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16 février 2025
Développement
par Makhtar Diouf
MIEUX COMPRENDRE NATIONS NÈGRES ET CULTURE
EXCLUSIF SENEPLUS - Cheikh Anta Diop s’inscrit dans ce que Louis Aragon nommait ‘la rééducation de l’homme par l’homme’, une lutte pour sortir des ténèbres. En Afrique, ces ténèbres furent imposées par le colonialisme et l’esclavage
L’ouvrage le plus connu de Cheikh Anta Diop est Nations nègres et culture. De l'antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l'Afrique Noire d'aujourd'hui publié à Paris en 1954.
La falsification de l’histoire
Pour Cheikh Anta Diop (1923 – 1986), l'humanité a pris naissance en Afrique dans la région des Grands Lacs à cheval sur la Tanzanie, l'Ethiopie, le Kenya et la vallée de l'Oromo.
L'Afrique est aussi le berceau de la civilisation. Les premiers Egyptiens qui étaient des Nègres, ont inventé la philosophie, les mathématiques et la médecine. La Grèce est à l'origine de la civilisation occidentale, mais ses plus grands savants (Thalès, Pythagore, Archimède, Platon, Hippocrate ...) sont tous allés puiser leur science dans l'Egypte nègre. Tous ces faits, tient à préciser l'auteur, portent les témoignages des fouilles archéologiques et de grands historiens de l'Antiquité comme Hérodote, Diodore, Strabon, Pline, Tacite. Et de rappeler que l'histoire n'est rien d'autre que découverte d'une vérité oubliée. C’est sans doute pour cela que Hegel a tenu à séparer l’Egypte de l’Afrique.
En dehors des historiens de l’Antiquité gréco-romaine, Cheikh Anta Diop s’est inspiré d’auteurs plus récents, partisans de l’antériorité des civilisations nègres. Ils ont pour noms : Volney (1757 – 1820), Abbé Henri Grégoire (1750-1831), Jean-François Champollion dit Champollion le jeune (1790 -1832), Antênor Firmin (1850-1911), Maurice Delafosse (1870 – 1926), Leo Frobenius (1873 – 1938).
De ces écrits, il ressort que les habitants de l’ancienne Egypte étaient de teint noir et étaient en avance dans les domaines scientifiques et philosophiques. Selon l’Allemand Leo Frobenius, ces Africains étaient civilisés jusqu’à la moelle de leurs os. Il ajoute qu’il ne connaît aucun peuple du Nord susceptible d’être comparé à ‘’ces primitifs’’ en terme de civilisation.
Cheikh Anta ayant lu ces écrits, soutient que le colonialisme a tout fait pour rendre les Africains amnésiques de leur passé : le but est d'arriver, en se couvrant du manteau de la science, à faire croire au Nègre qu'il n'a jamais été responsable de quoi que ce soit de valable, même pas de ce qui existe chez lui… L'usage de l'aliénation culturelle comme arme de domination est vieux comme le monde. Chaque fois qu'un peuple en a conquis un autre, il l'a utilisée. C'est pour les besoins de la colonisation de l'Afrique, « pour lui apporter la civilisation », que l'histoire a été falsifiée... La colonisation politique et économique est indissociable de l’entreprise de colonisation des esprits. Pour justifier la traite négrière et l'oppression coloniale, le thème de l'absence de culture (de l'esprit) chez les Noirs d'Afrique est invoqué (Diop 1954, 3° imp. 1979 : 14).
Cheikh Anta élabore ce livre dans la période 1948-53, en pleine période d’effervescence intellectuelle du Paris de l’après-guerre. Il n’a pas ses habitudes dans les cafés ‘’Flore’’ et ‘’Deux Magots’’ du quarter Saint-Germain-des-près de l’intelligentsia française, plutôt présent dans les bibliothèques pour ses recherches. Alors que les écrivains noirs s’intéressent les uns à la dimension culturelle, les autres à la dimension politique pour émotivement demander l’indépendance, il se met en symbiose sur les deux positions. Si l’Afrique a été colonisée pour lui apporter la civilisation, dans la mesure où il est révélé que la civilisation africaine est antérieure à la civilisation occidentale qui lui est même redevable, c’est tout le socle de la justification de la colonisation qui s’écroule. L’indépendance devient logiquement une exigence historique, cette fois scientifiquement démontrée. Comme il le dit : il ne s’agit pas de se créer de toutes pièces une histoire plus belle que celle des autres de manière à doper moralement le peuple pendant la période de lutte pour l’indépendance nationale, mais de partir de cette idée évidente que chaque peuple a une histoire…Si par hasard notre histoire est plus belle qu’on ne s’y attendait, ce n’est là qu’un détail heureux qui ne doit plus gêner dès qu’on aura apporté à l’appui assez de preuves objectives, ce qui ne manquera pas d’être fait ici (Nations nègres, éd. 1979, t. 1, p. 19).
Lorsqu’il assiste au Congrès des écrivains et artistes noirs en 1956, il a déjà écrit Nations nègres et culture. Cheikh Anta Diop revient sur ces thèses dans des publications ultérieures comme Antériorité des civilisations nègres (1967), Parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négro-africaines (1977), et dans son dernier ouvrage Civilisation ou Barbarie. Anthropologie sans complaisance (1981).
Remuements intellectuels autour de Nations nègres et culture
Nations nègres et culture est présenté par Aimé Césaire comme le livre le plus audacieux qu'un Nègre ait jusqu’ici écrit et qui comptera à n’en pas douter dans le réveil de l’Afrique (‘’Discours sur le colonialisme’’,1955, pp. 33/34).
Dans la France coloniale de l’époque, et même dans la France d’après 1960, les thèses de Cheikh Anta sont ressenties comme une onde de choc, comme un séisme psychique. Elles dérangent, donc rencontrent inéluctablement des détracteurs. C’est le sort fait partout dans le monde et à toutes époques de l’histoire à tous ceux qui professent des idées nouvelles. Le phénomène de résistance au changement est tenace et universel.
Les turbulences intellectuelles provoquées par ce livre font penser à cet incendie allumé par les idées, dont parlait Marx dans ses écrits de jeunesse. L’histoire abonde de situations où des porteurs d’idées nouvelles sont traités de fous et persécutés.
Le savant astronome italien Galileo Galilée (1564-1642) en avait fait les frais au 17ème siècle par emprisonnement. Son ‘’crime’’ avait été de reprendre la thèse de l’héliocentrisme développée au siècle précédent par l’astronome polonais Nicolas Copernic (1473 – 1543) selon laquelle la terre tourne autour du soleil. La croyance tenace à l’époque était que c’est le soleil qui tourne autour de la terre.
S’y ajoute en France l’hostilité des nostalgiques de la colonisation et des militants du néocolonialisme. Les écrits d’anthropologues et historiens européens sur l’antériorité des civilisations nègres n’étaient pas très connus, et émanaient de Blancs. On pouvait les ignorer, les classer dans la marginalité. Mais lorsque des écrits plus percutants sur le même thème proviennent d’un Nègre dont on pensait que la capacité intellectuelle était très limitée, c’est une autre histoire. Mais Cheikh Anta a eu la réaction scientifique attendue d’un intellectuel du type idéal.
Lorsqu’en 1970 il est sollicité par le Français René Maheu, directeur général de l’Unesco, pour la rédaction d’une Histoire générale de l’Afrique, il pose des conditions pour sa participation : que l’ouvrage traite de l’histoire ancienne de l’Afrique avec l’origine des anciens Egyptiens, que l’Unesco organise d’abord un Colloque auquel il sera fait appel aux plus grands spécialistes mondiaux de l’égyptologie, qu’ils soient informés deux ans avant pour leur permettre de se préparer, de fourbir leurs armes pour une confrontation scientifique des thèses, et que le colloque se tienne en Egypte même, au Caire.
