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22 novembre 2024
Développement
par Sadibou Sow
IMAM BACHIR, LE PRECURSEUR À LA VOIX DOUCE, EST PARTI
C'est l'histoire d'un homme qui a su apporter la lumière dans les heures sombres de l'université de Saint-Louis. Sa capacité à allier profondeur spirituelle et joie de vivre en a fait un modèle pour toute une génération
C’était dans les années 90. L’université de Saint-Louis commençait déjà à perdre sa belle réputation de havre de paix où n’entraient que quelques élus parmi la crème de l’école sénégalaise. À la session unique d’octobre 1993 succéda l’année invalidée de 1994 où les étudiants durent vider le campus presque à la sauvette. Quelle humiliation ! 1994, c’était aussi l’année de la fameuse dévaluation du Franc cfa avec la misère économique qu’elle causa dans tout le Sénégal. À la rentrée universitaire suivante, les conditions de vie sur le campus s’étaient tellement détériorées que certains étudiants en arrivaient à abandonner tout bonnement Sanar (comme on appelle familièrement cette université plantée à 14 km à l’est de Saint-Louis) pour retourner chez eux. L’affaissement des repères moraux suintait aussi bien dans les discours politiques que dans les productions artistiques. Les chants et les danses servaient de plus en plus d’exutoire pour défier les codes moraux comme si une nouvelle génération cherchait à faire un doigt d’honneur à tous les repères.
Dans cette atmosphère de démoralisation qui semait le doute dans les cœurs et les esprits, il y avait, parmi cette jeunesse estudiantine, quelques individus qui trouvaient leur réconfort dans la spiritualité. Dans les chambres et dans les espaces aménagés pour servir de salle de prière, on se rencontrait souvent entre amis, camarades de classe ou de « village » (comme on désignait les résidences universitaires) pour parler de religion, notamment de l’islam.
C’est dans ce contexte que les frères Diop débarquèrent à Sanar. D’abord il y avait Mouhamed Diop, l’imam-étudiant qui psalmodiait le Quraan d’une voix à la fois si forte et belle que tu lui en voulais presque quand il récitait des sourates courtes à l’aube ou la nuit. Ensuite arriva Bachir. Avec ce dernier, la première chose que je retiens, c’est une sorte d’évolution/révolution dans les sermons du vendredi. Devenu imam de la mosquée de l’UGB, il aimait choisir des sujets plus pragmatiques et axés sur la vie quotidienne des jeunes sénégalais, en général, et des étudiants en particulier. Comme son frère Mouhamed, Imam Bachir (c’est ainsi qu’on l’appelait déjà), était d’autant plus à même de comprendre son contexte social qu’il menait une vie estudiantine intense: il jouait dans les équipes de foot, faisait des arts martiaux, assistait aux séances de thé où on discutait à bâtons rompus, aidait parfois à vendre à une des boutiques privées du campus, et surtout, en tant que Diop, il ne ratait pas l’occasion de chambrer les Ndiayes, ses parents à plaisanterie ; le sens de l’humeur, c’était son affaire. Imam Bachir avait ce sourire radieux qui accompagnait cette voix douce.
Sur ce campus où cohabitaient une diversité de courants religieux, imam Bachir Diop aimait trouver des compromis sans se compromettre. Sa simplicité, sa sincérité, sa patience, sa droiture faisaient de lui un homme affable et accessible à qui les étudiants qui éprouvaient des difficultés dans leur cheminement spirituel n’avaient pas peur de se confier. Car ils trouvaient en lui une oreille attentive et un cœur apaisé enclins à tendre une perche salvatrice plutôt qu’à servir un jugement moral écrasant.
Imam Bachir, tu as été un précurseur et une excellente nouvelle pour Sanar. Qu’Allah, dans Sa Rahma infinie, t’accueille au Firdaws majestueux et qu’il veille sur ta famille jusqu’à ce qu’elle te retrouve en compagnie du sceau des prophètes, notre Habib (Sallallaahu a’leyhi wa Sallah) au sourire sublime.
Aamiin.
Ton frère en Allah.
AUX ÉTATS-UNIS, LE MYTHE DU VOTE IDENTITAIRE
David Brooks révèle, dans une analyse au New York Times comment l'inflation, la sécurité et la politique étrangère façonnent les choix électoraux des citoyens américains, au-delà des clivages communautaires
(SenePlus) - Dans un édito publié le 14 novembre dans le New York Times (NYT), David Brooks remet en question les certitudes sur le vote identitaire aux États-Unis. Le chroniqueur démontre, chiffres à l'appui, que les prévisions basées sur l'appartenance ethnique ou le genre se sont révélées largement erronées lors des dernières élections.
"Les Démocrates ont perdu parce que tous les groupes, à l'exception des Blancs, se sont rapprochés de Donald Trump durant ce cycle", résume le sociologue Musa al-Gharbi, cité par Brooks. Un constat qui bouscule les théories établies : Kamala Harris a réalisé de moins bons scores que Joe Biden en 2020 auprès des électeurs noirs, des femmes, des Latinos et des jeunes. Paradoxalement, elle n'a surpassé son prédécesseur qu'auprès des électeurs blancs, particulièrement les hommes blancs.
Le chroniqueur du NYT s'interroge sur ces résultats qui défient la logique apparente : "Beaucoup d'entre nous évoluons avec des modèles mentaux défectueux. Beaucoup d'entre nous traversons la vie avec de fausses hypothèses sur le fonctionnement du monde."
Brooks pointe du doigt une vision du monde héritée des mouvements de libération qui ont marqué les dernières décennies : droits civiques, libération des femmes, droits des homosexuels et des personnes trans. Cette approche, qui divise la société entre "privilégiés" (hommes blancs hétérosexuels) et "marginalisés" (tous les autres), se heurte aujourd'hui à une réalité plus complexe.
L'auteur souligne que les catégories utilisées manquent souvent de pertinence. Selon une étude du Pew Research Center qu'il cite, 32% des Américains d'origine asiatique, 30% des Hispaniques et 23% des Noirs se sont mariés hors de leur groupe ethnique en 2022. Plus frappant encore, 58% des Hispaniques s'identifient également comme blancs.
"Les gens ne se comportent pas comme des ambassadeurs de tel ou tel groupe. Ils pensent par eux-mêmes de manière inattendue", observe Brooks, qui appelle à dépasser une vision binaire opposant oppresseurs et opprimés. Le chroniqueur rappelle que les électeurs sont préoccupés par des questions concrètes comme l'inflation, la criminalité ou la politique étrangère, qui transcendent les clivages identitaires.
Pour Brooks, il est urgent de construire "une vision sociale aussi moralement convaincante que la politique identitaire mais qui décrit mieux la réalité." Il cite le juriste britannique Patrick Devlin qui, dès 1959, avertissait : "Sans idées partagées sur la politique, la morale et l'éthique, aucune société ne peut exister."
Face à ces constats, le chroniqueur du New York Times plaide pour une approche plus nuancée, prenant en compte la complexité des individus au-delà de leur appartenance à un groupe. Une réflexion qui intervient à un moment crucial pour la démocratie américaine, alors que le pays s'apprête à vivre une nouvelle pésidence Trump.
par Doudou Ka
AN NOM DE L’HONNEUR DE MAMADOU MOUSTAPHA BA, MON BINÔME DE L’AVENUE CARDE
L'heure est venue de rendre à "Grand Moustapha" l'hommage qu'il mérite, loin des polémiques stériles. Sa vie entière dédiée au service public témoigne d'une grandeur qui transcende les clivages politiques. Son legs mérite d'être préservé et honoré
C’est un seigneur des finances publiques qui s’en est allé. C’est la disparition d’une incarnation de la méritocratie sénégalaise. C’est une stature qui nous a quittés, un repère qui s’est effacé, une boussole humaine qui a cessé de nous indiquer la direction.
Ceux qui n’ont pas croisé son chemin ne peuvent avoir aucune idée de qui était l’ancien ministre de l’Économie, des Finances et du Plan. Mais Mamadou Moustapha Ba était tout cela à la fois.
Le Sénégal perd incontestablement un de ses plus illustres serviteurs. Un authentique sénégalais, un acteur majeur de la vie publique nationale dont les 30 ans d’impact sur la marche de la République seront à jamais incalculables.
D’une compétence égale à son intelligence et à son éloquence, ce digne fils du Nioro du Rip a passé toute sa vie professionnelle à veiller au bon fonctionnement de la machine économique et financière de l’administration sénégalaise.
La vague de louanges, la surenchère de témoignages et la pluie d’hommages depuis l’annonce de sa disparition, sont la démonstration que « Grand Moustapha », comme j’aimais affectueusement l’appeler, était également un ministre du « consensus et de la cordialité », tant son sens du dialogue, de l’écoute et du compromis transcendaient les clivages. Il était la sémantique de la civilité et de l’humilité. C’était « la méthode Moustapha ». Tout le contraire du patron bulldozer ou du dirigeant implacable.
Mamadou Moustapha Ba a fait son entrée dans l’administration économique et financière en admission externe. Stratège de sa propre carrière, et évoluant sans tambour ni trompette, il a gravi les échelons un à un. Sa nomination, le 17 novembre 2022, par le président Macky Sall, à la tête du ministère des Finances et du Budget a constitué la consécration d’une carrière professionnelle exemplaire.
Il était capable, avec la précision d’un scientifique et une prestance hypnotique, de vous décrypter n’importe quel chiffre des finances publiques sénégalaises depuis les indépendances.
Cerveau budgétaire de l’appareil d’État, inflexible régulateur des finances publiques et inépuisable fantassin des intérêts supérieurs de la Nation, « Grand Moustapha » a toujours défendu l'idée que le respect de nos engagements envers nos partenaires techniques et financiers, en particulier le remboursement du service de la dette et le paiement des salaires, devaient rester les premières priorités de la trésorerie nationale.
Dans l’architecture de ses décisions, c’est le Sénégal, la qualité de sa signature et le bien-être des populations qui dictaient toujours l’orientation à prendre. Il était cet intraitable souverainiste économique qui a constamment refusé de se laisser dicter la manière de présenter les chiffres complexes et les résultats de notre économie nationale.
Il faudra certainement un jour, faire une étude rétrospective de tous les grands dossiers traités par Mamadou Moustapha Ba, pour prendre la pleine mesure de l’ampleur du bilan de l’enfant de Nioro dans la haute administration des finances sénégalaises. Et quelques souvenirs qui surgissent.
Notamment celui du projet de Rebasing de notre PIB, car Moustapha avait pleine conscience des limites théoriques de notre capacité d’endettement qu’il fallait améliorer. Il fut l’un des plus grands promoteurs de ce chantier national capital dont nous avions, ensemble, assuré le pilotage.
