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23 avril 2025
Société
ABASS FALL, L'ASCENSION ÉCLAIR
Il s'est imposé comme une figure incontournable du Pastef. Celui qui a conquis Dakar pourrait bientôt présider l'Assemblée nationale. Face à lui deux autres candidats potentiels : Malick Ndiaye, actuel ministre des Transports, et Ayib Daffé
(SenePlus) - Une enquête de Jeune Afrique révèle le parcours singulier d'Abass Fall, figure montante de Pastef et potentiel président de la nouvelle Assemblée nationale. Vainqueur incontesté des législatives du 17 novembre dans le département de Dakar, l'homme s'est imposé comme une figure incontournable du nouveau pouvoir. Selon JA, sa victoire écrasante face au maire de Dakar Barthélémy Dias, qui n'a sauvé son siège que grâce à la proportionnelle, confirme l'ascendant pris par Pastef dans la capitale.
Pourtant, cette victoire ne fait pas l'unanimité. "La victoire de Pastef à Dakar n'est pas imputable à Abass Fall, où il n'est pas connu", affirme à Jeune Afrique Moussa Taye, directeur de cabinet de Barthélémy Dias. "Il n'a fait que bénéficier de l'effet Ousmane Sonko."
Le magazine panafricain retrace le parcours de ce "boy Colobane", issu du secteur privé contrairement au noyau dur de Pastef composé principalement de fonctionnaires. Ancien président de la Fédération des écoles privées d'enseignement supérieur et directeur de l'institut César, Fall s'est distingué par sa loyauté sans faille envers Ousmane Sonko.
Sa gestion de la coordination de Pastef à Dakar depuis 2018 a marqué un tournant. Comme le rappelle Ousmane Fall, élu sur la liste de Dakar, cité par Jeune Afrique : "Il a su mettre en place la coordination de Pastef à Dakar, à un moment où personne de l'opposition n'arrivait à organiser d'événements politiques d'envergure."
Néanmoins, son parcours n'est pas exempt de controverses. Comme le rappelle Jeune Afrique, en pleine campagne électorale, il avait appelé ses partisans à "s'armer de couteaux et de machettes" face aux soutiens de Barthélémy Dias, des propos qui l'avaient contraint à présenter des excuses publiques.
Sa proximité avec Ousmane Sonko s'est notamment manifestée durant l'incarcération de ce dernier. Selon Jeune Afrique, Fall a joué un rôle clé d'intermédiaire entre Sonko et Macky Sall avant la présidentielle du 24 mars, contribuant notamment à la libération de Sonko et Diomaye.
Alors que l'installation de la nouvelle Assemblée est prévue pour le 2 décembre, sa possible accession au perchoir fait débat. D'après les sources de Jeune Afrique, il devra faire face à la concurrence de Malick Ndiaye, actuel ministre des Transports, et d'Ayib Daffé, ancien président du groupe parlementaire. "La décision finale reviendra à Ousmane Sonko", précise un cadre du parti cité par le magazine. "L'ensemble des députés suivra."
Cette nomination pourrait s'inscrire dans un "léger remaniement" présidentiel à venir, selon Jeune Afrique, marquant une nouvelle étape dans l'ascension politique de ce fidèle lieutenant de Sonko, dont le parcours illustre les mutations en cours au sein du pouvoir sénégalais.
MOTSEPE À LA CAF : LE GRAND MALAISE
Le milliardaire sud-africain, qui ne fait que de rares apparitions au siège cairote de l'institution, laisse les pleins pouvoirs à son secrétaire général. Pendant ce temps, les comptes de la CAF sont dans le rouge, avec des irrégularités financières
(SenePlus) - Une enquête de Jeune Afrique (JA) lève le voile sur la gouvernance atypique de Patrice Motsepe à la tête de la Confédération Africaine de Football (CAF), révélant un style de présidence distant et une gestion financière préoccupante qui soulèvent de nombreuses questions au sein du football africain.
Élu en mars 2021 après un intense lobbying du président de la FIFA Gianni Infantino, qui a conduit au retrait de plusieurs candidats de poids, Patrice Motsepe a rapidement marqué sa différence avec ses prédécesseurs. Quatrième fortune d'Afrique du Sud et premier milliardaire noir du pays, l'homme d'affaires cultive une distance peu commune avec l'institution qu'il dirige.
Cette distance se manifeste jusque dans ses habitudes quotidiennes. Comme le rapporte Jeune Afrique, "Il se déplace avec sa propre sécurité, son propre avion et, même, ses propres bouteilles d'eau." Basé à Johannesburg, il ne fait que de rares apparitions au siège cairote de la CAF, uniquement "pour quelques heures, le temps d'assister aux réunions où sa présence est strictement nécessaire."
Son style de communication intrigue également. Selon les témoignages recueillis par le magazine, ceux qui l'ont côtoyé décrivent "un drôle de président qui parle beaucoup en conférence de presse sans répondre aux questions", avec des réponses alambiquées qui pourraient masquer une méconnaissance des dossiers.
Un épisode particulier, relaté par JA, illustre la singularité de sa présidence. Le 21 décembre 2021, à quelques semaines de la CAN au Cameroun, Motsepe patiente dans sa suite présidentielle de l'hôtel Hilton de Yaoundé pour une rare audience avec le président Paul Biya. Cette rencontre, fruit d'intenses négociations, montre comment le milliardaire sud-africain, habitué aux plus hautes sphères du pouvoir économique, doit parfois composer avec les réalités politiques africaines.
Une gestion financière alarmante
L'enquête révèle une situation financière inquiétante. Un rapport de la Commission d'audit et de conformité de la CAF, consulté par Jeune Afrique, fait état d'une perte de 16 millions de dollars pour l'exercice clos au 30 juin 2023. Ces pertes, ventilées entre divers postes dont des "coûts techniques non attribués" et des "dépenses qui devraient être comptabilisées et enregistrées", portent le déficit total à 25 millions de dollars pour l'année 2022-2023.
Au cœur de ces turbulences figure le secrétaire général de la CAF, Véron Mosengo-Omba, dont l'omniprésence suscite des interrogations. Proche de Gianni Infantino, ce Suisso-Congolais qui dit avoir fui le Zaïre de Mobutu dans les années 1980 règne en maître au Caire. Comme le souligne un cadre du football africain cité par JA : "Le vrai problème de la Confédération ce n'est pas Motsepe mais Mosengo."
L'ingérence présumée de Mosengo-Omba dans le processus d'audit a particulièrement alerté la commission de contrôle. Selon les documents consultés par Jeune Afrique, il aurait tenté d'interférer dans la procédure en cours, allant jusqu'à mandater un cabinet externe pour un "audit dans l'audit", alors même qu'une enquête était en cours sur la disparition de 16 millions de dollars.
Des ambitions politiques sous-jacentes ?
Les motivations réelles de Motsepe interrogent. Une source proche du dossier confie à Jeune Afrique : "Tout le monde disait que Motsepe était venu à la CAF parce qu'il avait besoin de se forger une stature de présidentiable pour succéder à son beau-frère Cyril Ramaphosa." Si ce dernier a depuis été réélu, la question des ambitions de Motsepe reste entière.
Malgré ces controverses, le 25 octobre dernier, Patrice Motsepe a officialisé sa candidature pour un second mandat. Tandis que l'Égyptien Hany Abo Rida est évoqué comme possible challenger, le président sortant devra rendre des comptes aux fédérations africaines et aux employés de la CAF.
Face aux critiques, Motsepe tente de rassurer. Il a notamment garanti devant le comité exécutif que la Commission d'audit pourrait mener ses investigations sans "crainte ni favoritisme". Pourtant, ses actes semblent contredire ses paroles : le 22 octobre, lors de la 46ème assemblée ordinaire de la Confédération à Addis-Abeba, il a avalisé le rapport financier contesté pour 2022-2023.
Le bureau du secrétaire général, interrogé sur les écarts de chiffres, maintient sa position, affirmant que "le rapport financier de l'année 2022-2023 a été approuvé par les auditeurs de la CAF, Ernst and Young, la commission de finance ainsi que par la 46ème assemblée générale ordinaire de la CAF."
