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21 avril 2025
International
par Ndongo Samba Sylla
QUI A PEUR D’UNE MONNAIE NATIONALE POUR LE SÉNÉGAL ?
EXCLUSIF SENEPLUS - La plupart des pays CFA ont soit décliné ou stagné. Rester dans le franc CFA, c’est souscrire une assurance sous-développement. En sortir n’est pas promesse de développement. Tout dépend du modèle économique
Depuis que le candidat à la présidentielle Bassirou Diomaye Faye a évoqué l’idée d’une monnaie nationale, les réactions catastrophistes et démagogiques, typiques de l’esprit françafricain, n’ont cessé de pleuvoir. Beaucoup d’experts autoproclamés et de « gens d’expérience » ont dit des choses - qu’ils ne maîtrisaient pas ou de nature biaisée - dans le seul but de défendre le statu quo économique et monétaire. De mon point de vue, cette proposition courageuse et lucide est salutaire pour le Sénégal compte tenu de son nouveau statut de pays exportateur d’hydrocarbures, du bilan désastreux de la zone franc et de la chimère qu’est le projet de monnaie unique CEDEAO. Nonobstant la tentative de sabotage des présidents Emmanuel Macron et Alassane Ouattara, ce dernier projet revient à dire : voulez-vous du naira comme monnaie unique régionale ? Il ne s’agit pas pour moi de réitérer mon plaidoyer pour une monnaie nationale sénégalaise mais plutôt de répondre à des questions que la plupart de nos compatriotes soucieux de progrès économique pour eux-mêmes et les futures générations ne peuvent manquer de se poser.
Avoir une monnaie nationale est-ce quelque chose d’exceptionnel ?
Non, c’est la norme partout à travers le monde. Tous les pays africains disposent de leur propre monnaie nationale, à l’exception des quatorze pays qui utilisent le franc CFA. Soit un total de 40 pays souverains sur 54. Même s’il est nominalement national, le franc comorien fonctionne comme le franc CFA car il est sous le contrôle du Trésor français.
Les unions monétaires rassemblent des États souverains qui partagent une même devise émise par une banque centrale commune. Elles ont connu leur apogée dans la période coloniale. Il n’en existe que quatre aujourd’hui : le bloc CFA en Afrique de l’ouest ; le bloc CFA en Afrique centrale ; l’Union monétaire des Caraïbes Orientales ; la zone euro. La zone euro est la seule union monétaire en activité qui ait vu le jour dans la période « postcoloniale ». D’ailleurs, selon Benjamin Cohen, la zone euro est une anomalie historique : « Jamais auparavant, dans l’histoire moderne, un groupe d’États totalement indépendants n’a volontairement accepté de remplacer les devises nationales existantes par un type de devise nouvellement créé. »
Au total, c’est moins de 7 % de la population mondiale qui vit dans une union monétaire. Le principe « un État, une monnaie » est donc la norme. Les unions monétaires sont l’exception.
Une monnaie nationale est-elle une démarche aux antipodes du panafricanisme ?
Non. La monnaie étant la créature et l’instrument d’un État, une cohérence s’impose : soit elle est nationale, soit elle est fédérale. La vraie « balkanisation » n’est pas dans la pluralité monétaire, qui est rationnelle tant que la politique économique demeure au niveau national, mais dans l’absence de coordination en matière diplomatique, militaire, industrielle, de vente des matières premières, etc.
Ceux qui pensent que battre monnaie va à l’encontre de l’intégration africaine devraient songer à laisser la politique budgétaire et fiscale de leur pays être décidée par un pays tiers…au nom du « panafricanisme » ! Un État qui n’est pas prêt à se dissoudre dans un ensemble politique plus large, et à renoncer à sa souveraineté fiscale, ne devrait pas se priver de sa monnaie nationale.
En attendant d’avoir un État fédéral régional ou continental, il est possible d’avoir un système de monnaies nationales solidaires, comme l’ont défendu Samir Amin, Joseph Tchundjang Pouemi et Mamadou Diarra.
Pourquoi battre monnaie est-il associé à la souveraineté politique ?
Citons feu l’économiste britannique Wynne Godley qui écrivait en 1992 :
« Le pouvoir d'émettre sa propre monnaie, de faire des tirages sur sa propre banque centrale, est l'élément principal qui définit l'indépendance nationale. Si un pays abandonne ou perd ce pouvoir, il acquiert le statut de collectivité locale ou de colonie. » Wynne Godley, Maastricht and All That, London Review of Books, 1992
La monnaie doit-elle être adossée à quelque chose, à l’or par exemple ?
Depuis le début des années 1970, nous vivons dans un monde de monnaies fiduciaires. Les monnaies existantes ne sont adossées à aucun métal. Leur valeur découle de la puissance des États qui les émettent, et notamment de leur capacité à prélever des impôts et taxes dans leur unité de compte. La notion de « viabilité » d’une monnaie ne fait pas grand sens. Ce qui « garantit » la « viabilité » d’une monnaie est ce qui garantit la viabilité d’un État. Tout État qui s’estime viable sur les plans économique et institutionnel devrait être capable de battre monnaie.
Le Franc CFA est-il une monnaie indépendante ?
Non. C’est une monnaie créée par le ministère français des Finances en 1945 et qui est toujours sous son contrôle. Les banques centrales qui émettent le franc CFA n’ont donc jamais eu d’expérience de gestion d’une monnaie indépendante de l’ancien colonisateur et qui évolue en régime de change flexible.
Même si les officiels français parlent de soixante-quatre ans de « coopération monétaire » (1960-2024) à propos du Franc CFA, ils n’ont jamais appris aux deux banques centrales de la zone franc comment fabriquer elles-mêmes leurs billets de banque et leurs pièces de monnaie. Ce qui se comprend. L’impression des signes monétaires de la zone franc constitue pour la Banque de France « près de la moitié de son plan de charges sur l’avenir », selon un de ses cadres.
La France garantit-elle le Franc CFA ?
On entend souvent dire que c’est la France qui « garantit » le franc CFA. C’est une vue de l’esprit. La « garantie » est une promesse de prêt du Trésor français vis-à-vis des deux banques centrales qui émettent les francs CFA. Or, le système franc CFA est paramétré pour que cette « promesse », cette « garantie », ne soit jamais mise à exécution. Résultat, au lieu que le Trésor français prête des devises aux deux banques centrales, c’est le contraire qui a prévalu de 1960 à 1980 et de 1994 à aujourd’hui. Autrement dit, ce sont les pays africains qui mettent à la disposition du Trésor français une partie de leurs devises à des taux avantageux.
Les pays CFA et leurs élites sont-ils si aliénés au point de ne pouvoir jamais envisager leur indépendance vis-à-vis du Trésor français ?
Oui, jusque-là. Les 14 pays qui utilisent le franc CFA ont une population de plus de 200 millions. Leurs dirigeants, leurs financiers et économistes pour la plupart, ont considéré jusque-là qu’ils sont incapables de faire quoi que ce soit sans le Trésor français qui, pourtant, ne leur apporte rien…sinon une discipline collective qui s’est avérée ruineuse sur le plan économique sur le long terme.
