SenePlus | La Une | l'actualité, sport, politique et plus au Sénégal
23 novembre 2024
Opinions
par l'éditorialiste de seneplus, alymana bathily
VIATIQUE POUR LE NOUVEAU DG DU CNRA
EXCLUSIF SENEPLUS - Des sanctions arbitraires à l'opacité dans la gestion des fréquences, les défis sont multiples. Il s’agit de faire du régulateur une autorité véritablement indépendante, plus collaborative que répressive
Alymana Bathily de SenePlus |
Publication 10/10/2024
Du Haut Conseil de la Radio et de la Télévision (HCRT) en 1991 au Haut Conseil de l’Audiovisuel en 1998, puis au Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA) en 2006, la régulation de l’audiovisuel au Sénégal a connu des mutations considérables prenant en compte à la fois les évolutions technologiques du secteur et les demandes constantes de la société sénégalaise pour plus de démocratie, d’équité et de participation.
Aujourd’hui une nouvelle évolution s’impose : le CNRA est en effet dépassé aussi bien par l’évolution politique du pays et les exigences de la révolution nationale démocratique que par l’évolution technologique du secteur.
Nous proposons ici trois évolutions : celle relative au régime de sanctions, celle concernant la gestion et l’attribution des fréquences et celle requise pour la prise en compte des médias sociaux.
Refonder le régime de sanctions : clarifier la notion de « manquement » et introduire la possibilité de dédommagement
Le Code de la presse dans son chapitre III relatif aux « sanctions applicables à la communication audiovisuelle » prévoit en son Article 210 « qu’en cas de manquement aux obligations prévues par le présent Code », l’organe de régulation peut être amenée à sanctionner une entreprise audiovisuelle.
Cet article indique aussi la démarche graduelle que le CNRA doit s’imposer pour ce faire : d’abord faire « des observations ou une mise en demeure, laquelle mise en demeure sera rendue publique », et ensuite « la suspension d’une partie ou de la totalité d’un programme d’un (1) à trois (3) mois. Puis intervient la réduction de la durée de l’autorisation d’exploitation de la licence de six (6) mois à un (01) an, aggravée d’une sanction pécuniaire de deux (2) à dix millions (10.000.000) francs CFA… ».
Pourtant on s’aperçoit que la notion de « manquement » est en fait laissée à interprétation.
On se souvient qu’au plus fort de la résistance contre le régime APR/Benno du président Macky Sall, le 1er juin 2023, le CNRA avait coupé, péremptoirement il me semble, le signal de Walf TV pour « manquements » à ses obligations « de veiller à sauvegarder la paix et à ne pas diffuser de programmes faisant, notamment, explicitement ou implicitement l’apologie de la violence ».
La coupure a duré 30 jours.
Plus tard le 4 février 2024, les autorités du ministère de la Communication, des Télécommunications et de l’Économie numérique sont intervenues presqu’en direct d’un plateau spécial sur la situation née du report de la présidentielle du 25 février 2024, pour menacer de couper les signaux des antennes télé et radio du Groupe Walfadjri, si la télévision continuait à retransmettre les réactions et opinions des Sénégalais.
Le PDG du Groupe Walfadjri a dû pratiquement se trainer aux pieds du président de la République Macky Sall pour éviter cette punition et la menace du « retrait définitif de la licence de la radio et de la télévision de son groupe de presse ».
Walfadjiri était puni non pas pour un quelconque manquement professionnel ou déontologique mais pour sa ligne éditoriale contraire aux intérêts du régime politique en place. Walfadjiri n’a eu droit pourtant à aucune compensation financière, le régulateur étant couvert par l’article 27 de la loi de 2004 sur la régulation audiovisuelle,
Comment éviter désormais que le CNRA se fasse le gendarme des intérêts du gouvernement ?
Ne devrait-on pas reformer l’article 27 pour introduire la possibilité de dédommagement quand les sanctions prononcées par le Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel sont jugées illégales par le tribunal administratif ?
Jubanti la gestion des fréquences
La gestion des fréquences radio électrique qui relève de l’Agence de Régulation des Télécommunications (ARTP) se fait depuis toujours dans une telle opacité que personne ne sait aujourd’hui avec exactitude la quantité de cette ressource rare non renouvelable qui a été consommée à ce jour, à tort et à travers
En 2015 déjà, il s’agissait de 457 fréquences pour les stations de radio et 31 pour les télévisions.
« J’ai décidé d’auditer toutes les fréquences distribuées par dizaine sans discernement et sans base légale par le passé. Les attributaires devront justifier de leurs conditions d’attribution et de leur éligibilité, du respect de la convention et des cahiers des charges applicables à l’exploitation d’un service audiovisuel. Il ne s’agit pas de répression, mais juste de se conformer à la législation et au niveau cadre que nous impose la télévision numérique terrestre »
Il n’en fit rien bien entendu, posant son coude, là aussi, sur la nécessité de transparence et d’équité.
Le directeur général du CNRA devrait à présent, pour plus de transparence, demander cet audit et demander en outre qu’en lieu et place de l’ARTP, son organisme soit chargé désormais de la gestion et de l’attribution des fréquences comme cela se fait par exemple en Afrique du Sud, en Grande Bretagne et en France notamment.
Le CNRA devrait instituer désormais une procédure d’attribution de fréquences transparente basée sur des appels d’offre public portant régulièrement sur les disponibilités indiquées par le Plan National de Fréquences et dont les résultats sont proclamés en public.
L’évolution technologique du secteur : redéfinir l’audiovisuel
Autre chantier sur lequel nous attirons l’attention du nouveau directeur du CNRA : celui de la prise en compte du secteur numérique.
Depuis l’avènement de l’Internet et particulièrement depuis celui du Web 2.0 qui a permis la participation du grand public à la création de contenus numériques audios et vidéos, la notion même d’audiovisuel a changée. Si bien qu’on peut dire désormais que ce secteur est constitué par tous les supports et contenus de communication basée sur l’image, le son et le texte.
Pourtant loi N°2006-04 du 4 janvier 2006 en vigueur n’entend par audiovisuel que la radio et la télévision classiques et la pratique de régulation ne concerne encore que ces médias traditionnels.
On relève pourtant désormais plus de 300 sites en lignes et une population de 3,05 millions utilisateurs actifs de médias sociaux, utilisateurs et créateurs de contenus réguliers particulièrement sur Facebook, Instagram, YouTube sous forme de Web TV et sur TikTok.
Les diffuseurs de ces contenus n’étant généralement pas des journalistes professionnels, ne se préoccupent pas toujours de vérifier et de recouper l’information.
D’où la déferlante de désinformation, d’intoxication, de manipulation et de diffamation provenant aussi bien de la Toile mondiale que locale dont nous sommes victimes.
On se souvient de cette vidéo publiée sur WhatsApp en mars 2020 pendant le Covid-19 par plusieurs sites en ligne mettant en scène sept enfants d’un quartier de la banlieue dakaroise qui seraient décédés après avoir été vaccinés. L’information s’est révélée avoir été fabriquée de toute pièce.
C’est donc dire que les médias en ligne et les médias sociaux devraient représenter désormais un champ de régulation majeur. Mais comment s’y prendre, face à cet écosystème massif et en constante expansion ?
Le CNRA pourrait établir avec les professionnels du secteur un observatoire spécifique qui suivrait quotidiennement aussi bien les médias en ligne proprement dits et déclarés comme tels qu’un échantillon de médias sociaux (y compris les blogs et les « influenceurs ») de grande diffusion (500 followers ? 1000 ?).
En conclusio,n il s’agit d’opérer une mutation qui ferait du régulateur une autorité véritablement indépendante, plus collaborative que répressive, véritablement démocratique et en phase avec l’environnement technologique.
On pourrait l’appeler Autorité de Régulation de la Communication, de l’Audiovisuel et du Numérique (ARCAN).
par Ousmane Biram Sane
LES PRIX DES OBLIGATIONS DU SÉNÉGAL VONT REMONTER BIENTÔT
Si les boursicoteurs jouent la spéculation sur le papier sénégalais il n’y a pas à s’alarmer mais plutôt à le considérer comme une reconnaissance internationale et un défi pour nos ministères en charge de l’économie et des finances
Parler de chute des obligations du Sénégal à la suite de la sortie du Premier ministre Ousmane Sonkoest un bon signal par rapport à la signature du Sénégal sur les marchés financiers contrairement à l’opinion apparue dans plusieurs organes de presse ! Nous allons le démontrer.
Premièrement, quand un résumé de la situation financière du Sénégal fait par son chef de gouvernement entouré de quelques ministres-clés fait réagir les marchés financiers internationaux cela est un point positif pour notre pays. Pourquoi ? Parce que depuis de longues années nos économies étaient faiblement connectées au marché financier international et jusqu’à récemment ce sont les agences de notation qui jouent l’interface entre les investisseurs et nous. Alors si les investisseurs réagissent à la sortie du gouvernement sur les finances publiques cela crédite la thèse que la parole du Premier Ministre Ousmane Sonko est très suivie dans le monde entier et qu’il bénéficie de la confiance des investisseurs ! Car quand il dit « ça ne va pas chez moi », les investisseurs le croient et s’ajustent aussitôt en baissant le prix du titre de créance qu’ils détiennent ! A contrario, le jour où il affirmera que tout va bien, une réaction positive s’en suivrait. L’enseignement à tirer à ce niveau est que la prochaine sortie du PM le 7 octobre fera forcément réagir les marchés financiers en mode : position vendeur – conservateur- ou acheteur de titres d’obligations du Sénégal.
Deuxièmement, le Premier Ministre a le soutien implicite du FMI. En effet, pour les initiés qui comprennent la relation risque-rendement dans les produits obligataires qui sont fondamentalement des produits de taux et non des produits de plus-value comme les actions, la confirmation par le Fonds monétaire que le Sénégal est classé dans la catégorie « pays à risque de surendettement modéré » anéantit l’hyberbole « chute des obligations du Sénégal ! ». Pourquoi ? Parce qu’une obligation c’est une dette remboursable donc on ne perd pas en valeur nominale, si vous prêtez un million à l’Etat du Sénégal d’ici 2029, à l’échéance en 2029 l’Etat vous rendra votre million pile pour parler en langage simple ! Donc si le Sénégal est encore un Etat pas surendetté donc solvable à terme, les détenteurs du papier sénégalais n’ont aucune crainte quant à la bonne fin de leurs créances ! En plus s’ils ont l’opinion pacifiante du FMI c’est totalement rassurant car le FMI peut être considéré comme la première agence de notation au monde puis viennent les autres S&P, MOODY’S, …sans oublier l’africaine BLOOMFIELD.
