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18 avril 2025
Développement
LA MAFIA DES VISAS SOUS ENQUÊTE
300 000 FCFA pour un simple rendez-vous visa : c'est la dénonciation portée par Guy Marius Sagna qui a poussé les autorités à lancer une investigation sur les pratiques de VFS Global, gestionnaire des demandes de visa pour plusieurs ambassades à Dakar
(SenePlus) - Le ministère de l'Intégration africaine et des Affaires étrangères a saisi les ministères du Commerce et de la Justice concernant des allégations de revente illégale de rendez-vous visa par VFS Global, le prestataire mandaté par plusieurs ambassades pour la gestion des demandes de visa.
Cette enquête fait suite à une question écrite adressée au gouvernement par le député Guy Marius Sagna, qui a alerté sur des pratiques potentiellement frauduleuses. Selon le parlementaire, "certains agents [de VFS Global] bloqueraient et/ou vendraient les rendez-vous visa aux plus offrants" avec des tarifs pouvant atteindre "300 000 FCFA voire plus pour décrocher des rendez-vous visa."
Dans sa réponse datée du 6 mars 2025 consultée par SenePlus, le ministère des Affaires étrangères, par la voix du Dr Khare Diouf, confirme avoir sollicité des "avis techniques" sur plusieurs aspects préoccupants, notamment :
Le mandat reçu par VFS Global de la part des ambassades
Le montant des frais appliqués par la société
Le caractère non remboursable des frais de traitement en cas de refus de visa
La lettre ministérielle, qui répond également à des préoccupations concernant les difficultés d'obtention de visas pour les réfugiés mauritaniens résidant en France, précise que ces derniers sont classés en "catégorie C" nécessitant une "consultation obligatoire". Par conséquent, leur admission sur le territoire sénégalais est soumise à "l'autorisation préalable obligatoire du MINTSP" (ministère de l'Intérieur et de la Sécurité publique).
"Le délai de traitement des demandes de visa sollicitées par les réfugiés mauritaniens résidant en France est indépendant de la volonté des MDC [Missions diplomatiques et consulaires] et des services centraux de mon Département", précise le document officiel.
Face à l'ampleur du phénomène, le ministère des Affaires étrangères annonce qu'une rencontre est prévue entre ses services compétents, les responsables de VFS Global et les représentants des ambassades et consulats concernés.
Par ailleurs, "une réunion est également envisagée entre mon Département et les missions diplomatiques et consulaires des pays de l'Union européenne accréditées au Sénégal sur les procédures de demande de visas", ajoute la lettre ministérielle.
Dans sa question écrite, le député Guy Marius Sagna avait exprimé son inquiétude quant aux conséquences de ces pratiques, affirmant que "ce genre de pratique contribuent, si elle est avérée, à l'émigration irrégulière."
Le ministère précise également que cette problématique est prise en compte "dans la réflexion en cours sur la réciprocité dans les modalités de délivrance des visas d'entrée au Sénégal aux ressortissants de certains pays."
Par Fatou Warkha SAMBE
NOUS NE DEMANDONS PAS DEUX ANS DE CONGÉ MATERNITÉ
L’idée que l’émancipation des femmes consiste à arrêter l’allaitement maternel n’a jamais fait partie des revendications féministes, ni au Sénégal ni ailleurs. Cette affirmation est dangereusement manipulatrice
Lorsque nous avons découvert une vidéo du député Amadou Bâ revenant sur la volonté qu’ils avaient exprimée dans leur programme, d’accorder deux ans de congé maternité aux femmes, ses propos ont immédiatement suscité notre inquiétude. Cette réaction est d’autant plus légitime que ce même député est à l’origine de la loi interprétative sur l’amnistie, votée récemment au Sénégal. Il est donc légitime de s’interroger sur la cohérence de ses prises de position et de rappeler que la précision dans les termes est indispensable, surtout lorsqu’on aborde des enjeux aussi cruciaux que les droits des femmes. Lorsqu’une même personne, investie d’un tel pouvoir législatif, utilise des termes confus et idéologiquement chargés sur des sujets aussi sensibles que les droits des femmes, il devient plus qu’important d’être précis sur les mots et les concepts. Selon lui, ce programme serait contesté par des «groupuscules» opposés à ce que les femmes retournent au foyer. Pour se défendre, il affirme que cette proposition était soutenue par des statistiques de l’Unicef qui montreraient une hausse de la mortalité infantile entre 1 et 2 ans. Sans achever sa phrase, il déclare ensuite : «Au début, elles avaient dit que l’émancipation de la femme, c’était d’arrêter l’allaitement maternel.» Toujours dans ses propos, il ajoute : «Mais après des années, ils se sont rendu compte que cela a causé beaucoup de malheurs, surtout concernant la santé de la mère et de l’enfant.» Sans transition, il poursuit : «C’est pour cela qu’elles ont recommencé l’allaitement.» Ainsi, il évoque l’exemple d’une députée européenne qui allaite en plein Hémicycle.
Et il conclut : «Ce que cela renseigne, c’est que si on n’est pas solide, surtout vous les femmes, il y a un groupuscule qui veut nous empêcher de faire ce que nous voulons au nom des normes de l’Occident, alors que nous n’avons pas les mêmes civilisations.» Ces propos sont extraits de son intervention lors d’une conférence religieuse organisée pendant le Ramadan à Thiès, sur le thème des droits des femmes. Inutile de préciser que la salle était remplie de femmes. Comme toujours, lorsqu’il s’agit de gagner l’empathie des femmes, on assiste à une mise en scène stratégique qui repose sur la division : diviser pour mieux briller. Opposer les féministes à «la femme ordinaire», flatter certaines pour mieux discréditer d’autres, instrumentaliser la maternité pour mieux contrôler. Cette stratégie, vieille comme le monde, ne vise pas l’émancipation des femmes, mais leur encadrement silencieux. Comment ne pas réagir face à de tels propos ? D’autant plus qu’ils viennent d’un représentant de la République qui prétend agir pour le bien-être des enfants tout en invisibilisant les réalités des femmes. Avant de critiquer la posture de ce qu’il nomme «groupuscule», il aurait dû se documenter sérieusement. Car la question du congé maternité est une préoccupation majeure bien plus qu’il ne semble le percevoir, lui, l’honorable député.
