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27 novembre 2024
Politique
LE DÉFI DU SOUVERAINISME AFRICAIN POUR LA FRANCE
Paris doit réinventer en urgence son approche, privilégiant l'humilité et le respect, selon François Soudan. Pour ce dernier, le maintien de l'influence française passe par l'abandon de "chiffons rouges" devenus des symboles d'ingérence
(SenePlus) - Un vent de souverainisme et de rejet envers l'ancienne puissance coloniale souffle sur l'Afrique francophone, menaçant l'influence séculaire de la France sur le continent. Comme l'explique François Soudan, directeur de la rédaction de Jeune Afrique, dans une analyse récente, Paris doit faire face à "la résistible montée du sentiment anti-français en Afrique francophone".
Cette tendance néosouverainiste, qui gagne en ampleur auprès des jeunes et des classes moyennes, voire certaines sphères dirigeantes, trouve son origine dans l'échec des mouvements citoyens des années 2000 et l'impasse des transitions démocratiques. Alimenté par les réseaux sociaux et les "analphabètes numérisés" issus de deux décennies de déscolarisation, ce phénomène populiste mêle le rejet de la France, bouc émissaire de proximité, à une dénonciation de certains aspects du mode de vie occidental.
Un événement marquant à l'origine de cette défiance est "l'assassinat de Mouammar Kadhafi au terme d'une sordide chasse à l'homme téléguidée depuis Paris, Londres et Washington", comme le souligne Soudan. Le théoricien Achille Mbembe évoque également "l'asymétrie des connaissances" qui fait que les partenaires africains "connaissent beaucoup mieux" la France que l'inverse.
L'offensive russe et la stratégie du "french bashing"
Dans cette lente érosion de l'influence française, la Russie joue un rôle opportuniste en amplifiant la rhétorique anti-occidentale et anti-française à travers une stratégie de "french bashing". Depuis le sommet de Sotchi en 2019, Moscou soutient et amplifie les acteurs et influenceurs locaux déjà en place, actualisant un récit anticolonial hérité de la guerre froide.
Selon l'ambassadeur français Sylvain Itté, cité par Soudan, cette "machine infernale" recourt aux fermes à trolls et de plus en plus à l'intelligence artificielle, produisant un "effet magnétique immédiat" dès qu'un drapeau russe est brandi lors d'une manifestation.
Face à cette offensive, la France semble "totalement aphone sur le terrain de la communication", note Soudan, en panne de solutions malgré une prise de conscience de la nécessité d'une remise à plat.
Les recommandations d'Achille Mbembe
Pour juguler cette montée du sentiment anti-français, Achille Mbembe, théoricien du post-colonialisme, préconise que la France se débarrasse rapidement de trois "chiffons rouges" : ses bases militaires sur le continent, le franc CFA, et sa pratique restrictive de délivrance des visas.
Ces prérequis sont indispensables, selon Mbembe, pour fonder une "politique de la France en Afrique, sans ingérences ni leçons". Associés à "une bonne dose d'humilité et de respect", ils permettraient d'atteindre la "juste distance" susceptible d'"éteindre les braises d'un sentiment anti-français privé de carburant".
En somme, face au vent de souverainisme qui souffle sur l'Afrique francophone, la France doit répondre par une nouvelle approche, dénuée d'ingérence et empreinte d'humilité, tout en s'attaquant aux symboles devenus des "chiffons rouges". Seule une telle stratégie pourra endiguer le rejet croissant dont elle fait l'objet et préserver son influence sur un continent où, comme le rappelle Soudan, "l'âge médian est de 19 ans" et qui constituera "le premier réservoir de main-d'œuvre disponible pour l'économie mondiale" d'ici 2050.
par Amadou Tidiane Wone
RESTER FOCUS
Le chèque signé par le peuple aux nouvelles autorités n’est pas à blanc. Il est rempli d’exigences, dont certaines sont livrables immédiatement, et d’autres prendront le temps de réformes profondes qu’il va falloir entamer très rapidement
Le 24 février 2024, le peuple sénégalais a fait une option, claire et sans équivoque, pour un changement résolu et définitif d’avec le train-train politicien dominant depuis plus de 60 ans. En vérité, une révolution démocratique et sociale a posé son premier jalon, dès le premier tour d'une élection dont personne n'attendait une issue aussi claire, nette et sans bavures. Les électeurs ont porté leur choix sur la jeunesse et sur la rupture. Ce faisant, ils ont fait le pari de la restauration de notre indépendance, progressivement hypothéquée par les abandons progressifs de Souveraineté sur des pans essentiels et stratégiques de notre économie. Le peuple a aussi fait une option pour l’intégration africaine, la promotion du mérite et, par-dessus tout, pour une lutte sans merci contre la corruption, les détournements de deniers publics, le pillage des ressources naturelles, le bradage du domaine national et la cannibalisation du domaine maritime. Bref, le peuple s’est élevé contre la désinvolture notée ces dernières années, de serviteurs de l’État sensés veiller sur les intérêts de tous, et dont les noms sont associés à des crimes économiques, supposés ou réels. Nous attendons, à cet égard, l’issue des procédures en cours ou à venir…
Il faut ranger au registre de la corruption…d’Etat (!) les avantages exorbitants consentis à certains corps par rapport à d’autres, aussi méritants, tant par leur formation qu’aux regard des services rendus quotidiennement à la nation. La grille salariale de la fonction publique doit être revisitée, totalement, dans le sens de la restauration de plusieurs équilibres rompus ces dernières années par un clientélisme politicien destructeur.
