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23 novembre 2024
Opinions
par Makhtar Diouf
SOUVENIRS AVEC AMADOU MAKHTAR MBOW
EXCLUSIF SENEPLUS - À la découverte de l'homme derrière la légende. Ce récit retrace une amitié riche en enseignements. Un témoignage précieux sur l'un des grands intellectuels africains du 20ème siècle
C’est vers la fin de mes études que je rencontre A. Makhtar Mbow pour la première fois et rapidement à l’Unesco, avant qu’il en devienne le Directeur général. A l’époque, il est ministre de de l’Education nationale du Sénégal.
Rentré à Dakar après son passage durant douze ans à la tête de l’Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture, il ne boude aucune manifestation intellectuelle, culturelle où il est invité.
Le 6 février 1996, lors de la célébration du 10ème anniversaire du rappel à Dieu de Cheikh Anta Diop au Cices, il préside une séance où je prononce une conférence sur La marginalisation de l’Afrique. C’est là que commence véritablement notre amitié.
Un peu plus tard, dans le même lieu où se tient la Fiara (Foire internationale de l’agriculture et des ressources animales), en visitant les différents stands, je tombe sur celui de Femmes de la région de Saint-Louis. Je le trouve là, devant une carte détaillée de la région. Lorsque je le salue, il tend ma main vers la carte et la pointe sur la localité, je crois Nguélar, et me dit en wolof : Fii la sama papa juddo (C’est là qu’est né mon père). Je lui dis : yow nga judoo Luga (Et toi tu es né à Louga). Il me répond : gnu bari loolu la gnou fook, waaya ma ngi judoo Dakar. (C’est ce que beaucoup croient, mais je suis né à Dakar).
Le 12 septembre 2013 à l’amphithéâtre de l’Ecole normale supérieure, il introduit le Cours inaugural de l’Université du Troisième âge. Il tient le public en haleine pendant plus d’une heure, sans une feuille de note. Il nous parle beaucoup de Lamine Guèye, homme multidimensionnel qui à Saint-Louis enseignait les mathématiques et l’arabe, et aussi grand nationaliste.
A l’époque, nous raconte notre illustre conférencier, les autorités coloniales n’accordent des bourses d’études en France aux Africains que pour faire des études vétérinaires. Soigner des animaux, mais pas des humains. Il n’est pas question de s’inscrire en Faculté de Médecine et Pharmacie et encore moins en Faculté de Droit. Mais Lamine Guèye a réussi, nous dit-il, à contourner toutes les difficultés et est arrivé à s’inscrire en Faculté de Droit pour devenir le premier Licencié puis Docteur en Droit et avocat de l’AOF, se faisant le défenseur des victimes d’injustice du système colonial.
Il nous apprend que lorsque devenu maire de Dakar, Lamine Guèye a accordé des bourses d’études en France à tous les Africains qui le désiraient, chacun pouvant faire les études de son choix. On y compte entre autres Cheikh Anta Diop, Abdoulaye Wade, Fadilou Diop devenu un grand avocat. Amady Ali Dieng en parle aussi dans son excellent livre Lamine Guèye.
A la fin de son exposé, je m’approche de Makhtar Mbow et je le supplie d’écrire ses Mémoires. Ce sont, lui dis-je, des écrits dans lesquels on trouve bien des informations qu’on ne trouve pas dans des livres d’Histoire. Il me promet de le faire.
Lors de l’enterrement du président Mamadou Dia le 25 janvier 2009 au cimetière de Yoff, je me trouve à côté de lui sur l’esplanade, en attente de l’arrivée du corbillard. C’est là qu’il me raconte que Mamadou Dia est né en 1910 et non en 1911 comme il apparaît sur son état-civil, que c’est le stratagème qui avait été trouvé pour lui permettre de s’inscrire à l’école primaire alors qu’il n’avait pas encore l’âge requis.
Lors de la décision d’organiser les Assises nationales en 2008, je suis approché par des amis universitaires pour y prendre part. Je suis réticent, n’y voyant qu’une entreprise politicienne du défunt régime PS. C’est lorsque j’apprends que Makhtar Mbow a accepté d’entre être le président que j’ai donné mon accord, pour être dans la Commission Economie et Finance. Je passe le voir de temps en temps dans le bureau qui lui est affecté.
Il m’a raconté qu’à un moment donné, pour une raison d’équité, il avait ouvert la porte de l’Unesco à des islamologues occidentaux de renom, pour y faire une présentation objective et sereine de l’Islam. Comme le Français Maxime Rodinson (auteur de Islam et capitalisme,1966). Comme le diplomate suisse Marcel Boisard, qui a passé toute sa carrière diplomatique dans les pays arabes, auteur de L’humanisme de l’Islam, 1979 et L’Islam aujourd’hui, 1985, édité par l’Unesco. (J’ai pu juger de l’érudition et de l’objectivité de Boisard pour avoir lu ses deux ouvrages qu’il m’avait offerts dans son bureau de Genève).
Makhtar Mbow était une mémoire vivante de l’histoire politique, sociale et culturelle du Sénégal de son époque. Un conteur remarquable des évènements qu’il a vécus.
Notre dernière rencontre a lieu lors de la levée de corps de notre regretté Amady Ali Dieng le 14 mai 2015 à la mosquée du Point E. C’est là qu’il me dit qu’il a presque fini de rédiger ses Mémoires. Il me dit aussi qu’il est en proie à des problèmes cardiaques. Raison pour laquelle je m’abstenu de lui rendre visite ou de lui téléphoner pour ne pas le déranger, sachant que même dans la douleur il savait se rendre disponible.
Il m’appelait toujours turandoo (mon homonyme). Une fois il m’a servi du ‘’Grand Makhtar’’ : dans une de nos plaisanteries, je lui avais dit que je suis plus âgé que lui parce que je suis né un 19 mars et lui un 20 mars. Un grand homme.
Par Makhtar DIOUF
SOUVENIRS AVEC AMADOU MAKHTAR MBOW
C’est vers la fin de mes études que je rencontre A. Makhtar Mbow pour la première fois et rapidement à l’Unesco, avant qu’il en devienne le Directeur général. A l’époque, il est ministre de d’Education nationale du Sénégal.
C’est vers la fin de mes études que je rencontre A. Makhtar Mbow pour la première fois et rapidement à l’Unesco, avant qu’il en devienne le Directeur général. A l’époque, il est ministre de d’Education nationale du Sénégal.
Rentré à Dakar après son passage durant douze ans à la tête de l’Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture, il ne boude aucune manifestation intellectuelle, culturelle où il est invité.
Le 6 février 1996, lors de la célébration du 10ème anniversaire du rappel à Dieu de Cheikh Anta Diop au Cices, il préside une séance où je prononce une conférence sur La marginalisation de l’Afrique. C’est là que commence véritablement notre amitié.
Un peu plus tard, dans le même lieu où se tient la Fiara (Foire internationale de l’agriculture et des ressources animales), en visitant les différents stands, je tombe sur celui de Femmes de la région de Saint-Louis. Je le trouve là, devant une carte détaillée de la région. Lorsque je le salue, il tend ma main vers la carte et la pointe sur la localité, je crois Nguélar, et me dit en wolof : Fii la sama papa juddo (C’est là qu’est né mon père). Je lui dis : yow nga judoo Luga (Et toi tu es né à Louga). Il me répond : gnu bari loolu la gnou fook, waaya ma ngi judoo Dakar. (C’est ce que beaucoup croient, mais je suis né à Dakar).
Le 12 septembre 2013 à l’amphithéâtre de l’Ecole normale supérieure, il introduit le Cours inaugural de l’Université du Troisième âge. Il tient le public en haleine pendant plus d’une heure, sans une feuille de note. Il nous parle beaucoup de Lamine Guèye, homme multidimensionnel qui à SaintLouis enseignait les mathématiques et l’arabe, et aussi grand nationaliste.
A l’époque, nous raconte notre illustre conférencier, les autorités coloniales n’accordent des bourses d’études en France aux Africains que pour faire des études vétérinaires. Soigner des animaux, mais pas des humains. Il n’est pas question de s’inscrire en Faculté de Médecine et Pharmacie et encore moins en Faculté de Droit. Mais Lamine Guèye a réussi, nous dit-il, à contourner toutes les difficultés et est arrivé à s’inscrire en Faculté de Droit pour devenir le premier Licencié puis Docteur en Droit et avocat de l’AOF, se faisant le défenseur des victimes d’injustice du système colonial.
Il nous apprend que lorsque devenu maire de Dakar, Lamine Guèye a accordé des bourses d’études en France à tous les Africains qui le désiraient, chacun pouvant faire les études de son choix. On y compte entre autres Cheikh Anta Diop, Abdoulaye Wade, Fadilou Diop devenu un grand avocat. Amady Ali Dieng en parle aussi dans son excellent livre Lamine Guèye. A la fin de son exposé, je m’approche de Makhtar Mbow et je le supplie d’écrire ses Mémoires. Ce sont, lui dis-je, des écrits dans lesquels on trouve bien des informations qu’on ne trouve pas dans des livres d’Histoire. Il me promet de le faire.
Lors de l’enterrement du Président Mamadou Dia le 25 janvier 2009 au cimetière de Yoff, je me trouve à côté de lui sur l’esplanade, en attente de l’arrivée du corbillard. C’est là qu’il me raconte que Mamadou Dia est né en 1910 et non en 1911 comme il apparaît sur son état-civil, que c’est le stratagème qui avait été trouvé pour lui permettre de s’inscrire à l’école primaire alors qu’il n’avait pas encore l’âge requis.
Lors de la décision d’organiser les Assises nationales en 2008, je suis approché par des amis universitaires pour y prendre part. Je suis réticent, n’y voyant qu’une entreprise politicienne du défunt régime PS. C’est lorsque j’apprends que Makhtar Mbow a accepté d’entre être le Président que j’ai donné mon accord, pour être dans la Commission Economie et Finance. Je passe le voir de temps en temps dans le bureau qui lui est affecté.
Il m’a raconté qu’à un moment donné, pour une raison d’équité, il avait ouvert la porte de l’Unesco à des islamologues occidentaux de renom, pour y faire une présentation objective et sereine de l’Islam. Comme le Français Maxime Rodinson (auteur de Islam et capitalisme,1966) . Comme le diplomate suisse Marcel Boisard, qui a passé toute sa carrière diplomatique dans les pays arabes, auteur de L’humanisme de l’Islam, 1979 et L’Islam aujourd’hui, 1985, édité par l’Unesco. (J’ai pu juger de l’érudition et de l’objectivité de Boisard pour avoir lu ses deux ouvrages qu’il m’avait offerts dans son bureau de Genève).
Makhtar Mbow était une mémoire vivante de l’histoire politique, sociale et culturelle du Sénégal de son époque. Un conteur remarquable des évènements qu’il a vécus.