Derrière le mot «maternité», ce n’est pas le bienêtre des femmes qu’on protège, mais un modèle familial figé, assigné et profondément déséquilibré. Bâ semble mélanger deux concepts essentiels : le congé maternité et l’allaitement exclusif. Il évoque la question de l’allaitement dans le même souffle que celle du congé maternité, sans faire de distinction entre ces deux pratiques qui, bien que liées, n’ont pas les mêmes implications. Le congé maternité est une période de repos accordée à la mère pour qu’elle puisse récupérer après l’accouchement et s’occuper de son enfant. Il est important de souligner que l’allaitement exclusif ne dépend pas uniquement du congé maternité, mais plutôt du choix de la mère en fonction de ses capacités, de sa situation personnelle et professionnelle. L’allaitement exclusif, recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (Oms), consiste à nourrir un bébé uniquement avec du lait maternel pendant les six premiers mois de sa vie. Il ne faut pas confondre le droit à l’allaitement et le droit au congé maternité, qui sont deux aspects différents des droits des femmes.
L’idée que l’émancipation des femmes consiste à arrêter l’allaitement maternel n’a jamais fait partie des revendications féministes, ni au Sénégal ni ailleurs. Cette affirmation est dangereusement manipulatrice. Elle déforme délibérément les luttes féministes, qui ont toujours porté la reconnaissance des besoins des femmes. A aucun moment, les féministes n’ont prôné l’arrêt de l’allaitement comme moyen d’émancipation. Ce que nous défendons, c’est le droit de chaque femme à choisir en toute liberté et conscience. Des propos de ce genre détournent l’attention des véritables enjeux : l’absence de politiques sociales cohérentes, le manque de structures d’accueil pour la petite enfance, l’isolement des mères, l’absence de congé paternité adapté et le refus d’associer les hommes aux responsabilités parentales. Les féministes ne sont pas opposées à l’allaitement : elles sont opposées aux injonctions, et cela fait toute la différence.
Il avance que l’arrêt de l’allaitement a été une erreur commise dans le passé, en se référant à des exemples dans les pays occidentaux. Il est pourtant important de rappeler que si une campagne de promotion de l’allaitement exclusif a vu le jour dans plusieurs pays, y compris au Sénégal, ce n’est pas pour corriger une prétendue «erreur féministe», mais pour répondre à des enjeux de santé publique. Dans les années 1970 à 1990, la baisse de l’allaitement maternel dans certains pays, notamment sous l’influence du marketing agressif des laits artificiels, a conduit à une augmentation de la mortalité infantile. L’Unicef et l’Oms ont alors lancé l’Initiative hôpitaux amis des bébés (Ihab) pour promouvoir l’allaitement exclusif comme mesure de santé publique, et non comme choix idéologique imposé.
Il est intéressant de noter que, dans l’exemple qu’il donne, Amadou Bâ semble prôner des pratiques occidentales tout en critiquant l’influence de l’Occident. Cette incohérence traduit une vision sélective et utilitariste de la culture, selon ce qui arrange son discours. L’allaitement en public, qu’il cite comme exemple, est en réalité une pratique défendue par les mouvements féministes pour garantir le droit des femmes à nourrir leur enfant sans stigmatisation.
Au Sénégal, le congé maternité est actuellement de 14 semaines dont 8 après l’accouchement. Cette durée est insuffisante, tant pour le bien-être de l’enfant que pour celui de la mère. Elle ne permet pas de concilier efficacement travail et maternité, surtout dans un contexte où peu d’entreprises disposent de crèches ou de dispositifs de soutien adaptés. Nous ne demandons pas deux ans de congé maternité. Ce que nous réclamons, ce sont six mois, en cohérence avec les recommandations de l’Oms, et l’intégration de crèches dans les espaces professionnels. Deux ans de congé, tel que proposé, pourrait au contraire nuire aux femmes : recul professionnel, stigmatisation, mise à l’écart dans les promotions. Ce n’est pas protéger les femmes que de les éloigner de l’espace public. C’est renforcer l’idée qu’elles ne peuvent pas être à la fois mères et professionnelles. Dans le monde, très peu de pays proposent un congé maternité de deux ans. Et lorsque c’est le cas, il s’agit souvent de congés parentaux partagés, étalés sur une longue période, parfois faiblement indemnisés et rarement réservés exclusivement aux femmes. Par exemple, en Estonie ou en Bulgarie, les politiques permettent aux parents de rester à la maison jusqu’aux deux ans de l’enfant, mais dans une logique de flexibilité et de partage des responsabilités parentales entre les deux parents. Ces dispositifs sont accompagnés d’un système de crèches, de congés paternité renforcés et de mesures pour garantir le retour à l’emploi. Dans aucun de ces contextes, il n’est question d’exclure les femmes durablement du monde professionnel au nom de la maternité.