Le Colloque se tient au Caire du 28 janvier au 3 février 1974, en présence d’une vingtaine de scientifiques d’Amérique (Canada, Etats-Unis), d’Europe, (Finlande, France, Suède), d’Afrique (Egypte, Soudan), de six observateurs et de deux représentants de l’Unesco. Cheikh Anta y vient avec son disciple l’historien congolais Théophile Obenga. Ils y font une grosse impression. Dans le rapport final présenté par le professeur français Jean Devisse, pourtant contestataire des thèses de Cheikh Anta, on peut lire : la très minutieuse préparation des communications des professeurs Cheikh Anta Diop et Obenga n’a pas eu, malgré les précisions contenues dans le document de travail préparatoire envoyé par l’Unesco, une contrepartie aussi égale. Il s’en est suivi un véritable déséquilibre dans les discussions.
Ce qui signifie qu’il n’y a pas eu photo : on sait qui sont les vainqueurs de cette confrontation scientifique.
Leurs présentations argumentées, convaincantes, comme le souligne le rapport final amènent l’Unesco à admettre les racines noires et linguistiques de l’Egypte pharaonique : les anciens Egyptiens étaient de teint noir ; leur langue n’est pas une langue sémitique comme l’arabe ; c’est une langue négro-africaine. Ce qui fait que l’Afrique entre de plain-pied dans l’histoire de l’humanité, contrairement à la thèse du philosophe allemand Hegel qui ne reposait sur aucune base scientifique. L’ouvrage Histoire générale de l’Afrique va être publié en huit volumes à partir de 1980 avec cette nouvelle donne.
Après le Colloque du Caire et la publication de cet ouvrage, on pouvait penser que le débat était clos. Que non ! L’hostilité à l’égard des thèses de Cheikh Anta en France ne connaît pas de répit.
L’Antillais Jean Yoyotte, professeur au Collège de France, présenté comme égyptologue, l’attaque agressivement : Cheikh Anta Diop était un imposteur. Un égyptologue incapable de lire le moindre hiéroglyphe. Son œuvre est nulle, remplie d’erreurs. Il dit tout cela dans une interview avec des propos d’une extrême incohérence. Lui, l’idée d’indépendance des Antilles de ses ancêtres ne l’a jamais effleuré.
L’université française était pourtant bien représentée à ce colloque par Jean Devisse, Jean Vercoutier, Nicole Blanc et Jean Leclant. Aucun de ces éminents spécialistes n’a tenu de tels propos sur Cheikh Anta. Celui-ci troublait leurs convictions antérieures, mais ils le respectaient. Il se trouve seulement qu’il n’est pas aisé pour un professeur au bord de la retraite de remettre en cause ce qui lui a été enseigné et qu’il a lui-même enseigné durant des décennies.
Toute œuvre est sujette à des critiques. Mais pourquoi attendre que l’auteur dont on est contemporain ne soit plus là pour lui adresser des critiques condamnées à être sans réponses de sa part ? Comme le fait cet autre, Alain Froment dans les années 1990 avec son article ‘’Science et conscience : le combat de Cheikh Anta Diop’’, avec ces propos : des préjugés dans la recherche du passé africain ; des procédés discutables ; des affirmations sans preuves ; des concepts ambigus ; la tentation raciste. Cheikh Anta serait un raciste ? L’historienne française spécialiste de l’Afrique Catherine Cokery-Vidrovitch porte à Froment une réplique cinglante dans la même revue Cahiers d'Etudes Africaines, 1992.
Comment se fait-il que ces ‘’éminents égyptologues’’ n’aient pas été invités au Colloque du Caire qui avait réuni les plus grands spécialistes mondiaux de l’égyptologie ? Pourquoi n’ont-ils pas attaqué Cheikh Anta de son vivant ? Pourquoi n’ont-ils pas été aussi irrespectueux à l’égard des scientifiques français qui ont établi que les anciens Egyptiens étaient noirs, remarquablement civilisés et pénétrés de sciences ? Ils n’ont eu que des réactions épidermiques, n’ont lancé que des procès d’intention, prêtant à leur adversaire (ou ennemi) des motivations inavouables.
La démarche scientifique de Cheikh Anta Diop
Après avoir écrit Nations nègres et culture, Cheikh Anta Diop ne prétend pas fermer la porte à des précisions à apporter à cet ouvrage : l’ensemble du travail n’est qu’une esquisse où manquent toutes les perfections de détail. Il était humainement impossible à un seul individu de les y apporter : ce ne pourra être que le travail de plusieurs générations africaines. Nous en sommes conscients et notre besoin de rigueur en souffre : cependant les grandes lignes sont solides et les perspectives justes (p. 29-30, tome 1, ed. 1979).
Il est du devoir intellectuel de ceux qui se considèrent comme ses disciples de répondre à cet appel à s’activer sur ces pointillés qu’il a tracés.
Le substrat préexistant
Cheikh Anta n’a rien inventé. Et il le précise bien dans la préface de la première édition 1954 : Cet ouvrage n’est pas une « invention » de données. L’invention doit être distinguée de la découverte. On invente quelque chose qui n’existait pas, on découvre quelque chose qui existait. Il s’est lui, inscrit dans la découverte. Il n’est pas parti creatio ex nihilo, c’est-à-dire de rien. Il est parti creatio ex materia, c’est-à-dire création à partir d'un substrat préexistant conçu autour de deux éléments : le premier est constitué par les écrits d’auteurs anciens et modernes qu’il cite abondamment en plus des travaux archéologiques. Ces auteurs, historiens et anthropologues n’étaient préoccupés que par le constat scientifique de l’antériorité des civilisations nègres, sans s’impliquer dans la quête d’indépendance des peuples africains colonisés. La vérité scientifique était leur seule motivation.
Le second élément est constitué par les partisans de la thèse ‘’’l’Afrique a été colonisée pour être civilisée’’.
Qui sont ces colonisateurs des esprits ? Cheikh Anta n’en cite qu’un seul : Gobineau, qui n’a fait que disserter sur les thèses négrophobes de ses prédécesseurs pour conclure que les Noirs n’avaient que des dons artistiques. Cheikh Anta ne parle d’ailleurs de Gobineau que lorsqu’il reproche à Senghor de s’être inspiré de celui-ci pour dire que l’émotion est nègre, la raison est hellène. En fait, Senghor avait pastiché Aristote qui disait que la femme est centre d’émotion et l’homme centre de raison.
Les mentors négrophobes de Gobineau comme Montesquieu, Voltaire, Victor Hugo, Albert Sarraut, Jules Ferry, Paul Broca et ses disciples de la Société d’Anthropologie de Paris (SAP) ne sont pas mentionnés dans Nations nègres … même pas dans la bibliographie. C’est en se plongeant dans leurs élucubrations négrophobes qu’on arrive à mieux comprendre le bien-fondé du projet de Cheikh Anta en écrivant ce livre.
La SAP a été créée par Paul Broca comme un laboratoire de ‘’racisme scientifique’’. Elle utilise des méthodes anthropométriques comme la craniométrie avec l’usage d’un goniomètre pour mesurer la taille du cerveau. Elle utilise aussi la phrénologie (science du cerveau) pour établir que les circonvolutions du cerveau du Nègre sont différentes de celles du cerveau du Blanc. Pour démontrer ‘’scientifiquement’’ l’infériorité intellectuelle du Nègre qui est d’une race inférieure.