Même les forces de défenses et de sécurité, pudiquement emmurées derrière la notion de « secret défense », doivent lever le voile sur les dépenses liées à des simples questions d’intendance. Celles-ci qui doivent être évaluées et réévaluées au besoin au même titre que les divers engagements de l’Etat. Le voile du secret ne s’étend pas à la gestion rigoureuse de certaines dépenses comme la popote, la construction de casernes, le carburant, les tenues militaires etc. On se comprendra !
Quant au fond, toutes ces distorsions procèdent d’une crise morale profonde dont les symptômes sont visibles à plusieurs niveaux de notre corps social. Il va falloir poser un diagnostic sérieux, qui va bien au-delà des procès d’intention et des règlements de comptes politiques. Le mal est très profond et se niche, bien des fois, dans des recoins insoupçonnables …
Au demeurant, en un mot comme en mille, le chèque signé par le peuple aux nouvelles autorités investies de sa confiance, pour un premier mandat de cinq ans, n’est pas un chèque à blanc. Il est rempli d’exigences, dont certaines sont livrables immédiatement, et d’autres prendront le temps de réformes profondes qu’il va falloir entamer très rapidement. Autant les changements de personnels aux commandes de plusieurs leviers d’actions sont impératifs, autant le souci de la tenue, stricte, de tous les engagements pris, doit faire l’objet d’une communication gouvernementale millimétrée et d’un souci pédagogique en temps réels. Mieux, les actions liées aux changements de comportements doivent être prises en charge par les 54 % d’électeurs qui ont endossé la responsabilité de la rupture et du changement ! Il s’agit, pour chacun et chacune d’entre nous, d’incarner la rupture et de lui donner corps en toutes circonstances. Pour séduire et convaincre les indécis, afin de réduire l’hostilité et la capacité de nuisance des partisans du statu quo ante.
Cela doit être la nouvelle feuille de route du FOCUS 2024. Il faut l’endosser et la conduire.
Pour cela, il est nécessaire de s’attacher à la mise sur pied d’une coalition nationale contre la corruption, le pillage des ressources nationales, le détournement des deniers publiques et l’impunité ! Au-delà des partis, mouvements et personnalités membres de la coalition Diomaye Président, il faut fonder et engager une nouvelle dynamique citoyenne plus large, moins politicienne et plus engagée à défendre notre pays des convulsions artificielles dont sont férus les politicards professionnels. Il s’agit de faire respecter le choix des électeurs sénégalais et de conduire les réformes attendues par :
Une lutte sans merci contre la corruption et tous ses avatars
La restauration d’une justice équitable pour tous,
La mise en œuvre d’une politique d’assainissement des finances publiques et de choix budgétaires judicieux.
La réforme en profondeur de notre système éducatif dans toutes ses composantes
Donner du sens à la devise nationale : un peuple-un but-une foi par la criminalisation des discours haineux et qui tendent à s’attaquer à l’âme de notre nation au sein d’une Afrique décomplexée et en reconstruction.
De tout cela, ma conviction reste que la lutte contre la corruption dans toutes ses dimensions est la priorité des priorités ! De son éradication sortira le nouveau type de sénégalais dont nous voulons que nos enfants soient l’incarnation. Cela est possible si la volonté politique, annoncée au plus haut niveau de l’Etat, est portée par chacun d’entre nous au quotidien.
Alors, dans cinq ans Inch’Allah nous pourrons dire :
LA GRANDE DISTRIBUTION FRANÇAISE À L'ASSAUT DU SÉNÉGAL
L'implantation massive d'Auchan, Carrefour et consorts bouscule les habitudes de consommation et cristallise tensions économiques et débats identitaires sur la souveraineté alimentaire du pays
(SenePlus) - La grande distribution française connaît un essor fulgurant au Sénégal ces dernières années, révolutionnant les habitudes de consommation dans ce pays d'Afrique de l'Ouest. Comme le rapporte un article du Monde Diplomatique, des géants tricolores tels qu'Auchan, Carrefour, Super U et Casino se sont lancés dans une conquête agressive du marché sénégalais, multipliant les ouvertures de magasins dans la région de Dakar mais aussi dans d'autres villes comme Thiès, Mbour et Saint-Louis.
Ces enseignes ne se cantonnent plus aux quartiers aisés des capitales, mais s'implantent désormais au cœur des quartiers populaires, proposant des produits frais à des "prix compétitifs voire moins chers", comme l'admettait Xavier Desjobert, ancien directeur général de CFAO Retail, dans les colonnes du Monde Diplomatique. Pour y parvenir, elles réduisent le nombre d'intermédiaires en traitant directement avec les producteurs locaux et importent certains produits, court-circuitant ainsi les circuits traditionnels.