Il fut également l’architecte en chef de la résilience économique et sociale durant la pandémie de Covid-19. En sa qualité de Directeur général du budget, Mamadou Moustapha Ba, a joué un rôle capital dans la mise en œuvre du plan de défense de l’économie sénégalaise. Ces performances nous avait valu une croissance de 1,3% quand toute l’économie du monde, y compris celles des grandes puissances, était en récession.
À cette époque, il s’est confronté à diverses contingences. Mais maître à bord, il a tenu bon, il a régulé, stabilisé et redistribué les espaces budgétaires disponibles, évitant ainsi à notre pays un plongeon majeur dans le précipice financier causé par la pandémie.
« Grand Moustapha » appartenait à cette catégorie rare d’hommes capables de rassurer et toujours prêts à s’impliquer pour trouver des solutions ingénieuses aux équations financières avec une vitesse d’exécution presque dont peu de hauts cadres de l’administration pourront un jour s’approcher. Il n’est donc pas surprenant qu'il ait été nommé ministre des Finances et du Budget à la suite de cette commotion planétaire en 2022.
Tout au long de sa carrière, l’ancien ministre de l’Économie, des Finances et du Budget aura contribué à faire du Sénégal, un pays respecté au sein de toutes les instances financières mondiales. L’homme dont la puissance de l’engagement au service du Sénégal a conduit toute sa vie, restera dans l’histoire comme l’un des plus grands argentiers du continent africain.
L’héritage de Mamadou Moustapha Ba restera une source d’inspiration incandescente pour guider nos ambitions individuelles et collectives pour la construction du Sénégal du futur.
Voilà pourquoi je voudrais, à cet instant précis, dire avec force, qu’aucune adversité politique ni aucun désir de pouvoir ne justifieront que l'on ait pu livrer à la vindicte populaire et internationale, l'honneur et la dignité d’un patriote engagé, d’une âme des finances publiques sénégalaises, d’un emblème de l’excellence technocratique sénégalaise qui a été le mentor de tant de générations fonctionnaires.
En mémoire d’une vie qu’il a dédiée à la République et de son empreinte ineffaçable sur la marche du Sénégal, je propose au maire de Dakar Barthélemy Toye Dias et à son homologue de Dakar-Plateau, le ministre Alioune Ndoye, de baptiser l’avenue Carde, ce cœur de l’administration économique et
financière sénégalaise qu’il aimait tant, du nom de Mamadou Moustapha Ba. C’est le plus éloquent hommage que la Nation pourrait lui rendre.
Je salue la mémoire de cet immense serviteur du Sénégal et m'incline devant cet exceptionnel homme d’État. Adieu, « Grand Moustapha ». Que la terre de notre Saloum commun te soit légère.
Doudou Ka est ancien ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération.
AMADOU MAHTAR MBOW : L'HOMMAGE D'UNE FILLE À SON PÈRE
Awa Mbow Kane dévoile les facettes méconnues de l'ancien patron de l'Unesco, dont la vie fut guidée par des valeurs humanistes. Son témoignage révèle un être d'exception qui sut transformer les obstacles en opportunités
De Louga à Paris, du Sahel aux Nations Unies, le destin d'Amadou Mahtar Mbow force l'admiration. L'UNESCO lui a rendu hommage, cinquante ans jour pour jour après son élection historique comme premier Africain à sa tête. Sa fille Awa livre un témoignage intime sur cet homme aux multiples talents, qui fut tout à la fois éducateur passionné, intellectuel engagé et père aimant. Son parcours exemplaire incarne la victoire de la volonté sur l'adversité.
"Hommage à l’ancien Directeur général de l’Unesco, Amadou Mahtar Mbow
« L’homme Amadou Mahtar Mbow », témoignage de sa fille Awa Mbow Kane
Excellence, Monsieur le président de la République du Ghana,
Madame la Directrice Générale de l’UNESCO,
Madame la ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture du Sénégal représentant Monsieur le président de la République du Sénégal,
Mesdames, Messieurs les ministres,
Madame la présidente de la Conférence Générale
Madame la présidente du Conseil Exécutif
Monsieur le président du groupe Afrique de l’UNESCO,
Excellences Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs et Délégués permanents auprès de l’UNESCO,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d'abord, Madame la Directrice générale et chère Audrey Azoulay, de vous réitérer, à vous-même et à l'ensemble de la communauté de l'UNESCO, les remerciements de ma famille, pour les marques de sympathie et de considération témoignées du vivant et lors du décès de Monsieur Amadou Mahtar Mbow. Vos mots bienveillants ont été d'un grand réconfort, et ont été suivis avec attention par les hautes autorités de notre pays et par la communauté internationale.
Par ma voix, la famille d’Amadou Mahtar Mbow exprime sa reconnaissance particulière pour le choix symbolique de la date du 14 novembre 2024, marquant le cinquantième anniversaire de son élection à la tête de l'Unesco, pour rendre hommage à cette figure emblématique qui a marqué de façon indélébile l’histoire de l’institution.
Les racines d’un destin exceptionnel
Amadou Mahtar Mbow a eu une vie riche et belle. Mais elle ne fut jamais un long fleuve tranquille. J’ai choisi de vous en conter une partie personnelle voire intime.
Le jeune sahélien qu’il était, a vécu l'âpreté d’un environnement aride et souffert de la sécheresse des années 1930. Il a connu la douleur de perdre sa mère, décédée à 33 ans. Peu après, l’accès au lycée lui fut refusé pour cause de dépassement d'âge. Les obstacles à sa scolarité se multiplièrent, durant l’administration coloniale, et il fut renvoyé de l’école pour rébellion contre le fait du prince. Alors à 14 ans, il dut prendre le chemin de Dakar pour y suivre une formation puis travailler.
Pourtant, dès sa naissance, son destin portait la marque de l’espoir. Mahtar, l’enfant patiemment espéré et ardemment désiré par son père qui lui avait donné un prénom signifiant « le choisi », Mahtar, grandit entouré de la tendresse de sa mère et de ses tantes, les autres épouses de son père, qui, par les récits et contes dont elles le berçaient lui remplirent la tête de rèves.
Son éducation, ancrée dans les traditions africaines, lui a insufflé sagesse, art-de-vivre, et d’autres savoirs précieux absents des cursus conventionnels. Il a pris part aux travaux agricoles des cultures vivrières et de l’arachide, a appris la teinture des tissus. Il est donc allé à l'école de la vie ; il est aussi allé à celle de l’éducation coranique où il a appris le culte de la rigueur et l’entretien de la mémoire. Engagé dans sa communauté il a été profondément imprégné de ses valeurs de dialogue et de paix. Puisa-t-il dans cette double culture son inébranlable optimisme ?
On pourrait le penser !
Un homme de convictions et de passions
Au sortir de l’adolescence il était donc armé pour faire face à toutes les vicissitudes qui seraient celles de sa vie, qu’il s’agisse de celles de la guerre 39-45 dans laquelle il s’engage volontairement, qu’il s’agisse de sa radiation de son poste de professeur parce que, lui reprochait-on, « il n’avait pas voulu empêcher la grève des élèves» du lycée où il enseignait, - qu’il s’agisse des batailles politiques du Sénégal, qu’il s’agisse de celles que vous connaissez bien, qu’il a menées à l’Unesco, qu’il s’agisse de celle, à l’automne de sa vie, des Assises Nationales du Sénégal, qu’il accepta de présider, pour ne pas se dérober à l’appel du peuple, ou qu’il s’agisse enfin, de celle menée contre la maladie qui l’emporta.
Il n’a jamais failli !
Sa personnalité rayonnante se nourrissait de passions diverses.
Sa bibliothèque riche de plus de 12000 ouvrages témoignait de son amour de la lecture.
Dans son jardin il s’adonnait à la culture de plantes aromatiques et prenait soin avec amour de la constellation de fleurs qu’il y semait. Il en faisait de beaux bouquets qu’il offrait à son épouse, et à ses amis.
Mais n’était-ce pas là une réminiscence du jardin médicinal de son enfance à Louga ?
La photo était un autre de ses hobbies et il photographiait les fleurs avec art.
Un éducateur dans l’âme
Professeur jusqu’au bout des ongles, il se plaisait à demander à tous ceux qu’il rencontrait leur origine et leur racontait l’histoire de leur pays, de leur ville, de leur peuple.
Doté d’un véritable talent de conteur, soutenu par une mémoire prodigieuse, il captivait son auditoire par ses récits.
Il relatait, entre autres, son enfance, l’histoire d’Haïti, sa vie d’étudiant à Paris, la création de Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF), son rôle dans la lutte anticoloniale. Son engagement valut au professeur qu’il devint, d’être affecté, par l’administration coloniale, à Rosso, en Mauritanie, « exil » qui fit le grand bonheur de ses élèves !
Nommé Directeur du service de l'éducation de base pour le Sénégal et la Mauritanie, une structure initiée par Jaime Torres Bodet, alors Directeur Général de l'UNESCO, il prit l'initiative de se rendre au siège parisien de l'organisation pour mieux appréhender sa mission. Ce fut son premier contact avec l’organisme dont il allait être le premier directeur africain, 22 ans plus tard. L’éducation de base lui permit de sillonner, d’observer et de connaître parfaitement son pays natal, bien avant d’en devenir le ministre de l’éducation puis le représentant auprès de l’UNESCO.
L’Éducation de base exigeait souvent de la diplomatie. Lors d’une mission, il s’était vu notifier, par le chef d’un village de Casamance, l’interdiction de projeter un film. Le cinéma, c’est tabou, disait-ce dernier. Après avoir réuni son équipe, il décida de capter des images des villageois dans leurs activités quotidiennes. Il se rendit le lendemain chez le chef du village pour lui montrer son film, et le chef lui-même demanda à être enregistré. Les projections du documentaire sur le village et du film de Charlie Chaplin eurent un tel succès que les habitants en redemandèrent tous les soirs.
Amadou Mahtar Mbow avait l’art de surmonter les obstacles en douceur !
Il racontait ses années de jeune adolescent, éclaireur dans le mouvement scout laïc où on le surnomma « écureuil actif », le bien-nommé dirais-je !
Amadou Mahtar Mbow est resté très actif jusqu’à un âge très avancé. Il se rendait à des réunions, travaillait beaucoup et en homme moderne qu’il continuait d’être, envoyait des mails et des messages par WhatsApp, jusqu’au moment où, à 98 ans, une malencontreuse chute vint lui ôter sa pleine mobilité. Il garda tous ses esprits jusqu’à ses derniers instants.
Un homme de cœur
Il recevait tout le monde, aidait les démunis, les prenait avec lui dans son véhicule, apportait soutien et réconfort à ses proches et à tous ceux qui venaient à lui. Il était considéré comme un père ou un grand-père par des milliers de personnes.
Je n’ai jamais, au grand jamais, vu mon père en colère. Contrarié, oui, mais même alors, sa légendaire courtoisie ne le quittait jamais.