Notre dernière rencontre a lieu lors de la levée de corps de notre regretté Amady Ali Dieng le 14 mai 2015 à la mosquée du Point E. C’est là qu’il me dit qu’il a presque fini de rédiger ses Mémoires. Il me dit aussi qu’il est en proie à des problèmes cardiaques. Raison pour laquelle je me suis abstenu de lui rendre visite ou de lui téléphoner pour ne pas le déranger, sachant que même dans la douleur il savait se rendre disponible.
Il m’appelait toujours turandoo (mon homonyme). Une fois il m’a servi du ‘’Grand Makhtar’’ : dans une de nos plaisanteries, je lui avais dit que je suis plus âgé que lui parce que je suis né un 19 mars et lui un 20 mars. Un grand homme.
PAR MAKHTAR DIOUF
Par Babacar MBAYE
SOMMET DE LA FRANCOPHONIE : RETOUR AUX SOURCES DE L’ESPERANCE
Les vendredi 4 et samedi 5 octobre prochains, le Président Bassirou Diomaye Faye se rendra en France pour prendre part au XIXe Sommet de la Francophonie que le pays de Marianne accueille pour la première fois depuis 1991.
Les vendredi 4 et samedi 5 octobre prochains, le Président Bassirou Diomaye Faye se rendra en France pour prendre part au XIXe Sommet de la Francophonie que le pays de Marianne accueille pour la première fois depuis 1991. En se retrouvant sur deux lieux, Paris et ensuite la commune de Villers-Cotterêts, les dirigeants francophones vont passer en revue l’état de la langue française et les enjeux actuels du monde.
Le choix de Villers-Cotterêts est symbolique car dans le château de la commune, est érigée la Cité internationale de la langue française, site culturel dédié à la révélation de « la langue française comme source de créativité et d'échanges, d’épanouissement intellectuel et esthétique, de plaisir et comme un levier d’insertion sociale, économique et citoyenne ».
Dans le château de Villers-Cotterêts, ancien palais de François 1er, le roi a signé en 1539 l’ordonnance érigeant l'usage du français dans les actes administratifs et judiciaires en France.
L’histoire devrait alors ériger les leaders qui s’y retrouveront pour penser l’avenir de l’humanité, en proie à des crises protéiformes et à des mouvements et dynamiques, notamment au sein de la jeunesse des pays membres.
Pour ce sommet des chefs d’État et de gouvernement, les dirigeants vont plancher sur le thème suivant : « Cŕeer, innover et entreprendre en français pour l’emploi des jeunes », et ils auront certainement ̀a cœur d’apprécier les opportunités qu’offre l’espace francophone, notamment au bénéfice de la jeunesse. Cette jeunesse dont le réservoir se trouve en Afrique fait face à des défis colossaux en termes d’emploi, d’inclusion sociale, de mobilité et d’accès aux opportunités du numérique et de l’intelligence artificielle.
Il est indéniable que l’avenir de la jeunesse francophone se situe en Afrique. La croissance démographique est un indicateur important pour mesurer le poids du continent dans les prochaines décennies et dans le cycle des échanges économiques et sociaux. La population francophone africaine va passer de 321 millions d’habitants aujourd’huì a 715 millions d’habitants d’ici 2050. Cette population qui sera en majorité jeune inspire aux décideurs qui se retrouveront en France de vrais défis générationnels, liés notamment au climat, au numérique, à l’IA et à la paix et la sécurité.
L’OIF est un cadre important pour la diplomatie multilatérale. Elle a un rôle majeur à jouer pour relever les défis de la paix, la sécurité, les migrations et l’urgence climatique. Le continent africain, qui accueille la plus forte densité de populations francophones, fait face à des défis démocratiques et sécuritaires importants. Au Sahel, les juntes qui ont pris le pouvoir virent vers un autoritarisme sans précédent et ferment tous les espaces de respiration démocratique. Elles se maintiennent au pouvoir, refusent d’organiser des élections et emprisonnent et harcèlent journalistes et membres de la société civile.
Ces juntes n’arrivent pas non plus à annihiler les groupes armés qui sévissent dans la région et provoquent des milliers de morts civils et militaires. En RDC, grand pays francophone, la guerre civile est persistante, et aucune solution proche n’est envisagée. C’est dans ce cadre qu'un huis clos des chefs d’État et de gouvernement est prévu sur le thème : « Pour un multilatéralisme renouvelé ». Depuis la Déclaration de Bamako de 2003, l’OIF s’est dotée d’un cadre normatif sur la démocratie, les droits et les libertés dans l’espace francophone.
Sur la base des valeurs de notre langue en partage, les chefs de délégation échangeront aussi sur le climat et le numérique. Deux leviers essentiels de croissance et de survie d’une jeunesse dynamique mais en proie au doute. Ce sommet devrait être l’occasion de minimiser le doute et de fouetterle potentiel créatif d’une jeunesse ingénieuse et porteuse de projets allant dans le sens de transformer le présent et l’avenir. Seront présents à Paris, au Grand Palais, et à Villers-Cotterêts, des jeunes issus d’Hanoï, de Dakar, de Kinshasa et de Québec pour se mobiliser et penser une francophonie moderne, ambitieuse et au cœur des enjeux actuels. Car selon les organisateurs du Sommet de 2024, « les chefs d’État et de gouvernement pourront pour la première fois ́echanger avec de jeunes cŕeateurs, innovateurs et entrepreneurs qui ́evoqueront leurs ŕeussites mais également les défis qu’ils rencontrent ».
Il faut espérer du Sommet de Villers-Cotterêts qu'il soit un moment pour tordre le bras aux idées reçues sur une francophonie vieillotte et poussiéreuse. A l’heure où le multilatéralisme est largement éprouvé à Gaza, en RDC, au Soudan, en Ukraine et au Liban, des engagements forts sont attendus pour remettre l’OIF au cœur de la géopolitique des crises. Ce sera aussi l’occasion de montrer que la francophonie est attractive car en plus de porter les belles valeurs de la langue française, elle charrie des solutions aux crises du monde.
A Villers-Cotter̂ets, la francophonie retourne aux sources de sa mère-patrie. Mais elle revient enrichie des ajouts, des inventions, des innovations issues des maquis d’Abidjan, des cafés dakarois, des salons libanais et des jardins genevois.
Au moment où le Président sénégalais s’apprête à participer à son premier Sommet de la Francophonie en France, il faut avoir une pensée pour le père-fondateur de cette organisation, Léopold Sédar Senghor, sénégalais et français. Homme-lien, trait d’union, dont l’esprit de synthèse devrait habiter la relation saine et fertile entre les deux pays. Ce retour aux sources devrait fertiliser l’espérance.
PAR YOUSSOU DIALLO
SYSTÈMES ET POPULISMES !
Ce qu’on appelle aujourd’hui laborieusement le « système », sans jamais le définir, est souvent un fourre-tout politique, théorique, idéologique et social. D’où la nécessité de clarifier certains aspects théoriques et historiques de ce concept.
Ce qu’on appelle aujourd’hui laborieusement le « système », sans jamais véritablement le définir, est souvent un fourre-tout politique, théorique, idéologique et social. D’où la nécessité de clarifier certains aspects théoriques et historiques de ce concept, d’identifier les mouvements politiques et sociaux communément appelés mouvements « anti- systèmes » ou « populistes »; ce qu’ils sont réellement au-delà des proclamations et pétitions de principes, d’essayer de comprendre leurs projets et de faire des projections sur leurs avenirs .
De l’évolution historique des systèmes
Le système, pour parler de lui, n’est pas tombé du ciel ; c’est un fait social et historique, une création des hommes, animée et dirigée par eux. Aucun système n’est mauvais en soi et dans l’absolu ; tout système social correspond à une forme nécessaire et rationnelle d’organisation et de fonctionnement des sociétés humaines à un moment historique déterminé. C’est l’usage que font les hommes du système qui le pervertit ou le bonifie ! L’Afrique du Sud après Mandela, avec l’ANC, mouvement d’obédience communiste-socialiste et dirigée par les présidents noirs qui lui ont succédé, est de l’avis quasi unanime, plus corrompue et plus inégalitaire aujourd’hui que sous le système de l’Apartheid !
Toutes les formes d’organisation humaine, après les communautés primitives, sont des systèmes parce qu’elles obéissent à des règles et des mécanismes de fonctionnement et de reproduction basés sur l’inégalité, la hiérarchie et l’ordre.
Au début étaient les sociétés barbares reposant sur la loi du plus fort, la force, la violence et la domination ; ensuite, de manière plus civilisée et subtile, les sociétés féodales avec leurs ordres et privilèges ; puis le capitalisme, qui consacre juridiquement la liberté et l’égalité et privilégie le travail et le mérite individuels comme seuls critères d’accomplissement social. Ces systèmes que je viens d’évoquer sont socialement typés avec des classes et couches dominantes qui règnent sur la grande masse. Ces systèmes sont consacrés, garantis et défendus par l’État grâce à sa force armée et sa justice, en tant qu’institution dominante dotée d’un pouvoir de contrainte, voire de répression. L’État impose par la loi et la violence légale( forces de l’ordre ), l’ordre établi par les classes dominantes du système socio-politique. Cependant, les systèmes ne se réduisent pas uniquement à l’État et à ses institutions ; ils se retrouvent dans des sous-systèmes que sont toutes les formes d’organisations sociales et religieuses dans lesquelles des pouvoirs, des intérêts et des privilèges sont en jeu.
Avec l’évolution du système capitaliste, qui domine le monde depuis le XVIIIe siècle et qui est devenu capitalisme-impérialisme au début du XXe siècle, malgré les poussées fulgurantes du communisme-socialisme au début du XXe siècle (avec la Révolution russe d’octobre 1917, la Révolution chinoise en 1949, la naissance du Bloc de l’Est après la Seconde Guerre mondiale, les révolutions dans le Tiers Monde avec l’Inde, l’Iran, l’Indochine, Cuba, etc.), le système capitaliste est pour l’essentiel restauré au plan économique, tout au moins dans les pays anciennement socialistes et communistes (économie de marché dominante, appropriation privée des moyens de production combinée à un capitalisme d’État, forte insertion dans le marché capitaliste mondial des biens, services et capitaux). Le système capitaliste mondial, devenu unipolaire autour des États-Unis après la chute du Bloc de l’Est au début des années 1990, est rigoureusement contesté par la Chine, la Russie, l’Inde et certains pays émergents regroupés sous le vocable de BRICS.
Le système capitaliste dominant dans lequel nous vivons toujours au début du XXIe siècle s’est adapté par des formes diverses, allant des démocraties occidentales de type libéral (Europe occidentale, Amérique du Nord, etc.) aux démocraties du Tiers Monde avec des variantes autoritaires pour beaucoup, totalitaires pour certains et des transitions démocratiques pour le plus grand nombre. Ces formes modernes du capitalisme, qu’elles soient démocratiques, libérales ou autoritaires, se caractérisent par l’existence de fortes inégalités sociales, le chômage, la pauvreté, l’économie de marché, un mode d’appropriation privée des moyens de production et, de façon manifeste ou diffuse, par la domination du système par des oligarques (castes et minorités, groupes de pression et lobbies) ou des ploutocrates (personnes riches), ou les deux à la fois. Les systèmes sont généralement sociologiquement relativement fermés ; ils ont vocation à se perpétuer et à se reproduire pour la conservation des privilèges des classes et couches dominantes. « Tous les systèmes sont mauvais », nous disait Jean-Jacques Rousseau ! La démocratie, toujours selon lui, « est le système le moins mauvais » !
