancs à l’origine mais qui ont perdu leur pureté raciale. Au Sénégal, sous la houlette de Faidherbe et de ses successeurs, cette approche eut pour résultat la séparation, dans les recensements des populations, des Fulɓe des Toucouleurs avec qui ils partagent la langue pulaar. Cela apparaît dans un tableau de 1925 où on peut lire : « Peuls : 202 452 […] Toucouleurs : 160 161 » ( voir, Joël Glasman, « Le Sénégal imaginé. Évolution d’une classification ethnique de 1816 aux années 1920 », in https://www.geschichte-afrikas.uni-bayreuth.de/de/team/02-Joel-Glasmann/Publikationen_Bilder-und-Dokumente/Text_Afrique-et-histoire.pdf, p. 31.
Cette manière de faire a persisté après l’indépendance ou s’est même aggravée car dans les recensements officiels, le groupe poularophone, bien que partageant la même langue et la même culture, est éclaté entre Peuls, Toucouleurs et Laobés. C’est au recensement de 2023 seulement qu’une forte protestation des intéressés a conduit l’ANSD à procéder au regroupement de ces entités. Le « diviser pour régner » est passé par là. La conséquence de cette division faisait apparaître Fulɓe et Haal-pulaar-en comme des minorités comparativement aux Seereer (surtout) et aux Wolof. En effet, Joolaa et Seereer avaient été laissés dans leur homogénéité de groupes bien que parlant des dialectes sans intercompréhension à l’inverse du pulaar dont les locuteurs, disséminés à travers le continent, se comprenaient sans trop de difficultés.
C’est le Président Senghor qui prit les premières mesures significatives en faveur des langues nationales en signant en 1972 les premiers décrets pour leur codification. Ainsi, six d’entre elles furent codifiées : manndiŋka, pulaar, seereer, soniŋke, joolaa et wolof. Pour Senghor, toutes ces langues reconnues étaient d’égale dignité et lui-même s’adressait à la nation en français.
Cependant, d’après certaines sources, il ne serait pas étranger à l’aggravation de l’éclatement du groupe poularophone dont le poids inquiétait. Abdou Diouf continua cette tradition d’utilisation de la langue officielle du pays pour ses adresses solennelles, suivies de traductions en wolof après intervention du président au journal parlé ou télévisé. Avec lui, le wolof connut un grand essor du fait de la libéralisation des ondes à partir de 1994. Entre 1981 et 1984 les États Généraux de l’Éducation et de la Formation n’avaient pu trouver un consensus pour faire du wolof la langue d’union nationale et du pulaar celle de nos relations avec le reste de l’Afrique. D’après Boubou Sanghote, il aurait refusé de répondre favorablement à une première demande d’élever le wolof au rang de seconde langue officielle en 1992, ce après avoir reçu une délégation de notables poularophones opposés au projet pour troubles que son adoption risquait de déclencher.
Avec Abdoulaye Wade, un partisan de la promotion du wolof se retrouvait au plus haut lieu de décision du pays en 2000. Rapidement, il voulut mettre toute l’administration au wolof pour en faire une langue de gouvernement comme l’avait théorisé Cheikh Anta Diop dont il partageait les idées et le militantisme dans ce domaine. Mais, comme sous Abdou Diouf, la levée de boucliers fut telle qu’il dût renoncer à la prise d’une décision frontale qui, à coup sûr, mettrait le feu aux poudres. Ici, on comprend pourquoi Senghor l’avait surnommé « Njommboor » : en effet, il adopta la stratégie du « faire sans le dire ». Ainsi, il se mit à multiplier des adresses au pays en wolof, à accorder des entretiens dans cette langue, à donner à certaines sociétés et programmes étatiques des noms en wolof. Sans exagération, on peut affirmer que sous Wade, l’État s’est wolofisé sans faire de vagues. Autrement dit, Wade a atteint ses objectifs sans tambour ni trompette.
Cependant, c’est véritablement avec Macky Sall que les langues nationales autres que le wolof ont fini d’être marginalisées. Macky a systématiquement fait suivre son adresse en français d’une seconde en wolof, faisant de facto de cette langue la seconde langue officielle du Sénégal. Prenons l’exemple du pulaar : d’après Boubou Sanghote, Macky a déjà bien tendu la gorge de cette langue pour faciliter la tâche à celui qui viendra l’égorger ! Cela n’est pas excessif au vu des faits qui vont suivre :
Sous l’euphorie de l’avènement d’un poularophone à la tête du pays et pensant que cela allait faire plaisir à celui-ci, des journalistes profitèrent du défilé du 4 avril pour élargir le cercle du français et du wolof au pulaar. Deux de leurs confrères rapportèrent le fait au président Macky Sall et le convainquirent que cela n’était pas bon pour son image de nouveau président car il risquait d’être vu comme quelqu’un de « sectaire ». D’après Sanghote, des instructions furent données par qui de droit pour que cela ne se reproduise pas. Les émissions télé « Fooyre », « Deental » existèrent avant l’avènement de Macky mais restèrent sans lendemain. C’est sous le magistère de Macky que des émissions telles que « Hiirde », « Dingiral Fulɓe », « Yeelaa », « Yiitere Golle », « Yeewtere Islam » naquirent mais devinrent rapidement irrégulières et finirent par passer à la trappe. Rares parmi elles étaient hebdomadaires. C’est le lieu de préciser que certaines d’entre elles trouvèrent refuge à la 2STV (qui compte actuellement six émissions en pulaar) ou à la TFM. Au moment où Chérif Sy qui animait la seule émission religieuse en pulaar émigrait vers la TFM, le wolof se taillait 7 à 8 magazines consacrés à l’islam. Pourtant vu le rôle des poularophones dans l’islamisation de l’Afrique et particulièrement celle du Sénégal ainsi que leur nombre, la RTS n’aurait jamais dû commettre un tel déni de justice. Si nous récapitulons, au moment où nous écrivons ces lignes, la RTS compte une seule émission de 26 minutes en pulaar (Yiitere Golle) contre 6 émissions à la 2STV, une télévision privée, appartenant certes à un ressortissant du Fuuta (El Hadji Ndiaye). Ainsi, si Macky peut se targuer d’avoir désenclavé et électrifié la partie waalo du Fuuta, avec toutes les conséquences bénéfiques que cela induit, force est de reconnaître qu’il fut véritablement un bourreau des autres langues du Sénégal. Son statut de « métis » pulaar-seereer-wolof l’a conduit sans doute à croire que le wolof pouvait être le dénominateur commun des Sénégalais, mais si l’ingénieur des mines avait prêté une bonne attention à la géographie du pays plutôt que de se focaliser sur le nombre impressionnant des locuteurs du wolof des grandes villes, toutes situées dans le tiers ouest du pays, il aurait sans doute vu qu’imposer le wolof à tous relevait d’un tour de force quasi insurmontable dans l’environnement de ce premier quart du XXIème siècle, où la révolution de l’information et de la communication a fini de rendre vaine toute tentative de contrainte linguistique comme nous l’avons vu un peu plus haut.
Celle de la RTS et d’autres sociétés et leurs conséquences
Disons dès maintenant que la pratique des présidents décrite ci-dessus rejaillit nécessairement sur celle de la RTS qui est une société d’État. On aura donc un déséquilibre dans la grille des programmes de plus en plus favorable au wolof et qui finit par aboutir au constat que :
Au Sénégal, on note une « uniformisation au plan linguistique due à l’hégémonie de la langue wolof » (FES, 2013). Le diffuseur public intègre dans sa programmation les huit langues nationales reconnues. Cependant, la langue pulaar semble être favorisée, elle dispose de programmes spécifiques sur les TV mainstream tandis que des groupes ethniques restent complètement marginalisés (voir : Charles Moumouni et Sokhna Fatou Seck Sarr, « La télévision en ligne : enjeux de régulation et pratiques de diversité culturelle en Afrique subsaharienne », in Les enjeux de l’information et de la communication, n° 22/2, 2021/22, pp. 181-195 [https://shs.cairn.info/revue-les-enjeux-de-l-information-et-de-la-communication-2021-22-page-181?lang=fr, citation, p. 188].
Ce que remarquent ces observateurs s’explique par l’ostracisme que subissent les langues autres que le wolof à la RTS. Comme les poularophones sont plus nombreux et ont plus de moyens, ils ont tout simplement trouvé leur salut dans les TV mainstream. Notons que c’est là une riposte à laquelle la RTS ne s’attendait sans doute pas : la révolution communicationnelle est allée trop vite.
Pour analyser le cas spécifique du pulaar, les attaques contre la langue commencèrent d’abord par la technique du « cheval de Troie » qui a bien fonctionné en Mauritanie sur le plan politique. Mais le dernier ministre haal-pulaar nommé pour avaliser la « hassanisation » totale a fini par être démis faute de vouloir obéir jusqu’au bout. Elle a failli fonctionner avec un grand intellectuel haal-pulaar dont une contribution fit date. Après le tollé général qu’elle suscita au sein de la communauté poularophone, l’intéressé a fini par prendre conscience de la complexité de la question et est, depuis, revenu sur sa proposition et pense aujourd’hui que le multilinguisme est plus adapté au contexte du Sénégal :
Mais le forcing fait pour le wolof a, depuis, pris de l’ampleur. Ainsi, de la technique du « cheval de Troie », on est passé à celle du « camouflage linguistique » : Une certaine journaliste dont les prénom et nom sont loin de sonner wolof est l’animatrice de « Lantinoor », une émission faite en wolof. Cela paraît curieux. Pourtant cela ne l’est pas tant car cette personne est née à Rufisque et dans son portrait consultable sur la toile, on voit qu’elle est très à l’aise en wolof et peut-être même plus à l’aise en wolof qu’en français. Cela explique peut-être pourquoi un autre magazine d’actualité qu’elle animait déjà avant, se fait en wolof. Pourtant le nom du magazine, « Kassabor », est en joolaa et signifie « entraide » ou « confession publique » selon certaines sources.
Deux autres magazines sur la RTS1 s’intitulent « Champ contre Champ » et « Pluriel » alors qu’ils passent en wolof. Pour « Pluriel », nous avons, comme pour « Kassabor », un animateur dont les nom et prénom ne sonnent pas du tout wolof mais plutôt seereer. Ces faits curieux semblent indiquer une technique de camouflage qui permet d’éviter la confirmation du constat qu’au Sénégal, à la télévision, il y a « une uniformisation au plan linguistique due à l’hégémonie du wolof » (voir Charles Moumouni et Sokhna Fatou Seck Sarr, « La télévision en ligne : enjeux de régulation et pratiques de diversité culturelle en Afrique subsaharienne », in Les enjeux de l’information et de la communication, n° 22/2, 2021/22, pp. 181-195 qui citent, FES, 2013).
Quand on analyse cette pratique qui a cours à la RTS, on voit clairement que c’est l’assimilation qui est recherchée : ce sont des personnes wolofisées (c’est leur droit le plus absolu) qui animent des magazines dont le nom est emprunté à une autre langue du pays ou au français mais qui se font en wolof. Un tel choix n’est pas innocent car il contribue à réduire la langue utilisée pour le nom du magazine au rang d’appendice du wolof qui devient ainsi le dénominateur commun au Sénégal. Tous ceux qui ne sont pas prêts à accepter cela, sont qualifiés de sectaires. Dans l’entendement de certains, est sectaire toute personne qui refuse de se laisser assimiler.
Le sectarisme : parlons-en. Parler sa langue, ce n’est pas faire du sectarisme ; c’est tout simplement être soi-même. Qui est le plus sectaire entre celui qui ne parle que sa langue et veut que les autres parlent obligatoirement sa langue et celui qui, en plus de sa langue, parle une autre langue ? Les enclaves soninkés et wolofs du Fuuta sont bilingues, les commerçants wolofs du Fuuta ne sont pas obligés de parler pulaar ; s’ils le font, ils le font en toute liberté et pour le bien de leurs affaires. Alors pourquoi ne pas reconnaître la même liberté aux poularophones en pays wolofs ?
Le « neɗɗo ko banndum » (on ne peut avoir mieux que son parent) : parlons-en. Wade a fait pire que Macky dans ce domaine : il a fait du « neɗɗo ko ɓiyum » (on ne peut avoir mieux que son enfant) et cela poursuit encore le PDS (sans Karim, le parti ne doit rien faire). On s’est beaucoup trompé sur la véritable appartenance des Ba, Diallo, Soh et autres Bary promus par Macky : pour certaines personnes, ignorantes ou malintentionnées, ils ne pouvaient être que des Fulɓe ou des Haal-pulaar-en mais nombreux parmi eux étaient en réalité des gens qui avaient fini de se wolofiser depuis longtemps, ne parlaient un traître mot de pulaar et se reconnaissaient plus dans la peau de Wolofs que dans une autre. Il y a belle lurette que le nom ne fait plus l’ethnie dans nos grandes villes et même dans certaines de nos campagnes. Au nom de quoi Abdoulaye Wade peut-il faire de son fils ministre d’État, ministre de la coopération internationale, de l’aménagement du territoire, des transports aériens, des infrastructures (soit quatre ministères, et des plus juteux, entre les mains d’une seule personne qui, de surcroît, a la possibilité de rendre directement compte au président de la République) ; de sa fille Sindiély sa conseillère spéciale en matière de culture ; donner la présidence du groupe parlementaire libéral à Doudou Wade, son neveu ; tenter de nous imposer comme vice-président le même fils et vouloir encore aujourd’hui le rendre incontournable dans la vie politique du pays sans que certains ne trouvent rien à y redire ? Parce qu’il est wolof ? Macky ne devrait-il pas avoir le droit de nommer son frère ministre comme l’avait fait Abdou Diouf sans remarques sarcastiques ? Non, parce qu’il n’est pas wolof ? Certains suprémacistes doivent se faire à l’idée que ce pays n’est pas un bien des seuls Wolofs et que nous avons tous les mêmes droits et devoirs. Chacun doit donc pouvoir y parler sa langue sans tentative de restriction ou de diabolisation.