La SAP créée en 1859 est reconnue d’utilité publique par le ministère de l’Instruction publique qui lui alloue des fonds en plus de ceux de mécènes libéraux intéressés. C’est un instrument utilisé sous la Troisième République pour l’entreprise coloniale de la France avant la Conférence de Berlin de 1885 du partage de l’Afrique.
L’esprit scientifique : Gaston Bachelard
Dans les années 1940, étudiant en philosophie à La Sorbonne, Cheikh Anta a eu comme professeur Gaston Bachelard qui y a enseigné la philosophie de 1940 à 1954.
Les biographies sommaires de Cheikh Anta mentionnent cette étape de son parcours universitaire. Et c’est tout. N’y a t-il pas quelque rapport entre ces cours et les écrits de Cheikh Anta Diop ?
Lorsque Cheikh Anta commence à écrire, Bachelard (1884 – 1962) avait déjà publié trois de ses ouvrages :
- Le Nouvel Esprit scientifique, 1934 ;
- La Formation de l'esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective, 1938 ;
- La Philosophie du non : essai d'une philosophie du nouvel esprit scientifique, 1940.
Le concept présent dans ces trois ouvrages est ‘’esprit scientifique’’. Il renvoie à la connaissance scientifique objective, avec la qualité qui doit être celle de l’intellectuel chercheur. Mais il peut arriver que celui-ci s’arcboute à ses connaissances antérieures, les jugeant immuables, victime de ce que les psychosociologues appellent ‘’phénomène de résistance au changement’’. C’est parce que, dit Bachelard, l'esprit aime mieux ce qui confirme son savoir que ce qui le contredit. Alors que pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir de connaissance scientifique. La démarche intellectuelle du chercheur est, dit Bachelard, de sortir l’esprit de l’enfance, rendre à la raison humaine sa fonction de turbulence et d’agressivité. Ce faisant, le chercheur rencontre ce que Bachelard appelle des obstacles épistémologiques (l’épistémologie est la théorie de la connaissance) qui sont durs à éradiquer, car ils ont une consistance psychologique.
Bachelard propose des armes intellectuelles de bombardement de ces obstacles à la connaissance scientifique : rupture, brisure, césure, coupure, fracture. Pour Bachelard l’histoire des sciences ne se fait pas dans la continuité mais dans la discontinuité. En cela, il se distingue de l’autre philosophe français Henri Bergson (1859 -1962) partisan de la continuité. C’est par questionnement, en rectifiant des erreurs qu’on arrive à la connaissance scientifique. C’est la coupure épistémologique qui permet de passer d’un raisonnement à un autre. Il s’agit en fait de régler des comptes avec une conscience philosophique d’autrefois comme disait Marx dans son cas personnel.
Cheikh Anta est parti de ces écrits antérieurs en leur appliquant ce que j’appelle ‘’la méthode Bachelard’’. Le terme esprit fréquent chez Bachelard vient aussi dans les propos de Cheikh Anta qui parle de colonisation des esprits.
Il démonte ainsi le vieux paradigme de la falsification de l’histoire selon laquelle l’Afrique aussi noire que la couleur de ses habitants, plongée dans les ténèbres a été colonisée pour lui apporter la civilisation.
Lorsque le 9 janvier 1960, il soutient, à la Sorbonne, sa thèse de Doctorat d’État ès Lettres L’Afrique noire précoloniale et L’unité culturelle de l’Afrique noire, il met au début du manuscrit cette dédicace :
A mon Professeur Gaston Bachelard, dont l’enseignement rationaliste a nourri mon esprit.
Encore le mot ‘’esprit’’. La dette intellectuelle de Cheikh Anta Diop à l’égard de Gaston Bachelard n’a pas encore été bien mise en évidence. Louis Althusser, Pierre Bourdieu, Michel Foucault avec son livre L’Archéologie du savoir (1989) sont présentés comme des héritiers de Gaston Bachelard. Cheikh Anta Diop doit être ajouté sur la liste au plan de la méthode.
Deux écrits postérieurs à Cheikh viennent ajouter à une meilleure compréhension de Nations nègres et culture.
L’idéologie scientifique : Georges Canguilhem
L’un est celui d’un autre intellectuel français proche de Bachelard dont il se veut le continuateur. Il s’agit de Georges Canguilhem (1904-1962), philosophe, historien des sciences et médecin. Canguilhem propose le terme idéologie scientifique dans un ouvrage de 1977 Idéologie et rationalité dans l'histoire des sciences de la vie. Ce qui déroute dans la mesure où les termes ‘’idéologie’’ et ‘’science’’ sont généralement conçus comme antinomiques, contradictoires.
Canguilhem définit l’idéologie scientifique comme une pensée préscientifique’, qui n’est rien d’autre qu’une aventure intellectuelle antérieure à la science qui elle, se constitue en passant par des exigences méthodologiques. L’idéologie scientifique est ainsi une sorte de proto-science, c'est-à-dire une science non encore arrivée à maturité. Ce qui fait qu’elle est pénétrée par des idées et des valeurs qui lui sont étrangères, mais qui en retour légitiment les pratiques sociales et l'ordre politique et économique.
Ce livre de Canguilhem est publié 17 ans après Nations nègres…, mais il vient en appui à la démarche de Cheikh Anta qui dénonce ceux qui se couvrent du manteau de la science. Ils sont partis du postulat de l’infériorité des nègres pour essayer d’en faire une démonstration scientifique.
On peut ainsi comprendre que la littérature négrophobe et les écrits pseudo-scientifiques de la Société ‘Anthropologie de Paris relèvent de l’idéologie scientifique. Leurs préjugés et leurs convictions sur les Noirs et sur l’Afrique ont été la cible de Cheikh Anta dans une démarche scientifique et non dans une réaction émotionnelle.
D’un paradigme à l’autre : Thomas Kuhn
L’autre écrit qui vient en appui à une meilleure compréhension de Nations nègres et culture est le livre de l’Américain Thomas Samuel Kuhn, historien des sciences, La structure des révolutions scientifiques, 1962.
Le terme paradigme d’origine grecque signifiant modèle ou exemple est remis à l’honneur par Kuhn. Il reconnaît avoir été frappé par le nombre et l’étendue des désaccords entre spécialistes des sciences sociales. Ce qui l’a amené au concept de paradigme. Il définit le paradigme comme ce qui est partagé par les membres d’une communauté scientifique, et la communauté scientifique est constituée par ceux qui partagent un paradigme. Le paradigme est ainsi une certaine façon de penser.
Mais, ajoute Kuhn, lorsque par la suite, un paradigme est confronté à des problèmes qu’il ne peut résoudre, qu’il est contesté, il cède la place à un nouveau paradigme On passe ainsi d’un paradigme à l’autre. Ce que Cheikh Anta a fait.
Cheikh Anta par son parcours universitaire peu commun (Philosophie, Histoire, Linguistique, Mathématiques, Physique, Chimie) ne peut pas comprendre la thèse de l’infériorité intellectuelle du nègre. Combien d’intellectuels occidentaux pouvaient se prévaloir d’un tel background intellectuel ? Il estime qu’il est lui-même le produit d’un héritage ancestral. La condition de l’homme africain est au centre de ses préoccupations. Il l’exprime clairement dans son dernier livre Civilisation ou barbarie de 1981 :
L’Africain qui nous aura compris est celui-là qui après la lecture de mes ouvrages aura senti naître en lui un autre homme, animé d’une conscience historique, un vrai créateur, un Prométhée porteur d’une nouvelle civilisation et parfaitement conscient de ce que la terre entière doit à son génie ancestral dans tous les domaines de la science, de la culture et de la religion.
