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27 novembre 2024
Opinions
Par Mohamed GUEYE
REVOIR L’AMENAGEMENT DE NOS VILLES
Les rapports des corps de contrôle financier mettent en avant le boom immobilier qui saisit le Sénégal, comme étant un élément de blanchiment d’argent. La configuration spatiale de la capitale presqu’île fait que, faute de place, les immeubles poussent ..
Depuis des années, les rapports des corps de contrôle financier, mettent en avant le boom immobilier qui saisit le Sénégal, comme étant un élément de blanchiment d’argent. Des dossiers ont même atterri sur la table du procureur. Cela n’empêche pas les villas de se transformer en gratte-ciel à Dakar et ses quartiers résidentiels. La configuration spatiale de la capitale presqu’île fait que, faute de place, les immeubles poussent de plus en plus haut, même dans des quartiers dits populaires.
Cela a un effet sur l’aménagement du territoire. La demande est si forte sur le foncier urbain, que des ménages moins aisés de la Médina, de Grand-Dakar, des Hlm GrandYoff et j’en passe, vendent leurs parcelles et se cherchent un logement dans la plus lointaine banlieue, dans les communes du département de Rufisque, ou même plus loin. Avec les autoroutes à péage, Illa Touba et Autoroute de l’avenir, les distances ont été fortement raccourcies, cela avec l’appoint du Train express régional (Ter). Ces nouvelles habitations en hauteur sont fortement recherchées par ceux qui peuvent se le permettre, car elles leur permettent de résider non loin des centres de décision et des milieux des affaires. Malheureusement, il ne semble pas que les pouvoirs publics aient tenu compte de la nouvelle configuration que cela entraîne.
Dakar est connue, depuis les indépendances, pour l’étroitesse de ses rues. Quand les habitations ne dépassaient pas les R+1, les familles disposaient de cours spacieuses pour les loisirs, et les fonctionnaires pouvaient facilement garer leur véhicule, pour ceux qui en avaient. Avec les nouvelles concentrations, la naissance de nouveaux quartiers à l’aménagement précaire, les ruelles non goudronnées sont devenues banales, même dans de beaux quartiers. Les voies sont tracées selon les caprices des riverains dont peu respectent le plan originel. Cela donne des chemins où deux véhicules ne peuvent pas se croiser de front sans que l’une ne se pousse de côté. Quant aux piétons, quand les trottoirs existent, ils doivent les céder aux véhicules en stationnement, ou à des vendeurs de rue. Et les piétons se retrouvent à slalomer entre les véhicules en circulation.
S’il ne s’agissait que de cela encore… Le plus grave est que ces nouvelles habitations n’ont pas incité les aménagistes ou les pouvoirs publics à redimensionner les systèmes d’assainissement et d’évacuation des eaux usées à la mesure des nouveaux habitants. Pas étonnant que l’on voie, dans des quartiers dits chics, des égouts qui pètent et laissent échapper parfois pendant plusieurs jours, leur contenu sur la chaussée.
Tout cela se passe au vu et au su des autorités compétentes dont on ne voit pas les mesures qu’elles prennent pour améliorer les choses. La conséquence en est qu’au moment où Dakar devait s’embellir de toutes les nouvelles constructions et de nouvelles artères qui sortent de terre, la circulation y est infernale et la vie de plus en plus coûteuse. Dans chaque rue ou presque, des jeunes gens de tous âges jouent à la balle à leurs moments de loisir, rendant encore plus difficiles la circulation automobile et la cohabitation entre voisins. La faute étant aux grands architectes qui cherchent à faire disparaître toute végétation de la capitale. Les espaces verts semblent être prohibés. Si les riverains manquent de vigilance, les promoteurs qui ont vendu les terrains, sont les premiers à vouloir transformer les espaces publics en terrains à vendre. Des cas sont tellement nombreux qu’il serait inutile de les énumérer ici.
Et il semble difficile de leur faire le reproche, quand les pouvoirs publics ne donnent pas le bon exemple en ce domaine. Il suffit de prendre la «nouvelle ville de Diamniadio» pour voir que l’Etat ne fait pas mieux que les privés en la matière. Etablie de part et d’autre d’une autoroute à très grande vitesse, Diamniadio n’a compté pendant plusieurs années, qu’une seule passerelle pour relier les deux côtés. D’ailleurs, la seconde passerelle n’est toujours pas achevée. Comme ne sont pas terminés les travaux de Vrd. Ce qui fait que sur certains grands immeubles de la «ville», les occupants sont encore obligés de faire appel à des camions citernes pour vider leurs fosses septiques. Et personne ne se pose la question de savoir où ces camions vont vider leur contenu, puisqu’il n’y a pas de station de transformation dans la zone, hormis celle de Cambérène, qui a déjà atteint son niveau de saturation. Pourtant, il suffirait de s’éloigner de quelques mètres dans la broussaille alentour pour voir ce que deviennent ces détritus déposés à l’air libre, avec les effets que l’on peut imaginer sur la santé des riverains.
Nous parlions d’asphalte et de goudron pour Dakar, un peu plus haut. A Diamniadio également, en dehors de larges artères que les regards des autorités croisent en se rendant au Cicad, les voies asphaltées se comptent sur les doigts d’une main. De même que le réseau électrique, pour une ville appelée à se développer, dépend encore de la centrale de Rufisque, qui suffit à peine pour cette cité. On peut se demander à quel point ces manquements jouent dans le retard enregistré dans l’expansion et le développement de la fameuse nouvelle ville. Manquements auxquels il faudrait ajouter, pour les habitants, le manque de système scolaire pour leurs enfants, l’inexistence de commerce de proximité pour les ménagères, un système de santé, ou même… un cimetière. D’autant plus que, en attendant le gaz, ils peuvent inhaler les émanations de la centrale à charbon de Bargny, située à moins de 2 km à vol d’oiseau. Le Sénégal compterait actuellement un peu plus de 18 millions d’habitants, très jeunes en majorité. Les problèmes notés ici vont aller croissant dans les années à venir, quand ces jeunes atteindront l’âge adulte. Va-t-on les laisser les résoudre en ce moment, alors qu’ils devraient plutôt s’occuper des générations à venir après eux ? La responsabilité des Etats est de favoriser l’embellissement du cadre de vie des populations, pour leur permettre de travailler et de bénéficier des moments de loisir. Notre cadre de vie pour le moment à Dakar, tourne plutôt au cadre de stress.
Texte Collectif
IL NOUS FAUT SORTIR LE PROCESSUS DE DECOLONISATION DE L’ORNIERE
En réponse aux crises récurrentes de l’impérialisme français, des changements interviennent sporadiquement afin d’en préserver l’essentiel. Paris doit annoncer un retrait militaire complet et une sortie inconditionnelle du franc CFA
Alors que se tient un bref débat à l’Assemblée nationale puis au Sénat, sur la politique africaine de la France, un collectif appelle à « s’attaquer à l’armature institutionnelle et culturelle du colonialisme français » et à cesser de focaliser l’attention sur des réformes minimalistes. « Il nous faut sortir du processus de décolonisation de l’ornière dans laquelle il a été poussé au moment des indépendances africaines. Paris doit annoncer un agenda de retrait militaire complet et de sortie française inconditionnelle du franc CFA. »
Un bref débat sans vote, en fin d’après-midi à l’Assemblée nationale puis au Sénat : voilà ce que la République française propose de mieux, en matière de débat démocratique, sur sa politique africaine – au moment même où celle-ci connaît une contestation populaire sans précédent depuis la période des indépendances en Afrique et où l’armée française tente vaille que vaille de retirer son matériel et ses soldats du Niger.
Dans une tribune publiée en janvier 2020 à l’occasion du Sommet de Pau, emblématique de l’incapacité des autorités françaises à penser leur rôle autrement qu’avec l’orgueil qu’implique une posture coloniale, nous prévenions : la présence militaire française au Sahel, prétendant apporter une « vaine solution militaire à des problèmes politiques et sociaux » ne pouvait que nourrir ce qui commençait à être qualifié de « sentiment «anti-français» » dans les rédactions parisiennes et couloirs du Quai d’Orsay. Un an plus tard, l’aviation française bombardait les abords du village malien de Bounti, tuant une vingtaine de civils qu’elle prétend toujours être des « terroristes », en dépit des conclusions inverses de l’ONU. Deux mois après, les intérêts français étaient pris pour cibles dans des émeutes au Sénégal. En novembre 2021, il y a deux ans quasi jour pour jour, une colonne militaire destinée à ravitailler l’opération Barkhane était bloquée par une foule hostile : d’abord au Burkina Faso puis au Niger, où l’armée française se dégageait en ouvrant le feu. Elle est accusée d’avoir tué trois personnes et mutilé une dizaine d’autres manifestants – un crime colonial qu’elle nie comme tant d’autres.
« La montée d’un sentiment «anti-français» n’a rien d’étonnant, écrivions-nous : il s’agit en somme d’un sentiment antiFrançafrique. »
La Françafrique, enterrée tellement de fois
Le putsch au Niger et le bras de fer diplomatique qui a suivi ont ravivé cette question lancinante du néocolonialisme français dans la région. Mais le président français ne se démonte pas : « le temps de la Françafrique est révolu, je vous le confirme », affirme-t-il dans une interview fin août, après l’avoir dit en mars depuis le Gabon. Sa ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna lui emboite le pas début septembre, en assénant que « la Françafrique est morte depuis longtemps ». D’innombrables commentateurs leur donnent raison, à commencer par l’historien Achille Mbembe, devenu depuis 2021 un zélé ambassadeur de la politique africaine d’Emmanuel Macron. A chaque fois, les formules sont efficaces et marquent les esprits : la Françafrique, terme qui paraît aussi poussiéreux aujourd’hui qu’il semblait encombrant par le passé, relève à fortiori de l’histoire ancienne. Mais alors pourquoi ressort-ils ans cesse de sa boîte ? Ironie du sort, c’est Gérard Araud, ex-ambassadeur de France auprès de l’ONU au moment notamment de deux interventions militaires emblématiques de la Françafrique sous Sarkozy, en Libye et en Côte d’Ivoire, qui alerte contre ce discours tautologique. Dans une tribune publiée début août, il souligne l’importance de « cette Françafrique dont tout nouveau président annonce la fin dès son élection comme s’il ne se rendait pas compte que cette répétition rituelle prouvait qu’elle avait survécu à ses prédécesseurs et lui survivrait sans des mesures radicales qui ne sont jamais venues »
Mais disons l’évidence, puisque c’est le faux procès auquel on s’expose : la Françafrique des années 2020 n’est pas le clone de celle des années 1960 ou des années 1990. Inutile donc d’insister sur les différences avec l’époque de l’ancien président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, à qui la paternité du mot est d’ailleurs attribuée à tort. Ce qu’il convient de regarder, c’est ce qui s’est perpétué.