Troisièmement, last but not least, les obligations du Sénégal vont reprendre l’ascenseur parce que, et ne l’oublions pas, les obligations sont des produits d’épargne à long terme. Cela est d’autant plus vrai pour les obligations d’Etat dont la crédibilité se joue sur deux critères essentiels : une politique macroéconomique vertueuse de l’émetteur-Etat et la qualité des dirigeants. Arrêtons-nous sur ce dernier aspect à savoir la qualité des dirigeants. Le Sénégal est dirigé depuis le 24 mars 2024 par des cadres qui ont comme atouts principaux : leur jeunesse, courage, franc-parler, probité et leur amour illimité pour le pays. Ce sont des dirigeants qui ont promis un don de soi et qui plus est, parlent un langage de vérité aux populations et aux partenaires internationaux y compris les investisseurs. Cette option de transparence va rassurer les marchés financiers et contribuera à la remontée du prix des obligations du Sénégal pour les faire coter au pair si elles s’en étaient trop écartées ! Pourquoi cette équipe dirigeante rassurerait les investisseurs ? Parce qu’autour du PM se trouvent de brillants sénégalais experts respectés dans leurs domaines respectifs. Prenons juste deux ou trois d’entre eux : Abdourahmane SARR ministre en charge de l’économie, est un ancien fonctionnaire du FMI donc il connaît cette maison. A titre d’anecdote, c’est en 2011 si mes souvenirs sont bons, que j’ai fait la connaissance de A. SARR, alors fonctionnaire du FMI à Lomé au Togo. Lors d’un bref échange, il me fît la confidence qu’il comptait démissionner du FMI ! Tourner le dos au FMI, quelle audace, quelle ambition me disais-je ! Nous voilà vivre la suite de sa belle histoire ! Quant à Monsieur Al Amine LO, il est le Directeur National sortant de l’Agence nationale de la BCEAO. Je l’ai connu comme étant un pragmatique. En 2022 nous avions travaillé ensemble sur la question lancinante du financement des PME avec le Comité National de Pilotage du Dispositif PME (CNP-PME, ex-CISAE (Comité d’Identification des Structures d’Appui et d’Encadrement) et le projet « Accès des PME au financement » de la Coopération allemande à travers la GIZ. J’ai su apprécier tout l’engagement de notre banque centrale pour la cause de la promotion du financement des Micro Petites et Moyennes Entreprises en Afrique de l’Ouest en général et au Sénégal en particulier. J’aurai pu en dire autant pour Abdourahmane DIOUF le ministre en charge de l’enseignement supérieur dont le passage à la direction générale de la SONES a redonné de la crédibilité à la réforme du secteur de l’eau notamment s’agissant des relations SONES-SDE. Quant au ministre de la justice, M. Ousmane DIAGNE les sénégalais sont unanimes sur ses compétences et sa crédibilité ce qui renforce la confiance des milieux d’affaires.
En somme et pour conclure, retenons que, si les boursicoteurs jouent la spéculation sur le papier sénégalais il n’y a pas à s’alarmer mais plutôt à le considérer comme une reconnaissance internationale et un défi pour nos ministères en charge de l’économie et des finances.
D’ailleurs, il est de l’avantage du Sénégal que les marchés financiers nous suivent de près au point qu’une sortie de presse de nos autorités soit aussitôt interprétée par les places financières internationales prêteuses ! Un tel arrimage du discours et des actes de nos dirigeants aux marchés financiers prouvent que nous ne sommes pas seuls et que le monde s’intéresse à nous dans une perspective de coopération franche, sincère et équilibrée.
A cet égard, le 08 octobre au lendemain de la présentation de la Stratégie Nationale de développement 2025-2029, la réaction des places financières prêteuses du Sénégal sera intéressante à suivre. En effet, en cas de confiance au Président de la République et à son programme conduit par son Premier Ministre, elles afficheront la remontée ou tout au moins la stabilité ! Alors les paris sont lancés !
En attendant, en tout état de cause et pour revenir aux fondamentaux retenons que, le crédit repose sur la confiance et la confiance provient de l’homme ! De ce point de vue, l’équipe d’argentier en place avec le nouveau régime, démarre avec un capital-confiance confortable enraciné dans le Jub Jubal Jubanti et apte à attirer des capitaux à la fois nationaux et étrangers pour développer le Sénégal.
Ousmane Biram Sane est économiste-financier, consultant.
par Cheikh Cissé
LE GRAND BLUFF DU GOUVERNEMENT FAYE
La subtilité du mensonge gouvernemental sur la question de la dette et du déficit se trouve dans la période visée et la déclaration de conformité de la Cour des comptes concernant la gestion de 2022
La subtilité du mensonge gouvernemental sur la question de la dette et du déficit se trouve dans la période visée et la déclaration de conformité de la Cour des comptes concernant la gestion de 2022.
Le ministre de l’Économie a évoqué une moyenne de 10,4 % de déficit public et 76,3 % de dette pour la période 2019 à 2023. Toutefois, il n’a pas fourni de chiffres corrigés pour les années 2019, 2020, 2021 et 2022, se contentant de ceux de 2023, qui s’élèvent à 83,7 % pour la dette (au lieu de 73,6 %) et à 10 % pour le déficit (au lieu de 4,9 %).
En ce qui concerne l’année 2023, les chiffres n’ont pas encore été certifiés par la Cour des comptes, contrairement aux années précédentes. Le ministre s’appuie sur le rapport sur la situation des finances publiques, qui a été transmis à la Cour des comptes pour une publication après ses propres réconciliations.
En résumé, il faut comprendre que les chiffres de 2023 peuvent, et seront probablement, remis en cause par la Cour des comptes, mais ceux des autres années sont déjà certifiés. La Cour adresse habituellement des demandes de corrections et/ou de données complémentaires pour l’année n-1 au ministère des Finances et du Budget, qui peut soit les accepter, soit les contester. Pour appuyer ses déclarations, le gouvernement s’appuie sur les alertes de la Cour des comptes, qui concernent principalement les dysfonctionnements du système d’information ASTER, la non-concordance des chiffres entre la DODP et la DDP, et surtout l’augmentation inquiétante du déficit public au cours des dernières années. Les deux premiers points n’ont cependant pas empêché la certification des comptes de 2022, car la Cour des comptes sait retrouver l’information correcte.
Pour les années 2019, 2020, 2021 et 2022, le gouvernement ne pourra pas fournir la preuve d’une quelconque falsification des comptes, ceux-ci ayant été certifiés. Je vous invite à lire l’excellent article de l’économiste Prof. Amath Ndiaye (cf. ci-dessous), qui démontre les incohérences d’une telle hypothèse. Si les comptes avaient été falsifiés durant la période en question, l’encours de la dette actuelle serait bien plus élevé que celui annoncé par Ousmane Sonko. De plus, le service de la dette aurait considérablement augmenté (car même pour une dette secrète, il faut payer des intérêts), et les partenaires internationaux l’auraient remarqué, puisque les tirages sur ressources se font avec leur accord.
Les accords de facilité de crédit ont été approuvés par le FMI au nom de l’État du Sénégal le 26 juin 2023 (second semestre 2023), et sont donc probablement basés sur les chiffres des années précédentes, et non sur ceux de 2023, que le ministre de l’Économie a mis en avant.
Contrairement à ce que véhiculent les manipulateurs, les institutions internationales disposent de mécanismes très efficaces pour détecter les mensonges potentiels des États contractants. Parmi ces mécanismes figurent les audits externes obligatoires, des critères de tirage rigoureux conditionnés par la réalisation des travaux et l’obtention du visa juridique de la Cour suprême, la collaboration avec les banques centrales, le travail acharné des meilleurs financiers et économistes mondiaux (dont beaucoup sont basés au Sénégal même) et, enfin, la surveillance étroite des marchés, qui réagissent avec agilité aux fluctuations économiques.
On pourrait continuer à démontrer les incohérences des déclarations du gouvernement, mais cela ne servirait à rien, car les conséquences sont déjà devant nous. Il suffit de lire les interventions des acteurs externes pour comprendre que notre propre gouvernement est en train de se saborder. On observe déjà les effets de cette culture de victimisation et de mensonge exacerbée :
- Le Sénégal s’est endetté de plus de 800 milliards supplémentaires depuis l’arrivée du nouveau régime. Une dette contractée dans des conditions désastreuses, souvent pour financer une autre dette ;
- Le pays aura de plus en plus de mal à emprunter, avec des taux d’intérêt en hausse en raison de la dégradation des notes causée par les déclarations du gouvernement ;
- Pire encore, le Sénégal n’a plus de marge de manœuvre pour renégocier avec le FMI et remettre en question la suppression des subventions énergétiques signée par Macky Sall. Nous faisons face au spectre des ajustements structurels, car le FMI est désormais en position de force pour imposer les accords signés, alors que nous avons des moyens limités pour emprunter ou réduire l’augmentation du déficit ;
- Pour réduire ce déficit, le gouvernement a opté pour une augmentation agressive des recettes fiscales, une stratégie qui paralyse l’économie et fait fuir les investisseurs ;
- Enfin, le Sénégal ne pourra pas introduire de lois de finances pour l’année en cours, ni voter le budget pour l’année prochaine avant au moins décembre (dans le meilleur des cas), en raison de la dissolution de l’Assemblée. Les partenaires internes et externes sont dans l’incertitude totale.
Voilà les maux dont souffre le Sénégal actuel. 2025 sera certainement une année difficile.
Cheikh Cissé est ingénieur en informatique, expert en intelligence économique et management stratégique
par Amadou Kah et Ibrahima Silla
LETTRE OUVERTE AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Les interrogatoires de police ne sauraient être le droit commun. En démocratie, le débat contradictoire permet de déconstruire les propos jugés diffamatoires de journalistes, chroniqueurs ou opposants
Amadou Kah et Ibrahima Silla |
Publication 09/10/2024
Une permanente et constante assiduité dans la dénonciation des abus et dérives politiques des régimes successifs nous oblige à vous interpeller sur la tournure grave, inconcevable et inquiétante que prennent actuellement certaines arrestations, incriminations et privations de liberté.