Par contraste, notons que les Seychelles avec 100 mille habitants ont une monnaie nationale qui évolue en régime de change flexible. Leurs taux d’intérêt directeurs sont parmi les plus faibles au monde malgré les nombreux chocs que subit le pays. De 1976 à 2022, les Seychelles n’ont eu une balance commerciale excédentaire qu’une seule fois : en 2003 ! Une expérience à méditer pour ceux qui disent que le Sénégal ne peut pas avoir de monnaie nationale tant qu’il n’aura pas de surplus commerciaux ! En 1960, les Seychelles avaient un revenu réel par habitant trois fois supérieur à celui du Sénégal. En 2022, l’écart est passé de trois à dix.
Le Franc CFA est-il compatible avec la souveraineté nationale ?
Non. La preuve est que le système franc CFA peut être utilisé par la France et ses alliés africains pour asphyxier financièrement les gouvernements dissidents, en leur privant l’accès à leurs comptes auprès de la banque centrale et au marché financier régional. En 2011, la Côte d’Ivoire, sous Laurent Gbagbo, a été victime de ces mesures illégales tout comme le Mali, sous Assimi Goïta, en 2022 et le Niger depuis juillet 2023. Ce type de sanction est impossible à mettre en œuvre dans les pays qui disposent de leur monnaie nationale.
Instrument de protection des intérêts français, le franc CFA est donc également un outil de répression contre les dirigeants qui ne se plient pas à la discipline françafricaine.
Le Franc CFA a-t-il facilité le commerce entre ses pays membres ?
La réponse est non. Entre 1995 et 2021, les échanges au sein la CEMAC sont de l’ordre de 1,5 % du commerce extérieur des pays membres malgré le partage d’une même monnaie depuis 1945. Le commerce intra-zone est plus élevé en zone UEMOA (13,6% sur la même période), du fait notamment des spécialisations économiques différentes et de la dépendance des pays enclavés vis-à-vis des pays côtiers.
Le Franc CFA est-il surévalué ?
Oui. Le franc CFA est né surévalué, c’est-à-dire sa valeur externe ne se justifie pas au regard des caractéristiques économiques des pays qui l’utilisent. Cette surévaluation est chronique. Dans le tome 3 de son histoire de l’UMOA, page 47, la BCEAO note que le franc CFA a été surévalué dans tous les pays membres selon des proportions variables entre la fin des années 1960 et 1994. Ce qui, selon son propre constat, a « fortement entamé la compétitivité de la zone dans la mesure où les coûts de production restaient élevés ».
Une monnaie surévaluée agit comme une subvention pour les importations et comme une taxe sur les exportations. Ali Zafar, ancien économiste de la Banque Mondiale, dans un récent ouvrage, montre que le franc CFA demeure encore largement surévalué. Utiliser le franc CFA, selon lui, c’est comme courir un marathon avec un frigo sur le dos.
Les déficits commerciaux chroniques des pays de l’UEMOA ont donc partie liée avec le système CFA qui pénalise leur compétitivité et les prive de financements, tout ceci au nom de la défense de la parité vis-à-vis de l’euro.
Le Franc CFA a-t-il favorisé l’attractivité économique des pays qui l’utilisent ?
Non. Jusqu’en 2018, le Ghana, dont la monnaie, le cedi, est réputée moins stable que le franc CFA, a enregistré un stock d’investissements directs étrangers (IDE) entrants supérieur à celui de tous les pays de l’UEMOA réunis. En Afrique centrale, en termes de stock d’IDE entrants, le Congo est le seul pays de la zone franc plus « attractif » que la République démocratique du Congo dont la monnaie est dollarisée.
Toutefois, les pays CFA font souvent face à des taux d’intérêt moins élevés sur les marchés financiers internationaux comparés à la plupart de leurs homologues. Cet avantage apparent pose problème : pourquoi ces pays qui se sont surendettés dans les années 1980 au point de forcer en 1994 une dévaluation – évitable si la France avait activé sa « garantie » – sont si prompts à se réendetter en monnaie étrangère ? En fait, dans le cas de l’UEMOA, tous les pays membres sauf la Côte d’Ivoire, pour certaines années, ont des balances commerciales et des balances courantes déficitaires : ils perdent des devises. Cette situation ne peut durablement coexister avec un régime de parité fixe immuable qu’à la condition de mettre le frein sur le crédit intérieur et de renforcer la dépendance financière vis-à-vis de l’extérieur (s’endetter en monnaie étrangère et attirer vaille que vaille l’investissement direct étranger).
Les deux blocs franc CFA sont-ils des « zones monétaires optimales » ?
La littérature sur les « zones monétaires optimales » s’intéresse aux conditions idéales qui font de l’unification monétaire une alternative plus avantageuse au plan microéconomique (réduction des coûts de transaction) que l’usage de monnaies nationales. Aucune étude ne montre que les deux blocs CFA répondent chacun à la définition d’une zone monétaire optimale. Comme l’expliquent les économistes Christina Laskaridis et Jan Toporowski, « la plupart des auteurs qui [ont étudié cette question] concluent que la zone franc ne peut être évaluée en termes de zone monétaire optimale [...] Les raisons de la création et de la pérennité de la zone franc s'expliquent plus adéquatement par des motifs politiques que par des motifs économiques ».
Autrement dit, l’UEMOA et la CEMAC n’ont pas de justification économique. C’est la politique (la « Françafrique) qui explique leur survivance.
Rappelons que la zone franc (en réalité « zone du franc français ») a été créée pour permettre à la France de s’ajuster dans un monde dominé par le « privilège exorbitant » du dollar américain.
Le paradoxe, et ce n’est pas l’un des moindres : bien que les pays de l’UEMOA fassent déjà partie d’une zone monétaire, ils ont jusque-là échoué à remplir collectivement les critères pour faire partie de la zone monétaire entrevue par la CEDEAO !
Le Franc CFA a-t-il permis une « stabilité monétaire » ?
Oui. C’est là l’argument majeur des partisans du franc CFA qui auraient connu une dépréciation de sa valeur externe et interne plus limitée que la plupart des pays africains. Ceci est une conséquence de l’arrimage à l’euro. L’escudo cap-verdien arrimé à l’euro a donné des résultats similaires sur ce point précis. Les pays CFA n’ont donc aucun mérite pour cela. Le Franc CFA, c’est de l’euro déguisé. C’est pourquoi il est logiquement « prisé » des pays voisins. Il est même ridicule de se vanter de cet état de fait. Selon les données de la Banque mondiale, entre 1996 et 2019, le Sénégal a eu un en moyenne annuelle un taux d’inflation (mesuré par l’indice des prix à la consommation) de 1,3%, le même que la France. À l’échelle mondiale, le Sénégal n’a été « devancé » que par le Japon, pays dans une situation de léthargie économique depuis les années 1990. La plupart des pays dynamiques comme la Chine, la Corée du Sud, la Malaisie, le Brésil, etc. ont connu des taux d’inflation supérieurs à celui du Sénégal. Qui peut croire que cette « exception sénégalaise » est due à une quelconque maîtrise économique ? Un ami économiste espagnol a l’habitude de dire que les pays CFA utilisent l’euro mais sans être invités à la table au niveau de la Banque centrale européenne.