Certes, le néocolonialisme français est aujourd’hui bousculé par le regain de contestation populaire auquel on assiste, amplifié par les réseaux sociaux – et encouragé par des puissances concurrentes, ce qui n’a rien de nouveau. Il est évidemment inédit depuis soixante ans que la France connaisse simultanément un recul dans trois pays africains voisins, tel un large trou dans la carte habituelle de l’influence française. Mais ce que l’histoire franco-africaine nous montre (1), c’est qu’en réponse aux crises récurrentes de l’impérialisme français, des changements interviennent sporadiquement avec pour effet, justement, d’en préserver l’essentiel.
Reprendre la décolonisation
Ceux qui brandissent l’incapacité de Paris à faire rentrer dans le rang les putschistes nigériens comme nouvelle preuve irréfutable de la fin de la Françafrique oublient un peu trop vite que l’histoire a souvent emprunté des méandres. Ils se leurrent en pensant que la France a toujours maîtrisé parfaitement le cours des événements et en omettant que c’est justement face à des déconvenues qu’elle a régulièrement modifié sa politique africaine pour ne pas être pleinement poussée vers la sortie. Elle a particulièrement bien réussi à le faire au moment des indépendances, préemptées avant même d’être accordées. Elle a continué à le faire depuis par une succession de réformes. En dépit des événements des dernières semaines, le pouvoir macronien fait le pari que cette stratégie peut encore payer.
Bien que l’arrogance française ait servi de paratonnerre aux putschistes depuis fin juillet au Niger, la politique d’Emmanuel Macron donne encore à voir un puissant système d’influence, auquel contribuent des élites africaines et qui en bénéficient en retour – une constante depuis les prémices de la Françafrique. La France n’a jamais été un deus ex machina intervenant en déconnexion voire en contradiction avec l’ensemble des forces internes d’un pays ou d’une sous-région. Elle a toujours tenté de manœuvrer au mieux selon ses intérêts, grâce à des leviers de pouvoir dont la pérennité depuis soixante-cinq ans est en réalité sidérante : la présence militaire multiforme, le franc CFA, la mal nommée « aide au développement », l’influence culturelle et linguistique, la fabrique d’une légitimité politique pour les dirigeants alliés… Autant d’« outils [...] dorénavant désuets », selon Achille Mbembe, qui reconnaît tout de même ainsi, en creux, la perpétuation des principaux attributs de la puissance française en Afrique. « Le temps est peut-être venu de s’en débarrasser, et en bon ordre », suggère-t-il : chiche !
Plutôt que de focaliser l’attention sur des réformes minimalistes, comme la mutation du franc CFA d’Afrique de l’Ouest fin 2019 ou l’annonce en février dernier de l’évolution des bases militaires permanentes, il est temps de s’attaquer à l’armature institutionnelle et culturelle du colonialisme français. C’est devenu une évidence : il nous faut sortir du processus de décolonisation de l’ornière dans laquelle il a été poussé au moment des indépendances africaines. Mener à bien ce processus sera long, mais deux étapes minimales sont d’ores et déjà évidentes : Paris doit annoncer un agenda de retrait militaire complet (bases, opérations extérieures, coopérants détachés) et de sortie française inconditionnelle du franc CFA
(1) Voir T. Borrel, B. Collombat, A. Boukari-Yabara, T. Deltombe (Dir.), Une histoire de la Françafrique. L’Empire qui ne veut pas mourir, Points Histoire, 2023.
Signataires : Boubacar Boris Diop, écrivain, Sénégal ;
Patrice Garesio, co-président de Survie, France ;
Demba Karyom Kamadji, syndicaliste, Tchad ;
Eric Kinda, Porte-parole du Balai citoyen, Burkina Faso ;
Younous Mahadjir, syndicaliste, Tchad
Issa Ndiaye, universitaire et ancien ministre, président du Forum civique Mali,
Jacques Ngarassal Saham, Coordinateur de Tournons la Page-Tchad ;
Ndongo Samba Sylla, économiste, Sénégal
Par Idriss Maham
DE L’URGENCE DE REPENSER LE SYSTÈME DES BOURSES AU SÉNÉGAL
Cette année, le Sénégal compte environ 270 000 étudiants et seulement 2400 enseignants-chercheurs, soit un triste ratio de 112 étudiants pour un professeur. Pour le budget du MESR cette année, ce taux d’encadrement n’est pas adéquat…
Cette année, le Sénégal compte environ 270 000 étudiants et seulement 2400 enseignants-chercheurs, soit un triste ratio de 112 étudiants pour un professeur. Pour un budget du MESR avoisinant les 347 milliards de FCFA cette année, ce taux d’encadrement n’est pas propice à la transmission de savoirs encore moins la production de savoirs qui est et demeure la principale mission de toute Université. En effet, tel que nous le rappelions dans une précédente réflexion, qu’il s’agisse d’innovations techniques, technologiques ou de nouvelles approches en économie ou dans l’organisation du travail, in fine, il est attendu que l’université ne se contente pas (seulement) d’enseigner, mais de répondre chaque jour et de façon concrète aux défis de la communauté et améliorer son bien-être. C’est ainsi qu’elle gagne son prestige et sa légitimité. Au vu de nos maigres moyens, ce budget est relativement important et appelle à une rationalisation, notamment pour ce qui a trait aux bourses lorsqu’on fait abstraction des autres défis structurels (adéquation de l’offre de formation, recrutement des professeurs de la relève, qualité enseignement, moyens de la recherche, équipements, etc.). Le déficit de politiques publiques pour l’équité sociale (sur la base des revenus familiaux très mal calculés dans le pays) et d’autres défaillances dans la prise en charge des inégalités par l’État viennent renforcer le sentiment que les bourses offertes relèvent de la justice sociale et qu’il faut donc les pérenniser, les sanctuariser sans aucune remise en question.
Ainsi donc, au Sénégal, toucher aux bourses, c’est se fourrer dans un sale guêpier. C’est prendre le risque de se mettre à dos les étudiants et déclencher des grèves déchainées, car les bourses sont considérées comme un acquis, un droit naturel, un butin de guerre indispensable à la «survie». Il est de notoriété publique que la vie des étudiants est un enfer et que les bourses offrent la possibilité de se consacrer pleinement aux études sans trop se soucier des contraintes financières. Cependant, il est grand temps d’oser repenser ce «système» au grand bénéfice réel du mérite, de la réussite, de l’excellence et de la production de savoirs. Il ne s’agit pas d’un appel à l’usage de la «tronçonneuse» pour réformer le système. Bien au contraire. Il est fondamental, au vu des enjeux et des équilibres à sauvegarder, d’ouvrir le dialogue avec les acteurs et de procéder à des réformes progressives et étalées sur un quinquennat. En effet, selon les chiffres de 2022, l’État du Sénégal dépense chaque année une fortune de plus de 61 milliards de francs en bourses d’études distribués à quelque 100 000 étudiants avec des critères peu contraignants et essentiellement basés sur les performances au baccalauréat. Outre cette dépense faramineuse, l’Etat dote les Universités sans contrepartie de résultats explicites plus de 74 milliards de francs CFA dont la moitié revient directement à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Il existe également une autre ligne de dépense intitulée «œuvre sociale» dont la nomenclature peut porter à confusion tant elle peut être assimilée aux bourses. Sa valeur dépasse les 35 milliards (chiffres de 2022) et toujours à destination des universités.
L’État du Sénégal dans son PSNRI (Plan stratégique national pour la recherche et l’innovation) dit vouloir ériger la recherche et l’innovation en catalyseurs du développement durable, de l’industrialisation et de l’entrepreneuriat pour un Sénégal émergent à l’horizon 2035. La question des bourses est brièvement évoquée dans le plan stratégique et s’oriente plutôt sur la promotion des STEM avec une «emphase» sur la nécessité de supporter les filles dans les filières scientifiques. Il est alors fondamental d’aller au-delà des vœux pieux et des souhaits en repensant la redistribution des bourses et en conditionnant leur octroi au respect de l’esprit de la mission de l’Université : produire des connaissances. Pour ce faire, on peut partir du principe que les 3 premières années de Licence constituent une phase d’accumulation de savoirs tandis que les deux années de Master et les trois années de Doctorats représentent la véritable phase de production de savoirs. Ainsi donc, il serait pertinent de réserver les bourses exclusivement aux étudiants inscrits en Master et au Doctorat avec des obligations de résultat.
Tout étudiant régulièrement inscrit en Master devrait pouvoir bénéficier d’une bourse minimale de 150 000 Fr CFA mensuelle durant 2 ans pour un total budgétaire de 3 600 000 Fr CFA assorti d’un montant de 1 800 000 Fr CFA représentant la réserve en cas de redoublement et/ou l’aide à la participation à des activités scientifiques (congrès, symposium, conférence, stage technique, etc.) dans la sous-région. En prenant pour référence l’année 2022 où il y’a eu 14 400 étudiants inscrits en Master, cet investissement représente un budget annuel d’environ 26 milliards de francs CFA. Tout étudiant régulièrement inscrit au Doctorat devrait pouvoir bénéficier d’une bourse minimale de 250 000 Fr CFA mensuelle durant 3 ans pour un total budgétaire de 9 000 000 francs CFA fermes assortis d’un montant de 1 0 000 000 Fr CFA à but unique d’aide à la participation à des activités scientifiques (congrès, symposium, conférence, stage technique, etc.) dans la sous-région. La délivrance du diplôme doit systématiquement être conditionnée à la publication de deux articles dans des revues internationales à comité de lecture ou d’un livre chez une liste d’éditeurs d’exception ou lorsque cela ne s’applique pas, à toute équivalence pertinente. En prenant pour référence l’année 2022 où il y’a eu 6329 doctorants inscrits, cet investissement représente un budget annuel d’environ 19 milliards de francs CFA.