PAR CHABI YAYI
LA FACE CACHEE DES CROISSANCES ECONOMIQUES EN AFRIQUE DE L’OUEST
La croissance devrait s'accélérer dans la région Afrique de l'Ouest, le taux moyen estimé passant de 3,2 % en 2023 à 4 % en 2024 et 4,4 % en 2025 selon la BAD Malheureusement, derrière ces agrégats flatteurs se cachent des réalités autres.
La croissance économique a toujours été considérée comme le baromètre clé permettant d’évaluer la pertinence des politiques économiques. En effet, considérer la somme de la valeur créée par les agents économiques sur une période d’un an, permet de juger la vitalité d’une économie. Rappelons que la croissance économique est mesurée par la variation du produit intérieur brut.
La croissance devrait s'accélérer dans la région Afrique de l'Ouest, le taux moyen estimé passant de 3,2 % en 2023 à 4 % en 2024 et 4,4 % en 2025 selon la Banque Africaine de développement.
Malheureusement, derrière ces agrégats flatteurs se cachent des réalités autres. Très récemment, dans six pays de la CEDEAO, malgré qu’ils soient parmi les meilleures croissance du continent, 30% de leur population vivaient avec moins de 1.90 dollars par jour. Les 1% les plus riches des ouest africains gagnent plus que le reste de la population de la région réunie.Une croissance du PIB par habitant de 1 % est associée à une réduction de la pauvreté de seulement 1 % dans la région, contre 2,5 % dans le reste du monde selon le dernier rapport Pulse de la Banque Mondiale d’Avril 2024. Comment expliquer qu’en Afrique subsaharienne la croissance économique ne permet pas une réduction de la pauvreté d’une même ampleur que partout dans le monde ?
Une des explications est la structure de nos économies : cette croissance est tirée par l'augmentation des prix des matières premières, ce qui nous rend vulnérables aux chocs externes. Lorsque les prix chutent, nos économies en subissent les conséquences immédiates, démontrant notre dépendance et notre fragilité.
Intéressons-nous aux inégalités. Un des outils utilisés en économétrie pour illustrer ce processus afin de le décrire est la courbe de Lorenz qui est un outil graphique utilisé pour illustrer la répartition des ressources dans une population donnée. Elle permet de visualiser les inégalités économiques en comparant la distribution effective des ressources. Lorsqu’il y a croissance économique, même si on constate à court terme une amélioration de l’emploi et des revenus des classes moyennes, on constate rapidement que les revenus du capital augmentent plus vite que les revenus du travail comme l’a si brillamment documenté Thomas Picketty. Ce renforcement des inégalités s’accompagne des tensions économiques, sociales avec la polarisation économique comme corollaire.
Le meilleur moyen pour nous pays africains de sortir de cet engrenage est de travailler à ce que la croissance soit inclusive. En effet, les politiques publiques doivent accorder autant d’importance à la croissance économique qu’à d’autres indicateurs comme le coéfficient de Gini ou l’Indice de développement humain qui mettent en exergue d’autres facettes du développement du pays.
Intégrer la justice sociale à travers un vrai mécanisme de redistribution permettrait de réduire les inégalités d’opportunités et de travailler à une politique d’aménagement du territoire équilibrée.
Pour réduire les inégalités et promouvoir une justice sociale, nous devons repenser les systèmes fiscaux pour les rendre plus justes. Il est essentiel de renforcer le rôle et la progressivité de l’impôt sur le revenu, garantissant que les citoyens les plus aisés contribuent davantage, tout en allégeant la charge fiscale des plus démunis. Les taxes indirectes, telles que la TVA, qui frappent les riches et les pauvres de manière uniforme, doivent être progressivement réduites car elles exacerbent les inégalités. Ces fonds publics doivent être stratégiquement alloués pour offrir une meilleure égalité des chances, en finançant prioritairement l'éducation, la santé et une protection sociale universelle. En valorisant les métiers essentiels comme ceux des enseignants et des médecins, et en leur garantissant des rémunérations compétitives, nous pourrons freiner l'exode des talents et renforcer les piliers du développement humain.
Sur le plan économique, la priorité doit être donnée à la transformation structurelle de nos économies. Il s'agit de passer d'une position de "pricetaker" (soumission aux fluctuations des prix des matières premières) à celle de "price maker", grâce à la diversification et la valorisation locale des produits. Une économie axée sur les besoins de consommation intérieure et non sur les cultures de rente permettra de réduire la dépendance extérieure. Protéger nos industries embryonnaires devient impératif face àla doxa ultralibérale qui nous impose d’ouvrir nos économies au monde sans protection, sans prendre en compte le degré de maturité de nos économies respectives.
Le renforcement des échanges sous-régionaux, à travers des initiatives comme la ZLECAF, est également crucial pour stimuler le commerce intra-africain et maximiser les opportunités économiques dans un contexte où seulement 16% du commerce africain est sous régional. Enfin, il est impératif de lutter contre les inégalités de genre en créant un cadre économique et social où les femmes ont un accès équitable aux ressources et aux opportunités, ce qui est fondamental pour un développement durable et inclusif.
Les pouvoirs publics doivent travailler à mettre en place un cadre règlementaire pour permettre aux acteurs économiques de créer de la valeur. Mais les pouvoirs publics ne peuvent pas se targuer uniquement de cette mission. Elles doivent aussi travailler à mettre en place les mécanismes de redistribution de cette richesse, mettre en place les filets sociaux (assurance maladie,emploi, etc.) et enfin travailler à réduire les inégalités d’opportunités en investissant massivement dans d’éducation et la santé. Une politique équilibrée de développement du territoire serait la meilleure réponse au péril intégriste qui menace nos états nation en Afrique de l’Ouest car le terreau du fondamentalisme est la pauvreté, l’insécurité et l’absence de perspective pour une jeunesse sans repère.
Malgré des périodes de croissance économique, des pays comme le Burkina Faso, l'Égypte et le Mali montrent que la croissance, si elle est inégalement répartie peut coexister avec des troubles politiques majeurs. Au Burkina Faso, entre 2010 et 2014, une croissance économique de 5 à 7 % par an, portée par l’or et l’agriculture, n’a pas suffi à apaiser les frustrations populaires, ce qui a engendré en 2014, une insurrection qui a renversé Blaise Compaoré. De même, en Égypte, malgré une croissance de 6 à 7 % dans les années 2000, la révolution de 2011 a éclaté sous l’effet de fortes inégalités sociales, d’une élite accaparant les richesses et d’une corruption endémique. Le soulèvement a renversé Hosni Moubarak, mais les tensions ont perduré, menant à un coup d’État militaire en 2013 contre Mohamed Morsi.
Au Mali, avec une croissance économique stable autour de 5 % par an au début des années 2010, portée par l’or et le coton, les fragilités structurelles ont éclaté au grand jour. En 2012, la rébellion de l’Azawad, menée par des groupes touaregs et alimentée par des revendications d’autonomie et des frustrations liées à la marginalisation des régions du nord, a plongé le pays dans une crise majeure. Cette rébellion, combinée à une insécurité grandissante due à des groupes djihadistes, a entraîné un coup d’État militaire la même année. Malgré des tentatives de stabilisation, l’instabilité a persisté, menant à un nouveau coup d’État en 2020.
Les propos du panafricain Nkwame Krumah raisonnent dans nos esprits : « Tout humanisme sérieux doit découler de l’égalitarisme et doit mener à des politiques choisies de façon objective dans le but de sauvegarder et de pérenniser l’égalitarisme». Nous devons revisiter ces paroles afin de bâtir une Afrique prospère et plus juste car à l’horizon 2050, notre continent sera soit le cœur des opportunités de la planète ou sera une bombe à retardement pour la stabilité du monde. A nous d’en prendre conscience et de travailler sur la durée pour offrir aux générations futures un meilleur avenir.