Peter Doyle, ancien économiste du FMI, a donné l’exemple de l’Eswatini (ex-Swaziland) qui a un taux de change fixe avec la monnaie sudafricaine. Dans les années 1960, l’Eswatini avait environ le même niveau de revenu réel par habitant que le trio Niger, Burkina Faso et Mali. 50 ans plus tard, l’Eswatini, avec des taux d’inflation comparativement plus élevés, a enregistré un niveau de réel par habitant cinq fois supérieur.
Le Franc CFA a-t-il favorisé le développement économique ?
Non. La Côte d’Ivoire est le pays le plus grand par la taille économique dans la zone franc. Selon les indicateurs de la Banque mondiale, son meilleur niveau de PIB réel par habitant remonte à 1978, niveau qui n’a toujours pas été « rattrapé ». Les sept autres pays de l’UEMOA sont classés parmi les Pays les Moins Avancés (PMA), catégorie créée dans les années 1970. Le Sénégal a rejoint cette catégorie en 2000 et n’en est toujours pas sorti. En effet, c’est en 2014 que le Sénégal a retrouvé son meilleur niveau de PIB réel par habitant qui date de 1961. Quant au Niger, son PIB réel par habitant de 2022 est inférieur de 37% à son meilleur niveau qui date de 1965 ! La Guinée-Bissau, ex-colonie portugaise a obtenu son meilleur niveau de PIB réel par habitant en 1997, année de son entrée dans l’UEMOA. Depuis lors, son appauvrissement a été le prix à payer pour mettre fin à son record impressionnant d’instabilité macroéconomique et politique !
En Afrique centrale, le Gabon a actuellement un niveau de PIB réel par habitant inférieur de presque de moitié à son meilleur niveau qui date de 1976. Le Cameroun n’a pas encore « retrouvé » son meilleur niveau de PIB réel par habitant qui remonte à 1986. La Guinée équatoriale, petit pays pétrolier, qui a connu des taux de croissance économique monstrueux à la fin des années 1990 jusqu’au milieu des années 2000 a vu son revenu réel par habitant diminuer de 59 % entre 2008 et 2018, alors que le pays n’est pas en guerre ou sous sanction…mais, par contre, utilise une monnaie arrimée à l’euro : le franc CFA.
Y a-t-il des pays pétroliers qui ont fixé leur monnaie à l’euro ?
Le FMI publie chaque année la classification des régimes de change et des cadres de politique monétaire à travers le monde. On constate que les seuls pays pétroliers et gaziers au monde à avoir fixé leur monnaie uniquement à l’euro sont les pays CFA. Ce « choix » qui défie le bon sens économique et qui est contraire aux intérêts de ces pays s’explique par des raisons politiques – la France a toujours voulu avoir un contrôle sur ses ex-colonies et avoir la possibilité d’acheter leurs ressources dans sa monnaie dans un monde dominé par le dollar américain. La conséquence, notamment pour les pays pétroliers en Afrique centrale, est la création de rentes pour le secteur financier français : ces pays sont dans l’obligation de convertir en euro la moitié de leurs réserves officielles de change et de les déposer auprès du Trésor français…alors que l’essentiel de leur commerce extérieur est libellé en dollar.
L’erreur qui est souvent commise est de considérer uniquement la destination géographique des échanges extérieurs et d’ignorer la monnaie dans laquelle ils sont facturés. Dans le cas du Sénégal et de ses homologues de l’UEMOA, la zone euro n’est pas la première destination à l’exportation mais la principale source d’approvisionnement. Ce qui s’explique : l’arrimage à l’euro fonctionne comme une « préférence commerciale » pour les produits européens et empêche le taux de change de jouer son rôle d’amortisseur des chocs.
Dans tous les cas, plus de 75 % du commerce extérieur de ses pays se passe dans des devises autres que l’euro et cette tendance va s’accentuer avec l’exploitation d’hydrocarbures dans des pays comme le Sénégal et le Niger.
La parité fixe à l’euro est un legs colonial. C’est la contrepartie de l’inexistante « garantie » française, soit un moyen pour Paris de continuer à avoir son mot à dire dans les affaires économiques, monétaires et politiques de ses anciennes colonies.
Est-il possible de se développer avec le Franc CFA ?
Jusque-là, la réponse est négative. Sur le long terme, la plupart des pays CFA ont soit décliné ou stagné sur le plan économique. La surévaluation du franc CFA, la rigidité de la parité fixe, les saignées financières que subissent ces pays et l’absence de financements adéquats sont autant de handicaps à déplorer. Un exemple édifiant est le suivant : au Sénégal, le secteur primaire – agriculture, élevage, pêche - qui occupe une proportion significative de la population active ne reçoit annuellement au titre des crédits bancaires de plus d’un an que 24-25 milliards de francs CFA. Oui, 24 et 25 milliards francs CFA. À titre de comparaison, les prêts que la BCEAO accorde à son personnel (plus de 3000 personnes) ont baissé en 2022 pour atteindre un peu moins de 43 milliards de francs CFA.
Epilogue….
Bref, rester dans le franc CFA c’est souscrire une assurance sous-développement (d’autant plus qu’on ne connaît pas de pays du Sud qui se soit développé en restant dans une union monétaire non fédéraliste et de surcroît contrôlée par l’ex-puissance coloniale). En sortir n’est pas promesse de développement. Tout dépend du modèle économique, comme les deux plus grands économistes africains à avoir réfléchi sur ces questions, Samir Amin et Joseph Tchundjang Pouemi, n’ont eu de cesse de le dire en leur temps.
Le propos est déjà long. Beaucoup d’autres choses pourraient être dites, notamment sur l’impossibilité d’une politique financière cohérente dans le cadre de la zone franc et la responsabilité du système monétaire et financier vis-à-vis du lancinant problème du chômage. Au fond, qu’est-ce que le chômage ? Si l’on part de l’idée qu’il décrit la situation de personnes désireuses de louer leurs services de travail en échange de la monnaie émise par l’État, on comprend dès lors que quand la masse monétaire est artificiellement restreinte pour défendre une parité fixe…on crée nécessairement du chômage. Comme l’écrit l’économiste américain Randall Wray :
"Il existe de solides arguments éthiques contre l'utilisation de la pauvreté et du chômage comme principaux outils politiques pour atteindre la stabilité des prix et des taux de change - d'autant plus que les coûts de la pauvreté et du chômage ne sont pas répartis de manière égale au sein de la population. Et même si la stabilité des prix et de la monnaie est désirable, il est douteux que l'on puisse le défendre comme un droit humain au même titre que le droit au travail."
Comme on le dit souvent, on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. De la même manière, on ne peut libérer un esclave satisfait de sa servitude sucrée.