La promesse d’un ordre juridique meilleur émancipé de la politique politicienne et de la « justice téléguidée » et pacifié par le respect strict des droits fondamentaux, à partir des satisfaisantes recommandations des assises de la justice, devrait contribuer à délivrer définitivement notre pays de toutes les pratiques abusives contreproductives pour l’inscrire dans une continuité républicaine rassurante.
Soucieux du respect des principes républicains et démocratiques consacrés par notre Constitution, nous rappelons que la garantie des droits fondamentaux, tel que celui relatif à la liberté d’expression et d’opinion, doit échapper à tout abus, excès et dérive. Nous réaffirmons, par la même occasion, l’impérieuse nécessité pour tout citoyen de veiller scrupuleusement au respect du caractère sacré des institutions.
En démocratie, le débat contradictoire permet de déconstruire les propos jugés diffamatoires de journalistes, chroniqueurs ou opposants tenus notamment dans le cadre d’une émission ou ailleurs. Il aide également à éviter d’éventuelles et inutiles incriminations. La contradiction, comme le rappelait un professeur de philosophie, est l’indice d’une certaine vitalité ; et le progrès essentiellement dialectique. Que Cheikh Yérim Seck et Bougane Gueye Dany, pour ne citer que ceux-là, aient éventuellement falsifié les chiffres et les faits, confondez-les dans un débat contradictoire ! La majorité présidentielle et ses soutiens disposent normalement des ressources et des moyens pour leur apporter la contradiction. Les interrogatoires de police ne sauraient être le droit commun ; et la privation de liberté doit être, dans le cadre d’une démocratie et dans un contexte comme le nôtre, une exception.
Il est de notre devoir de vous rappeler très respectueusement, comme nous l’avons toujours fait avec les régimes précédents, à travers nos écrits, signatures de manifestes ou pétitions, que nous restons fidèles à des valeurs qui transcendent les partis-pris et petits calculs.
Il convient de s’extraire du tourbillon des circonstances pour se tourner résolument vers l’essentiel, en poursuivant notamment la reddition des comptes. L’état inquiétant de notre économie, l’immense détresse dans laquelle les fautes de gestion ont plongé nos concitoyens vous obligent à aller jusqu’au bout du processus justement enclenché. Parallèlement, travailler à rendre les conditions de vie de nos concitoyens meilleures. Voilà, à notre humble avis, sauf meilleure appréciation de votre part, les deux axes majeurs, les béquilles sur lesquelles doit s’appuyer le pouvoir pour construire des lendemains prometteurs.
Toute atteinte aux libertés fondamentales, au nom d’une opinion offensante ou malvenue, serait toutefois une erreur de calcul qui risquerait de nous replonger dans un chassé-croisé politico-judiciaire sans intérêt. Une telle situation serait de nature à radicaliser les positions des différents acteurs, d’accentuer les clivages politiques et de compromettre la sérénité, la tranquillité et l’ordre nécessaires à tout développement.
Les attentes légitimes du peuple souverain, convaincu qu’avec les changements politiques de 2024, le Sénégal s’inscrirait résolument dans un tournant historique réhaussant définitivement l’État de droit dans sa dimension démocratique la moins imparfaite, ne devraient pas être déçues.
Voilà, Monsieur le président de la République, quelques préoccupations que nous soumettons à votre bienveillante appréciation.
Veuillez agréer, avec nos respectueuses salutations et tous nos vœux de réussite pour votre quinquennat, l’expression de notre très haute considération.
Amadou Kah et Ibrahima Silla sont Enseignants-chercheurs à l’UFR des Sciences juridiques et politiques, Université Gaston Berger de Saint-Louis.
Par Mamadou NDAO
LA FIN D’UN CYCLE ?
Il serait risqué d’aller vers les prochaines législatives sans un ou des blocs cohérents et solides apte à permettre une gouvernabilité des réformes envisagées, à travers une assemblée ou les idées prospèrent à la place des coups de poing
Le scrutin du 24 mars 2024 a sans aucun doute sonné le glas des ambitions, sommes toute légitimes, d’une classe politique qui a fait irruption sur la scène politique à la faveur de la situation inédite crée par l’échéance du second et dernier du président Macky Sall.
La vérité du terrain qui a précédé de celle des urnes pour l’annoncer, a fini par trancher nette, non seulement en écartant un hypothétique second tour, mais mieux en traçant une ligne d’horizon de la recomposition de l’espace politique. Le message subliminal ainsi lancé, est que le parrainage n’a été qu’un épais nuage de fumée pour ceux qui, sur la base des listes obtenues, espéraient des scores à la hauteur du nombre minimum de parrains requis pour valider leur candidature.
Avec moins de 1%, les urnes ont livré un verdict cinglant pour les 2/3 des candidats. Les parrainages obtenus ne couvraient apparemment aucune réalité, et les soupçons d’achat de parrains ou de prêt de listes de parrainage reste une question sansréponse. L’avenir nous édifiera sur la sincérité des signatures et les procédés mis en œuvre pour les obtenir.
Au total, tout le monde reconnait aujourd’hui les résultats du scrutin proclamés par le Conseil Constitutionnel, mais peu sont ceux qui en tirent toutes les conséquences, que dis-je tous les enseignements, les conséquences viendront après.
Certains dans un manichéisme radical renvoient Idrissa Seck, Khalifa Sall, Aminata Mbengue, Moustapha Niasse et autres vétérans de la gauche BBY à la retraite, pour laisser place aux jeunes. Mais, il faut dire que ce n’est pas aussi simple que cela, car BBY n’a pas encore livré sa dernière bataille si tant est qu’elle survive à Macky Sall, et ses composantes baties sur le modèle stalinien, n’ont pas prévu d’évolution positive pour générer une nouvelle élite.
De prime abord, on peut concéder cette vision des choses, mais elle reste seulement limitée aux faits, et aux personnes. En revanche, elle ne prend pas en compte les dynamiques structurelles qui traversent le système politique sénégalais sur un vent de recomposition.
Si on va au fond des choses, on ne peut pas écarter l’idée d’une fin de cycle, selon laquelle la circulation des élites, qui jusque là s’est faite à l’horizontal, reprend une certaine verticalité à la faveur du « mouvement revendicatif » pro rajeunissement du personnel politique, avec des profils souvent sans antécédents de militantisme actif. . On est encore loin de l’alternance générationnelle, car pour une raison très simple, il n’y a pas de ligne de démarcation nette entre deux ou plusieurs générations. Les faits sociaux le prouvent, et la réalité politique en atteste.
Pour être plus précis, l’horizontalité des alliances(souvent qualifiées de contre nature) à l’image des gouvernements de majorité présidentielle élargie, ou de la CAP 21, voire de BBY, qui a duré 12ans, a permis de constater que la volonté de conserver le pouvoir par une élite née avant les indépendances est très nette. Le phénomène de la transhumance qui en a été la sève nourricière a de fait, permis une certaine circularité du personnel politique au sein et entre les formations politiques, aujourd’hui en perte de vitesse, à chaque alternance.
L’état providence a créé une oligarchie qui s’est auto- entretenue à travers ses mécanismes d’accaparement du pouvoir que ni le régime de Abdou, et même celui de Wade, n’ont pu inverser. Celui de Macky Sall qui en a accru l’ampleur, a été la dernière étape, tout au moins la transition vers une nouvelle verticalité. Celle de la rupture.
L’arrivée de Macky Sall au pouvoir, et de son successeur Bassirou Diomaye Faye a amorcé le point d’inflexion du système.
Certains y voient d’ailleurs la marque d’une réussite de l’école publique, qui a permis l’arrivée au pouvoir de la génération postindépendance d’origine sociale modeste et décomplexée.
Ce sont les signes avant -coureur de la fin d’un cycle, au-delà des chiffres et des hommes qui l’ont animé, ou qui en étaient les moteurs.
En effet, l’option du changement de paradigme, et le système de valeurs sur lequel il est adossé, fait qu’une certaine élite qui jusque- là animait le jeu politique risque, faute d’une profonde remise en question, de se retrouver dans les rangs des partis dits historiques comme le PAI, ou le BDS, le PS, AJ, LD, AFP, ou de sombrer définitivement dans l’oubli comme le PAIM de M. Aly Niane.
L’actuelle « gauche » ou ce qui en reste, qui a fondé toute sa stratégie politique autour de la « participation » , risque d’être fatalement anéantie, si l’on sait que la moyenne d’âge est très élevée, inversement proportionnelle à celle de l’électorat. Pour ces partis, qui ont fait le deuil des renouvellements de leur personnel politique, paieront le prix fort de leur inertie et de leur séjour dans les sphères du pouvoir, que beaucoup qualifie de complaisant, pour ne pas dire de complice, de toutes les violations des libertés, de la loi, bref de la démocratie pour faire simple.
La perspective qui se dessine fortement est que, in fine, le nouveau leadership naissant, incarné par les leaders de Pastef, Barthélémy Dias, Déthié Fall, (bref Yewwi Askan Wi) pourra sans doute, transcender le clivage partisan, pour aller vers une recomposition. La réalité de l’exercice du pouvoir oblige, car avec 54,28% il serait risqué d’aller vers les prochaines législatives sans un ou des blocs cohérents et solides apte à permettre une gouvernabilité des réformes envisagées, à travers une assemblée ou les idées prospèrent à la place des coups de poing.
Le challenge de l’exercice sera maintenant de faire ce savant dosage sans reproduire les tares du système antérieur à qui on a reproché la main mise sur la justice et la prédation des ressources
Par Oumar DIENG
REPONSE À M. AMADOU BAKHAW DIAW
Le Sénégal est un creuset de cultures et de traditions diverses, ou toutes les ethnies se retrouvent et cohabitent dans le respect mutuel, même si leur distribution géographique fait que certaines sont plus voisines que d'autre
Je crois qu'il faut surtout se garder de prendre l'histoire comme étant une science exacte où les résultats d'analyse ou de recherche sont précis, comme dans les mathématiques, par exemple. Il n'y a généralement pas d’unanimité dans la plupart des thèses émises par les historiens. C'est le cas aussi de l'égyptologie avec ses courants divergents même si, pour nous, Africains, Cheikh Anta Diop a contribué à nous rendre notre fierté en tant qu'Homme noir.