Les expressions « je suis occupé », « je n’ai pas le temps », « nous verrons cela plus tard » ne faisaient pas partie de son vocabulaire. Il avait un attachement profond pour sa famille. Père attentionné, malgré ses écrasantes responsabilités à la tête de l’Unesco, il trouvait toujours le temps de rendre visite à ses enfants et petits-enfants chaque semaine.
Ses petits-enfants soulignent « sa volonté constante de leur transmettre le courage de travailler dur pour faire briller notre continent et pouvoir aider nos communautés ». « Sa confiance débordante a été pour moi un grand moteur de ma vie. Il m’a poussée à rêver, à avoir de grandes ambitions » dira l’une d’elles.
Épris d’un amour tendre pour son épouse, il chantait sur l’air de la Paimpolaise, « j’aime les Cayes et sa belle haïtienne » en prenant la main de sa Raymonde, sa compagne pendant 73 ans.
L’amour tenait une telle place dans sa vie qu’en apprenant qu’il était parti au ciel, l’une de ses arrière petites filles s’exclama, « Oh, j’avais encore tellement de bisous à lui faire !
Un être lumineux
La fresque offerte par l’Unesco, sise sur la bibliothèque de l’Université portant son nom à Dakar et qui le représente entouré d’un soleil éclatant, est à son image, celle d’un être lumineux.
Si ses mots se firent rares dans les derniers moments, seul son ultime souffle de vie lui ôta son merveilleux sourire.
Amadou Mahtar Mbow aima infiniment les peuples du monde qui le lui rendirent bien."
PAR Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye
« MORTS POUR LA FRANCE », L’INSULTE MÉMORIELLE À THIAROYE
Nous ne demandons aucune faveur quand nous exigeons de la France qu’elle prenne ses responsabilités dans les massacres de Thiaroye, de Dimbokro ou de Madagascar. Il n’y a qu’une justice qui tarde à être rendue
Des relations apaisées entre l’Afrique et la France ne sont pas pour demain, car l’Etat français refuse de sortir du mensonge. A l’image de l’Occident, habitué à nous assujettir et à exercer sur nous son racisme, il conçoit mal que des Africains parlent de douleur, de mémoire, de réparations : de dignité. Autant de considérations réservées aux êtres humains. Des êtres humains qu’ils ne considèrent pas que nous sommes.
Le 18 juin 2024, une décision, presque seigneuriale, est tombée sur le ciel africain. Comme du temps des sombres empires coloniaux. 6 Tirailleurs sénégalais, triés au milieu de cadavres enfouis à Thiaroye, au Sénégal, sont ennoblis par Emmanuel Macron, via l’Office national français des combattants et des victimes de guerre. Il leur accorde l’insigne mention « Morts pour la France ». Avec une promesse tout aussi émouvante, celle de faire sortir de l’anonymat d’autres cadavres enfouis à Thiaroye en leur décernant bientôt, très bientôt, la fameuse mention.
Mensonge ne pouvait aussi être grossier. Hommage, aussi déplacé. Mémoire, autant malmenée. Aucun Tirailleur à Thiaroye n’est « mort pour la France ». Ils ont tous été tués par la France.
Le 1er décembre 1944, ces soldats, revenus des prisons allemandes de la seconde guerre mondiale, ont été criblés de balles. Par des automitrailleuses de l’armée française, l’armée de cette même France qu’ils étaient allés secourir en Europe. Qu’ont-ils fait pour mériter une telle ingratitude ? Oser réclamer leurs arriérés de solde à l’Etat français qui n’a même pas eu honte de s’en prendre à leurs épargnes ainsi qu’aux billets métropolitains en leur possession : échangés à la moitié du taux habituel.
Ces Tirailleurs, qui s’apprêtaient à retourner dans leurs pays respectifs (Bénin, Burkina Faso, Centrafrique, Côte d’Ivoire, Gabon, Mali, Niger, Sénégal, Tchad, Togo), avaient protesté contre cette mesure injuste devant le général Marcel Dagnan. A la place du versement intégral de leurs droits, ils recevront de la France la mort. Et en prime, un mensonge ficelé, déployé, rafistolé, depuis 80 ans.
Mutinerie. Voici le premier prétexte avancé par la France pour justifier son carnage. On le retrouve déjà dans une circulaire du ministère de la Guerre, publiée trois jours plus tard. Dedans, le ministre mentait en affirmant que les Tirailleurs avaient perçu tous leurs droits avant d’embarquer pour l’Afrique. Ces soldats n’étaient donc que des indisciplinés, en plus d’être des Tirailleurs, des colonisés, des Africains. Pourquoi s’embarrasser de mesure, de diplomatie, d’équité, quand on a affaire à des « sujets » pareils, osant défier la « grandeur » de l’empire ? Fusillés indéfiniment, jetés dans trois fosses communes (au moins), ils auront mérité leur sort.
Silence. Censure totale, voici le deuxième stratagème déployé. Thiaroye était un simple incident, qu’il fallait taire pour ne froisser la France. Il faudra attendre le 30 novembre 2014 pour que François Hollande évoque pour la première fois une « répression sanglante ». Mais, de combien de morts parlons-nous au juste ? Réponse : 35, 70, 191, 350, voyons, ça dépend (notons qu’ils étaient entre 1 200 et plus de 1 600 Tirailleurs à embarquer à Morlaix dans le bateau britannique Circassia). Qui a commandité le massacre ? Réponse : à quoi bon de savoir ? Que dire aux familles des massacrés ? Réponse : rien à signaler. Comment expliquer à nos enfants l’existence d’un cimetière de Tirailleurs tués par la France ? Réponse : la France et l’Afrique, c’est une histoire d’amour : il arrive qu’il y ait des accrocs.
Victimisation. Cet autre artifice rhétorique a eu ses beaux jours et même ses relais africains. Des esprits venus nous sommer de circuler, de regarder l’avenir, de ne plus parler du passé. Ressassements. Ressentiments. Haine. On aura tout entendu. Comme si réparer les injustices et forger l’avenir étaient des combats contradictoires. Comme s’il y avait une seule once de dignité dans ce qu’ils nous proposent : abandonner ceux qui se sont battus pour notre liberté, sans même savoir comment, où, quand et avec qui ils ont été assassinés.
Dans tout l’Occident impérialiste, des législations ont été dressées comme des murs à l’intérieur desquels les archives ont été classifiées. Pour au moins 50 à 100 ans, en France. Eternité au cours de laquelle tout mensonge est permis. Eternité au terme de laquelle, espèrent-ils, plus personne ne se souviendra. Eternité au cours de laquelle aucun deuil n’est possible.
Là où les Tirailleurs étaient des mutins, jusqu’ici, Larbi Ben M’hidi, dirigeant algérien de la FNL, s’était suicidé en 1957. Ce 1er novembre 2024, Emmanuel Macron vient de reconnaître que l’Etat français l’avait pendu dans la nuit du 3 au 4 mars. Tout comme les Belges, qui ont longtemps présenté l’assassinat de Lumumba comme un règlement de compte africain, viennent de reconnaître, après des décennies de mensonges froids, que leurs soldats l’ont découpé et mis dans l’acide. Comment faire confiance à des Etats qui mentent aussi longtemps, si facilement, sur des choses aussi graves ?
Manipulation. C’est la dernière trouvaille de l’Occident pour délégitimer, étouffer, les exigences africaines de justice. Mais cette manœuvre n’est pas la moins insultante. Nous y sommes présentés comme des éponges, incapables de discernement, gobant toutes les propagandes des Russes et de leurs trolls, présentés comme nos maîtres à penser. Nous n’avons aucun amour-propre, aucune conscience historique, et sommes seulement gavés de sentiment anti-français, anti-occidental, qui disparaîtra vite : dès que l’Union européenne investira, comme la Russie, dans la désinformation en ligne.
Ce manque de respect, cette incapacité de l’Occident à nous considérer comme des pairs, continuera de pourrir nos relations. Incapable de nous entendre, l’Europe fera semblant d’être incomprise. Elle parlera de malentendu, là où nous n’endurerons plus jamais ses injustices et son hypocrisie.
Nous ne demandons aucune faveur quand nous exigeons de la France qu’elle prenne ses responsabilités dans les massacres de Thiaroye, de Dimbokro ou de Madagascar. Quand nous exigeons des musées européens, cavernes d’œuvres africaines spoliées, de restituer notre patrimoine. Quand nous remettons sur la table les réparations de l’esclavage, sachant qu’un pays comme le Royaume-Uni, selon le rapport 2023 de l’Université West Indies, s’est enrichi à hauteur de 18 000 milliards de livres sterling sur le dos de 14 pays des Caraïbes.
Ces combats pour la justice réparatrice ont valu à de nombreuses personnalités à travers le monde des persécutions. En 2004, à Haïti, la France et les Etats-Unis ont fomenté un coup d’Etat contre le président Jean-Bertrand Aristide qui en avait fait une priorité. Mais le temps ne s’arrête pas. La connaissance se répand. Rien ne pourra contenir la voix des peuples brimés, piétinés, résolus à obtenir justice.
L’action des pays du Commonwealth ayant imposé au Royaume-Uni de s’exprimer sur le sujet de l’esclavage lors du sommet d’octobre 2024 est en cela salutaire. Tout comme l’initiative du Sénégal de commémorer les 80 ans du massacre de Thiaroye, et d’avoir mis en place sa propre commission d’enquête pour faire la lumière sur cette injustice.
L’Afrique a aujourd’hui toutes les ressources humaines requises pour mener ce travail, sans être conditionnée par la France ou ses semblables. En laissant le soin à ces derniers de décider des crimes dont ils ont envie de parler, du calendrier fixé selon les opportunismes politiques, de la composition hors-sol des commissions, de la suite à donner à leurs conclusions farfelues (saura-t-on un jour ce que signifient « les responsabilités lourdes et accablantes, mais sans complicité » dans le rapport Duclert sur le génocide des Tutsis ?), ou de reconnaissance au compte-gouttes, nous passerons à côté de la vérité. La mémoire de notre continent n’est pas objet de négoce, de marchandages : une foire à petites concessions.
Que chaque pays, sur financement propre, mobilise ses scientifiques pour mesurer l’ampleur de l’esclavage et de la colonisation sur son territoire. Que chaque pays mette en lumière l’héritage des femmes et hommes qui ont défendu sa dignité. Qu’au niveau du Parlement panafricain, soient adoptées des lois bannissant toute forme de négationnisme de ces périodes tragiques. Que dans nos meilleures universités, soit érigé un classement des pays anciennement colonisateurs ou esclavagistes selon leur engagement en matière de justice réparatrice. Ceux qui refusent de reconnaître leurs crimes, de s’excuser, d’ouvrir l’intégralité des archives, de restituer les biens volés, seront dénoncés sans répit.