Diplômé d’un Bachelor en Sciences Économiques de l’Université de Montréal et d’une Maîtrise en Sciences de l’Innovation et de l’Entrepreneuriat à HEC Paris, Chabi Yayi combine expertise académique et engagement citoyen pour relever les défis du développement en Afrique. C’est ce qui l’a amené à fonder en 2010 la Jeunesse Engagée pour le Changement et son Avenir(JECA). Il donne corps à cette ambition en participant aux élections législatives de 2015 au Bénin. En 2023, il est élu Secrétaire aux Relations Extérieures du parti Les Démocrates(LD), le principal parti de l’opposition au Bénin, puis en 2024 secrétaire exécutif du Cadre de concertation des Forces de l’Opposition. Très porté sur les questions géostratégiques et leurs influences sur l’économie, il a publié plusieurs tribunes sur les conséquences de la fluctuation du dollar, les impacts de la guerre Russie-Ukraine, tribunes influencées par sa vision progressiste et inclusive du Bénin et de l’Afrique. Entrepreneur agricole, Chabi Yayi dirige une coopérative de producteurs basée à Tcharourou au nord du Bénin, prouvant ainsi son engagement pour le développement rural et la valorisation des produits locaux.
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L'AFRIQUE CHANGE, ET EN FACE, LA FRANCE NE CHANGE PAS
Antoine Glaser et Francis Kpatindé dressent le portrait d'une ex-puissance coloniale qui n'a pas su anticiper les mutations sur le continent. Les récentes demandes de retrait des troupes françaises du Sénégal et du Tchad illustrent ce divorce croissant
Un entretien majeur avec deux spécialistes reconnus de l'Afrique vient éclairer le déclin accéléré de l'influence française sur le continent. Antoine Glaser, journaliste chevronné et auteur du "Piège africain de Macron" (Fayard), ancien fondateur de La Lettre du Continent, et Francis Kpatindé, ancien rédacteur en chef de Jeune Afrique et du Monde Afrique, aujourd'hui maître de conférence à Sciences Po, dressent un constat sans appel de la situation.
Les récentes demandes simultanées du Sénégal et du Tchad exigeant le départ des troupes françaises marquent un tournant historique dans les relations franco-africaines. Antoine Glaser pointe du doigt une France qui "s'est un peu endormie en Afrique", révélant une incapacité à comprendre les mutations profondes du continent.
"La France n'a pas vu l'Afrique se mondialiser", analyse Glaser, soulignant un aveuglement historique qui remonte aux indépendances. Selon lui, Paris est restée prisonnière d'une vision dépassée, celle de la "Françafrique", un système intégré qui a perduré bien au-delà de sa pertinence historique. Cette posture reflète une conviction erronée : celle d'une présence française éternellement désirée sur le continent.
Francis Kpatindé met en lumière un décalage croissant entre une Afrique en pleine mutation et une France figée dans ses certitudes. "L'Afrique change, elle a beaucoup changé depuis deux décennies. Et en face, la France ne change pas", observe-t-il. Il souligne particulièrement le fossé générationnel avec une jeunesse africaine qui n'a "aucune référence par rapport à la France, à l'ancienne puissance coloniale."
Un des aspects les plus alarmants soulevés par Kpatindé concerne l'érosion de l'expertise française sur l'Afrique. "Il n'y a plus d'experts : il n'y a plus de gens qui connaissent vraiment l'Afrique. Et surtout, il n'y a plus de gens qui ressentent l'Afrique", déplore-t-il. Cette perte de compréhension profonde conduit à une politique de réaction plutôt que d'anticipation, laissant la France systématiquement "un train de retard dans les événements en Afrique."
NDEYE ASTOU NDIAYE REVISITE LA TRADITION DU CONTE AFRICAIN
'Veillées africaines' réinvente l'art du récit en mêlant héritage culturel et préoccupations contemporaines. L'auteure, qui allie sa carrière universitaire à une sensibilité littéraire affirmée, livre un recueil où chaque histoire devient une leçon de vie
(SenePlus) - Les éditions Lettres de Renaissances enrichissent leur catalogue avec la publication d'un nouveau recueil de contes signé Ndeye Astou Ndiaye, "Veillées africaines". Cette œuvre s'inscrit dans la pure tradition du conte africain tout en portant un message universel.
Dans sa préface, Amadou Elimane Kane souligne la richesse allégorique de ces récits qui, à travers la métamorphose littéraire des animaux et de la flore, transmettent des valeurs fondamentales : loyauté, engagement, partage, fidélité, humilité, protection de l'environnement et espérance. L'auteure utilise ces transformations comme support d'un récit d'apprentissage à portée éducative.
Ndeye Astou Ndiaye apporte une contribution significative à la littérature africaine contemporaine. Enseignante-chercheuse en Science politique, diplômée de Sciences-Po Bordeaux et de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, elle mène des recherches approfondies sur les politiques publiques, le genre et les identités, la gouvernance et les modèles d'éducation en Afrique. Son expertise académique enrichit sa démarche littéraire, comme en témoignent ses précédentes publications : "Une étoile qui ne brille pas pour l'amour" (L'Harmattan, 2015) et "Commune condition" (Éditions Moukat, 2020).
Membre du Laboratoire IGD2P (Institutions Gouvernance Démocratique et Politiques Publiques) et personne-ressource à l'école d'été du Codesria en collaboration avec le Centre d'études africaines de Bâle (CASB), l'auteure conjugue avec talent sa carrière universitaire et sa passion pour l'écriture.
"Veillées africaines" est disponible à la commande directement auprès des éditions Lettres de Renaissances (editionslettresderenaissances@yahoo.fr), sur fnac.com, ainsi que dans les librairies parisiennes Présence Africaine et L'Harmattan.
Cette publication s'annonce comme une contribution majeure à la littérature africaine contemporaine, alliant la richesse de la tradition orale à des préoccupations universelles, tout en servant de pont entre l'héritage culturel africain et les enjeux contemporains.
MAMADOU DIA DÉVOILE ‘’DEMBA’’, UNE RÉFLEXION SUR LE DEUIL ET LA RÉSILIENCE
Le film raconte l’histoire de Demba, un homme en quête de réconciliation avec lui-même et ses proches, confronté à la solitude et au poids du deuil à l’approche de l’anniversaire de la mort de sa femme, Awa.
Le réalisateur sénégalais Mamadou Dia a présenté, vendredi, au cinéma Pathé de Dakar, son nouveau long métrage »Demba », une œuvre qui explore le deuil, la résilience, la santé mentale et les tabous culturels liés à l’expression des émotions, et inspirée de sa propre expérience.
Le film raconte l’histoire de Demba, un homme en quête de réconciliation avec lui-même et ses proches, confronté à la solitude et au poids du deuil à l’approche de l’anniversaire de la mort de sa femme, Awa.
Alors qu’il s’apprête à prendre sa retraite après trente ans de service dans une mairie de Matam, ville du nord du Sénégal, il tente de renouer avec son fils Bajjo, malgré les tensions qui les éloignent.
»+Demba+ est avant tout un film profondément personnel, qui est né d’une expérience liée au deuil”, a confié le cinéaste, originaire de Matam, qui a perdu sa mère à l’âge de 13 ans.
“J’aurais voulu qu’un adulte vienne simplement me dire que ma mère ne reviendrait pas, avec des mots clairs”, a-t-il expliqué, évoquant un défaut d’explication qui a marqué son enfance.
Des années plus tard, lors d’une thérapie aux États-Unis pendant la pandémie du Covid-19, Mamadou Dia a revisité cette douleur de l’enfance.
Une démarche qui lui a permis de comprendre les différentes phases du deuil, notamment la dépression, une »notion difficile à nommer dans certaines cultures ».
“En langue pulaar, je n’ai pas trouvé l’équivalent du mot dépression. Cela m’a poussé à m’interroger sur la manière dont nous dépassons une douleur que nous ne pouvons pas nommer”, dit-il.
Le deuil comme expérience collective
À travers »Demba », Mamadou Dia ne se limite pas à une exploration individuelle du deuil. Le film montre comment cette expérience affecte toute une communauté.
‘’Chaque personnage du film expérimente la perte de quelque chose’’, explique-t-il, indiquant qu’Aïcha, une ancienne influenceuse, doit faire le deuil de son identité après avoir utilisé une fausse maladie pour attirer l’attention ; Bajjo, quant à lui, est confronté à la fragilité de son père vieillissant, une situation qui renverse les rôles familiaux traditionnels.
“Nous faisons tous des deuils dans nos vies : deuil d’une relation, d’un corps qui change ou d’une ancienne vie”, soutient le réalisateur, insistant sur la portée universelle de son œuvre.