Aussi, par mesure de prudence, devrions-nous éviter d'être péremptoires, par rapport à ce que nous considérons comme une vérité établie. Nous devons cependant continuer à affiner les recherches, à la lumière des avancées scientifiques et archéologiques tout en continuant, par principe, à nous référer aux apports qualitatifs des témoignages que nous ont laissés nos aïeux. Nous devons même nous y accrocher comme à une bouée de sauvetage, pour l'affirmation de notre identité, tant qu'une nouvelle thèse plus pointue ne viendra pas apporter plus de précisions, voire de certitudes, par rapport aux croyances que nous avions auparavant.
Cela dit, le Sénégal est un creuset de cultures et de traditions diverses, ou toutes les ethnies se retrouvent et cohabitent dans le respect mutuel, même si leur distribution géographique fait que certaines sont plus voisines que d'autres ; certains s'étant déplacés avec les mouvements migratoires vers d'autres contrées etc.. Mais dans tous les cas, les circonstances ont toujours favorisé des brassages riches et des échanges féconds entre elles.
En ce qui concerne le Wolof, il faut reconnaître que c'est une ethnie parmi d'autres au Sénégal, et que sa place dans la carte linguistique du pays est incontestable, vu son implantation aujourd'hui dans la quasi-totalité des grandes villes du pays. Mais sa primauté au Fouta, voire sa primordialité, pour être plus précis, est contestable, même si des professeurs dits pularophones semblent militer en faveur de cette thèse. N'oublions pas que tous les intellectuels professent le plus souvent la ligne d'une école de pensée, et c'est possible que ça soit le cas ici. Dieu Seul sait !
En revanche, vouloir réfuter la "Pulaarité" originelle des illustres marabouts Cheikh Ahmadou Bamba et El Hadji Malick Sy, ne me paraît pas conforme à la vérité, d'autant plus que dans la propre descendance de ces derniers, cette appartenance a été clamée en maintes occasions, sans préjudice par ailleurs de leur ascendance paternelle ou maternelle wolof en partie. Des recherches historiques plus poussées (si elles n’existent déjà) pourraient nous édifier, de façon à nous rapprocher progressivement de la vérité.
Je signale enfin que la version suivant laquelle Serigne Touba serait né Ba, existe à côté de celle qui considère qu'il est Mbacké de naissance, et que ce patronyme serait même préexistant à son ascendance paternelle, mais se rencontrerait plutôt chez les Fulɓe « pulaarophones ». N'étant pas Historien, je rapporte l'exemple d'un Monsieur avec qui j'ai eu un entretien il y a de cela quelques années, dans le Sénégal oriental, dont le nom de famille était Mbacké.
A mon interpellation, il avait précisé qu'il n'avait pas de liens de parenté connus avec les Mbacké de Touba et que son nom de famille existe de très longue dans son village ainsi que dans un certain nombre de localités de sa contrée. Il m'avait même précisé, à l’occasion, le nom du village. Mais je ne m’en souviens plus. Hélas ! Ceci, pour faire un clin d'œil aux historiens, aux fins de recherches des liens familiaux même lointains, entre ces Mbacké du Niani Ouly et ceux du Baol, le cas échéant.
PAR LATIFA NGONÉ DIACK
LES TRAVAUX À DAKAR, UN DÉSORDRE SANS FIN
Les travaux à Dakar, qu'il s'agisse de réfection de routes, de construction de nouvelles infrastructures ou de réparations, sont presque toujours synonymes de chaos. On commence, on chamboule, et on laisse traîner.
Dakar, ville en perpétuelle transformation, semble constamment en chantier. Un quartier, un jour tranquille et bien agencé, se retrouve soudainement envahi par les pelleteuses, les camions de gravats, les trous béants, les tas de sable, et le bruit incessant des travaux. Ce qui devait être une amélioration temporaire devient souvent un désordre permanent. Et la question se pose : pourquoi, nous Sénégalais, avons-nous cette capacité à ne jamais remettre les choses à leur place ?
Les travaux à Dakar, qu'il s'agisse de réfection de routes, de construction de nouvelles infrastructures ou de réparations, sont presque toujours synonymes de chaos. On commence, on chamboule, et on laisse traîner. Des mois après l’intervention, les traces du chantier restent bien visibles : des trottoirs défoncés, des routes mal rebouchées, des quartiers où rien ne semble plus jamais être comme avant. Il y a un sentiment permanent que les projets ne sont jamais vraiment terminés, qu’on passe à autre chose avant d’avoir mis le point final.
La scène est toujours la même : une route fermée pendant des semaines, voire des mois, sans que les habitants sachent quand elle sera enfin praticable. Des délais qui s’allongent sans explications, des matériaux qui traînent, des déviations improvisées. Quand les travaux semblent s’achever, il ne reste que des cicatrices : des trous non rebouchés, des tas de gravats qui deviennent de nouveaux obstacles, comme des reliques d’un chantier inachevé. Tout cela, accepté comme une fatalité.
Et pourtant, nous ne nous plaignons presque jamais. Au lieu de cela, nous adaptons nos vies à ce nouveau désordre, trouvant des moyens de contourner les obstacles, habitués au fait que les choses ne seront jamais comme avant. Pourquoi cette absence de réclamation ? Pourquoi n’exigeons-nous pas que tout soit remis en ordre, que les promesses soient tenues, que les quartiers soient restaurés comme ils étaient, sinon mieux ?
Nous avons, semble-t-il, développé une étrange tolérance à l’inachevé. Peut-être est-ce une forme de résilience. Peut-être est-ce la capacité sénégalaise à toujours "faire avec". Mais est-ce vraiment cela que nous voulons pour nos villes ? Ne mérite-t-on pas des projets bien faits, finalisés avec soin, où les ouvriers ne laissent pas derrière eux des traces de leur passage comme des blessures ouvertes ?
Alors, quelle est la solution ?
Elle commence sans doute par un changement de mentalité. Nous devons revoir notre tolérance à l'égard de l’inachèvement, refuser que les projets publics soient traités avec tant de légèreté. Cela nécessite une demande collective pour plus de rigueur, plus de responsabilité, et surtout plus de suivi dans l’exécution des travaux. Il faut réintroduire une culture du respect des délais et des engagements, un contrôle qualité systématique, et un mécanisme de réparation immédiate des dégâts causés par les chantiers.
La solution passe également par une responsabilité citoyenne : ne plus être simplement des spectateurs passifs de ce désordre, mais des acteurs qui exigent des comptes. Une plainte n'est pas un signe de faiblesse, c'est un acte de responsabilité. Il est temps de cesser d’accepter l’inacceptable et de revendiquer un Dakar où les choses sont mises en ordre après chaque chantier, où chaque projet est mené à bien et où chaque quartier retrouve sa beauté et sa fonctionnalité.
Ne laissons plus le désordre des chantiers définir nos espaces de vie. Il est temps de remettre les choses à leur place, et de refuser que notre quotidien soit continuellement bouleversé par des travaux qui semblent ne jamais vraiment se terminer.
Par Elimane Haby Kane
OSEZ LA RÉVOLUTION CONSTITUTIONNELLE
EXCLUSIF SENEPLUS - La souveraineté et la refondation supposent des changements au-delà des limites de l’héritage colonial et des déterminants de l’aliénation intellectuelle de l’élite occidentalisée qui détient le monopole de la conduite des affaires
Pour une gouvernance favorable à la refondation et la souveraineté
L’année deux milles quatre qui commémore le soixante quatrième anniversaire de l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale est également le moment de l’avènement de la troisième alternance démocratique avec l’élection du cinquième Président de la République du Sénégal depuis 1960. L’élection de ce dernier a un taux inédit de 54 % au premier tour d’un candidat de l’opposition lui confère un leadership suffisamment légitime et une grande opportunité pour bâtir un Sénégal nouveau. Une République démocratique à laquelle aspirent de larges dynamiques citoyennes qui proposent des mesures décisives à prendre pour mettre définitivement notre pays dans la perspective du progrès économique et social durable, à travers un mouvement collectif souverain et solidaire qui réunifie toutes les couches et tous les secteurs de notre société.
En analysant le programme du candidat de la coalition victorieuse Diomaye Président, nous avons relevé un certain nombre d’engagements et de mesures suffisants pour transformer en substance et dans l’approche le mode de gouvernance des affaires publiques au Sénégal. Déjà, le président de la République a annoncé des reformes dans son programme : « Nous réviserons et protégerons la Constitution en nous inspirant des conclusions des Assises Nationales et des réformes proposées par la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI) ».[1] Également l’ancien candidat, étant dans les liens de la détention, avait procédé par délégation à la signature du « Pacte pour la Bonne Gouvernance Démocratique » proposé aux candidats à l’élection présidentielle par une coalition d’organisations de la société civile sur la base des conclusions des assises nationales et recommandations de la Commission nationale de reformes des Institutions.
Ces deux références suffisent pour espérer des réformes majeures du système de gouvernance de la République du Sénégal, capables de matérialiser la théorie de la nécessaire refondation confirmée par les conclusions des Assises nationales et bien d’autres propositions de chercheurs et organisations citoyennes[2]. Également la quête de souveraineté suppose la mise en œuvre d’une composante en charge des réformes nécessaires à son aboutissement.
Au moment où le gouvernement nommé par le président Bassirou Diomaye Faye travaille dans la matérialisation de la directive présidentielle énoncée depuis le Conseil des ministres du 9 avril 2024 pour l’élaboration d’un nouveau document de référence de politique économique et sociale en remplacement du Plan Sénégal Émergeant, il est important d’aborder les éléments de gouvernance qui sont décisifs dans la réussite des politiques publiques. Parmi les ambitions énoncées par le nouveau régime, figure en bonne place le renforcement de la « bonne gouvernance »[3], dans tous ses aspects (politique et démocratique, judiciaire, de gestion des finances publiques). Dans sa transversalité, la gouvernance adresse le cadre juridique et règlementaire, les institutions mises en place pour l’animer en vue d’atteindre la vision stratégique clairement annoncée, les processus de prise de décision et aussi les pratiques des acteurs au sein du système de gouvernance des politiques publiques.
De l’actualité des Assises nationales et de la CNRI
Les Assises nationales ont fait le bilan de cinquante ans de la république du Sénégal avant d’aboutir à une perspective de refondation[4] articulée autour d’une vision d’un État de droit sénégalais souverain « où la gouvernance est fondée sur l’éthique, la démocratie participative, la concertation, le respect des institutions et des libertés individuelles et collectives et la défense des intérêts nationaux ». Une vision qui prône la justice sociale, l’équité et l’égalité des citoyens en droit. Elle propose également un modèle de gouvernance consolidante et institutionalisant la démocratie participative basée sur une approche d’inclusion circulaire et multi-acteurs et un cadre institutionnel consacrant le dialogue entre l’état et les acteurs politiques, sociaux et économiques pour définir et évaluer régulièrement les orientations politiques.