Ousmane Sy Ndiaye, directeur exécutif de l'Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal, déplorait en 2018 cette capacité des multinationales à "accumuler les bénéfices du grossiste, du demi-grossiste et du détaillant", les plaçant "en tête de course pour pratiquer les prix qu'elles souhaitent".
Une menace pour le commerce traditionnel
Face à cette concurrence féroce, des petits commerçants sénégalais se sont regroupés dès 2018 au sein de la coalition "Auchan dégage !" pour réclamer des mesures de protection. Certains, comme cette détaillante du marché Kermel à Dakar, voyaient leur gagne-pain menacé : "Sachant qu'on achète à 700 francs et qu'Auchan arrive à vendre à 400, voire 300, ce n'est pas normal. Nous, on ne gagne rien. On est pauvres maintenant".
Ce mouvement comptait parmi ses rangs le Front pour la révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (Frapp), dénonçant l'inconcevable concurrence d'"un des groupes mondiaux les plus importants" avec "les commerçantes tabliers d'un des pays les plus pauvres du monde".
Auchan affirme de son côté "valoriser et encourager les produits locaux" et "tisser des liens avec les acteurs locaux", mais l'ONG GRAIN met en garde: si l'implantation des grandes surfaces offre des débouchés, elle "vise particulièrement les agriculteurs en capacité de fournir d'importants volumes" répondant à des normes draconiennes.
Un débat de société
Au-delà des enjeux économiques, l'arrivée en force de la grande distribution soulève des questions de souveraineté alimentaire et de modèle sociétal. L'Association citoyenne de défense des intérêts collectifs au Cameroun s'inquiète d'un changement des habitudes alimentaires, la population délaissant "les mets traditionnels" au profit de produits ultra-transformés.
Le Frapp dénonce quant à lui "une perte de souveraineté du Sénégal sur son commerce intérieur". Son coordinateur Guy Marius Sagna, désormais député, demande une étude d'impact et l'organisation d'assises nationales.
Réaction a minima des autorités
Face à l'ampleur de la contestation, le président Macky Sall a signé en 2018 un décret réglementant l'implantation des grandes surfaces. Mais cette mesure, qui ne concerne pas les supermarchés déjà établis, autorise la vente au détail, laissant une marge de manœuvre conséquente aux distributeurs.
Des alternatives émergent malgré tout, comme l'enseigne Senchan lancée par Rijaal Holding, une société d'investissement mouride. On assiste aussi à des efforts pour moderniser les marchés traditionnels, à l'image du projet soutenu par l'OMS au marché de Grand Dakar.
Cette offensive de la grande distribution française en Afrique de l'Ouest, et particulièrement au Sénégal, cristallise ainsi les attentes et les craintes d'une société en pleine mutation. Un enjeu économique certes, mais aussi un profond débat de société.
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GUINÉE : LE COUP DE GRÂCE DU GÉNÉRAL
Suite au coup d’État du colonel Mamady Doumbouya, désormais général, grand était l’espoir du peuple guinéen de retrouver l’espace démocratique dans toute sa plénitude et toute sa splendeur, mais force est de constater que le pays s'enfonce
Suite au coup d’État perpétré par le colonel Mamady Doumbouya, désormais général, grand était l’espoir du peuple guinéen de retrouver l’espace démocratique dans toute sa plénitude et toute sa splendeur, mais force est de constater que les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs.
L’espoir suscité par le coup d’État est vite brisé en Guinée. L’espace civique va en se réduisant notamment pour les organisations de la sociétés civile. C’est le cas de La Maison de la démocratie et des droits de l’hommes qui travaille sur plusieurs thématiques : genre, bonne gouvernance, droits humains...
En marge de l’atelier sur la mobilisation des ressources et la durabilité organisationnelle tenu en mars dernier à Abidjan, AfricaGlobe Tv a interviewé Moussa Soumahoro, le directeur exécutif de cette ONG de gouvernance sur le climat politique. Notre invité est clair, il n’y a vraiment rien sous le soleil avec les militaires qui ont renversé Alpha Condé qui s’est octroyé un troisième mandat envers et contre tous.
La pente descendante qui prévalait sous le régime d’Alpha Condé se fait plus persistante. Toutefois, Moussa Soumahoro croit que les ONG, grâce à leur résilience habituelle, pourront continuer leur combat en faveur des populations. Bénéficiaire de l’accompagnement d’Open Society Africa depuis quelques années, il salue la formation offerte par cette fondation en collaboration avec WACSI.
par l'éditorialiste de seneplus, alymana Bathily
IL FAUT JUBANTI LA PRESSE
EXCLUSIF SENEPLUS - Dévoiement de l’entreprise de presse, précarité du travail, atteinte aux droits des journalistes et techniciens, corruption, bradage des fréquences... sont autant de maux dont il faut impérativement guérir les médias sénégalais
Alymana Bathily de SenePlus |
Publication 19/05/2024
Oui, il faut certainement « jubanti » la gestion du foncier dans ce pays, arrêter l’accaparement sauvage et violent des terres, les enrichissements illicites et la corruption effrénée qui caractérisent ce secteur. Mais il est tout aussi nécessaire et urgent de « jubanti » le secteur de la presse et des médias en général. Il faut adresser la gestion informelle de ses entreprises, l’exploitation éhontée des journalistes.