LE SÉNÉGAL DE MACKY SALL ENTRE LUMIÈRES ET OMBRES
Il a transformé le visage de Dakar et construit une nouvelle ville. Pourtant, de nombreux Sénégalais estiment être exclus du progrès. Alors que Macky Sall s'apprête à céder sa place, son action laisse un goût d'inachevé
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 18/03/2024
Douze ans après son accession à la magistrature suprême, Macky Sall laisse derrière lui un Sénégal transformé sur le plan des infrastructures mais aux profondes fractures sociales et démocratiques, selon les analystes interrogés par l'AFP. Alors qu'il s'apprête à quitter le pouvoir fin mars à l'issue de l'élection présidentielle, retour sur son bilan contrasté.
Sur les nombreux chantiers qui maillent désormais Dakar, la capitale méconnaissable, travaille Ismaïla Bâ, peintre en bâtiment de 36 ans. Pourtant, il se sent exclu du changement opéré sous la présidence Sall. "Je gagne à peine 9 euros par jour. Il m'est impossible d'envisager d'habiter dans ces nouveaux immeubles", déplore-t-il. Locataire avec sa famille dans le populaire quartier de Ouakam, il doit déjà s'acquitter de 122 euros mensuels de loyer, somme que son propriétaire menace d'augmenter. Pour arrondir ses fins de mois, il vend aussi du café et pratique la coiffure. Comme lui, de nombreux Sénégalais estiment être laissés pour compte de la croissance, profitant avant tout à une minorité bien nantie.
Pourtant, impossible de nier l'ampleur des chantiers menés sous Macky Sall. "Le pays dont j'ai hérité était véritablement vétuste" a-t-il déclaré, revendiquant une "transformation structurelle" du Sénégal. Il peut se targuer d'infrastructures majeures comme la nouvelle ville de Diamniadio, le train express régional, de nouveaux aéroports, autoroutes ou hôpitaux. Ces réalisations lui "permettent d'entrer dans l'histoire du Sénégal", concède le philosophe Souleymane Bachir Diagne sur RFI.
Pour autant, un Sénégalais sur trois vit toujours sous le seuil de pauvreté selon l'Agence nationale de la statistique (ANSD), soit 37,8% de la population. Bien que cette proportion ait diminué de 5 points depuis 2011, les inégalités sociales restent criantes. L'économiste Cheikh Bamba Diagne accuse le président d'"oublier la qualité de vie" au profit des seules infrastructures. Le chômage dépasse les 20% quand l'inflation atteint des sommets. Et pour relever ces défis économiques et sociaux, le déficit et la dette publique ont flambé. Cette dernière représente désormais 69,4% du PIB contre seulement 40% en 2012.
Sur le plan politique, Macky Sall laisse également un héritage controversé. Ces trois dernières années ont été marquées par une forte contestation populaire, réprimée dans le sang, et des dizaines de morts selon les ONG. Le report in extremis de l'élection présidentielle n'a fait qu'accroître la défiance envers le pouvoir. L'intellectuel Felwine Sarr dénonçait déjà dans Jeune Afrique les "procédés de fermeture de l'espace public" inhérents à sa gouvernance. Certains lui reprochent aujourd'hui une "dérive autoritaire", à l'image du slogan "Macky Sall dictateur" scandé dans la rue.
Malgré sa volonté affichée de transformer le Sénégal, force est de constater que le bilan économique, social et démocratique de Macky Sall, qui quittera le pouvoir en mars, demeure ambigu. Si les infrastructures ont changé le visage du pays, les fractures sociales et politiques peinent à se résorber. Son héritage préoccupe aussi bien les partisans d'un renforcement de l'État que les défenseurs d'une démocratie apaisée.
LES INVESTISSEURS SOUS TENSION AVANT LA PRÉSIDENTIELLE
Le pays a obtenu 1,9 milliard de dollars de financement du FMI en octobre, une aide perçue comme une force de stabilité pour les finances. Mais les appels du camp Sonko à créer une nouvelle monnaie nationale et renégocier les contrats miniers inquiètent
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 18/03/2024
Les investisseurs internationaux observeront attentivement l'élection présidentielle au Sénégal, prévue le 24 mars, après les reports qui ont provoqué de vastes protestations dans le pays. Le Sénégal, habituellement l'une des démocraties les plus stables d'Afrique de l'Ouest souvent secouée par les coups d'État, a été agité par les tensions depuis début février, lorsque le président Macky Sall a tenté de reporter le scrutin qui était initialement prévu le 25 février de 10 mois, soulevant des craintes de recul démocratique.
Selon une analyse de l'agence Reuters, plusieurs éléments préoccupent les investisseurs :
Au niveau financier, le Sénégal a environ 4,2 milliards de dollars d'obligations internationales en circulation, dont deux émises en euros et trois en dollars américains. Pour les investisseurs détenant ces obligations, l'attention actuelle se porte sur le déroulement pacifique et équitable du scrutin présidentiel. "Le marché scrutera de près pour s'assurer que les électeurs pourront s'exprimer lors d'un vote crédible", a déclaré Yvette Babb, gestionnaire de portefeuille chez William Blair Investment Management, citée par Reuters.
Sur le plan économique, le Sénégal est généralement considéré comme un environnement favorable aux affaires, avec de bonnes perspectives de croissance grâce à des projets gaziers devant démarrer cette année, projets qui devraient faire bondir le PIB à deux chiffres d'ici 2025 selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI). Le pays a obtenu 1,9 milliard de dollars de financement du FMI en octobre, une aide perçue comme une force de stabilité pour les finances publiques. L'arrimage du franc CFA à l'euro est également vu comme un atout pour contenir l'inflation.
Cependant, certains candidats populistes comme Ousmane Sonko pourraient remettre en question ces orientations. Ses appels à créer une nouvelle monnaie nationale et renégocier les contrats miniers et énergétiques inquiètent. Alors que les sondages officiels font défaut, son candidat Bassirou Diomaye Faye est perçu comme un sérieux challenger au président sortant Macky Sall. "Les populations demandent pourquoi l'investissement ne change pas leur vie", analyse Mucahid Durmaz, expert Afrique de l'Ouest chez Verisk Maplecroft, également cité par Reuters.
par Nioxor Tine
DE LA PREMIÈRE ALTERNANCE À LA FIN DU SYSTÈME
Le tollé suscité par le report de la présidentielle traduit l'exaspération de la population face aux dérives antidémocratiques du pouvoir. Derrière les manœuvres électorales, c'est la fin annoncée d'un régime oppressif qui se joue
Habituellement, l’élection présidentielle sénégalaise se tient le dernier dimanche du mois de février de la dernière année du mandat en cours. Cette année, elle va finalement se tenir avec quatre semaines de retard, après moult rebondissements liés à la volonté farouche du président sortant de différer la tenue du scrutin. Cela traduit-il une peur panique face au crépuscule du système d’oppression néocolonial déjà malmené dans les pays frères voisins ?
Si cette volonté de report injustifié a suscité un immense tollé au niveau international, elle a buté sur une désapprobation massive dans notre pays, même si elle n’a finalement été considérée que comme la goutte d’eau qui a fait déborder le vase des violations itératives des normes et principes démocratiques.