Dans une perspective de refondation des institutions et de garantie des libertés, les assises ont donné une orientation fondamentale pour la constitution et la charte des libertés, tout en indiquant les principes d’une nouvelle gouvernance institutionnelle qui garantit les droits et libertés civils, politiques, économiques et sociaux. La souveraineté prônée nécessite dès lors une rupture avec le mimétisme mécanique des textes juridiques et la prise en charge de notre héritage politique spécifique pour enraciner la constitution dans les éléments endogènes qui fondent notre société. Ce qui suppose l’implication des citoyens dans sa conception, la simplification de la présentation du contenu dans les langues nationales pour faciliter l’appropriation du texte fondamental par les citoyens dont il organise et régule les interactions quotidiennes et les institutions qui les encadrent.
Les conclusions de la CNRI sont un prolongement de cette perspective de refondation appliquée sur les institutions de la République. Elles ont même abouti à un projet de constitution élaborée.
La nouvelle gouvernance institutionnelle proposée devrait faire le départ avec la concentration des pouvoirs entre les mains de l’exécutif présidentiel pour favoriser un gouvernement fort et une indépendance des pouvoirs judiciaire et parlementaire. Le parlement devrait se transformer en un acteur institutionnel majeur pour impulser la vie politique, alors que la justice devrait jouir d’une autonomie totale et être accessible à tous les citoyens. La nouvelle gouvernance devrait ainsi permettre la redéfinition de l’architecture des pouvoirs, le renforcement des contre-pouvoirs et la décentralisation qui implique les citoyens à la base.
Pour un cadre réglementaire progressiste, souverain et refondateur
La souveraineté et la refondation supposent des changements en profondeur et audacieux devant aller au-delà des limites de l’héritage colonial et des déterminants de l’aliénation intellectuelle de l’élite occidentalisée qui détient le monopole de la conduite des affaires publiques depuis l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale. Même si des changements significatifs ont été enregistrés au fil des régimes qui se sont succédé notamment avec le pluralisme intégral inauguré par le président Abdou Diouf en 1981 et sa réforme majeure du code électoral en 1992 qui a permis la première alternance démocratique avec l’arrivée au pouvoir du plus célébré opposant de l’époque, Me Abdoulaye Wade. Ce dernier a su impulser la gouvernance démocratique avec une nouvelle constitution progressiste en 2000 qui a pu consacrer les libertés individuelles et collectives et surtout inscrire la notion de la transparence, de l’accès à l’information, de la participation et de la «bonne gouvernance» dans le préambule de la loi fondamentale[5]. Cependant, c’est sous le magistère de Me Abdoulaye Wade que le Sénégal a ouvert la boite de pandore de la mal gouvernance avec tous les excès en matière de détournement de deniers publics, de grande corruption, de patrimonialisation de l’État et d’impunité. C’est ainsi que la lutte contre l’enrichissement illicite et pour la restauration des principes et instruments de « bonne gouvernance » a été au cœur du débat électoral à la suite duquel a été élu le Président Macky Sall en 2012. Ce dernier a ouvert son premier mandat avec des reformes renforçant la lutte contre la corruption, la gestion transparente des finances publiques et la redevabilité contre l’enrichissement illicite. Il a à cet effet renforcé le cadre juridique et institutionnel anti-corruption avec la création de l’OFNAC qui remplace la Commission Nationale de Lutte contre la Corruption et la Concussion mis en place par son prédécesseur en 2003 mais restée peu incisive. Il y a aussi la loi portant code de Transparence des finances publiques mise en place en même temps que l’Office National de lutte contre la Corruption, en décembre 2012 et plus tard celle sur la déclaration de patrimoine en 2013.
Macky Sall a aussi réactivé la loi de 1981 contre l’enrichissement illicite. Malheureusement tout cet arsenal d’instruments juridiques et institutionnels n’a pas permis de barrer la route à l’impunité qui a marqué le régime de Macky Sall. Ce dernier a même théorisé et pratiqué l’impunité en se prononçant publiquement en faveur de certains cadres politiques épinglés par des rapports de corps de contrôle, notamment l’IGE et l’OFNAC.
A travers des actes, le président de la République prédécesseur de Bassirou Diomaye Faye a même sabordé la lutte anti-corruption à travers le choix et le renoncement de femmes et d’hommes qui animent ces institutions, y compris dans le système judiciaire. Les conditions de révocation de la première présidente de l’OFNAC et du premier procureur de la CREI en sont les illustrations. Tout comme la nomination à la tête de l’OFNAC de l’ancien procureur de la République qui n’a jamais voulu diligenter le suivi des rapports soumis par l’organe de lutte contre la corruption.
Il est pourtant établi un lien étroit entre les réformes démocratiques et l’efficacité de la lutte contre l’enrichissement illicite, la corruption et les infractions financières connexes et l’impunité. Les différentes reformes consolidantes ou dé-consolidantes intervenues dans la gestion du processus électoral ont surtout concerné les préoccupations électoralistes des partis politiques que le besoin de moralisation de la vie politique. L’application du parrainage et le relèvement de la caution aux différentes élections, l’élection au suffrage universel direct des présidents de conseils territoriaux (départemental et municipal) n’ont pas su réduire le nombre de candidats et ont favorisé la multiplication des coalitions de partis et amplifié les pratiques de clientélisme politique, d’accaparement et de partage du pouvoir, contribuant ainsi à faire émerger une nouvelle démocratie censitaire dans laquelle ceux qui ont la puissance de l’argent ont plus de chance d’être élus.
Une telle perspective qui maintient le pays dans le cercle des démocraties électoralistes historiquement marquées par la sauvegarde d’intérêts stratégiques extérieurs[6] a aussi favorisé de nouvelles formes de luttes politiques en Afrique notamment la vague de révoltes des jeunes qui aspirent à une authentique démocratie dans les anciennes colonies françaises en Afrique de l’Ouest. La non prise en charge du dividende démographique et la crise de l’emploi qui impacte surtout les jeunes ont favorisé l’émergence de nouveaux types de leaders politiques populistes qui exploitent la colère des jeunes désœuvrés et abusés par les effets de la mal gouvernance. Le populisme constitue ainsi une autre menace à la rationalisation de la vie politique et ses conséquences sur la qualité de l’action politique. Il favorise la manipulation des masses et le développement de pensées clivantes dans la convoitise du pouvoir. Des pratiques qui alimentent la logique partisane autour des enjeux de pouvoir et favorisent les comportements iniques comme le favoritisme sur la base de l’appartenance politique ; ce qui menace sérieusement le vivre ensemble et la stabilité de nos micro-états déjà menacés de l’extérieur.
Le contexte de la troisième alternance électorale et les perspectives du nouveau régime en matière de refondation commandent des ruptures majeures dans le sens d’une révision audacieuse des règles, des institutions et des processus de représentation. La réflexion a été particulièrement menée dans le cadre de l’initiative citoyenne MESURe[7], notamment dans le document intitule « 64 Mesures pour un Sénégal souverain et solidaire dans la prospérité durable » qui propose des réformes en profondeur pour refonder les institutions, renforcer l’État nation et l’équilibre des pouvoirs, les moyens d’action des citoyens et la famille, l’unité sociale éducative de base.
Le système politique de la démocratie libérale qui favorise le clientélisme et les comportements de patrimonialisation et d’accaparement du pouvoir est mis en péril à travers une révision profonde de mode de représentation politique, notamment le choix des délégués -citoyens dans les instances de prise de décision et de délibération. Il s’agit de désigner les représentants du peuple au lieu de les faire élire. Mais également d’enlever les avantages pécuniaires liés à des fonctions de représentation non permanentes et non exclusives.
La question de la réduction des pouvoirs du président de la République et celle du procureur de la République sont aussi primordiales pour améliorer la gouvernance démocratique. L’équilibre des pouvoirs à travers le retrait de l’exécutif dans la gouvernance judiciaire et le renforcement des pouvoirs de l’Assemblée nationale pour lui permettre de jouer pleinement son rôle de contrôle de l’exécutif, de législation et d’évaluation des politiques publiques.
La gouvernance transparente et inclusive comme levier de mobilisation citoyenne
La mal gouvernance qui s’est manifestée ces deux dernières décennies à travers des actes de malversation, de fraude, de concussion, de corruption a une échelle industrielle est le principal fléau économique et social dont le Sénégal fait face. Devenus endémiques, la corruption et la concussion, ainsi que les actes de malversations sont largement documentés par les différents rapports des organes de contrôle, de vérification des finances publiques et de lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent[8]. Cette situation est surtout entretenue et perpétuée au sein de l’administration publique par l’impunité c’est-à-dire l’absence de suivi et de sanctions efficaces sur les cas d’infraction financière relevés par les différents corps de contrôle.
Pour arriver à une véritable refondation de l’Administration publique et rendre efficiente l’action publique, particulièrement l’utilisation de la commande publique et la gestion des finances publiques, les nouvelles autorités devront accorder une attention particulière à la pédagogie de l’intégrité et à la répression rigoureuse des infractions financières.
La transparence qui est érigée en principe dans le préambule de la Constitution depuis 2001 est davantage réaffirmée par la reforme référendaire de 2016 qui consacre à travers l’article 25.1. que l’exploitation et la gestion des ressources naturelles doivent se faire dans la transparence pour générer la croissance économique et promouvoir le bien-être de la population.
Ce même article qui consacre les devoirs du citoyen constitue un levier d’inclusion et de mobilisation citoyenne à travers l’alinéa 25.3. qui interpelle le citoyen sur son devoir de contribuer à la lutte contre la corruption et la concussion ; faire respecter le bien public ; préserver les ressources naturelles ;…
Au sein de l’administration, la loi portant code de transparence des finances publiques reste l’instrument le plus indiqué pour installer le système d’intégrité comme solution à la corruption et la mal gouvernance des finances publiques. S’y ajoute la loi sur la déclaration de patrimoine pour endiguer l’enrichissement illicite et le renforcement des pouvoirs de l’OFNAC et du Parquet pour mieux traquer et sanctionner les délits financiers.