Il faut mettre fin à l’attribution frauduleuse des fréquences de radiodiffusion par l’intervention de lobbys divers. Mettre fin à la collusion entre la presse et les milieux interlopes des « affaires » et des politiciens véreux. Mettre en place un écosystème susceptible d’assurer la viabilité des entreprises de presse et permettre l’information, l’éducation et le divertissement des Sénégalais en fonction de leurs besoins et intérêts réels. On doit mettre en œuvre pour cela une véritable stratégie de développement des médias.
Le modèle économique de l’entreprise de presse au Sénégal
C’est le modèle économique qu’on a imposé à la presse qui est sans doute à l’origine du mal. Il n’est pas basé ici sur la publicité qui partout ailleurs constitue la source principale du financement des médias.
D’ailleurs la loi qui régit le secteur est vieille de 41 ans. Elle date de 1983 (loi N°83.20 du 28 janvier 1983) et n’a même jamais été suivie d’une loi d’application. Aussi la publicité est-elle captée par des médias et des agences de l’étranger.
Comment dans ces conditions la trentaine de quotidiens à 100 Fcfa qui ne vend en moyenne que 1500 exemplaires par jour, quand le coût du papier représente près de 50 Fcfa, peut-elle s’en sortir ?Comment les 300 radios, les dizaines de télévisions et les centaines de sites en ligne ne peuvent-ils générer suffisamment de revenus pour couvrir leurs charges ? Que représente le Fonds d’Appui à la presse de 1.900.000.000 Fcfa par an, à partager entre tant de bénéficiaires ?
Pourtant le Code de la presse au Sénégal postule que les entreprises de presse sont des entreprises comme les autres, fonctionnant dans des conditions transparentes, tenant une comptabilité régulière, présentant des états financiers certifiés et payant les salaires de leurs employés, engagés contractuellement, selon la convention collective du secteur.
En réalité, seule une poignée de journaux, quatre ou cinq, et de radios, deux ou trois, respectent ces critères et s’en sortent économiquement. Malgré le sensationnalisme des titres, malgré les faits divers croustillants, les revues de presse radiophoniques tapageurs en wolof, malgré les attraits des présentatrices, le bagout tonitruant des éditorialistes des nombreux plateaux et les faits divers people des sites en ligne. La plupart fonctionne dans l’informel, comme 80% des entreprises du Sénégal sans aucun égard pour le Code de la presse et la Convention collective du secteur.
40% des journalistes et techniciens sont des stagiaires et « prestataires », seul 10.5% gagne entre 150 000 Fcfa et 200 000 Fcfa et 86% ne bénéficie ni de couverture maladie ni de cotisation retraite.
Pour survivre, les journalistes se transforment souvent en chasseurs de per diem et en prestataires privés de services journalistiques, hantant les séminaires qui servent repas et frais de déplacement quand ils ne se mettent pas au service de tous ceux qui souhaitent diffuser à moindre frais, ragots, revendications et accusations.
Les directeurs des entreprises de presse quant à eux se transforment bien souvent en agent RP d’une personnalité politique ou religieuse ou d’un entrepreneur dont il s’agit de renforcer l’influence si ce n’est de couvrir les frasques et les combines.
C’est ainsi que bon nombre de titres, de radios, de télévisions et de sites en ligne se sont fait les porte-plume ou les porte-voix de divers barons de l’APR et de Benno Bokk Yakar. Quand ceux-là ne les ont pas créés de toute pièce.
Bradage des fréquences radio électriques et la prolifération des radios et télévisions
Le bradage des fréquences radio électriques et la prolifération subséquente des radios et télévisions constituent l’autre aspect de la situation des médias au Sénégal. Plus de 525 fréquences étaient attribuées en 2022 déjà, le plus souvent de gré à gré, à des personnalités politiques, des autorités religieuses et des « hommes d’affaire ».
Il s’agit là d’un scandale assimilable à l’accaparement du foncier puisque la fréquence radio électrique est une ressource publique limitée et non renouvelable qui relève du domaine public de l’État et dont la cession doit se faire de manière à assurer l’accès équitable de tous les citoyens, à travers des procédures transparentes.
Interpellé par les éditeurs et patrons de presse, l’ancien président Macky Sall avait d’ailleurs dû s’engager à sévir. « J’ai décidé du gel des fréquences non encore exploitées et de l’audit de toutes les fréquences en dormance distribuées par dizaines sans discernement et sans bases légales de par le passé. Les attributaires devront justifier de leur condition d’attribution et de leur éligibilité, du respect de la convention et du cahier de charge applicable à l’exploitation d’un service audiovisuel. Il ne s’agit pas de répression, il s’agit juste de se conformer à la législation et au nouveau cadre… ». C’était en 2015 !
On retira bien 75 fréquences non exploitées mais rien de plus.