Cheikh Anta se situe ainsi dans ce que l’écrivain communiste Louis Aragon appelait la rééducation de l’homme par l’homme en le sortant des forces des ténèbres. Dans le cas de l’Afrique, les ténèbres ont été installées par le colonialisme après l’esclavage pour inférioriser l’homme africain.
Sans l’exprimer, Cheikh Anta Diop nourrissait le rêve de voir les jeunes Africains dans leur grande majorité se hisser à la hauteur de la densité intellectuelle pluridisciplinaire qui était la sienne, lorsqu’il leur lançait : Armez-vous de science jusqu’aux dents !
SERIGNE GUÈYE DIOP DÉVOILE SA FEUILLE DE ROUTE POUR 2025
Parmi les axes prioritaires figurent la fusion de l’industrie et du commerce, la protection du tissu industriel national et la transformation des produits locaux pour réduire la dépendance aux importations.
Le ministre de l’Industrie et du Commerce, Serigne Guèye Diop, a décliné, hier, au Centre international de conférences Abdou Diouf (Cicad) de Diamniadio, la feuille de route de son ministère. C’était à l’occasion de la traditionnelle cérémonie de présentation de vœux et d’annonces des différents programmes et projets du ministère pour l’année 2025.
Lors de la présentation de sa feuille de route pour 2025, hier au Cicad, Serigne Guèye Diop a rappelé le rôle central de son ministère, celui de l’Industrie et du Commerce, dans la mise en œuvre du nouveau référentiel des politiques publiques : Agenda de transformation du Sénégal à l’horizon 2050. Pratiquement tous les quatre moteurs de croissance énumérés dans cette vision relèvent de son ministère, à savoir le secteur extractif (le pétrole, le gaz, les phosphates), celui de l’industrie agroalimentaire, les manufactures et les services.
Il précise que tant que ces moteurs ne seront pas allumés, notre pays va continuer à importer l’équivalent de 7 000 milliards de FCfa, soit 2500 produits chaque année. Pour renverser la tendance, Serigne Guèye Diop souligne que son ministère a un rôle crucial à jouer pour la transformation des produits locaux afin de favoriser la création de valeur. Pour ce faire, le ministre a annoncé des mesures consistant à fusionner en interne les entités de l’industrie et du commerce. Le but est d’avoir plus d’efficacité dans le développement et la protection du tissu industriel qui demeure pour le moment embryonnaire. Fusion de l’industrie et du commerce Serigne Guèye Diop constate que la cartographie du tissu industriel est polarisée autour du triangle Diamniadio-Thiès-Mbour. En dehors de ce triangle, observe-t-il, c’est le néant en matière d’industrie.
« Comment peut-on développer un pays qui n’a pas d’usines ? », s’interroge-t-il. De ce fait, il s’inspire des modèles japonais et chinois qui ont fusionné ces deux entités. Le ministre assigne au secteur du commerce la régulation de ce qui rentre dans notre pays en termes de produits finis et de faire en sorte que tous les produits du pays soient protégés. « Il va falloir qu’on protège notre embryon de tissu industriel et qu’on le développe. C’est le rôle des agropoles et de l’Agence d’aménagement et de promotion des sites industriels [Aprosi] », défend Serigne Guèye Diop. Pour la réussite de cette ambition, le ministère s’appuie sur deux leviers : le commerce et l’industrialisation.
LA RÉVOLUTION LINGUISTIQUE SILENCIEUSE
"Notre société nous commande de parler dans nos langues" : Abdourahmane Diouf défend l'usage des langues nationales alors qu'un récent débat budgétaire en wolof à l'Assemblée témoigne d'une transformation profonde dans les institutions sénégalaises
(SenePlus) - Une transformation silencieuse mais profonde est en train de s'opérer au sein des institutions sénégalaises, comme en témoigne une scène remarquable qui s'est déroulée récemment à l'Assemblée nationale. Lors de son intervention dans l'émission "Belles Lignes" du jeudi 6 février, le ministre de l'Enseignement supérieur Abdourahmane Diouf a mis en lumière un phénomène qui illustre parfaitement comment la société civile devient le moteur du changement linguistique dans le pays.
"La société ambiante est en avance sur nos institutions", a déclaré le ministre, expliquant comment les citoyens poussent naturellement vers l'utilisation des langues locales. Cette pression sociale s'est manifestée de manière éclatante lors des récentes sessions parlementaires consacrées à l'étude du Budget. Pour la première fois, les débats se sont déroulés presque entièrement en wolof, y compris pour des discussions techniques complexes que "même les intellectuels francophones qui ne sont pas érudits sur les questions de finances publiques ne pourraient comprendre."
Cette évolution répond à une demande sociale profonde : "Notre société nous commande de parler dans nos langues, nos sociétés nous exigent de parler dans nos langues pour se faire comprendre", souligne le ministre Diouf. L'utilisation du wolof à l'Assemblée a permis une démocratisation réelle des débats, rendant les discussions budgétaires accessibles à tous les députés et, par extension, à l'ensemble de la population.
Le contraste entre cette réalité sociale et le cadre institutionnel hérité de la colonisation est saisissant. Le ministre rappelle que la constitution sénégalaise reste largement inspirée de "la cinquième république de De Gaulle", créant ce qu'il qualifie de "constitution halogène qui ne retranscrit pas nos réalités." L'exemple le plus frappant de ce décalage reste l'obligation constitutionnelle de maîtriser le français pour accéder à la présidence de la République, une règle qui exclut de fait de nombreux citoyens compétents.
Cette avancée à l'Assemblée nationale illustre comment la pression sociale peut faire évoluer les pratiques institutionnelles, même en l'absence de changements constitutionnels formels. C'est la société civile qui, par sa pratique quotidienne et ses exigences de compréhension, pousse les institutions à s'adapter et à reconnaître la légitimité des langues nationales dans la sphère publique.
Ce mouvement de fond pourrait préfigurer des changements plus profonds dans l'organisation institutionnelle du pays. Comme le suggère le ministre, la société sénégalaise montre qu'elle est prête pour une transformation plus radicale de ses institutions, afin qu'elles reflètent mieux la réalité linguistique et culturelle du pays.
APR, SE RÉINVENTER OU DISPARAÎTRE
La formation politique, qui a dominé la scène politique sénégalaise pendant douze ans, doit aujourd'hui repenser fondamentalement son organisation et sa stratégie pour éviter le déclin qui a frappé ses prédécesseurs
Face à l’affaiblissement des grands partis traditionnels, le député Djimo Souaré a invité à une refonte stratégique de l’Alliance pour la République (Apr) afin de la revitaliser et d’assurer sa pérennité dans le paysage politique sénégalais. Cet appel est bien accueilli par ses camarades de parti, dont Seydou Guèye qui estime que leur formation politique doit « renouer avec sa tradition gagnante ».
C’est une constante. Au Sénégal, les partis au pouvoir qui, à un moment donné, ont atteint une forme d’hégémonie finissent par chuter à la perte du pouvoir. Le Parti socialiste (Ps) est, aujourd’hui, disloqué. Depuis la perte du pouvoir, cette formation classique n’a pas brigué le suffrage des Sénégalais. Il a été absorbé par la coalition « Benno Bokk Yaakaar » (Bby). Le Parti démocratique sénégalais (Pds), qui a dirigé le Sénégal de 2000 à 2012, a perdu toute son influence après la perte du pouvoir. Il peine à revenir sur la scène politique.