La démocratie, qui est le système actuel de gouvernement dominant dans le système capitaliste, est relativement plus ouverte que les autres systèmes, plus dynamique, parce que elle cherche en permanence à s’adapter, à se réformer et à se renouveler .
Des populismes aujourd’hui
Depuis la chute et la dislocation du Bloc de l’Est et les réformes libérales en Chine, on a de moins en moins tendance à qualifier les systèmes par leurs caractéristiques sociales, idéologiques ou socioéconomiques. Les systèmes sont devenus relativement « neutres » et quasiment « uniformes » socialement. Ils n’ont plus d’épithètes idéologiques ; ils sont devenus le Système avec un grand « S » des États-Unis à l’Europe, de l’Asie à l’Amérique latine, du Brésil à l’Afrique. Maintenant le Système signifie le pouvoir en place tout court et quel qu’il soit, celui des élites sur le peuple. Le système s’exerce aux plans économique et financier à travers les oligarques, les lobbies, la politico-bureaucratie, les affairistes etc. La révolution sociale cède la place à la lutte anti-système dirigée par des mouvements et partis populistes.
Le populisme ne s’inscrit pas dans une perspective de renversement et de bouleversement de l’ordre sociale mais dans une perspective de remplacement des élites par d’autres. Bien que proclamant partout , à cor et à cris, vouloir restaurer la souveraineté du peuple , transformer la société par le bas, dans leur démarche concrète, les populistes de tous les pays font le contraire de ce qu’ils disent une fois arrivés au pouvoir. D’ailleurs, le glissement sémantique, la substitution subtile du concept « anti système » par celui de « transformation systémique » traduit ce glissement. L’anti- système logiquement détruit le système tandis que le transformateur systémique cherche a le modifier, à l’adapter à lui. On est ainsi en face d’un flou artistique socialement et idéologiquement parlant.
La plateforme d’offre politique des populistes prévoit en général l’instauration d’une gouvernance et d’un contrôle directs par le peuple des affaires publiques( la souveraineté populaire) , la souveraineté nationale, la souveraineté économique, le remplacement des anciens dirigeants et des élites du système, une réallocation des ressources en faveur du peuple et des démunis, des lendemains radieux pour le peuple, les jeunes et les laissés pour compte en particulier.
Le combat populiste est inspiré et dirigé, dans les pays développés, par des élites bourgeoises dites de droite ou d’extrême droite, voire fascistes, donc appartenant aux classes dominantes tandis que dans les pays du Tiers Monde et pauvres comme les nôtres, il est porté par les couches moyennes ( petits bourgeois) produits du système. Au Sénégal deux courants idéologique, en plus des nationalistes et des révoltés de tous ordres, dirigent et animent les mouvements d’obédiences populistes : les intellectuels anciennement de gauche, adeptes de la « Révolution » et du « Grand Soir » relativement minoritaires dans cette mouvance et un courant d’intellectuels formés à l’école occidentale et en même temps militants de courants religieux islamistes bien structurés, apparus au Sénégal au milieu des années 1980. Ces courants islamistes sont fortement inspirés par les obédiences « Frères musulmans » et « Salafistes ».
Ces intellectuels islamistes malgré les ajustements et alliances tactiques opérés avec les intellectuels occidentalisés, sont stratégiquement opposés aux Confréries musulmanes installés au Sénégal depuis fort longtemps et les considèrent comme des hérésies dans l’Islam. Le DMG de la Présidence de la République, Cheikh Oumar Diagne, n’est pas un épiphénomène, c’est le représentant assumé sans fards ni hypocrisie de ce courant. Les références idéologiques et sociales sont généralement éludées ou volontairement rendues floues. Ils présentent juste à l’opinion un concentré de revendications nationalistes, de promesses de rupture aux plans politique économique, éthique, morale et de lutte contre corruption et ce qu’ils appellent la mal gouvernance . Leurs revendications correspondent souvent à des exigences populaires légitimes susceptibles d’indigner et de mobiliser les populations, les jeunes et les laissés pour compte principalement.
Leurs stratégies et méthodes en matière de communication sont la victimisation à outrance, la dénonciation et la déconstruction systématiques, la stigmatisation, le harcèlement médiatique et les agressions verbales, le matraquage de l’opinion et du peuple, le tout articulé autour d’un discours simple, simpliste et réducteur, à des fins de propagande et manipulation des masses . Leurs stratégies de communication se sont révélées efficaces et mobilisatrices avec l’apport des réseaux sociaux et des médias.
Leurs modes d’action sont à la limite de la légalité républicaine., il accepte la légalité tant qu’elle les arrange, quand elle leur est favorable et la conteste immédiatement par des voies souvent de non droit, par l’épreuve de force, par des manifestations de rue pouvant aller jusqu’aux émeutes et autres actes de vandalisme.
Souvenons-nous de l’occupation de la Chambre des Représentants et du Sénat américain par les hordes pro-Trump, les émeutes et les occupations de la rue et des principales Institutions du Brésil par les Bolsonaristes après leur dernière défaite électorale. Souvenons-nous aussi, au Sénégal, des émeutes de début mars 2021 et de juin 2023 à l’appel de Ousmane Sonko leader de Pastef qui ont fini par décider le Gouvernement à dissoudre ce parti .
Les populistes, c’est les virages a 180 degrés du discours et au respect des engagements, tantôt anarchistes et émeutiers accomplis dans l’opposition, aussi, dictateurs et négateurs des droits et libertés individuelles et collectives, une fois arrivés au pouvoir. Depuis qu’ils sont au pouvoir au Sénégal , ils n’ont quasiment autorisé aucune manifestation légale de l’opposition et mettent à tour de bras, de simples citoyens en prison pour des délits « d’opinion »!) .
Les marqueurs forts de la ligne d’actions des populistes sont l’occupation du terrain politique par les réseaux sociaux, les médias et les appels incessants à des mobilisations afin de maintenir une tension politique et sociale permanente. Les jeunes mécontents et le lumpen prolétariat des grands centres urbains sont les fers de lance de leurs actions de rue et de casse.
Le combat des mouvances populistes a toujours besoin d’être incarné et dirigé par un leader charismatique, un tribun iconoclaste, parfois fantasque voir messianique, quasiment vénéré et souvent considéré comme « inspiré » et « infaillible » ! Les militants et adeptes des mouvements populistes donnent plus l’impression dans leurs attitudes vis à vis de leur leader, de « talibés » fanatiques et d’illuminés que de personnes ayant adhéré librement et consciemment à une cause ( mêmes chez certains intellectuels !). Leur leader, quoi qu’il dise, quoi qu’il fasse, a toujours raison et il faut le défendre, se sacrifier pour lui, parce qu’il incarne la cause, le « Projet » qui est « sacré ». Les conditions objectives de l’éclosion et de développement fulgurant des mouvements populistes dans nos pays sont le bas niveau de conscience politique des populations , de culture intellectuelle chez notre jeunesse et même d’une bonne partie de nos élites. Cette situation est accélérée par la tyrannie des réseaux sociaux et des médias de l’instantané, du sensationnel et du buzz.
Ensuite, les conditions de pauvreté de masse, les inégalités découlant des limites des politiques et solutions proposées par les élites dirigeantes, l’insuffisance d’équité et de justice sociales, la corruption et l’enrichissement illicite. Ces limites incluent l’insuffisance d’emplois décents et d’activités pour les jeunes en particulier, le creusement des inégalités sociales et l’exclusion de pans de plus en plus significatifs de la population des retombées du développement. Enfin, la mondialisation forcenée des économies qui laisse peu de marges de manœuvre à nos pays, la stagnation et la régression de nos économies agricoles combinées à une démographie galopante et un exode rural massif ainsi que l’absence d’alternatives socioéconomiques crédibles et d’espoir en un avenir meilleur.
Les mouvements anti-système ont généralement cette magie de concentrer toutes les contestations et tous les mécontentements populaires du moment, en réunissant dans une même dynamique les exclus du développement et tous ceux qui aspirent à un changement, quel qu’en soit le prix et quelles qu’en soient les perspectives. Malheureusement, les espoirs que ces personnes fondent sur les promesses de leurs dirigeants populistes sont vite déçues, une fois le pouvoir conquis. D’abord, les nouvelles élites populistes s’emparent rapidement des principaux leviers de l’appareil de répression du « système » et les utilisent vigoureusement et sans états d’âme contre tous ceux qui daignent les contester, y compris le peuple. Ensuite, les promesses à caractères sociale et économique comme l’emploi, l’amélioration du pouvoir d’achat, la souveraineté monétaire, la souveraineté alimentaire et économique, l’industrialisation révèlent la difficulté de leur faisabilité à l’épreuve de la réalité.
Et enfin, la gouvernance vertueuse, transparente et économe passent aussi à la trappe des promesses non tenues( suppression des fonds politiques, réductions du train de vie de l’Etat, reddition des comptes par tous , la patrie avant le parti etc.). Enfin de compte, dans la plupart des cas, il est constaté que le « système » est toujours là , il n’est pas détruit et il est reproduit en pire avec les nouveaux dirigeants « anti systèmes ». Cette situation creuse chaque jour davantage un fossé plus large et plus profond entre les dirigeants populistes et le peuple.
Les courants et mouvements anti-systèmes d’obédience populiste et souverainiste dans les grands pays capitalistes sont nés pour combattre ce système qui échappe à ses « actionnaire » et au peuple. Ces courants et mouvements dans les pays occidentaux ont profité du caractère de plus en plus monopolistique du capitalisme qui se concentre entre très peu de mains et du déclin des mouvements révolutionnaires, populaires et syndicaux « devenus des appendices du système » pour émerger et se développer. Ces courants ont pour base sociale les couches et classes populaires ( ouvriers, paysans, les déclassés des couches moyennes ), les personnes âgées, les xénophobes et les racistes. Ils ont produit les Le Pen, Mattéo Salvini, Trump, Bolsonaro, etc.
Leurs dirigeants sont des produits du système capitaliste qu’ils cherchent non pas à renverser, mais à réformer en promettant de le « rendre plus populaire » par moins d’impôts à l’intérieur du pays, plus de droits de douane contre les pays concurrents, démantèlement des bureaucraties, dans les organisations d’intégration et d’union comme l’Union Européenne , limitation et éradication de l’immigration etc. Par contre dans nos pays, ce nationalisme appelé par les dirigeants populistes « patriotisme »ou « souverainisme » est souvent un mélange confus de prétentions diplomatique, politique et socioéconomique le tout sur fond de démagogie et de promesses irréalistes, d’exhortation de l’ego et des « instincts » primaires du peuple. Le seul parti populiste en Afrique arrivé au pouvoir par la voie démocratique ( élections libres et démocratiques ), c’est Pastef. Dans les autres pays africains, ils sont identifiés à des putschistes qui tentent de se recycler, après leurs forfaits institutionnels, pour récupérer les masses, les jeunes des grands centres urbains en particulier, à travers un discours aux relents populistes et souverainistes . C’est le cas notamment des pays de l’Alliance du Sahel ( AES), Niger, Burkina et Mali.