Pourtant, les Assises nationales de 2008-2009, dans un remarquable exercice de prospective politique aux conclusions desquelles, le président Macky Sall avait fini par – ou fait semblant de – souscrire, avaient indiqué, entre autres pistes de solution, la refondation institutionnelle, l’émergence citoyenne et l’obtention / parachèvement de nos souverainetés politique, économique et monétaire.
Paradoxalement, depuis le début de la deuxième alternance, une lourde chape de plomb s’est abattue sur notre pays instaurant un autoritarisme pesant sur la vie publique en général et la scène politique, en particulier, tentant de faire tourner la roue de l’Histoire à l’envers et de nous ramener à l’ère de la glaciation senghorienne (voire à celle de la sujétion coloniale).
On en est ainsi arrivé à un stade où des mesures antidémocratiques extrêmes ont eu droit de cité. Il s’agit, notamment de l’interdiction pour les partis politiques de l’opposition d’accéder à leurs sièges pour y tenir leurs réunions ordinaires, de la dissuasion de manifestations par des rafles systématiques de passants dans la rue, d’arrestations arbitraires de supposés militants de l’opposition dans leurs domiciles, de la dissolution du Pastef, 60 ans après celle du PAI….
Si cette stratégie d’asservissement du citoyen a pu prospérer, c’est parce que le régime du Benno-APR a procédé à une instrumentalisation des institutions et à une criminalisation de l’activité politique, avec comme point culminant, la cabale contre le leader du Pastef identifié comme un des principaux obstacles à la perpétuation du système néocolonial. Des lois ont été perverties, de telle manière que les infractions relatives au terrorisme ont été rendues vagues et floues, pour en élargir l’acception, notamment l’article 279-1, assimilant à des actes terroristes, les violences ou voies de fait commises contre les personnes et des destructions ou dégradations commises lors des rassemblements. Il y a aussi eu les infractions liées aux technologies de l’information et de la communication. Cette législation liberticide sera corsée, au lendemain des émeutes ayant trait à l’affaire Ousmane Sonko – Adji Sarr. Au vu de ces rappels, on appréhende mieux cette obsession du pouvoir apériste à susciter et à entretenir une atmosphère de tension avec une interdiction systématique des manifestations doublée d’un déploiement massif et irréfléchi des forces de l’ordre suivi d’usage abusif de la force. C’est par ces prétextes et provocations, qu’on a embastillé, sans aucune enquête digne de ce nom, des milliers de jeunes gens présumés innocents, sans désigner un quelconque coupable pour tous ces crimes apparentés à des actes terroristes.
Force est de reconnaître, que face à cette réduction sans précédent des espaces civiques, les capacités de revendication, de protestation et d’indignation ont également diminué, avec une propension de larges secteurs de la société civile et de la presse à jouer à l’équilibrisme, se tenant à équidistance entre le bourreau et la victime. C’est donc dans une indifférence quasi-générale, que le régime du Benno-APR a reconduit, comme en 2019, le système inique du parrainage citoyen ainsi que l’éviction judiciaire de concurrents politiques et dénaturé notre processus électoral.
Adossé aux appareils sécuritaire et judiciaire et brandissant l’épouvantail d’un prétendu terrorisme salafiste, le président Macky Sall et les pontes du Benno-APR ont cru pouvoir prendre des raccourcis et s’exonérer de leurs tâches politiques dans un pays aux solides traditions démocratiques.
C’est ce qui explique cette monumentale bévue politique consistant à vouloir prolonger indûment un mandat arrivé à terme, sanctionnée par deux désaveux cinglants du juge électoral suprême qu’est le conseil constitutionnel. On assiste, depuis lors, à un repli désordonné de la coaltion Benno-APR, dont le patron s’est mué en « chantre de la réconciliation nationale », initiateur d’une « généreuse amnistie » votée le 6 mars 2024, avec une célérité, qui interroge sur l’unilatéralité du mode de prise de décision au plus haut sommet de l’Etat, qu’une certaine gauche fait semblant de ne découvrir que maintenant.
En réalité, le président actuel, écarté bien malgré lui, des prochaines joutes électorales par la limitation des mandats et échaudé par les exemples mauritanien et angolais, est en train d’assurer ses arrières. Mais il feint d’ignorer, qu’en garantissant l’impunité à ses collaborateurs zélés, surtout ceux coupables de graves et multiples violations des droits humains, il commet un affront à l’endroit des familles des victimes.
Électoralement et sociologiquement minoritaire, le Benno-APR, son candidat milliardaire et leurs affidés libéraux, socio-démocrates et ex-communistes ne sont plus en mesure de s’opposer à la profonde aspiration populaire au changement et à l’alternative politique tant attendue.
LES OPTIONS INCERTAINES DU PDS
Techniquement, la Cour suprême ayant rendu son verdict, le PDS n'a plus de voie de recours judiciaire pour contester le processus électoral. Néanmoins, le parti de l'ancien président Abdoulaye Wade ne s'avoue pas vaincu
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 18/03/2024
Alors que la Cour suprême a définitivement enterré les espoirs du Parti démocratique sénégalais (PDS) de voir la candidature de Karim Wade validée et le processus électoral refondu, la formation historique de l'opposition se retrouve dans une situation délicate à quelques jours du scrutin présidentiel, comme le relate Juliette Dubois pour RFI.
En coulisses, des discussions ont eu lieu ce week-end au sein du PDS pour déterminer la ligne à adopter. Selon un responsable du parti qui s'est confié à RFI, "une communication devrait être faite en début de semaine" pour officialiser la position du parti. Plusieurs options semblent se dessiner.
Techniquement, la Cour suprême ayant rendu son verdict, le PDS n'a plus de voie de recours judiciaire pour contester le processus électoral. Néanmoins, "le parti de l'ancien président Abdoulaye Wade ne s'avoue pas vaincu", assure ce cadre du PDS, qui souligne l'"important réservoir de vote" dont dispose la formation.
Autre inconnue, l'attitude à adopter vis-à-vis du candidat de la majorité présidentielle Amadou Ba. Ce dernier a tenté une ouverture en direction du PDS, évoquant des "valeurs et préoccupations communes". Mais cette main tendue est loin de faire l'unanimité au sein d'un parti qui accuse Amadou Ba d'avoir "corrompu des juges" pour écarter Karim Wade.
D'autres alliances pourraient également être envisagées alors que le PDS et la coalition Yewwi Askan Wi s'étaient unis aux législatives. En 2019, le parti n'avait donné aucune consigne de vote. Sur Twitter, Karim Wade a remercié ses soutiens et appelé à rester "mobilisés", laissant son père Abdoulaye Wade tracer la voie à suivre. Autant d'éléments qui promettent des prochains jours agités en coulisses au sein de cette formation clé de la démocratie sénégalaise.
par Madiambal Diagne
LE GROS COUP PERDANT DE MACKY SALL
Les Sénégalais sont médusés de découvrir un Ousmane Sonko qui, après sa sortie de prison, affiche un nouvel ami, en la personne du président. Je refuse de croire qu’il puisse être sincère
Le premier tour de l’élection présidentielle devait se tenir le 25 février 2024 mais, en fin de compte, il se tiendra le 24 mars 2024. Le Sénégal est passé, depuis le 3 février 2024, à des situations les plus périlleuses et l’incertitude subsiste. La classe politique continue à jouer avec le feu, et à nous faire peur.