Le cout global de cette réorientation et redistribution des bourses envers les niveaux de production de savoirs représente environ 45 milliards de francs CFA, soit 74% du budget (61 milliards) des bourses en 2022. Les 16 milliards restant de ce budget (26%) peuvent être ventilés dans des bourses d’excellence thématique en licence (variable selon les intérêts stratégiques du pays), dans des bourses études-sports thématiques en licence (variable selon les intérêts stratégiques du pays), dans des bourses de formation professionnelle post-bac thématique (variable selon les intérêts stratégiques du pays) et enfin dans des bourses sociales destinées aux personnes atteintes de maladies chroniques, aux handicapés physiques ou aux orphelins avec cette fois une bonification exceptionnelle au nom de l’égalité des chances. Pour en saisir la faisabilité, il convient d’analyser cette proposition en tenant en compte de la perte annuelle dans le système des bourses (dossiers fictifs, douteux ou conflictuels, etc.) qui est estimée à plus de 11 milliards de nos francs. Il est utile également de préciser que les chiffres de 2023 font état d’un budget de plus de 90 milliards de francs pour les bourses.
Répétons-le une dernière fois, l’université est un haut lieu de compétition des idées dédiée exclusivement à la production de savoirs. Est-il nécessaire de paraphraser Lincoln ? Oui ! : Si vous pensez que l’éducation coute cher, essayez l’ignorance !
LE CHEMIN DE RABAT…
Ça fait longtemps qu’on n’a pas entendu le terme : rabat d’arrêt. Il a été d’ailleurs plus familier aux Sénégalais avec Karim Wade, puis Khalifa Sall en 2019. Que ce fut long ce voyage avant d’atterrir à la Cour suprême.
Ça fait longtemps qu’on n’a pas entendu le terme : rabat d’arrêt. Il a été d’ailleurs plus familier aux Sénégalais avec Karim Wade, puis Khalifa Sall en 2019. Que ce fut long ce voyage avant d’atterrir à la Cour suprême. Les deux n’en ont pas été bien servis. Sonko a décidé, lui aussi, de prendre le chemin de rabat… d’arrêt. Après des escales au Tribunal de Ziguinchor, à la cassation, au Tribunal d’instance de Dakar… C’est un rabat et des arrêts.
par Francis Laloupo
BURKINA FASO, LE TOURNANT DESPOTIQUE
Les burkinabè assistent à l’irrésistible ascension d’un homme, bien plus soucieux de construire sa propre légende que de restaurer l’intégrité du territoire national largement investi par une kyrielle d’entités armées non étatiques
Alors que les résultats de la lutte contre leterrorisme se font attendre, le capitaine Ibrahim Traoré, président de la transition, met en scène sa propre personne et déploie un agenda de confiscation durable du pouvoir d’Etat. Entre répression méthodique des oppositions et tentation despotique, un système qui change le visage du Burkina Faso…
Début novembre, le capitaine Ibrahim Traoré, homme fort du coup d’Etat du 30 septembre 2022, a énoncédans un communiqué ce qui peut être considéré comme la ligne directrice de son régime. Selon le président de la junte dénommée « Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) », « les libertés individuelles ne priment pas sur celles de la nation, car une nation ne se construit pas dans l’indiscipline et le désordre ».Des propos qui interviennent dans un contexte marqué par une charge décomplexée du pouvoir militaire contre les droits humains dans un pays où la société civile avait, en 2014, engagé une fière reconquête des espaces de liberté et de démocratie. Le jeune capitaine âgé de 35 ans semble bien décidé à faire table rase de tout ce qui, il y a peu encore, participait de la construction d’un Etat de droit, garant de l’expression des libertés collectives et individuelles. Au fil des mois, depuis le coup d’Etatde septembre 2022 qui intervenait, tel un « putsch dans le putsch », après celui dirigé huit mois plus tôt par le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba, les burkinabè assistent à l’irrésistible ascension d’un homme, bien plus soucieux de construire sa propre légende que de restaurer l’intégrité du territoire national largement investi par une kyrielle d’entités armées non étatiques.
N’hésitant pas à convoquer grossièrement Thomas Sankara dans ses discours, le capitaine putschiste Ibrahim Traoré familièrement appelé « IB », stimule un véritable culte de sa personnalité. En cela, il peut compter sur des thuriféraires exaltés qui ont privatisé la rue pour exprimer leur fanatique adhésion à une suspecte promesse de « révolution ». Adepte d’un pouvoir autoritaire et exclusif, l’inénarrable « Che Guevara » de Ouaga déploie une politique de répression systématique à l’encontre de tout citoyen soupçonné de remettre en cause la volonté présidentielle. Et, considérant que tous les burkinabè sont devenus indistinctement et uniformément desindividus au service de son projet, il précise dans un communiqué que « celles et ceux qui ont des propositions peuvent les reverser à mon cabinet. »On notera qu’il s’agit de s’adresser, non pas au gouvernement ou toute autre autorité, mais à « son » cabinet. Et tout cela, au nom, dit-il, d’une « guerre imposée à notre génération ». Au nom d’une lutte contre le terrorisme dont les résultats semblent s’éloigner, à mesure que le nouveau Conducator de Ouaga s’extasie dans la contemplation de sa propre personne…
Un régime ayant vocation à durer
L’homme qui se veut providentiel s’est auto-investi d’une mission : celle de faire émerger un être nouveau, un burkinabé soumis au système qu’il dirige, exigeant « ordre et discipline ». On pourrait en conclure à la simple caricature, si cela ne mettait pas en danger les fondements d’un pays dramatiquement meurtri par l’insécurité et les offensives de groupes armés qui ont réussi à faire reculer l’autorité de l’Etat sur près de la moitié du territoire. On pourrait aussi en sourire si tout le théâtre auquel se livre le capitaine IB ne servait, ni plus ni moins qu’à créer les conditions d’une transition à durée indéterminée. Ce qui conduirait à imposer un pouvoir de fait, tirant un succédané de légitimité d’une indéfinissable « voix du peuple » qui se défie de la vertu des élections et des choix démocratiques. Fort de ses raisons populistes, un tel régime aurait vocation à durer. C’est en tout cas le projet du capitaine putschistedevenu un dispensateur de leçons de bonnes pratiques et de conduite citoyenne. Ibrahim Traoré s’était même fendu d’une leçon de « souveraineté » à l’adresse de ses homologues africains présents au Sommet Russie-Afrique qui s’est tenu à Saint Pétersbourg du 27 au 28 juillet 2023, sous le regard amusé de Vladimir Poutine. Plusieurs dirigeants africains s’étaient alors offusqués de cette incongruité et d’un « manque de respect » de la part de ce « jeuneputschiste » qui s’évertuait par ailleurs à jouer en ces lieux au favori zélé du maître du Kremlin.
Tout en usant sans modération du prêt-à-récitersouverainiste et anti-impérialiste propre aux néo-putschistes, le capitaine Traoré sème méthodiquement les graines d’une présidence sans opposition. Déjà, des groupes de soutien ont vu le jour, réclamant « IB pour toujours ». Les officines de propagande déversent les louanges sur les réseaux sociaux. L’homme s’en flatte et s’en délecte. Les trolls délégués activent au profit du pouvoir militaire une guerre informationnelle et des campagnes de désinformation qui ont trouvé depuis 2020, un terreau fertile au Burkina Faso, grâce notamment au concours des agents du groupe Wagner. Dans la mise en scène du spectacle IB, se mêlent indifféremment le narcissisme débonnaire, la ruse, une dose conséquente de mégalomanie, une défiance fébrile à l’égard des intellectuels, la tentation despotique et une évidente jouissance du pouvoir.
Une arme de destruction massive des oppositions
Dans ce contexte, les manifestations des organisations syndicales et de la société civile sont « suspendues », alors même que, dans le même temps, celles des partisans de la junte sont, sans vergogne, autorisées. La politique de « réquisition »consistant à envoyer au front « tout citoyen en âge de combattre » est en passe de devenir une arme de destruction massive des oppositions. Se référant à une rhétorique prétendument « révolutionnaire »,aussi archaïque que périmée selon laquelle « tout citoyen est un soldat au front », et sous le prétexte de combattre les groupes djihadistes, le pouvoir déporte littéralement des acteurs politiques et de la société civile, syndicalistes, et autres journalistes vers les théâtres du conflit. Une manière nouvelle d’envoyer les indésirables aux galères, et une instrumentalisation éhontée de la question sécuritaire, afin de consolider un régime autoritaire et de terreur.
En juillet dernier, Ablassé Ouédraodogo, ex-ministre des Affaires étrangères et président du parti Le Faso Autrement, qui n’a cessé de mettre en garde contre les dérives de ce régime, avait déclaré : « Ce qui est le plus grave, c’est la violation des droits de l’homme, la répression des libertés individuelles et collectives, la suspension des activités des partis politiques, les enlèvements et les rapts de citoyens (…) Les associations de défense des droits humains, les autorités religieuses et coutumières, tout le monde est muet. C’est vrai que tout le monde a peur. »Dénonçant « les tenants du pouvoir qui se fâchent lorsqu’on parle de l’organisation d’élections »,Ablassé Ouédraogo a été menacé de « réquisition » début novembre. Si cet ennemi désigné du régimepeut éviter la sentence du fait de son âge – soixante-dix ans -, son parti a tenu, en guise de précaution, à alerter l’opinion sur « toutes les réquisitions qui visent les hommes politiques, les syndicalistes, les journalistes, les acteurs de la société civile et autres,dans le but d’éteindre leurs voix »…
Autre nouvel outil de répression, « l’expatriation »des voix dissidentes. Ainsi a-t-on appris le 14 novembre dernier la décision prise par le pouvoir d’envoyer « en stage » en Russie une dizaine d’officiers – commandants, capitaines, lieutenants-colonels… - connus pour avoir exprimé leur désaccord avec certaines orientations du président Ibrahim Traoré. Ces officiers qui n’ont jamais sollicité le moindre stage de formation à l’étranger iront donc en Russie méditer sur la meilleure façonde marcher aujourd’hui au Burkina Faso. Cette disposition intervient au moment où le régime assume au grand jour le « resserrement » de ses liens avec la Russie, marqué par l’arrivée, à la mi-novembre, d’un premier groupe de soldats russes dans la capitale burkinabè.