Pour cause : cette formation politique, créée par le « Pape du Sopi », Me Abdoulaye Wade, n’a pas présenté de candidat aux élections présidentielles de 2019 et de 2024. Pour éviter un tel sort à l’Alliance pour la République (Apr), mise sur les fonts baptismaux, en décembre 2008, par le président de la République sortant, Macky Sall, le député Djimo Souaré, membre de ce parti, tire sur la sonnette d’alarme. Dans un message intitulé : « Reconstruire ou périr », le parlementaire de la 15e législature a invité ses camarades à donner un nouveau souffle à leur formation politique. « Il n’y a que deux choix : nous réinventer pour redevenir une force politique majeure ou disparaître dans l’oubli », a lancé le vice-président du groupe parlementaire « Takku Wallu Sénégal ». Poursuivant, il a soutenu que la reconstruction n’est pas une option, mais plutôt une nécessité. D’ailleurs, cet appel est fait dans un contexte où Macky Sall a pris la décision de se mettre un peu en retrait de la gestion de l’Apr.
Ancien Secrétaire général du gouvernement, Seydou Guèye, par ailleurs porte-parole de l’Apr, approuve cette idée. Selon lui, c’est une contribution utile dans le débat interne. M. Guèye estime que la trajectoire de leur parti a été assez inédite, d’autant plus qu’il est arrivé au pouvoir sur un format organisationnel.
Évaluations organisationnelles
« Entre 2008 et 2012, la préoccupation, c’était la massification du parti et la capacité de gagner des élections ; ce que l’histoire nous a bien rendu puisqu’en trois ans, l’Apr est arrivé au pouvoir central. Et de cette date à aujourd’hui, nous avons participé à une dizaine d’élections toutes remportées ; ce qui en fait le premier parti au niveau municipal vu que nous avons le plus grand nombre de maires et de présidents de Conseil départemental », a-t-il rappelé.
Seydou Guèye a reconnu que c’est un parti qui s’appuyait sur le leadership du président Macky Sall. Changement de contexte oblige, l’Apr doit revoir ses principes en trouvant une autre norme de développement. Pour le porte-parole de l’Apr, la restructuration est indispensable parce que c’est la distribution du pouvoir à l’intérieur de l’organisation. « Le parti a besoin de redynamiser ses bases, de renouer avec l’action politique, c’est-à-dire d’être encore plus connecté aux populations et d’avoir de l’animation à la base », a-t-il avoué. À cet effet, Seydou Guèye pense qu’il faut procéder aux différentes évaluations, tant organisationnelles qu’électorales, pour tirer les enseignements.
« Ce qui est avéré aujourd’hui, c’est que l’Apr est le premier parti en termes d’opposition parlementaire et c’est un parti majeur dans le schéma de l’opposition. Mais, il y a un travail de jonction à faire avec des composantes de l’opposition nationale », a-t-il indiqué. Abondant dans le même sens, Moussa Sow, coordonnateur national de la Convergence des jeunesses républicaines (Cojer), dit être en phase avec Djimo Souaré. Aspirant à de grandes ambitions et débordant d’optimisme, il affirme être convaincu que leur parti peut regagner le pouvoir lors de la prochaine élection présidentielle « s’ [ils mettent] en œuvre des stratégies efficaces ».
Pour y parvenir, il évoque plusieurs propositions tout en soulignant l’importance d’une orientation claire : « Il faut changer les personnes à la tête des organes et installer des coordinations communales et des délégations départementales et régionales, etc. ». D’après le jeune « apériste », ce qui leur a fait perdre la présidentielle passée, c’est « le non renouvellement du personnel politique, le manque de solidarité et de complicité entre les membres du parti, le respect excessif du slogan ‘‘la patrie avant le parti’’ ». Pour Seydou Guèye, il faut que leur formation politique trouve un autre mode d’organisation pour animer le parti, assurer sa visibilité et sa représentativité dans les espaces de dialogue.
« Il nous faut renouer avec ce qui a été une tradition gagnante de l’Alliance pour la République : l’élargissement des bases et l’animation à la base. Les deux combinés donnent la massification du parti.
Le débat est ouvert dans nos rangs. Nous discutons à l’abri de toutes les turpitudes et nous essayons de converger vers des lignes qui règlent la question de l’orientation, de l’organisation, de l’animation, de la visibilité et de la représentation », a-t-il informé.
PAR Babacar Korjo Ndiaye
BIRAME SOULEYE, UN MINISTRE EN MODE FREESTYLE
Notre ministre a un talent rare. Celui de toujours dire ce qu’il ne faut pas, au moment où il ne faut pas, avec une assurance qui force l’accablement. Bientôt, il ne lui restera bientôt plus que son miroir pour l’écouter sans grimacer
Il faut dire que notre ministre a un talent. Un talent rare. Celui de toujours dire ce qu’il ne faut pas, au moment où il ne faut pas, avec une assurance qui force le respect… ou plutôt l’accablement. Il parle, et c’est comme un bulldozer sans frein sur une route pleine de nids-de-poule : ça cahote, ça cogne, et ça finit toujours en sortie de route. Gaalu njoobeen du teer!
Dernière sortie en date ? Pour répondre à ceux qui affublent les militants de son parti du qualificatif de Salafistes (au sens le plus explosif du terme), il a eu l’illumination suivante : « Ma mère est la fille du vénéré Aladji Ahmad Ndieguene. Comment peut-elle enfanter un Salafiste ?... » Voilà donc la nouvelle génétique ministérielle : une bonne mère ne peut enfanter un mauvais fils. Au-delà de l’étrange biologie qu’il nous propose, le message est limpide : si vous êtes Salafiste, c’est que votre mère a raté son coup. Un bel hommage aux valeurs familiales, mais un petit scandale pour la communauté salafiste du Sénégal, qui appréciera sûrement d’être reléguée au rang d’erreur maternelle. Bon Xataraayu!
Mais ce n’est pas la première fois que notre ministre brille par sa finesse oratoire. Rappelez-vous quand, en pleine euphorie post-électorale, il a jugé bon de rappeler aux promoteurs de lutte que l’État ne sponsoriserait plus leurs combats. « Ces spectacles archaïques ne sont pas notre priorité », aurait-il presque soufflé en filigrane. Un avis respectable… sauf que personne ne lui avait rien demandé. On l’imagine, la bouche en cœur, expliquant aux lutteurs que désormais, ils devront se contenter de l’amour du public et de la sueur du mbapatt. C’est ainsi qu’il a réussi un exploit : unir toute une industrie contre lui, du promoteur de l’arène nationale au dernier batteur de tam-tam du village.
Et puis, il y a eu l’épisode Touba. Là encore, il voulait faire une démonstration. Prouver que son parti n’a jamais tenté de séduire les autorités religieuses de la ville sainte. Il aurait pu le dire calmement, avec intelligence, en finesse. Mais non, c’est mal le connaître. « Moi, avant l’élection, je n’avais jamais mis les pieds à Touba ! » a-t-il fanfaronné avec sa verve habituelle. Ah bon ? Donc en plus de ne pas séduire, vous n’avez même pas daigné faire acte de présence ? Voilà qui est habile. Si l’objectif était de convaincre que les nouveaux dirigeants n’ont aucun lien avec Touba, mission accomplie.
Ce ministre est un homme de convictions, certes, mais surtout un homme de convictions mal formulées. Un artiste du faux pas verbal. Un virtuose du mauvais timing. On lui a demandé d’apprendre à parler sans heurter. Mais visiblement, chez lui, c’est un talent inné : heurter, c’est son mode d’expression naturel.
À ce rythme, il ne lui restera bientôt plus que son miroir pour l’écouter sans grimacer.