Proposer deux ans de congé exclusivement pour les femmes, sans réforme globale du système de protection sociale et sans implication des pères, revient à renforcer leur assignation domestique et à ralentir leur avancement professionnel. C’est une régression, pas une avancée. S’il s’agissait réellement de donner des droits aux femmes, comme le prétend le député, il aurait commencé par garantir ce qui est déjà recommandé par les instances de santé internationale et adopté par d’autres pays africains comme la Côte d’Ivoire : six mois de congé maternité. Ce choix serait bien plus cohérent avec les besoins des femmes, avec les exigences de l’allaitement exclusif et avec une vision progressiste du travail des femmes. Cela demanderait aussi de repenser l’organisation du travail autour des réalités de la parentalité, plutôt que de maintenir les femmes dans des rôles figés au nom d’un prétendu bien-être de l’enfant. Défendre les droits des femmes, ce n’est pas les éloigner de l’espace public sous prétexte de maternité. C’est leur garantir des choix, du temps, du soutien et de la reconnaissance. Ce que nous demandons, ce ne sont pas des faveurs, mais des droits. Clairs. Effectifs. Respectés.
L'INCROYABLE PARCOURS D'IYAD AG GHALI
Ancien parolier du groupe touareg Tinariwen et promoteur musical, ce septuagénaire dirige aujourd'hui l'une des franchises d'Al-Qaïda les plus meurtrières au monde, responsable de dizaines de milliers de morts
(SenePus) - Dans les années 1980, Iyad ag Ghali écrivait des paroles pour le groupe de blues-rock touareg Tinariwen, jouait avec ses membres en tapant le rythme sur des jerricanes métalliques et fréquentait les boîtes de nuit d'Afrique de l'Ouest. Aujourd'hui, ce septuagénaire dirige l'une des franchises d'Al-Qaïda les plus dangereuses au monde, a interdit la musique sur un territoire de la taille du Montana et commande une armée d'extrémistes responsable de dizaines de milliers de morts.
"Je n'arrivais pas à y croire", confie Manny Ansar, ancien manager de Tinariwen, qui sortait en boîte avec ag Ghali à Bamako, la capitale malienne, il y a 30 ans. "Ce fut un énorme choc quand j'ai vu des images de lui marchant sur des cadavres."
Selon un article approfondi du Wall Street Journal (WSJ) signé par Benoit Faucon et Michael M. Phillips, Iyad ag Ghali a transformé l'Afrique de l'Ouest en principal champ de bataille où s'affrontent l'Occident, les gouvernements locaux et les extrémistes islamistes. Ses 6 000 combattants ont ravagé des villages et combattu des soldats français, des bérets verts américains et des mercenaires russes.
Cette guerre, le chef terroriste de 70 ans environ est en train de la gagner. Ses militants sont devenus si puissants qu'il existe un risque que le Mali, son pays d'origine, ou le Burkina Faso voisin deviennent le premier État au monde dirigé par Al-Qaïda.
Comment un promoteur de musique touarègue est-il devenu un seigneur de guerre islamiste? L'enquête du WSJ s'appuie sur des entretiens avec d'anciens amis, des rebelles touaregs, des membres et managers de Tinariwen et des responsables gouvernementaux, ainsi que sur des rapports de l'ONU, des communications diplomatiques américaines et des photos d'époque.
Le désert comme berceau
Jeune, Iyad ag Ghali était un Touareg avant d'être musulman. Les Touaregs, groupe ethnique berbère, ont été romantisés en Occident pour leurs vêtements indigo et leur mode de vie nomade, parcourant le Sahara avec leurs chameaux, chèvres et moutons, à travers ce qui est aujourd'hui le Mali, le Burkina Faso, le Niger, l'Algérie et la Libye.
Ag Ghali avait neuf ans lorsque son père, éminent dans les familles touarègues, fut tué lors d'un soulèvement contre le gouvernement malien en 1960. En grandissant, il rejoignit une légion de volontaires touaregs, sous le patronage du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, cherchant l'indépendance du Mali.
Dans les années 1980, Kadhafi demanda à ag Ghali de superviser des recrues touarègues dans un camp près de Tripoli. Parmi les volontaires se trouvaient des musiciens, dont Ibrahim ag Alhabib, dont le père, comme celui d'ag Ghali, avait été tué lors de la rébellion malienne des années 1960.
Enfant, ag Alhabib avait été captivé par un cow-boy jouant de la guitare dans un western projeté dans un cinéma de fortune du désert. Il fabriqua sa première guitare à partir d'une boîte d'huile, d'un bâton et d'un câble de frein de bicyclette. Autour du feu de camp, ag Alhabib et d'autres musiciens touaregs forgèrent leur propre son blues du désert.
Ag Ghali vit dans la musique un moyen de rallier du soutien pour l'indépendance touarègue. Il aida à fournir à ag Alhabib et aux musiciens des guitares électriques, des amplificateurs, un entrepôt pour répéter et une scène en béton pour se produire, explique Philippe Brix, deuxième manager du groupe.
"Il comprenait le pouvoir de la musique de guitare comme outil de communication", déclare Brix. "C'était son coup de maître." Les musiciens nommèrent leur groupe Kel Tinariwen, les Garçons du Désert.
Ag Ghali écrivit les paroles d'une chanson intitulée "Bismillah", arabe pour "Au nom de Dieu" :
Au nom de Dieu, nous avons commencé la révolution en compagnie de mes frères.Pour chasser les pillards et écraser les ennemis,Nous gravirons les montagnes pour échapper à la misère.
De la rébellion à la paix
En juin 1990, ag Ghali et ses combattants quittèrent la Libye et s'infiltrèrent au Mali. Ils attaquaient des postes militaires le jour et chantaient autour du feu la nuit. Des cassettes pirates de "Bismillah" passèrent de main en main dans les villages maliens, et la chanson devint un hymne du mouvement de libération touareg.
"On peut dire que Tinariwen était derrière le soulèvement", a déclaré plus tard le bassiste du groupe, Eyadou ag Leche, au journal français Le Monde.