Irrésistiblement, le visage du Burkina Faso se transforme, et nombre de celles et ceux qui incarnaient favorablement la réputation du pays sont contraints de se terrer ou se taire. Face aux assauts d’un autoritarisme que rien pour l’heure ne semble pouvoir infléchir, Ablassé Ouédraogo avait averti il y a quelques mois : « Si tout le monde baisse les bras, nous allons sombrer tous ensemble. Ce serait dommage pour un pays comme le Burkina Faso. Il n’y a pas de titre foncier du Burkina Faso qui appartient à un individu. Le Burkina Faso est un bien commun et nous devons le défendre ensemble. » A bon entendeur…
par Jacques Habib Sy
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QUELQUES REPÈRES DANS LA PENSÉE POLITIQUE DE CHEIKH ANTA DIOP
EXCLUSIF SENEPLUS - Cheikh Anta a toujours observé un code de l'honneur rigide. Son enthousiasme vis-à-vis des masses et de l'accomplissement des tâches pour une révolution sénégalaise et africaine sont restées intactes jusqu'à son dernier souffle (5/5)
Le RND est finalement reconnu cinq ans après, au terme d'une bataille juridique devant la Cour Suprême sénégalaise alors dominée par les conseillers techniques français du président Senghor. En outre, l'énorme tension politique sur le plan national et l'organisation par le RND de la signature par plusieurs centaines de Sénégalais de toutes conditions d'une pétition "pour la reconnaissance de tous les partis qui en font la demande" contraignent Senghor à lâcher du lest. Les vannes d'un retour à la "démocratie multi partisane limitée" s'ouvrent et permettent le retour des partis politiques à la vie légale.
Dans le même temps, plusieurs partis politiques dont celui de Mamadou
Dia et du Parti pour l'Indépendance et le Travail notamment mettent sur pied la Coordination de l'Opposition Sénégalaise Unie à laquelle le R.N.D. refuse d'adhérer compte tenu de l'échec antérieur des pourparlers avec les mêmes partis en vue de créer un front de salut national moins complaisant sur la nature des engagements politiques qui seraient pris par les acteurs concernés.
Le programme du RND est salué par une grande majorité de Sénégalais comme un changement de cap historique dans la vie politique du pays. Cheikh Anta et ses camarades bénéficient d'un énorme capital de confiance. Fort de l'adhésion populaire au programme du parti, Cheikh Anta projette de réaliser la "jonction des idées, des masses et des cadres". Les langues nationales sont systématiquement et invariablement adoptées comme langues d'organisation et d'agitation culturelle. Les jeunes étudiants sont envoyés dans les campagnes vivre dans les mêmes conditions que les masses paysannes tout en veillant à développer l'emprise organisationnelle du parti. A l'initiative du RND un Syndicat de Paysans, Pasteurs et Pêcheurs est créé. C'est un repère historique d'une très grande portée dans l'arène politique. Car jusqu'ici, les partis de l'opposition ont tendance à négliger la "conscientisation" révolutionnaire du monde paysan par l'organisation d'une structure· permanente contrôlée par les paysans eux-mêmes et leur servant de tremplin dans la revendication de leurs droits et la lutte contre le grand capital. De février 1976 à février 1986, la vie du parti est ponctuée d'efforts organisationnels remarquables quoiqu'inégaux dans les différentes régions, de conférences de presse visant à préciser les progrès accomplis ou à mettre en garde les opinions intérieures et extérieures. Des contacts fraternels mais parfois difficiles sont maintenus avec la mosaïque de partis qui manifestent leur antiimpérialisme de façon presque antagonique parfois, notamment sur le plan tactique.
Durant cette décennie, Cheikh Anta a souvent été dénigré par d'autres partis politiques ou des intellectuels passés maîtres dans l'art de la diversion. On a essayé de saper les fondements moraux et politiques du R.N.D. en accusant Cheikh Anta tantôt de détourner d'hypothétiques fonds consentis par des pays étrangers (l'Algérie est souvent citée à tort), tantôt d'avoir conclu un accord secret avec le Président Abdou Diouf qui succède à Senghor contraint à la démission par les Français soucieux d'éviter que le verrou stratégique sénégalais ne bascule dans la révolution.
Ayant été un observateur privilégié de cette période, en ma double qualité de membre du R.N.D. et de journaliste, je peux témoigner qu'aucune de ces allégations n'est fondée. Cheikh Anta a toujours observé un code de l'honneur et de la droiture absolument rigide. Son enthousiasme vis-à-vis des masses et de l'accomplissement des tâches pour une authentique révolution sénégalaise et africaine sont restées intactes jusqu'à son dernier souffle.
Bien qu'il ait été profondément déçu par la scission politique intervenue au sein de son parti, il ne s'est jamais laissé aller au découragement et a toujours affiché une bonhommie sereine devant les revers momentanés.
En outre, Cheikh Anta a toujours observé une attitude de principe invariable devant la nécessité de savoir se passer de J'aide extérieure quelles que fussent les bonnes intentions des camarades d'autres pays qui l'offraient. Pour être pris au sérieux par ses alliés naturels du mouvement progressiste mondial, disait-il, il faut d'abord faire la preuve de son efficacité chez soi-même en aidant le peuple à bâtir l'avenir de ses propres forces et scion son propre génie culturel.
Cheikh Anta n'a jamais éprouvé aucune sorte d'attrait pour l'enrichissement, bien que la communauté scientifique internationale fût souvent prête à lui venir en aide. A sa mort, il n'a laissé derrière lui aucune fortune, pas de compte bancaire dans un pays étranger, rien. Il a toujours préféré se sacrifier avec son épouse sans le secours de l'État, en assurant à ses enfants une éducation qui leur permette de se rendre utile à l'Afrique au niveau le plus élevé. A sa mort, le cadre dépouillé dans lequel il a toujours vécu dans sa modeste résidence adossée aux flancs de l'Université qui porte aujourd'hui son nom, a forcé le respect
et l'admiration des rares personnes qui pouvaient encore douter de sa grande probité morale.
Les leaders de plusieurs partis marxistes sénégalais me confièrent le jour de son enterrement qu'ils étaient très sensibles au fait que Cheikh Anta n'a jamais fait profession de foi antimarxiste, même lorsqu'il s'efforçait avec la profondeur de vues qui le caractérise de critiquer certains aspects du matérialisme historique.
Les lignes qui précèdent ne doivent rien à la subjectivité ou si elles en sont imprégnées tant soit peu, c'est parce qu'elles reconnaissent sans détours la validité de rapproche politique et l'éblouissante personnalité morale et intellectuelle de ce pharaon de la politique africaine.
Il est grand temps de relire avec maturité et esprit de suite le message politique de Cheikh Anta Diop. La présente génération de patriotes africains et de la diaspora négro-africaine est pour ainsi dire condamnée à trouver sans délai les meilleures voies de dépassement de la catastrophe politique, économique et socio-culturelle dans laquelle de puissantes forces de domination tentent de précipiter l'Afrique. Encore une fois, Cheikh Anta avait raison de dire que les conditions d'exploitation accélérée de nos ressources naturelles non renouvelables, en particulier par l'impérialisme, rendent impérative et urgente la libération totale du continent.
Les dégâts sont si profonds, ils ont laminé la fibre culturelle, psychologique et sociale des sociétés africaines avec tant de brutalité efficace que les tâches colossales qui attendent les révolutionnaires africains ne sont pas celles que l'on croit généralement, c'est-àdire les moyens victorieux de la libération politique et militaire à proprement parler. Ces responsabilités sont peutêtre de même nature que celles auxquelles font actuellement face les révolutionnaires vietnamiens, avec une gravité sans doute décuplée par les ravages de plusieurs siècles de domination arabe, européenne et américaine.
Aucun continent, aucun groupe racial de l'histoire humaine n'a subi avec autant de permanence et de férocité, dans la solitude et la détresse, les plus totales parfois, tant d'assauts nés des différentes étapes de la marche des peuples vers de nouveaux espaces à conquérir, de nouvelles richesses à accumuler, de nouveaux empires à bâtir.
Nous devons tous savoir gré à Cheikh Anta Diop de nous avoir ouvert un champ théorique et pratique aux dimensions prométhéennes sur le rôle de l'intellectuel organique, pour reprendre une formule chère à Gramsci. Il est temps, il est grand temps que l'Afrique et tous ses enfants de la Diaspora se saisissent du projet afin d'être capable d'arpenter avec détermination et courage les sentiers si escarpés de la révolution. Il s'agit que, sans peur, l'Afrique puisse faire face aux nécessités si douloureuses des fractures telluriques, accoucheuses d'une société fondamentalement sevrée de l'aliénation sous toutes ses formes. Il est finalement temps que jaillissent de nos consciences endolories par le poison de l'aliénation, la détermination vraie, celle par laquelle nos ancêtres, les Chaaka, Samori Turé, Ndjadiaan NDiaay, les NDioya, Nzinga, Saïdu Umar Taal, NDaté Yalla, Kankan Musa, les Kocc Barma et tant d'autres héros anonymes de la grande nation africaine ont réussi à faire face à l'extermination tout en fondant leurs espoirs sur la génération à qui incombera la mission historique de repousser l'envahisseur hors du foyer ancestral.
Cette génération historique pourrait être la nôtre à condition qu'elle comprenne que l'Afrique est aujourd'hui en face des grandes entités fédérées asiatiques (Chine, Union Soviétique, Inde), Nord-américaines (Etats-Unis, Canada) et européenne et que son avenir dépend de sa capacité à se fédérer en un puissant État qui sera alors en mesure de faire face aux menaces qui viendraient des fédérations américaine et européenne. Face au monde, comme Cheikh Anta n'a inlassablement cessé de le répéter depuis quarante ans, l'Afrique ne saurait trouver le salut en dehors de la fédération. Par ses richesses, ses formidables potentialités humaines et culturelles, l'Afrique est un géant, un colosse dont le génie libéré peut contribuer de manière décisive à résoudre les problèmes auxquels l'Occident n'a pas su apporter de solutions adéquates.
Au risque de disparaître sous la pression des alternatives génocidaires, l'Afrique est condamnée, dans des délais « non prohibitifs », pour paraphraser Cheikh Anta, à libérer ses forces productives dans le sens du progrès. Il s'agit de faire pièce des tentatives à peine voilées de recolonisation, des projets ouverts et menaçants de réédition de l'aventurisme fasciste Blanc tels qu'ils se manifestent en Afrique australe. Il s'agit surtout de bâtir des économies fortes d'un puissant niveau de développement des forces productives africaines et fonctionnant sur la base d'un mode de production fondamentalement socialiste, un socialisme authentique que l'Afrique peut avoir le privilège d'inventer en l'enrichissant des fécondes expériences tentées ici et là par le monde.