Il n’y a aucune guerre des mémoires. Il n’y a qu’une justice qui tarde à être rendue. Et qui le sera tôt ou tard, avec le concours des citoyens véridiques, d’Afrique, d’Europe ou du monde.
ENJEUX POLITIQUES ET PHILOSOPHIQUES DE L’ISLAM EN MAURITANIE
EXCLUSIF SENEPLUS - La sacralité, gracieusement offerte à la langue arabe pour la hisser sur ses sœurs, ne repose ni sur le texte du coran, ni sur la logique. Car au final, ce n’est point la langue qui est sacrée, mais la teneur qu’elle exprime
Radioscopie d’une assimilation linguistique et culturelle insidieuse.
Dans un monde globalisé où l’extrémisme islamiste qui s’exporte à une vitesse surprenante se traduit par des milliers de morts, le simple fait de mettre en rapport la philosophie et l’islam est en soi une prise de position d’une certaine gravité. Dans le monde en général et l’Afrique de l’Ouest en particulier, ces dernières décennies, on a vu se développer ça et là un islam d’obédience wahabite et salafiste qui prend la forme d’un véritable système dogmatique. Un système qui laisse peu de place au déploiement d’une rationalité libre et à la mise en œuvre d’une réflexion obéissant au primat de la logique. Pour ces islamistes conservateurs, l’esprit et la lettre de l’islam, tels qu’ils furent appréhendés et vécus au septième siècle du vivant du prophète Mouhammad et sous les quatre califes (Abou Bakr, Oumar, Ousmane et Ali) doivent demeurer intacts. Selon eux, la compréhension des textes du saint coran est une donnée immuable ainsi d’ailleurs que la pratique de cette religion. Pour eux, l’humanité doit faire abstraction des douze siècles qui se sont déroulés depuis la disparition du prophète de l’islam. Cette perception est d’autant plus incompréhensible que du VIIème (naissance de l’islam) au XIIIème siècle au moins, le bastion musulman a entretenu avec le monde eurasiatique et africain, notamment sur le plan des idées, des échanges d’une grande intensité. Nombreux furent les penseurs musulmans qui engagèrent avec les philosophes de la Grèce antique – par le biais de leurs écrits évidemment – et contemporains des dialogues d’une remarquable fécondité[1]. Ghazali, Avicenne, et Averroès sont, entre autres, de ceux qui se sont enrichis de ce dialogue pour éclairer leur foi par l’émergence d’un soufisme à la pluralité endogène.
Qu’est-ce qui s’est passé dans l’évolution historique du monde musulman pour que l’idéologie dominée par un dogmatisme autarcique prenne le dessus sur la tolérance primaire qui a longtemps prévalu dans l’interprétation du coran, texte fondateur de l’islam ? Il semble que l’une des explications de ce phénomène soit directement liée aux enjeux politiques que peut représenter l’islam dans un contexte de cohabitation de peuples ou communautés dont les intérêts peuvent être divergents voire antagoniques. En limitant notre analyse à la Mauritanie, nous essayerons de comprendre comment des communautés se revendiquant toutes d’un islam sunnite et même du rite malikite, mais culturellement et linguistiquement différentes, peuvent se retrouver dans une dialectique où l’islam embrigadé sert d’instrument à la justification d’une hégémonie.
Dans la mise en œuvre des éléments de réponse à notre problématique, les travaux d’Amadou Hampâté Ba[2] et Souleymane Bachir Diagne[3], entre autres, nous seront d’une utilité certaine.
Islam et culture indigène
Contexte historique
Ce n’est pas fortuit de rappeler, à juste titre, que l’islam est né en Arabie au VIIème siècle après Jésus Chris, avant de s’exporter dans tous les continents, dans toutes les régions du monde. Si le djihad – guerres qui opposèrent les musulmans aux non musulmans – après la mort du prophète a poussé l’islam jusqu’aux portes de l’Europe et de l’Afrique, c’est surtout par les moyens pacifiques que l’islam conquit le monde. En Afrique de l’Ouest – la Mauritanie comprise – si les vagues djihadistes les plus connues sont celles qui se sont déroulées avec la lutte armée (conquêtes des Beni Hassan, des Mourabitouns, et enfin celles d’Ehadj Oumar Tall pour ne citer que ces exemples), il n’en demeure pas moins que l’islam était entré dans la région plusieurs siècles auparavant puisque de nombreuses populations dans les empires du Ghana[4] et du Mali[5] étaient converties à la dernière des religions révélées sans aucune contrainte. En effet, mêlés aux caravanes qui, à travers le commerce transsaharien[6], ont constitué pendant plusieurs siècles un véritable pont entre l’Afrique du Nord et celle de l’Ouest, des prédicateurs musulmans ont contribué à la reconversion à l’islam de nombreuses populations négro-africaines[7].
Ousmane Oumar Kane abonde dans le même sens lorsqu’il affirme que « l’éducation islamique en Afrique de l’Ouest commence avec l’islamisation de cette région qui a débuté dès le premier millénaire »[8]. Pour justifier son allégation, il cite le témoignage du grand voyageur Ibn Battouta sur les populations du Mali de l’époque :
« Ils ont un grand zèle pour apprendre par cœur le sublime Coran. Dans le cas où leurs enfants font preuve de négligence à cet égard, ils leur mettent des entraves aux pieds et ne les leur ôtent pas qu’ils ne le sachent de mémoire »[9].
L’arrivée de l’islam en Afrique de l’Ouest a induit de nouveaux enjeux problématiques. Il a mis en contact des peuples aux identités différentes. C’est ainsi qu’en Mauritanie, les Peuls, les Soninko et les Wolofs (appelés Négro-africains) issus des empires et dynasties du Fouta, du Guidimakha et du Walo et les Arabo-berbères (également appelé Bidhani ou Maures) originaires des Emirats, cohabitèrent longtemps avant et pendant la colonisation. Tant que ces espaces partagés étaient gérés par le colonisateur, c'est-à-dire par un pouvoir plus ou moins impartial, en tout cas neutre du moins exogène, la dialectique des cultures et langues en présence se déroulait naturellement. Mais l’accession à la souveraineté internationale des pays de l’Afrique de l’Ouest va changer radicalement cette donne puisque, désormais dirigés par ses propres enfants qui eux-mêmes se retrouvent directement impliqués dans la sociologie des nouveaux Etats, la cohabitation des cultures et des langues se retrouvera alors régie par de nouveaux paramètres. En Mauritanie, l’élite politique à laquelle le colonisateur français a transféré le pouvoir le 28 novembre 1960 était majoritairement constituée par les membres de la communauté arabo-berbère. Le nouvel Etat, à l’instar de tous les autres en Afrique de l’Ouest, hérita de la langue française. Il se trouve que la politique linguistique et culturelle qui était en vigueur dans le Sud de la Mauritanie – habité par les Peuls, Soninko et Wolofs – était très différente de celle appliquée dans le Nord (terroir arabo-berbère). Dans le Sud le colonisateur français mettait en œuvre une politique d’assimilation culturelle et linguistique (administration directe, écoles enseignant un programme français dans lesquelles il était interdit de parler les langues des colonisés) alors que dans le Nord l’administration s’appuyait sur les chefferies locales accordant aux colonisés une certaine marge de manœuvre ( il était permis aux indigènes du Nord d’appendre à l’école la langue arabe aux côtés de la langue française). De sorte qu’en 1960, l’essentiel des cadres de la nouvelle Mauritanie était issu des communautés négro-africaines sans doute alors plus instruites en français, langue de l’administration héritée du colon.
A peine une décennie après les indépendances le régime de Moktar ould Daddah entreprit des réformes de l’enseignement dont l’objectif premier était de donner plus de place à l’arabe. Ces réformes dites de « repersonnalisation de l’homme mauritanien », étaient en réalité destinées à favoriser sa communauté arabo berbère dont il estimait que son instruction en lange arabe dans un pays où l’administration travaillait en français, la défavorisait face aux Négro-africains dans la recherche de l’emploi au sein de l’administration. Dès lors, Moktar ould Daddah, comme tous les chefs d’Etat qui suivront – à l’exception de Sidi ould Cheikh Abdellahi – ne se positionna plus comme un véritable homme d’Etat, président de tous les Mauritaniens, mais comme le membre d’une communauté dont il se fait le soldat contre les autres communautés nationales. Aussi toutes les politiques linguistiques et culturelles qui se sont succédé en Mauritanie ont eu comme principal objectif d’imposer aux communautés peules, Soninko et wolofs la langue et la culture arabes en reléguant leurs langues et cultures d’abord au second plan, pour ensuite en faire de simples éléments de folklore destinés à venter à l’extérieur une diversité pourtant savamment asphyxiée.
Pour réussir cette entreprise d’assimilation, les coalitions des lobbies nasséro-baassisto[10]-islamo-conservateurs[11] qui, ensemble ou alternativement, réussissant toujours à infiltrer les différents régimes politiques, invoquaient tous l’islam pour perpétuer leur domination linguistique et culturelle sur les Négro-africains. Selon eux, les Peuls, Soninko et Wolofs étant tous musulmans, et l’arabe étant la langue par laquelle le coran – livre fondateur de l’islam – s’est révélé, alors il convient que ces communautés acceptent l’officialisation de la langue arabe et donc sa prédominance sur leurs langues propres. Cette hégémonie de la langue arabe induisit inéluctablement celle de la culture arabo berbère sur les langues et cultures négro-africaines. Toutefois, si l’hégémonie de la langue arabe est assumée par les gouvernants mauritaniens, l’extinction des cultures négro-africaines est menée avec beaucoup plus de subtilité. Comment se traduit dans les faits cette double assimilation linguistique et culturelle ?
Rapport des genres et mode vestimentaire de la femme
Toute personne dotée de bon sens ayant vécu en Mauritanie un temps relativement court constate très vite la différence dans le rapport des genres ainsi que dans le mode vestimentaire des femmes selon que nous soyons en milieu négro-africain ou arabo-berbère.
Chez les Peuls, Soninko et Wolofs, il n’y a pas une ligne de démarcation nette entre les femmes et les hommes. Les espaces vitaux dédiés aux hommes et aux femmes ne sont pas séparés comme on le constate chez les Maures. En d’autres termes, dans les cellules familiales les hommes et les femmes partagent les espaces vitaux au-delà même du lien étroit de sang ou de lait qui, chez leurs compatriotes maures, sont les seuls susceptibles de justifier une certaine proximité physique. Aussi pour saluer, les Négro-africains ont coutumes de serrer la main de l’autre, que cet autre soit un homme ou une femme. Alors que chez les Maures une femme ne doit tendre la main à un homme que lorsque celui-ci partage avec lui un lien proche de sang ou de lait. Il en va de même pour les hommes lorsqu’ils saluent les femmes.