L’application stricte, équitable et rigoureuse du cadre juridique existant contribue à rétablir la confiance du citoyen par rapport à la force publique dans sa volonté de promouvoir la transparence et de mettre fin à l’impunité. Le processus lancé par le président de la république pour l’adoption d’une loi qui protège les lanceurs d’alerte est un acte qui peut favoriser l’implication responsable et dé-risquée des citoyens dans la promotion de la transparence et la demande de redevabilité.
A l’issue des cent premiers jours du régime du président Bassirou Diomaye Faye, il est noté un certain nombre d’actes posés dans ce sens notamment les directives insistantes en Conseil des ministres et la lettre présidentielle adressée aux agents de l’administration publique le 8 avril 2024[9] exhorte vivement les agents de l’État à adopter un comportement exemplaire et transparent dans l’exercice de leurs fonctions.
Les efforts peuvent être poursuivis pour rendre plus incisive la promotion de la transparence à travers le renforcement des instruments de redevabilité citoyenne active notamment à travers l’institutionnalisation d’un mécanisme transversal et horizontal, en composante d’accompagnement de la mise en œuvre des politiques publiques. Il s’agit de faire du modèle du pacte d’intégrité[10], une approche systématique de gouvernance des affaires publiques en impliquant les acteurs indépendants issus des organisations citoyennes et professionnelles et des universités dans tous les processus de prise de décision et de surveillance de l’action publique.
Lutter contre les résistances et pratiques réactionnaires
En matière de gouvernance, au-delà du cadre juridique, des institutions mises en place et des processus de prise de décision inclusifs, les pratiques des acteurs qui animent les systèmes constituent un élément déterminant dans l’intégrité du système. A cet effet, il est important d’accorder une importance capitale aux comportements des agents. Généralement, face à des reformes les acteurs dans le système développent des comportements de résistance face au changement. Les pratiques habituelles notamment celles qui entretiennent la corruption endémique et des facilités dans l’octroi d’avantages indus et d’accaparement du bien public, sont difficiles à combattre car basées sur une chaine de solidarité qui opère dans un cercle vicieux.
Toutefois, seules des mesures fortes et structurelles peuvent permettre de mettre fin à ces pratiques, notamment une politique audacieuse de modernisation de l’administration publique et une dématérialisation des procédures administratives et financières.
Les projets en cours à cet effet méritent d’être accélérés et mis en cohérence sous un leadership visible et affirmé au plus haut niveau de l’administration publique.
L’opportunité de la refondation : oser la révolution constitutionnelle
La troisième alternance intervenue au Sénégal après celle de 2000 et celle de 2012 qui avaient suscité des espoirs finalement déçus par les régimes de Me Abdoulaye Wade et puis de Macky Sall, se présente aux Sénégalais comme une nouvelle opportunité pour mettre définitivement fin à la mal gouvernance au profit du bien être des Sénégalais.
À cet effet et pour éviter une énième déception aux Sénégalais qui, du fait de leurs expériences avec les régimes précédents, ont fini de comprendre la puissance du pouvoir citoyen à travers le vote, une des impérieuses nécessités du régime en place est d’aller au-delà des reformes d’adaptation pour impulser une véritable refondation. L’ampleur des ruptures et changements radicaux à observer nécessitera certainement de larges concertations avec les différentes parties prenantes de la gouvernance pour une transformation structurelle profondément décisive de la constitution.
Le rapport général des Assises de la Justice tenues du 20 mai au 4 juin 2024 et présenté au président de la République le 7 juillet insiste sur le pouvoir indépendant de la justice et sur la nécessité de faire face au devoir de décolonisation juridique en changeant radicalement certaines pratiques et symboles et en mettant en place de nouvelles institutions. Le rapport qui prend en charge les différentes questions soulevées ces deux dernières décennies, notamment celles liées aux crises récentes entre 2021 et 2023 propose en réponse à la demande du président de la république un plan de réforme et de modernisation de la justice qui doit réparer et refonder pour aboutir à une institution forte, indépendante et républicaine, capable de préserver les droits fondamentaux et les libertés publiques et individuelles, renforcer l’État de droit, guider la démocratie et garantir la paix et la cohésion sociales.
Bien que le programme du président élu puisse proposer une série de réformes, celles-ci demeurent peu incisives et incomplètes. Elles manquent surtout d’aller en profondeur sur les véritables causes des problèmes de gouvernance notamment la pratique politicienne qui mobilise les partis politiques autour des enjeux de pouvoir et favorise une gestion partisane des affaires publiques. En effet, pour venir à bout du clientélisme politique qui constitue encore la cause de l’impunité et de la gestion népotique des ressources publiques à des fins de conservation du pouvoir, des mesures plus radicales s’imposent. Notamment la stricte séparation des pouvoirs avec plus d’autonomie du parlement et de la justice par rapport à l’exécutif. Également la mobilisation politique citoyenne est corrompue par les avantages pécuniaires et les privilèges exorbitants, pour un pays à revenus faibles, qui sont octroyés aux titulaires de fonctions publiques et parapubliques dont le recrutement est lié à l’engagement politique partisan. La promotion du mérite et l’ouverture transparente de la compétition aux différents postes publics peuvent constituer des palliatifs avant-gardistes face à la mal gouvernance et l’inefficacité de l’action publique.
Une lame de fond contre un système d’intégrité solide se trouve au niveau de l’organisation du système de la démocratie électoraliste qui alimente le clientélisme tel que mentionné plus haut et l’accaparement du bien public. Une rupture décisive qui pourrait améliorer la gouvernance de l’action publique consisterait à révolutionner le mode de représentation politique[11], en bannissant définitivement l’élection au suffrage universel direct des députés, des maires et du président. En effet, en permettant aux Sénégalais de choisir au lieu d’élire leurs représentants depuis l’échelle la plus proche à savoir le quartier et le village, les chances sont plus élevées de permettre aux citoyens les plus aptes, les plus engagés pour leur communautés et les plus intègres d’être choisis par leurs pairs-voisins pour les représenter au niveau des sphères qui en convergeant depuis les quartiers et villages vont constituer le spirale de prise de décision jusqu’à la désignation des conseillers municipaux et départementaux, des députés et du président de la république. Un tel système révolutionnaire permettra ainsi de démonétiser l’action politique partisane et de réduire considérablement les moyens engloutis dans les processus électoraux, mais surtout de réduire les risques de crises politiques souvent occasionnées par les échéances électorales et la compétition entre partis politiques autour des enjeux de pouvoir. L’adoption d’un tri-caméralisme homme/ femmes/jeunes depuis la nano représentation jusqu’à l’échelle nationale permettrait une gouvernance inclusive et une démocratie substantielle directe.
Elimane Haby Kane est analyste gouvernance et politiques publiques, président du think tank LEGS-Africa.
[1] Document de programme de la coalition Diomaye Président.
[2] Dont celles du mouvement Demain Sénégal, MESURe qui ont produit et publie des documents de propositions soumis aux différents candidats à l’élection présidentielle
[3] Dans une logique de refondation, le concept mériterait une définition précise à défaut d’être extrait du narratif de la rupture.
[4] Amadou Mahtar Mbow (dir.): Assises nationales. Sénégal, An 50. Bilan et perspectives de refondation. L’harmattan, 2011.
[5] Constitution votée par referendum le 20 Janvier 2001.
[6] Ndongo S Sylla et Fanny Pigeaud : De la démocratie en Françafrique. Une histoire de l'impérialisme électoral. Les cahiers Libres. La Découverte, 2023
[7] Mobilisation pour l’Engagement citoyen, la Souveraineté, l’Unité et la Refondation, une initiative citoyenne mise en place en février 2023
[8] Voir les différents rapports de l’IGE, IGF, Cour des comptes, OFNAC,ARMP, ARCOM, CENTIF
[10] Un pacte d'intégrité est un mécanisme de collaboration où les entités publiques, la société civile et les autres parties concernées s'engagent à renforcer la transparence et la redevabilité dans les processus de passation de marchés publics. Agissant en tant qu’observateur indépendant, une organisation de la société civile veille à ce que la réglementation applicable soit respectée et à ce que les risques de corruption soient pris en compte.
[11] Voir les recommandations de MESURe cites en référence plus haut.
Par Abdoul Azize KEBE
LE FRANÇAIS, LANGUE DE L'ISLAM
Ce texte avait été publié à l’occasion de la célébration du 15e sommet de la Francophonie à Dakar, en 2014. Je la partage, 10 ans après, avec une légère modification pour préciser ma pensée
Ce texte avait été publié à l’occasion de la célébration du 15e sommet de la Francophonie à Dakar, en 2014. Je la partage, 10 ans après, avec une légère modification pour préciser ma pensée. Je voudrais saisir le moment de la célébration de la Francophonie pour partager cette réflexion. Je le fais dans le seul but de contribuer à rapprocher les musulmans de mon pays et d’ailleurs, à faire tomber ces cloisons d’un autre âge qui se dressent entre musulmans arabophones et francophones. De ce point de vue, on pourrait se départir de cette pensée réactive qui nous empêche de percevoir toute cette potentialité créative que le français nous offre.
Nous savons tous que la plupart des pays de la Francophonie sont des pays anciennement colonisés. Parmi ceux-ci une bonne partie qui se trouve au Maghreb et en Afrique de l’Ouest, est majoritairement musulmane. Ce sont des espaces où l’islam, avec sa langue génitale l’arabe, a précédé le français et ses éléments culturels. Dans ces pays, l’établissement du français a été perçu comme une agression contre l’islam et contre la langue arabe. Tant et si bien que le français fût considéré - quelques fois à juste titrecomme une langue anti-islamique. Mais aujourd’hui, estil juste de continuer à le voir de cet œil, à le percevoir comme la langue du diable, de l’antéchrist ? Est-il acceptable de le présenter ainsi pour décréter illicite son enseignement, quitte à frustrer nombre d’enfants des bienfaits de l’école et des savoirs qu’elle offre, comme le stipule Boku Haram ou les organisations qui partagent ses vues ? Pour qui suit le dynamisme qu’apporte le français à la propagation du savoir islamique et à la diffusion de sa culture, il serait plutôt juste de dire que le français est une langue d’islam, dans ses dimensions scientifique, académique, spirituelle, culturelle et historique. Même si certains s’y expriment pour diffuser leur haine ou leur méconnaissance de cette belle religion, d’autres en usent pour la diffuser et mettre à la disposition du monde tout le trésor spirituel et théologique qu’elle a généré.