Pistes pour jubanti la presse
Dévoiement de l’entreprise de presse, précarité du travail, atteinte aux droits élémentaires des journalistes et techniciens, corruption, atteinte au droit à l’information des Sénégalais, bradage des fréquences, autant de raisons pour « jubanti » la presse.
Il faut considérer en effet que l’information est un bien public. Une presse véritablement libre et indépendante est indispensable pour instaurer et renforcer la démocratie participative que les Sénégalais attendent du président qu’ils ont plébiscité.
Elle est indispensable pour vivifier la culture et renforcer la confiance des Sénégalais en eux-mêmes, pour qu’ils osent entreprendre l’immense œuvre développement national et d’édification d’un panafricanisme des peuples.
Il convient d’abord de revisiter le cadre juridique et réglementaire, notamment le Code de la presse et les procédures d’attribution de fréquences. Ii faudra aussi de toute urgence remiser la loi N° 83.20 du 28 janvier 1983 dont le texte n’a d’ailleurs jamais été accompagné d’un décret d’application, puis élaborer et adopter enfin une loi sur la publicité en phase avec la réalité actuelle des médias et du marché.
Il est également nécessaire de revoir les attributions de l’Agence de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP) ainsi que celles du Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA) pour une plus grande participation des journalistes, des techniciens et du public à la régulation. Il convient aussi d’augmenter considérablement le Fonds d’Appui à la Presse en en faisant éventuellement un guichet de la Banque Nationale de Développement Economique (BNDE).
Ce fonds ne devra plus être distribué en espèces sonnantes et trébuchantes qui finissent bien souvent dans les poches des patrons de médias mais plutôt servir à financer le développement des entreprises de presse. Autre prérequis pour « jubanti » la presse : auditer ou publier les audits des entreprises de presse publiques que sont la RTS, Le Soleil et l’APS.
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AFRIQUE 50, LE CRI ANTICOLONIALISTE DE RENÉ VAUTIER
À travers une vision courageuse et une caméra au poing, le réalisateur breton né en 1928 dénonce les crimes du colonialisme français et le pillage des ressources en Côte d'Ivoire
À travers une vision courageuse et une caméra au poing, Vautier dénonce les crimes du colonialisme français et le pillage des ressources en Côte d'Ivoire.
Témoin de son époque, René Vautier a rejoint la Résistance à quinze ans, recevant des décorations pour son engagement. Diplômé de l'Institut des Hautes Études Cinématographiques (IDHEC) en 1948, il a réalisé des documentaires en Algérie, dont "Avoir 20 ans dans les Aurès".
Militant communiste et pionnier d'un cinéma engagé, populaire et indépendant, il demeure un cinéaste de combat jusqu'à sa mort en 2015.
LE PRESIDENT DIOMAYE FAYE DIRA PROCHAINEMENT CE QU’IL ENTEND FAIRE DU FCFA
Membre du parti présidentiel et député à l’Assemblée nationale, Guy Marius Sagna était l’invité du Jury du Dimanche. Sur les ondes de iradio (90.3), est revenu sur le débat concernant le Franc Cfa.
Membre du parti présidentiel et député à l’Assemblée nationale, Guy Marius Sagna était l’invité du Jury du Dimanche. Sur les ondes de iradio (90.3), est revenu sur le débat concernant le Franc Cfa. « Dans les semaines et dans les mois à venir, certainement, le président de la République et le gouvernement du Sénégal vont dire aux Sénégalais ce qu’ils entendent faire de manière concrète sur la question du Franc CFA. Mais ce qui est important et constant, que ce soit avant le 24 mars, que ce soit après le 24 mars 2024, aujourd’hui, c’est que ce franc CFA-là, c’est un instrument de domination et d’oppression de tous les pays, de tous les peuples qui l’ont en partage, que ce soit les huit pays d’Afrique de l’Ouest, les six d’Afrique centrale, ainsi que les Comores. C’est aussi simple que ça. Et donc, tant que nous serons dans les liens de la suggestion, dans les liens de l’oppression du franc CFA, notamment, nous ne pourrons pas nous développer », a-t-il déclaré. Et de poursuivre : « attention, je veux être clair. Ce que nous disons, ce n’est pas qu’une monnaie souveraine nous permet de sortir du sous-développement, d’atteindre la prospérité. Ce que je veux dire est tout simplement ceci : si avoir sa monnaie n’est pas une condition suffisante pour être développée, c’est une condition nécessaire ».
À la question de savoir est-ce que ce débat n’est pas émotionnel ? Il rétorque : « non, il n’est pas du tout émotionnel. Figurez-vous que les 200 pays qui sont sur la planète terre, les derniers en termes de développement, en termes de richesse, la majorité est constituée de pays utilisant le franc CFA. Ce n’est pas un hasard. Donc ça, ce n’est pas de l’émotion. Une des raisons, pas la seule, une des raisons pour lesquelles le Sénégal, le Mali, le Cameroun, les Comores, le Burkina, la Côte d’Ivoire, etc., en sont à ce niveau-là, c’est aussi parce qu’il y a le franc CFA. Parce que tout simplement, nous avons maintenu des relations néocoloniales qui font que ce sont les intérêts d’autres puissances, les intérêts des multinationales, les intérêts des capitalistes au niveau international qui sont mis en avant, et pas les intérêts de nous, Africains, pas les intérêts de nous, Sénégalais, pour parler et revenir à notre pays. Donc ce n’est pas de l’émotion ».