On note également une pratique différenciée dans la manière des femmes de s’habiller. Les femmes négro-africaines portaient des boubous. Seules celles qui sont mariées avaient l’obligation de se couvrir les cheveux d’un foulard. Ces dernières décennies, la mode africaine qui est née après les indépendances a institué chez elles un accoutrement où le boubou et le pagne traditionnel alternent avec les robes longues, les jupes et autres chemises à tailles basses. Sa sœur mauresque continue de varier les couleurs et les types de tissus autour de la seule et unique « melhfa » (voile) héritée des ancêtres. Ce voile sous lequel elles portent en général une jupe évasée, couvre le corps de la hauteur des jambes à la tête. De sorte que, sauf exception, seul le visage, les mains et les pieds restent découverts.
L’observateur critique de ces usages aurait tout naturellement conclu qu’il s’agit là tout simplement de différentes pratiques vestimentaires qui consacrent l’existence d’un islam pluriel sur lequel personne ne trouverait rien à redire. Mais c’est sans compter avec les ambitions hégémonistes des islamo-conservateurs et autres nationalistes arabes tapis dans l’ombre du pouvoir politique. D’abord dans les prêches des vendredis (khoutba), puis dans les transports publics, ensuite dans les multiples occasions qu’ils se créèrent pour avoir l’opportunité de s’adresser aux foules, ils se mirent à distiller des discours religieux où toute pratique coutumière autre que la leur est considérée comme déviante selon leur perception de la charia (loi islamique)[12]. C’est dans les années 1990 que l’on commença à lire ça et là dans les minibus de transport publics, des écrits citant le prophète Mouhamad (PSL) stipulant qu’il « est préférable pour un musulman de recevoir un clou dans la tête que de toucher [ils entendent s’asseoir à côte d’] une femme » qui n’est ni sa sœur, sa mère, sa tante ou son épouse. Cette propagande religieuse sera également portée partout par des groupes d’hommes généralement envoyés par des chefs religieux[13] pour sillonner les coins les plus reculés du pays afin de convaincre les populations de la vallée que leur pratique islamique laisse à désirer tant qu’ils ne se conformeraient pas à cette perception très clivée du rapport entre les genres.
Dès lors, il importe de se demander sur quoi reposent de tels sermons ? Dieu dans son saint coran a-t-il exigé de la femme qu’elle se couvre toutes les parties de son corps excepté son visage, ses mains et ses pieds ? Ou devrait-elle se couvrir complètement le corps comme on l’a vu en Afghanistan, en Arabie Saoudite, en Iran et de plus en plus en Afrique de l’Ouest ? Le coran interdit-il à la femme musulmane de serrer la main d’un homme (et vice versa) dans le rituel de la salutation africaine ?
Sur la question de l’accoutrement de la femme, le débat qui s’est posé en Europe en général et en France en particulier, sur le port du voile dans les espaces publics a amené un certain nombre de penseur musulmans à s’efforcer d’élucider cette problématique. Aussi en cherchant d’abord dans le saint coran, si Dieu y avait édicté une injonction en la matière, Hani Ramadan ne trouve que deux passages consacrés par Allah à ce sujet :
« A la sourate 24, verset 31 Dieu, s’adressant au prophète Mouhamad (PSL) dit : « Et dis aux croyantes (…) qu’elles rabattent leurs voiles sur leurs poitrines » ;
A la sourate 33, verset 59, « O prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de se couvrir de leurs voiles : c’est pour elles le meilleur moyen de se faire connaitre et de ne pas être offensées. Dieu est vraiment pardonneur et miséricordieux »[14].
Si de Naasi (la première sourate après la fatiha) à Baghara, la sourate qui clôt le coran, les versets ci-haut cités sont les seuls où Dieu statue sur les vêtements de la femme musulmane, comment en sommes-nous arrivés à instituer une charia dans laquelle, on exige de la femme de ne laisser paraitre de son corps que son visage, ses mains et ses pieds ? Pire encore, comment se fait-il que certains salafistes aillent jusqu’à interdire radicalement (haram) aux femmes de découvrir une quelconque partie de leur corps (ni visage, ni main, ni pieds) ? Il est pourtant clair que dans le premier verset, il est juste question de « rabattre [le] voile sur [la] poitrine » de la femme. Une poitrine dont on sait que la vue pourrait « perturber » l’autre. Dans le second verset il est question de « se couvrir de [son] voile » parce que « c’est le meilleur moyen de se faire connaitre » donc de se présenter aux autres dans le respect de la pudeur humaine. Donc, nulle part, en tout cas dans son saint coran, de manière explicite, Dieu n’a interdit aux femmes de découvrir leurs têtes, leurs mains, leurs pieds…
En Mauritanie, le discours des groupes islamo-conservateurs – dont les membres siègent au cœur du pouvoir – qui incite à changer les usages et les coutumes des Négro-africains liés au rapport genre ou à l’accoutrement des femmes ne repose sur aucun argument coranique sérieux. Il semble qu’en fait leur propagande ait comme seul objectif d’assimiler culturellement ces communautés en les amenant à prendre la culture arabe pour celle de l’islam.
Toutes les injonctions allant dans le sens d’interdire aux femmes de s’habiller dans le seul respect de la pudeur – se découvrir le visage pour être identifiable parmi ses semblables, se découvrir les mains et les pieds pour pouvoir se déplacer et travailler sans gêne – s’appuient uniquement sur des traditions orales (hadiss) sur lesquels de nombreux savants se sont permis de douter valablement. Une chose est toutefois certaine : une tradition rapportée ne peut être prise en compte que lorsqu’elle n’altère en rien la parole sacrée d’Allah. Or, à ce propos, les deux versets ci-haut cités sont sans équivoque.
Outre ces traditions orales, les injonctions des salafistes concernant les vêtements des femmes ne reposent que sur une interprétation bourrée de subjectivités elles-mêmes nourries par des préjugés entretenus par les abus d’un patriarcat d’autant plus enraciné dans certains milieux qu’il remonte à l’ère préislamique en Arabie où la femme était perçue comme un juste objet de jouissance. Il va sans dire que si les dispositions du livre saint d’Allah ne changent pas, elles ne peuvent revêtir toute la plénitude de leur sens pour l’humanité contemporaine que lorsqu’elles sont appréhendées à la lumière de la plus value du temps. Il ne s’agit point ici de réitérer le débat qui opposa et oppose toujours ceux qui pensent que le texte du coran doit continuer à être lu, compris, et appliqué comme le firent les contemporains du prophète et ceux qui prônent une interprétation de ces écritures saintes en fonction de l’évolution philosophique et scientifique de l’homme du troisième millénaire. A ce titre, Souleymane Bachir Diagne écrit :
« Il s’agit alors de comprendre le devenir autrement en réalisant que le temps n’est pas à l’extérieur de la religion mais sa texture. Le temps n’est pas (…) l’épreuve qu’il lui faut surmonter, mais il constitue son autodéploiement même : le temps est Dieu. Autrement dit la réponse au défi des temps qui changent pour continuer, selon les exigences d’aujourd’hui, l’intention et la dynamique libératrice de la religion dans les domaines de la justice sociale, de l’égalité des hommes et des femmes, du respect d’un principe de pluralisme, bref, la nécessité de ‘’reconstruction de la pensée religieuse de l’islam’’ suppose la mise à jour d’une pensée du temps comme devenir créateur, d’une cosmologie qui soit émergence continue, élan vital »[15].
De sorte que les cadres issus de ces communautés ressentent dans toutes les rencontres que leur pays ne leur reconnait pas le droit élémentaire à la différence. Ils sont tenaillés par un malaise inadmissible.
Islam et langues nationales
Langue officielle ou de domination ?
Comme nous l’avons indiqué plus haut, dès la première décennie de l’ère de l’indépendance en Mauritanie, Moktar ould Daddah, le premier président du pays a entamé une série de réformes destinées à redorer le blason de la langue arabe longtemps minorée par le colonisateur. Il s’agit pour lui de redresser le tort fait à la langue arabe et à ses locuteurs mauritaniens, à lui redonner la place qu’il fallait dans la Mauritanie libre et souveraine. Mais ce « père de la nation » semblait oublier que le pays à la tête duquel il venait d’accéder, était une « nation » plurielle. Que ce pays regroupait en son sein des peuples arborant des identités diverses traduites par quatre langues. La Mauritanie est un pays multilingue où l’arabe cohabite avec le pulaar, le soninké et le wolof. Les réformes politiques entamées par Daddah seront intensifiées sous le règne de Mouawiya oul Taya pour atteindre leur apogée en 1991 lorsque la première constitution de l’ère démocratique établit, en son article six, que « les langues nationales sont l’arabe, le pulaar, le soninké et le wolof. La langue officielle est l’arabe ». Cette disposition reste d’ailleurs inscrite encore aujourd’hui dans la constitution mauritanienne. L’inscription du caractère officiel de la seule langue arabe dans la constitution pose très clairement les bases d’une discrimination assumée de l’Etat contre les composantes négro-africaines du pays. Car en officialisant la langue d’une seule communauté (arabe), ce dirigeant mauritanien fait le choix de favoriser sa communauté linguistique sur les autres ; d’instaurer pour les Peuls, Soninko et Wolofs de Mauritanie une citoyenneté de seconde zone. De sorte que les cadres issus de ces communautés ressentent dans toutes les réunions de travail que l’Etat ne leur reconnait pas le droit élémentaire à la différence. Ils sont tenaillés par un malaise inadmissible.
C’était pourtant pour éviter de discriminer une partie de leurs peuples que les dirigeants sénégalais n’ont pas officialisé le wolof ou le pulaar, que ceux du Mali n’ont pas officialisé le bambara ou encore, pour ne citer que ces exemples, que les dirigeants de la Guinée n’ont pas opté pour l’officialisation du Soussou ou du maninka. Tout le monde sait que ce dernier pays (la Guinée) fut en Afrique de l’Ouest celui qui s’est distingué par son opposition radicale au colon français[16]. Si, comme tous ses voisins, Sékou Touré, le premier président de Guinée ainsi que ses successeurs ont maintenu le statut officiel du français, c’est bien pour ne pas créer dans son pays une citoyenneté hiérarchisée. Si tous les pays de l’Afrique de l’Ouest, à l’exception de la seule Mauritanie, ont maintenu le français comme langue officielle, ce n’est point par préférence de cette langue sur leurs langues nationales, mais bien pour ne pas fonder leurs nouveaux Etats sur une toile de fond discriminatoire qui les exposerait à de graves problèmes de cohabitation. Visiblement ce n’était pas le souci des régimes politiques mauritaniens pour lesquels, il faut imposer par la force la langue arabe aux communautés non arabes du pays. La frustration immense manifestée à travers l’expression d’indignation de l’élite négro-africaine face à cette situation de ségrégation ne semble susciter aucun émoi. Aujourd’hui encore, les enfants peuls, Soninko et wolofs sont réduits à faire l’apprentissage du savoir dans deux langues autres que leurs langues maternelles (le français et l’arabe) dans les écoles où leurs camarades maures, eux, ont l’opportunité de faire leurs premiers pas dans leur langue maternelle (l’arabe) avant de s’ouvrir au français[17]. Selon de nombreux psychopédagogues de l’éducation, un enfant qui commence son apprentissage dans une langue autre que sa langue maternelle accuserait un retard d’au moins six ans par rapport à celui qui apprend dans sa langue maternelle[18]. Le résultat de cette discrimination se traduit très précisément dans les résultats de plus en plus faibles au brevet et au baccalauréat pour les enfants négro-africains de Mauritanie.