Après des victoires initiales sur le champ de bataille, ag Ghali négocia une paix en 1991 qui conduisit à une plus grande autonomie des Touaregs vis-à-vis des autorités maliennes. Ce fut le début d'une alliance de deux décennies entre ag Ghali et le gouvernement de Bamako.
Le combat terminé, le président malien Moussa Traoré demanda à Ansar, un Touareg populaire à Bamako, d'inviter ag Ghali à dîner. Ansar archivait la musique touarègue comme passe-temps, et il s'entendit bien avec ag Ghali, qui pensait que Tinariwen avait besoin d'un manager.
"Je te confie ce groupe", se souvient Ansar des paroles d'ag Ghali.
Traoré fut renversé par l'armée en 1991, en réponse au massacre de manifestants pro-démocratie. Le nouveau président, Alpha Konaré, espérant contenir les Touaregs agités, offrit à ag Ghali une spacieuse villa à Bamako.
Ag Ghali invita le fondateur de Tinariwen à vivre dans la maison. Le groupe restait éveillé tard pour répéter et ag Ghali chantait avec eux, battant la mesure sur un bidon d'eau.
Le président Konaré demanda à ag Ghali de l'accompagner lors de voyages officiels aux Émirats arabes unis, en Algérie et ailleurs. Le rebelle du désert commença à porter une montre Rolex, des mocassins Weston et des costumes Smalto, cadeaux de leurs hôtes internationaux, raconte Ansar.
Le tournant religieux
En 1999, un groupe de prédicateurs pakistanais conservateurs arriva à Kidal, ville natale d'ag Ghali dans le nord du Mali, et sa vie changea. Il fut intrigué et invita les Pakistanais chez lui. Au cours des mois suivants, il passa plus de temps à prier et à lire le Coran. Il se laissa pousser la barbe et commença à porter le même vêtement blanc que les prédicateurs.
"Je me débarrasse de ma Rolex et de mes chaussures", se souvient Ansar des propos d'ag Ghali. "Je ne peux plus les porter."
L'attraction croissante d'ag Ghali pour une version extrême de l'islam et son amour de la musique touarègue coexistèrent pacifiquement pendant un temps. En 1999, la même année où les prédicateurs pakistanais arrivèrent en ville, il encouragea Ansar à organiser des concerts de musique touarègue, qui se transformèrent finalement en Festival au Désert.
En 2003, Vicki Huddleston, alors ambassadrice américaine au Mali, organisa une rencontre avec ag Ghali, dans le cadre d'un effort de l'administration Bush pour traquer les radicaux après les attentats du 11 septembre. "Nous avions des renseignements selon lesquels Al-Qaïda était sur le point d'ouvrir un nouveau front" dans la région, explique Huddleston, qui soupçonnait ag Ghali d'être derrière ce mouvement.
Ag Ghali finit par renoncer au festival de musique qu'il avait défendu. "Arrêtez ça", se souvient Ansar de ses paroles. "Vous amenez des non-musulmans pour la débauche."
En 2011, Tinariwen sortit son album "Tassili", récompensé par un Grammy, et le dirigeant libyen Kadhafi fut renversé. Des combattants touaregs quittèrent la Libye et affluèrent au Mali. De nombreux jeunes Touaregs se retournèrent contre ag Ghali, le considérant comme un vendu qui vivait dans le luxe et se rapprochait du gouvernement malien.
Mis à l'écart par d'anciens camarades, ag Ghali fonda son propre groupe militant islamiste. L'implosion au ralenti de l'Afrique de l'Ouest suivit bientôt.
Le dernier Festival au Désert tenu au Mali eut lieu à la périphérie de Tombouctou, où Tinariwen partagea la scène avec Bono, du groupe irlandais U2. Le rideau final tomba le 14 janvier 2012. Deux jours plus tard, l'ancien groupe rebelle touareg d'ag Ghali lança une rébellion, s'emparant plus tard de Tombouctou, Gao et Kidal.
En quelques mois, le nouveau groupe islamiste d'ag Ghali et une autre force extrémiste, Al-Qaïda au Maghreb islamique, mirent les Touaregs en déroute. Après la prise de Tombouctou, ag Ghali interdit ce qu'il appelait la "musique de Satan". Les femmes n'avaient plus le droit de sortir sans leur mari ou leur frère. La police religieuse fouettait les hérétiques présumés.
En 2013, les militants d'ag Ghali tendirent une embuscade à des musiciens de Tinariwen et retinrent le guitariste Abdallah ag Lamida pendant des semaines après l'avoir surpris en train d'essayer de récupérer ses instruments.
Les États-Unis désignèrent ag Ghali comme terroriste cette année-là. La France déploya des troupes de combat au Mali et, soutenue par des soldats maliens et un soutien logistique des États-Unis et d'autres pays, délogea les islamistes de Tombouctou. Pour ag Ghali, ce fut un revers, pas une défaite.
L'expansion de la menace
En 2017, il rassembla plusieurs groupes militants liés à Al-Qaïda dans une coalition appelée Jama'at Nusrat al-Islam wal Muslimin, qui se traduit par Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans. La coalition lança une nouvelle vague d'insurrection à travers l'Afrique de l'Ouest.
Les hommes d'ag Ghali se sont emparés de mines d'or, ont extorqué des villageois pour leur bétail et ont prélevé de l'argent de protection auprès des trafiquants de drogue et d'êtres humains. Les militants ont été liés à près de 2 300 incidents violents au Mali, au Burkina Faso, au Niger et dans d'autres pays d'Afrique de l'Ouest l'année dernière, faisant plus de 8 880 morts, selon l'Africa Center for Strategic Studies, un groupe de réflexion de l'Université nationale de défense du Pentagone.