Il conclut : « c’est de la tragédie. Pourquoi, en fait, aujourd’hui, dans nos pays, il y a autant de jeunes qui cherchent à prendre la route du désert du Sahara, celle du Nicaragua, ou tout simplement celle de l’océan Atlantique ? Parce que, oui, nous avons une monnaie qui facilite les importations, et qui dit faciliter les importations, dit tout simplement une grande concurrence exercée sur nos petites et moyennes entreprises. Il y a 64% de petites et moyennes entreprises qui meurent avant 3 ans. Pourquoi ? Une des raisons, c’est à cause du franc CFA. Nos acteurs économiques, que ce soit les paysans, les éleveurs, nos chefs d’entreprise, n’ont pas suffisamment de crédit. Pourquoi ? Parce que ce franc CFA fait ce qu’on appelle de la répression monétaire. Ce n’est pas de l’émotion, c’est de la réalité. Ce sont des drames. Ce sont des tragédies vécues par nos compatriotes du Sénégal, mais aussi nos frères et sœurs avec lesquels nous avons en partage cette monnaie qui s’appelait, je vous le rappelle, Colonie Française d’Afrique ».
A DUBAÏ, LE PARADIS FISCAL DES BIENS MAL ACQUIS AFRICAINS
Une fuite de données révèle l'ampleur du patrimoine immobilier détenu par les proches de nombreux chefs d'État africains dans cette oasis du Golfe. Des villas de luxe, des gratte-ciel huppés, des biens dont la valeur atteint des dizaines de millions
(SenePlus) - L'enquête "Dubai Unlocked" menée par Le Monde a révélé une fuite de données confidentielle exposant le patrimoine immobilier substantiel détenu par les proches de nombreux chefs d'État africains dans l'émirat de Dubaï. Ces acquisitions de biens de luxe, souvent en décalage avec leurs fonctions officielles, soulèvent des interrogations sur l'origine douteuse des fonds utilisés.
Au Gabon, l'influente Marie-Madeleine Mborantsuo, ex-présidente de la Cour constitutionnelle, fait l'objet d'une enquête française pour "blanchiment de détournement de fonds publics". Selon Le Monde, "3M" et ses enfants auraient dépensé près de 6 millions d'euros en 2013 pour acquérir plusieurs propriétés à Dubaï.
En Guinée équatoriale, les fils du président Teodoro Obiang, Pastor et Teodorin, ainsi que le beau-frère Candido Nsue Okomo, disposent d'un riche patrimoine immobilier à Dubaï, évalué à plus de 14 millions d'euros pour ce dernier. Une enquête espagnole soupçonne M. Nsue Okomo de blanchiment dans une affaire de corruption.
Au Congo-Brazzaville, la belle-fille de Denis Sassou-Nguesso, Nathalie Boumba-Pembe, a acheté une villa de 3,5 millions d'euros en 2018. Son mari, le puissant ministre Denis Christel Sassou-Nguesso, surnommé "Kiki le pétrolier", est soupçonné de détournements liés à la société pétrolière nationale. Le ministre de l'Intérieur Raymond Zéphirin Mboulou a également investi plus de 5 millions d'euros dans l'immobilier dubaïote.
Au Tchad, l'ex-beau-frère du président Idriss Déby, Mahamat Hissein Bourma, a acquis des biens d'une valeur de 14 millions d'euros à Dubaï, coïncidant avec des acquisitions suspectes au Canada. Incarcéré, il dénonce d'autres hauts responsables propriétaires à Dubaï.
L'angolaise Isabel Dos Santos, fille de l'ancien président et première milliardaire africaine, confirme avoir acheté un appartement à Dubaï il y a plus de 10 ans. Accusée de corruption, elle vit désormais dans l'émirat sous le coup d'un mandat d'arrêt international.
Pour les ONG, Dubaï sert de "base arrière" pour ces personnalités cherchant à contourner les réglementations européennes sur les biens mal acquis, grâce à un cadre juridique plus laxiste. La lutte contre ces pratiques reste un défi majeur malgré les progrès réalisés.