Tout observateur objectif conviendra avec nous que cette grande langue ne mérite pas le traitement qu’elle a subi jusqu’ici. En effet, une langue qui est la plus parlée sur plus de 2/3 du territoire sénégalais ; est majoritaire dans 5 régions sur 14 ; 2ème dans 4 régions sur 14 ; 3ème dans 4 régions sur 14 et 4ème dans une seule région sur 14 ; va de l’Atlantique à la mer Rouge ; est présente dans plus d’une vingtaine de pays en Afrique ; compte une importante diaspora (en Europe, en Amérique du Nord, dans les pays du Golfe, en Afrique Centrale et Australe, etc.) ; cette langue, disons-nous, ne mérite pas des tentatives d’étouffement que tout le monde constate à travers des faits concordants :
Parmi ces faits, citons avant tout la violation sournoise de la Constitution du Sénégal qui ne dit nulle part qu’une seule langue doit être utilisée dans les services. L’utilisation exclusive du wolof dans les serveurs des banques, des compagnies de téléphonie, d’Air Sénégal, du TER, du BRT, etc. est contraire à l’esprit et à la lettre de la Constitution. Il est évident que cette pratique illégale ne peut même pas prétendre reposer sur des nécessités commerciales. Si nous prenons Air Sénégal, cela crève les yeux que dans ses différentes dessertes africaines, les locuteurs du pulaar sont plus nombreux que ceux du wolof. Si cette compagnie devait strictement s’en tenir aux bonnes pratiques commerciales, elle aurait dû utiliser le pulaar avant même le wolof, pourtant elle ne l’a pas fait. Mais ce qui est scandaleux, c’est le fait qu’elle s’entête dans son attitude injustifiable malgré les protestations répétées de ses usagers utilisant le pulaar. Dakar étant une métropole ouest-africaine, avec l’omniprésence du pulaar dans cette partie du continent, les lignes du TER et du BRT sont inévitablement utilisées par des Africains poularophones qui ne parlent pas un traître mot de wolof et qui n’auraient eu aucun embarras avec l’utilisation du pulaar. Ces remarques peuvent être étendues à tous les services destinés au grand public.
Tout le monde comprend que ce qui est recherché ici, c’est d’imposer le wolof à tous en faisant fi de nos lois et du bon sens. On oublie seulement que nous ne sommes plus au XVIème siècle où il suffisait d’une simple ordonnance pour condamner une langue à la disparition.
Cette langue doit donc être respectée et valorisée à la hauteur de son poids indéniable. Ainsi, les correctifs qui vont suivre nous semblent indispensables pour éviter au Sénégal une erreur aux conséquences forcément préjudiciables à sa stabilité.
Que faire ?
Il faut donc nous ressaisir et prendre un certain nombre de mesures correctives propres à nous faire retrouver un aménagement linguistique plus conforme aux poids respectifs de nos langues et gage de paix et de stabilité :
En matière d’aménagement linguistique
La première chose à faire est de revoir l’approche de Cheikh Anta Diop et de Pathé Diagne. En effet, leur modèle est loin de tenir compte des réalités actuelles sur le terrain. Le Sénégal ayant reconnu les principales langues du pays depuis 1972, il est difficile aujourd’hui de revenir à une seule langue qu’on imposerait à tous, avec le prix politique que cela suppose parce que cela passera nécessairement par la violence : on n’a jamais vu une communauté linguistique consciente négocier l’étouffement de sa langue. Il s’y ajoute que le résultat escompté, la disparition des langues visées, est quasi impossible à atteindre du fait d’un environnement global peu favorable.
Plus largement, au vu des résultats du recensement et dans la recherche d’une coexistence harmonieuse entre les différents grands groupes linguistiques du pays, le gouvernement du Sénégal devrait adopter, au minimum, comme langues de travail le wolof, le pulaar et le seereer. Pierre Baligue Diouf propose 6 langues mais pas comme langues de travail mais comme langues à enseigner au secondaire. Il s’agit du wolof, du pulaar, du seereer, du manndiŋka, du joolaa et du soniŋke (voir « Innovations pédagogiques pour l’intégration des langues nationales africaines dans l’éducation : quel état des lieux au Sénégal » in https://hal.science/hal-03640374/document, p. 159.
Cela nous rapprocherait du modèle suisse que n’apprécie pas beaucoup Cheikh Anta Diop mais qui est plus conforme à nos réalités et à la préservation de la paix dans notre pays. Ici, nous partageons la critique de Souleymane Bachir Diagne à Cheikh Anta Diop : « …il veut une langue unique. Cela n’a pas de sens d’avoir une langue d’unification : pourquoi le projet devrait-il être un projet qui imite l’Etat-Nation, c’est-à-dire être homogène avec une seule langue, de manière centralisée? ». En effet, force est de constater que nous sommes dans un État multi-ethnique et dans un contexte politique totalement différent. Sans même aller jusqu’en Suisse, le Sénégal peut s’inspirer de l’exemple éthiopien : voilà un pays où 100 langues sont parlées (nous n’en avons pas autant au Sénégal) mais qui a choisi de se doter de 5 langues de travail pour le gouvernement : l’amharique (29% de la population, l’oromo (34%), le tigrigna (6%), le somali (6%) et l’afar (?). Le cas de l’Afrique du Sud est aussi très intéressant. Le 1er alinéa de l’article 6 de la constitution de ce pays dispose :
1) Les langues officielles de la République sont le sepedi, le sotho, le tswana, le swati, le venda, le tsonga, l’afrikaans, l’anglais, le ndébélé, le xhosa et le zoulou.
Pour le statut du pulaar, le Sénégal pourrait s’inspirer de l’exemple rwandais. Voilà un pays où les trois principaux groupes ethniques (Hutus, 81, 7% ; Tutsis, 9, 5%, Twas, 1, 8%) qui font 93,3% de la population parlent tous la même langue, le kinyarwanda. Le Rwanda s’est doté de 4 langues officielles : le kinyarwanda, le français, l’anglais et le swahili. Les 3 premières langues s’expliquent par l’histoire du pays (unité linguistique, colonisation belge et élite tutsie anglophone du fait de son exil en Ouganda). Le choix du swahili est intéressant à analyser. Le swahili a été érigé en langue officielle en 2017 en respect à la promesse faite par le Président Kagamé lors de l’adhésion du Rwanda à la Communauté des États de l’Afrique de l’Est, en 2006. C’est le lieu de rappeler que le swahili est une langue très parlée en Afrique de l’Est alors que le nombre des « Swahiliens » rwandais est estimé à 6500 individus. Autrement dit, le Rwanda a surtout tenu compte du rayonnement régional du swahili pour l’élever au rang de langue officielle. Le statut du swahili en Afrique de l’Est est comparable à celui du pulaar en Afrique de l’Ouest. À cela, il faut ajouter le fait qu’au Sénégal, le pulaar est la 2ème langue du pays après le wolof. Toutes ces deux raisons militent en faveur de l’élévation du pulaar au rang de langue officielle à côté du français et du wolof à l’instar du swahili au Rwanda.
Ce n’est pas par coquetterie que tous ces pays multi-ethniques comme le Sénégal ont choisi le multilinguisme : c’est pour assurer l’épanouissement de toutes leurs composantes ethniques et préserver ainsi une coexistence harmonieuse entre elles. Nous le verrons plus bas : l’unité linguistique a montré ses limites depuis le génocide rwandais. Le Sénégal n’y gagnera rien donc et sa recherche a de fortes chances d’ouvrir la boîte de Pandore et de nous valoir des lendemains tragiques compte tenu de la configuration géographique de nos principales langues (voir carte ci-dessus).
En matière d’éducation
Nous ne sommes pas un spécialiste des sciences de l’éducation, mais le simple bon sens nous fait croire qu’une bonne introduction de nos langues nationales à l’école exige les conditions qui vont suivre :
– Eviter toute précipitation préjudiciable à l’atteinte des objectifs : de nombreux échecs dans ce domaine en Afrique s’expliquent par une absence de préparation suffisante avant le lancement des programmes ;
– Un principe directeur qui permette à chaque petit Sénégalais d’être scolarisé dans sa langue maternelle. Pour ce faire, il faut que le maillage du territoire soit optimal de manière à éviter des choix imposés. Si ce qui est recherché ce sont bien les gains que l’enfant est supposé faire en apprenant dans sa langue, il est évident qu’un tel objectif ne saurait être atteint avec une autre langue imposée du fait de l’absence de la langue idoine ;
– Des enseignants bien formés dans les différentes langues et en nombre suffisant ;
– Des outils pédagogiques de qualité aussi bien pour les élèves que pour les enseignants.
Donner au pulaar sa part légitime pour éviter la déchirure
Pour en revenir au pulaar, il doit être présent dans le TER, le BRT et Air Sénégal, dans la téléphonie (il n’y a pas que les wolofophones qui utilisent ces services ; il faut penser aux nombreux poularophones africains qui vivent au Sénégal ou visitent le pays.
Dans les noms des programmes étatiques, il convient de donner au pulaar la place qui doit être la sienne.
Dans le domaine des media, il est urgent donc de rééquilibrer les grilles des programmes en donnant au pulaar un temps correspondant à son poids démographique au Sénégal (26%) et en Afrique (4ème langue du continent). Autrement dit, revenir au strict respect du poids de chaque langue sénégalaise en lui accordant un temps en conformité avec son poids.
Certaines grandes émissions radio ou télé doivent pouvoir avoir leur version pulaar du fait de leur intérêt particulier ; ce ne sont pas les spécialistes qui manquent.
Une émission genre « Terroir » de la télévision du Mali doit naître : le présentateur introduit et met l’élément tel qu’il a été pris sur le terrain. Cela permet à ceux qui sont dans le pays profond de paraître et d’être connus des autres parties du pays. Pour cela, Il faut se donner les moyens et la volonté de couvrir toutes les manifestations d’envergure sans discrimination de groupes ou de langues et accepter que la télévision nationale appartienne à tous.
Compte tenu du poids du pulaar en Afrique, et pour le rayonnement politique et culturel bien compris du Sénégal, une rédaction entièrement dévolue à cette langue doit être mise en place et une fréquence dégagée pour la diffusion de programmes s’adressant au pays et au monde, à commencer par l’Afrique. En effet, il y a fort à parier que si ces programmes sont bien pensés, l’audience ne fera pas défaut et s’étendra de l’Atlantique à la mer Rouge. Le Sénégal y gagnera sans aucun doute non seulement sur le plan culturel mais aussi économique. Dire cela n’a rien d’une trouvaille car c’est ce que font déjà les grandes radios telles que R.F.I., V.O.A (Voice of America) ainsi que la télévision Canal+ qui a mis dans son bouquet RTI (Radio-télévision Fulɓe Internationale) ainsi que Pulaagu qui ne diffuse que de la fiction en langue pulaar depuis le 29/4/2024.
La marginalisation du pulaar ou, plus grave, sa mort recherchée, n’atteindra pas son objectif du fait d’un environnement peu favorable : révolution de l’audio-visuel qui permet un pluralisme médiatique. Si vous n’êtes pas satisfait d’une télé ou d’une radio, vous pouvez ouvrir la vôtre et la positionner sur satellite, sur le net, la mettant ainsi à la disposition de tous.
Une langue disparaît difficilement d’après le constat même de Cheikh Anta Diop qui cite l’exemple irlandais auquel on pourrait ajouter celui de la Finlande (avec le peuple Suomi qui reconstitua sa langue pratiquement à partir de rien ; voir Kalevala e Fulbheyá d’Elias Lönnrot et d’Alfadyó Mokaheere, 1983).
En clair, ceux qu’on cherche à étouffer linguistiquement ne se laissent pas faire et trouvent d’autres moyens d’exister. Ainsi, ils se créent un autre univers linguistique et culturel qui leur donne ce qu’on leur refuse dans les médias d’État :
Aujourd’hui déjà, de nombreux poularophones du Sénégal et de la Mauritanie ( pour nous en tenir à une information vérifiée) se rabattent sur les radios de proximité ou radios communautaires pour suivre les informations, passer leurs communiqués, participer à des émissions interactives, écouter leur musique préférée, etc. Ces radios deviennent de plus en plus nombreuses et détournent progressivement l’auditoire poularophone des chaînes de la RTS mais également de certaines chaînes privées qui ont connu un réel engouement avec la libéralisation des ondes marquée par la naissance de Sud FM le 1er juillet 1994.
En effet, ne se reconnaissant pas dans les programmes diffusés essentiellement en wolof, les populations ont fini par trouver leur bonheur dans ces radios qui collaient bien à leurs préoccupations. Certaines d’entre elles, bien que portant les noms de villages bien du Fuuta, émettent en réalité sur le net, à partir des États-Unis d’Amérique ou du Canada (c’est le cas de Daw FM et de Radio Haayre-Laaw auxquelles il faut ajouter Pulaar Speaking, une radio d’Association ). Pour les capter, les auditeurs se servent de leurs téléphones portables : il suffit de payer une connexion internet dont le coût est quasiment à la portée de tous, avec la baisse incessante des prix ; donc une solution quasi parfaite permettant d’échapper à ce qui est perçu comme la tyrannie d’une langue et d’une culture. Du coup, nos parents nous ont eux-mêmes demandé de ne plus faire d’avis de décès sur la RTS mais plutôt sur les radios locales au motif qu’ils écoutaient surtout désormais Radio Demet, Radio Tulde, Radio Dóɗél, etc. Et cerise sur le gâteau, les groupes WhatsApp de tous types et de toutes tailles achèvent de « déconnecter » presque totalement les ruraux poularophones des programmes radio de la RTS.
À ces radios s’ajoutent de plus en plus des télévisions en ligne parmi lesquelles on peut citer : RTFI (télé Fulɓe Internationale), Pulaagu, Manda TV Sénégal, Fulɓe Production, Piindi TV, Afrika Pulaar TV, Pinal TV Mali, Pinal TV Winndere, Fuuta Vision TV, Fouta Plus, Kawral Production, Tiitoonde TV, Tele Mbedda Móritani, PPM TV, Hoodere Pulaagu, Fulɓe TV, Fewdaare Fouta TV (Guinée, Fuuta Jaloŋ). Parmi ces télévisions, les plus suivies sont : Afrika Pulaar TV, avec 200 000 abonnés sur Facebook et ip tv ; Piindi TV, avec 192 000 abonnés sur YouTube et ip tv ; RTFI, avec 45 000 abonnés sur Facebook et IPTV.