Des officiers militaires frustrés au Mali, au Burkina Faso et au Niger ont renversé les dirigeants civils dans une série de coups d'État à partir de 2020, affirmant qu'ils étaient mieux à même de vaincre les insurgés. Les juntes ont expulsé les forces antiterroristes françaises. Les dirigeants militaires du Niger ont ordonné à 1 100 soldats américains de quitter le pays et ont pris le contrôle d'une base de drones américaine de 110 millions de dollars.
Ag Ghali, se souvenant des réactions négatives à son règne brutal à Tombouctou, a fait quelques efforts pour adoucir l'image de sa coalition militante et assumer les attributs du gouvernement, suggérant une ambition d'établir un califat ouest-africain.
Ses combattants ont repoussé l'État islamique au Grand Sahara, un groupe rival qui a exécuté des anciens de villages et exigé l'allégeance des résidents. La protection d'ag Ghali a un prix : dans un village du centre du Mali, c'était 40 vaches et 130 livres de sorgho par an. En échange, les hommes d'ag Ghali règlent les différends entre chasseurs, pêcheurs, éleveurs nomades et agriculteurs, qui se disputent les terres de pâturage et les ressources en eau.
"C'est sûr", déclare Ibrahim Cissé, un leader communautaire malien. "Mais c'est une prison."
La menace de la violence n'est jamais loin. En août dernier, les militants d'ag Ghali ont abattu quelque 600 villageois à Barsalogho, au Burkina Faso, alors que les habitants creusaient des tranchées défensives pour tenter de protéger leur localité, selon un rapport des services de renseignement français.
En juin, la Cour pénale internationale de La Haye a descellé un mandat d'arrêt contre ag Ghali, l'accusant de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Il est toujours en liberté.
L'été dernier, Tinariwen s'est produit dans des villes américaines, dont Boston et Los Angeles.
LE PHILOSOPHE DERRIÈRE TRUMP
L'intellectuel influent de la contre-révolution trumpiste, expose sa théorie politique qu'il qualifie d'"aristotélicienne". Pour lui, l'administration Trump-Vance marque le retour d'une "énergie monarchique" nécessaire
(SenePlus) - Dans un entretien exclusif accordé au Grand Continent, l'intellectuel américain Curtis Yarvin, considéré comme l'un des penseurs clés de la nouvelle administration Trump, développe sa vision politique et analyse les conditions qui ont selon lui rendu possible ce qu'il qualifie de "moment monarchique" aux États-Unis.
Cet entretien fleuve, réalisé début avril 2025 dans le Quartier latin à Paris, constitue le premier volet d'une série en trois parties publiée par Le Grand Continent. Yarvin y explique notamment l'influence de ses théories auprès de l'administration Trump et particulièrement auprès de J.D. Vance, qu'il affirme "rencontrer plusieurs fois".
Lorsqu'on l'interroge sur sa théorie politique, Yarvin commence par la replacer dans une perspective historique : "Ma théorie n'est pas très différente de celle d'Aristote. La question intéressante n'est pas de savoir comment ces nouvelles théories sont devenues influentes, mais plutôt comment elles ont pu être perdues au cours des 250 dernières années."
Pour Yarvin, les trois formes classiques de gouvernement - monarchie, aristocratie et démocratie - doivent être réinterprétées dans le contexte contemporain. "Si vous voulez comprendre le triptyque 'monarchie, démocratie, oligarchie' aujourd'hui, il faut prendre le mot oligarchie et le transformer en 'méritocratie', 'société civile', 'institutions', ou 'classe professionnelle-managériale'", explique-t-il.
Dans sa vision, la monarchie représente "l'énergie qui provient d'un unique point" et constitue la seule force véritablement efficace. Il cite en exemples historiques Napoléon et Cromwell, qui n'étaient pas de lignée royale mais incarnaient cette "énergie monarchique".
L'intellectuel développe une lecture cyclique de l'histoire américaine, où le pays redevient "de fait une monarchie à peu près tous les 75 ou 80 ans". Il cite George Washington, Abraham Lincoln et Franklin D. Roosevelt comme trois incarnations historiques du "chef exécutif" présidentiel.
"La Constitution dit seulement qu'il y a trois pouvoirs - elle ne dit pas lequel est le plus fort", analyse Yarvin, qui voit dans l'administration Trump-Vance un retour à cette présidence "jupitérienne" où le président exerce pleinement son pouvoir exécutif.
Selon Yarvin, la pandémie de Covid-19 a joué un rôle déterminant dans ce qu'il perçoit comme une révolution culturelle en cours aux États-Unis. "En 2019, en Chine, quelqu'un a fait tomber un tube à essai. Et le monde entier a changé", affirme-t-il de façon provocante, faisant référence à la théorie d'une fuite de laboratoire.
"La pandémie est un moment si marquant que l'une des choses les plus remarquables pour moi à propos des élections de 2024 est que personne ne parle du Covid-19, non pas parce que c'est trop insignifiant - mais parce que c'est trop important", analyse-t-il.
Pour l'intellectuel, la crise sanitaire a mis en lumière les dysfonctionnements d'un système où "les virologues régentent la virologie", créant selon lui un conflit d'intérêts fondamental. Il développe longuement une critique de la recherche sur les coronavirus, mentionnant notamment le programme DEFUSE et accusant les chercheurs d'avoir créé le problème qu'ils prétendaient résoudre.
Yarvin situe également le moment actuel dans une perspective historique plus large concernant l'évolution de la gauche américaine. Il distingue la "Old Left" communiste des années 1930 de la "New Left" des années 1960, puis du mouvement "woke" contemporain.
Selon lui, la pandémie a inauguré "la phase terminale de la gauche", dont l'hégémonie culturelle serait devenue sa propre faiblesse. "Quand tout le monde en Ohio a un panneau Black Lives Matter sur sa pelouse - Black Lives Matter est mort", théorise-t-il.