Le caractère messianique du discours est commun à tous les populistes du monde. Ils font beaucoup recours aux valeurs, à l’éthique, à la morale en s’adossant fortement à des courants religieux, les Évangélistes chez Trump et d’autres courants de l’Eglise chez d’autres en Europe et en Amérique, les courants Frères musulmans, Salafistes etc. chez nous . En revanche, dans nos pays, les mouvements anti-systèmes sont des mouvements socio-politiques composites, essentiellement dominés par la petite bourgeoisie administrative et certaines élites intellectuelles qui se sont constituées dans le « système ». Dans leurs stratégies les espaces de libertés offerts par la Démocratie sont exploités à fond pour imposer un changement de régime. D’abord, par les voies et moyens classiques, pacifiques offerts par l’État de droit et la Démocratie , ensuite avec l’évolution du rapport de forces en leur faveur, par des actions de mobilisation et des manifestations de plus en plus séditieuses tendant à affaiblir, bloquer et renverser le système par la rue ou les élections, ou les deux à la fois !
De l’État et du système
L’État et le Système sont deux réalités contradictoires, dialectiquement liées. L’un ne peut pas exister sans l’autre. Karl Marx nous apprend que le système, qui repose sur les inégalités et l’exploitation de l’homme par l’homme, ne disparaîtra qu’à l’extinction de l’État avec l’avènement du communisme supérieur (« à chacun selon ses capacités et à chacun selon ses désirs ! »). Ainsi donc, vouloir être anti-système dans une société où il existe l’État est un non-sens ! Pour la simple raison que ceux qui s’en réclament, à l’épreuve du pouvoir, cherchent plus à l’utiliser à leur profit contre les déchus et leurs adversaires supposés ou réels. L’État est le premier système politique organisé.
D’ailleurs les révolutions communistes du début du 20 eme siècle et de l’après seconde guerre mondiale avec l’émergence du Bloc de l’Est ont vu apparaître des Etats dits « de dictature du prolétariat »ou « de dictature démocratique et populaire » pour, disaient les communistes et socialistes d’alors, « détruire l’Etat bourgeois et capitaliste et instaurer un Etat des ouvriers, un Etat du peuple ».Ce fut partout des échecs qui ont débouché sur l’instauration d’un capitalisme d’État , de régimes bureaucratiques, inégalitaires, corrompues et inefficaces dans la gestion économique et sociale. Ce qui conduisit au début des années 1990 à la Pérestroïka et l’effondrement du Bloc de l’Est. La Chine communiste a pu éviter sa Pérestroïka et malgré le printemps de Pékin avec la révolte des étudiants écrasée dans le sang, grâce au génie et au pragmatisme du Premier Ministre Deng Tsiao Ping. Les réformes de Deng ont établi la dualité économique « un pays deux systèmes »et instaurer l’ « économie social de marché ».
Des oligarques issus généralement des cadres et dirigeants des partis communistes en Chine, en Russie et dans les pays dits communistes et socialistes ont été « fabriqués » pour contourner le mode d’appropriation privée des grands moyens de production et pour porter les grandes entreprises à vocations nationale et internationale. Finalement une adaptation plus réaliste des pays « socialistes » et « communistes » pour tirer un meilleur avantage du « système » capitaliste et du marché mondial capitaliste. D’ailleurs cette défaite du camp socialiste et ses tentatives laborieuses de s’adapter au capitalisme et à la mondialisation capitaliste ont amené le politologue et économiste américain, Francis Fukuyama, à conclure dans son best-seller « La Fin de l’Histoire et le dernier Homme » publié en 1992, que avec la chute du Bloc de l’Est et l’ avènement d’un système capitaliste unipolaire mondialisé et dominant, que le système capitaliste libéral « était l’ultime système de gouvernement de l’humanité » ! D’où la fin de l’Histoire ! Sur un autre plan, par le développement prodigieux de la technostructure et de la mondialisation, les États, les administrations et les entreprises sont devenus des structures de plus en plus complexes et difficiles à gérer.
On voit ainsi apparaître des pouvoirs de décision de plus en plus éloignés des fonctions de gestion, de coordination, d’exécution et de contrôle. Ces fonctions apparaissent tous les jours plus complexes, plus pointues et plus spécialisées. Ces fonctions techniques d’assistance et de subordination ont pris une importance croissante et décisive dans toutes les sociétés contemporaines. Ces fonctions complexes et mondialisées nécessitant une expertise avérée pour certaines ont fini par presque donner le contrôle, et parfois même la domination de pans décisifs des systèmes à la technostructure. Cette technostructure, aussi appelée la bureaucratie, a créé un système dans le système (des sous-systèmes) à travers des constitutions, des lois, des règlements, des procédures et des techniques d’organisation, de gestion, de contrôle et de suivi, de telle sorte que le système échappe non seulement au peuple mais même en partie aux dirigeants et aux actionnaires en faveur de certains cols blancs et bleus.
Ce magma charrie « délits d’initiés », « conflits d’intérêts », « collusions », « corruption » ( l’histoire des sub-primes avec Modoff qui avait provoquée la grande crise financière de 2008) etc. La société semble tenue à la gorge par ces « initiés » qui profitent indûment des richesses de l’État, des actionnaires, des investisseurs, des producteurs, des travailleurs et du peuple en général. Les courants et mouvements anti-systèmes d’obédience populiste et souverainiste dans les grands pays capitalistes proclament que leur objectif est de combattre ce système qui échappe à ses propriétaires et au peuple.
Pour finir, à l’entame de cette contribution nous rappelions qu’aucun système n’est mauvais en soi et dans l’absolu, tout système correspond à une forme de rationalité et de nécessité de l’organisation politique, sociale, économique, militaire et même géostratégique d’un peuple à un moment historique déterminé pour lever les contraintes diverses liées à son développement à sa sécurité et sa survie. Cependant, notre avis est que, quel que soit le système en question dans nos sociétés actuelles, il y a des invariants fondamentaux qui doivent être scrupuleusement établis et consolidés si tant est qu’on aspire à servir au mieux les citoyens et le peuple. Ces invariants ou valeurs sont la liberté, l’égalité, la justice, le mystique du travail, la consécration du mérite, la promotion des valeurs de respect, d’obéissance, d’ordre, de tolérance et de paix, le culte du savoir, de la connaissance, de la science, de la technologie et de l’innovation, le respect des règles d’efficience économique, la culture de la solidarité et de la fraternité entre les hommes et entre les peuples du monde.
par l'éditorialiste de seneplus, ada pouye
LA CENTRALITÉ DU CITOYEN-PEUPLE : DE LA CONSTITUANTE INDÉPENDANTE ET SOUVERAINE
EXCLUSIF SENEPLUS - L'actuelle Constitution, expression de notre enfermement depuis 64 ans dans le giron du post-colonialisme et des institutions de Bretton Wood, ne peut plus être le référentiel de la bonne gouvernance de rupture
La transition d’un régime post- colonial qui porte tous les stigmates d’une déchirure ouverte de la démocratie a instauré un régime issu de la révolution démocratique du 24 mars et s’avère un exercice complexe qui exige une nouvelle ingénierie institutionnelle.
La déclinaison du projet en Jub, Jubal, Jubanti devrait être reformulée comme suit Jubanti (Redresser) jusqu’á la jub (droiture) Jubal (se fixer un cap) pour mieux traduire par étapes les options afin de faire face au carnage institutionnel, au carnage politique, au carnage économique et social que nous avons gravement subi ces 24 dernières années. Il s’agit d’une nécessité portée par une jeune génération décomplexée pour réussir la rupture systémique promue au peuple sénégalais.
Il faut reconnaître que ces institutions étaient des outils au service exclusif du « président » depuis les indépendances jusqu’à nos jours.
La centralité du président qui nomme aux emplois civils et militaires et qui désigne plus de la majorité des membres du CESE (80 membres titulaires et 40 membres associés), du HCCT, s’exerçait aussi et surtout dans la désignation des députés devant faire partie de la liste évidemment majoritaire et le choix du président de l’Assemblée nationale.
La logique de la majorité, mécanique même courte, a fait adopter des lois les plus scélérates de la 14e législature, y compris celle inique de faire reporter l’élection présidentielle.
Les dynamiques sociopolitiques qui ont conduit à la révolution démocratique du 24 mars 2024, matérialisée par le déferlement de la jeunesse notamment dans les urnes, font transparaitre l’impératif de la déconstruction de tout l’appareil institutionnel et administratif de l’État post-colonial.
« L’État post-colonial s’est installé dans une dépendance idéologique et financière, une dépendance tenace et pernicieuse vis-à-vis de l’étranger. Face à ces difficultés internes, il a favorisé la rencontre avec l’extérieur (institutions financières internationales, anciennes puissances coloniales, doctrine libérale) au détriment des solutions endogènes »[1].
Le ballet des institutions financières internationales, des partenaires techniques et financiers donne la mesure du piège de la maintenance du système tendue au nouveau régime afin de maintenir les choses en l’état.
Un état de droit où la gouvernance est fondée sur l’éthique, la participation, la concertation, le respect des institutions, des libertés individuelles et collectives et la défense des intérêts nationaux,
Le Sénégal un pays de justice sociale, d’équité avec des citoyens égaux en droit et animés par un haut degré du sens civique, engagés dans le développement durable s’appuyant sur un mouvement harmonieux du territoire et une sécurité nationale crédible.
Il ne s’agit pas de réformer les institutions faussement habillées de la cosmétique démocratique pour suivre la même logique de l’hyper-présidentialisme et de la chambre d’enregistrement dont la liste est fournie par le président. Il s’agit de déconstruire tout le système de la 5e République qui fait du président de la République un Bonaparte Tropical dont le fondement reste la reproduction d’une élite politicienne et d’une caste d’affairistes post-coloniaux corrompus.
Transformer la 15ème législature en constituante souveraine et indépendante est une exigence éthique de rupture systémique. La matérialité de ce pouvoir constituant auto-proclamé est de pouvoir rédiger une nouvelle Constitution qui organise la déconstruction de l’État post-colonial. La constitution actuelle qui est la cheville ouvrière de l’armature institutionnelle doit être cassée et réelaborée sur la base de la nouvelle vision pour une rupture systémique contenue dans la Pacte National de Bonne Gouvernance. Cette Constitution qui est l’expression de notre enfermement permanent depuis 64 ans dans le giron du post-colonialisme et des institutions de Bretton Wood, ne peut plus être le référentiel de la bonne gouvernance de rupture.
Nous devons revenir à la centralité du citoyen-peuple pour la transformation de cette élection législative en une constituante indépendante et souveraine. Le peuple dans toutes ses composantes devrait y trouver sa place et peser de tout son poids afin que sa voix soit intégralement respectée et que les consultations citoyennes soient constitutionnalisées.