Étant donné que TFI (chaîne généraliste) et Pulaagu (chaîne thématique diffusant des séries et des dramatiques), sont désormais sur Canal+ et sont accessibles moyennant un abonnement, rien n’empêche plus désormais les téléspectateurs insatisfaits de prendre le large. Les choses sont encore plus simples pour Marodi TV Pulaar qui est sur YouTube. Comme Sunu Yeuf occupe la 3ème place du top 9, avec 10% de parts d’audience derrière TFM (13%) et Sen TV (12%), il est fort probable qu’avec la naissance de Pulaagu (présent sur Canal+ comme Sunu Yeuf), la RTS, déjà absente de ce top 9, dégringolera un peu plus du fait de la perte de ses téléspectateurs poularophones. Il est donc temps que ses dirigeants se demandent si cette descente aux enfers n’est pas liée à une wolofisation de plus en plus poussée, qui fait fuir tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans ce choix parce qu’ils pensent avoir un droit de « visibilité » sur une télévision qui, en théorie, appartient à tous. En effet ce choix, qui peut être pardonné aux télévisions privées, ne peut l’être pour la RTS qui pensait faire face à leur concurrence en clonant leurs programmes en wolof et en réduisant de manière drastique les programmes dans les autres langues du pays.
Sur le plan de la téléphonie, la porte que refuse d’ouvrir Orange pour des raisons que rien ne justifie, sera grandement ouverte par l’opérateur Free qui va offrir « bientôt la possibilité de choisir la langue pulaar avec le service client, de parler à des téléconseillers dans cette langue ». Free va même proposer un service adapté aux éleveurs, majoritairement poularophones : une puce pour lutter contre le vol du bétail ! Pour plus de détails, suivre le lien https://www.seneweb.com/news/Societe/le-pulaar-dans-les-supports-de-communica_n_431859.html.
Décidément, on n’est plus au temps de François 1er mais bien sous le règne de la révolution technologique qui ne permet plus l’uniformité. En effet, comme le téléphone portable permet de recevoir tout ce qu’on souhaite, assurant ainsi une indépendance et une liberté quasi totales à tous, il devient impossible d’empêcher une diffusion de masse de contenus qui, progressivement, creuseront un fossé de plus en plus profond et large entre le groupe et le reste de la communauté nationale. Autrement dit, on aura un résultat aux antipodes de celui qui était recherché : à la place de l’unité et de la cohésion forcées, on va semer et laisser se développer les germes de la division entre nos différents groupes linguistiques.
Les Sénégalais qui veulent se faire assimiler pour diverses raisons individuelles ou collectives peuvent le faire en toute liberté mais vouloir imposer l’assimilation à tous par l’hégémonie forcée d’une langue est un projet insensé, gros de menaces pour notre pays ; et qui ne nous garantira même pas une plus grande unité nationale, au contraire.
En effet, depuis le génocide des Tutsis au Rwanda de 1994, cette certitude aussi est tombée : Tutsis et Hutus parlent tous le kinyarwanda et pourtant la désunion et la haine entre eux étaient telles que les premiers furent massacrés sans état d’âme par les seconds à hauteur du chiffre effarant de 800 000 personnes ou plus ! Puisque nos autorités actuelles sont convaincues qu’il faut mettre nos enfants à l’anglais dès le primaire (décision dont l’expérimentation débute dès la rentrée 2024-2025), à quoi bon développer un ghetto linguistique qui n’a aucune chance de dépasser les frontières orientales du Sénégal et à plus forte raison conquérir le continent comme on aurait pu le faire avec le choix d’une autre langue ? Revenons à la raison et trouvons un aménagement linguistique plus équitable et plus respectueux de nos réalités !
Aucun peuple n’a renoncé à sa langue sans la violence dont la forme peut varier : elle peut être physique ou morale. Or le contexte actuel du Sénégal et du monde ne permet d’user d’une violence du genre de celle qui a tué certaines langues dans l’histoire. Le prix à payer serait trop fort pour un résultat quasi inatteignable. La paix n’a pas de prix.
Les politiques et les religieux doivent s’assumer
Nos politiciens, hommes et femmes, doivent mieux s’assumer. La plupart des formations politiques qu’ils lancent portent des noms wolofs ou français, le pulaar étant dédaigné :
L’ancien ministre d’État des affaires étrangères de Wade créa, en 2010, un parti auquel il donna pour nom « MPC/Luy Jot Jotna » (Mouvement Politique Citoyen/Luy Jot Jotna). Comme on le voit, il a ignoré le pulaar et choisi le français et le wolof. Faisant preuve de plus de prudence sans doute du fait de son enracinement plus solide, celle qui fut le maire de Podor lança, en 2017, un mouvement politique dénommé « Oser l’Avenir ». C’est du français certes mais elle ne tourne pas le dos à sa langue maternelle au profit d’une autre langue du pays.
Le parti d’un autre Podorois s’appelle AG/Jotna et sa nouvelle coalition mise sur pied à l’occasion des législatives de novembre 2024 a pour nom « And Gor ». Et pourtant, cette personne est bien née à Podor, en plein Fuuta et parle pulaar. Pour être juste cependant, reconnaissons que c’est cette même personne qui lança, dans le cadre du déploiement de « Senegaal Dem-Dikk », une ligne « Fuuta Yaa-Ngartaa » (entre Richard-Toll et Haayre-Laaw) malgré la contestation du syndicat de la compagnie sur le choix d’un nom en pulaar, d’après Gondiel Ka.
Si l’ancien Premier ministre et candidat à la présidence a donné à son parti le nom de « Nouvelle Responsabilité », il a aussi lancé une coalition dénommée « Jàmm Ak Njariñ » ; encore du wolof pour une organisation dont le leader est un poularophone. Ici, reconnaissons qu’il n’a pas les mains libres et que ce choix s’explique sans doute par le consensus qu’il a dû trouver avec ses partenaires.
Il aura suivi en cela les pas du président sortant qui avait appelé son parti APR (Alliance Pour La République) et sa coalition « Bennoo Bokk Yaakaar ». Dans ce tableau morose pour le pulaar, deux exceptions à noter : la coalition « Addu Jam (AJ)», (Apporte le Bien) en pulaar, composée d’agriculteurs et d’éleveurs, a osé choisir un nom entièrement en pulaar. C’est aussi le cas de la coalition « Nafoore Sénégal » dont la base est le département de Goudiry, au Ɓunndu. Ces faits méritent d’être notés. Malheureusement, nous venons d’apprendre (7/10/2024 à 19h 34) que la première coalition a été recalée parce que son chèque a été rejeté. Au moins voilà des gens qui n’ont pas tourné le dos à leur langue pour des raisons électoralistes.
Que nos politiciens et politiciennes ne s’y trompent pas, Ce n’est pas en renonçant à ce qu’on est qu’on aura à coup sûr l’électorat wolofophone qu’ils courtisent. Et que l’électorat poularophone le dise ou non, il ne peut être content d’un tel manque de considération pour sa langue, et cela peut faire beaucoup de déçus qui peuvent faire très mal. Qu’ils trouvent des noms de partis dans lesquels leurs bases électorales, avant tout poularophones, se retrouvent. La leçon que Macky a régulièrement reçue dans une certaine zone du pays malgré les investissements sans précédents effectués pour elle et les actes d’allégeance à l’endroit de ses dignitaires doit les faire méditer : ce n’est donc pas avec un nom de parti emprunté au wolof qu’on fera oublier à certains suprémacistes à quelle communauté on appartient ! Et comme pour ce Jiggeejo (un parent à plaisanterie) qui, sentant un gros poisson sous son pied, lâche celui qu’il avait déjà dans sa main pour pouvoir attraper celui qui était sous son pied, il y a fort à parier qu’ils perdront l’un sans avoir pris l’autre ; lâchant ainsi la proie pour l’ombre !
Nos guides religieux aussi doivent faire plus attention à l’usage du pulaar lors de cérémonies spécifiques au groupe mais aussi dans leurs sermons. Comme nous l’avons déjà écrit ailleurs, quand quelqu’un se déplace de Guédiawaye à la mosquée omarienne (pour prendre un exemple significatif) pour la prière ou la wazifa du vendredi, les deux grandes prières du calendrier musulman, ce n’est pas pour entendre un sermon ou une communication faits en grande partie en wolof. Il serait resté dans son quartier s’il n’était pas à la recherche d’autre chose. Dans le même ordre d’idées, lors de sa ziarra annuelle, le pulaar doit occuper une place centrale parce que de nombreuses personnes qui viennent de l’arrière-pays ne comprennent ni ne parlent wolof. Dans cette mosquée, il y a donc un équilibre à trouver entre le pulaar qui doit être sa première langue et le wolof qu’il faut aussi utiliser pour les wolofophones qui y prient du fait du voisinage. Comme on dit en pulaar « yiɗande hoore mum, wonaa añande banndum » (« vouloir pour soi-même, ce n’est pas vouloir priver le proche ». Parlons d’abord notre langue dans les lieux de culte qui nous sont spécifiques. Dans la mosquée de la Cité Assemblée, les sermons sont faits en wolof même par l’imam titulaire qui est plus à l’aise en pulaar que dans cette langue. Nous trouvons cette pratique normale parce que le wolof est largement majoritaire dans cette zone. Le désir de satisfaire les fidèles de langue wolof ne doit pas amener nos guides à en oublier la langue de leur communauté. Ils doivent s’organiser pour satisfaire les uns et les autres. Avec un agenda dont l’objectif est, clairement, d’étouffer toutes les autres langues au profit d’une seule, il n’y a plus aucun complexe à porter en bandoulière son pulaar ou son seereer et à avoir la garde haute jusqu’au jour où chaque langue du pays aura sa juste place dans notre aménagement linguistique.
Paradoxalement Macky a été aussi celui par lequel a débuté l’inversion tant redoutée par Pathé Diagne, Cheikh Anta Diop ainsi que tous ceux qui militent pour le choix immédiat du wolof comme langue officielle en donnant une remarquable impulsion au développement de l’intérieur du pays. Son slogan « Un Sénégal de tous et pour tous » résume parfaitement son action. Il lança donc les instruments de ce développement (PUDC, PUMA, DAC etc.), avec comme objectif prioritaire l’électrification rurale et les infrastructures de transport et de désenclavement des régions de l’intérieur. Les bases du décollage économique étaient ainsi construites, permettant de ce fait le début du processus de rattrapage entre le centre-ouest et le reste du pays. À terme, les conséquences d’un tel processus seront la fixation des populations dans leurs terroirs où elles pourront s’épanouir sans devoir désormais se rendre en pays wolof où certains de leurs ancêtres sont restés définitivement et se sont fait assimiler. Cette politique d’équité, beaucoup de ceux qui ont profité jusqu’ici de l’exclusivité des actions de développement entreprises par l’État et qui sont conscients de la diminution consécutive de l’influence de leur terroir, de leur culture mais surtout de leur langue, ne l’ont jamais pardonnée à Macky. Cela pourrait expliquer la constance du vote défavorable qu’il essuya du début à la fin de son mandat dans certaines zones du pays. L’acharnement de Macky à museler le pulaar et les autres langues avait essentiellement pour objectif de chercher à éviter les foudres de ces nostalgiques de la suprématie du pays wolof. Peine perdue car il fut accusé d’investir toutes les richesses du pays au Fuuta ; en un mot, de faire du « Neɗɗo ko banndum » quand tous les faits objectifs montraient que d’autres régions ont eu une part plus importante dans ses investissements : autoroute Ilaa-Tuubaa, pont sur la Gambie, différents ponts et routes en Casamance, au Sénégal Oriental, dans la région de Fatick, autoponts, TER et BRT à Dakar, hôpitaux de dernière génération dans plusieurs régions. On voit bien donc que l’aversion (nous pesons bien nos mots) de Macky Sall que charrièrent certains réseaux sociaux ne peut pas s’expliquer par une injustice excessive à l’endroit de certaines communautés ou régions. Il y a incontestablement un sentiment que nous n’aimerions pas qualifier mais qui devrait inquiéter tous les Sénégalais conscients et soucieux de l’harmonie, mieux, de l’amour qui doit prévaloir entre les différentes composantes de ce pays.
Les langues étant les outils d’expression, de communication mais aussi les éléments qui incarnent le plus l’identité des communautés humaines, toutes les décisions qui les concernent doivent être pesées et repesées minutieusement avant d’être arrêtées. À 70 ans passés, on peut s’autoriser certaines vérités, avec l’espoir qu’elles tomberont dans de « bonnes oreilles ». Le pulaar n’est pas une petite langue : il ne l’est pas au Sénégal où, sur le plan géographique, il est la première du pays mais aussi en Afrique où il occupe la 4ème place du point de vue du nombre des locuteurs et la première (des langues autochtones africaines) du point de vue de l’étendue géographique. Si l’histoire générale de l’Afrique a été publiée dans cette langue, ce n’est pas par hasard. Si le pulaar a été pressenti pour faire partie des langues de travail de l’Union Africaine, ce n’est pas non plus par hasard. Une telle langue ne peut pas être mise entre parenthèses ou étouffée comme un dialecte parlé par quelques individus. Cette vérité-là, tous les intellectuels wolofs lucides, épris de paix et de justice doivent l’admettre au lieu de faire la sourde oreille et de fermer les yeux sur ce qui se passe actuellement au risque de mettre en péril cette paix si appréciable que beaucoup d’Africains nous envient. Nous leur rappelons à cet égard une chose qu’ils n’ignorent pas, à savoir que le vrai intellectuel est celui qui s’implique pour combattre l’injustice. Nous ne voulons pas être un oiseau de mauvais augure : la tourmente nous menace déjà tant des frustrations de plus en plus difficiles à contenir s’accumulent. Et si nous voulons rester en paix, suivons ces grands pays cités ci-dessus et écoutons l’un de nos plus brillants intellectuels, pour ne pas le nommer, le Professeur Souleymane Bachir Diagne qui, courageusement, a recommandé, à plusieurs occasions le multilinguisme pour le nôtre. Que nos gouvernants refusent donc d’écouter le chant de certains tritons et s’engagent résolument et irréversiblement dans la voie d’un multilinguisme salvateur. Sur la base de la proposition de Samba Diouldé Thiam, « la possession d’au moins trois langues [dont le français], par tout élève qui termine le cycle primaire », il faut oser demander aux Wolofs de faire un effort d’ouverture vers les autres langues car le problème se pose surtout chez eux. Si l’option de l’officialisation devait être retenue, que ce soit, au minimum, avec nos trois premières langues qui s’imposent par leur poids démographique et géographique.