Une autre perspective sur les émotions masculines
Le choix d’un protagoniste masculin était également intentionnel pour Mamadou Dia. “Dans notre société, les hommes n’ont pas vraiment l’espace pour exprimer leurs émotions. La colère est souvent la seule réponse attendue. Avec +Demba+, j’ai voulu montrer un homme confronté à une souffrance silencieuse, loin des explosions émotionnelles classiques”, a-t-il signalé.
Malgré les thèmes lourds abordés dans le film, Mamadou Dia a voulu créer une œuvre visuellement belle.
“Nos mères, avec un simple boubou, dégagent une élégance incroyable. Cette beauté est facile à montrer et contrebalance la gravité des émotions explorées”, selon lui.
Demba n’est pas seulement un film, pense-t-il, mais il est aussi un outil pour ouvrir le dialogue sur des sujets souvent tabous, comme le deuil et la résilience.
“Ce film invite chacun à partager ses expériences et à mieux comprendre celles des autres”, soutient-il.
Diplômé de la prestigieuse Tisch School of the Arts de l’Université de New York, Mamadou Dia s’est fait remarquer avec son premier long métrage, »Baamum Nafi » (Le Père de Nafi), récompensé au Festival de Locarno, en Suisse, et sélectionné pour représenter le Sénégal aux Oscars du cinéma, à New York, en 2021.
Avec »Demba », Mamadou Dia poursuit son exploration des thématiques humaines et sociales, mêlant réalité et fiction pour raconter des histoires universelles ancrées dans la culture sénégalaise.
En plus de la projection-presse, »Demba » sera en première nationale à Matam, samedi, avant sa sortie nationale et internationale le 6 décembre prochain.
Le film est sélectionné en première mondiale pour le prochain festival international du film de Berlin, du 13 au 23 février 2025.
LA GRANDE DÉBÂCLE FRANÇAISE
Chassée du Sahel, l'armée française doit maintenant quitter le Tchad et le Sénégal. Un diplomate africain livre dans Le Monde ce constat sans appel : "c'est une évolution qui a un parfum de rupture. Cela prend l'eau de toute part"
(SenePlus) - Une page majeure de l'histoire militaire française en Afrique est en train de se tourner, selon les informations révélées par Le Monde. Le choc est d'autant plus brutal qu'il intervient sur deux fronts simultanément, avec l'annonce de la rupture de l'accord de défense par le Tchad et la déclaration du Sénégal concernant un possible départ des forces françaises.
Le Tchad, longtemps considéré comme le bastion imprenable de l'influence militaire française en Afrique, vient de porter un coup particulièrement dur à Paris. Le journal Le Monde rapporte que le pays, qui héberge l'une des cinq bases militaires françaises sur le continent, a annoncé le 28 novembre la rupture de l'accord de défense liant les deux nations. Cette décision, qualifiée de "tournant historique" par la diplomatie tchadienne, illustre une volonté claire "d'affirmer sa souveraineté pleine et entière, et de redéfinir ses partenariats stratégiques."
L'aspect particulièrement frappant de cette annonce réside dans son timing et sa mise en œuvre. Comme le souligne Le Monde, le communiqué est tombé alors que "l'avion du ministre des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, venait à peine de décoller du Tchad." Plus troublant encore, les plus hautes instances françaises semblaient totalement prises au dépourvu : ni l'Élysée, ni le ministère des armées, ni le Quai d'Orsay n'avaient été prévenus.
Cette rupture s'inscrit dans un contexte plus large de perte d'influence française dans la région. Le quotidien rappelle que le président Mahamat Idriss Déby, âgé de 40 ans, représentait le "dernier allié de la France au Sahel" depuis l'expulsion des forces françaises du Mali, du Burkina Faso et du Niger par les juntes militaires entre 2020 et 2023. Le journal révèle également que des tensions récentes, notamment l'ouverture d'une enquête par le Parquet national financier concernant des soupçons de biens mal acquis, ont contribué à cette décision, tandis que la Russie se positionne en alternative stratégique.
L'échec d'une stratégie de transformation
Le Monde met en lumière les tentatives avortées de réforme de la présence militaire française en Afrique. Dès son arrivée au pouvoir en 2017, Emmanuel Macron avait envisagé de "réduire la voilure et de mettre un terme à l'opération Barkhane", dont les 5 000 soldats étaient de plus en plus perçus comme une force d'occupation. Cependant, sous la pression de son entourage politique et militaire, cette initiative avait été abandonnée.
La tentative de redéfinition annoncée en février 2023 par le président français, visant à transformer les bases militaires en "académies" ou en "bases partenariales", semble avoir échoué. Comme le souligne Jonathan Guiffard, chercheur cité par le quotidien du soir : "La France, en réalité, est restée au milieu du guet par rapport à sa posture d'avant. Le problème, c'est qu'elle ne sait pas encore où elle va."
Le journal détaille les implications concrètes de ce désengagement. Les bases françaises en Afrique, qui réunissaient encore environ 1 700 militaires en 2023 (dont 350 à Libreville et à Dakar), font l'objet de projets de réduction drastique. Un scénario envisageait de limiter cette présence à une centaine de soldats par base, à l'exception du Tchad qui devait maintenir trois cents militaires - un plan désormais caduc.
Selon une source officielle ivoirienne citée par Le Monde, l'avenir semble inexorable : "Il est évident que, d'ici dix ou quinze ans, il n'y aura plus un seul soldat français en Afrique." Cette prévision s'appuie sur deux facteurs principaux : les contraintes budgétaires françaises et l'opposition croissante de la jeunesse africaine à cette présence militaire.
Les tentatives de renouveau
Le quotidien révèle également les efforts français pour maintenir une influence différente, notamment à travers le développement du "soft power" et de la "lutte informationnelle". Des initiatives comme la création d'une école spécialisée dans le cyber en Côte d'Ivoire ou l'encouragement des industriels de l'armement à réinvestir en Afrique témoignent de ces tentatives d'adaptation, mais semblent insuffisantes face aux changements géopolitiques en cours.
Cette série d'événements marque indubitablement la fin d'une époque dans les relations franco-africaines. Comme le résume un diplomate africain cité par Le Monde, "c'est une évolution qui a un parfum de rupture. Cela prend l'eau de toute part." Cette analyse semble confirmer non seulement l'échec de la stratégie de transformation française, mais aussi l'inexorable déclin d'un modèle de relations militaires hérité de la période post-coloniale.
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LES MISES EN GARDE D'AISSATA TALL SALL
L'ex-garde des Sceaux évoque l'impossibilité d'abroger rétroactivement une loi d'amnistie dont ont bénéficié plusieurs personnalités, dont le président et son Premier ministre. "C'est beaucoup plus facile à dire qu'à faire", estime-t-elle
Dans une intervention sur la situation politique nationale, l'ancienne ministre de la Justice et actuelle députée de l'opposition Takku Wallu, Aissata Tall Sall, a livré une analyse des questions juridiques et constitutionnelles qui agitent le pays.
L'ancienne garde des Sceaux s'est particulièrement attardée sur l'article 86.6 de la Constitution sénégalaise, l'équivalent du 49.3 français. Elle a souligné que malgré l'existence de cet article permettant l'adoption de lois sans débat, son utilisation n'était pas justifiée pour le vote de la loi de finances 2025, rappelant que l'Assemblée dispose déjà d'une majorité suffisante.
Sur la question de la Haute Cour de Justice, sujet de vives tensions, Aissata Tall Sall a tenu à remettre les pendules à l'heure : "La Haute Cour de Justice existe depuis que le Sénégal est Sénégal. C'est cette même cour qui avait jugé le président Mamadou Dia en 1963", a-t-elle rappelé. Elle a insisté sur le caractère judiciaire de cette institution, présidée par le premier président de la Cour suprême et non destinée à des règlements de comptes politiques.
La députée a également abordé la question épineuse de l'abrogation de la loi d'amnistie, mettant en garde contre les obstacles juridiques majeurs. "C'est beaucoup plus facile à dire qu'à faire", a-t-elle averti, évoquant les principes fondamentaux de non-rétroactivité des lois et d'intangibilité des droits acquis. Elle a notamment rappelé que l'actuel président de la République et son Premier ministre avaient eux-mêmes bénéficié de cette loi.