Yarvin souligne également le rôle croissant de la Silicon Valley dans cette nouvelle configuration politique. "Il y a huit ans, Elon Musk était un centriste libéral", rappelle-t-il, suggérant une évolution idéologique majeure chez les entrepreneurs technologiques.
Pour lui, ces nouveaux acteurs forment une élite montante qui ressent "non seulement le droit de gouverner mais - comme la gauche jadis - le devoir de gouverner". Il cite spécifiquement Elon Musk comme exemple contemporain d'énergie "monarchique".
L'intellectuel conclut sur un constat qui l'étonne : l'absence de résistance significative face aux transformations en cours. "L'une des choses les plus incroyables à propos du phénomène Trump-Vance, c'est qu'il a lieu sans aucune confrontation", observe-t-il, contrastant avec les protestations massives qui avaient marqué le premier mandat de Trump.
"Plus on agit avec résolution - pas avec plus de violence, mais avec plus de résolution - plus la résistance est faible", théorise-t-il, comparant cette dynamique à celle de "bons parents" qui "sont fermes et clairs et qui savent où ils vont".
Selon Yarvin, "après la pandémie, le monde était mûr : le moment était venu pour la monarchie. Nous avions besoin d'un monarque."
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LA COUR DES COMPTES MONTE AU CRÉNEAU
Face aux critiques concernant le récent rapport sur les finances publiques, Aliou Niane, patron de la Chambre de discipline financière, défend la méthodologie et l'indépendance de la Cour. Délais, contradictoire, authenticité : il répond point par point
(SenePlus) - Dans une intervention à la maison d’édition L’Harmattan à Dakar, Aliou Niane, ancien secrétaire général et actuel président de la Chambre de discipline financière (CDF) de la Cour des comptes, a tenu à apporter des éclaircissements concernant le récent rapport sur la situation des finances publiques, objet de vives réactions dans l'opinion.
Face aux critiques et aux interrogations sur la méthodologie et la légitimité du document, M. Niane a souhaité rétablir certaines vérités et défendre l'indépendance de l'institution qu'il représente.
Le magistrat a d'abord abordé la question du délai de production du rapport. "On nous a dit que la Cour avait trois mois pour faire le rapport. C'est vrai, si on regarde le code de transparence", a-t-il reconnu. Cependant, il a souligné que les procédures de la Cour des comptes sont régies par la loi organique 2012-23, qui prévaut sur le code de transparence.
"La loi organique étant supérieure à la loi ordinaire qu'est le code de transparence, nous avons appliqué de façon pertinente les dispositions résistantes, les procédures de la Cour", a-t-il expliqué. Selon lui, il faut "un minimum de trois mois pour faire l'audit, un minimum d'un mois pour avoir les conclusions du parquet et un minimum d'un mois pour faire le contradictoire", rendant impossible la réalisation d'un tel rapport en seulement trois mois.
Concernant le respect du principe du contradictoire, autre point de critique, Aliou Niane a rappelé que "la loi organique sur la Cour des comptes dit que toutes les procédures de la Cour sont écrites et contradictoires". Il a précisé que l'audit sur la situation des finances publiques ne visait pas des personnalités en particulier mais cherchait à évaluer "la situation des finances publiques en temps T".
"On ne s'intéressait pas aux ministres qui se sont succédés au niveau du ministère des finances ou bien au niveau du ministère de l'économie. Ce qui nous intéressait, ce sont les administrations qui ont produit les données et le contradictoire a été respecté avec ces administrations", a-t-il affirmé.
Le magistrat a également réfuté les allégations selon lesquelles le rapport n'était pas signé. "Nous ne pouvons pas faire un rapport qui n'est pas signé", a-t-il assuré, expliquant que les versions publiées sur le site de la Cour ne comportent généralement pas de signatures, comme c'est le cas pour d'autres institutions similaires.
Il a par ailleurs dénoncé la circulation d'un rapport provisoire dont certains se seraient emparés. "Ce qu'ils avaient, c'est un rapport provisoire. Ils n'auraient même pas dû obtenir une copie du rapport provisoire", a-t-il regretté, expliquant que les différences entre ce document et la version finale sont normales et résultent du processus d'élaboration.
Aliou Niane a en profiter pour réaffirmer avec force l'indépendance de la Cour des comptes : "La Cour est indépendante. Elle ne dépend d'aucun pouvoir. Nous ne dépendons pas du pouvoir exécutif et au niveau de la Cour, nous tenons à notre indépendance comme à la prunelle de nos yeux."
Il a rappelé que par le passé, cette indépendance avait déjà été mise à l'épreuve, notamment lors de la publication du rapport sur la gestion des fonds Covid, qui avait également suscité "une levée de boucliers".
"Nous sommes un pouvoir au même titre que le pouvoir exécutif, au même titre que le pouvoir législatif. Nous assumerons notre indépendance jusqu'au bout, quel que soit le pouvoir qui serait en place", a conclu le magistrat, réaffirmant la mission de l'institution comme "sentinelle des finances publiques" au Sénégal.
OBJECTION AVEC MIMI TOURÉ
De l'assainissement des finances publiques aux perspectives offertes par le pétrole, la haute représentante du chef de l'État trace les contours d'un « Sénégal apaisé » un après l'élection de Diomaye Faye
Aminata Touré, haute représentante du président Bassirou Diomaye Faye, a livré une analyse approfondie de la situation politique et économique du Sénégal lors de son passage dans l'émission "Objection" de Sud FM ce dimanche.
À l'occasion des 65 ans d'indépendance du pays, l'ancienne ministre a mis en avant les progrès "impressionnants" réalisés depuis 1960, citant notamment l'augmentation de l'espérance de vie de 41 à 65 ans et l'atteinte de la scolarisation universelle, avec une progression particulièrement notable des filles dans l'éducation.