C’est fou ! Ont-ils entrepris tout ça, pour se retrouver à l’arrivée avec Ousmane Sonko, Bassirou Diomaye Faye et leurs centaines de casseurs en liberté et même amnistiés, et le Pastef dissous ressuscité ? Ont-ils entrepris tout ça pour se retrouver avec Amadou Ba toujours candidat de Benno bokk yaakaar (Bby) et qui rallie les foules excitées de militants et de sympathisants ? Ont-ils entrepris tout ça pour se retrouver avec Karim Meïssa Wade et Ousmane Sonko, toujours hors de course pour la Présidentielle, parce qu’ils n’ont pas réussi à faire rebattre les cartes de la sélection des candidatures par le Conseil constitutionnel ? Ont-ils entrepris tout ça pour se retrouver avec la perspective que le président Macky Sall aura à quitter le pouvoir au terme fatidique de son mandat, à savoir le 2 avril 2024, et que le Conseil constitutionnel en arrive à devoir le lui rappeler ? Ont-ils entrepris tout ça pour se retrouver avec l’image on ne peut plus chahutée d’un président Sall alors qu’il n’y a guère, sa cote de popularité était au pinacle ? Le supplice de Macky Sall aura été de bien mesurer que nombre de ses «obligés» ne pouvaient plus le suivre dans la logique d’une hostilité absurde à l’encontre de son propre candidat Amadou Ba et qu’il s’est senti presque forcé de lui renouveler son soutien. Assurément, il lui devenait impossible de se mettre à la face du monde pour appeler à voter pour un autre candidat ! Au corps défendant de ses collaborateurs et camarades de parti, qu’il a pu percevoir comme des traîtres à sa personne, il ne leur a jamais clairement confié ses intentions de bouder la candidature de Amadou Ba, qu’il leur avait préalablement vendue publiquement avec force arguments. Peut-être qu’il appartenait aux autres de deviner ce que Macky Sall avait à l’esprit ! Ainsi, lui sera-t-il difficile de jubiler au soir d’une victoire de Amadou Ba s’il manque de s’afficher à ses côtés durant la campagne.
Une victoire de l’opposition serait également sa propre défaite. On semble vivre les mêmes situations qu’en France où l’histoire de la Vème République révèle parfois un manque d’enthousiasme débordant du président sortant en faveur de son poulain. François Mitterrand avait choisi du bout des lèvres Lionel Jospin contre Jacques Chirac en 1995, ou quand le même Jacques Chirac faisait le service minimum pour Nicolas Sarkozy en 2007 contre Ségolène Royal. Au Kenya, en 2022, Uhuru Kenyatta avait joué contre son propre camp, en choisissant de soutenir son opposant Raïla Odinga, au détriment de son propre vice-président William Ruto.
Chaque fleur de Ousmane Sonko pour Macky Sall est une insulte à la morale !
Les Sénégalais sont médusés de découvrir un Ousmane Sonko qui, après sa sortie de prison, affiche un nouvel ami, en la personne de Macky Sall. Désormais, il lui épargne ses féroces injures, ses diatribes et ses quolibets assassins, qui sont désormais exclusivement destinés au vilain Amadou Ba. Le leader de Pastef réhabilité, pousse l’indécence jusqu’à dire à ses troupes : «Il ne faut pas céder à l’émotion et il ne faudrait pas se tromper de combat, le Sénégal a encore besoin de la sagesse de Macky Sall, et Amadou Ba est de loin pire que Macky Sall.»
Je devine la gêne de Macky Sall à entendre ces propos ! En effet, je relate, dans mon livre paru en novembre 2023, Amadou Ba, la dernière marche, comment Macky Sall et son régime avaient fait payer à Amadou Ba d’avoir cherché à sauver la tête ou à protéger l’ancien jeune inspecteur des Impôts et domaines dont les activités syndicales et politiques donnaient du fil à retordre aux autorités de l’Etat. Tous les déboires de Amadou Ba aux côtés de Macky Sall tenaient à des accusations d’une supposée collusion avec Ousmane Sonko.
La famille de Ousmane Sonko devrait elle aussi vivre un certain malaise, notamment sa maman, Khady Ngom, qui n’a de cesse de témoigner de la reconnaissance à l’endroit de Amadou Ba pour diverses civilités ; ou son épouse Anna Diamanka dont la main a été demandée pour Ousmane Sonko, par Amadou Ba en personne. C’est sans doute qu’il fait dans de l’ironie cynique lorsque Ousmane Sonko tisse des lauriers pour Macky Sall. Je refuse de croire qu’il puisse être sincère ! Et comme aucune charge ne serait trop lourde pour la pauvre mule Amadou Ba, ce dernier qu’il a pourtant assez ménagé et même épargné depuis son entrée en politique, Ousmane Sonko le charge subitement et à volonté. A l’étape de Ziguinchor, il déclare sans sourciller : «Amadou Ba a tout fait pour que Diomaye et moi restions en prison. Amadou Ba a organisé toutes les attaques dont j’ai fait l’objet ces dernières années.»
La grande humiliation pour les victimes et toutes les personnes qui défendaient Macky Sall et/ou l’Etat du Sénégal contre Ousmane Sonko
Chercher à apaiser le Sénégal grâce à la libération des casseurs du parti Pastef et de leurs leaders est sans doute un calcul erroné. On ne le dira jamais assez, le Sénégal a été paisible durant tous les mois d’emprisonnement de Ousmane Sonko et de ses sbires. S’il y a eu une brève recrudescence d’actes de violences, le 9 février 2024, c’était justement parce que l’élection présidentielle, initialement prévue pour le 25 février 2024, avait été reportée, sans aucune raison qui a pu convaincre grand monde. Autrement dit, l’agression barbare, le 29 février 2024, contre la journaliste Maïmouna Ndour Faye, que tout le monde savait menacée par les troupes du parti Pastef, constitue indubitablement une conséquence dramatique de cette vague de libérations de groupes de fauteurs de troubles.
Qui a pensé aux victimes en amnistiant les terroristes ? On annonce recenser ces victimes pour des dédommagements payés par l’Etat. Dites-moi quelle est la responsabilité de l’Etat de voir des citoyens saccager les biens d’autres citoyens, les tuer, les blesser, les insulter et traîner leur réputation dans la boue. Avant que ses services ne finissent d’ailleurs de nous recenser, nous, les innombrables victimes, Macky Sall aura fini de quitter le pouvoir… Qui nous fixera un barème pour réparer nos peines, nos douleurs morales ? Les magistrats, policiers et gendarmes, qui ont rempli leur devoir de protection de l’Etat, se sentent humiliés. La situation sera encore plus regrettable si ces hordes de démolisseurs reprennent du service avec de sinistres actes contre les personnes, les biens privés et publics, mais surtout contre les institutions. A chaque fois qu’ils nous casseront la gueule, nous nous souviendrons que c’est Macky Sall qui nous aura laissés avec cette gangrène et qui se la coule douce dans son exil au Maroc. Que nous nous le tenions pour dit, Ousmane Sonko a déjà préparé ses gens à contester violemment les résultats d’une élection que Bassirou Diomaye Faye ne gagnerait pas !