Mais ce qui surprend le plus l’observateur de la scène nationale mauritanienne, ce sont les arguments qui sont avancés par l’élite nasséro-baassisto-islamo-conservatrice pour justifier l’imposition de l’arabe comme seule langue officielle du pays. En plus de l’argument du nombre[19] - sur lequel nous ne pouvons nous appesantir ici – cette extrême droite mauritanienne s’appuie souvent sur des considérations religieuses. En effet, selon elle, l’islam étant la religion de tous les mauritaniens, il est donc normal que l’arabe qui est la langue du coran soit in fine la langue officielle de la République Islamique de Mauritanie. C’est cette thèse que nous entendons éprouver dans la sous-section suivante.
Langue d’islam ?
Ainsi donc, selon les partisans de l’officialisation de la seule langue arabe au détriment des langues pulaar, soninké et wolof, le simple fait que le coran soit « descendu » en arabe confère à cette langue une sacralité qui la place de facto sur les autres langues de l’humanité. Aussi pour juger de la pertinence d’une telle allégation, nous ne saurions faire l’économie des interrogations suivantes : qu’est-ce qui chez les musulmans doit être considéré comme sacré ? La teneur du coran en tant que parole de Dieu ou la langue dans laquelle il a choisi de s’exprimer ? Si c’est le choix fait par Dieu de s’adresser aux hommes à travers l’arabe qui lui imprime son caractère sacré, il faut alors préciser que l’arabe ne pourrait être la langue sacrée, mais une langue sacrée parmi d’autres. Etant entendu que l’islam n’est pas la seule religion révélée puisqu’il est consacré troisième et dernière après le judaïsme et le christianisme. Reconsidérons la question autrement. Est-ce la sacralité de l’arabe qui a fait que le coran soit « descendu » dans cette langue ? Au quel cas, l’arabe devrait contenir des propriétés et attributs qui la distinguent et l’élèvent radicalement au dessus des autres langues de l’humanité. Ou alors est-ce qu’elle est seulement une langue parmi d’autres, c'est-à-dire un élément d’une compilation paradigmatique infinie dans laquelle chacun est doté d’une capacité à rendre compte de toutes les paroles, et notamment celle de Dieu ?
Aucune étude linguistique n’ayant jamais démontré que l’arabe se caractérisait, tant dans sa dimension syntagmatique que dans sa dimension paradigmatique, par des propriétés qui la rendraient unique, il va sans dire que cette langue en est une parmi d’autres. Elle possède sa propre structure grammaticale, syntaxique et sémantique ainsi que son esthétique propre. Propriétés qui varient d’une langue à une autre mais dont toutes les langues sont pourvues.
Il nous apparait très logique qu’en s’adressant à l’humanité, la parole de Dieu subit nécessairement une double traduction. La première est celle qui permet la transmission de l’Infiniment grand (la parole d’Allah) dans un infiniment petit (la langue humaine). La seconde est celle qui permet de faire passer un contenu d’une langue vers une autre. Ce sont ces deux types de traductions que le philosophe Souleymane Bachir Diagne désigne fort éloquemment par « traduction verticale » (pour la première) et « traduction horizontale » (pour la seconde)[20]. Il aurait été illogique que Dieu qui est le Maître Créateur de l’humanité s’adressât à celle-ci dans un système linguistique que l’homme moyen ne saurait comprendre. De même, s’il est vrai que l’Islam est « descendu » sur toute l’humanité et non pas seulement sur les Arabes – comme le judaïsme et le christianisme ne furent pas les religions des seuls juifs) – alors il importe d’en déduire que Dieu a bel et bien configuré les autres langues de sa création pour qu’elles soient en capacité de traduire Sa parole. Nous avons pu nous rendre compte par nous-mêmes que le pulaar et le français, que nous connaissons, restituent dans leur traduction, avec une perspicacité remarquable tant le contenu que la poéticité du coran. A ce propos, Amadou Hampaté Ba, répondant à la question de savoir « Pourquoi les musulmans doivent apprendre l’arabe pour pratiquer leur religion ? », écrit :
« Le fait d’ignorer l’arabe n’a jamais empêché le fidèle musulman de pratiquer avec ferveur sa religion. Croire que l’on ne saurait pratiquer l’islam qu’en parlant l’arabe reviendrait à supposer que Dieu n’entend que la langue arabe, ce qui serait ridicule »[21].
Souleymane Bachir Diagne témoigne qu’un enseignement du prophète Mouhammad stipule « Autant de langues on parle, autant d’hommes on vaut ». Et au philosophe d’ajouter en guise d’explication : « je trouvais remarquable, en effet, une telle invitation au pluralisme linguistique là où l’on aurait pu attendre une exaltation de la langue de la révélation à l’exclusion de toutes les autres. Je comprenais cette invitation comme celle de penser de langue à langue »[22].
Il appert de cette analyse qu’il n’y a pas de langue qui soit intrinsèquement sacrée parce que Dieu s’y est exprimé car toutes les langues du monde sont, à priori, susceptibles de rendre compte très fidèlement de sa parole à condition que ceux qui font ce travail en aient une connaissance approfondie. Dès lors, l’argument religieux qui consiste à justifier l’officialisation de la seule langue arabe au mépris des langues pulaar, soninké et wolof n’est rien d’autre qu’une instrumentalisation de l’islam pour une finalité qui n’honore pas les musulmans : l’instauration de l’hégémonie d’une partie des musulmans sur d’autres musulmans.
Le peuple d’Arabie auquel appartenait le prophète de l’islam représente aujourd’hui une infime minorité du nombre toujours plus grandissant des musulmans à travers le monde. Sur les cinq continents, des peuples de toutes les origines se sont retrouvés dans le projet de société que leur proposait l’islam et se sont convertis à la dernière des religions révélées. Mais cette appropriation de l’islam en Afrique de l’Ouest, notamment en Mauritanie, pose d’énormes problèmes de cohabitation entre les communautés nationales. En effet, l’histoire du peuplement du territoire correspondant à la Mauritanie actuelle est constituée de plusieurs vagues de migrations. Les populations noires (Peuls, Soninko, Wolofs …), ont été tour à tour succédées par les berbères, puis beaucoup plus tard par des tribus arabes islamisées, organisées autour du projet de propagation de l’islam. Le colonisateur français qui occupa cet espace en allant du Sud vers le Nord avait plus ou moins réussi à pacifier les rapports tantôt conflictuels tantôt apaisé (selon les accords) entre les Emirats du Nord et les royaumes du Fouta, du Guidimakha et du Walo, au Sud. La Mauritanie contemporaine, celle des indépendances, hérite donc d’une configuration démographique dans laquelle des communautés ayant des langues et cultures différentes (Peuls, Soninko et Wolofs d’une part, Arabo-berbères d’autre part et Hratines enfin) sont amenées, de fait, à vivre ensemble dans le même pays. Le nouvel Etat central ainsi constitué aurait pu, en se positionnant à équidistance vis-à-vis des communautés nationales, établir un certain équilibre gage de justice et d’égalité. Mais au lieu de cela, les différents régimes successifs à la tête du pays, dominés par des nationalistes arabes étroits, ont multiplié des réformes allant dans le sens d’instituer la domination de la langue et de la culture arabe sur les langues et cultures peule, Soninko et wolof. Au plan culturel, le mode du rapport des genres ainsi que le mode vestimentaire des femmes négro-africaines sont vilipendés par une critique raciste moulée dans un discours religieux. De même, une certaine élite, dont le seul but est de perpétuer sa domination linguistique et conforter sa position politique, s’efforce de trouver des arguments d’ordre islamique et philosophiques pour justifier l’hégémonie de la langue arabe – officielle – au détriment des langues négro-africaines réduites au statut folklorique de langues nationales. Comme il apparait dans le déploiement de notre analyse, la sacralité, gracieusement offerte à la langue arabe pour la hisser sur ses sœurs, ne repose ni sur le texte du coran, ni sur la logique. Car au final, ce n’est point la langue qui est sacrée, mais la teneur qu’elle exprime, la foi qu’elle transmet, contenus pouvant être traduits dans toutes les langues du monde.
Mamadou Kalidou Ba est membre fondateur du Groupe de Recherches en Littératures Africaines (GRELAF), Université de Nouakchott, Mauritanie.
Références sito-bibliographiques
Ba Amadou Hampaté, Aspects de la civilisation africaine, Paris, Présence Africaines, 1972.
Ba Oumar Moussa, Noirs et Beydanes mauritaniens. L’école creuset de la nation ?, Paris, L’Harmattan, 1993.
Battouta Ibn [1304 - 1368], Voyage III. Inde, Extrême-Orient, Espagne, Soudan. Paris, La Découverte, 1982, p.427
Diagne Souleymane Bachir, Comment philosopher en islam ?, Paris, Philippe Rey / Jimsaan, 2014.
Idem, Le fagot de ma mémoire, Paris, Philippe Rey, 2021.
Kane Ousmane Oumar, Au-delà de Toumbouctou. Erudition islamique et histoire intellectuelle en Afrique occidentales, Dakar, CERDIS/CODESRIA, 2017.
Ki-Zerbo Joseph, Histoire de l’Afrique noire, Paris, Hatier, 1978.
RAMADAN Hani, La femme en Islam, Lyon – Amiens, Editions Tawhid / Euro-médias, 1991.
https://youtu.be/IXhrCMZHt-0 . S. B. DIAGNE en conférence à l’université des Sciences Po-Ex sur le thème « traduire la parole de Dieu : autour de l’Islam », consulté le 27 septembre 2021.
[1] Nous pensons ici au calife Al Ma’mum dans son dialogue avec Aristote via un songe, et à celui qui réunit Muhammad Iqbal à Henri Bergson au XIXème siècle ; relaté par Souleymane Bachir DIAGNE, Comment philosopher en islam ?, Paris, Philippe Rey/Jimsaan, pp. 123 – 129.
[2] Amadou Hampaté Ba, Aspects de la civilisation africaine, Paris, Présence Africaines, 1972, 140 p.
[3] Souleymane Bachir Diagne, Comment philosopher en islam ?, Paris, Philippe Rey, 214, 148 p ; Le fagot de ma mémoire, Paris, Philippe Rey, 160 p.