LES CHANTIERS BOUEUX DE DIOMAYE-SONKO
La proposition de criminalisation de l'homosexualité et la demande de révision du Code de la famille constituent un véritable test de cohérence pour le Pastef, qui militait ardemment pour ces réformes lorsqu'il siégeait dans l'opposition
Une proposition de loi portant criminalisation de l'homosexualité au Sénégal a été déposée, hier, sur la table du président de l'Assemblée nationale. Pendant ce temps, une question écrite a été adressée au garde des Sceaux en vue d'une révision du code de la famille. La suite donnée à ces requêtes sera très attendue.
Une nouvelle offensive contre les LGBTQ a été lancée. À l'initiative, l'activiste Abdou Karim Guèye de l'organisation de la société civile, Niitu Dëgg valeurs. En effet, il a adressé une proposition de loi à l'Assemblée nationale en vue de criminaliser l'homosexualité. La proposition, selon l'activiste, est depuis, hier, sur la table du président de l'institution parlementaire.
Dans l'intitulé du texte dont nous détenons copie, il est indiqué «Criminalisation des Actes, Pratiques et Promotions liés à l’Idéologie LGBTQ+ au Sénégal». En tout, le texte tient en 10 articles traitant de la définition des termes de “Lgbtq” et “promotion”, du durcissement de la sanction et des mesures préventives. Dans l’exposé des motifs, il est sommairement expliqué que « cette loi vise à protéger les valeurs culturelles, religieuses et sociales du Sénégal face à des idéologies étrangères qui menacent de les éroder.
Elle garantit un cadre juridique solide pour prévenir la promotion, la diffusion et la pratique de comportements contraires à notre identité nationale». A l’article 2 qui concerne la Reconnaissance des genres, le texte prévoit une reconnaissance exclusive par l'État du Sénégal de deux genres biologiques : homme et femme. En outre, le texte introduit par l'activiste à l’Assemblée nationale en son article 5 propose un durcissement des sanctions. «Pour les personnes physiques : une peine de prison de 5 à 10 ans et une amende de 5 000 000 à 10 000 000 FCFA. Pour les personnes morales (médias, entreprises, ONG, etc.) : suspension immédiate de leurs activités, confiscation de leurs biens, et une amende de 20 000 000 à 50 000 000 FCFA», a-t-on indiqué dans le texte.
Lors du dépôt du texte, le président de l’Assemblée nationale se trouvait au Maroc pour participer à la réunion des présidents des Parlements des États africains atlantiques. À son retour, il aura du pain sur la planche. Et son attitude face à cette proposition de loi sera très attendue. Car, il faut le dire, c'est la première saisine portant criminalisation de l'homosexualité depuis l'installation de la quinzième législature détenue à 130 sièges sur 165 par le parti au pouvoir. Dans le sillage de la transformation systémique, le régime en place va-t-elle acter la rupture en votant la criminalisation de l'homosexualité ? C'est une question qui, pour le moment, reste en suspens.
Toujours est-il que dans l'opposition, le Pastef actuellement au pouvoir était favorable à criminaliser l'homosexualité au Sénégal. Dans le cadre de la coalition Yewwi Askan Wi en vue des Législatives de 2022, le Pastef avec ses alliés d'alors notamment du Pur et de Taxaawu Sénégal avaient introduit une proposition de loi allant dans ce sens de concert avec l'association And Samm Jikko Yii. Toutefois, la proposition avait été rejetée par le bureau de l’Assemblée nationale contrôlé par Benno Bokk Yaakaar. Auparavant, en janvier 2022, la treizième législature avait rejeté, pour la première fois, une proposition de loi portant criminalisation introduite par des députés de l'opposition avec Mamadou Lamine Diallo de Tekki comme chef de file. Compte tenu de tout cela, il reste à savoir si cette nouvelle proposition de loi pour criminaliser l'homosexualité introduite par un membre de la société civile va atterrir en plénière de l’Assemblée nationale.
Révision du Code de la famille
Auparavant, une autre question éminemment de société a été relancée. Il s'agit de la révision du Code de la famille. Dans une question écrite adressée au ministre de la Justice, Ousmane Diagne, la députée Marième Mbacké s'est intéressée à l'autorité parentale. Dans sa question, la parlementaire membre de la majorité a indiqué que la législation sénégalaise, l’autorité parentale exclusivement réservée au père, pose de véritables problèmes aux mères divorcées avec des enfants. «La mère divorcée est souvent responsable de la garde des enfants.
A cet égard, elle devrait pouvoir signer les documents de voyage de ses enfants mineurs. Cependant, certains hommes utilisent cette autorité comme une arme de guerre contre leur exépouse au point de nuire à leurs propres enfants en leur refusant sans raison la signature de l’autorisation parentale. Ce qui entraîne des conséquences graves particulièrement pour les enfants vivant avec leur mère à l’étranger», a écrit Mariéme Mbacké qui affirme avoir été interpellée à ce sujet par les femmes de la diaspora sénégalaise.
C'est pourquoi, sans adopter une perspective féministe, se défend la parlementaire qui, toutefois, a invité le garde des Sceaux à reconsidérer cette mesure. Car, fait-elle noter, le père, en tant qu'autorité morale au sein de la famille, ne pose pas de problème, mais il est important que les deux parents puissent donner leur consentement aux voyages de leurs enfants. «Monsieur le ministre, pour remédier à cette situation, ne serait-il pas opportun de réviser le code de la famille ? Quelles seraient les mesures que vous comptez prendre pour trouver des solutions à ce problème ?», s'est-elle interrogée.
La députée pourrait ne pas dévoiler la réponse du garde des Sceaux à son interpellation. En tout cas, en campagne électorale pour les Législatives du 17 novembre dernier, des candidats du Pastef avaient pris des engagements en vue de la révision du Code de la famille. La députée Maïmouna Bousso avait interpellé, à cet effet, le Premier ministre lors de son passage devant l’Assemblée nationale, le 27 décembre dernier, pour tenir sa déclaration de politique générale.
Au Sénégal, les modifications du Code de la famille se sont souvent heurtées à une forte opposition des religieux faisant craindre une confrontation entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. D'ailleurs, le code actuel qui date de 1972 avait soulevé une grande controverse entre l'État et les religieux. D'ailleurs en 1996, une modification du code de la famille pour limiter la polygamie à deux épouses avait échoué. Et depuis, aucune initiative n'a été prise afin de mettre à jour le Code de la Famille.
Par Fadel DIA
L’ONU A-T-ELLE ENCORE SA PLACE À NEW YORK ?
L'arrêt brutal de l’aide américaine sera douloureuse car beaucoup trop de personnes ont commis l’erreur d’en dépendre mais, et c’est le bon côté de cette décision, cela peut mettre fin à plusieurs mythes qui l’entourent
Dans une allocution solennelle prononcée à la télévision nationale à l’occasion de la commémoration de la mort de son père, le roi Mohamed VI a annoncé que le Maroc allait racheter à l’Espagne, l’ensemble des iles Canaries, qui sont, après tout, des terres africaines, pour en faire un Dubaï de l’Atlantique, autrement plus attractif et plus enchanteur que celui du Golfe Persique, et aux portes de l’Europe. Quant aux populations locales, elles seront tout simplement transférées dans le pays dont elles parlent la langue, l’Espagne.
On apprend par ailleurs que le président Poutine a révoqué tous les actes qui avaient abouti à la dissolution de l’URSS en 1991 et qu’en conséquence les pays baltes ou l’Ukraine sont réintégrés dans la Russie et que le pouvoir y sera désormais exercé par des gouverneurs nommés par Moscou. En conséquence Vlodmyr Zelenski est purement et simplement révoqué de ses fonctions.