Cette libération devrait-elle constituer un obstacle de plus sur la route de la campagne de Amadou Ba ? Tout porte à le croire, mais on peut leur trouver une certaine vertu. Si d’aventure les électeurs choisissaient Bassirou Diomaye Faye, ils le feraient en pleine connaissance de cause. Nul ne pourra invoquer avoir voté à l’aveuglette et ne rien savoir du candidat, de ses idées, de ses lacunes et carences, comme excuse ou circonstance atténuante. En effet, l’implication dans la campagne des principales têtes de file de la campagne «Diomaye Président» a permis de mieux mesurer l’impréparation et la vacuité du discours de ces personnes qui aspirent aux plus hautes fonctions. A chaque fois que leur poulain ouvre la bouche, bien des électeurs réalisent l’hérésie de songer à confier le destin du pays à un tel personnage. «Il aurait été peut-être mieux qu’il ne prenne plus la parole», regrette un membre du directoire de campagne. Finalement, les spin-doctors vont essayer de faire parler leur candidat le moins possible, pour lui éviter de proférer des énormités.
Gaffer est aussi le côté pittoresque d’une campagne électorale. Pas un mot de compassion pour les victimes décédées, mais Ousmane Sonko, narcissique et égocentrique à souhait, pousse l’indécence jusqu’à parler de son grand confort en prison avec une «suite» (présidentielle ?) qui a pu abriter des nuits de noces avec une nouvelle épouse, troisième du rang. Il ne nous apprend rien car tout Dakar avait pu voir à partir des appels vidéo du lugubre entremetteur malien, Ousmane Yara, la couleur rouge des fauteuils de la «Suite» pénitentiaire de Ousmane Sonko à la prison du Cap Manuel. Le pauvre Bassirou Diomaye Faye restait cloitré dans un 9 mètres carrés (Ousmane Sonko dixit) jusqu’à appeler au secours Amadou, le fils de Macky Sall ! C’est lui-même qui le dit. Le temps des confessions.
Ousmane Sonko, pour sa part, a révélé avoir discuté et demandé au président Macky Sall de rester au pouvoir. Il avoue donc faire partie du groupe de conjurés du report de l’élection présidentielle. Il acte ainsi publiquement son protocole du Cap Manuel, lui qui se gaussait des protocoles de Rebeuss ou de Doha, pour tourner en dérision ses rivaux Idrissa Seck, Khalifa Ababacar Sall et Karim Wade. Comme pour remuer le couteau dans la plaie, Ousmane Sonko et sa bande se considèrent comme des victimes et certains demandent à l’Etat des réparations. Ousmane Sonko avait attrait le Sénégal devant la Cour de justice de la Cedeao pour demander réparation de préjudices à lui causés, pour la rondelette somme de 1500 milliards de francs, à savoir 25% du budget annuel du pays.
Un beau bilan abîmé
«Quand on rate sa sortie, c’est aussi triste que de ne pas réussir sa mission» (Carlos Ghosn). On reprochera toujours à Macky Sall d’avoir cherché à torpiller le processus électoral, pour avoir demandé à sa majorité parlementaire et à son parti d’endosser toutes les initiatives de Karim Wade tendant à empêcher la tenue de l’élection présidentielle. Si cette élection aura pu se tenir, c’est parce qu’ils n’y ont pas réussi, freinés par des institutions fortes de l’Etat du Sénégal. Nous pouvons nous féliciter de ce qu’au Sénégal, un chef d’Etat, tout puissant qu’il puisse être, ne peut confisquer le processus démocratique. On l’avait observé avec Abdoulaye Wade en 2012, et une nouvelle fois avec Macky Sall en 2024. Seulement, on ne peut ne pas être en rage de constater que le président Macky Sall, qui avait réussi à se tailler la plus belle des images en Afrique et dans le monde, arrive à devoir raser les murs, simplement parce qu’il a tenté le mauvais coup de trop. Cela est d’autant plus regrettable que des amis ont eu à chercher à l’arrêter, pour ne pas dire à le sauver de lui-même et d’un entourage nocif. Quand on voit la qualité des personnels politiques qui ont voulu entonner avec lui la chanson du report de l’élection présidentielle, on réalise bien le grand niveau de fourvoiement. D’aucuns comme moi, pourront se consoler, considérant qu’il n’avait plus tous ses esprits. C’est sans doute une explication commode. Qu’à cela ne tienne !
LE CAMP ANTISYSTÈME RENFORCÉ
Libérés à quelques jours du scrutin, Sonko et Diomaye Faye sortent renforcés de leur long bras de fer avec le pouvoir selon les analystes. Portrait de deux opposants que trois ans de turbulences judiciaires ont finalement grandis
Les opposants antisystème Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye sortent renforcés de leur bras de fer de trois ans avec le président sénégalais Macky Sall, à l'issue de leur libération dans la nuit de jeudi à vendredi, selon les analystes et observateurs politiques interrogés par TV5MONDE et l'AFP.
"On est en train de vivre un tournant décisif", estime le politologue Maurice Dione, pour qui la libération des deux opposants, à seulement 10 jours du premier tour de l'élection présidentielle, ne peut que renforcer leur image et leur camp antisystème. "Les Sénégalais ont une culture démocratique forte et les institutions ont prouvé leur résilience", ajoute-t-il, pointant "une erreur politique grave" du chef de l'État dans sa volonté de "réduire l'opposition à la plus simple expression".
Alassane Beye, enseignant-chercheur en sciences politiques à l'université de Saint-Louis, relève quant à lui "l'ingéniosité" et la "capacité de résilience politique" de la galaxie Sonko, qui a su "diversifier les options" en présentant finalement Bassirou Diomaye Faye comme candidat après le rejet de la candidature de Sonko. "Au Sénégal, les hommes politiques qui ont subi beaucoup d'injustices se trouvent plébiscités", estime Maurice Dione, évoquant le fait que Sonko et Faye pourraient bénéficier d'"une rente victimaire" capable de changer l'issue du scrutin.
Depuis 2021, Ousmane Sonko a fait l'objet de plusieurs poursuites judiciaires qu'il a toujours dénoncées comme des complots du pouvoir. Ses procès ont donné lieu à des troubles ayant fait des dizaines de morts et conduit à des arrestations massives de ses partisans. Placé en détention en juillet 2023 pour "appel à l'insurrection" alors qu'il comptait parmi les favoris de la présidentielle, son numéro deux Bassirou Diomaye Faye a été à son tour détenu depuis avril 2023 pour "outrage à magistrat".