[5] Cet empire succède au Ghana ; il s’est étendu du XII ème au XIVème siècle.
[6] Soulignons qu’en plus des produits comme le sel, l’or et autres denrées de consommation, le commerce des esclaves a été la principale activité de cette époque. Selon de nombreux historiens, plus encore que la traite négrière afro-euro-américaine, celle transsaharienne a été plus dévastatrice pour l’Afrique noire.
[7] Selon l’historien Joseph KI-ZERBO, War jabi Ndiaye, un des rois de la dynastie peule des Dia Ogo, a été le premier roi du Tékrour à se convertir à l’Islam. « Il obligea ses sujets à embrasser la même foi et mourut en 1040 », in Histoire de l’Afrique noire, Paris, Hatier, 1978, p.106.
[8]Ousmane Oumar KANE, Au-delà de Toumbouctou. Erudition islamique et histoire intellectuelle en Afrique occidentales, Dakar, CERDIS/CODESRIA, 2017, p.10.
[9] Ibn BATTOUTA, Voyage III. Inde, Extrême-Orient, Espagne, Soudan. Paris, La Découverte, 1982, p.427, cité par Ousmane Oumar Kane, Ibidem, p.10.
[10] Nasséristes, de Gamal Abdel Nasr, ancien président de l’Egypte ; Bassiste, du parti Bass, implanté en Syrie et en Irak : tous prônent l’hégémonie des Arabes sur les autres peuples. Ces mouvements sont tout simplement une autre variante du nazisme hitlérien.
[11] Appartenant à l’organisation internationale des Frères musulmans, une émergence de l’islam politique assumé.
[13] Il s’agit principalement d’Imams formés en Arabie Saoudite ou dans les pays du Golf qui reviennent au terroir avec des interprétations salafistes de l’islam…
[14] Hani RAMADAN, La femme en Islam, Lyon – Amiens, Editions Tawhid / Euro-médias, 1991, p.51.
[15] S. B. DIAGNE, Comment philosopher en islam ? op cit, pp. 123-124.
[16] Nous pensons au « non » que la Guinée a opposé à la proposition du Général De Gaulle, lors du référendum de 1958.
[17] Cf. Oumar Moussa BA, Noirs et Beydanes mauritaniens. L’école creuset de la nation ?, Paris, L’Harmattan, 1993.
[18] Ces études qui ont souligné l’importance du recourt à la langue maternelles dans les premiers apprentissages du savoir ont commencé dans les années 1970. On peut citer, en guise d’exemples, celle de BUTZKAM Wolfgang in Etudes de linguistique appliquée, Paris, Juillet 1978, 162 p ; disponible en PDF au lien : https://www.proquest.com/docview/1307657224?pq-origsite=gscholar&fromope....
[19] Celui-ci voudrait que l’arabe doit être la langue officielle parce qu’elle est parlée par la majorité des Mauritaniens ; les Maures et les Hratines représenteraient environs 60 à 65% de la population. Précisons qu’aucun recensement n’a jamais été fait pour évaluer le poids démographique de chaque communauté.
[20] S. B. DIAGNE en conférence à l’université de Sciences Po-Ex sur le thème « traduire la parole de Dieu : autour de l’Islam », in https://youtu.be/IXhrCMZHt-0 , vidéo consultée le 30 septembre 2021.
[21] Amadou H. Ba, Aspects de la civilisation africaine, op cit, p.77.
[22] S. B. DIAGNE, Le fagot de ma mémoire, Philippe Rey, 2021, p.96.
POUR LA FIN DE L’OMERTA SUR THIAROYE 44
Le groupe LFI-NFP lance une offensive parlementaire pour lever le voile sur le massacre. Les députés français dénoncent des décennies d'obstruction administrative pour maintenir un "discours d'État mensonger"
Un groupe de l’opposition parlementaire française constitué des députés de La France insoumise et du Nouveau Front populaire (LFI-NFP) prévoit de réclamer, dans les prochains jours, une commission d’enquête sur ‘’les obstructions menées’’ au sein de l’administration française pour empêcher la reconnaissance du massacre de Thiaroye, un évènement survenu au Sénégal en 1944, a-t-on appris de source officielle.
‘’Le groupe LFI-NFP déposera dans les prochains jours une demande de commission d’enquête sur les obstructions menées à l’intérieur de l’administration française pour empêcher la reconnaissance du massacre de Thiaroye’’, annonce un communiqué dudit groupe parlementaire.
Il affirme que les auteurs de ces ‘’obstructions’’ cherchent à ‘’maintenir un discours d’État mensonger’’.
Le groupe LFI-NFP va proposer à tous les groupes parlementaires français, à l’exclusion du RN, de cosigner la demande de constitution d’une commission d’enquête.
Le 1er décembre 1944, des soldats africains s’étant battus pour la France, lors de la Seconde Guerre mondiale, ont été tués dans le camp militaire de Thiaroye, près de Dakar.
‘’Les victimes de ce massacre réclamaient le paiement de primes d’engagement après le paiement de leurs indemnités et le versement du pécule qui leur était promis depuis des mois’’, a rappelé le groupe LFI-NFP.
Il ajoute que cet ‘’épisode atroce’’ de l’histoire coloniale a longtemps été présenté comme un ‘’acte de répression légitime’’, face à une rébellion incontrôlable.
Le groupe LFI-NFP estime que le nombre de victimes du massacre de Thiaroye a largement été sous-estimé.
‘’Aujourd’hui, malgré les promesses de François Hollande, lors de sa présidence, de permettre de faire toute la lumière sur ce qui s’est réellement passé, certaines archives restent inaccessibles et ‘Thiaroye’ est absent de la mémoire nationale française, alors qu’il s’agit probablement de l’un des plus grands massacres coloniaux commis par la France’’, estiment les députés LFI-NFP.
La France insoumise, sous l’impulsion du député Aurélien Taché, souhaite permettre la reconnaissance pleine et entière du massacre de Thiaroye et l’accès à l’ensemble des archives relatives à cet évènement.
Aurélien Taché et son collègue Aly Diouara, membre aussi de LFI, prévoient de se rendre à Dakar, le 1er décembre prochain, pour la commémoration du massacre survenu il y a quatre-vingts ans.
L'ÉTAT CONFOND TAHIROU SARR
Le ministère de l'Urbanisme s'élève contre les propos xénophobes visant les étrangers dans la gestion de l'état civil sénégalais. La fraude documentaire, loin d'être généralisée, ne représente que 1,73% des demandes de carte nationale d'identité
Le ministère de l'Urbanisme s'élève, dans le communiqué suivant parvenu à notre rédaction, contre les propos xénophobes visant les étrangers dans la gestion de l'état civil sénégalais. Les chiffres officiels démontent les accusations : seuls 207 791 étrangers résident au Sénégal, soit 1,1% de la population totale. La fraude documentaire, loin d'être généralisée, ne représente que 1,73% des demandes de carte nationale d'identité. Le système est rigoureusement encadré par la justice, avec des contrôles réguliers des registres par les présidents de tribunal et les procureurs.
"Communiqué
Une personne du nom de Tahirou Sarr se signale, ces derniers temps, dans les médias et réseaux sociaux, par des sorties intempestives dirigées contre des étrangers, qui sont susceptibles de troubler la paix et la cohésion sociale dans notre pays. Face à ces dérives, il est apparu nécessaire pour le Département en charge de l'état civil de rétablir la vérité sur les affirmations faites par ce monsieur et qui sont totalement erronées.
Celles-ci tournent autour d'aspects relatifs, entre autres, à l'enregistrement des faits d'état civil concernant les étrangers dans les registres de l'état civil sénégalais et la vente des actes d'état civil.
- L'enregistrement des faits d'état civil intéressant les étrangers
S'agissant de l'enregistrement des faits d'état civil concernant les étrangers dans les registres de l'état civil du Sénégal, il convient de rappeler les dispositions de la loi n° 72-61 du 12 juin 1972 portant Code de la Famille, notamment l'article 43, qui prévoit que « toute naissance ou décès concernant un étranger se trouvant au Sénégal doit être obligatoirement déclarée à l'officier de l'état civil sénégalais » dans les formes et conditions prévues par ledit code.
L'enregistrement à l'état civil est ainsi une démarche obligatoire pour toute personne dont l'évènement d'état civil est survenu sur le territoire national. Ainsi, les étrangers, résidant ou séjournant temporairement au Sénégal, sont soumis aux procédures d'enregistrement des faits d'état civil les concernant auprès de l'état civil sénégalais au même titre que les nationaux.
Cet enregistrement vise surtout à régulariser le statut administratif de ces événements sur le territoire sénégalais. Les personnes assujetties sont astreintes à faire transcrire la naissance auprès de leur représentation diplomatique ou consulaire pour en assurer la reconnaissance dans leur pays d'origine.
La même démarche vaut pour le Sénégalais né à l'étranger et qui se fait déclarer dans les registres de l'état civil du pays hôte, dans la forme usitée par ce pays. Ces actes font foi et sont transcrits à l'état civil sénégalais.
Selon le dernier recensement général de la population et de l'habitat (RGPH-2023), parmi les 18 126 390 individus résidents au Sénégal, 207 791 sont de nationalité étrangère, soit 1,1 % contrairement aux chiffres avancés par monsieur SARR. Enfin, il importe de préciser que la seule naissance au Sénégal ne confère pas de droit la nationalité sénégalaise.
En effet, pour être Sénégalais par le droit du sol, il faut être né au Sénégal d'un père né au Sénégal ou d'une mère née au Sénégal, conformément aux dispositions de l'article premier alinéa premier de la loi n° 61-10 du 7 mars 1961 déterminant la nationalité sénégalaise.
- La vente des actes d'état civil de Sénégalais aux étrangers
Parmi les thématiques les plus abordées par monsieur Sarr, figure la vente des documents d'état civil de Sénégalais aux étrangers.
Il faut rappeler que la tenue de l'état civil au Sénégal est soumise à un contrôle strict des autorités judiciaires, en l'occurrence le président du tribunal d'instance et le procureur de la République. D'abord, tout registre doit être coté et paraphe avant toute utilisation par le président du tribunal d'instance. Ensuite, le juge, conformément aux dispositions de l'article 35 du Code de la Famille, procède une fois par an, et chaque fois qu'il l'estime nécessaire, à la vérification des registres de l'état civil de l'année en cours en se transportant dans les différents centres de son ressort.
Il en est de même du procureur de la République qui, en vertu dudit article 35, est tenu, lors du dépôt des doubles des registres de l'état civil au greffe, de vérifier leur état
Il y a lieu, par ailleurs, d'informer que des procédures judiciaires de reconstitution des actes de l'état civil détériores ou disparus sont prévues par les textes en vigueur, qu'il s'agisse d'un acte isolé, d'un registre ou * des deux registres, quelle que soit la cause de la détérioration, destruction ou disparition (mauvaise conservation, incendie, intempéries, actes de vandalisme etc.). Cette reconstitution, selon le cas, se fait soit par la voie judiciaire, soit par la voie administrative (disparition des deux exemplaires d'un registre).