Il faut bâtir le « Pencuum Senegal » (Assemblée constituante du Sénégal) sur les rampes de lancement de la rupture systémique.
[1] Alliance pour refonder la gouvernance en Afrique
Par Ahmed Rouadjia
LA FORCE LEUR TIENT LIEU DE DROIT
Israël et ses soutiens américains privilégient la force sur le droit, même s'ils prétendent le contraire, a déclaré à Sputnik Afrique Ahmed Rouadjia, professeur d'histoire et de sociologie à l'université algérienne Mohamed Boudiaf de M'Sila.
Israël et ses soutiens américains privilégient la force sur le droit, même s'ils prétendent le contraire, a déclaré à Sputnik Afrique Ahmed Rouadjia, professeur d'histoire et de sociologie à l'université algérienne Mohamed Boudiaf de M'Sila.
Le Moyen-Orient se dirige vers une « conflagration généralisée » car les problèmes posés depuis la création d'Israël n'ont pas été réglés et parce que Tel Aviv et ses alliés de Washington misent sur la force, a déclaré à Sputnik Afrique Ahmed Rouadjia, de l'université algérienne Mohamed Boudiaf de M'Sila.
« Les Israéliens comme les Américains, tout en parlant du droit, misent sur la force et la force leur tient lieu de droit. Ils ne connaissent que la force et le droit n'est qu'un discours purement formel », affirme-t-il.
Washington continue pour sa part à attiser le feu, par sa présence militaire au Moyen-Orient, selon l'expert. Une stratégie qui vise à faire échec à la montée en puissance de la Chine et de la Russie, assure-t-il.
« Les Américains ont au moins la franchise de dire ce qu'ils veulent faire: empêcher la montée en flèche de la Chine, dominer le Moyen-Orient et le maintenir sous leur dépendance. Cela fait aussi partie de la stratégie américaine antirusse. En dominant le Moyen-Orient, ils peuvent faire pièce à la Russie », selon l'historien.
L'Onu reste pour sa part « complétement inféodé » aux États-Unis, ce qui rend peu probables des changements dans la "politique de guerre menée par Israël".
Par Djibril BA
«DOGALI SYSTEME» AU SOIR DU 17 NOVEMBRE 2024
Depuis leur accession au pouvoir, la ferme volonté et la détermination sans faille du président de la République et de son Premier ministre de procéder à des réformes très profondes de nos institutions sont indiscutables, très réelles et connues
Depuis leur accession au pouvoir, la ferme volonté et la détermination sans faille du président de la République et de son Premier ministre de procéder à des réformes très profondes de nos institutions sont indiscutables, très réelles et connues par tout citoyen imbu de valeurs patriotiques et soucieux d’un développement durable de la Nation.
Cette noble mission, très difficile et risquée face à des lobbies très puissants et endurants, pour perdurer et avoir les résultats escomptés, devra impérativement se heurter à de très fortes confrontations, de résistances quotidiennes infondées et de discours calomnieux.
En d’autres termes, les politiciens classiques frustrés, les ennemis de la Nation, en collaboration avec les affairistes parasites, certains journalistes et patrons de presse, certains charlatans politiciens, sont en train de remuer ciel et terre pour faire face aux nouvelles autorités au détriment d’un Peuple désespéré jusqu’au soir du 24 mars 2024.
Cette classe de la société, animée par ses intérêts personnels et prise au dépourvu par l’accession des nouveaux dirigeants au pouvoir, a vu sa gloire et ses privilèges injustifiés s’amenuiser et s’estomper. A date, selon elle (cette classe), toute stratégie (même sans aucune déontologie et éthique) est salutaire pour barrer la route à ceux qui incarnent le projet Jub Jubal Jubanti, au détriment de toute une population qui cherche depuis belle lurette des lendemains meilleurs à travers l’équité sociale, la gestion efficiente de nos ressources naturelles et financières, bref la bonne gouvernance.
Qu’on le veuille ou pas, le maître-mot pour ces égoïstes, ces parasites et ces ennemis de la Nation, est de faire face à l’actuel régime qui les empêche de commettre leurs forfaits habituels. En somme, pour affaiblir davantage ce système, voire le jeter aux oubliettes, la jeunesse, les intellectuels et toutes les autres couches de la Nation doivent se constituer en un seul homme pour donner une majorité parlementaire à l’actuel gouvernement au soir du 17 novembre 2024. Je rappelle que 900 000 F Cfa de dette par citoyen est le lourd héritage du régime précédent. En votant pour l’opposition, êtes-vous prêts à cautionner cette dilapidation et à léguer cette dette aux générations futures ? Est-il réaliste et logique d’avoir moins de 54% aux prochaines élections ? Chaque citoyen est comptable de l’avenir de notre pays.
En votant, nous avons le pouvoir de changer notre mode de vie, notre manière de gérer les deniers publics, de construire notre pays conformément aux axes du document référentiel à l’horizon 2050, et en définitive assurer le déclic pour ouvrir de nouvelles pages de l’histoire. Refusons de cautionner cet endettement irréfléchi et sans impact sur le quotidien des Sénégalaises et des Sénégalais.
Compte tenu de la maturité des Sénégalais, de la cohérence et de l’intelligence de sa jeunesse et de la population en général, j’ose espérer que le processus déclenché lors de l’élection présidentielle de mars 2024 va aboutir ce 17 novembre 2024. Dogali rek. Dès lors, la prochaine étape consistera à accompagner les nouvelles autorités, à travers un engagement citoyen et patriotique, à mettre en œuvre et protéger le projet au profit des populations.
lettres d'amérique, Par Rama YADE
LES BRICS, UN AVENIR POUR L’AFRIQUE ?
Le 16e Sommet des Brics à Kazan se profile comme un événement majeur dans un monde en pleine mutation. L'expansion récente du groupe, intégrant des acteurs clés du Moyen-Orient et d'Afrique, renforce son poids face aux puissances occidentales
Alors que le monde est entré dans une nouvelle phase de tension, de Kiev à Beyrouth, la Russie s’apprête à accueillir, à Kazan, le 16e Sommet des Brics, du 22 au 24 octobre 2024.
Ce groupe informel, fondé en 2009 autour du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud, s’est agrandi en août 2023 avec l’entrée de cinq nouveaux membres dont deux pays africains : l’Egypte, l’Ethiopie, l’Iran, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Désormais, les Brics+ représentent 46% de la population mondiale et 30% du Pib mondial, davantage que le G7, mais toujours moins que le G20.
«Des changements comme on n’en a pas vu depuis 100 ans»
«A l’heure actuelle, il y a des changements -comme on n’en a pas vu depuis 100 ans-, et c’est nous qui les initions ensemble» : ainsi s’exprimait le Président chinois Xi Jinping le 22 mars 2023, lors d’une visite historique à Moscou. Le Président russe avait alors répondu : «Je suis d’accord.»
Incontestablement, ces mouvements géopolitiques sont davantage qu’une pierre jetée dans le jardin américain.
Certes, la fin de la Guerre froide avait marqué la victoire de la démocratie libérale, donc américaine, sur le grand rival soviétique. Toutefois, ce n’était pas encore la «fin de l’histoire», selon la formule de Francis Fukuyama.
Les attentats du 11 septembre 2001 (une violente contestation de la mondialisation culturelle), la crise financière de 2008 (qui a entraîné une remise en cause de l’ordre financier) et, enfin, la pandémie du Covid19 (qui a affaibli davantage l’architecture multilatérale) ont progressivement redistribué les cartes. Des rivaux régionaux, de plus en plus désinhibés (la Turquie, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, les pays de la Péninsule arabique, la Russie), ont surgi aux côtés des Etats-Unis et désormais de son rival économique principal, la Chine, donnant le sentiment d’une fragmentation du monde, illustrée par le retour des talibans en Afghanistan, la réactualisation des vieilles guerres au Moyen-Orient et le retour des conflits en Europe.
L’afro-souverainisme
Ces basculements ont favorisé un désordre international nouveau impulsé par des pays que certains commentateurs appellent le «Sud global», bien que certains de ses représentants -et pas des moindres- se situent dans le Nord, comme la Chine et l’Inde, et qu’avec la Russie en son sein, le Sud global n’est pas une simple réplique du mouvement des non-alignés des années 50.
C’est donc un mouvement alternatif, davantage que sudiste, qui émerge. Sur le flanc africain, la contestation de l’ordre occidental, qui s’apparente à ce qu’on pourrait appeler un afro-souverainisme, porte à la fois sur :
les valeurs dites démocratiques, comme en témoigne un certain soutien populaire aux coups d’Etat du Sahel intervenus entre 2021 et 2024 ;
les avancées sociétales telles que les droits des homosexuels considérés comme attentatoires aux traditions africaines, y compris dans les démocraties les plus avancées comme le Sénégal. On se rappelle comment le Président Macky Sall a renvoyé dans ses buts le Président Barack Obama, alors en visite à Dakar en juin 2013 sur cette question sensible ;
ou encore la domination financière occidentale représentée par le Fonds monétaire international (Fmi), du Soudan où le Général Al Burhan avait pris prétexte des réformes économiques du Premier ministre Abdallah Hamdock pour renverser ce dernier en octobre 2021, au Ghana dont le Président Nana Akufo-Addo avait popularisé la formule «Le Ghana par-delà l’aide» en février 2022.
Une ambition contrariée
C’est dans ce contexte que les Brics prospèrent, offrant une précieuse roue de secours à la Russie sous sanction dans la foulée de sa guerre déclenchée contre l’Ukraine en février 2022. Ainsi, en 2023, quand ses exportations de pétrole vers l’Union européenne baissaient de 79%, elles partaient à la hausse de 21% vers la Chine, de 75% vers la Turquie et de 111% vers l’Inde.
Par rapport aux nations africaines, les Brics ont cherché à prendre le contrepied des institutions de Bretton Woods en offrant des prêts aux pays pauvres sans conditionnalité à travers leur Nouvelle Banque de développement (Nbd) créée en 2014.
Toutefois, cette ambition se heurte à la réalité du dollar dominant. La Nbd peine à se financer et sa prétention à créer un fonds monétaire ne convainc encore personne. De toutes les façons, malgré un néo-souverainisme décomplexé et offensif, l’assise politique des Brics demeure trop fragile pour donner une véritable impulsion à ces projets. Les rivalités internes entre la Chine et l’Inde achèvent de multiplier les divisions internes, et les désaccords s’étalent au grand jour comme sur la question des adhésions. Au-delà de la Russie et de la Chine, les autres membres des Brics sont au demeurant membres d’institutions occidentales rivales, à l’instar de l’Inde qui appartient au «Quad», aux côtés des Etats-Unis, du Japon et de l’Australie.