par Francis Laloupo
PURE HAINE
Comment expliquer l’interminable maintien en détention du président Mohamed Bazoumr enversé par le coup d’Etat du 26 juillet 2023 ? Ne pas le laisser sombrer dans l’oubli. Il faut réclamer sa libération. Maintenant
Le 10 mai dernier, la Cour d’Etat du Niger a rendu une décision, concernant la levée de l’immunité du président Mohamed Bazoum, en détention depuis le putsch de juillet 2023 dirigé par le commandant de la garde présidentielle, Abdourahamane Tiani. A la demande de ses avocats, l’audience a été renvoyée au 7 juin prochain, afin que «le droit à la défense puisse être pleinement assuré», selon Kadri Oumarou Sanda, le bâtonnier de l’Ordre des avocats du Niger.Mohamed Bazoum, dirigeant nigérien élu en 2021, qui n’a toujours pas formulé sa démission, est invariablement accusé par la junte au pouvoir, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), de haute trahison, complot contre la sécurité de l’Etat et soutien au terrorisme (sic). Des accusations jugées fantaisistes par nombre d’observateurs et destinées à justifier un coup d’Etat dépourvu de tout motif concevable. Rappelons que le putsch est intervenu en réaction à un éventuel limogeage du commandant de la garde présidentielle, dans un climat de querelle de palais, sur fond de conflit autour de la gestion de la manne pétrolière. Parmi les acteurs de cette guéguerre, l’ex-président Mahamadou Issoufou qui, malgré son départ de la présidence en 2021, n’a cessé de multiplier des manœuvres d’immixtion inappropriée dans les décisions de son successeur…
Une prise d’otage. Comment qualifier autrement le traitement auquel est soumis Mohamed Bazoum? L’homme et sa famille sont séquestrés, à l'intérieur d'une dépendance de la résidence présidentielle, sous haute surveillance, dans des conditions inquiétantes. Après la libération de son fils en janvier dernier, Mohamed Bazoum a été maintenu en détention avec son épouse Hadiza. Coupé de tout contact, à l’exception de son médecin, il connaît, au fil des mois, une détérioration continue de son quotidien. En décembre 2023, la Cour de justice de la Cédéao (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest) a, en pure perte, ordonné sa libération. Ses avocats, qui ne peuvent avoir accès à leur client, redoutent un possible désintérêt de la communauté internationale à l’égard cette situation. Un sentiment confirmé par l'un d'entre eux, Reed Brody, qui constate que « Mohamed Bazoum pourrait être imperceptiblement oublié dans les évolutions géopolitiques de la région ». Pour conjurer le risque de l’oubli, le New York Times, dans son édition du 4 mai 2024, décrit, sous la plume d’Elian Peltier, la situation actuelle du désormais ancien président du Niger : « Pendant ses premiers mois de captivité, M. Bazoum a été détenu avec sa femme, leur fils de 22 ans, Salem, et deux travailleurs domestiques, dans la résidence présidentielle. Ils n’avaient pas d’électricité mais pouvaient se promener à l’extérieur de la maison pendant que des gardes et d’autres personnes juchées sur des camionnettes armées les entouraient. D’après un proche de Mohamed Bazoum, la pièce est rapidement devenue un four gigantesque. Les températures qui ont dépassé les 40 degrés à l’extérieur, ont fait peler la peau des captifs. Mme Bazoum a également souffert d’un grave épisode de paludisme. (…) Désormais, les soldats sont postés à l’intérieur de la maison et ont retiré les clés des portes, afin que M. Bazoum ne puisse pas les verrouiller et garantir son intimité. Selon les personnes interrogées dans son entourage, il y a de l’électricité, mais les soldats ont confisqué tous les téléphones… »
Une entreprise de persécution
La séquestration de Bazoum s’est avérée, au fil des mois, une entreprise de persécution. Aux lendemains du coup d’Etat, l’équipe de putschistes a orchestré une campagne de diabolisation du président renversé, l’affublant des pires accusations au point de le présenter, aux yeux d’une opinion intérieure, comme l’auteur de tous les périls nationaux. Dans ce contexte critique, ceux qui, dans le pays n’ont jamais accepté l’élection de Mohamed Bazoum, ont trouvé l’occasion d’assouvir de ténébreuses revanches… Le discours officiel des nouveaux maîtres de Niamey s’est transformé en une chronique de la haine extraordinaire. Une logique de la haine, instaurée après le coup d’Etat, avec la volonté affichée de détruire un homme, et d’effacer le souvenir d’un dirigeant qui avait à peine accompli la moitié de son mandat jugé prometteur sur la scène internationale. A cet égard, rappelons quelques faits marquants de sa présidence, cités par le New York Times : « M. Bazoum a rapidement fait du pays l’un des bénéficiaires les plus privilégiés de l’aide étrangère en Afrique de l’Ouest. Il s’est attaqué à la corruption et a promis d’envoyer plus de filles à l’école, en partie pour limiter les grossesses précoces dans un pays où le taux de natalité est le plus élevé au monde. Il a travaillé en étroite collaboration avec la Chine pour construire un oléoduc qui est le plus long d’Afrique, que la junte a inauguré cette année… » On pourrait ajouter d’autres mérites, tels que la mise en œuvre de mécanismes innovants de lutte contre l’insécurité et l’extrémisme violent, ainsi que de pertinentes projections socio-économiques. Pour ceux qui, depuis longtemps, ont connu Mohamed Bazoum, l’ont vu agir et militer dans l’espace politique nigérien, difficile de comprendre et d’admettre le sort qui lui est fait actuellement.