Livres en pulaar écrits par l’auteur :
– Paalél njuumri. Binndanɗe e jeewte (La gourde de miel, écrits et conférences), Dakar, Éditions Papyrus-GIE, 2000, 2005, 2019.
– Sawru Ganndal. Yoo Tuubaako artir jabbere mum (l’arme du savoir. Que le Blanc soit plus modeste), Dakar, Éditions Papyrus Afrique, 2005, 2019 ; existe aussi en audio (Chérif Ba, sur YouTube).
– Fulɓe gila Héli-e-Yooyo haa Fuuta Tooro (Les Peuls de Héli-et-Yoyo au Fouta Toro), Dakar, Éditions Papyrus Afrique/Presses Universitaires de Dakar, 2012.
Les trois candidats socialistes dans la capitale - Ndèye Sylvie Ndiaye, Ousmane Faye et Dié Maty Fall - ont reçu instruction de faire campagne uniquement sous la bannière de la coalition Jámm Ak Njariñ portée par l'ancien Premier ministre Amadou Ba
Les socialistes mettent fin aux spéculations à travers le communiqué ci-après. Réunis en Bureau politique élargi aux secrétaires généraux de coordination, ils ont réaffirmé leur fidélité à la coalition Jámm Ak Njariñ d'Amadou Ba. Un choix validé à l'unanimité après l'intervention de 45 orateurs. Les trois candidats socialistes de Dakar - Ndèye Sylvie Ndiaye, Ousmane Faye et Dié Maty Fall - ont reçu instruction de faire campagne uniquement sous cette bannière.
"À Dakar, les socialistes disent niet à l’inter-coalition avec Sámm Sa Kaddu.
Le Bureau politique, convoqué samedi 25 octobre 2024, à 10 heures, à la Maison du Parti socialiste Léopold Sedar Senghor, s’est longuement réuni sous la présidence de sa Secrétaire générale Mme Aminata Mbengue Ndiaye, en prévision des prochaines élections anticipées du 17 novembre 2024.
Cette session spéciale, élargie aux secrétaires généraux de coordination, a essentiellement porté sur les actes politiques préparatoires et la gestion du processus électoral, au sein de notre coalition Jámm Ak Njariñ.
L’instance de décision du Parti socialiste a, après un long tour de table (45 orateurs), validé la décision unanime des trois investis socialistes dans le département de Dakar, Ndèye Sylvie Ndiaye (infirmière), Ousmane Faye (économiste-planificateur) et Dié Maty Fall (journaliste), de faire campagne exclusivement pour la liste de la coalition Jámm Ak Njariñ qui a été approuvée par le Conseil constitutionnel depuis le 7 octobre 2024.
Le Bureau politique a exhorté tous ses camarades investis sur les listes nationale et départementales à se dépasser durant cette campagne électorale et à continuer à porter la voix de la coalition dans la discipline, la solidarité et les valeurs socialistes.
L’instance de décision a souhaité des élections pacifiques, démocratiques et transparentes, ainsi qu’une victoire éclatante à la coalition Jámm Ak Njariñ (Paix et Prospérité) dont la tête de liste est l’ancien Premier ministre Amadou Ba, qui a ouvert sa campagne par un meeting à Guediawaye co-présidé par la députée socialiste Aida Sow Diawara et l’ancien maire Aliou Sall."
LE GOUVERNEMENT CONTREDIT L’UE AU SUJET DES ACCORDS DE PÊCHE
Vingt-quatre heures après les déclarations de l'UE justifiant la fin de la coopération par des manquements du Sénégal, l'État a livré sa version : c'est lui qui a renoncé à ce protocole dans le cadre d'une politique de réappropriation de ses ressources
(SenePlus) - En marge d'une sortie intervenue ce mercredi 13 novembre, le gouvernement a formellement démenti la version présentée la veille par l'Union européenne concernant la fin des accords de pêche entre les deux parties.
Alors que Jean-Marc Pisani, ambassadeur de l'UE au Sénégal, avait justifié mardi la non-reconduction du protocole par des "défaillances" du Sénégal dans la lutte contre la pêche illicite, le gouvernement affirme que c'est lui qui a choisi de ne pas renouveler ces accords.
"L'État du Sénégal n'était pas dans la logique de renégocier cet accord", a déclaré sans ambiguïté Dr Fatou Diouf, ministre de la Pêche, des Infrastructures maritimes et portuaires. Elle a précisé qu'une évaluation était en cours et qu'il serait "incohérent de penser à un nouvel accord de pêche avant d'avoir les résultats de cette évaluation".
Cette position a été renforcée par Abdourahmane Diouf, ministre de l'Enseignement supérieur, qui a rappelé que le gouvernement avait déjà signalé son intention de ne pas renouveler ces accords de pêche, dans une volonté de protéger les pêcheurs locaux.
Le ministre de l'Industrie et du Commerce, Serigne Gueye Diop, a apporté un éclairage supplémentaire sur la RTS1, expliquant que cette décision s'inscrivait dans une refonte globale de la politique de gestion des ressources naturelles du pays. "Des dizaines de contrats, y compris celui avec l'Union européenne, sont désormais sous la loupe de l'État", a-t-il précisé, soulignant la volonté gouvernementale de privilégier le développement du tissu industriel local.
Cette position tranche nettement avec les déclarations faites la veille par l'UE. Jean-Marc Pisani avait en effet affirmé que c'était l'Union européenne qui ne souhaitait pas renouveler le protocole, citant une "politique de tolérance zéro" vis-à-vis des États présentant des faiblesses dans la lutte contre la pêche illicite.
Ce protocole, qui expire le 17 novembre 2024, représentait une contribution européenne de 8,5 millions d'euros sur cinq ans, soit plus de 5,5 milliards de francs CFA, sans compter les redevances des armateurs européens.
Le gouvernement sénégalais a indiqué que plus de détails seraient communiqués après les élections législatives du 17 novembre 2024, date qui coïncide avec l'expiration du protocole actuel.
par Penda Mbow
DES FONDEMENTS D’UN DIALOGUE INTER-RELIGIEUX EN ISLAM
L'histoire islamique, de la Constitution de Médine aux empires omeyyade et abbasside, démontre la possibilité d'une coexistence fructueuse. Cette tradition de dialogue et d'échange constitue un héritage précieux pour notre époque
À partir de l’herméneutique du texte coranique, de faits historiques, nous allons proposer ce qu’on peut considérer comme les bases d’un dialogue inter-religieux.
La profession de foi comme certains versets définissent la vision de l’Islam sur les autres religions révélées. Par exemple dans le texte sacré, le Prophète Mu’sâ (MoÏse) est le plus cité. L’histoire de Isa’, Jésus et Maryam se trouve consacrée parmi les Sourates les plus importantes. L’Islam endosse pratiquement les récits de toutes les autres religions révélées.
Les fondements du dialogue inter-religieux à partir du Coran
La profession de foi est explicite sur les croyances profondes mais nous voudrions, avant toute chose, nous arrêter sur un verset extrêmement important à nos yeux pour déterminer les bases d’un dialogue inter-religieux ; il s’agit d’Amana Rasûl (Sourate 2, Al Baqara, V 285).
« Le Messager a cru en ce qu’on a fait descendre vers lui venant de son Seigneur, et aussi des croyants tous ont cru en Allah, en ses Anges, à Ses Livres et en Ses Messagers ; (en disant) : « Nous ne faisons aucune distinction entre ses Messagers ». Et ils ont dit : « Nous avons entendu et obéi. Seigneur, nous implorons Ton pardon. C’est à toi que sera le retour ».
On peut saisir la quintessence de ce verset, fondement des religions d’essence abrahamique en analysant la présence de trois grands personnages du Coran : Mu’sâ Kalamullah, Isa’ Ibn Maryam, Maryam- elle-même.
Mu’sâ ou Moise, le plus cité dans le Coran
En Islam Moise est aimé et respecté à la fois comme Prophète et comme messager. Il appela les enfants d’Israël à n’adorer que Dieu et fixa pour eux les Lois prescrites dans la Torah.
En ce qui concerne le Judaïsme comme le Christianisme, Moise est un personnage central. C’est l’homme de l’Ancien Testament le plus souvent mentionné dans le nouveau te Nouveau Testament ; il a réussi à mener son peuple hors d’Égypte, a communiqué avec Dieu et reçu les Dix Commandements. Ainsi Mu’sâ est connu à la fois comme prophète et comme législateur.
« Certes, nous avons révélé la Torah, dans laquelle il y a guide et Lumière. C’est sur sa base que les prophètes qui se sont soumis à Dieu ont jugé des affaires des Juifs sur la base de cette écriture de Dieu comme il leur avait commandé ; et ils en sont témoins (S 5, V44/ Al Mada’ia, la table servie).
En Islam, Moïse sous le nom de Mus’a est le Prophète le plus présent dans le Coran, cité à cent trente-six reprises. Il fait partie des « grands prophètes, comme l’un des messagers envoyés par Allah. Selon le Coran, Mu’sâ fut envoyé par Dieu pour affronter le Pharaon de l’Egypte antique et pour guider les Israélites qu’il avait asservis. L’histoire de Mus’â détaillée se trouve dans la Sourate 26, intitulé « Les Poètes » ou al Shu’ara.
La vie de Mu’sâ est remplie de leçons. Dieu lui fait vivre des expériences qui lui seront utiles dans sa mission future. Il avait été élevé dans maison du Pharaon, d’Egypte. Il était donc bien au fait des intrigues politiques du gouvernement égyptien. Il avait aussi une expérience bien personnelle de la corruption de Pharaon Sourate 49 (Hujurât) les Appartements, V 13
« O hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, afin que vous fassiez connaissance entre vous. »
Toujours est-il que là débute un désir ardent de liberté et l’autre, le rêve d’un roi tyrannique.
Les musulmans considèrent la Torah comme un livre divin. Le Coran ne fait que confirmer et corriger l’histoire de Mu’sâ. Allah a continué à bénir les Israélites en leur accordant de nombreuses faveurs et en leur infligeant des punitions pour leur désobéissance. Ces deux éléments sont largement détaillés dans la deuxième Sourate du Coran, Al Baqara, la Vache.
En fin de compte, les nombreuses similitudes entre les récits de Moise dans la Torah et dans le Coran signifient les liens ancestraux communs des deux religions-, car elles sont d’essence abrahamique
I’sa Ibn Maryam
Isa’ Ibn Maryam ou le Jésus du Coran est le Messager d’Allah. Jésus est un des grands Prophètes de l’Islam.Tout au long du Coran, Jésus est appelé Isa’ Ibn Mariama, Jésus fils de Marie. Le Coran insiste beaucoup sur l’humanité de Jésus qui s’y présente comme le message corrigé de la Torah et du Nouveau Testament, donc il cite de nombreux personnages bibliques, dont Marie à qui est dédiée la Sourate 19, Sourate Maryam. Déjà la Sourate 3 Ali Al Imran évoque la famille de Maryam.
Imran est supposé être le nom du père de Moise, bien qu’il ne soit jamais cité dans le Coran autrement que par l’expression « famille d’Imran » et « femme d’Imran ». Imran est considéré par les musulmans comme l’un des hommes vertueux de Jérusalem.
La femme d’Imran, la mère de Maryam, porte le nom de Hannah (l’équivalent arabe d’Anne), fille de Fanqudh. Elle est également honorée par les musulmans comme femme très vertueuse, à l’instar de sa fille.
Pour revenir à Is’â, il est parmi les Prophètes majeurs cités par le Coran ; Noé, Abraham, Moise. Certains versets lui accordent une place éminente, où il est présenté comme Le Verbe ou l’Esprit de Dieu. Il est le seul Prophète dont la naissance est contée, et qui parle et fait des miracles dès le berceau.
Le retour de Isâ’ évoqué dans le Coran (Sourate 43, Az Zukhruf ou l’ornement, verset 61), mais les éléments eschatologiques et apocalyptiques sont très présents dans les hadiths. Il faut interpréter de manière allégorique les passages où il évoque sa mort ; dans les passages où il est question de la crucifixion ; ce qui est nié ce n’est pas sa mort, c’est l’affirmation des Juifs qui disent avoir eu le contrôle des évènements ayant conduit à sa mort. La mort sur la croix correspond à la réalisation du plan divin, sur le modèle du discours de Pierre dans les actes des apôtres (Sourate Baqara 2, V 23).
Le Coran, les accuse aussi d’avoir revendiqué la responsabilité de sa crucifixion, comme le rappellent les versets 155-159 de la sourate 4 (An Nissa’, les femmes). Le Coran soutient le principe de la virginité de Marie, Isa’ apparait comme une figure de convergence.
Les éléments sur la naissance de Jésus, viennent de traditions chrétiennes palestiniennes. La sourate 19, Maryam qui raconte sa conception et sa naissance, est ainsi très liée à des traditions attachées à un lieu précis : l’Eglise de Katishma, mais aussi à l’Evangile de Luc et au Protévangile de Jacques. Le Coran mêle deux récits indépendants, celui du repos de Marie lors de la Nativité et le miracle du Palmier cité pendant la fuite en Égypte que combinaient déjà les traditions de l’Eglise du Kathisma.
La piété musulmane fondamentale est plus orientée vers le Prophète, sa famille et ses compagnons. Le prénom Is’â qui est le nom coranique de Jésus continue à être donné. Jésus est un modèle d’ascétisme très important dans le soufisme classique. Marie, objet d’une sourate est la seule figure féminine nommée dans le Coran ; son nom y est cité plus souvent que dans le Nouveau Testament dit-on.
Le Coran est né dans un espace politique, culturel et religieux où vivaient depuis des siècles, des Juifs mais également des Chrétiens. Ces derniers, syro-araméniens, coptes et aussi romano-byzantins, formaient des Églises structurées avec leurs hiérarchies et leurs théologiens.