L'ancienne ministre a vivement apprécié l'utilisation de l'argument de la "majorité écrasante" par le pouvoir en place, estimant que celle-ci devrait plutôt se concentrer sur les véritables préoccupations des Sénégalais plutôt que sur des manœuvres politiques.
MULTIPLE PHOTOS
TROUBLES DE MÉMOIRE(S)
Entre politique mémorielle officielle et appropriations populaires, la question reste ouverte : comment le passé colonial façonne-t-il les imaginaires contemporains ?
Au Sénégal, la répression sanglante des tirailleurs sénégalais cantonnés dans le camp de Thiaroye le 1er décembre 1944 est un événement marquant dans l’histoire collective. Elle est une expression vive des violences coloniales qui soutiennent le système colonial. Ce qui devait être un retour au pays natal après des années de guerre et de captivité en Europe tourne à la tragédie. Ce drame, où des dizaines de tirailleurs sénégalais furent massacrés après avoir réclamé leurs droits, s’inscrit dans un contexte politique complexe, marqué par la Seconde Guerre mondiale, la montée des revendications anticoloniales et les incertitudes et ambiguïtés du pouvoir colonial. La violence extrême dont est empreinte la répression de Thiaroye signe tout à la fois, une prise de conscience politique et sociale des vétérans de la guerre, qui mettent en œuvre les leçons tirées de la guerre, l’appropriation des valeurs associées à la liberté, à l’égalité et la volonté de secouer le joug de la domination coloniale.
Aujourd’hui, Thiaroye 44 est à la fois une tâche dans la mémoire coloniale française et une interrogation sur les mémoires, africaine et nationale. Entre politique mémorielle officielle et appropriations populaires, la question reste ouverte : comment le passé colonial façonne-t-il les imaginaires contemporains ?
L'analyse de la mémoire de Thiaroye révèle qu'elle s'est construite au fil des décennies à travers de multiples prismes : historiographique, culturel, juridique, commémoratif et ethnographique. Chacun de ces filtres a contribué à forger un canon mémoriel qui reflète non seulement les aspirations collectives mais aussi les tensions inhérentes à toute entreprise de remémoration. Ces couches successives donnent à cette mémoire une profondeur qui dépasse les simples faits historiques, la transformant en un objet de réflexion sur la transmission, les héritages, les identités et les contours et la communauté.
Tirailleurs sénégalais ! Dans un article intitulé « Origines et historique sommaire des unités de Tirailleurs sénégalais et soudanais », le Général de Boiboissel écrit : « Il n’est pas possible et il ne serait pas équitable d’écrire une histoire même abrégée de l’Afrique occidentale française, sans faire leur place, une place digne de leurs mérites et des services qu’ils ont rendu à la France, aux Tirailleurs et Spahis sénégalais. Ils portent comme un fanion depuis Faidherbe qui les créa, ce titre désormais anachronique, mais chargé de passé et de gloire. Certes, il ne s’adapte plus à la réalité géographique et ethnique. Mais qu’importe une exégèse grammaticale. Une modification d’état-civil n’enterre pas une histoire ».
Plongés dès août 1914 dans les combats les plus meurtriers de la Première Guerre Mondiale, (l’idée de leur utilisation s’est posée en France dès 1908) les Tirailleurs sénégalais ont été des acteurs majeurs de la défense française. Arrachés à leurs terres africaines, souvent sans préparation adéquate, ces soldats ont payé un lourd tribut aux conflits mondiaux. Le ballet poème « Aube Africaine » est une chronique musicale, chantée et dansée d’un tirailleur, de son recrutement aux effets néfastes sur le village, à la violence incroyable des exercices de l’entrainement militaire, terrible dans le bataillon, son départ pour le front européen, son emprisonnement dans les geôles en Allemagne et en France occupée, sa libération, son rapatriement et sa mort sous les balles françaises, à Thiaroye. Un ballet-poème, adapté et mis en scène, par Mamadou Traore dit Seyba, au Grand Théâtre Doudou Ndiaye Coumba Rose. En écho, le poème de Léopold Sédar Senghor, « Tyaroye », est une litanie pour dénoncer la France qui « n’est plus la France » et annoncer le retour de l’Afrique éternelle. Une tragédie qui annonce une ère nouvelle. Une prise de conscience qui réinvente une Afrique qui sort de la guerre, en quête d’émancipation. Considérés à tort comme très résistants physiquement, leur utilisation est une erreur dramatique, aggravée par un encadrement souvent défaillant. Si des ajustements surviennent, comme l'amélioration de leur formation ou l'ajout d'infrastructures adaptées, ils restent cantonnés à des rôles de « chair à canon ». A la fin de la guerre ils sont embrigadés dans des « équipes militaires de travail» chargées de travaux publics (routes, ponts...) À leur retour, beaucoup présentent des stigmates de cette guerre : estropiés, brisés psychologiquement, ou emportés par des maladies contractées sur le front.
L'image des tirailleurs sénégalais est façonnée par une propagande ambiguë. Tantôt glorifiés comme des guerriers féroces, tantôt caricaturés sous des traits infantiles, ils sont soumis à un racisme ordinaire qui a perduré bien après l'armistice. Ces stéréotypes, véhiculés par les médias et des campagnes publicitaires, illustrent la perception paternaliste et condescendante de l'époque (Y a bon banania !)
Leur sort ne s'améliore guère pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1940, victimes d'une idéologie raciste exacerbée, des tirailleurs prisonniers sont exécutés sommairement par les troupes nazies. Leur rôle, au service de la France, dans les guerres coloniales ultérieures reste déterminant. Certains deviendront par la suite des dirigeants de territoires africains devenus indépendants. Le 1er décembre 1944, au petit matin, des tirailleurs rassemblés dans le camp par leurs supérieurs expriment leurs doléances. Enrôlés pour défendre la France, ils espéraient un traitement digne à leur libération en France et au retour, en Afrique. Après des années de captivité en Allemagne et en France occupée, beaucoup reviennent brisés, mais leur loyauté envers la France reste intacte. Ils revendiquent et réclament leur traitement et un respect équivalents à ceux accordés aux soldats français.
En effet, une réglementation précise avait été mise en place, pour encadrer le paiement des soldes des ex-prisonniers de guerre, mais son application soulève des questions cruciales sur la justice et la transparence. La circulaire n°2080 du ministère de la Guerre, datée du 21 octobre 1944, stipulait que ces soldats devaient percevoir l'intégralité de leur solde de captivité avant de quitter la métropole. Un quart de cette somme devait leur être versé en métropole, tandis que les trois quarts restants étaient dus à leur arrivée. Cette directive, confirmée par une note du ministère des Colonies du 25 octobre 1944, garantissait également aux soldats, un certificat attestant des montants encore à percevoir. Cependant, à Dakar, lors du rapatriement, la réalité fut tout autre : les trois quarts restants de leur solde ne leur ont pas été versés. Cette situation a engendré un sentiment d'injustice parmi les 500 tirailleurs destinés à rejoindre Bamako. Refusant de quitter la caserne de Thiaroye, ils réclamaient leur dû conformément aux termes établis. Ils sont soutenus par leurs camarades. Les tirailleurs avaient compris, que revenus dans leurs équipes, ils seraient éparpillés en petits groupes, puis seraient des victimes des commandants de cercle, les rois de la brousse.
L'intransigeance des autorités civiles et militaires, pourtant informées de leurs obligations, a exacerbé les tensions. Leurs revendications légitimes étaient qualifiées de mutinerie dans une circulaire. Une approche perçue comme une tentative de réprimer et d'effacer les protestations des soldats, cache probablement un éventuel détournement de fonds. Officiellement, les rapatriés étaient censés avoir perçu l'intégralité de leur rente avant leur départ de métropole, mais les faits sur le terrain racontent une toute autre histoire. Les revendications se heurtent au mur de l’administration politique et militaire françaises. La hiérarchie militaire répond par la force. Des mitrailleuses sont déployées, et les tirs éclatent. En quelques minutes, des dizaines de tirailleurs sont tués. Les estimations varient, mais le bilan officiel, qui avance 35 tués, 24 blessés, 34 traduits en justice, souvent contesté, reste inférieur à la réalité. Armelle Mabon, Enseignante-chercheure et Maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l'Université de Bretagne-Sud, preuves à l’appui a contesté le bilan officiel établi par la France et a par ailleurs, au cours d’un colloque organisé à Dakar les 18 et 19 décembre 2018 identifié pour la première fois, les fosses communes ayant servi de tombeaux dans lesquels les tirailleurs ont été enterrés à la va vite. Son dernier ouvrage « Le Massacre de Thiaroye 1er décembre 1944, histoire d'un mensonge d'État » vient de paraître. Les promesses françaises de reconnaissance et d'intégration n'ont jamais été pleinement réalisées. Si certains anciens combattants ont accédé aux postes de pouvoir dans les colonies, beaucoup ont été relégués à l'oubli. L'injustice perdure, comme en témoigne le cas d'Abdoulaye Ndiaye, dernier tirailleur des Dardanelles, mort en 1998 à la veille de recevoir la Légion d'honneur.