Quelques mots suffisent pour qualifier cet ancien professeur de philosophie : Fidélité, droiture, loyauté, humilité, sens de l’engagement, haute idée de la chose politique et du service de l’Etat. Militant attaché à ses convictions, aimant les partager, avec un réel souci de la tolérance et de l’écoute de l’autre. Cet homme a toujours manifesté son amour des siens et ses contemporains. C’est donc ce serviteur de l’Etatque des putschistes projettent de supprimer, avec un rare acharnement. Mohamed Bazoum refuse de démissionner. Non pas du fait d’un attrait immodéré pour le pouvoir, mais en raison de l’idée qu’il se fait de l’Etat, de la raisond’Etat, et, partant, de la fonction qu’il a incarnée. En se gardant de démissionner, il continue de représenter la sauvegarde des intérêts collectifs d’un pays où une majorité devenue silencieuse de la population lui a confié les clés de la gestion du pouvoir. Comment alors admettre qu’un petit groupe d’officiers, mus par des motifs inavouables, et agissant au nom de honteuses conspirations, puissent se prévaloir exclusivement du droit de confisquer le patrimoine commun de l’Etat nigérien ?
Alors que l’intention du CNSP de s’installer durablement au sommet de l’Etat ne fait plus de doute, la procédure judiciaire engagée à l’encontre de Mohamed Bazoum a pour seul but de le soustraire durablement de l’espace public. Au regard des accusations alléguées, l’ancien président encourt la peine perpétuelle. La hantise de ses preneurs d’otages : que Bazoum retrouve sa liberté de parole, et livre sa vérité sur les véritables ressorts du coup d’Etat. Quels sont donc ces secrets si bien gardés qui ont amené ses geôliers à ordonnancer cette forme de violence à son encontre ? A en croire Amadou Ange Chekaraou Barou, l’un de ses proches conseillers, « le pouvoir de Tiani repose, en partie, sur lance de la libération immédiate de Mohamed Bazoum, auquel aucun crime ne peut être imputé. Il ne s’agit plus simplement de libérer un homme, mais de le sauver. Par-delà l’indignation que suscite cette affaire, il faut continuer de dire simplement, en tous lieux : libérez Mohamed Bazoum. Maintenant.
Francis Laloupo est journaliste, enseignant en Géopolitique.
L'OMBRE DES ÉTATS-UNIS D'AFRIQUE PLANE SUR LA CRISE BÉNINOISE-NIGERIÉNNE
Jean-Baptiste Placca rappelle l'immense gâchis de l'unité africaine perdue en 1963. Plutôt que de s'unir, les dirigeants choisissent trop souvent "d'écraser leur peuple à huis clos" par cynisme ou cupidité
(SenePlus) - La récente crise diplomatique et économique entre le Bénin et le Niger est un sombre rappel du rendez-vous manqué de mai 1963, lorsque les dirigeants africains auraient dû s'engager sur la voie des "États-Unis d'Afrique". Comme le souligne Jean-Baptiste Placca de RFI, "Voilà pourquoi certains dirigeants, au gré de leurs humeurs, écrasent leur peuple à huis clos et se jouent de la Constitution."
Les deux voisins ont frôlé une guerre économique paralysante pour les exportations pétrolières du Niger, qui transitent par le territoire béninois. Seule l'intervention de la Chine en tant que médiateur a permis de désamorcer un conflit aux répercussions potentiellement continentales. "N'est-ce pas à toute l'Afrique de remercier la Chine?", s'interroge Placca, tout en précisant que Pékin défendait surtout ses propres intérêts financiers colossaux dans les infrastructures pétrolières nigériennes.
Au cœur de cette crise se trouve un schisme ancien et profond entre les deux pays. Comme le décrit Placca, "Comme toujours, sur ce continent, chaque partie s'entête à imputer à l'autre les causes de ses malheurs." Le Bénin accuse la junte militaire au Niger de faire fi de sa souveraineté, tandis que les putschistes nigériens campent sur leur conception de "l'honneur" national.
Cette situation désespérante rappelle la fragmentation post-coloniale de l'Afrique. "Le véritable drame de ce continent est que les États-Unis d'Afrique n'existent même plus en projet", déplore l'éditorialiste. À l'inverse des 50 États sans frontières des États-Unis d'Amérique, l'Afrique reste morcelée en 54 "susceptibilités" nationales prêtes à s'embraser au nom de "la fierté nationale".
Dans une métaphore saisissante, Placca compare les relations entre États africains à celles entre voisins de village, obligés de traverser les cours d'autrui: "La bienséance impose de saluer ceux dont, par nécessité, l'on viole ainsi l'intimité." Cette "bienséance de l'interdépendance" fait cruellement défaut actuellement.
Pourtant, le Bénin a de légitimes griefs face au "mépris" nigérien envers le passage du pipeline pétrolier vital sur son sol. Et inversement, le Niger peut invoquer la sécurité nationale pour restreindre les mouvements à ses frontières. Dans ce climat de "suspicion" mutuelle, l'avenir s'annonce orageux.
En somme, cet éditorial percutant rappelle l'immense gâchis de l'unité africaine perdue en 1963. Plutôt que de s'unir, les dirigeants choisissent trop souvent "d'écraser leur peuple à huis clos" par cynisme ou cupidité. La Chine a pu temporairement éteindre ce feu de brousse béninois-nigérien. Mais jusqu'à quand ?