Chrétien ; Nasara fait référence à deux termes grecs : Nazareens et Nazaréen qui figurent dans plusieurs passages du Nouveau Testament. Cependant malgré cette ambiguité terminologique, le Coran sait distinguer entre Chrétiens et Juifs, et entre Zoroastriens et Manichéens.
Isâ’ fils de Myriam (Al Masîh Isa Ibn Maryam). Marie est indissociable de Isa’ dans le texte coranique. Ils sont des modèles à suivre tant leurs vies sont exemplaires.Dès sa naissance, Isa’ ou le Jésus coranique fait objet d’un miracle voulu par la puissance divine, puisqu’il s’agit d’une naissance virginale. Il est un puissant thaumaturge qui accomplit miracles et guérisons.
Isa, déformation du nom arameen Esaü, le nom biblique le plus proche de la forme coranique de Isâ’.
Quels sont les signes et messages ?
Aya, signe, s’agissant de l’action de Dieu dans la nature ou dans l’histoire, concerne aussi Jésus et sa mère Maryam. Sans doute, faut-il penser à sa naissance miraculeuse. S’agit-il d’une réminiscence de l’Evangile selon Mathieu (Mt II, 5) où, répondant à la question que lui fait poser depuis sa prison Jean Le Baptiste (Yahya), Jésus répond par un résume de ses miracles ?
En définitive, les données coraniques relatives à Isâ’, au Christ sont nombreuses : les unes concernent son entourage proche ; les autres plus particulièrement, se rapportent à sa personne même. Dans plusieurs passages, il est présenté comme annonciateur de bayan (vérité). Ses disciples sont considérés comme des messagers (Al Hawâriyyûn), Jésus s’adresse à eux, dans le Coran, par deux fois comme une sorte de refrain., dans une situation critique où il est confronté à l’incrédulité de Sanhédrin. En tant que croyants, ils se révèlent ses auxiliaires (Ansar Allah).
D’autres passages coraniques se rapportent à des faits évangéliques ; l’un parle d’une Table Servie venant du ciel, alors que l’autre évoque le destin de Jésus. A la fin de la Sourate 5, la Table servie on raconte l’histoire qui correspond à ce titre comme une histoire des disciples..le lien est fort clair avec les Évangiles apocryphes; les disciples (ou les Apôtres ) demandent à Jésus de faire venir du ciel une Table servie, pour ainsi dire comme signe divin.
Ainsi certains grands Orientalistes ont donné à croire qu’il s’agit d’une reproduction coranique de l’Eucharistie. Pour le Coran, la croix et la résurrection de Jésus n’ont pas de signification…D’après la Sourate 19 (verset 33), il meurt de mort naturelle, et selon la sourate 5 (V 117), il a été rappelé. S’il doit revenir à la vie, cela se fera lors du jugement dernier, lorsque tous les morts seront ressuscités (Coran 19, 33). Devient-il ainsi le rôle d’un Imam caché qui peut réa-paraître à n’importe quel moment ?
Le Coran accepte de le considérer comme l’Esprit de Dieu (Rûh Allah).
Quelques faits historiques
Dans cette partie seront évoqués le Pacte de Hudaybiyya, la cohabition des différents croyants à Médine mais aussi le rôle des Juifs et Chrétiens dans le débat théologique et leur présence au sein de l’administration des grands empires ommeyyade et abbasside VIIIe-XIes.
La « Constitution » de Médine
Elle fut élaborée pour poser les bases d’un vivre-ensemble. Cette Constitution a eu pour objectif d’établir les lois d’une nouvelle société. Elle a fixé les liens entre les musulmans et les non-musulmans pour vivre en harmonie. Le document est un « kitâb » du Prophète (après l’hégire, une fois à Yathrib ou futur Médine); il s’agit de règles entre les croyants (mu’uminûn) et les musulmans de la tribu des Quraysh et de Yathrîb et ceux qui sont sous leur autorité,Ils sont liés par ce pacte pour se défendre si nécessaire. On parle d’établir une « communauté ou ummah »
On l’a longuement évoqué avec les textes. Les relations entre les musulmans et les « minorités protégées », juifs ou chrétiens avaient posé problème dès l’époque de l’hégire (à partir de 622). On vient de le voir, le Coran présente la révélation faite à Muhammad comme réitérant et confirmant les révélations précédentes, notamment la Torah des Juifs ou ancien Testament, ‘Injil’, évangile ou nouveau testament des chrétiens. Muhammed s’attendait par conséquent à ce que les Juifs et les Chrétiens reconnussent en lui, l’envoyé de Dieu. Il apparut bientôt que les Juifs de Médine n’étaient pas prêts à le faire. Quant aux chrétiens, Muhammad eut avec eux si peu de contacts pendant ses premières années à Médine.
Les juifs de Médire conclurent dès le début, un traité avec Muhammad.
Lorsqu’éclatèrent des affrontements avec des juifs extérieurs à Médine, ceux de Khaïbar, on accepta de les faire entrer dans la « pax islamica » après leur défaite et leur reddition, mais en échange de cette protection, ils devaient remettre aux musulmans, une partie de leurs récoltes de dattes. Sont également mentionnés des traités conclus avec les chrétiens d’Ayla (l’Elath biblique et Aqaba actuel), avec les juifs de Maqna non loin de là et avec d’autres petits groupes rencontrés lors de l’expédition de Tabruk en 630. On promettait en général à ces petits groupes, « la protection (jiwâr ; dhimma) de Dieu et de son envoyé ». Ils conservaient leur structure gouvernementale interne et en retour effectuaient un paiement, généralement en nature.
On a émis que le système islamique des minorités « des minorités » protégées sous sa forme évoluée s’inspirait des pratiques byzantines et sassanides. Le principe général s’apparente à la pratique des Arabes nomades.
Dans les grands empires musulmans (ommeyade et abbasside), il y avait les groupes qui se soumettaient de plein gré sans se battre et ceux qui le faisaient contraints par une défaite militaire. Tous les groupes non musulmans étaient soumis à l’empire islamique par un accord de ce type ; les trois éléments que l’on trouvait du temps de Muhammad demeurèrent en vigueur, à savoir la protection contre les ennemis de l’extérieur, l’autonomie interne et le paiement d’une certaine somme au Trésor ou bayt al mâl Plus tard, on fera la distinction entre impôt foncier (kharâj et taxe de capitation (jizya). Les minorités protégées étaient connues sous le nom collectif d’ahl al dhimma « les gens dont on assurait la sécurité » ou les « tributaires ». En général, ce sont des groupes homogènes d’un point de vue religieux. Cela faisait partie de la conception coranique, selon laquelle un messager était toujours envoyé par Dieu à une tribu ou une communauté. Il s’agit surtout des Ahl al Kitab, gens du livre ou gens de l’Écriture.
Le système de millet de l’Empire ottoman présentait beaucoup d’avantages bien qu’il se soit effondré aujourd’hui au proche Orient.
Le rôle des Ahl al Kitâb dans l’élaboration d’une nouvelle culture
La fondation d’un empire arabe-islamique s’est accompagnée comme le montre Claude Cahen de l’élaboration d’une culture nouvelle qui s’est révélée complexe au cours de l’histoire. La culture islamique a bénéficié de plusieurs héritages dont celui des Juifs et des Chrétiens. Même si les Chrétiens et les Juifs gardent leurs particularismes dans le domaine proprement confessionnel, c’est autour des musulmans que s’organise de plus en plus la culture commune autour de laquelle tous contribuent. Arabisation et islamisation ne vont pas de pair exactement, il y a eu arabisation linguistique assez rapide de populations syriennes ou égyptiennes restées chrétiennes et il y’ a eu islamisation de populations iraniennes dont les élites ont appris l’Arabe, mais dont les masses sont restées suffisamment fidèles à la langue des aïeux.
Un autre point intéressant est l’influence de la sagesse antique, surtout sous les Abbasides (VIIIe-XIe siècles). Le plus grand théologien byzantin du VIIIe siècle, St Jean de Damascène ne quitta jamais le territoire musulman (on peut dire la même chose de Maimonideen Egypte). Parmi les sources importantes de l’histoire du Moyen âge musulman, on peut citer la Geniza du Caire, un dépôt d’environ 200 000 manuscrits juifs datant de 870 à 1880. Il s’agit de Guenizah, dépôt d’archives sacrées de la synagogue ben Ezra. Les historiens ont identifié plus de 7000 documents dont la moitié ont été conservés dans leur intégralité. Leur importance dans l’enrichissement de l’histo<riographie est considérable. Dans le travail de traduction, les chrétiens se distinguent, surtout les Nestoriens.et les monophysites se joignent à eux.
Conclusion, Nous n’avons pas évoqué tous les aspects et les informations à notre disposition car cela dépasserait le cadre d’une communication de colloque. Pa exemple, on pouvait souligner le rôle des chrétiens et juifs dans l’administration des grands empires musulmans où ils étaient des ministres ; formaient des dynasties de premiers ministres. Ils ont hérité d’une certaine sophistication tirée des expériences byzantines et sassanides.
Les interpellations des juifs et chrétiens ont contribué à enrichir le débat théologique et l’élaboration religieuse, surtout sous les Abbassides.
par Modou Dia
LA PROMESSE D’UNE RUPTURE SYSTÉMIQUE EST-ELLE TENABLE ?
EXCLUSIF SENEPLUS - Pastef, comme toute entité, n’est pas homogène. Il est traversé par un courant libéral et un courant de gauche avec des nuances. La lecture, les interprétations, les arrière-pensées par rapport au Projet varient
En mars 2024 au Sénégal, l’élection présidentielle a consacré la victoire de Bassirou Diomaye Faye, un candidat d’un parti d’opposition prônant une « rupture systémique ». Pour pouvoir opérer cette dernière, son parti doit gagner les élections législatives anticipées du 17 novembre 2024 pour disposer d’une majorité suffisante au Parlement pour faire voter ses réformes. Ce contexte offre l’opportunité d’analyser les tenants et les aboutissants de cette « rupture systémique ».
Une élection historique
L’élection présidentielle au Sénégal aurait dû se tenir constitutionnellement le troisième dimanche du mois de février, c’est-à-dire le 25 février pour celle de 2024. À la veille du début de la campagne électorale prévue le 4 février, le président Macky Sall a pris un décret de report-annulation de l’élection. Il a fallu une grande mobilisation populaire et une intervention du Conseil constitutionnel pour mettre fin à cette mesure inconstitutionnelle, abroger une loi anticonstitutionnelle de prolongation du mandat du président en exercice votée par un parlement-godillot et fixer une nouvelle date pour les élections. C’est ainsi que le 24 mars 2024, Bassirou Diomaye Faye est élu à 54% des voix exprimées président du Sénégal au premier tour. C’est la première fois qu’un candidat de l’opposition remporte l’élection présidentielle au premier tour. C’est une élection historique à plus d’un titre, eu égard au contexte et à la singularité du parti politique ou plutôt de la vague politique ayant porté Diomaye Faye au pouvoir. Il a nommé dès son investiture Ousmane Sonko au poste de Premier ministre.
Le contexte est on ne peut plus particulier, car 10 jours avant le premier tour du scrutin, Diomaye Faye était en prison avec son mentor politique Ousmane Sonko. En effet, Ousmane Sonko, président du parti Patriotes africains du Sénégal pour le Travail, l'Éthique et la Fraternité (Pastef), est arrêté et emprisonné en juillet 2023 pour différents chefs d’inculpation criminels, dont celui d’atteinte à la sûreté de l’État. Ainsi, il a rejoint en prison Diomaye Faye, secrétaire général de Pastef, déjà emprisonné plusieurs mois auparavant. Dans la même foulée en juillet 2023, le régime de Macky Sall prononce la dissolution pure et simple de Pastef.
Cette interdiction de Pastef est la suite d’une spirale de harcèlement, de persécution de l’opposition, en particulier des militant-e-s et des sympathisant-e-s de Pastef. Plus de 80 morts. Plusieurs milliers de membres de Pastef sont mis derrière les verrous. Cette vague répressive a été tous azimuts, s’abattant sur la direction centrale de Pastef jusqu’aux structures de base qui n’ont pas été épargnées dans les communes et dans les plus petites localités. Les libertés démocratiques sont bâillonnées avec l’interdiction de manifestations, de rassemblements, de réunions ou d’activités politiques de l’opposition, etc. Plusieurs journalistes sont arrêté-e-s, des signaux de télévision ou des connexions-Internet ont été souvent coupés. Ce fut une période infernale de plomb de 2021 à juste avant les élections de mars 2024 ponctuées par des insurrections populaires en mars 2021 et juin 2023 pour s’opposer à l’arrestation d’Ousmane Sonko et à un verdict prononcé contre lui dans le cadre d’un procès pour l’écarter des élections présidentielles, mais aussi pour obliger le président Macky Sall à finalement renoncer à ses ambitions de postuler à un troisième mandat inconstitutionnel. N’ayant pu trouver des prétextes sur le plan professionnel pour l’éliminer politiquement, le régime de Macky Sall n’a eu d’autre choix que de recourir à deux « affaires » : une « affaire de viol » et une « affaire de diffamation » envers un ministre épinglé par un rapport d’un corps de contrôle. Ousmane Sonko a été finalement empêché d’être candidat aux élections à la suite de différentes machinations du pouvoir basées sur la 2e affaire. Néanmoins, la longue résistance grâce à un soutien populaire massif a permis à Pastef de gagner du temps et de s’être ménagé des plans B, C, D en son sein et à l’extérieur, dont celui de Diomaye Faye avec la suite que l’on sait.
Derrière tout contexte singulier, en l’occurrence ce contexte pré-électoral, il y a un acteur singulier qui est le parti Pastef.
Pastef est né en 2014, à peine 10 ans, avec comme principaux dirigeants des inspecteurs des impôts et domaines dont le leader est Ousmane Sonko. Ce dernier n’a pas cessé de dénoncer des scandales fonciers, financiers, fiscaux commis par le régime avant d’être radié de la fonction publique en 2016.