Les deux opposants ont finalement été libérés dans la nuit de jeudi à vendredi en vertu d'une loi d'amnistie controversée adoptée par l'Assemblée nationale sur proposition de Macky Sall. Pour Gilles Yabi, fondateur du groupe de réflexion Wathi, "ils sortent au milieu de la campagne électorale et ça les renforce", d'autant que Bassirou Diomaye Faye est libéré "sans condamnation". Ousmane Sonko, dont les procès ont valu condamnation, voit quant à lui "ses affaires relever d'un acharnement politique", selon l'analyse de Gilles Yabi.
Capable de mobiliser de larges foules, en particulier parmi la jeunesse citadine, Ousmane Sonko pourra désormais "peser sur la campagne", juge Gilles Yabi. Autre atout pour le camp antisystème, la fin de l'"inégalité de traitement" dont a fait l'objet Bassirou Diomaye Faye pourra lui permettre de retrouver le temps d'antenne qui lui avait été retiré à la télévision nationale. Bénéficiant de "l'effet Sonko", le candidat Faye est même cité parmi les favoris du scrutin.
Pour Seydi Gassama, directeur d'Amnistie internationale Sénégal, "ces libérations vont permettre une campagne plus apaisée" après les tensions des derniers mois liées aux poursuites judiciaires. Elimane Kane, membre du collectif Aar Sunu Election, déplore pour sa part "un très grand gâchis" et "les traumatismes" causés par "les dizaines de morts, le développement de la haine" dans ce bras de fer avec le pouvoir.
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UN PRÉSIDENTIALISME SCLÉROSÉ
L'universitaire Ndeye Astou Ndiaye livre sur les ondes de Sud FM, un réquisitoire cinglant contre le système politique sénégalais actuel. Elle insiste sur la nécessité impérieuse d'une refondation globale au soir du 24 mars
A une semaine du scrutin présidentiel, l'émission Objection de Sud FM a reçu ce dimanche 17 mars une invitée au timbre singulier. Ndeye Astou Ndiaye, docteure en sciences politiques et maîtresse de conférences, a livré un réquisitoire cinglant contre le système politique sénégalais actuel.
Dans son plaidoyer, ce membre du Collectif des universitaires pour la démocratie a déploré le présidentialisme hypertrophié qui gangrène selon elle les institutions. "On nous a montré les limites du régime présidentialiste avec le blocage du processus électoral", a-t-elle asséné, déplorant une "imbrication des institutions" au profit d'un homme providentiel.
Si elle a salué le rôle du Conseil constitutionnel qui a permis la poursuite du processus, l'universitaire ne s'est pas cantonnée à l'actualité électorale. Elle a insisté sur la nécessité impérieuse d'une refondation globale du système au soir du 24 mars.
Selon l'invitée de Baye Omar Guèye, cette refonte devra s'appuyer sur un diagnostic sans concession des maux qui rongent le Sénégal contemporain : délitement du lien de confiance, école publique en lambeaux, jeunesse délaissée, justice dévoyée... Des maux qui selon Ndeye Astou Ndiaye auraient pour origine une "rupture avec nos valeurs sociétales et notre philosophie humaniste".
CLARIFICATION SUR LE PROJET DE RÉFORME MONÉTAIRE DE SONKO
Alors que la question monétaire agite la campagne, Ousmane Sonko répond aux détracteurs de l'idée d'une monnaie nationale. Le candidat dévoile sa proposition réelle: une monnaie unique pour la CEDEAO, avec le Sénégal en plan B si les réformes échouent
L’annonce, dans le programme du candidat Bassirou Diomaye Faye, de la création d’une monnaie nationale a soulevé un tollé au Sénégal et au-delà, suscitant soit la réprobation d’économistes ou la dérision d’adversaires qui mettent en avant les acquis du franc Cfa tout en soulignant les réformes que cette monnaie commune doit connaître.
Ce vendredi 15 mars, Ousmane Sonko a donc évoqué l’une des réformes phares de leur programme consacrée à la sortie du FCFA. Le maire de Ziguinchor a notamment fait savoir que cette perspective s’inscrit dans une approche sous-régionale qui devrait permettre d’aboutir à une monnaie unique pour l’ensemble des pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.
« Si nous n’arrivons pas à impulser les réformes au niveau communautaire, nous prendrons la responsabilité de doter le Sénégal de sa propre monnaie », a-t-il déclaré. Il a également précisé que les dernières recommandations concernant ce point n’ont été prises en compte dans le programme mis à la disposition du public samedi 9 mars.
AFRICAN INITIATIVE, LA NOUVELLE TÊTE DE PONT DE LA PROPAGANDE RUSSE EN AFRIQUE
Alors que le chef du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, est décédé en août 2023, entraînant le démantèlement de sa structure de mercenaires, la Russie semble avoir créé une nouvelle organisation pour poursuivre ses ambitions sur le continent africain
Alors que le célèbre chef du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, est décédé en août 2023, entraînant le démantèlement de sa structure de mercenaires, la Russie semble avoir créé une nouvelle organisation pour poursuivre ses ambitions sur le continent africain. Baptisée African Initiative, cette agence de presse basée à Moscou s'impose progressivement comme la tête de pont d'une stratégie de communication et d'influence continuée, selon une enquête du quotidien Le Monde.
L'un de ses principaux représentants n'est autre que Viktor Lukovenko, un ancien collaborateur d'Evgueni Prigojine qui parcourt le continent depuis des mois. Sur sa chaîne Telegram "Smile & Wave" suivie par 9500 personnes, cet Ouzbek de 39 ans se met régulièrement en scène lors de voyages au Sénégal, au Burkina Faso ou au Niger. Selon le Département d'État américain, "certains membres d'African Initiative ont été recrutés dans les entreprises en désintégration de feu Prigogine".
Officiellement présentée comme une "agence de presse russe" observation les événements africains, la structure serait en réalité chargée, comme l'était autrefois Wagner, de diffuser de la propagande pro-russe sur le continent. African Initiative est accusée d'avoir "répandu de la désinformation sur les États-Unis et les pays européens", en partenariat avec les services de renseignement russes. L'un de ses premiers récits serait de colporter la rumeur que les Occidentaux mènent des "expériences biologiques" en Afrique, dans la lignée d'anciennes théories complotistes du KGB.
Selon une enquête du média russe independent The Insider, le rédacteur en chef d'African Initiative, Artyom Kureev, serait un membre actif du FSB, les services secrets russes. Interrogé par Le Monde, il a nié travaillé pour un tel organisme. Toujours est-il que son organisation s'emploie activement à étendre son emprise sur le continent. Présents au Burkina Faso, Niger et Mali gouvernés par des juntes pro-russes, ses membres annoncent par exemple l'arrivée de "mercenaires russes" d'Africa Corps à Ouagadougou en janvier dernier.
Signe de son ambition ? Une association du même nom, vantant l'"amitié russo-burkinabée", a été créée à Ouagadougou, avec des liens manifestes à African Initiative. Viktor Lukovenko a lui-même été aperçu lors de certains événements qu'elle organise. Comme par le passé, la structure semble œuvrer méthodiquement au recrutement d'influenceurs locaux, afin de servir la propagande du Kremlin et asseoir toujours plus la présence russe sur le continent africain.