Pour les Etats-Unis, il est crucial de se repositionner en favorisant une plus grande inclusion des pays du Sud dans les institutions multilatérales qu’ils contrôlent. Sans doute cet impératif explique que les Etats-Unis aient soutenu l’entrée comme membre permanent de l’Union africaine au sein du G20 aux côtés de la seule autre organisation régionale de l’enceinte, l’Union européenne, et mis les Chinois et les Russes au défi en soutenant deux sièges permanents pour l’Afrique au Conseil de sécurité des Nations unies. Encore timide, la réforme des institutions de Bretton Woods est sans doute la plus attendue, au moment où les besoins de financement des économies africaines sont immenses.
Un monde désoccidentalisé, mais pas tout à fait post-américain
Les Etats-Unis ont des atouts, et d’abord cette capacité d’innovation et cette attractivité pour tous qui rêvent d’opportunités, ce qu’on ne trouve ni en Russie ni en Chine. Même pour les Chinois, l’Amérique est une aspiration : ils constituent la population la plus nombreuse parmi les étudiants étrangers installés aux Etats-Unis. L’Amérique a aussi une capacité de rebond qui manque aux Européens. Pour regagner une compétitivité ébranlée, le pays a ainsi fait le choix stratégique d’injecter pas moins de 2000 milliards de dollars dans son économie en 2021. Sous Joe Bien, avec le Chips and Sciences Act, dit loi Chips et Inflation Reduction Act, dit loi Ira, les Etats-Unis ont pu redynamiser leur production manufacturière tout en contenant les offensives commerciales chinoises, notamment dans le secteur des batteries électriques.
Pendant ce temps, la Chine, premier partenaire commercial des nations africaines depuis 20 ans, pourrait être contrainte de réduire la voilure en raison de ses problèmes domestiques, donnant aux Etats-Unis l’opportunité historique de rattraper leur retard.
Rama Yade est Directrice Afrique Atlantic Council.
Par Mamadou BODIAN
DÉCAPER LES VESTIGES DU SYSTÈME DE GOUVERNANCE
Les critiques envers les figures de l'ancien régime sont légitimes, mais elles restent secondaires face à l’enjeu plus large : l’établissement d’un cadre institutionnel robuste, garant d’une gouvernance transparente et efficace
L'initiative du Premier ministre Ousmane Sonko, le 26 septembre dernier (six mois après l’arrivée au pouvoir du nouveau régime), de lever le voile sur la gestion de l’ancien régime à la suite d’un audit dépasse de loin le cadre d'un simple exercice de style. Elle met en lumière, avec une intensité implacable, les failles profondes d’un système, où la rupture tant promise risque de se diluer si les graves révélations ne sont pas suivies d’une véritable obligation de rendre des comptes, en conformité avec l'exigence de transparence des citoyens.
L’analyse économique tirée des audits met en lumière des irrégularités financières graves qu’il conviendra de clarifier : le déficit budgétaire, annoncé à 5,5 %, culmine en réalité au-delà des 10 % entre 2019 et 2023. Cette vérité, présentée par le ministre de l’Économie Abdourahmane Sarr et renchéri en wolof par Mohamed Al Aminou Lô pour atteindre l’opinion publique, révèle aussi une dette publique recalculée. En 2023, celle-ci (hors secteur parapublic), était de 15 664 milliards (83,7 % du PIB) contre 13 772 milliards annoncés, soit une différence de 1 892 milliards, loin des estimations initiales. À cela s’ajoute un mystère financier : 605 milliards de francs CFA destinés pour l’année 2024 sont utilisés en fin 2023 (donc introuvables dans les comptes de l’État), tandis que 300 milliards ont été dépensés sans justification claire. Mais l’inquiétude atteint son comble avec la découverte de 2 500 milliards de francs CFA estampillés «secret-défense», échappant ainsi à tout contrôle parlementaire ou public.
Cet exercice, indispensable à l’établissement des responsabilités, met également en lumière une autre évidence : la promesse d’une rupture systémique avec le passé ne doit vaciller sous aucun prétexte, sous peine de mettre en péril le changement promis. Comment concilier alors cet impératif de rupture avec la présence, parmi les auteurs du réquisitoire contre la mauvaise gouvernance de l’ancien régime, d’individus perçus comme des héritiers du système dénoncé ? Il s’agit notamment d’Abdourahmane Sarr, de Cheikh Diba et de Mohamed Al Aminou Lô, qui occupaient tous des postes stratégiques au sein des systèmes financiers (national et international) à l’époque des manipulations et abus budgétaires allégués. Sont-ils vraiment responsables ?
Je ne suis pas qualifié pour répondre à cette question. Mais mon avis est que les enjeux dépassent la mise en cause des acteurs et s’enracine dans une problématique plus large d’un shift paradigmatique en matière de gouvernance, dans un contexte où l’exigence de transparence a nécessité un dévoilement inédit des finances publiques, avec toutes ses implications pour l’avenir du Sénégal et la chance unique de réformer en profondeur la gestion de l’État. Ce n’est pas dans les attaques ad hominem que se trouve la clé, mais bien dans la capacité à saisir cette occasion pour construire une gouvernance nouvelle, fondée sur la justice, la responsabilité et la reddition des comptes.
I- L’antisystème n’est pas un écran de «blanchiment» des anciens du système
Sans les partager, je suis attentif aux critiques qui martèlent que la rupture annoncée compose pourtant avec des hommes profondément ancrés dans l’ancien système, eux-mêmes artisans des politiques qu’ils dénoncent aujourd’hui. On ne peut nier, sous peine de déni, que l’actuel Ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération, Abdourahmane Sarr, est un ancien cadre du FMI pendant plus de vingt ans et a été un acteur majeur des ajustements économiques dans plusieurs pays et un promoteur des normes de transparence statistique via la Norme Spéciale de Diffusion des Données (NSDD). On peut même concéder qu’il a contribué à faire des institutions économiques des États africains des vitrines de conformité aux standards internationaux, parfois au détriment des réalités locales.
Dans la même lignée, on ne peut éluder le fait que Cheikh Diba, actuel Ministre des Finances, a, lui aussi, été au cœur de la gestion budgétaire sénégalaise pendant plus de seize ans. Il a participé à l’élaboration des politiques du Plan Sénégal Émergent (PSE) et aux directives de l’UEMOA. Certains pourraient arguer que sa responsabilité dans la gestion financière critiquée sous l’ancien régime est incontestable. On peut même pointer du doigt le Ministre, Secrétaire général du Gouvernement à Mohamed Al Aminou Lô, cet ancien Directeur national de la BCEAO et défenseur du franc CFA, que certains présentent comme l’incarnation de la continuité d’un système monétaire critiqué pour sa contribution à la dépendance économique de la région. Sa nomination par le nouveau régime survient dans un contexte de débat sur la souveraineté monétaire, et son attachement au CFA contraste avec les aspirations à l’indépendance économique brandies par le nouveau régime.
Cependant, il me semble trop réducteur d’étiqueter ces personnalités comme de simples pantins de la continuité. Je ne suis pas un apôtre du purisme politique et je ne suis pas convaincu que toute expérience passée dans les rouages du système disqualifie d'emblée pour participer à la rupture. Loin d'être un obstacle, l’expérience de gens qui connaissent bien le système peut devenir le moteur d'une véritable transformation, si elle est mise au service d'une gouvernance transparente et responsable, tournée vers l'avenir. Évidemment, aussi qualifiés soient-ils, ces individus ne sont que des instruments au service d’un projet de transformation plus vaste. Le véritable enjeu réside dans la capacité des institutions étatiques à s'arracher aux pratiques opaques du passé et à établir un cadre de gouvernance clair, contraignant et fondé sur la transparence. Ainsi, si le référentiel politique des nouvelles autorités, attendu le 7 octobre, se révèle solide et bien articulé, ces «sachants» des rouages du système financier pourraient devenir un atout crucial pour corriger les erreurs du passé, instaurer une nouvelle dynamique de transparence budgétaire, restaurer la crédibilité des finances publiques et amorcer une transition vers la souveraineté monétaire, tout en assurant la stabilité économique. En attendant, il faut relever le défi de la communication publique pour restaurer la crédibilité publique du Sénégal.
II- Il faut plus de communication publique et moins de communication politique
La conférence de presse du 26 septembre a soulevé une question essentielle : la manière dont les autorités communiquent sur les affaires publiques et les répercussions potentielles de cette communication, tant sur l'opinion nationale que sur nos partenaires internationaux. Cet exercice revêt une importance capitale, car la responsabilité en matière de communication réside dans la capacité à éclairer sans manipuler, à informer sans déformer. La communication publique, dans cette optique, doit se distinguer de la communication politique, souvent teintée d’intérêts stratégiques et susceptibles d’occulter certaines nuances essentielles.
Alors que le Sénégal cherche à maintenir des relations privilégiées avec les investisseurs et bailleurs de fonds, qui perçoivent dans ce pays stable et démocratique une opportunité économique, il est difficile d'ignorer les écueils de la gestion passée sans risquer d'être rattrapé par ce passif. Cependant, toute déclaration imprudente — en particulier concernant la falsification possible des statistiques économiques — pourrait sérieusement compromettre la crédibilité du Sénégal sur les marchés financiers internationaux. Le défi pour le nouveau gouvernement réside dans sa capacité à incarner la transparence et la responsabilité dans un contexte délicat. La confiance des investisseurs repose sur des données fiables, et une gestion approximative pourrait entraîner une hausse des coûts d'emprunt, une diminution des investissements étrangers et une dégradation des notations souveraines. Il est donc essentiel que l'État maintienne une approche rigoureuse, fondée sur des informations solides et des audits indépendants, afin de restaurer la confiance des acteurs économiques et de garantir la stabilité du pays.
Ce qui se joue aujourd’hui va bien au-delà du simple dévoilement des erreurs passées. C’est une occasion unique de mettre en œuvre des réformes structurelles profondes. La transparence, certes indispensable, doit être accompagnée d’une refonte des mécanismes de gestion publique pour assurer une utilisation plus efficiente et équitable des ressources nationales. Cela inclut la réduction des dépenses superflues, le renforcement du contrôle budgétaire et la relocation stratégique des fonds vers les secteurs clés du développement. Le rôle du parlement est central dans ce processus : non seulement il doit adopter ces réformes, mais il doit également exercer un contrôle rigoureux sur l’action gouvernementale. Un parlement renforcé, doté de véritables pouvoirs de surveillance, est le garant de la transparence et de la redevabilité des décisions de l’exécutif. Sa vigilance en matière de gestion des finances publiques et d’évaluation des politiques budgétaires est cruciale pour prévenir les dérives et garantir une gestion saine des ressources. C’est cette collaboration étroite entre l’exécutif et le législatif qui préservera la confiance des partenaires économiques. Le Sénégal se trouve à un carrefour décisif : soit il saisit cette occasion pour réformer en profondeur et assainir ses pratiques, soit il risque de sombrer dans une crise de confiance aux répercussions économiques et sociales considérables.