Le problème le plus lourd de conséquences est celui des ingérences militaires et de la menace thermonucléaire sud-africaine. A peine rescapée de l'esclavage sous la férule européenne et nord-américaine qui l'a dépeuplée de 150 à 250 millions de personnes, après la longue nuit coloniale suivie des tragiques ratés de l'ère néocoloniale, I' Afrique est de nouveau au centre des batailles géostratégiques mondiales. Le partage de Berlin pèse plus que jamais dans le destin de l'Afrique. Les anciennes puissances coloniales rivalisent d'agressivité dans le contrôle d'une part qu'elles veulent toujours· plus importante du gâteau africain. La France, en particulier, mène tambour-battant une politique de la terre brûlée sous une forme moderne. Elle fomente un peu partout des coups d'État militaires à moins qu'elle ne décide d'intervenir militairement comme elle l'a fait au Cameroun de 1960 à 1962, à Brazzaville en 1963, à Libreville en 1964, à Bangui en 1967 et en 1979, au Tchad depuis 1968, au Sahara occidental et au Shaba plus récemment, pour ne citer que quelques exemples. C'est donc une guerre ouverte et des plus meurtrières qui est engagée contre l'Afrique, devenue pour la circonstance la terre d'élection de bases militaires et de points d'appui logistiques (Dakar, Abidjan, Monrovia, Kinshasa, etc.) pour le déploiement des troupes d'agression étrangères.
L'insécurité militaire qui prévaut en Afrique pétrifie et annihile toute tentative de recentrage des économies nationales. Devant une telle situation, suggère Cheikh Anta, « il faut comprendre que la sécurité précède le développement ». Seule une puissante armée observant la double intégration à l'échelle panafricaine et populaire est capable de garantir l'indépendance africaine. Il ne faut pas se bercer d'illusions la présence cubaine en Angola, l'impuissance des pays dits de la Ligne de Front face au formidable arsenal sud-africain de destruction construit par l'Europe et les Etats-Unis, la guerre civile tchadienne, l'invasion marocaine du Sahara et peut-être un jour du Sénégal, les génocides signalés au Burundi, au Libéria sont autant de manifestations de l'agressivité impérialiste et de l'impotence des régimes amarrés au projet de génocide de l'Occident.
Pendant ce temps, il se trouve des Africains pour parler d'Eurafrique et de "métissage culturel" !
Comment cette contradiction monumentale est-elle encore possible au moment où l'Afrique n'arrive même plus à compter les cadavres emportés par le tourbillon meurtrier du chantage économique, de l'agression armée et de l'assassinat culturel ?
Recentrer l'Afrique sur elle-même, lui permettre de construire l'unité de ses peuples sur la base d'un socle culturel et historique commun, faire accéder les langues au statut privilégié d'outils principaux de la recherche et du développement scientifique et technologique, bouter hors de notre espace économique le Fonds Monétaire International, la Banque Mondiale et tous les organismes du même genre, barrer toutes les tendances à la spécialisation industrielle et agricole imposées par les centres de décision capitalistes, se passer de toute tutelle y compris celle ordonnancée par "assistants techniques" interposés, assurer la santé au peuple, éduquer ce dernier, l'instruire des échecs passés, lui redonner les armes du jugement critique, de l'exercice du véritable pouvoir populaire et les vertus de l'organisation : telles sont les espaces de liberté que Cheikh Anta a tenté d'explorer avec l'Afrique pendant quarante années d'une très longue marche.
Cheikh Anta voulait marcher avec l'homme africain, avec tous les hommes. Il voulait initier une marche forcée qui s'étirait dans le temps, des origines africaines de l'humanité au splendide classicisme négro-égyptien, de la saga des sages de San koré aux maquis de Chaaka et Samori. Il n'a jamais cessé de marcher de ce pas alerte et gaillard vers les maquis intellectuels les plus dangereux et les plus complexes, prêchant depuis 1952 au moins, "l'organisation, l'organisation, l'organisation, et toujours l'organisation, sous toutes ses formes". Jusque dans la mort, et par-delà celle-ci, Cheikh Anta continue sa marche victorieuse dans les consciences enfin déverrouillées de militants de plus en plus nombreux dans l'Afrique et ses diasporas.
Et ces paroles prononcées par ce tribun sublime de la cause africaine au cours d'une conférence de presse mémorable à la Chambre de Commerce de Dakar, le 10 août 1981, nous reviennent comme l'écho du testament politique de Cheikh Anta Diop, un testament peut-être impérissable, plus fort que le temps :
"Rappelez-vous que dès que je suis rentré au Sénégal, j'ai tout de suite participé à la création d'un parti politique qui s'appelait le B.M.S. Depuis que j'ai pris conscience, à tort ou à raison, je crois que je me suis engagé sans réserve pour la cause africaine. Je crois que cela est un fait évident, quels qu'en soient les résultats. A Paris, nous étions d'abord en plein climat d’apolitisme. Nous étions les premiers à dire qu'il fallait faire de la politique, être les meilleurs à l'université et aussi les plus actifs sur le terrain de la lutte politique. A l'époque, quand des Africains voulaient vous refuser quelque chose, il n'était pas rare de nous entendre répondre : "c'est de la politique". Nous disions il fallait en faire, précisément pour notre libération. Et cette action nous l'avons continuée tant bien que mal pendant dix ans. A Paris nous avons écrit, nous avons fait des conférences pour conscientiser tous les éléments de notre génération qui sont ici aujourd'hui ; certains sont dans le gouvernement, d'autres sont dans le pays, ils peuvent le dire.
"Et dès que nous sommes rentrés, j'ai d'abord commencé à faire le tour du Sénégal pour conscientiser précisément l'opinion sénégalaise en ce qui concerne les problèmes vitaux dont je parlais tout à l'heure. Dans toutes les grandes villes du Sénégal, j'ai traité du problème de l'énergie, de la maîtrise de l'eau et autres, et de la désertification .... Je ne peux pas dire ''si on nous avait écouté", parce que ça ne dépendait de personne. Mais enfin si ces idées avaient été mises en œuvre à temps, nous aurions gagné une génération et aujourd'hui il y aurait eu un rideau de verdure entre le désert et nous, et nous aurions conjuré la crise de l'énergie, etc.
"Voilà ce qui était à ma portée et que j'avais fait à cette époque. Et mieux que cela : j'ai voulu incarner ces idées-là dans le cadre d'un programme politique cohérent. Et c'est la raison pour laquelle nous avions créé le B.M.S. Reprenez le programme du B.M.S., vous verrez en toutes lettres toutes les idées que j'ai développées à l'époque. Quand vous prenez les "Fondements économiques et culturels d'un futur État fédéral d'Afrique noire" les quatorze points qui sont à la fin, ce sont les quatorze points qui constituaient le programme du B.M.S. Et précisément, c'était une sorte d'incarnation de toutes ces théories-là. Et donc nous avions essayé de mettre à l'œuvre toutes ces idées dans le cadre d'un parti politique.
"Mais vous le savez bien, le B.M.S. a eu une vie politique très brève. Et je ne crois pas que ce fut ma faute si la vie politique du B.M.S. fut brève.
"Ensuite, nous allons recréer un autre parti politique qui fut le F.N.S. et ce parti a été interdit à son tour. Vous connaissez toutes les alliances politiques que nous avons contractées pendant tout ce temps. Vous savez bien que l'honneur nous commandait à partir d'un certain moment de ne plus créer de parti politique parce qu’il y avait une condition sine qua non à laquelle je ne pouvais pas me soumettre. Je ne veux plus rappeler ces choses-là parce que ça aurait des relents de polémique et je ne veux pas faire de la polémique. Ce ne sont que des rappels historiques.
"Mais je crois que les résultats d’une action politique, on ne peut les voir qu’avec le recul du temps. Il y a une imprégnation qui se fait au niveau des masses et au niveau des intellectuels. C’est paradoxal, mais comme on dit, nul n’est prophète chez soi. Et aujourd'hui, mon influence est incomparablement plus grande en Amérique dans les trois Amériques et dans les colonies anglophones et aussi en dehors du Sénégal. Allez interroger toute la jeunesse universitaire africaine en dehors du Sénégal. Vous serez surpris. Combien de fois des Sénégalais sont venus des Etats-Unis et ils sont ahuris parce que vous savez bien que là-bas la flamme a pris et que toutes les idées que j'ai développées sont reprises dans toutes les universités américaines, en particulier, dans les universités américaines noires, et que chaque année les Américains forment justement des délégations pour venir ici et rester avec nous pendant une quinzaine de jours au moins pour aller ensuite continuer leur itinéraire en Afrique ou en Égypte, etc. Ce n'est pas ma faute si les idées ne sont pas développées dans le pays même où je suis né. Pour des raisons particulières, ce pays a pris du retard par rapport au reste de l'Afrique (applaudissements).
« Alors, militantisme progressiste !? Nous verrons qui est progressiste et qui ne l'est pas ! (Applaudissements répétés). Je crois, tout ce qu'on peut, c'est s'engager sans réserve. C'est tout ce qu’on peut faire et il faut le faire aussi honnêtement. Je crois que dans chaque situation, depuis que nous avons pris conscience, nous avons essayé de faire le maximum pour l'Afrique, et rien d’autre. Évidemment, avec toutes nos faiblesses humaines. Je ne prétends pas être un modèle de quoi que ce soit. Je suis l avec toutes mes imperfections. Mais il y a au moins cette tension en moi-même qui est une tension politique et morale qui existe et qui ne s’éteindra qu'avec ma vie : c’est de servir l’Afrique. Et cela, on ne peut pas nous l'enlever (applaudissements).
« Vous verrez avec le recul du temps comment on peut être progressiste et qu'est-ce qu'on peut appeler vraiment en Afrique le progressisme. Je crois en tous cas que le progressisme suppose beaucoup de courage moral, et, je crois que le courage moral nous a valu beaucoup de difficultés. Je ne veux rien quand je ne suis pas convaincu de ce que je fais, et c’est ce qui a expliqué souvent mes options qui sont des options très difficiles dans des situations très difficiles que vous connaissez très bien. Je crois que c’est cela le progressisme. C’était très facile d'avoir un autre comportement.