Le français facteur de diffusion de l’islam
Toute langue dans laquelle s’exprime la religion, pour véhiculer ses enseignements, pour défendre ses idéaux, est une langue de religion, de cette religion. Vu sous cet angle, le français est une langue d’islam. Les musulmans arabophones sont les mieux placés pour accréditer cette hypothèse dans la mesure oú, la plupart d’entre leurs élites estiment qu’est arabe tout celui qui s’exprime dans cette langue, la langue du Dâd. Il y a même des hadiths dont il faut vérifier l’authenticité qui accréditeraient cette assertion. Dans tous les cas, parler une langue c’est bien intégrer, ne serait-ce que par la locution, une communauté.
Pourquoi soutenons-nous que le français est une langue d’islam ?
L’islam est une religion à vocation universelle, fondée par la révélation d’un Livre à partir duquel, des savoirs de toutes sortes ont été élaborés. Or, la vocation de ces savoirs est d’être reçus, appropriés, développés et retransmis par des peuples et des nations autres que le peuple arabe. Dans cette mission, le français a joué un rôle important en véhiculant, par la traduction et l’édition, un riche patrimoine qui serait resté inaccessible pour une bonne partie des musulmans non arabophones.
Quelques exemples illustrent notre propos
Le domaine éditorial représente un riche champ d’expression de l’islam, de diffusion de ses enseignements, de défense de ses idéaux, et même de clarification de controverse et d’idées reçues ou préjugées. Sur ce champ, la contribution de certaines maisons d’édition est à citer. En visitant la collection Sindbad de la maison d’édition Actes Sud, on est admiratif et reconnaissant devant son fondateur Pierre Bernard. Ce dernier a contribué, avec cette collection, à exhumer, en tout cas, à déposer sur la natte de l’universel un nombre considérable de textes relatifs à l’islam, littérature et civilisation confondues, pour montrer que cette religion n’est pas qu’un simple ritualisme sans âme. Elle est surtout une mine de ressources pour l’humanité. La bibliothèque musulmane de cette maison d’édition nous surprend, par la richesse et la diversité des publications parmi lesquelles figurent des classiques du fiqh, comme la Risâla de Shâfi'î, des livres de soufisme et de spiritualité comme les traités spirituels d’alAnçâri, de Kalabâdhî, ou des traités de sciences comme ceux de Râzi.
A côté de cela, les éditions al-Buraq apportent leur pierre à l’édifice par la diffusion des œuvres d’auteurs musulmans contemporains ou classiques. Dans le site de la revue d’études sur l’islam, «Cahiers de l’islam», on lit ceci à propos de cette maison d’édition : «Al Bouraq devient alors une passerelle entre Orient et Occident, une voie vers la connaissance de la civilisation arabe-musulmane.» De cette façon, le français, comme d’autres langues certainement, relie les anneaux du savoir islamique à la chaîne de la connaissance universelle, et transmet le message décrypté aux peuples et nations qui constituent la cible. Il joue son rôle de diffuseur mais aussi de lien entre les peuples disséminés, à travers les espaces géographiques différents, qu’ils soient d’Orient ou d’Occident, sans considération de discrimination d’aucune sorte. Sur un autre plan, mais toujours dans le domaine éditorial, l’apport du français à la diffusion et à la connaissance de l’islam spirituel est très appréciable. Ce faisant, il a dévoilé au monde cette riche spiritualité qui se présente comme voie alternative pour accéder à Dieu par la quête de sens, à travers la philosophie et la mystique, l’amour et la création du beau, l’ouverture à l’autre, la charité et l’hospitalité. Cette contribution inestimable se retrouve dans l’option éditoriale de la maison d’édition Verdier, par le biais de la collection islam spirituel, -رون ىلع رون - fondée par Christian Jambet. En empruntant cette voie, il refuse d’emprisonner l’islam dans les carcans du juridisme ou les chemins aventureux du politique. Ce qui semble être aujourd’hui le seul visage médiatisé avec les jihadistes, les salafistes de Daesh ou de Boku Haram. Dans cette collection, nous pouvons citer l’excellent traité de soufisme d’Isfarâ’inî, Le révélateur des mystères - فشاك رارسألا - . Un beau texte sur l’unicité de Dieu et les subtilités du cœur, dans la perception de réalités autres que physiques, traduit par Hermann Landolt.
Traduction et valorisation de la culture
Ces quelques illustrations auraient suffi pour démontrer que le français n’est pas une langue anti-islamique, comme semblent le croire quelques arabophones radicalisés par des sentiments de marginalisation réelle ou fictive, ou par des islamistes antioccidentaux qui confondent idéologie et religion. C’est, à l’instar de toutes les autres langues, un moyen de connaissance et de reconnaissance, de connexion avec les savoirs et avec les humains, pour transformer positivement les réalités.
Les traductions des deux sources primordiales de l’islam, le Coran et la Sunna authentique du Prophète en attestent. Qui ne connaît pas les traductions exemplaires de Jacques Berque, de Hamidoullah, de Si Hamza Boubakeur ou des Deux Saintes Mosquées ? En plus de cela, qui ne connaît pas les traductions des œuvres magistrales de Ghazali, en soufisme, de penseurs contemporains comme Qaradawî, Mouhamed Ghazali, et d’autres encore ? Avec notre génération, qui n’a pas appris dans l’œuvre, en français, de Garaudy, René Guénon, Dominique Urvoy, Maurice Bucaille ? Qui n’a pas consolidé ses connaissances avec Minhâju-lMuslim de Abu Bakr alJazâ’irî ? Qui ne s’est pas abreuvé dans la fontaine inépuisable de sagesse de l’Imâm ‘Ali (RTA) dans Nahjul-Balâgha ? Ici au Sénégal s’est tenu en 2014, pour la deuxième fois, le sommet de la Francophonie qui honore le catholique Senghor et le musulman Abdou Diouf, sous le magistère de M. Macky Sall, un président de la génération post-indépendance. Il me plaît de rappeler que si le français s’est introduit, avec l’objectif de réduire l’aura des marabouts et de l’islam, il est aujourd’hui le véhicule de leurs enseignements. Les traductions de Jawâhir alMa'ani, de kifâyatu-rRâghibîn et de Ifhâmu-lMunkiri-l-Jânî, par le Professeur Ravane Mbaye, de Masâliku-l-Jinân par Serigne Sam Mbaye, de Minanu-l-Bâqî par Khadim Mbacke, de Kâshifu-l-Albâs par Ousmane Kane, sont là, témoins de nos propos. En plus de cela, toute l’œuvre du professeur Samba Dieng sur El Hadj Oumar, et d’autres encore, sont une illustration que dans les faits, la contribution du français à l’universalisation de l’islam et des pensées issues de son flux, est une réalité. Si les confréries du Sénégal sont si bien connues dans le monde, en particulier dans les régions francophones et occidentales, c’est en partie grâce aux travaux en français, entre autres, dont elles ont été sujets, ici et ailleurs. Alors, peut-on dire que le français est non seulement langue de religion, mais il est langue d’attraction et peut être, d’un point de vue symbolique, langue d’accréditation auprès de l’élite musulmane non arabophone. Il est aussi bien langue d’islam que langue d’islamologie, langue de préservation et de valorisation du patrimoine islamique global et local.
Il est langue d’islamophilie. Rappelons-nous les belles envolées de Lamartine ou de Hugo et même le mea-culpa de Voltaire. Mais sous nos yeux, avec l’élégance qui le caractérise, notre compatriote Souleymane Bachir Diagne n’a-t-il pas contribué, par et avec le français, à apprendre au monde comment philosopher en Islam ? N’a-t-il pas rappelé avec brio que les langues sont des vecteurs d’hospitalité, par la traduction ? J’aime ce concept d’hospitalité car d’emblée, il écarte l’hostilité. Le français, vu sous cet angle est un instrument qui a permis de se faire dialoguer l’âme de l’islam avec les cultures non arabophones.
Ce que nous avons constaté dans le domaine de l’édition pourrait être dit dans celui des sites sur le web, dans l’espace scolaire et universitaire, et dans le secteur des intellectuels francophones musulmans du Sénégal et d’Afrique. Que ce soit le défunt Cerid (Centre de Rechcrche sur Islam et Développement), avec les illustres Dr Ciré Ly, Me Fadilou Diop,
Pr Assane Sylla, Pr Makhtar Diouf, Pr Amadou Samb, l’inénarrable Oustaz Ibrahim Mahmoud Diop, que ce soit l’Ujmma, les jeunes musulmans à Bamako, les étudiants musulmans de l’Ucad, le français a servi pour démontrer que l’islam est une religion de savoirs, d’éthique et de développement, à travers le croisement entre ces deux premiers éléments. Pour conclure, nous pouvons affirmer que le français a cessé d’être la langue antiislamique depuis très longtemps, avec la fin de la colonisation. Aujourd’hui, il est une langue qui permet à des peuples différents de se rencontrer dans le savoir islamique, de s’abreuver de ses sources, de s’enrichir de ses trésors et de ses spiritualités pour se connaître et se respecter. En cela, il est aussi langue d’islam.
par Abdou Fall
APRÈS LE TEMPS DES COLÈRES, LE MOMENT DU SURSAUT CITOYEN POUR UNE GOUVERNANCE DE RUPTURE
EXCLUSIF SENEPLUS - Un basculement absolu en faveur d'un camp au détriment des autres blocs serait fatal pour la stabilité du pays. Une initiative du comité national des Assises en direction des blocs politiques en lice serait salutaire pour le Sénégal
La forte colère citoyenne qui s’est exprimée le 24 mars 2024 par un vote massif en faveur du candidat Bassirou Diomaye Faye au premier tour de l'élection présidentielle passée est un indicateur on ne peut plus tangible de l'irrépressible aspiration aux changements qui s'est emparée de notre pays depuis un quart de siècle.
C'est pourquoi il était naturellement attendu de l'actuelle équipe dirigeante que soient dégagées en priorité des perspectives claires de réformes de fond parmi lesquelles les questions institutionnelles devaient occuper une place prépondérante au regard des crises politiques récurrentes que le Sénégal a traversées pendant ces décennies qui marquent notre entrée dans le siècle naissant.
Avec le régime socialiste d’abord en 2000 et les pouvoirs libéraux qui ont suivi en 2012 et 2024, trois alternances politiques ont été opérées à la tête du Sénégal, toutes principalement marquées par une forte aspiration citoyenne à la rupture dans la gouvernance des affaires de la nation.