En définitive, le «grand dévoilement» des comptes publics représente une étape déterminante dans la refondation de l’État sénégalais. Loin de se réduire à un simple exercice de dénonciation des erreurs du passé, il ouvre la voie à une restructuration profonde des pratiques de gestion publique. Les critiques à l’égard des personnalités ayant joué un rôle dans l’ancien système sont légitimes, mais elles restent secondaires face à l’enjeu plus large : l’établissement d’un cadre institutionnel robuste, garant d’une gouvernance transparente et efficace. Le Sénégal se trouve aujourd'hui devant une opportunité historique de transformer son modèle de gestion économique et politique. Cependant, cette transformation exige de naviguer avec rigueur et prudence, tout en évitant les pièges d’une communication imprudente, pour saisir pleinement l’occasion de réformer en profondeur.
Par Babacar FALL
ENJEUX DE L’ELECTION PRESIDENTIELLE
Les troubles que le Sénégal a connus entre 2019 et 2024 ont suscité de nombreuses inquiétudes quant au modèle démocratique qui a fait la réputation du pays en Afrique.
Les troubles que le Sénégal a connus entre 2019 et 2024 ont suscité de nombreuses inquiétudes quant au modèle démocratique qui a fait la réputation du pays en Afrique. La discussion qui suit retrace son parcours en tant que démocratie, garantissant l’exercice des libertés des citoyens d’exprimer leurs opinions sans restriction et de choisir ceux à qui l’on confie la gouvernance du pays. Elle évoque les traditions démocratiques du Sénégal qui remontent à l’époque coloniale et l’exercice du pouvoir sous la présidence de Macky Sall, marqué dans une large mesure par des tendances autoritaires et des résistances citoyennes.
Le Sénégal, un pays de longue tradition démocratique
Le Sénégal compte en 2023 18 000 000 habitants environ dont les moins de 35 ans représentent 75 % de la population 1. Il est connu pour sa longue tradition démocratique avec l’organisation régulière des élections. En effet, la scène politique est restée dominée par la démocratie d’essence coloniale et élitiste à l’œuvre sur la scène politique depuis 1914 avec l’élection du député Blaise Diagne remplacé par Galandou Diouf en 1938. Au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale, Lamine Guèye et Léopold Sédar Senghor occupent l’arène politique. Dans ce contexte, en 1960, le Sénégal accède à l’ indépendance formelle préparée par l’Union française en 1946, la Loi-cadre en 1956 et la Communauté Franco-Africaine en 1958. Le régime est de type parlementaire avec Léopold Sédar Senghor comme Président et Mamadou Dia assure le poste de Vice-Président. Avec la crise de décembre 1962 marquée par l’emprisonnement de Mamadou Dia, un régime présidentialiste est instauré. Formellement, le système politique repose sur le pluralisme mais les libertés publiques sont bâillonnées, les partis d’opposition pareillement réprimés. Avec la crise de mai 1968/1969, le paysage politique sénégalais connait de graves secousses qui ouvrent une nouvelle ère politique, sociale et culturelle.
Une ouverture démocratique timide est amorcée au milieu des années 1970, avec la reconnaissance du Parti Démocratique Sénégalais fondé par l’avocat et universitaire Maître Abdoulaye Wade. Mais le président Senghor décide de n’autoriser que quatre courants de partis politiques, poussant ainsi les autres mouvements politiques d’opposition à la clandestinité.
Les troubles sociaux et politiques, combinés à la crise économique qui a conduit à l’adoption d’un programme d’ajustement, ont précipité le départ du président Senghor. En 1981, Léopold Sédar Senghor cède le pouvoir à Abdou Diouf sans l’organisation d’élections en application de l’article 35 de la constitution. Le nouveau président de la République élargit, sous la pression des forces démocratiques et progressistes, la liberté de formation des partis politiques mais la loi électorale favorise les fraudes avec les votes multiples et la non-identification des électeurs dans les bureaux de vote 2. Les élections présidentielles de 1983 et de 1988 ont été marquées par de fortes contestations suivies de l’arrestation des leaders politiques de l’opposition 3. C’est en 1992 qu’un accord est intervenu à la suite du dialogue entre les acteurs politiques sous la facilitation de l’équipe du juge Kéba Mbaye. Une loi électorale consensuelle est adoptée. Elle garantit la refonte du fichier électoral, l’identification des électeurs dans les bureaux de vote, l’obligation du passage dans l’isoloir, la présence des observateurs durant les élections et la publication des résultats à travers les radios publiques et privées. Le consensus s’établit sur le décalage énorme des politiques publiques et la demande sociale. La vie devient chère et la gouvernance s’écarte de la valorisation des immenses potentialités nationales.
Deux alternances politiques : les acquis démocratiques sont réversibles
Les réformes politiques aggravées par la crise économique ouverte avec l’ajustement structurel vont favoriser en mars 2000 l’alternance à la tête de l’État consacrant l’arrivée de Maître Abdoulaye Wade à la place de Abdou Diouf. Ayant été le fer de lance de la démocratisation avant d’arriver au pouvoir, le Président Wade prend néanmoins de nombreuses décisions à l’inverse des acquis démocratiques au point que les citoyens l’assimilent à un autocrate qui personnalise la gestion de l’État en visant à installer son fils comme futur vice-président. Son ancien premier ministre, Macky Sall se martyrise face à la confiscation de tous les pouvoirs.
Comme dans un sursaut massif, plusieurs acteurs politiques, syndicaux, patronaux, et de la société civile engagent la tenue des Assises nationales (1er juin 2008 - 24 mai 2009) pour refonder les institutions, élaborer une charte de gouvernance démocratique et une série de mesures correctives des politiques sectorielles 4. Les Assises nationales ont joué un important rôle dans l’émergence et la consolidation du mouvement de contestation qui a mis un terme au régime d’Abdoulaye Wade.
Le prélude de la défaite de Maître Abdoulaye est annoncée avec les élections locales du 22 mars 2009 qui ont été marquées par la victoire de l’opposition regroupée au sein de Benno Siggil Sénégal (Unis pour un Sénégal Debout) dans les grandes villes ( Dakar, Pikine, Guediawaye, Kaolack, Fatick, Diourbel, Louga et Saint-Louis). Le Parti Démocratique Sénégalais est resté solide dans les communautés rurales 5..
Avec la forte mobilisation des acteurs politiques, des changements sont apportés au niveau des institutions. La limitation du nombre des mandats à deux était déjà consacrée dans la nouvelle constitution de 2001. Mais Maître Abdoulaye Wade 6 va tenter sans succès d’obtenir un troisième mandat qui lui sera refusé par les électeurs en mars 2012.
Le nouveau Président élu se nomme Monsieur Macky Sall. C’est le premier Président né après les indépendances. Il est porteur d’espoir chez les jeunes générations dont la plupart d’entre eux, selon le journaliste Khalil Gueye, sont « membres de la GEN Z, c’est à dire la Génération Z, une génération incomprise par les hommes politiques et qui passe pour la génération la plus complexe aujourd’hui dans tous les pays du monde. Elle a entre 11 ans et 25 ans et elle tapisse le système éducatif du primaire à l’université. Dans la vie de tous les jours elle est présente dans les foules des stades et des arènes de lutte, dans la masse des sans-emploi et partage les idées et sentiments du groupe dur de notre société qui ne croit plus en rien de ce que toute autorité puisse lui promettre » 7.
Ce sont ces jeunes qui ont été déçus par Macky Sall car son programme économique est centré sur la construction des infrastructures et la défense des intérêts des sociétés internationales. L’impact sur les populations et surtout les jeunes est peu significatif. Les statistiques sont éloquentes. De 3 273 000 d’habitants en 1960, la population a été multipliée par 6 en 64 ans pour atteindre en 2023 : 18 032 473 habitants dont la moitié de la population est âgée de moins de 19 ans 8. Mais entre 2012 et 2024, la situation des jeunes ne s’est pas améliorée. Le taux de chômage reste élevé avec une légère tendance à la baisse : un taux de 22,5 % en 2015 passé a 18,6 % en 2023. Le sous-emploi est plus accentué avec 90 % d’emplois précaires. Au plan national, « en 2013, 28 % des actifs occupés par moins de 40 heures par semaine seraient disponibles pour travailler davantage. Ce taux est de 21 % pour les hommes, de 40 % pour les femmes, il est de 32 % en milieu rural, de 24 % à Dakar et de 26 % dans les autres centres urbains » 9. L’insertion des jeunes dans le marché du travail s’est rétrécie. La situation de chômage ou de sousemploi est vécue par les jeunes comme « une mort sociale » 10. De ce fait, l’émigration clandestine apparait pour beaucoup de jeunes comme une alternative pour échapper à la crise de l’emploi et a l’instabilité professionnelle, un raccourci possible vers une ascension économique réelle et surtout fulgurante. C’est pourquoi Khalil Gueye a raison de dire que la génération Z ne craint ni la mer ni le désert pour quitter le pays et aller ailleurs forger un meilleur avenir11.
Macky Sall à l’épreuve de la démocratie et de l’État de droit : entre l’autoritarisme et les mobilisations contre les dérives présidentialistes
C’est dans ce contexte de crise que le jeu institutionnel est marqué par les dérives du régime présidentialiste autoritaire affirmant sa détermination à « réduire l’opposition à sa plus simple expression », ne tolérant aucune position critique. Dès son avènement au pouvoir, Macky Sall au lieu de penser aux prochaines générations pour leur assurer un mieux-être, s’est inscrit dans l’optique de gagner la prochaine élection prévue en 2019. Sous le prétexte de la reddition des comptes, deux opposants sont arrêtés, jugés et mis en pris.
Il s’agit de Karim Meissa Wade, le fils de l’ancien Président Abdoulaye Wade, arrêté en avril 2013 et gracié en 2018 après 38 mois de séjour carcéral mais privé de ses droits civiques et donc exclu des élections présidentielles de 2019. Le même scenario est appliqué à Ababacar Khalifa Sall, maire de la capitale Dakar, arrêté en 2017 et condamné à cinq ans de prison et gracié un an après mais privé de ses droits civiques.
En réalité, si le Président Macky Sall se compare souvent à un champion de lutte voulant préserver le titre de roi des arènes, il n’est point disposé à respecter les règles connues d’avance de la lutte. Avant le jeu , il élimine les sérieux adversaires par des complots extra sportifs, choisit l’arbitre de ses propres combats pour être proclamé champion. C’est ainsi que l’élection présidentielle de février 2019 a été un triomphe pour Macky Sall en l’absence de deux grands calibres de la scène politique sénégalaise. Mais comme dit l’adage « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». Dépourvu de légitimité, le nouveau Président est si triste de ne pas être encensé pour ses exploits dans l’arène politique 12 . Au classement, on retrouve Idrissa Seck et Ousmane Sonko, respectivement deuxième et troisième derrière Macky Sall. Au lendemain des élections, la tension reste perceptible et nourrit l’inquiétude de nombre d’observateurs et admirateurs du modèle de démocratie qui reste attaché au Sénégal.
L’écrivain franco-guinéen, Prix Renaudot 2008, Tierno Monénembo s’interroge sur ce pays symbole de la démocratie en Afrique. « Qu’est-il arrivé au Sénégal ? » demande-t-il. Dans sa chronique intitulée : « Sénégal : le syndrome Sonko » et publiée le 3 mars 2019, il écrit : « Mais où est donc passée cette société fluide et raffinée que nous a léguée le lettré Senghor….La tolérance, la palabre, le wakhtane, l’espace de négociation ; cette vertu cardinale de la société sénégalaise est en train de se rétrécir sous le double coup des mesquineries et des ambitions partisanes » 13.