Concernant la gouvernance actuelle, Mme Touré a défendu avec force l'approche du président Faye axée sur "l'assainissement des finances publiques" et "la discipline budgétaire". Elle a évoqué la découverte d'une dette "cachée" de 4000 milliards FCFA "qui n'était pas répertoriée dans les comptes publics", affirmant qu'il est essentiel de "savoir où cet argent est allé".
"Ce que j'ai compris, c'est que le président appelle nos concitoyens à comprendre sa démarche", a-t-elle expliqué, soulignant que la transparence financière est désormais "non négociable" pour l'exécutif.
Sur le plan judiciaire, l'ancienne Première ministre a défendu les réformes annoncées issues des assises de la justice, estimant que "la justice joue un rôle central dans notre démocratie". Elle s'est montrée favorable à l'activation de la Haute Cour de Justice pour juger d'anciens responsables si nécessaire, affirmant que "ce n'est pas parce qu'on est président qu'on n'est pas justiciable".
Mme Touré a également soutenu la stratégie économique du gouvernement, centrée sur "la résilience" et "le développement endogène". Elle a détaillé plusieurs initiatives, notamment "la coopératisation du milieu rural" visant les jeunes sur 15.000 hectares, insistant sur la nécessité de "créer de la richesse locale" et de "compter davantage sur nous-mêmes".
"Notre avenir est ici", a-t-elle lancé à l'adresse de la jeunesse sénégalaise, tout en évoquant les perspectives offertes par l'exploitation prochaine du pétrole et du gaz qui "va permettre d'élargir le champ des possibilités".
Questionnée sur le débaptisage récent de l'avenue Charles de Gaulle au profit de Mamadou Dia, elle s'est réjouie de cette décision, la jugeant "tout à fait normale" pour honorer "un grand patriote", et l'inscrivant dans "la trajectoire de la souveraineté" défendue par l'actuel régime.
"L'espoir est permis après une année de gestion des nouvelles autorités", a conclu Aminata Touré, reconnaissant que "le contexte n'est pas facile" mais estimant que le Sénégal est "sur la bonne voie".
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LA SOUVERAINETÉ VOLÉE DES NATIONS D’AFRIQUE FRANCOPHONES
Derrière les cérémonies d'indépendance se cache un arrangement anticonstitutionnel. L'économiste Ndongo Samba Sylla démontre comment le contrôle de la monnaie par la France a transformé une indépendance de façade en une dépendance structurelle qui perdure
Selon l'économiste Ndongo Samba Sylla, la décolonisation des pays d'Afrique francophone cache une réalité méconnue : elle s'est déroulée de manière anticonstitutionnelle. Dans une analyse détaillée présentée lors d'une conférence sur l'indépendance économique, il révèle que la France, prise de court par le mouvement d'indépendance après le départ de la Guinée en 1958, a contourné l'exigence constitutionnelle d'un référendum pour libérer les territoires du régime de la communauté franco-africaine.
"C'est une histoire qu'on ne raconte jamais", souligne l'économiste. "Nos États sont même nés anticonstitutionnels, ce qui explique certaines tares qu'on retrouve dans les pays d'Afrique francophone."
L'élément central de cette indépendance de façade reste le franc CFA. Initialement "Franc des Colonies Françaises d'Afrique", rebaptisé plus tard "Franc de la Communauté Financière Africaine" en Afrique de l'Ouest, cette monnaie représente selon Sylla "l'exemple le plus vivide du fait que nous ne sommes pas indépendants".
Contrairement aux autres zones monétaires coloniales (sterling, portugaise, belge) qui ont été démantelées après les indépendances, permettant aux nouveaux États de battre leur propre monnaie, la zone franc a perduré jusqu'à aujourd'hui. Les accords de coopération signés par Michel Debré avec les homologues africains stipulaient clairement : "Vous aurez l'indépendance politique, mais sans souveraineté."
Des documents historiques cités par l'économiste montrent que ce système était conçu sciemment pour préserver les intérêts français. Pierre Moussa, administrateur au ministère des Finances français, écrivait déjà dans les années 1950 que la France avait besoin de ses colonies pour "acheter des matières premières sans dépenser de dollars" et utiliser leurs surplus commerciaux pour son propre développement.
Le philosophe Raymond Aron confirmait en 1959 que "ce qui compte, c'est le maintien de la zone franc" et que les relations économiques entre la métropole et ses colonies étaient comparables à celles "entre Paris et Marseille".
Plus troublant encore, un rapport américain de 1963 commandé par John F. Kennedy qualifiait ce système de "néocolonial" et "totalement anachronique", prédisant sa disparition prochaine. Même d'anciens économistes en chef de la Banque mondiale ont reconnu en privé que "le CFA pénalise le développement économique de ces pays".
L'économiste explique le cercle vicieux entretenu par ce système : le franc CFA, surrévalué, favorise les importations plutôt que les exportations. Pour créer du CFA, ces pays doivent d'abord accumuler des devises étrangères, mais étant structurellement déficitaires en raison même de ce système monétaire, ils doivent les emprunter.
"Un pays qui ne peut pas ordonner à sa propre banque centrale de créditer le compte d'État a le statut d'une colonie ou d'une collectivité locale", rappelle Sylla, citant l'économiste britannique Win Godley.
Pour Ndongo Samba Sylla, la solution est claire : "Il est impossible de développer un pays dans le cadre du système CFA." Il préconise l'établissement de monnaies nationales souveraines, rappelant qu'"aucun État ne peut jamais manquer de sa propre monnaie" et que "tout ce qu'un pays peut faire lui-même, il peut le financer lui-même".