« Maintenant, si nous voulons aller au fond du problème, il faut éviter de rattacher l'individu à ses coordonnées familiales, et coûte que coûte. Il y a des gens dont l'horizon et le jugement est faussé parce qu'ils se disent que si on est d'une certaine extraction sociale, on ne peut pas être un progressiste. C'est comme si on était condamné, frappé d'une tare congénitale. Je crois que ce n’est pas vrai. Marx était un bourgeois. Lénine était un petit-bourgeois de famille. Engels était un grand bourgeois ; il nourrissait même Marx quand il était dans la disette. Donc le progressisme c'est une option. Toute l'École Normale Supérieure de la rue d'Ulm (à Paris), c'est toute la bourgeoisie intellectuelle française, mais ils étaient tous inscrits immédiatement après la guerre au Parti Communiste Français. C'était une option chez eux. Maintenant il y en a beaucoup moins. Par conséquent, il ne faut pas que vous disiez comme cela, a priori, que l'on est progressiste, que l'on est apte au progressisme que si on est né dans certaines couches sociales et que si on est né dans une autre couche sociale on ne peut pas être progressiste.
« Il y a des exemples vivants de ce suicide de classe. Ce suicide de classe, nous l'avons fait. Nous avons refusé tout ce qui aurait pu ressembler à une situation matérielle, à une situation confortable pour être plus libre sur le plan du choix intellectuel et moral
(Inaudible). Mais nous ne pouvons pas renier nos origines, nous n'y pouvons rien. Par contre, nous avons employé le plus clair de notre temps à relativiser cette notion dans nos écrits et à permettre même à la conscience sociale sénégalaise en particulier, qui, à bien des égards, est une conscience rétrograde, en tous cas conservatrice, de dépasser précisément cette situation. Je n'en veux pour preuve que mes derniers écrits. Lisez-le et méditez-le : j'ai écrit un ouvrage qui va sortir dans trois semaines, qui est intitulé "Civilisation ou Barbarie". Lisez attentivement la partie qui porte précisément sur les lois d'évolution des sociétés, et nous en reparlerons.
« Voilà comment je crois devoir agir en homme progressiste pour délier la société sénégalaise de ses entraves structurelles qui, quoi qu'on dise, existent encore en profondeur. Et chaque fois, c'est un va-et-vient, je ne suis pas seulement un homme de théorie. J'ai essayé à ma façon, qui est évidemment je vous le concède, une façon très gauche, très maladroite peut-être (brefs rires étouffés de l'orateur), parce que trop sincère, de faire prendre chair à toutes ces idées dans le cadre d'une action politique qui peut vous paraître souvent trop linéaire. Donc, du militantisme progressiste, nous en reparlerons encore.
« En tous cas, sachez que, et là aussi je m'adresse aux jeunes intellectuels africains qui sont ici ou aux intellectuels en herbe que sont les écoliers qui sont là, sachez que votre fonction intellectuelle principale est de rendre précisément aux faits sociologiques africains leur sens et que cela vous oblige à faire des analyses en profondeur et des analyses cohérentes. Et le jour où vous vous situerez sur ce terrain-là, vous nous rencontrerez ».
Grâce au pétrole, les Emirats Arabes Unis (EAU) accueillent le monde entier pour se pencher sur… l’après pétrole. Drôle de mission pour cet Etat fédéral de la péninsule arabique qui a forgé sa prospérité économique à l’aide de l’or noir !
Grâce au pétrole, les Emirats Arabes Unis (EAU) accueillent le monde entier pour se pencher sur… l’après pétrole. Drôle de mission pour cet Etat fédéral de la péninsule arabique qui a forgé sa prospérité économique à l’aide de l’or noir !
Idée désarçonnante, s’il en est ! L’énoncé de cette renversante option peut même faire perdre à des pays leur assurance tant les perspectives s’annonçaient heureuses… Demain, l’après pétrole va façonner les esprits et les habitudes, les conduites et les comportements en toile de fond d’une société travaillée par de nouveaux rapports.
Toutefois, l’affaire se corse quelque peu avec la récente sortie concertée des géants pétroliers qui se montrent prêts à renoncer graduellement aux énergies fossiles pour épouser la nouvelle tendance des énergies renouvelables.
Shell, ExxonnMobile et TotalÉnergies s’engagent résolument à « tourner la page » convaincus que l’actuel pic pétrolier traduit mieux que chiffres et arguments à l’appui, l’épuisement des ressources non renouvelables, de surcroît responsables de la pollution de la planète et du réchauffement du climat.
Nul ne prétend vivre des acquis du passé quand ceux-ci compromettent l’avenir. A l’aune des préoccupations mondiales, les gloires d’antan cessent de s’ériger en modèles de réussite. Mais pour ne pas subir des avatars ou des aléas, ces majors, après avoir tu leurs querelles de leadership, ont injecté d’énormes capitaux dans la recherche fondamentale afin de ne pas perdre l’initiative.
Le texte commun qu’ils ont signé et rendu publics reflète leur état d’esprit conquérant sur les enjeux de demain. Leur renonciation s’apparente aussi à une concession. Soit. Elle obéit néanmoins à une stratégie qui se dévoile peu à peu. A tout prix, les majors en question tentent, par ces démarches, de s’affranchir de la pression des tenants de la « ligne fossile ».
Une façon pour eux de s’impliquer dans le combat climatique que mène, sabre au clair, la Conférence des parties (COP) dont la 28ème édition, qui s’ouvre jeudi à Dubaï, va davantage insister sur les inflexions nécessaires pour sauver le monde. L’empreinte carbone va imprégner les travaux comme un rempart contre l’inquiétante gourmandise des hommes.
Davantage d’acteurs de premier plan privilégient désormais l’énergie responsable en se délestant des activités « hautement polluantes » au profit du gaz naturel, du solaire, de l’éolien, de la biomasse devenus comme par enchantement les leviers de substitution à l’imminence de la raréfaction du pétrole dont l’apogée de situation pâlit inexorablement. Dans de feutrées transactions entamées à l’abri des regards inquisiteurs, les majors ont posé des actes qui en disent long sur les intentions cachées.
Le Groupe Total, devenu TotalEnergies aère son portefeuille pour mieux refléter son ambition multi-énergies. Ce changement d’appellation lui a valu d’être bien en cours dans les cercles de haute décision pour avoir racheté un fabricant de batteries.
Shell a développé une approche similaire en acquérant à son tour un épais réseau de bornes de recharge pour véhicules électrique implantée en Europe. L’élan vers les énergies propres signifie-t-il un abandon implicite du pétrole ? Les spécialistes des hydrocarbures tablent sur vingt ou trente ans de survie de l’or noir. Les géants en seraient affectés certes, disent-ils.
Mais les mêmes s’empressent d’ajouter qu’à cette ultime échéance, qu’aucun parmi les plus grands ne serait pris de court, à l’image des compagnies américaines Exxon et de Chevron, qui misent sur les biocarburants.
Il en est de même de l’italien Eni devenu à son tour spécialiste d’électricité renouvelable et très orienté dans la diversification avec les énergies vertes comme ossature. Une fois posés les grands principes identitaires, les grands compagnies s’organisent pour « affronter » les nouvelles réalités tout en prêtant une oreille attentive aux humeurs des opinions et aux échos des adeptes de la sobriété écologique.
De ce fait, les énergies vertes ont le vent en poupe. Alors quid du pétrole, principalement en Afrique ? Quelle lecture de la conjoncture avoir avec ce virage ? Quel modèle économique s’offre à nous, futurs producteurs d’énergie fossile ? Quelle réponse formuler devant cette levée de bouclier au détriment de l’or noir ?
Tous les pays pétroliers de la façade atlantique s’inquiètent de la convergence des majors à plébisciter la transition énergétique sur laquelle ils n’ont pas prise. De la Mauritanie à Madagascar en passant par le Congo, le Gabon, le Sénégal, le Mozambique ou l’Angola, il n’y a pas de cohésion, pas même de cohérence pour unifier la position africaine et songer à défendre une cause commune.
Or cette absence de consensus fragilise l’Afrique en dépit des richesses qu’elle détient. Le piège risque de se refermer à nouveau sur les matières premières africaines si le continent rate l’occasion de « parler d’une voix » pour arracher des concessions à de grands groupes qui ne comprennent que le langage des rapports de forces.
En les frappant au portefeuille tout en misant sur les énergies de demain sans toutefois renoncer aux hydrocarbures, l’Afrique s’offre une chance rare de peser sur les négociations tout en envisageant le futur avec une certaine sérénité que ne permettrait la course irréfléchie aux gains faciles.
Les oscillations actuelles de l’Arabie Saoudite et les agitations observables dans le pourtour du golfe persique participent d’une stratégie de repositionnement devant des écosystèmes « sans héros pédagogues » pour les sauver de l’inéluctable fatalité.
Seule une façon nouvelle de vivre articulée à une exploitation « raisonnée » des ressources rétablirait les grands équilibres malmenés par l’appétit insatiable de gains entre géants des hydrocarbures. Trop d’alibis subsistent encore.
Certains producteurs évoquent le rôle éminent du pétrole dans la trajectoire industrielle des pays développés pour s’offusquer de ce tardif réveil à propos des énergies renouvelables.
D’autres en revanche pointent l’index sur l’égoïsme des nations prospères pour justifier leur empressement à tourner la page du pétrole dans l’ultime but de maintenir les écarts de progrès. En d’autres termes, le long terme ne s’apprécie par les mêmes termes et de la même façon sur notre planète terre.
Des régions entières se hâtent de domestiquer les évolutions surtout technologiques, d’autres apprivoisent lentement la Nature qui appartient, selon eux, à tous les vivants, donc pas exclusivement à l’homme, fut-il doué de raison. Ont-ils le droit de donner des leçons s’ils ne sont pas des modèles d’exemplarité ?
Le pillage des ressources ne s’oublie pas. A cela s’ajoute aujourd’hui la montée en puissance des « gardiens des temples », des vigies, des veilleurs, des opinions de plus en plus éclairées, des contrepouvoirs, des Parlements, des lanceurs d’alertes, des médias et des partenaires multilatéraux moins complaisants et de plus en plus regardants.
Après tout, les ressources appartiennent au… peuple, dixit la Constitution.
Par Hamidou ANNE
PAS UNE ELECTION, MAIS UN CARNAVAL
La courbe de progression des ambitions électives est en hausse constante. Ainsi, l’élection la plus importante de notre calendrier républicain est pour certains un vaudeville.