Ses critiques argumentées et documentées contre le pouvoir à travers différents canaux et aussi sa réputation d’intégrité confèrent à Ousmane Sonko et à Pastef une rapide et croissante popularité. Dans un pays où, au niveau des présumées élites, le vol des deniers publics est un sport national bien avant la lutte et le football, être inspecteur principal d’impôts non suspect, de même pas un centime de corruption ou de détournements, a fait mouche, surtout parmi la jeunesse. Cette jeunesse que ces pratiques prédatrices poussent à l’exil dont le terminus est parfois les fonds de la Méditerranée et de l’Océan atlantique. Tandis qu’il est un secret de polichinelle que même les plantons ou les gardiens sont millionnaires aux Impôts et Domaine.
Une autre particularité du Pastef n’est pas seulement d’être créé après l’indépendance par des individus nés bien après l’indépendance politique en 1960, mais surtout de n’avoir jamais été mêlé de près ou de loin à la « mangerie » et à la Françafrique, au moins concernant son ossature originelle.
Or, depuis 1960, le Sénégal est dirigé par deux partis ainsi que leurs démembrements consécutifs à des scissions : grosso modo, le Parti socialiste (PS) de 1960 à 2000, le Parti démocratique sénégalais (PDS) et ses clones de 2000 à 2024. Il y eut deux alternances en 2000, puis en 2012, qui ne se sont pas traduites par un renouvellement radical du personnel politique. Dans un pays dit sous-développé où les positions de « survie économique » sont réduites à l’appareil d’État pour cette gent, une grande partie de la coalition battue opère une transhumance pour continuer à picorer à la « mangerie » dans le cadre d’un deal : soutien politique contre enterrement des dossiers du régime sortant.
Plus qu’une alternance, l’élection de Diomaye Faye est non seulement une alternative, mais se voudrait par ailleurs une rupture avec plus de 60 ans de règne de partis du système néocolonial depuis l’accession du pays à l’indépendance politique en 1960. C’est sans doute aussi un renouvellement générationnel qui envoie à la retraite de larges pans de la classe politique composée en partie de dinosaures en place depuis des décennies.
Un héritage cataclysmique et … des attentes abyssales
Après l’accession du Sénégal à l’indépendance en 1960, la corruption s’est installée progressivement dans les mœurs politiques. De 1960 à 2000, le régime PS y mettait les formes en faisant preuve de scrupules. A leur époque, un marché supérieur à 300 millions de Francs CFA[i] était passible d’un appel d’offres. Une grande partie des dignitaires du régime PS ont fini leur vie avec un train de vie modeste, dans la précarité ou même dans la pauvreté.
Le niveau de concussion, de gabegie et de népotisme a atteint un autre palier avec la première alternance de l’année 2000 avec l’accession au pouvoir du PDS dirigé par Abdoulaye Wade. Dans sa sagesse et son humour comme arme de résistance, la population a appelé ce changement non pas une alternance, mais une alterNoce, « Noce » signifiant « Bamboula » aussi en wolof, la langue majoritairement parlée dans le pays.
Mais c’est à partir de la deuxième alternance en 2012 que les phénomènes de prévarication ont atteint un niveau stratosphérique inégalé avec le régime de Macky Sall. Rappelons que ce dernier a eu le temps de faire ses classes sous le régime de son ex-mentor Abdoulaye Wade avant de tomber en disgrâce à la suite d’une brouille en 2008.
En 2012, le régime de Macky Sall prétendait avoir l’ambition d’un Sénégal émergent ou bien à la rigueur en voie d’émergence à la fin de son magistère. A son départ, loin de connaître l’émergence, le Sénégal « a reculé de la 154e à la 169e place (sur 193 pays) dans le classement IDH [Indice de Développement Humain du Programme des Nations Unies pour le Développement][iii] ». Par contre, il y a l’émergence de nombreux ou de nombreuses milliardaires. Dans son entourage, de nombreuses personnes se sont enrichies d’une manière ahurissante à une vitesse stupéfiante. Il ne manque pas de personnes simples locataires ou ayant emprunté uniquement les transports en commun de se retrouver, quelques années plus tard, propriétaires d’immeubles et/ou roulant avec des voitures 4*4 ou 8*8 rutilantes hors de prix. Les marchés de plusieurs milliards ont été négociés gré à gré et accordés à des copains, copines et coquin-e-s.
Sous réserve de validation par la cour des comptes, l’audit financier présenté par le gouvernement en septembre 2024 donne une idée de la nature vertigineuse du carnage financier à l’actif du régime de Macky Sall, sans compter le maquillage des indicateurs économiques, en particulier le taux d’endettement extérieur et le déficit budgétaire[iv] :
Entre 2019 et 2024, 5400 milliards de Francs CFA sur des contrats par entente directe[v] ;
605 milliards de Francs CFA de sur-financement ont été accordés par le FMI pour 2024 en prévision de l’année électorale, ils ont été totalement dépensés en 2023 dont la moitié sans traces jusqu’à présent ;
1892 milliards de Francs CFA de dettes ont été contractées à l’extérieur sans être comptabilisés par les organismes techniques habilités qui n’ont reçu aucune notification, l’Assemblée nationale non plus ;
Depuis 2019, plus de 2500 milliards de Francs CFA de dépenses ont été effectuées sous couvert du secret-défense, même par exemple pour des équipements scolaires ou du système hospitalier dans le domaine public civil ;
Un endettement passé de 2700 milliards de Francs CFA en 2011 CFA à 16200 milliards de Francs CFA en 2024 et maquillé à 14 400 milliards de Francs CFA [vi];
Une ribambelle de projets aussi inutiles que coûteux comme source de surfacturations, de commissions et de rétro-commissions ;
Etc.
Quant au cannibalisme foncier, il n’a pas épargné le bâti de l’État, le foncier urbain, le littoral et le domaine maritime protégés ainsi que les terres cultivables ou le foncier à l’intérieur après le pillage-partage entre la bourgeoisie bureaucratique, compradore et la féodalité maraboutique de la région de la capitale Dakar.
De nombreux scandales se chiffrant à des dizaines ou des centaines de milliards de Francs CFA ont émaillé la gouvernance du régime de Macky Sall entre 2012 et 2024 :
Petro-Tim : l’implication dans des transferts d’actifs pétroliers d’Aliou Sall, frère du président Macky Sall ;
CovidGate : gestion opaque des 1000 milliards destinés à contrer l’impact de l’épidémie ;
Arcelor Mittal : renégociation au rabais d’une indemnité pour rupture abusive de contrat que devait verser la multinationale ;
PRODAC : Environ 29 à 26 milliards de Francs CFA pour des domaines agricoles communautaires pour l’emploi des jeunes et pour contribuer à l’autosuffisance alimentaire qui n’ont jamais vu le jour ;
Building Administratif : réfection ruineuse à fonds perdus de ce bâtiment ;
« Fondation Servir le Sénégal » : fondation de l’épouse de l’ex-président gérée une décennie sans bilan ni audit tout en brassant des milliards en violation de la règlementation en vigueur ;
Armement : contrat controversé d’achat d’armes de 45 milliards de Francs CFA par le ministère de l’environnement ;
Une multitude de surfacturations dans des confections à l’étranger de passeports, de cartes d’identité biométriques ;
Les éventuelles auteur-e-s de ces scandales n’ont eu rien à craindre, car l’impunité a été érigée en seconde nature de la gouvernance du régime de « Maquis très Sale ». Le président Macky Sall a avoué lui-même avoir mis son coude sur des dossiers de prédation des corps de contrôle qui devraient être transférés à la justice. Principalement, parmi cette sinistre horde, seuls deux individus ont été inculpés et condamnés, car ils ont été plutôt des obstacles politiques au président Macky Sall en s’évertuant à se présenter contre lui aux élections présidentielles de 2019. Après sa réélection, ils ont été libérés et graciés. En voilà une autre facette de ce régime : une instrumentalisation de la justice comme outil de chantage aux adversaires ou aux ennemis politiques !
Quant aux attentes du peuple sénégalais, en particulier sa jeunesse qui s’est mobilisée, voire qui s’est sacrifiée au prix du sang pour la victoire de Pastef, elles sont abyssales :
Le revers des milliardaires générés par la prédation est une pauvreté galopante impactant une majorité de la population. Dans la plupart des ménages, les « 3 repas quotidiens » furent depuis longtemps un vieux souvenir. Actuellement, avec le système dit « Gobar Diaci », c’est tout au plus un repas à midi dans lequel on prélève une partie pour les enfants le soir, chaque adulte devant se débrouiller pour le dîner et le petit-déjeuner.
Le désert du Sahara, l’océan Atlantique, la Méditerranée continuent à être le cimetière de centaines ou de milliers de jeunes à la recherche de moyens d’un bien-être, surtout pour leurs familles, quitte à prendre tous les risques possibles ;
Un système de santé et un système scolaire à plusieurs vitesses marginalisant ou excluant les couches populaires. Dans de nombreuses localités, des abris dits provisoires font office de salles de classe où les cours sont impossibles à la moindre intempérie.
Malgré plusieurs centaines de milliards de Francs CFA présumés investis dans l’assainissement et l’aménagement, des inondations provoquent toujours le calvaire dans les quartiers populaires urbains qui souffrent paradoxalement d’une pénurie d’eau potable. Il en est de même des crues des cours d’eau pour les populations riveraines.
Pour résumer, la situation est grave ou sinon catastrophique dans tous les autres secteurs pour l’immense majorité du peuple.
Avec un tel héritage et des attentes aux antipodes, il va de soi qu’il sera difficile quelles que soient les meilleures intentions du nouveau gouvernement de faire des miracles.
Les premiers actes posés
Le Pastef accède au pouvoir sans disposer de toutes les prérogatives constitutionnelles pour légiférer face à une Assemblée nationale toujours dominée par la coalition du pouvoir sortant. Et cette dernière ne peut être dissoute qu’au moins deux ans après son installation, c’est-à-dire au plus tôt en septembre 2024 suite au début d’une nouvelle législature en septembre 2022. Sur ce,le parlement a été dissout en septembre 2024 pour être renouvelé par des élections législatives le 17 novembre 2024 qui seront abordées ci-après. Par conséquent, durant cette période transitoire d’environ 6 mois, en dehors d’une entente hypothétique avec la majorité du pouvoir, le nouveau régime ne dispose que des décrets, des ordonnances de son président Diomaye Faye, dans l’impossibilité de voter une loi ordinaire, a fortiori une loi de nature organique ou constitutionnelle requérant plus que la majorité absolue.
En plus de ces handicaps, le pouvoir sortant a semé plusieurs pièges :
Des approvisionnements pour les raffinages et les centrales électriques n’ont pas été sécurisés dans l’intention de provoquer des coupures d’électricité ou un black out quelques semaines après l’avènement de Pastef à la tête de l’État ;
Des milliers de nominations, de recrutements à durée indéterminée, de décorations, d’augmentations de salaire, de signatures de contrats, de ventes d’actifs publics ont été décidés dans les derniers jours ou même les dernières avant la passation du pouvoir le 2 avril 2024 ;
Des ardoises de dettes ont été laissées presque dans tous les démembrements de l’État. Par exemple, pour le financement de la campagne agricole en mai-juin 2024, le gouvernement de Pastef a été obligé d’éponger un passif de 41 milliards de Francs CFA aux fournisseurs pour les années 2021, 2022, 2023.
Il ne faudrait pas oublier le défi toujours actuel face à une opposition riche de ses rapines et de ses razzias dans des caches ou dans des paradis fiscaux, avec une presse privée majoritairement à ses ordres. Sous le défunt régime, cette dernière a vécu grâce à un étrange modèle économique fondé sur des amnisties fiscales à répétition, sur des contrats avec l’État et/ou avec des sociétés publiques, mais aussi sur une escroquerie pure et simple par le vol de la TVA collectée et par le vol des cotisations sociales et des impôts prélevés sur le personnel.
Toutes ces mines posées ont eu comme dessein manifeste de planter le nouveau pouvoir, de créer le chaos pour « prouver » l’incompétence de nouvelles autorités de manière à rendre le pays ingouvernable et espérer revenir au pouvoir au plus tard aux échéances présidentielles de 2029, voire même imposer une cohabitation à l’occasion des élections législatives anticipées du 17 novembre 2024. Cependant, Pastef a réussi à déjouer ces pièges, non sans avoir posé certains actes.
Dans la formation du gouvernement, pour éviter les suspicions ou les allégations de vengeance, des personnalités mises au banc par l’ancien régime pour leur « indépendance » ou autrement pour le refus de contribuer à l’embastillement de l’opposition (en particulier de Pastef) ont été nommées à des fonctions ministérielles régaliennes. Ainsi, un ex-magistrat a été nommé ministre de la Justice, un ancien officier de gendarmerie au poste de ministre de l’Intérieur, un ancien officier de l’armée au portefeuille de la Défense.
Pour donner des gages sur la priorité à la compétence, le ministère de l’Agriculture a été confié à un ex-banquier d’affaires enrichi à l’extérieur avant de rentrer et de créer des fermes agricoles performantes, tandis que le ministère de l’industrie a été confié à un ancien de Nestlé ayant déposé plusieurs brevets.
En termes de rupture, le gouvernement de Diomaye Faye–Ousmane Sonko a posé des actes indéniables :
Organisation d’états généraux de la justice à l’issue desquels les magistrats exécutants de basses œuvres du régime déchu ont été mis au placard, des juridictions ont été mises en place pour la reddition des comptes avec le début de l’arrestation et l’inculpation de dignitaires du régime de Macky Sall ;
La chasse et l’annulation de privilèges fiscaux indus, entre autres concernant une presse aux ordres de l’ancien pouvoir ;
Le retrait de toutes les voitures de fonction, de logements de fonction, de passeports diplomatiques indus après la fin de l’exercice des fonctions y relatif ;
Un audit et le cas échéant une renégociation de contrats dans le domaine des hydrocarbures, de la pêche, des ressources minérales et naturelles en général ;
Le gel de toutes les opérations foncières litigieuses ;
Le début de la suppression de tous les organismes superflus et budgétaires pour recaser une mafia de politiChiens ou de politiChiennes, d’affairistes et d’une féodalité maraboutique ;
Au niveau de la politique étrangère, le Sénégal n’est plus un pion de la Françafrique sur la vassalité de laquelle l’État français pourrait miser, en voici quelques séquences :
Dans son discours à la 79ème assemblée générale de l’ONU, le président Diomaye Faye a dénoncé toutes les puissances étrangères qui tirent les ficelles dans les conflits en Afrique, surtout au Sahel[viii] ;
Le Sénégal a explicitement condamné les « opérations » de l’armée israélienne à Gaza comme un génocide, a exigé un cessez-le-feu et réitéré sa position pour « la solution à deux États » par la création d’un État palestinien à côté de celui d’Israël conformément aux résolutions de l’ONU ;
L’absence pour la première fois d’un chef d’État sénégalais en 2024 en France au sommet de la francophonie et aux cérémonies d’une célébration du débarquement de Provence, en l’occurrence le 80ème anniversaire ;
Sans complicité et sans connivence avec l’État français, la prise en main de la célébration par l’État sénégalais du 80ème anniversaire du massacre de centaines de tirailleurs réclamant leurs soldes de captivité par l’armée française le 1er décembre 1944 ;
Etc.