Enfin, le président Xi Jinping a pris la décision de constituer une Grande Chine et de mettre fin à l’indépendance des états à populations majoritairement chinoises, Taiwan, mais aussi Singapour et la Malaisie. Le cas du Viet Nam et des autres pays de la sous- région sera examiné ultérieurement, après examen du taux de sinité de leurs populations respectives… Fake news stupides ? Absurdités ? Oui, mais d’autres du même acabit polluent les médias depuis plusieurs jours sans qu’on doute de leur authenticité, assurément parce que leur signataire est coutumier des faits. Nous sommes entrés dans l’ère de l’absurdité, celle de la force brutale et du « maa tey », celle du déni des grands principes tant chantés par les pays occidentaux qui s’en sont proclamés les inventeurs et les gestionnaires exclusifs. Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, respect de la dignité de la personne humaine, égalité des hommes et des peuples etc., tous ces grands principes sont aujourd’hui bafoués dans de nombreux pays d’Europe et d’Amérique du Nord, à l’intérieur de leurs frontières et à l’extérieur.
Le « bafoueur » en chef s’appelle Donald Trump et s’il nous inquiète plus que les autres, c’est parce qu’il est capable de tout et aussi parce qu’il peut faire tout ce qu’il a promis de faire, y compris le pire ! Ce n’est pas son principal allié, le seul qui compte à ses yeux et dont on se demande si ce n’est pas surtout son manipulateur, qui l’en dissuaderait. C’est en tout cas une forfaiture que le chef du gouvernement de l’Etat d’Israël adoube ce qui n’est rien d’autre que la réédition des crimes qui constituent l’essentiel du cahier de charge de victimaire de son pays. Netanyahou fait peu cas des paroles d’un de ses éminents compatriotes qui disait que l’une des leçons que les Israéliens d’aujourd’hui devraient tirer des malheurs subis par leurs ancêtres, c’est de faire en sorte que ça ne recommence pour personne!
Mais Donald Trump ne s’en prend pas qu’aux Palestiniens. Il porte aussi l’estocade à tous ceux qui bénéficiaient peu ou prou de l’aide américaine, et dans certains cas, il s’agit d’un acte criminel puisque cela peut mettre en danger la vie de millions de personnes qui en dépendaient, pour leur santé ou leur survie. La suspension, ou plus radicalement l’arrêt, de l’aide américaine au développement sera douloureuse parce qu’elle a été brutale et que, malheureusement, beaucoup trop de personnes ont commis l’erreur d’en dépendre mais, et c’est le bon côté de cette décision, cela peut mettre fin à plusieurs mythes qui l’entourent.
Le premier de ces mythes, c’est de croire que c’est une aide désintéressée et purement humanitaire et le premier à réfuter cette assertion est le mieux placé pour le faire : c’est celui qui tient les ciseaux, c’est le chef du « département de l’efficacité gouvernementale », Elon Musk, qui trouve même qu’elle est « criminelle ». Il est en tout cas de notoriété publique, qu’elle cible des objectifs bien précis, vise à servir d’abord les intérêts stratégiques du bailleur et qu’elle a quelquefois des relents de service de renseignements, voire d’espionnage méthodique. Elle n’est pas non plus, et c’est le deuxième mythe, aussi généreuse qu’on le croit et si elle est importante en chiffres absolus, elle est insignifiante au regard de la richesse américaine. Les Etats-Unis ne viennent qu’au 25ème rang mondial si l’on rapporte leur aide à leur PIB : 0,24%, quand la Norvège est à 1,09% !
Il s’agit enfin d’une aide discrétionnaire puisque, pour les derniers chiffres connus, les 4 pays africains qui figurent dans le top 10 de ses principaux bénéficiaires (Ethiopie, Soudan du Sud, Nigéria, RDC, soit au total près de 470 millions d’habitants) ont reçu, ensemble, bien moins de la moitié de ce qu’a reçu la seule Ukraine, qui compte dix fois moins d’habitants …C’est en tout cas la preuve que ce n’est pas « l’aide » qu’ils apportent aux pays pauvres qui peut empêcher les Etats-Unis d’être « great again ».
Une Amérique arc-boutée sur ses dollars et qui ne rêve que de plages et de terrains de golf, une Amérique opposée à la promotion des droits de l’Homme, à la fourniture d’une aide humanitaire conséquente aux plus démunis, au développement durable et à la garantie du droit international, peut - elle être un abri sûr pour l’Organisation des Nations-Unies ? New York n’avait pas été choisie pour abriter son siège pour des raisons purement logistiques et stratégiques, mais aussi parce qu’au sortir de la deuxième Guerre mondiale, les Etats-Unis représentaient la puissance qui avait vaincu les régimes dictatoriaux et qui prêchait la liberté et l’émancipation des peuples.
Mais aujourd’hui ils ont pratiquement quitté le navire ONU, ils se sont retirés de ses organismes les plus symboliques, dont aucun pourtant ne met en péril le bien-être des Américains, et il n’est même pas exclu qu’ils arrêtent toute contribution à son fonctionnement ! Ils ont à nouveau claqué les portes de l’OMS et de l’UNESCO, bêtes noires de Donald Trump, chargées de veiller sur nos corps et nos esprits, et celles du Conseil des Droits de l’Homme, dont la mission est la promotion et la protection des droits humains les plus fondamentaux.
Ils sont sortis de l’Accord de Paris sur le climat signé sous l’égide de l’ONU et dont l’une des ambitions était de fournir aux pays pauvres les moyens d’atténuer les effets du changement climatique dont les pays développés sont les principaux responsables. Ils ont réduit de façon significative leur contribution au fonctionnement de l’URNWA qui a sous son mandat 6 millions de réfugiés palestiniens, 700 écoles et 500.000 élèves. Ils ont pris des sanctions contre la Cour Pénale Internationale, dont ils ne sont pas membres, au seul motif qu’elle s’est interrogée sur la responsabilité du Premier ministre israélien dans le génocide qui est en cours à Gaza, etc.
Les Etats-Unis de Donald Trump ont donc renié tous les principes qui sont à la base de la création de l’ONU, au point qu’on peut se poser la question de savoir si celle-ci peut décemment maintenir son siège dans la métropole d’un pays qui lui est hostile et qui travaille à la discréditer ! C’est une question que malheureusement personne n’osera poser : si dans leurs salons feutrés les chefs d’Etats et rois du monde entier murmurent que Trump est fou ou vulgaire, aucun n’osera l’admonester, car il leur fait peur, pas seulement parce qu’il est fort, mais aussi parce qu’il peut tout dire et tout faire. Nous sommes revenus au temps de Gengis Khan !
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LABORATOIRE CARBONE 14, LE LEGS INTEMPOREL DE CHEIKH ANTA DIOP
Au cœur de l’Université éponyme, Cheikh Anta Diop a laissé un héritage qui ne flétrit pas, malgré le temps qui passe. Le laboratoire carbone 14 vibre toujours au rythme des sciences et du savoir, très chers à l’illustre intellectuel disparu il y a 39 ans
Oumar B. Ndongo et Pape Abdoulaye Sy |
Publication 08/02/2025
Au cœur de l’Université éponyme, Cheikh Anta Diop a laissé un héritage qui ne flétrit pas, malgré le temps qui passe. Le laboratoire carbone 14 vibre toujours au rythme des sciences et du savoir, très chers à l’illustre intellectuel disparu il y a aujourd’hui 39 ans. Visite guidée au cœur de ce trésor national avec le Professeur Maurice Ndeye chef du Laboratoire de Carbone 14 de Cheikh Anta Diop.