Un contexte explosif
Le contexte politique à Dakar en 1944 est celui d'une Afrique occidentale française (AOF) en transition. Après la chute du régime de Vichy, les espoirs de démocratisation suscités par la France libre sont rapidement contredits par le maintien d'une administration coloniale conservatrice. La répression à Thiaroye reflète ces tensions : d'un côté, une autorité coloniale jalouse de son pouvoir, de l'autre, des soldats noirs qui, forts de leur expérience en Europe, réclament des droits longtemps bafoués. Au-delà des questions de solde, les revendications des tirailleurs témoignent d'un changement profond. Ayant côtoyé leurs camarades français sur le champ de bataille, ces hommes exigent une égalité de traitement et la reconnaissance de leur rôle dans la défense de la France. Leur retour en Afrique, marqué par des humiliations et des injustices, attise un sentiment de révolte que les autorités métropolitaines sont incapables de comprendre ou d'accepter.
Un tournant politique
La répression de Thiaroye ne se limite pas au massacre. Moins de quatre mois plus tard, en mars 1945, un procès expéditif est organisé pour juger les survivants. Trente-quatre tirailleurs sont condamnés pour rébellion et refus d'obéissance. Les autorités coloniales justifient ces condamnations en les associant à une soi-disant influence de la propagande allemande. Ce procès, marqué par des irrégularités flagrantes et une absence totale de confrontation des preuves, sert avant tout à protéger l'institution militaire et à légitimer l'usage de la force. En 1945, les premières élections législatives d’après-guerre permettent à Lamine Guèye et Léopold Sédar Senghor de siéger à l'Assemblée constituante française. À Paris, ces députés font de Thiaroye un symbole de l'injustice coloniale.
Pour Lamine Guèye, député du Sénégal et avocat des tirailleurs au procès de mars 1945, ce massacre incarne l'échec de la France à tenir ses promesses. « Tuer des hommes pour une question de soldes est abominable », déclare-t-il en 1946 devant l'Assemblée constituante française, dénonçant ce qu'il qualifie de « crime de droit commun ». Puis, il interpelle directement le gouvernement : « Comment voulez-vous que les représentants de ces régions n'éprouvent pas un sentiment de dégoût et d'écœurement ? »
Quant à Senghor, jusque-là inconnu sur la scène politique sénégalaise, il commence à structurer une critique intellectuelle et politique de l'ordre colonial. Pour lui, Thiaroye illustre non seulement l'échec du modèle colonial, mais aussi la nécessité de redéfinir les relations entre l'Afrique et la métropole. Dans la colonie du Sénégal, la répression militaire est suivie d'une surveillance accumulée des tirailleurs et des élites politiques. Les correspondances sont interceptées, les rassemblements surveillés, et toute tentative de commémoration du massacre est réprimée. En France, des mouvements de gauche et des syndicats s'emparent de l'affaire, demandant la formation d'une commission d'enquête. Le massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye, s'inscrit également dans une série de violences coloniales qui accélèrent la montée en puissance des dirigeants politiques africains. Cette tragédie renforce l'idée que l'autonomie, voire l'indépendance, est le seul chemin viable pour les colonies. Elle dévoile les tensions latentes dans l'empire colonial français. Elle soulève des questions sur la viabilité d’un empire qui repose sur la répression et l’exploitation. Pour les autorités, il s'agit de contenir une contagion politique : empêcher que l'exemple de Thiaroye n'encourage d'autres mouvements de révolte. Pour les Africains, le massacre devient une balise dans la lutte pour leurs droits. Les élites politiques, à l'instar de Guèye et Senghor, utilisent cette tragédie pour démontrer que les réformes coloniales sont insuffisantes. En Afrique, il nourrit une prise de conscience collective parmi les élites et les populations. La décolonisation, encore impensable pour certains en 1944, devient alors une certitude.
Éclat médiatique
Dans l'immédiat après-guerre, la mémoire du massacre de Thiaroye est fragmentée et contrôlée par les autorités coloniales. Les archives militaires et administratives cherchent à minimiser l'événement, décrivant des tirailleurs comme influencés. Au Sénégal, cette mémoire prend d'abord une forme discrète. Quelques archives racontent qu’à l’époque les habitants de Thiaroye-sur-Mer, traumatisés, chuchotent sur les événements. Cette transmission orale, nourrie par la peur et le respect pour les morts, constitue le premier socle d'une mémoire collective vivante, qui se transmet.
A quelques exceptions près, ce n'est que bien après les indépendances africaines des années 1960, que Thiaroye commence à trouver une place dans les récits historiques et/ou les œuvres culturelles. L'événement devient un sujet central dans la littérature et le cinéma, où il est réinterprété pour dénoncer les abus du colonialisme et célébrer la résistance.
Lors de sa première célébration en août 2004, « La Journée de commémoration des tirailleurs sénégalais » a connu un éclat médiatique. Une profusion d’articles amorce un virage dans les représentations de ces derniers. Le Populaire titrait : « Enfin l’hommage aux Tirailleurs ». Dans le corps de l’article, l’auteur écrit : « Étonnant ! Les révélations des historiens et anciens combattants sur les affres de la Deuxième Guerre mondiale ont de quoi nous glacer le sang dans les veines […]. Mais où ont-ils pu tirer l’énergie nécessaire pour faire face aux soldats allemands qui, loin s’en faut, n’étaient pas des enfants de chœur ? », le Journal met à sa Une : « Les vétérans tirent sur la France » et Wal Fadjri avance sur 4 colonnes : « Ce que Senghor et Abdou Diouf auraient dû faire. Le président Wade souhaite ainsi réaliser un événement d’envergure ». Un décret est publié qui stipule que l’après-midi de cette Journée est déclarée « chômée et payée ». Avec l’instauration de la Journée du Tirailleur, un autre décret est promulgué, articulé en deux articles. Le premier déclare que « le cimetière de Thiaroye où sont enterrés les Tirailleurs sénégalais morts au cours de la répression coloniale du 1er décembre 1944, est déclaré Cimetière national », tandis que le 2ème stipule : « le 23 août suivant son élection, le président de la République rend les honneurs aux victimes. Le 23 aout de chaque année, le Premier ministre y dépose une gerbe de fleurs (décret no 2004-1220). Mais à ce jour, l’emplacement des dépouilles reste inconnu : charnier à l’intérieur ou tombes dans le cimetière militaire ?
Sous la présidence d'Abdoulaye Wade, cette mémoire a pris une place centrale dans le paysage national. Discours, cérémonies, monuments, spectacles et mêmes initiatives législatives ont été déployées avec un volontarisme marqué. Cette mobilisation mémorielle visait non seulement à rendre justice aux victimes de Thiaroye, mais aussi à inscrire leur histoire dans une continuité plus large. Pour Wade, ces actions constituaient un moyen de fédérer et de forger une identité commune autour d'un passé partagé. L'exaltation de la mémoire des tirailleurs s'inscrivait dans une stratégie plus étendue : celle d'une monumentalisation du passé. Projets architecturaux ambitieux, reconstitution historique et rénovation de symboles comme la statue Demba et Dupont, illustraient cette volonté. Pourtant, ces initiatives, souvent présentées pour leur caractère spectaculaire, n'ont pas toutes abouti, révélant les limites d'une politique culturelle parfois perçue comme opportuniste.