Bientôt la fin de la période de récolte des parrainages pour les candidats déclarés à la Présidentielle prochaine. Assurément, les plus de 200 impétrants ne vont pas se présenter devant le Conseil constitutionnel pour déposer fiches et clés USB. Quand on regarde de près la liste de celles et ceux qui se sont rendus au ministère de l’Intérieur pour retirer le fameux document, on est partagé entre surprise et sidération. Non qu’il existerait une quelconque raison d’empêcher l’un ou l’autre d’avoir une ambition, de surcroît pour son pays, mais il y a quelque chose qui relève de la raison et surtout du bon sens. La politique ne peut se départir de la tenue et de la décence. Et en politique comme en toutes choses d’ailleurs il faut, autant que faire se peut, éviter de verser dans le ridicule. Or, ce n’est pas le cas sous nos cieux. Notre démocratie, en construction mais loin de la dictature tropicale que certains politiques et commentateurs décrivent, a charrié environ 300 formations politiques, des millions de présidentiables sur leur canapé et, pour 2024, des centaines d’ambitions plus ou moins saugrenues. Le mal vient de loin et il progresse sous nos yeux. Pour les Législatives 2017, pour un pays d’environ 5 millions de votants, il y a eu une cinquantaine de listes concurrentes et on a dû recourir à un changement express de la loi électorale pour rendre le vote tout simplement possible.
La courbe de progression des ambitions électives est en hausse constante. Ainsi, l’élection la plus importante de notre calendrier républicain est pour certains un vaudeville. On dirait une foire aux curiosités où différentes personnes viennent pour d’aucuns exposer leur ambition, d’autres leur caractère vindicatif et d’autres encore leur penchant pour le ridicule. Un haut fonctionnaire d’une grande sobriété me donnait récemment une explication sur cette flopée de candidatures alors qu’elles n’étaient encore qu’une dizaine. Pour lui c’est l’ego qui est le moteur de ces désirs présidentiels. L’ego conduit souvent à perdre la lucidité ou la modération et pousse certains à se croire habités par un destin qui dépasse de loin leurs capacités. Ici en l’occurrence celui de présider aux destinées de millions de Sénégalais dans un contexte international trouble et plein d’incertitudes. «Une ambition dont on n’a pas le talent est un crime» professait Chateaubriand. Aussi, tout le monde veut être président avec moults promesses, de la plus généreuse à la farfelue, mais combien sont-ils à aimer le pays qu’ils veulent tant diriger ? Comment sont-ils habités par la fibre républicaine ou patriotique qui fait qu’on préfère le Sénégal à sa propre vie singulière ? Combien ont-ils été à souffrir et à agir quand des courants sauvages ont tenté de détruire l’Etat et de renverser un Président démocratiquement élu ? Ont-ils élevé la voix quand on a tenté de diviser les Sénégalais selon leur ethnie ? Quand on a demandé à l’Armée de prendre le pouvoir ? Quand on a incendié l’université et esquissé la danse du scalp autour des flammes ? Quand des mères ont ramassé les corps de leurs enfants dans la rue ? Où étaient ils quand un véhicule a foncé sur des gendarmes à Mbacké ? Qu’ont-ils dit quand un homme politique a accusé la police d’avoir voulu l’assassiner ? Quelles étaient leurs réactions face aux insultes aux magistrats, officiers, hommes de rang, avocats et simples citoyens ? Où étaient-ils quand les consciences gardiennes d’une morale républicaine ont été sommées de se taire pour laisser le discours fasciste le plus répugnant inonder les médias ?
Une revue sommaire des candidats laisse entrevoir plusieurs catégories. Il y a les complices d’un parti depuis dissous, qui ont toléré, salué, encouragé et béni toutes les atteintes à la légalité républicaine et au vivre-ensemble. Ils persistent à créer des cadres et à lancer des initiatives car sans vision ni programme, ils ne peuvent que verser dans du larbinisme politique aux fins de vivre sur la rente de leur «champion» mis ko.
Il y a ceux issus de la majorité. Pendant deux ans, les fascistes ont paradé et tout osé jusqu’à la violence la plus barbare et ces gens n’ont pas daigné prendre la parole pour s’indigner des agressions contre l’Etat du Sénégal et des menaces contre vivre-ensemble. Il se sont cachés, n’ont jamais défendu publiquement les choix et orientations de leur propre gouvernement. Certains ont prétexté des insultes sur les réseaux ou des représailles physiques tandis que d’autres ont gardé le silence et ont disparu, révélant leur loyauté qui n’est effective qu’en temps de «paix» et leur attachement aux privilèges liés à l’exercice du pouvoir plutôt qu’à la République. Ces gens ont choisi la défaite et ont aussi gagné le déshonneur. Or, ce sont des individus qu’on a vu déployer des moyens colossaux à partir du 3 juillet pour faire campagne en leur nom afin d’être choisis pour concourir au suffrage universel. Pour eux, l’Etat qu’ils sont censés servir ne vaut aucun sacrifice, mais leur carrière et leur ambition valent l’usage de moyens matériels et financiers colossaux. Etre républicain est un choix qui a ses risques en temps de trouble. Il s’agit d’un engagement à nouer les fils d’une histoire vieille et grande, belle dans ses victoires et triste dans ses tragédies. Il s’agit de sacraliser ce qui fait de nous un Peuple uni par son attachement à la démocratie sociale, à la liberté sans entrave, à la Nation souveraine et à la laïcité.
Enfin, dans ce carnaval burlesque, arrivent les plaisantins qui cherchent un quart d’heure de gloire sur le dos de la démocratie électorale. Nul besoin de leur offrir du buzz. Seulement dire à leur égard, que les meilleures blagues sont les plus courtes.
Tout ceci rend pertinente la loi sur le parrainage. Il faudra d’ailleurs améliorer le système pour les prochains rendez-vous électoraux, afin de davantage préserver notre démocratie des farceurs et des entrepreneurs du vote.
Enfin, parmi la pléthore de candidatures, il y en a une qui me choque et me révolte. C’est celle de Oumar Touré, plus connu sous le titre usurpé de «capitaine Touré» parce que désormais rétrogradé comme soldat. Pour rappel, l’individu a été radié des armées pour «faute contre l’honneur, la probité et les devoirs généraux du militaire» en juin 2021. C’est ce personnage qui crée un parti et se lance dans la course à la Présidentielle. Le désordre est devenu une norme au Sénégal. Sinon, comment un homme qui a trahi notre pays, violé son serment d’officier, souillé son uniforme de militaire, peut même se permettre d’apparaître en public jusqu’à être invité par les médias ? Un individu, qui a disparu des jours durant alors qu’il était chargé par sa hiérarchie d’une enquête en matière criminelle, avant de réapparaître sur une vidéo Youtube. La lâcheté et la duplicité, le souci d’une gloire personnelle sur le dos de la République et aux dépens du drapeau national, le manquement aux devoirs et au serment fait à ses frères d’armes peuvent-ils sous-tendre l’ambition de devenir chef suprême des armées ? Le pire réside dans ce que cela ne choque pas grand monde. Le problème relève de nous. La faute est collective.
par Bosse Ndoye
LÂCHER POUR MIEUX TENIR, UNE STRATÉGIE NÉOCOLONIALE BIEN FRANÇAISE
La France n’accepte presque jamais de perdre totalement les avantages qu’elle tire de la plupart de ses anciennes colonies africaines, qu’elle peut consentir à lâcher du lest, mais jamais à lâcher prise
"Je le répète: le colonialisme n'est pas mort. Il excelle, pour se survivre, à renouveler ses formes; après les temps brutaux de la politique de domination, on a vu les temps plus hypocrites, mais non moins néfastes, de la politique dite d'Association ou d'Union. Maintenant, nous assistons à la politique dite d'intégration (...) Mais de quelque masque que s'affuble le colonialisme, il reste nocif…[1]."
Dans les rapports de domination néocoloniale qu’elle a entretenus et qu’elle continue d’entretenir avec quelques-unes de ses anciennes colonies d’Afrique en général, et d’Afrique subsaharienne en particulier, la France a souvent adopté la stratégie dite du lâcher pour mieux tenir. Celle-ci consiste à faire certaines « concessions » et/ou à apporter des réformes mineures à sa politique mise en œuvre dans ces pays pour éviter de s’attaquer aux questions essentielles et souvent controversées, afin de garder intacts les avantages et privilèges qu’elle tire de leurs relations asymétriques. Cette manœuvre, aussi efficace que dilatoire, constitue en outre une façon de calmer les ardeurs des nombreux militants souverainistes qui, de plus en plus sur le continent, exigent des relations équilibrées, empreintes de respect et dénuées de toute arrogance, entre leurs pays et l’ancienne puissance coloniale. L’histoire regorge d’exemples de lâcher pour mieux tenir pouvant étayer ces propos.
Avec la Constitution de la IVe République, promulguée le 27 octobre 1946, l’Union française, qui remplaça l’empire colonial, peut être considérée comme l’une des premières sinon la première mise en œuvre de la stratégie du lâcher pour mieux tenir. Sentant des velléités d’indépendance naissantes chez les colonisés de retour de front de la Seconde Guerre mondiale, la France jugea nécessaire de procéder à quelques réformes pour anticiper d’éventuelles surprises désagréables pouvant survenir dans ses colonies, qu’elle tenait d’autant plus à préserver qu’elle traversait des moments de fragilité, et qu’elle avait surtout besoin de forces et de richesses pour se reconstruire. Aussi décida-t-elle d’entreprendre quelques grands changements: suppression de l’indigénat et du travail forcé; octroi de la citoyenneté française à tous les ressortissants d’outre-mer; accord de plus d’autonomie dans la gestion des affaires locales; garantie de liberté de presse, de syndicat, d’association, de réunion, etc.
Craignant que la lutte armée, qui faisait rage en Algérie, ne fît des émules dans ses colonies de l’Afrique noire par effet de contagion, la France - après avoir accordé l’indépendance aux voisins marocain et tunisien en mars 1956 -, prit les devants en y desserrant un peu l’étau par l’adoption, la même année, de la Loi-cadre Defferre. Celle-ci, avec la création de Conseils de gouvernement élus au suffrage universel, élargit les pouvoirs locaux. Paris avait vite compris qu’il valait mieux lâcher un peu de lest, en octroyant quelques libertés pour toujours tenir les colonies, que de faire face à de multiples soulèvements populaires déstabilisateurs pouvant être engendrés par les désirs d’autonomie, qui devenaient de plus en plus grands après la Seconde Guerre mondiale et aussi avec l’accession à l’indépendance d’autres pays africains.