La reddition des comptes est entravée dans une certaine mesure par une loi d’amnistie ou plutôt une loi d’autoamnistie votée à la 25e heure par le défunt régime pour la période mars 2021–mars 2024 où environ 85 personnes ont été tuées, des centaines de personnes blessées ou handicapées à vie, des milliers de personnes emprisonnées, avec des banqueroutes de nombreuses activités ou entreprises, des naufrages de plusieurs couples ou ménages, etc. Pour abroger cette loi, il faudra au gouvernement de Diomaye-Sonko une majorité parlementaire aux élections législatives du 17 novembre 2024. D’où, entre autres, un enjeu de ces élections.
Par ailleurs, la reddition des comptes pourrait être contrariée par ce qui semble être un reniement d’un engagement de Pastef à ne point favoriser la transhumance des membres de l’ancien pouvoir dont certains ont été reçus en personne par le premier Ousmane Sonko. Ces membres vont-ils bénéficier d’une impunité au cas où ils seraient soupçonnés dans des détournements de fonds publics. En tout cas, c’est une pratique réprouvée et rejetée fortement par la base de Pastef au point d’avoir engendré un début de crise ou de brouille au sein de la galaxie de Pastef, y compris au sein du « duo inséparable » entre le président et le premier ministre. C’est toute la crédibilité du crédo « Jub, Jubal, Jubbanti », traduisible en français par « Droiture, Probité, Exemplarité[ix] », qui est dès lors questionnable.
Leurres et lueurs de la « rupture systémique »
Après leur victoire électorale en 1970 au Chili, les forces de l’Unité populaire (UP) sous la direction de Salvador Allende se sont fixé de construire un socialisme tout en restant dans le cadre de la légalité constitutionnelle inscrite dans les gènes d’une démocratie au demeurant bourgeoise. L’UP a été tout sauf un ramassis de bolchéviks avec des couteaux entre les dents. Tout au contraire, ils ont fait preuve de modération, par exemple en nationalisant des secteurs de l’économie moyennant une indemnisation. Pour sa survie politique face à un parlement hostile, l’UP a essayé de faire preuve d’esprit de compromis avec le résultat que l’on sait : le 11 septembre 1973, le régime démocratiquement élu de l’UP fut renversé par un coup d’État sanglant dirigé par Augusto Pinochet (ancien commandant en chef de l’armée chilienne nommé par Allende !) qui a instauré durant environ deux décennies un régime de terreur au Chili, avec le soutien des USA et du capital national. C’est un autre « 11 septembre » que l’on claironne moins dans le « monde libre, civilisé et démocratique ».
En 2024 au Sénégal, Pastef fait la promesse d’une « rupture systémique » tout en respectant la légalité constitutionnelle. Par cette rupture, Pastef n’entend pas instaurer un socialisme comme l’UP au Chili : ah, on vit une autre époque, le socialisme est mort ou plutôt sa perversion ou dégénérescence politico-bureaucratique sous la forme d’un capitalisme d’État en ex-URSS ou en Chine, etc. ! Le mantra de Pastef est le souverainisme, le panafricanisme dans ses tendances dominantes et dans une certaine mesure l’anti-impérialisme. Car Pastef, comme toute entité, n’est pas homogène. Il est grosso modo traversé d’une part par un courant libéral, et d’autre part par un courant de gauche avec des nuances. Le courant libéral, largement dominant, sinon hégémonique, se subdivise en un sous-courant libéral sur les questions de société et en sous-courant conservateur, voire réactionnaire sur les questions de mœurs et de morale.
La lecture, les interprétations, les arrière-pensées par rapport au « Projet » du Pastef varient évidemment selon les tendances politiques en son sein. Avant la prise du pouvoir, ce « Projet » comme leitmotiv à la bouche de l’ensemble des militant-e-s de Pastef a été opérationnalisé après la prise du pouvoir et présenté comme un plan à long terme « Sénégal vision 2050 nouveau référentiel[x] ». Cette vision est tout d’abord échelonnée en plan d’action de cinq ans comparable à un plan quinquennal intitulé « Stratégie Nationale de Développement 2025-2029[xi] », ensuite découpée aussi en master plan comparable à un plan décennal. La vision 2050 appelée aussi « Sénégal 2050- Agenda National de Transformation » se décline en quatre axes :
« Axe 1 : Economie Compétitive ;
Axe 2 : Capital humain de qualité et Equité sociale ;
Axe 3 : Aménagement et Développement durables ;
Axe 4 : Bonne Gouvernance et Engagement africain ».
Concrètement pour la ligne libérale dominante au niveau de Pastef, cela consiste à moderniser et développer le secteur primaire (agriculture, pêche, élevage, minerais, etc.) pour viser non seulement une autosuffisance alimentaire, mais aussi en même temps fournir des inputs pour l’incubation ou l’éclosion d’une industrie de transformation pour créer les chaines de valeurs les plus complètes de la matière première à la consommation locale du produit ou son exportation. L’État va créer l’environnement en termes d’infrastructures et de réglementation pour inciter les capitalistes nationaux et les entreprises transnationales, oh pardon les « opérateurs économiques nationaux ou le secteur privé » et les « partenaires étrangers », à investir. A l’image de plusieurs pays asiatiques qui se sont économiquement développés comme la Corée du Sud, Singapour et des pays africains en phase de décollage économique comme le Botswana et le Rwanda, la vision 2050 s’assigne comme but l’édification d’un capitalisme national « assaini » des turpitudes et des aspects les plus odieux du capitalisme. Implicitement avec l’objectif d’une autosuffisance alimentaire et une amorce d’une industrialisation alimentée par des inputs ou surplus agricoles, le modèle envisagé est celui d’une substitution aux importations. Alors que la Corée du Sud s’est économiquement envolée sur la base des exportations en remontant progressivement les filières du textile au numérique et au nucléaire en passant par les industries mécaniques et les chantiers navals sous une dictature sanguinaire qui s’est muée beaucoup plus tard en régime démocratique libéral comme à Taïwan entre autres. Il serait important de rappeler qu’en 1960 que le PIB par tête de la Corée du Sud était inférieur à celui du Sénégal et de la Côte d’Ivoire. Par ailleurs, avec le soutien populaire et surtout exigeant de la part de la jeunesse, tout porte à croire que Pastef aura le souci de créer une paix sociale à travers un consensus par des prestations d’un service public à travers un large réseau d’infrastructures éducatives, de formation, de santé, d’accès aux services de base (eau, électricité, connectivité, mobilité) couvrant l’ensemble du territoire et profitant à une grande partie de la population. Pour user d’une boutade pour résumer, le credo du courant libéral hégémonique dans Pastef pourrait être à l’endroit des capitalistes nationaux et étrangers "partenaires" : « enrichissez-vous en innovant, en créant des emplois, en générant des valeurs ajoutées, autrement dit enfin développez l’agriculture et industrialisez le pays ! ». Et ce à l’apposé des défunts régimes d’Abdoulaye Wade et de Macky Sall où les milliardaires se fabriquaient sur la base d’octrois à la tribu de situations de rente par l’octroi de marchés parfois non ou partiellement exécutés, de monopoles d’importation ou d’exportation, si ce n’est de leur verser directement le pactole sans autre forme de procès !
Si, au niveau des rapports sociaux internes, on peut ne pas être préoccupé par la perspective de revirements ou de volte-face, en ce sens que Pastef n’a jamais brillé par un penchant transgressif sur les questions comme celles du patriarcat et de la féodalité maraboutique, comme on le verra plus tard, il n’en est pas de même quant à la volonté proclamée de rupture système avec l’impérialisme.
Mais sur le plan de la rupture vis-à-vis de l’extérieur, il y a un signe qui ne trompe pas, à savoir la sollicitude avec laquelle le gouvernement Pastef a tenu à informer le FMI du trucage de tous les comptes financiers par le régime de Macky Sall. Le gouvernement sénégalais a un devoir de transparence et de vérité par rapport au peuple sénégalais, mais nullement envers l’impérialisme international et ses institutions financières. C’est comme si Pastef voulait donner des gages en jouant le rôle de bon élève et/ou de balance. En outre, ce serait faire preuve de naïveté de penser que le FMI n’ait pas été au courant des subterfuges du régime défunt, au vu de tous les moyens de renseignement dont disposent les pays occidentaux principaux actionnaires du FMI. Ce serait oublier aussi que le régime de Macky Sall a entretenu des relations étroites avec les services secrets français et israéliens, pour ne pas dire qu’il a été même chapeauté par ces derniers. En général, les puissances impérialistes occidentales ou autres sont plus informées dans de nombreux domaines que les pays dits sous-développés sur leurs territoires de par leurs outils d’interception et d’observation satellitaire, sans compter leurs agents infiltrés.
Un autre signe qui ne trompe pas, ce sont les nuances ou les inflexions progressivement introduites dans les éléments de langage quant aux rapports avec les pays impérialistes. En vedette, les mots « partenaires » ou « partenariats » sont usités et prisés. Ainsi, le FMI, la Banque Mondiale, les puissances impérialistes sont affublées du nom de « partenaires ». A mille lieues d’être des poètes, enfants de chœur ou philanthropes, les puissances impérialistes ne connaissent pas le langage du « partenariat », mais celui des rapports de force, du profit, du froid calcul de l’intérêt au sens propre et au sens figuré.
Quid des autres chantiers présumés de « rupture systémique » ? En tout, il peut être noté un silence ou un amollissement vis-à-vis de certains axes de rupture :
La dénonciation et la divulgation des dits accords de coopération avec la France depuis 1960 comportant des clauses secrètes au moins dans ses aspects militaires pour rompre le cordon ombilical néocolonial ;
Le retrait total de la base militaire française au Sénégal (il parait que ce sera acté, mais avec un bémol qui serait le maintien d’une « coopération » militaire) ;
Le retrait de la Zone Franc ;
La nationalisation sans indemnisation de toutes les entreprises multinationales française comme compensation au vol et au pillage subis durant des siècles.
A la décharge de la ligne dominante de Pastef, ce serait problématique ou voire suicidaire ou « mission impossible » d’affronter frontalement l’impérialisme seul en tant que pays dominé. Mais le mérite aurait été de le poser et de travailler avec d’autres forces à la révolution dans un cadre sous-régional ou dans un cadre régional en Afrique. Or l’ambition de cette ligne dominante n’est pas de remettre en cause le califat, mais d’essayer de jouer une partition « gagnant-gagnant » sur toute la planète en s’émancipant du statut d’ex-larbin cloué dans un pré-carré français. Par ailleurs, il serait bien indiqué de nuancer le statut de valet vis-à-vis de l’impérialisme français. Depuis le régime d’Abdoulaye Wade (2000-2012), la France n’est plus hégémonique au niveau des échanges du Sénégal avec l’extérieur, sa position dominante a été bousculée et remise en cause avec l’ouverture envers la Chine, la Turquie, mais aussi grâce à un sursaut des échanges avec des pays comme les USA, l’Allemagne, etc. Cependant, sous le régime de Macky Sall (2012-2024), l’État français et les multinationales françaises sont parvenus à (re)contrôler un grand nombre de secteurs de l’économie (eau, autoroute, télécommunications, grande distribution, etc.) et à rafler les plus importants contrats étatiques (Train Express Régional, autoroutes, etc.). Il s’ensuit que le recul ou la marginalisation de l’impérialisme dans les échanges économiques avec le Sénégal n’est pas seulement le fait de puissances impérialistes dites émergentes, mais aussi celui de puissances impérialistes occidentales politiquement alliées avec la France.
Avec le sabotage, le boycott, l’embargo, le chantage et autres actions sordides dans l’arsenal de l’hégémonie des puissances impérialistes et des institutions financières internationales, il y a des leviers qui pourraient être actionnés. Bien avant ladite aide publique au développement, le premier poste de la balance des paiements du Sénégal est constitué par les plus de 1500 milliards de Francs CFA envoyés annuellement par la diaspora, soit plus de 10% du PIB[xii]. Cet argent est souvent consommé improductivement, par exemple pour acheter un poisson au lieu de contribuer à savoir pêcher. Imaginons un instant non seulement en termes de potentiel qu’une partie de ce montant soit investie, mais aussi que l’épargne de la diaspora soit mobilisée et que l’épargne locale soit boostée et rationalisée. Une grande partie de l’investissement de la diaspora est captée par l’immobilier et le foncier pour plus de sécurité, en partie à cause de structures étatiques mafieuses. Même dans ces sphères, la diaspora n’est pas à l’abri de nombreuses arnaques.
Sur la rubrique des rapports sociaux internes, une fois n’est pas coutume, il faut reconnaître le mérite de Pastef d’avoir porté la lutte contre la discrimination de certaines catégories comme les handicapés physiques, les aveugles. Ce sera probablement une première au Sénégal, il y aura des handicapé-e-s physiques au Parlement car figurant sur des places éligibles sur les listes de Pastef aux élections législatives. Une fois au Parlement, ils ou elles pourront amplifier le combat contre les préjugés, les stigmatisations, la mobilité par l’imposition de nouvelles normes inclusives de construction, l’aménagement des trottoirs et des édifices publics. Ce serait aussi le moment d’intégrer d’autres catégories comme les albinos dans cette dynamique de lutte contre les stéréotypes et les préjugés.