Le relatif désintéret sous Macky Sall
En octobre 2012, le président François Hollande en visite à Dakar, marque une étape dans la reconnaissance des épisodes sombres de l'histoire coloniale française. En évoquant le massacre de Thiaroye comme une « répression sanglante », il rompt avec la présentation dominante de cet événement qui jusqu'alors, était décrit comme une mutinerie ou une rébellion armée menée par d'anciens prisonniers de guerre, justifiant une réponse armée.
Sous la présidence de Macky Sall, les commémorations initiées par Wade ont été progressivement reléguées au second plan. Ce repli pourrait s'expliquer par la difficulté d'assumer pleinement un héritage mémoriel aussi dense et consensuel, malgré l'unanimité qu'avaient tirée ces initiatives. Ce changement soulève des interrogations sur la manière dont le pouvoir politique d’alors envisageait la transmission de l'histoire et sa place dans l'élaboration de la mémoire collective.
Cette politique de mémoire s'inscrit également dans un contexte mondialisé où les récits historiques sont souvent marqués par la concurrence. Cependant, l'approche sénégalaise a cherché à dépasser les conflits d'interprétation pour offrir une vision plus unifiée et pédagogique de l'histoire des tirailleurs. Elle interroge les représentations dominantes et les différentes lectures de l'événement, tout en posant la question de l'éthique face à ce passé complexe.
Déséquilibre mémoriel
La littérature, le cinéma et la musique permettent au massacre de Thiaroye de rester vivant dans les imaginaires, mais les tensions subsistent. Si en Afrique, Thiaroye est un cri de résistance, en France, il reste un épisode largement méconnu, éclipsé par d'autres récits de guerre. Cependant, le massacre de Thiaroye est progressivement intégré dans le débat sur la mémoire coloniale. Les associations, les universitaires et les artistes redécouvrent cet épisode pour en faire un levier de réconciliation et d'introspection. Les commémorations, bien qu'encore rares, se multiplient, témoignant de la persistance de cette blessure dans l’imaginaire. Ce déséquilibre mémoriel reflète les défis d'un dialogue postcolonial encore inabouti.
L'événement de Thiaroye n'est pas seulement un souvenir du passé, mais un moteur pour les réflexions et luttes contemporaines. Depuis les années 1980, des artistes sénégalais ont intégré cette mémoire dans leurs créations. La musique, en particulier, devient un lieu de résistance et de revendication, transformant la douleur historique en une voix collective. Dès 1984, des figures comme Ousmane Diallo (Ouza) ont abordé ce thème, donnant une dimension populaire et émotive à la révolte des tirailleurs et Didier Awadi, intègre des références à Thiaroye dans ses compositions, mêlant histoire et engagement.
L'un des artistes les plus influents de cette vague est Baaba Maal, qui, avec sa chanson « Thiaroye » en 2000, incarne un hommage à ces anciens combattants. Sa chanson, poignante, interroge ce massacre, tout en établissant la responsabilité du pouvoir colonial et sénégalais. À travers un appel direct, Baaba Maal a mis en lumière l'injustice subie par les tirailleurs, tout en dévoilant l'impasse politique et mémorielle autour de cet événement.
Marcel Salem, d'origine sénégalaise et sérère, poursuit dans cette même veine en 2003 avec son album « Carroye 44 », où il évoque le massacre en des termes percutants et spirituels. Il présente Thiaroye comme un crime impardonnable, inscrivant la mémoire des tirailleurs dans un cadre religieux et militant, et suggère une douleur partagée par toute une communauté. La répétition du terme « grands-parents » dans ses paroles, souligne le lien entre générations et la continuité du combat contre l'injustice. Disiz la Peste, de son vrai nom Serigne Mbaye Guèye, rappeur franco-sénégalais, apporte une autre dimension au récit de Thiaroye dans une de ses productions. Il fait le lien entre la guerre mondiale et la révolte des tirailleurs, tout en soulignant la violence de la répression française. À travers sa chanson, il dénonce l'impasse politique de l'époque et l'inhumanité du traitement réservé aux combattants africains, tout en établissant un parallèle entre l'histoire coloniale.
Le phénomène ne s'arrête pas à la musique. Dans la sphère politique, des mouvements comme « Y en a marre » au Sénégal, et le « Balai citoyen » au Burkina Faso, se sont emparés de cette mémoire, pour mobiliser les jeunes contre les injustices sociales et politiques. Ces mouvements utilisent l'héritage des tirailleurs comme une référence à l'honneur et à la lutte pour la reconnaissance.
Ousmane Sembène et Thierno Faty Sow, mettent à l’affiche « Camp de Thiaroye » (primé à la Mostra de Venise et au Fespaco), à travers des personnages symboliquement nommés Niger, Gabon ou Sahara, évoquant les différents territoires où les tirailleurs furent recrutés. Le casting est composé d'acteurs issus de toute l'Afrique francophone, incarnant l'héritage de cette mémoire collective. Parmi eux, le Burkinabé Gustave Sorgho, dont le père a lui-même été tirailleur et impliqué dans les événements tragiques de Thiaroye, bien qu'absent lors du drame, étant en permission. Les Sénégalais Ibrahima Sané, dans le rôle du sergent Diatta, et Ismaël Lô, qui assure un rôle mineur tout en composant la bande originale, ajoutent une touche locale et authentique. Le casting est enrichi par le Congolais Zao, également musicien, connu pour son célèbre morceau « Ancien Combattant » , véritable hymne des vétérans africains. Cependant, celui qui s'impose véritablement à l'écran est l'Ivoirien Sidiki Bakaba, l'un des rares professionnels du casting à l'époque du tournage. Son interprétation magistrale du personnage de Pays illustre l'âme même de ce film.
La littérature s'empare de l'histoire pour en faire un outil de mémoire collective : un poème, « Tyaroye » (publié dans « Hosties noires » en 1948 mais composé en décembre 1944) de Léopold Sédar Senghor, « Aube de sang » de Cheikh Faty Faye (2005) et « Thiaroye, terre rouge » de Boubacar Boris Diop. Senghor dépeint le massacre comme un « sacrifice » des tirailleurs, marquant leur oubli par la France malgré leur rôle crucial dans sa libération. Faye inscrit Thiaroye dans une réflexion plus large sur les relations entre colonisateurs et colonisés, en la liant au destin du continent africain tandis que Diop adopte une posture militante, dénonçant avec virulence la brutalité coloniale.
Ces œuvres démontrent que l'interprétation des faits historiques est toujours plurielle, oscillant entre dénonciation, commémoration et célébration des héros. Elles participent à une nécessaire réévaluation de l’histoire coloniale, tout en invitant à une réflexion critique, chacune de ces œuvres reflétant à la fois la vision de son auteur et l'époque de sa création.
Histoire, identité et mémoire collective
Malgré des efforts institutionnels, la transmission de Thiaroye 44 reste encore en grande partie, tributaire d'initiatives individuelles et de la société civile.
En 2008, le président Abdoulaye Wade a annoncé l'intégration de l'histoire des tirailleurs dans les programmes scolaires, soulignant la nécessité de combattre l'oubli. Des manuels spécifiques étaient prévus pour les élèves de l'élémentaire, et le massacre de Thiaroye intégré aux leçons du secondaire. Cependant, des enseignants déplorent le manque de ressources locales, qui les obligent à composer eux-mêmes du contenu pédagogique. Des initiatives personnelles, comme celle d'André Sarr à Fimela ou celle de Samba Diop à Thiaroye, ont émergé pour pallier ces lacunes, incluant des visites sur les lieux.
Dans l’enseignement supérieur, des institutions comme la FASTEF (Faculté des Sciences et Techniques de l’Education et de la Formation), ou l'université Cheikh Anta Diop (UCAD) jouent un rôle clé dans la préservation et la redéfinition de cette mémoire. Depuis les années 2000, une série de mémoires académiques a exploré les parcours individuels des anciens combattants, élargissant la perspective aux guerres d'Indochine et d'Algérie.
L’enjeu de ces commémorations va au-delà de la simple reconnaissance historique. En réhabilitant les tirailleurs, l'État sénégalais cherche aussi à consolider la cohésion nationale pour revendiquer une souveraineté manifeste. Les récits glorifiant leur courage et leur sacrifice nourrissent un imaginaire collectif exaltant des valeurs telles que l'honneur et la résilience. Ces figures héroïques, convoquées par des responsables politiques, s'adressent à la jeunesse et à l'armée actuelle, en appelant à s'inspirer de leur exemple.