Après son retour au pouvoir en 1958, le général de Gaulle, avec la mise sur pied de la Communauté franco-africaine, abonda dans le sens des réformes de la Loi-cadre Deferre. Toutefois, bien que plus d’autonomie fût accordée aux colonies, les véritables manettes du pouvoir étaient restées entre les mains de la France, qui fit du mieux qu’elle put pour préserver les colonies tout en évitant d’aborder sincèrement la question d’indépendance. Ce qui expliqua la posture paradoxale qu’elle adopta en menaçant directement ou indirectement ceux qui seraient tentés de la réclamer tout en leur proposant de se prononcer sur la question par référendum. La Guinée de Sékou Touré en fit les frais à la suite de la victoire du Non en septembre 1958, même si le choix lui en avait été donné. Donc, l’Union française de 1946, la Loi-cadre de 1956 et la Communauté franco-africaine de 1958 ne constituaient pas une réelle volonté de rupture, mais elles étaient juste différentes formes de mise en application de la stratégie du lâcher pour mieux tenir, lesquelles avaient permis à la France de s’adapter aux réalités sociales, économiques et politiques des temps changeants.
Lorsque les indépendances devinrent inévitables au début des années 60, la France accepta enfin de les accorder à la plupart des territoires sous sa domination, mais non sans les avoir corsetées par différents accords politiques, monétaires, économiques et de défense… qui jetèrent les bases des relations néocoloniales entre elle et ses futures ex-colonies. Ces mots de Michel Debré, tirés de sa lettre adressée à Léon Mba, futur président du Gabon, constituent une parfaite illustration de la stratégie de Paris du lâcher pour mieux tenir : « On donne l'indépendance à condition que l'État s'engage une fois indépendant à respecter les accords de coopération signés antérieurement : il y a deux systèmes qui entrent en vigueur en même temps : l’indépendance et les accords de coopération. L’un ne va pas sans l’autre[2].» Le premier président gabonais, qui avait poussé sa francophilie jusqu’au ridicule, avait souhaité, à défaut de demeurer un département français, avoir le drapeau de l’Hexagone dans un angle de celui de son pays[3]. Dès lors, il ne fut guère étonnant de l’entendre dire que: « Le Gabon est indépendant, mais entre la France et le Gabon rien n’est changé, tout continue comme avant. »[4]. Ces accords avec le Gabon étaient presque les mêmes signés avec la plupart des anciennes colonies françaises nouvellement indépendantes. Ce qui a fait dire, à juste titre, à François-Xavier Verschave que : « Les pays francophones au sud du Sahara ont été, à leur indépendance, emmaillotés dans un ensemble d’accords de coopération politique, militaire et financière qui les ont placés sous tutelle[5].»
Dans l’Archipel des Comores – Anjouan, Grande Comores, Mohéli, Mayotte –, alors que le référendum d’autodétermination du 22 décembre 1974 a vu massivement triompher le oui en faveur de l’indépendance (94,5%), l’État français décida unilatéralement de prendre en compte les résultats île par île et non pour l’ensemble de l’archipel. Cette décision était en porte-à-faux avec la position de l’ONU, et était surtout en contradiction avec la loi française du 23 novembre 1974, qui énonce en son article 5 que : « Si le classement des résultats se fera île par île, la proclamation en sera globale[6].» C’est ainsi que l’île de Mayotte, où le non l’avait emporté à 63.22%, est restée dans l’escarcelle française à la suite d’une « élection à la Naegelen», qui y avait été organisée plus tard. C’est dire que la France n’accepte presque jamais de perdre totalement les avantages qu’elle tire de la plupart de ses anciennes colonies africaines, qu’elle peut consentir à lâcher du lest, mais jamais à lâcher prise.
Cette vieille recette du lâcher pour mieux tenir, qui pourrait être l’autre nom du refus viscéral de Paris de décoloniser, est en droite ligne avec l’adoption par la France du projet de loi entérinant la fin du franc CFA le 20 mai 2020. Lorsqu’on commença à dénoncer le franc CFA lors de manifestations dans plusieurs villes africaines comme étant une monnaie coloniale, la France, fidèle à son habitude, prit les devants et entreprit de faire quelques ravalements de façade : changement de l’appellation CFA par Eco, fermeture des comptes d’opérations et le retrait des représentants français du Conseil d’administration de la BCEAO. Mais elle reste garante de la monnaie, et la parité fixe avec l’Euro est maintenue. De plus, selon le Financial Times (01/01/2020), elle continuera à désigner un représentant « indépendant » auprès de la banque centrale régionale dont le rôle sera de surveiller quotidiennement les réserves ; et, cerise sur le gâteau, elle « se réserve le droit de revenir dans une instance de décision, en l’occurrence par le Conseil de politique monétaire[7].» Ce comité est l’organe central de décision concernant la politique monétaire, notamment à ce qui a trait à la création de monnaie et le niveau des crédits autorisés dans la zone monétaire[8]. Autant dire que beaucoup de bruit a été fait pour rien, que des changements ont été effectués pour que rien ne change. Donc, par un énième tour de passe-passe, la France est parvenue à retomber sur ses pattes après avoir été acculée par les pourfendeurs du franc CFA. La stratégie néocoloniale du lâcher pour mieux tenir est bien décrite par cet extrait du bien nommé L'Empire qui ne veut pas mourir: « (…) Le dispositif françafricain, qui a permis au colonialisme de survivre à la "décolonisation », a su s'adapter aux évolutions internationales des décennies suivantes et se réformer chaque fois que les failles mettaient son existence en péril. Il en va de la françafrique comme de l'informatique: le système d'exploitation, pour se prémunir contre les dysfonctionnements et les potentielles agressions, est régulièrement mis à jour[9]."
Lors des récents débats à l'Assemblée nationale et au Sénat sur la politique française en Afrique, il n'a jamais été question de vote pour s’attaquer sincèrement aux piliers les plus solides de la Françafrique, à savoir le franc CFA, les bases militaires, la Francophonie, mais juste de propositions de réformes cosmétiques. Pourtant, après les revers essuyés au Mali, au Burkina Faso, et tout dernièrement au Niger, l'occasion semblait être propice pour aborder profondément ces sujets qui fâchent et de proposer de véritables changements. Mais il est plus facile de pointer du doigt les puissances concurrentes, comme la Russie et la Chine, accusées de susciter et d'alimenter les sentiments dits antifrançais sur le continent et d'ignorer les demandes de changements de plus en plus réclamés par des Africains, que de faire une autocritique sans complaisance et d’affronter la réalité.
En définitive, la France est restée cohérente avec elle-même depuis l’aube de sa longue odyssée coloniale. Son refus obstiné de décoloniser ne fait que confirmer les propos de Frantz Fanon : « (…) Mais elle [la décolonisation] ne peut être le résultat d’une opération magique, d’une secousse naturelle ou d’une entente à l’amiable[10]. Par conséquent, il appartient aux populations sous domination néocoloniale de se battre, de trouver leurs propres moyens pour mettre fin à cette situation. D’autant que, comme les humains, les États ne renoncent jamais volontairement à certains privilèges qu’ils peuvent tirer d’autres sans y être contraints. Mais cela demande un véritable travail, qui doit passer tout d'abord par des élections transparentes et démocratiques, qui portent à la tête de ces pays des patriotes responsables, épris de justice et qui travaillent pour les intérêts de leurs populations. Car, il faut le reconnaître, si la Françafrique perdure, prospère et réussit à faire sa mue chaque fois qu'elle est acculée, c'est souvent grâce à la complicité d'une élite locale, animée par l’esprit de lucre, jalouse de ses intérêts particuliers, qui travaille de mèche avec une certaine élite française. De plus, l'initiative de rupture ou de réforme doit venir des pays africains eux-mêmes au lieu de laisser la France toujours prendre les devants et de réagir ensuite sous certaines pressions nationales. Les relations internationales devenant de plus en plus ouvertes, avec le monde multilatéral qui se dessine, il serait aussi bénéfique de miser sur des alliances opportunistes entre les différentes puissances concurrentes pour faire avancer certains projets. Mais, ce sera un travail de longue haleine. Le chemin peut être long et semé d’embûches. Donc, pour parler comme Amilcar Cabral, il ne faut pas faire croire à des victoires faciles[11]. Toutefois, l’émancipation, pour se défaire de toute domination, est à portée de main. Il faudra juste mener des combats solidaires et avoir de bonnes stratégies.
[1] Aimé Césaire, cité par Saïd Bouamama, "Planter du blanc" Chroniques du (néo)colonialisme français, p.7
[2] Michel Debré, lettre adressée à Léon Mba, datée du 15 juillet 1960… cité par Said Bouamama, Planter du blanc, Chronique du (néo)colonialisme français, p.14
[3][3] Foccart parle, entretiens avec Philippe Gaillard (1), p.194
[5]François-Xavier Verschave, cité par Saïd Bouamama, Planter du blanc, Chronique du (néo)colonialisme français, p.15
[6]André Oraison, Quelques réflexions critiques sur la conception française du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes à la lumière du différent franco-comorien sur l’île de Mayotte, Cité par Saïd Bouamama, Ibid p.113
[11]Amilcar Cabral, Ne faites pas croires à des victoires faciles, p.25
par Cheikh Tidiane Sy
FIABILISER LES STATISTIQUES AGRICOLES
Au Sénégal, on conteste souvent les statistiques de production agricole que cela soit sur le riz ou sur l’arachide. En effet, les productions déclarées semblent souvent être en décalage avec la réalité des importations et des consommations nationales
Emédia |
Cheikh Tidiane Sy |
Publication 27/11/2023
Au Sénégal, on conteste souvent les statistiques de production agricole que cela soit sur le riz ou sur l’arachide. En effet, les productions déclarées semblent souvent être en décalage avec la réalité des importations et des consommations nationales.
1er biais
La production de riz paddy est de l’ordre de 1,3 millions de tonnes soit 780.000 tonnes de riz blanc (si on considère un rendement moyen de 66% après décorticage) alors que les rendements au décorticage peuvent descendre jusqu’à 55%.
Les impuretés du riz et son taux d’humidité constituent une seconde source d’erreur sur l’estimation des rendements à l’usinage.
2eme biais
Les méthodes d’évaluation des rendements à la parcelle surestiment souvent la production de paddy à l’hectare en irrigué comme en pluviale. Les rendements de plus de 5 tonnes par hectare avancés pour l’irrigué sont nettement moins importants.
Finalement, quand on vous dit que le Sénégal a produit 1,3 millions de tonnes de riz ou 1,8 millions d’arachides vous êtes en droit d’en douter scientifquement.
Solutions
1. Évaluer les productions de riz ou sur la base des quantités transformées dans les rizeries.
2. Revoir les méthodes d’évaluation des rendements à la parcelle
3. Tenir compte des niveaux d’importation et de consommation par tête d’habitants pour éviter l’excès de « Mafé »