Tout le monde l'aura remarqué, les sujets majeurs du débat politique national depuis 2000 ont porté pour l'essentiel sur des enjeux de gouvernance.
Chacun des pouvoirs déchus pouvant se prévaloir dans une très large mesure d'un bilan plus que respectable en matière de redressement économique et financier pour les socialistes en 2000, de grandes réalisations dans la construction des bases infrastructurelles du développement économique et social du pays pour les libéraux en 2012 et 2024.
Sous ce rapport, les 12 ans de magistère du président Macky Sall auront été particulièrement féconds dans tous les domaines ;
Et c'est pourtant là que le changement aura été quasiment opéré sur fond d'insurrection électorale.
C'est la raison pour laquelle il était dans l'espoir de tous de voir la nouvelle équipe dirigeante sortie victorieuse de la présidentielle de 2024 se saisir de l'opportunité de la transition vers les législatives pour faire l'état des lieux de la gouvernance politique, démocratique, économique et sociale du Sénégal, négocier avec toutes les forces vives de la nation les termes d'un large consensus sur les réformes majeures à entreprendre au premier desquelles les chantiers institutionnels, et enfin ouvrir au pays la perspective d'une gouvernance rénovée.
Et au-delà du contexte national, le Sénégal aurait fait encore une fois figure de précurseur en offrant une nouvelle perspective à l'Afrique où la crise de l'État post-colonial, notamment dans l'espace francophone, entraine des errements dangereux avec des conséquences désastreuses dans la marche de nos institutions communautaires sous-régionales
A cet égard, les crises lancinantes de régime que traversent les pays dits de l'alliance des États du Sahel (AES) méritent une attention toute particulière de la part des hommes politiques et des intellectuels du continent, en particulier chez nous, objectivement enfermés que nous sommes dans une véritable ceinture de feu.
C'est pourquoi l'occasion aurait été belle aujourd'hui si on allait à nos élections législatives du 17 novembre prochain dans le cadre d'une démocratie apaisée et d’une profonde mise à jour des institutions du pays.
Étant entendu que la seule perspective politique qui vaille est celle d'une société réconciliée avec elle-même et d'une nation rassemblée pour relever le défi de sa sécurité qui, comme aimait à le répéter le Professeur Cheikh Anta Diop, est la condition et le préalable de toute politique réussie de développement.
Nous sommes bien placés pour beaucoup en savoir sur les souffrances indicibles que vivent actuellement les peuples des nations sous l'égide des états dits de l'AES.
C'est la raison pour laquelle il importe peu pour nous d’en savoir outre mesure sur les raisons qui ont pu justifier les logiques ayant en définitive prévalu pour conduire à cet état de tensions entretenues en permanence et qui continue encore de régner dans notre espace public six mois après la présidentielle de mars 2024 et à quelques six semaines des législatives du 17 novembre prochain.
Ce qui est établi et constant, c'est que cette transition aura été une occasion manquée par les nouvelles autorités du pays de jeter les bases d'un authentique renouveau démocratique.
C'est dans cette circonstance exceptionnelle de mutations politiques inachevées que se tiendront les législatives en vue dans les six semaines qui nous séparent de cette échéance capitale.
Je dois dire sans ambages, en ce qui me concerne , que je suis de ceux qui pensent qu'au regard des faits observés sur les six mois de la gouvernance de la nouvelle équipe dirigeante et de la montée en puissance des crises politiques que traversent le monde avec leurs impacts sur nos pays, la simple sagesse devrait commander que tous les hommes et femmes de bonne volonté se mobilisent dans un vaste sursaut citoyen en faveur de politiques de vastes rassemblements pour faire face aux grands défis de notre époque.
Nos responsabilités nous dictent de tout entreprendre pour éviter que ces tensions permanentes dangereusement entretenues se transforment en crises insurmontables pour notre pays.
Et sous ce rapport, la lucidité politique devrait nous commander à tous de travailler à la construction d'un rapport de forces qui rétablisse les équilibres entre les principaux courants politiques qui traversent le pays, afin que selon le bon mot Montesquieu, "par la force des choses, le pouvoir puisse arrêter le pouvoir ".
Un basculement unilatéral et absolu en faveur d'un camp au détriment des autres blocs serait à notre sens fatal pour la stabilité du pays, l'unité et la cohésion de notre nation et la préservation des équilibres entre les courants et forces de diverses natures qui traversent la société Sénégalaise dans son ensemble.
Quatre blocs majeurs se disputent à ce jour les votes des citoyens pour cette échéance capitale du 17 novembre prochain.
L'issue de ce scrutin va déterminer dans une très large mesure la configuration des forces en charge de la gestion de notre statut nouveau de pays pétrolier et gazier dans un environnement de crises politiques et sécuritaires jamais vécues dans notre espace sous-régional.
Un tel contexte doit appeler de notre point de vue la hauteur et la sérénité d'une gouvernance de responsabilité que tout le monde sait incompatible avec une ambiance délétère de crispations, de tensions, de convulsions, de menaces et de controverses permanentes, sans retenue et totalement contreproductives.
C'est donc le moment, de ce point de vue, pour que toutes les communautés représentatives de la nation sénégalaise dans sa diversité et toutes les personnalités de bons conseils de rappeler aux acteurs politiques que notre pays ne saurait être livré à leur merci, quels que soient par ailleurs les mérites et talents des uns et des autres.
Il n'est établi nulle part que pouvoir leur est donné de disposer du droit exclusif de décider du sort de tous selon leurs ambitions de pouvoir au risque d'exposer le pays dans son ensemble à tous les périls possibles et imaginables.
En démocratie, majorité n'est pas unanimité !
Maître Babacar Niang aimait à rappeler : " la démocratie, c'est le gouvernement de la majorité, dans l'intérêt général et dans le strict respect des droits de la minorité ".
On est par conséquent dans le temps du sursaut citoyen, républicain et démocratique pour le retour aux fondamentaux d'une nation riche de sa diversité et forte de son unité, d'un peuple fier, travailleur, libre et confiant en lui-même, d'une société juste et solidaire, enfin d'un régime politique tournant définitivement le dos au pouvoir personnel sans partage et à l'exercice solitaire du pouvoir.
C'est sur la base d'une telle plate-forme qu'un vaste mouvement citoyen, républicain et démocratique doit construire un référentiel à soumettre à la classe politique dans son ensemble.
Il s’agit, à partir de là, de créer un rapport de force politique qui redistribue les rôles dans les différentes institutions du pays afin d'en garantir les équilibres entre les principaux courants qui traversent l'espace politique national.
Le 17 novembre prochain, le salut du Sénégal est dans le triomphe d'un vote de rééquilibrage entre les courants majeurs en lice dans le cadre de ce scrutin exceptionnel.
La configuration du prochain parlement devra rendre incontournable le cadre d'un dialogue qui s'imposera le moment venu à tous afin que soient renégociés les termes d'un pacte politique et social renouvelé autour d'un nouvel ordonnancement institutionnel qui exclut le pouvoir absolu d'un camp sur l'autre tout en garantissant un fonctionnement institutionnel à l'abri des vices des démocraties perverses.
Après la fièvre du 24 mars, le scrutin du 17 novembre devra être celui de la sérénité devant déboucher sur le salut d'un dialogue entre les quatre principaux blocs en lice dans ce moment exceptionnel de la vie politique du Sénégal.
Cette tendance lourde vers les grands blocs politiques, tout en reconnaissant aux autres entités en lice leur droit légitime à porter leur projet et afficher leurs ambitions, est le signe précurseur d'une perspective de recomposition politique de nature à donner lisibilité et cohérence dans l'espace démocratique du Sénégal.
Le bloc Pastef du duo Diomaye/Sonko, celui de Sàmm sunu kaddu avec le trio Khalifa Sall, Barthélémy Diaz, le PUR de Serigne Moustapha Sy et les jeunes leaders dits radicaux, la coalition Jàmm ak Njarin̈ autour d’Amadou Ba avec ses alliés de l'AFP, du PS et des partis de gauche et enfin le regroupement de presque toute la famille libérale wadiste dans Takku wallu Sénégal autour du président Macky Sall et de l'APR avec Karim Wade, Idrissa Seck, Pape Diop, Omar Sarr, Modou Diagne Fada, Abdoulaye Balde et les autres, il se dessine là quatre courants majeurs à partir desquels il devient possible de construire un dispositif cohérent de régulation du jeu politique.
Il devient difficilement envisageable dans le cadre d'une telle configuration l'émergence d'une force hégémonique capable de dicter à elle seule sa loi dans le cadre d'une représentation nationale ainsi configurée par le vote citoyen.
Ces quatre principales forces dignement représentées dans la future Assemblée, sans l'exclusion des autres listes donneraient la chance exceptionnelle au Sénégal d'une démocratie de compromis qui est dans les circonstances historiques actuelles la seule voie d'une gouvernance apaisée, stable et durable du pays.
Nous nous attacherons naturellement en ce qui nous concerne à porter en toute modestie la voix de ces réformes de fond dans le cadre du programme de législature de la liste Takku Wallu Sénégal placé sous le leadership du président Macky Sall.
C'est par conséquent le moment d 'inviter à un large consensus de tous les acteurs sur les exigences d'une gouvernance rénovée de nos institutions dans le sens de réconcilier gouvernants et gouvernés et dans le cadre d'une vision qui place le citoyen au cœur du projet de construction national .
Il convient de toujours rappeler à cet égard que le développement d'un pays, c’est certes l'affaire de l'État et des dirigeants, mais c'est aussi et surtout l'affaire des peuples et des organisations populaires.
Et ce moment où le monde entier célèbre la disparition de la figure exceptionnelle de Monsieur Amadou Moctar, le Sénégal ne lui rendrait meilleur hommage que de répondre à son appel constant en faveur de la cause qui a incarné le dernier grand combat de sa vie, la rénovation institutionnelle de notre pays.
Une initiative du comité national des Assises soutenue par toutes les forces républicaines et démocratiques du pays en direction des blocs politiques en lice serait salutaire pour le Sénégal si elle débouchait sur un pacte d'engagement de tous pour des réformes institutionnelles actées pour être traduites en lois constitutionnelles au sortir des élections législatives du 17 novembre prochain.
Abdou Fall est ancien ministre, président du Mouvement Alternatives Citoyennes Andu Nawle.