Cette souveraineté monétaire devrait s'accompagner d'un contrôle effectif des ressources naturelles pour financer les importations nécessaires et d'une diplomatie économique permettant des échanges dans les monnaies nationales.
"La monnaie c'est important, mais ce n'est pas suffisant", conclut-il. "Ce qui compte, c'est la planification économique, le projet social derrière. Le franc CFA a été élaboré pour l'économie coloniale. Si vous voulez une économie diversifiée, si vous voulez mobiliser votre créativité, il faut vous débarrasser du franc CFA."
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AMADOU BA LÈVE LE VOILE SUR SA RELATION AVEC ABDOULAYE WADE
L'ancein Premier ministre dresse le portrait d'un dirigeant visionnaire, républicain et souverainiste, dont l'influence sur les politiques économiques et la gouvernance du Sénégal se fait encore sentir aujourd'hui
Amadou Ba a livré un témoignage éclairant sur sa collaboration avec l'ex-président Abdoulaye Wade lors de la présentation du livre "Wade, mille et une vies" de Madiambal Diagne, ce samedi 5 avril.
Dans son intervention, l'ancien Premier ministre a souligné comment Wade l'avait nommé Directeur général des impôts et domaines sans même le rencontrer, illustrant la confiance accordée à ses ministres et son approche méritocratique.
"J'ai serré la main du président Wade deux ans après ma nomination comme directeur général des impôts et des domaines," a révélé Ba, précisant que cette nomination s'était faite "sans me connaître, sans chercher à me voir."
L'ancien candidat défait à la présidentielle a également évoqué son rôle crucial dans l'élaboration du Code général des impôts actuel du Sénégal, suite à une présentation remarquée au Groupe consultatif en 2007 qui avait impressionné "Gorgui".
Sur le plan de l'éthique politique, Ba a partagé un moment significatif pendant les élections : "Entre les deux tours, Wade m'a dit 'Jeune homme, tu es un fonctionnaire, je veux que vous restiez républicain jusqu'au bout'," concernant la délivrance de quitus fiscaux aux candidats.
Amadou Ba a aussi joué un rôle déterminant dans les négociations pour le départ des forces françaises en 2009-2010, sous l'autorité d'un Wade décrit comme "souverainiste" mais pragmatique.
L'influence de Wade sur les politiques économiques ultérieures, notamment le Plan Sénégal Émergent avec son accent sur les infrastructures, a également été soulignée par l'ancien Premier ministre, qui a confié avoir été "inspiré" par la vision économique du président Wade.
"Maître Wade aura beaucoup inspiré l'ancien président mais aussi tous ceux qui avaient le privilège de le côtoyer," a conclu Amadou Ba, rendant hommage à l'homme d'État et à l'auteur Madiambal Diagne pour son travail biographique.
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LE VIBRANT HOMMAGE DE YOUSSOU N'DOUR À AMADOU BAGAYOKO
Le parcours extraordinaire d'Amadou et Mariam, des débuts modestes jusqu'à la reconnaissance internationale, reste gravé dans la mémoire de You qui les avait découverts avant leur célébrité
La disparition d'Amadou Bagayoko, membre du célèbre duo musical "Amadou et Mariam", a suscité de nombreux hommages à travers le monde. Parmi eux, celui de Youssou N'Dour, qui s'est exprimé avec émotion sur cette perte immense.
"Je pense que le monde entier pense à Mariam", a déclaré N'Dour, évoquant l'épouse d'Amadou avec qui il formait ce duo iconique. "C'était la moitié d'Amadou", a-t-il ajouté, soulignant la profonde complicité du couple.
Le chanteur sénégalais, qui avait rencontré le duo "avant même leur grand succès" lors d'un festival qu'il avait organisé à Dakar, garde le souvenir d'artistes "d'une gentillesse extraordinaire" et d'un "côté naturel extraordinaire".
Pour Youssou N'Dour, Amadou et Mariam représentent "les ambassadeurs de la musique africaine" dans le monde entier. Il qualifie la disparition d'Amadou de "lourde perte pour l'Afrique, pour le monde entier, pour la musique".
De sa relation avec le couple, l'artiste sénégalais retient surtout "l'amitié" et "l'amour", ainsi que "ce fin sourire" d'Amadou. Il salue également leur parcours bâti "avec dignité" qui a inspiré de nombreux artistes africains.
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LES ADIEUX D'AMADOU À MARIAM
Le célèbre duo "Amadou et Mariam" perd sa moitié masculine. Dans un témoignage bouleversant, l'épouse raconte ses ultimes instants avec celui qui fut son guide, son amour et son partenaire musical depuis près d'un demi-siècle
Amadou Bagayoko, guitariste et chanteur malien du célèbre duo "Amadou et Mariam", est décédé vendredi dernier à l'âge de 70 ans des suites d'une maladie. Dans un témoignage émouvant, son épouse Mariam Doumbia a raconté les derniers instants passés aux côtés de celui qui partageait sa vie depuis leur rencontre en 1976 à l'Institut des jeunes aveugles de Bamako.
"J'ai pris sa main, j'ai dit à Amadou 'il faut me parler'", confie Mariam en larmes. "Il m'a répondu 'madame, tout ce que tu dis, j'entends'." Ce furent ses dernières paroles avant que son état ne se détériore rapidement.
Malgré une hospitalisation d'urgence à la clinique Pasteur, les médecins n'ont pu que constater le décès. "Le docteur a dit qu'il est parti", raconte Mariam, bouleversée. "Je suis restée seule, je vais rester seule dans ma vie."
Le couple, surnommé "le couple aveugle du Mali", avait conquis la scène internationale avec des tubes comme "Dimanche à Bamako" ou "Je pense à toi", mélangeant musiques traditionnelles maliennes et sonorités modernes. Leur carrière commune s'étendait sur plus de quarante ans.