Mais la leçon de vie renvoyant aux belles vertus du dialogue pour surmonter les difficultés du pays contenue dans la chronique de Tierno Monénembo a été détournée de sa signification et mise au service des manœuvres politiques de consolidation d’un pouvoir ébranlé. Ainsi, à la faveur des effets de la Covid19 et au nom des intérêts supérieurs du pays déclaré « en danger », Idrissa Seck rejoint la majorité présidentielle et est récompensé le 1er novembre 2020 du poste de Président du Conseil économique, social et environnemental et bénéficie de deux postes ministériels pour son parti politique «Le Rewmi ». Avec le ralliement d’Idrissa Seck au pouvoir, Macky Sall pense alors qu’il peut dérouler son projet de briguer un troisième mandat d’autant que selon lui, la constitution adoptée en 2016 lui permet de le faire. Mais pour réussir son projet, il faut neutraliser tous les adversaires susceptibles d’être des obstacles. Ousmane Sonko , député et maire de la ville de Ziguinchor, la plus importante ville de la Casamance, au sud du pays, est identifié comme l’adversaire à abattre. Les dossiers judiciaires sont montés. C’est d’abord l’affaire Adji Sarr, une jeune masseuse qui accuse le 6 février 2021 Ousmane Sonko, candidat déclaré à l’élection présidentielle du 24 février 2024 de « viols répétitifs ». et « menaces de mort ». Le 3 mars 2021, le député et maire de Ziguinchor est officiellement mis en cause puis convoqué par le doyen des juges du tribunal de Dakar. Pour répondre au juge, il est accompagné de ses partisans. Sur le parcours, il est arrêté pour « trouble à l’ordre public », puis libéré sous contrôle judiciaire, après plusieurs jours d’émeutes et de nombreuses scènes de pillages ciblant les entreprises françaises (Total, Supermarchés Auchan, Carrefour, etc.) dans tout le pays. Quatorze morts sont enregistrés. Pour Ousmane Sonko, « cette accusation est une manipulation politique en vue de le mettre hors course de tout mandat électif. Car s’il était condamné, l’opposant serait inéligible » 14. Jugé par contumace, l’opposant Sonko est acquitté le 1er juin 2023 des faits de viol dont il était accusé, mais il est reconnu coupable « de corruption de la jeunesse » et condamné à deux ans de prison et 600 000 FCFA d’amende. À l’énoncé du verdict, des violences ont éclaté dans plusieurs villes du pays. Près de soixante morts ont été dénombrés. Plus de 1 500 personnes ont été arrêtées et mises en prison pour des motifs variables notamment « offense au Chef de l’État », « outrage à magistrat », « diffusion de fausses nouvelles », etc. Felwine Sarr a raison de relever que « l’appareil judiciaire a abusé d’une rhétorique autour de la sûreté de l’État, du respect des institutions, du maintien de l’ordre public, pour organiser la répression systématique des opposants, leur intimidation et leur emprisonnement ; ainsi que la mise sous silence des voix dissidentes et des esprits épris de justice » 15.
Ensuite, une deuxième affaire de diffamation sera portée contre l’opposant Sonko qui est aussi condamné à six mois avec sursis hypothéquant ses chances légales d’être accepté comme candidat aux élections du 25 février 2024.
La mélancolie du Président Macky, facteur d’inertie
Après plus d’un an de suspense, de tensions et de pressions politiques et religieuses diverses, Macky Sall annonce le 3 juillet 2023 , qu’il ne se représenterait pas à l’élection présidentielle de février 2024. Mais le 28 juillet 2023, Ousmane Sonko est arrêté à Dakar. « Le procureur affirme qu’il fait l’objet d’une enquête pour « divers chefs de délits et crimes ». Le parquet estime que « depuis un certain temps », des « actes, déclarations, écrits, images et manœuvres » de la part de l’opposant étaient « constitutifs de faits pénalement répréhensibles » 16.
Le politologue Pierre Sané qualifie Macky Sall du titre de « Président mélancolique et mal-aimé ». En effet, Président Sall est désespéré de voir son projet avorté : instaurer au Sénégal une présidence à vie comme c’est le cas dans nombre de pays d’Afrique centrale pour assurer un contrôle sur les ressources escomptées de l’exploitation prochaine du pétrole et du gaz. Pierre Sané fait remarquer ironiquement que le rêve de Macky Sall « est parti en fumée : Sénégal émirat pétrolier ? Infrastructures en chantier ? Réforme du système financier international ? Et non, ce ne sera pas sous son magistère. La déception est profonde. Cette mélancolie nourrit la rancœur inépuisable qu’il cultive à l’encontre d’Ousmane Sonko dont la popularité inébranlable malgré les complots, séquestrations et emprisonnements enrage un président mal aimé. Ce qui en retour alimente sa mélancolie. Il aura tout essayé depuis trois ans ! » 17
Le Président Macky, adepte du dilatoire pour regretter le troisième mandat
Le dénouement semblait se préciser le 20 janvier 2024 avec la publication par le Conseil constitutionnel de la liste des 20 candidats sélectionnés dont deux femmes 18 à partir d’un système de parrainage sur 70 postulants. Ousmane Sonko s’est fait remplacer par Bassirou Diomaye Faye, Secrétaire général de son Parti (PASTEF), Parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité, dissous le 31 juillet 2023 par le ministre de l’Intérieur. Mais c’est sans compter avec les soubresauts du Président mélancolique qui le 3 février 2024, à la veille de la campagne électorale, abroge le décret de convocation des électeurs sous le prétexte de la mise en place d’une commission parlementaire enquêtant sur deux juges du Conseil constitutionnel dont l’intégrité dans le processus électoral est contestée par le Parti Démocratique Sénégalais dont le candidat Karim Meissa Wade a été recalé pour cause de parjure sur sa double nationalité sénégalaise et française. Dans la foulée, l’Assemblée nationale adopte un projet de loi renvoyant les élections présidentielles au 15 décembre 2024 avec l’octroi d’un supplément de mandat au président Macky Sall. Saisi par un groupe de candidats, le Conseil constitutionnel déclare l’inconstitutionnalité de la loi votée et ordonne la tenue des élections dans « les meilleurs délais ». Mais Macky Sall continue à jouer au dilatoire et annonce la convocation d’un « dialogue national » pour fixer les conditions pour l’organisation de l’élection présidentielle. Boycotté par 17 candidats, ce « dialogue national », tenu du 26 au 28 février 2024, a adopté des conclusions offrant la possibilité de réouvrir la liste des candidats et proposant la date du 2 juin 2024 pour l’élection présidentielles et maintenant Macky Sall à la présidence jusqu’à l’installation du nouveau président élu. Encore une fois, le Conseil constitutionnel rejette ces conclusions, fixe la date des élections au 31 mars 2024 et précise que le mandat du président de la République s’achève le 2 avril 2024 et ne saurait être prolongé pour quelque raison que ce soit 19.
L’écrivain Guinéen Tierno Monénembo apprécie le rôle d’arbitre du Conseil constitutionnel comme une parade dans le mécanisme du jeu démocratique. Il écrit : « L’acte posé par le Conseil constitutionnel après la tentative de recul des élections présidentielles par Macky Sall fut un haut moment de démocratie et pour les Africains frustrés de tout, surtout de liberté, un véritable état de grâce. Une belle surprise, un événement habituellement réservé aux démocraties les mieux rodées, celles des pays scandinaves notamment » 20.
Face à ce double désaveu par le Conseil constitutionnel, Macky Sall se décide à fixer la date de l’élection au 24 mars 2024 donnant aux candidats deux semaines de campagne électorale au lieu des trois comme prévu par le code électoral. Dans le souci, dit-il, d’apaiser l’espace politique à son départ à la tête de l’État, il fait voter le 4 mars 2024 une loi d’amnistie générale pour faire libérer les 1 500 détenus politiques qui croupissent en prison 21. Cette mesure d’élargissement permet à Ousmane Sonko et au candidat Bassirou Diomaye Faye de sortir de la prison et de prendre la tête de la campagne de la coalition anti-système – anti-Macky Sall.
À la veille des élections du 24 mars 2024, l’issue du verdict des urnes était incertaine. Le scrutin s’est déroulé dans le calme et la sérénité. Les électeurs ont usé de leur bulletin de vote pour opter dès le premier pour le changement incarnées par la coalition « Président DIOMAYE 2024 » mise sur pied par Ousmane Sonko et ses alliés avec un score de 54,28 % contre 35,79 % pour Amadou Ba, le candidat de la majorité sortante.
Quelques leçons majeures de cette crise sociale et politique
La troisième alternance consacrée par les résultats des élections du 24 mars 2024 illustre la vitalité de la démocratie au Sénégal. Mais elle révèle que le modèle de démocratie souffre encore des faiblesses liées à sa jeunesse et aux dérives générées par le système présidentialiste. Entre 2019 et 2023, le pays a connu une grande instabilité politique due aux interprétations controversées de la constitution sur la légitimité d’une nouvelle candidature du président Macky Sall qui a déjà accompli deux mandats (2012-2019 et 2019-2024).
Cette crise marquée par des graves troubles a eu des conséquences importantes sur l’économie du pays au moment où l’exploitation d’importantes ressources de pétrole et de gaz est annoncée pour 2025. Cependant la dynamique de résistance incarnée par les citoyens et principalement par les jeunes ainsi que le jeu de régulation assuré par le Conseil constitutionnel ont permis d’éviter que le pays s’enfonce dans le chaos. Le bulletin de vote a indiqué la direction du changement en départageant les partis politiques en compétition.
De plus, il se dégage des épreuves de force entre les régimes d’Abdoulaye Wade et Macky Sall et les populations mobilisées que la défense de la constitution qui n’est plus simplement l’affaire des juristes, mais bien des citoyens et citoyennes engagés contre tout régime voulant piétiner le droit auquel il est censé être soumis pour garantir le commun vouloir de vie commune. Les jeunes ont été au front de ce combat pour la consolidation de la démocratie.
Enfin, un puissant vent souffle de partout au Sénégal et les messages sont concordants autour de la souveraineté, la réforme des institutions, l’employabilité des jeunes, l’ancrage culturel, la qualité du capital humain, la justice sociale, la transparence budgétaire et toutes sortes de formes de redevabilité. Pour une fois, un nouveau pouvoir n’aura qu’un seul choix : celui de procéder à la réforme du présidentialisme, de mettre en œuvre la gouvernance vertueuse et répondre aux aspirations des jeunes et des femmes. Mais déjà les mouvements de femmes expriment leur indignation du fait de la faible présence des femmes dans le nouveau gouvernement (13,33 %), alors que le Sénégal a adopté depuis 2010 une loi sur la parité. C’est là un signe révélateur des conquêtes à réaliser pour approfondir un modèle démocratique très apprécié en Afrique.