Il est indéniable qu'il peut y avoir des cas de fraudes dans notre état civil. Il convient toutefois de souligner qu'ils sont particulièrement le fait d'individus véreux qui, parfois, se font passer pour des officiers ou agents de l'état civil et attribuent, moyennant rémunération, de faux numéros de registre et d'acte d'état civil.
Les personnes bénéficiaires de ces actes fictifs, de bonne foi pour certaines, ne peuvent, en toute légalité, se voir délivrer des copies et extraits de leurs actes.
Les procédures judiciaires prévues par les textes en vigueur permettent aux véritables titulaires des actes de l'état civil d'être rétablis dans leurs droits.
Cette fraude documentaire, selon des données reçues de la Direction de l'Automatisation des fichiers (DAF), ne représenterait que 1,73% des actes reçus en vue de l'établissement de la carte nationale d'identité et 0, 37% de tous les extraits de naissance reçus.
- Un vaste chantier de digitalisation en cours pour faciliter et sécuriser l'accès à l'état civil
Suivant la vision de Son Excellence Monsieur Bassirou Diomaye Diakhar Faye, président de la République du Sénégal, pour la dématérialisation des démarches administratives et sur instruction du Premier ministre Ousmane Sonko, le ministère de l'Urbanisme, des Collectivités territoriales et de l'Aménagement des Territoires, à travers le l'Agence nationale de l'Etat civil, est en train d'accélérer le processus de modernisation de l'état civil.
En effet, pour réduire la fraude documentaire, voire l'annihiler, l'Etat du Sénégal s'est inscrit dans une démarche de mise en place d'un système d'état civil performant, moderne, fiable, sécurisé et accessible, ceci notamment grâce à la digitalisation.
Le processus entamé a permis :
- la numérisation et de l'indexation de plus de vingt-millions (20 000 000) d'actes d'état civil et leur migration dans le Registre national de l'Etat civil
(RNEC), créé pour centraliser les données d'état civil de tous les Sénégalais, lesquelles sont stockées dans les datacenters de l'Etat. Le nouveau logiciel de gestion des faits d'état civil (LGEC) mis à la disposition de trois cent soixante (360) centres d'état civil interconnectés à l'intranet gouvernemental, donne accès au RNEC et permet aux officiers et agents d'enregistrer et de délivrer des actes en toute sécurité. A ce jour, plus de mille cent (1100) officiers et agents de l'état civil ont été formés à son utilisation ; garantissent la protection des données à caractère personnel, la fiabilité et l'authenticité des actes ;
- la sécurisation du système d'état civil digitalisé avec l'élaboration d'une Politique de Sécurité du Système d'Information de l'Etat Civil (PSSI-EC) et de la Stratégie de protection des données à caractère personnel de l'état civil. De même, l'implémentation de la signature électronique et du QR code dans le LGEC, ainsi que la traçabilité de toutes les opérations effectuées dans l'application, l'identification de leurs auteurs, assurée par l'attribution d'un compte individuel et d'identifiant propre à chaque agent intervenant,
- la création d'une plateforme d'offre de services aux usagers permettant à toute personne de demander en ligne, par un traitement rapide et sécurise, copie ou extrait de son acte d'état civil. Le lancement de la phase test est prévu bientôt, des communes pilotes déjà identifiées.
Ainsi, l'introduction de ces procédés informatiques sont aujourd'hui autant de moyens mis en œuvre par le Gouvernement pour faciliter l'accès des usagers à l'état civil mais aussi pour lutter efficacement contre la fraude documentaire.
En définitive, nous appelons à plus de retenue et de responsabilité dans les messages véhicules sur les réseaux sociaux qui visent à stigmatiser des communautés et attiser la haine envers les étrangers. Nous rassurons aussi les Sénégalais sur les efforts qui sont en train d'être faits par l'Etat pour sécuriser leurs données d'état civil, tout en les rendant plus accessibles pour eux."
par Oumou Wane
FIN DES ACCORDS DE PECHE : BON VENT !
Le poisson devient de plus en plus rare de nos jours. Nos pêcheurs font des milliers de kilomètres pour des captures dérisoires. Ils sont confrontés aux dangers de la haute mer et ils y laissent parfois leur vie
Ce dimanche 17 novembre, en même temps que les Sénégalais éliront leur nouvelle Assemblée nationale, les bateaux européens cesseront de pêcher dans la zone économique exclusive du Sénégal.
Aucune relation entre les deux événements, j’en conviens, mais permettez-moi de voir dans cette coïncidence du calendrier, un symbole et même un symbole heureux : le temps des bascules !
Si l’Afrique veut se décoloniser enfin, elle doit sortir des tutelles dans lesquelles on l’a installée.
Tout à fait sincèrement, je ne suis pas une spécialiste de la pêche ni des ressources halieutiques, et je découvre, comme nous tous, que les bateaux battant pavillon européen cesseront de pêcher dans les eaux sénégalaises à partir de dimanche soir après le non-renouvellement d'un accord entre Bruxelles et Dakar.
L'accord en vigueur avec l'UE arrivant à expiration dimanche soir à minuit ne sera pas prolongé et je ne peux pas m’empêcher d’y voir là une bonne nouvelle. L’Union européenne s’est précipitée d’annoncer la fin de l’accord pour se donner bonne figure, mais elle savait ce qui l’attendait avec les nouvelles autorités au pouvoir au Sénégal et d’ailleurs la ministre des Pêches Fatou Diouf a dénié à l'UE l'initiative de la fin de l'accord. "L’État n’était pas encore dans une logique de négocier", dit-elle dans une vidéo sur les réseaux sociaux.
Officiellement : "Il ne serait pas cohérent pour l'Union européenne, qui a une politique de tolérance zéro à l'égard de la pêche INN (illicite, non déclarée et non réglementée) de renouveler un accord avec des pays qui ont été notifiés de ce type de difficultés".
Est-ce encore les mêmes poncifs qui reviennent dès qu’il s’agit de penser l’Afrique : continent de précarité, peuples sans histoire, tribalisme, misère, famine ?
Selon Jean-Marc Pisani, l’ambassadeur de l’Union Européenne pour notre pays, le Sénégal a encaissé 10 milliards F CFA en cinq ans. Ce qui correspond, d’après l’économiste sénégalais Magaye Gaye à une enveloppe annuelle dérisoire qui représente « à peine 2 % du budget du ministère de la Pêche du Sénégal ».
Le poisson devient de plus en plus rare de nos jours. Nos pêcheurs font des milliers de kilomètres pour des captures dérisoires. Ils sont confrontés aux dangers de la haute mer et ils y laissent parfois leur vie. Des accrochages avec des chalutiers sont fréquents, qui n’hésitent pas à renverser les pirogues dans leur sillage. Combien de pêcheurs sénégalais ont opté pour l’émigration au péril de leur vie ?
Non honnêtement, après quatre siècles d’humiliation et d’exploitation, l’Afrique doit reconquérir et revaloriser ce qui avait été mis à mal par les nations européennes.
Je me souviens, un président de la République française, avait avancé ici au Sénégal en 2007 que « l’homme africain n’était pas assez entré dans l’Histoire ». Et bien, le Sénégal, est aujourd’hui un modèle pour tout le continent et poursuit son chemin dans l’Histoire.
Plus que tout autre continent, l’Afrique et ses matières premières, fut la proie des colonisateurs et parfois le demeure aujourd’hui encore. Ce matin je lisais dans Médiapart qu’une entreprise française « éthique et équitable » abandonnait ses brodeuses sénégalaises sans autre forme de procès.
En effet, la CSAO, que nous connaissons bien, aurait fait travailler des dizaines d’ouvrières sénégalaises sans aucun contrat de travail. Lorsqu’un de ses ateliers a fermé, les travailleuses n’ont donc obtenu aucun dédommagement. L’entreprise estime qu’il s’agissait d’artisanes indépendantes.
Je veux rendre hommage à ces femmes et je demande à nos autorités de se pencher sur toutes ces formes d’inégalités, afin de remettre à l’honneur la juste valorisation et préservation des savoir-faire sénégalais.
Et pour revenir à nos pêcheurs, je félicite l’État sénégalais, qui tient ses promesses envers ses concitoyens. Nul doute que secteur après secteur le Sénégal confirmera qu’il est bien l’une des figures de proue du mouvement d’émancipation en Afrique.
Par Mbagnick DIOP
AUX URNES CITOYENS !
Après demain, dimanche 17 novembre 2024, vous serez nombreux à vous aligner devant les bureaux de vote d’ici et d’ailleurs, pour élire 165 députés censés substituer la souveraineté à la soumission
Après demain, dimanche 17 novembre 2024, vous serez nombreux à vous aligner devant les bureaux de vote d’ici et d’ailleurs, pour élire 165 députés censés substituer la souveraineté à la soumission. Aurez-vous l’embarras du choix face aux piles de bulletins confectionnés à l’effigie d’hommes et de femmes qui vous déclarent leur flamme ?
Le soubassement de votre choix ne doit pas être tracé à la dimension des photos et des professions de foi qui sentent le soufre. Quand vous accéderez dans l’isoloir, bulletins en main, pensez aux Sénégalais dont le sort doit être la préoccupation fondamentale de l’Assemblée Nationale. C’est une lapalissade que de vous rappeler les mensonges statistiques, les détournements de deniers publics, les répressions policières barbares du passé, les investissements inadéquats sur fond d’enrichissement illicite, tant du point de vue de leur montage financier que des chantiers inachevés dont les maîtres d’œuvre sont notoirement reconnus comme des escrocs. Ou alors, des voleurs d’Etat qui ne perdent rien pour attendre. Les scandales qui illustrent leur veulerie sont révélateurs d’un faisceau de corruption à des niveaux insoupçonnés.
Eu égard à autant de méfaits, votre main ne doit guère trembler pour introduire dans l’enveloppe et l’urne le bulletin qui correspond le mieux aux aspirations des citoyens sénégalais.
Le principe de la souveraineté nationale à bien des égards doit être à la fois la boussole et le flambeau qui aideront à sortir le Sénégal des ténèbres.
Le peuple en a assez d’une petite Assemblée nationale où des députés sans consistance, totalement inféodés à l’exécutif, votent des lois qui sont aux antipodes des intérêts vitaux du Sénégal. Le temps des scandales financiers et de la routine dans les choix économiques doit être à jamais révolu.
Place alors à une Assemblée Nationale forte de l’intelligence des députés, suffisamment imbus du caractère exigeant de leurs mandants, pour un Sénégal gouverné dans la paix, la justice, l’intégrité et l’ambition sur la voie du développement économique durable.