Toutefois, cette mémoire officielle n'échappe pas aux controverses. La présence forte de l'État dans la narration historique pose la question d'un éventuel « roman national » imposé, au détriment d'une réflexion critique et de récits pluriels d’une communauté imaginée. Jusque-là, la marginalisation des historiens universitaires et la simplification du discours autour des tirailleurs témoigne de ce que certains qualifient de « sensationnalisme mémoriel ». L'ambition de réhabiliter ces oubliés de l'histoire s'accompagne ainsi d'une tension entre mémoire et histoire, entre célébration et analyse critique. Depuis quatre-vingt ans maintenant, cet événement reste un nœud pour interroger les relations entre l’histoire, l’identité et la mémoire collective. La mémoire de Thiaroye révèle également les tensions entre l’État, les institutions éducatives et l’armée dans la transmission de l’histoire coloniale. Cette pluralité d’acteurs reflète une élaboration complexe du récit national, où se superposent différentes strates de discours et d’expériences. Au-delà des commémorations officielles, c’est dans les interactions sociales du quotidien, que se joueront les véritables processus de remémoration. Il faudra trouver les moyens pour construire une mémoire collective qui soit à la fois inclusive, critique et porteuse de sens pour les générations futures.
IL S'AGIT D'HISTOIRE PARTAGÉE
Mamadou Diouf expose les enjeux de la célébration du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye, qui dépasse le cadre strictement mémoriel. L'historien y voit l'occasion d'une réflexion approfondie sur les relations franco-africaines dans la durée
Le 1er décembre 1944, des Tirailleurs sénégalais démobilisés et renvoyés en Afrique après leur service, sont tués àThiaroye, par l’armée française alors qu’ils réclamaient le paiement deleurs indemnités et le versement du pécule qui leur était promis depuisdes mois par les autorités politiques et militaires de la France. La commémoration du 80eme anniversaire du «massacre de Thiaroye» a lieu demain, dimanche, sous la présidence du chef de l’Etat Bassirou Diomaye Faye et en présence de nombreuses délégations étrangères.
Quel est le symbole de cette cérémonie de commémoration du massacre de Thiaroye, près d’un siècle plus tard ?
Thiaroye est un signe fort envoyé par le nouveau régime sénégalais qui s’écarte de ses prédécesseurs pour souligner son engagement souverainiste et interroger la relation avec la France depuis l’indépendance. La décision de commémorer Thiaroye et à la fois un retour sur une répression sanglante, un massacre colonial dans le contexte de la « Libération » et de la reconstruction d’une France occupée par l’Allemagne et soumise à la collaboration du régime de Vichy, après la débâcle de 1940. Elle restaure, dans la joie, l’allégresse et l’euphorie de la « Libération », l’Ideal français. Les Africains eux, en étaient exclus. Ils étaient sommés de retourner à leur place, y compris par le recours à la force. Thiaroye devient ainsi un lieu de mémoire pour toutes les possessions françaises d’Afrique, pas seulement de la colonie du Sénégal, où avaient été recrutés les tirailleurs. C’est aussi la revendication et la production d’un récit africain hors de l’histoire impériale de ses mensonges et des falsifications pour rétablir les faits. C’est aussi une mémoire et un récit pour l’histoire à venir de la communauté pan africaine, régionale et continentale
En quoi était-ce urgent de mettre en place ce comité que vous dirigez et quelle est sa mission concrète ?
Le travail de mémoire est toujours urgent car il consacre un récit qui construit un imaginaire au service d’une communauté. « Une communauté imaginée » pour reprendre Benedict Anderson (Imagined Communities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, 1983). Dans le contexte de la région du Sahel avec les violences et soubresauts de la présence française, les effets de celle-ci dans plusieurs registres, une autre démarche est initiée par le nouveau régime sénégalais, d’analyser, dans la longue durée les relations franco-africaines et d’initier un travail de re-imagination des relations internationales du Sénégal. Il ne s’agit plus de privilégier l’étranger, non-africain (l’ouverture) mais de « s’arcbouter » sur les voisins (l’enracinement). L’illustration est de recentrer, par un ajout à « Ministère des Affaires Étrangères » pour donner, « Ministère de l’Intégration Africaine et des Affaires Étrangères.
En célébrant ainsi le passé, au-delà de la mémoire n’êtes-vous pas en train de surfer sur la résurgence d’un nationalisme en vogue auprès des jeunesses africaines ?
Probablement mais c’est un nationalisme qui redéfinit la nation et la sort du cadre des territoires circonscrits par la partition de l’Afrique à la Conférence de Berlin de 1884-1885. C’est un travail d’imagination d’une communauté hors de l’histoire impériale. Il peut porter une nouvelle carte et des innovations politiques et administratives qui libèrent l’Afrique des entraves et détours de « la structure colonisatrice » et de la « bibliothèque coloniale » (V. Y. Mudimbe, L’invention de l’Afrique. L’Invention de l’Afrique. Gnose, philosophie et ordre de la connaissance. Paris, 2021).
Certains disent que le massacre de Thiaroye est une affaire franco-française, notamment parce que les régiments de l’armée coloniale qui servaient la France et ont été des auteurs d’exactions brutales au Cameroun, en Algérie et à Madagascar ?
Bien sûr que le massacre est exécuté dans un territoire précis, l’empire français, distribué en une métropole et des colonies, des maitres colonisateurs et des subalternes africaines. Un rapport de force et une exploitation économique qui se déclinent dans une structure précise faite de trois éléments : la conquête territoriale, l’incorporation des économies africaines dans l’économie métropolitaine grâce au pacte colonial et enfin, la « réforme de l’esprit du colonisé » (l’aliénation). Enfin, un recours systématique à la violence magistralement analysé par JP. Sartre (Situations V. Colonialisme et néocolonialisme, 1964 et F. Fanon, Peau noir, masque blanc, 1952).
Dans ce contexte précis, on ne peut nullement établir une équivalence entre ceux qui ont le monopole de la violence, de la coercition et de l’exploitation et leurs victimes, même si, parmi les victimes se manifestent la résistance, la collaboration et le déploiement de la violence par procuration.
Très tôt, une africaine de la diaspora, Paulette Nardal dès 1930 exhorte la France de ne pas déployer les tirailleurs sénégalais en Indochine, contre les nationalistes indochinois. Fanon souligne leurs exactions en Algérie et à Madagascar (Peau noir…) et Abdoulaye Ly publie Mercenaires noirs, notes sur une forme de l'exploitation des africains . Paris, 1957). Il me semble que la deuxième partie du titre d’Abdoulaye Ly répond à votre question. Les tirailleurs étaient au service de la France.
Quel sens d’avoir invité le président Macron aux commémorations ? Sommes-nous sortis de l’histoire coloniale à toujours demander la présence de la France ?
Je pense que l’approche adoptée par le gouvernement privilégie l’engagement et la collaboration avec la France sur cette question précise, un massacre qui est une crise qui a secoué l’empire et tâché la réputation d’une France des Droits de l’Homme, de la Philosophie des Lumières, de la Liberté, de l’Egalité et de la Fraternité, La France idéale et « sans race » chantée par Césaire, Senghor et Fanon, toujours remise à la question, par la France historique de la violence et de l’exploitation coloniale qu’ils dénonçaient en même temps. Le président Macron a été invité parce qu’il s’agit comme le précise la lettre d’invitation du président sénégalais au président Macron, d’une « histoire partagée ». Il s’agit de la traiter ensemble, dans la diversité de nos questionnement, intérêts, méthodologies et bien sûr, présence dans le monde.
À quand des fouilles sur le sol sénégalais pour établir la vérité sur le nombre exact de victimes sans attendre les archives de la France ?
La démarche adoptée pour traiter de cette question est de travailler au rassemblement et à l’exploitation des archives, des études et des témoignages disponibles pour ensuite envisager des sondages et fouilles archéologiques. Il y a des conditions à réunir avant d’élaborer et d’exécuter un programme de fouilles. Les préalables : une cartographie des sites d’exécution et d’enterrement des victimes.