NICOLAS SARKOZY SOUS BRACELET ÉLECTRONIQUE
Cette mesure inédite pour un ancien président fait suite à sa condamnation définitive pour corruption dans l'affaire des écoutes. Cette surveillance encadre strictement ses horaires de sortie, alors qu'il comparaît dans le dossier du financement libyen
(SenePlus) - L'ex-président de la République Nicolas Sarkozy française est entré vendredi 7 février dans une nouvelle phase judiciaire sans précédent. Comme le rapporte Le Monde, il s'est vu poser un bracelet électronique à son domicile en début d'après-midi, une mesure inédite pour un ancien président.
Cette installation fait suite au rejet, le 18 décembre 2024, de son pourvoi en cassation dans l'affaire dite "des écoutes" ou "Bismuth", rendant définitive sa condamnation à un an de prison ferme aménagé sous bracelet électronique pour corruption et trafic d'influence.
Des restrictions strictes encadrent désormais les déplacements de l'ancien locataire de l'Élysée. Selon Le Monde, il ne peut quitter son domicile qu'entre 8 heures et 20 heures, avec une extension jusqu'à 21h30 les lundis, mercredis et jeudis, jours où il comparaît dans le cadre du procès sur le financement libyen présumé de sa campagne de 2007.
L'affaire qui a conduit à cette situation remonte à 2014. Comme le détaille Le Monde, Nicolas Sarkozy avait été reconnu coupable le 17 mai 2023 d'avoir établi un "pacte de corruption" avec Gilbert Azibert, un haut magistrat de la Cour de cassation. Ce dernier devait transmettre des informations et tenter d'influencer un recours dans l'affaire Bettencourt, en échange d'un "coup de pouce" pour l'obtention d'un poste honorifique à Monaco.
Me Jacqueline Laffont, l'avocate de l'ancien président, a déclaré à l'AFP que son client "continue à contester le bien-fondé de la condamnation" et compte saisir "avant la fin du mois" la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Cette démarche n'empêchera toutefois pas l'exécution de la peine.
Une porte de sortie existe néanmoins pour l'ancien président. Le Monde précise qu'il peut demander sans délai à bénéficier d'une libération conditionnelle, comme le permet la loi pour les personnes âgées de plus de 70 ans, âge qu'il a atteint le 28 janvier dernier.
Cette affaire a également eu des répercussions pour ses co-accusés. Son avocat historique, Thierry Herzog, et Gilbert Azibert ont reçu des peines similaires, avec pour Me Herzog une interdiction d'exercer pendant trois ans, des sanctions devenues également définitives avec le rejet des pourvois.
BOUBACAR BORIS DIOP, HÉRITIER DE L'ÉCOLE DE GRENOBLE
En s’inspirant des travaux de Cheikh Anta Diop, il a contribué à enrichir la littérature wolof, tout en défendant l’idée d’une unité linguistique africaine. Son œuvre, à la fois politique et poétique, est un hommage à l’identité culturelle du continent
Il est sans doute l'un des héritiers les plus connus et les plus intransigeants du savant sénégalais Cheikh Anta Diop. Brillant intellectuel, Boubacar Boris Diop a su surtout imprimer sa marque dans la traduction de la vision de l'égyptologue concernant les langues nationales, emboitant le pas ainsi à ses aînés de l'école de Grenoble comme Cheikh Aliou Ndao, Assane Sylla ou encore Saliou Kandji, qui a créé le premier syllabaire wolof.
On serait tenté de dire qu'avec son français fluent, empreint de maîtrise et son élocution savante et quasi musicale, Boubacar Boris Diop est un fanatique francophile à loger à la même enseigne que le président poète Léopold Sédar Senghor. Et pourtant pour cet écrivain, ce compliment serait une provocation insupportable, voire un crime de lèse-majesté.
En cause, dans la grande et classique querelle idéologique et intellectuelle qui a traversé ces 60 dernières années entre Senghor et Cheikh Anta Diop, Boubacar Boris Diop a été sans appel par rapport à son choix. Cheikh Anta Diop est celui d'après l'écrivain que les africains doivent suivre et écouter.
Lui l'a suivi et écouté. Et si le savant multidimensionnel a eu plusieurs héritiers sur plusieurs disciplines différentes, Boris a été plus visible surtout dans la traduction de la vision de Cheikh Anta Diop par rapport à la promotion des langues africaines dans l'éducation. Dans un article de Taxaw, organe de sa formation politique, Cheikh Anta Diop soutenait ceci : «Le développement par le gouvernement dans une langue étrangère est impossible, à moins que le processus d’acculturation ne soit achevé, c’est là que le culturel rejoint l'économie. Le socialisme par le gouvernement dans une langue étrangère est une supercherie, c’est là que le culturel rejoint le social. La démocratie par le gouvernement dans une langue étrangère est un leurre, c’est là que le culturel rejoint le politique».
C'est fort probablement de ce constat que Boubacar Boris Diop, qui est pourtant l'un des derniers mohicans de la littérature française africaine a orienté ses recherches et ses publications vers la promotion des langues nationales, surtout la langue wolof, continuant ainsi les travaux de ses aînés de l'école de Grenoble. En effet, tout commence en 1954, avec la sortie de Nations nègres et culture, ouvrage dans lequel Cheikh Anta Diop cite les grands poètes du wolofal.
Et en 1958, le groupe de Grenoble composé de personnalités emblématiques comme Assane Sylla, Saliou Kandji et le brillantissime Cheikh Alioune Ndao, qui s'est inspiré du livre de Cheikh Anta Diop va produire Ijjib wolof, le tout premier syllabaire dans cette langue. Plus tard, d’autres vont poursuivre le travail avec la revue Kàddu, autour de Samba Dione, Pathé Diagne et Ousmane Sembène. Il y a eu aussi, dans la même période, l’importante contribution du mathématicien Sakhir Thiam.
Et en 1996 Aawo bi est le premier roman qui a jamais été publié en wolof. Et Boubacar Boris Diop est manifestement dans ce sillage. Né en 1946, l'intellectuel sénégalais, lauréat Grand prix littéraire d'Afrique noire en 2000, a fait de la promotion des langues nationales, le soubassement de ses œuvres littéraires ces dernières années. Il a écrit deux ouvrages dans la langue Wolof. Son premier roman en wolof s'intitule Doomi Golo publié en 2003 et traduit en français en 2009 sous le titre Les petits de la Guenon. «Si je n'avais pas été au Rwanda, je n'aurais sûrement jamais écrit en wolof. Ça ne veut pas dire que je n'en aurais pas eu envie. Je n’en aurais pas eu la force», avoua-t-il.
À l'en croire, en effet, c'est son séjour au Rwanda en 1998, au cours duquel il s'est rendu compte du poids des implications étrangères dans le génocide des Tutsis survenu dans ce pays en 1994, qui l'a poussé à écrire en wolof. Celui qui a enseigné le wolof à l'UGB de Saint-Louis publiera en 2017, toujours en wolof, Bàmmeelu Kocc Barma. Il va ensuite paraître en 2024 sous le titre Un tombeau pour Kinne Gaajo. Défenseur acharné des langues nationales et disciple assumé de Cheikh Anta Diop, il a indiqué dans une de ses nombreuses interviews que Cheikh Anta Diop a traduites dans Nations nègres et culture, des concepts scientifiques et une synthèse par Paul Painlevé de la théorie de la relativité généralisée d’Einstein.
Et à ce titre, le journaliste, fondateur du site de Dafuwaxu.com est le digne continuateur des travaux de Cheikh Anta Diop, ce dernier qui croyait fortement à une unité linguistique en Afrique. Ce que fait Boubacar Boris Diop sonne vraiment comme un préalable nécessaire.