Quant au régime patriarcal sous lequel ploie une grande partie de la gent féminine, ce n’est pas dans un environnement où le président Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko sont tous les deux polygames avec des références fréquentes à Dieu et à l’islam dans leurs discours qu’on peut s’attendre à une ardeur frénétique ou éruptive pour l’émancipation de la femme. Le Code de la famille et une idéologie dominante s’adossant à la religion et aux traditions rétrogrades font perdurer un lot d’oppression ou de discrimination sur les femmes :
Le régime de la polygamie ;
Le pouvoir de répudiation du mari ;
Une part d’héritage moitié moindre par rapport aux mâles ;
Des mariages précoces ou forcés des filles, avec une déscolarisation surtout en milieu rural ;
Un accès à la terre impossible ou restreint, surtout en milieu rural ;
Une lutte ferme et financée contre les pratiques d’excision.
L’aile libérale réactionnaire de Pastef a dans son agenda une criminalisation de l’homosexualité qui est toujours un délit au Sénégal depuis une loi héritée de la période coloniale. Par contre, la criminalisation de la corruption « ici et maintenant » ainsi que son imprescriptibilité ne feraient pas partie de ses chevaux de bataille.
Enfin, des rapports étroits ou de complaisance continuent à être entretenus avec la féodalité maraboutique. Le Premier ministre Ousmane Sonko a un marabout. Serait-ce pour des raisons tactiques dans un pays à 95% musulman avec un engouement religieux où il fut dépeint par le pouvoir déchu et une certaine opposition comme un salafiste. Cette féodalité maraboutique fut l’alliée de tous les régimes néocoloniaux depuis l’indépendance politique en 1960. Et elle n’a pas bougé le petit doigt quand Pastef subissait la répression cruelle du régime de Macky Sall. En outre, les confréries religieuses n’ont plus le pouvoir réel de « grands électeurs » qu’on leur attribuait. Les fidèles se sont autonomisés et ont appris à faire la part des choses entre le sacré et le profane, entre le spirituel et le temporel. En effet, Bassirou Diomaye Faye a remporté le scrutin présidentiel de mars 2024 quasiment dans tous les foyers confrériques sans y avoir mis les pieds (Touba, Tivaouane, Medina Baye, Yoff, etc.). Il a raflé 13 des 14 régions du Sénégal ainsi que la Diaspora. A cette aune, le peuple est en avance sur ses présumées élites. Et le principe de réalité recommanderait d’appliquer strictement la laïcité en tant que séparation totale entre la religion et l’État dans le cadre d’une liberté de conscience où on peut être agnostique, libre-penseur, athée, juif, musulman, hindouiste, chrétien, bouddhiste, etc.
Le défi des élections législatives du 17 novembre 2024
Ces élections anticipées mettent en compétition 41 coalitions électorales dont les plus grandes sont a priori :
Pastef sous sa propre bannière ;
Takku Wallu Sénégal (TWS) qui est une coalition de l’ex-parti au pouvoir Alliance Pour la République (APR) de Macky Sall avec alliés libéraux du PDS et de ses démembrements dans le temps ;
Jam Ak Jariñ (JAJ) qui est une coalition formée d’une scission de l’APR, fondée par l’ex-premier ministre et ex-candidat battu aux présidentielles de mars 2024 de l’ex-coalition au pouvoir, Amadou Bâ, avec d’autres partis de cette ex-coalition comme le PS et ses démembrements dans le temps ;
Samm Sa Kaadu (SSK) est une coalition composée de plusieurs partis ex-alliés de Pastef, de partis qui sont des scissions du PS ou du PDS et de partis n’ayant jamais été associés à un pouvoir.
165 sièges de député-e-s sont en jeu dont 53 sont disputés au scrutin proportionnel au niveau des listes nationales et 112 sièges au scrutin départemental majoritaire au niveau des 46 départements du Sénégal et des 8 circonscriptions de la diaspora sénégalaise dans le monde, soit un total de 54 circonscriptions.
La particularité de cette élection est l’union dans une inter-coalition de toutes les trois autres grandes coalitions (TWS, JAJ, SSK) contre Pastef dans tous les scrutins majoritaires départementaux. De facto, tous les partis du système néocolonial et leurs démembrements depuis 1960 se sont ligués contre Pastef, parmi lesquels plusieurs ex-alliés de Pastef ne sont pas les moins virulents. Deux facteurs pourraient expliquer une union subite contre-nature de partis en guerre dans un passé récent :
Le rouleau compresseur de Pastef durant les élections présidentielles remportées à 54% avec une victoire dans la diaspora et dans les 13 régions du Sénégal sur 14. Il y a environ seulement 7 mois. Après 7 mois de pouvoir limité, la dynamique devrait être préservée aux élections législatives, voire dopée avec l’effet amplificateur du scrutin majoritaire ;
Au vu de ce reflexe et la furie anti-Pastef de cette inter-coalition dans son ensemble, on pourrait subodorer qu’elle a quelque chose à se reprocher ou a bénéficié du système de prédation décrite comme « Tok, Teudd, Nélaw, Mouy dokh », autrement dit en français « assis, être couché-e, en sommeil, mais en tout cas, les sous tombent toujours ».
L’enjeu pour Pastef pour réaliser toutes ses réformes de « rupture » n’est pas de remporter une victoire absolue de 83 sièges, mais au moins une majorité de trois cinquièmes (3/5) avec 99 sièges pour pouvoir modifier la Constitution ou adopter des lois organiques. Selon des projections des résultats de l’élection présidentielle de mars 2024 sur ces législatives anticipées suivant une méthodologie statistique rigoureuse, le Pastef disposerait au moins de 105 à 115 sièges[xiii]. Malgré peut-être un éventuel effet d’usure et le fait que l’élection présidentielle a été plus mobilisatrice du fait de sa nature d’un référendum pour ou contre le régime de Macky Sall, il n’est pas exclu que Pastef rafle 120 à 130 sièges sur les 165 sièges pour les considérations que voici :
Les partis de la coalition sortante ont subi de nombreuses scissions, démissions et défections ;
Ces partis ne disposent plus des moyens de l’État au niveau financier, au niveau régalien pour influer négativement illégalement en amont ou en aval sur l’issue du scrutin ;
L’effet amplificateur du scrutin majoritaire départemental pour les 112 sièges sur un total de 165 sièges.
Pour les communistes internationalistes, l’enjeu est l’élection du maximum de députés de la gauche révolutionnaire au sein de Pastef en tant que semence d’une révolution socialiste pour l’émancipation sociale pour extirper toute forme d’exploitation de l’homme par l’homme dans une génération sur la base des avancées ou de la réussite du projet de la « rupture systémique » ou d’un capitalisme national de Pastef.
[i] 1 Euro = 655,957 Francs CFA ou bien 1 Franc CFA = 0,00152449 Euro
COP 29, LES PAYS AFRICAINS INVITÉS À MISER SUR LES TECHNOLOGIES VERTES
Selon El Hadji Diop, la crise économique mondiale limite les financements climatiques promis par les grandes puissances, appelant ainsi à renforcer le transfert de technologies vertes et l’usage de crédits carbone pour une adaptation durable.
El Hadj Diop, point focal développement et transfert de technologie du Sénégal auprès du mécanisme technologique de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements (CCNUCC), a invité les pays africains à miser sur les innovations et technologies ‘’vertes’’ pour atténuer et s’adapter aux effets du changement climatique.
‘’Les pays en voie de développement sont venus à la COP 29 pour bénéficier de la finance climatique. Mais il ne faut perdre de vue que les grandes économies censées apporter ces financements sont en crise’’, a dit M. Diop, lors d’un entretien accordé à l’APS.
Ouverte lundi à Bakou, la 29e session de la conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements (CCNUCC), vise principalement ”un nouvel accord chiffré sur le financement climatique”. Cette conférence se poursuivra jusqu’ au 22 novembre 2024.
Selon lui, ‘’ces pays développés qui ont pour la plupart pris des engagements financiers ne peuvent pas les respecter aujourd’hui’’.
A titre d’exemple, il a cité le cas des Etats-Unis avec la réélection du président élu Donald Trump qui pourrait remettre en question l’engagement de ce pays en faveur de la finance climatique.
‘’Donc, j’appelle nos pays, les pays en voie de développement comme le Sénégal à miser plus sur le transfert de technologie et le crédit carbone pour atténuer et s’adapter au changement climatique plutôt que sur les promesses de financement des grandes économies’’, a-t-il préconisé.
Selon lui, ‘’c’est bien beau de penser qu’il est possible de mobiliser des ressources financières auprès des pays développés pollueurs mais la réalité est que nous n’avons aucune possibilité de les contraindre à respecter leurs engagements’’.
‘’Nos pays doivent donc mettre en place des technologies efficientes comme les véhicules électriques, solaires, éoliennes qui permettent d’économiser l’énergie, de réduire les émissions de gaz à effet de serre mais aussi d’atténuer les effets du changement climatique’’, a-t-il réitéré.
M. Diop a reconnu que le Sénégal a certes fait des pas en matière de transfert de technologie verte et de découverte technologique mais malheureusement ne les met pas suffisamment en valeur. ”C’est un handicap sur lequel il faudra réfléchir’’, a-t-il souligné.
Le mécanisme technologique de la CCNUCC, créé en 2010, fournit aux pays en développement des conseils stratégiques sur les technologies respectueuses du climat.
THIAROYE N'APPARTIENT PAS QU'À LA FRANCE
Mamadou Diouf dénonce l'obstruction persistante de Paris dans l'accès aux archives sur le massacre. Pour le président du comité de commémoration, il est temps que l'Afrique reprenne le contrôle de son récit historique
(SenePlus) - Soixante-dix-neuf ans après le massacre de Thiaroye, les relations entre la France et le Sénégal restent marquées par ce drame colonial. Dans un entretien accordé au journal Le Monde, Mamadou Diouf, historien à l'université Columbia de New York et président du comité de commémoration, revient sur les enjeux contemporains de cette mémoire douloureuse.
Le 1er décembre 1944, l'armée française ouvrait le feu sur des tirailleurs africains dans le camp militaire de Thiaroye, près de Dakar, alors qu'ils réclamaient leurs primes de démobilisation. Longtemps qualifié de "mutinerie" par la France, ce massacre revient aujourd'hui au centre des débats.
"Durant des décennies, la France a entravé la mémoire de ce massacre et exproprié les Africains de cette histoire", dénonce Mamadou Diouf. "Thiaroye est une tache morale indélébile que l'ancien colonisateur a longtemps tenté de dissimuler, en interdisant, par exemple, la diffusion du film d'Ousmane Sembène, ou en niant les faits."
La controverse s'est ravivée en juin dernier lorsque le président Macron a octroyé la mention "Mort pour la France" à six tirailleurs. Une décision unilatérale critiquée par le Premier ministre Ousmane Sonko. Pour l'historien, "ces commémorations constituent un acte fort, une manière de dire que l'histoire impériale ne peut plus être énoncée exclusivement par la France."
La question des archives reste un point de friction majeur. Malgré la remise de documents en 2014 sous François Hollande, les autorités sénégalaises suspectent l'existence d'archives secrètes. "Notre comité a identifié une liste d'archives non remises. Il a aussi cartographié les sites où elles pourraient être conservées en France", révèle le président du comité de commémoration.
Le nouveau pouvoir sénégalais entend faire de Thiaroye un symbole panafricain. "Ces tirailleurs, qui n'étaient pas uniquement sénégalais, mais aussi maliens, burkinabès, guinéens, ivoiriens, ont tous été victimes de la violence coloniale", souligne Mamadou Diouf. Des commémorations d'envergure sont prévues du 1er décembre 2024 à avril 2025, avec une forte dimension continentale.
Pour l'historien, cette démarche s'inscrit dans une volonté plus large de "rupture avec l'alignement hérité de la guerre froide et la 'Françafrique'". "Il s'agit de nous recentrer sur le continent. En cela, les nouvelles autorités marquent une rupture certaine dans l'histoire postcoloniale sénégalaise", conclut-il dans les colonnes du Monde.
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N'DOYE DOUTS, L'ENCHANTEUR DE LA MÉDINA
Sylvain Sankalé raconte un artiste rayonnant, dont les oeuvres ont transformé son quartier en une fête de couleurs. Le critique d'art reconstitue l'univers d'un créateur qui n'a jamais arrêté de le surprendre
La Galerie nationale d'art de Dakar accueille une exposition hommage à Mouhamadou N'doye, dit N'doye Douts, figure majeure de l'art contemporain sénégalais disparu prématurément en juin 2023 à l'âge de 50 ans. Sous le commissariat de Sylvain Sankalé, membre de la section sénégalaise de l'association internationale des critiques d'arts, cette rétrospective célèbre l' œuvre d'un artiste qui a su porter le regard de l'Afrique dans les plus grandes institutions culturelles mondiales.
Major de sa promotion à l'École Nationale des Arts de Dakar en 1999, N'doye Douts s'est rapidement imposé sur la scène internationale. Son court-métrage "Train-Train Medina" et sa participation à "Africa Remix" au Centre Pompidou en 2005 ont marqué les esprits, ouvrant la voie à une carrière internationale qui l'a menée des États-Unis à la Corée.
"Je ne l'ai jamais vu fâché", témoigne Sylvain Sankalé, qui suivait l'artiste depuis ses débuts. "Il avait une immense gentillesse, une immense grandeur d'âme". Cette joie de vivre se reflétait dans son art : ses œuvres capturaient l'essence vibrante de la Médina, son quartier natal, à travers une palette éclatante et des scènes de vie quotidienne animées de taxis, de cars rapides et de linges séchés sur les murs, à en croire Sylvain Sankalé. Ce dernier ajoute que N'doye Douts "est le seul à avoir traité cette thémtatique de cette manière, aussi sympathique, aussi agréable".
Derrière cette notoriété internationale, N'doye Douts est restée profondément attachée à ses racines. En toute discrétion, il a ainsi investi dans son village natal, finançant la construction d'infrastructures scolaires et médicales. Un engagement social qui témoigne de sa volonté de partager les fruits de sa réussite avec sa communauté.