Tout commence avec cette image puissante : une adolescente s’enfuyant par la fenêtre après avoir abattu son père. L’explication, Tierno Monénembo nous la donne juste après et sans fard, page 42 :
« – Dis-moi, tant que nous sommes seules : pourquoi as-tu tué ton père ?
– Il m’a violée.
– Ça, c’est une bonne raison, ça ! C’est marrant, tu le dis comme s’il l’avait toujours fait.
– Je l’aurais déjà tué. »
Ainsi débute Saharienne Indigo, le nouveau roman de l’auteur guinéen qui nous entraîne dans le Conakry des années 1990 à travers les yeux de Néné Fatou Oularé, dite Atou, recueillie dans sa fuite par Diaraye Baldé et Yâyé Bamby. Avec angoisse, la jeune fille s’attend à voir débarquer les policiers qui l’emmèneront pour qu’elle réponde de ses actes. Mais ils tardent à venir et la vie reprend ses droits chez les deux femmes qui l’ont cachée. Jusqu’à ce qu’un homme à gueule de flic, vêtu d’une saharienne indigo, vienne rôder dans les parages – et ressuscite les fantômes d’un passé douloureux.
« Diète noire »
Si Saharienne Indigo est un roman débordant de vie, c’est aussi un roman hanté par un épisode tragique remontant aux premières années de l’indépendance du pays et à la présidence d’Ahmed Sékou Touré. Avec subtilité, Tierno Monénembo revient en effet sur l’histoire du camp B. – le camp Mamadou-Boiro – qui, en pleine ville, servit pour l’internement militaire, la torture et la mise à mort entre 1960 et 1984. Quelques 50 000 personnes y auraient été tuées, opposants ou simples citoyens, succombant pour certains à la faim et la soif, une « diète noire » imposée par leurs bourreaux.
« La répression a été si féroce que, depuis longtemps, je me dis que je dois écrire sur ce sujet, confie Tierno Monénembo. Dans mes plus jeunes années, quand je vivais en Guinée, le camp B. n’était pas connu car il n’y a pas plus discrets que les colonels. Pendant longtemps, on n’en a pas entendu parler, on ne savait pas qu’il y avait un camp de torture en pleine ville. Le grand talent des criminels, c’est de savoir effacer les traces de leurs crimes. »
La réalité de ce lieu de mort, l’écrivain l’a découverte à distance, depuis la France, avec la mort en 1977 du premier secrétaire de l’Organisation de l’unité africaine, Diallo Telli, et surtout avec le témoignage d’un ancien membre de l’administration présidentielle, Jean-Paul Alata, dans Prison d’Afrique – un livre interdit dans l’Hexagone entre octobre 1976 et juillet 1982 dans l’idée de préserver les relations de Paris et Conakry.
YOUSSOU NDOUR ENFLAMME L'UCAD EN L'HONNEUR DES LIONS
En l'honneur de la victoire des lions de la Teranga, l'artiste chanteur Youssou Ndour a offert une prestation tout feu, toute flamme aux étudiants de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar.
En l'honneur de la victoire des lions de la Teranga, l'artiste chanteur Youssou Ndour a offert une prestation tout feu, toute flamme aux étudiants de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar. suivez dans cette vidéo les temps forts de sa présence scénique.
par l'éditorialiste de seneplus, Jean-Claude Djéréké
UN DEMI SIÈCLE POUR “MAIN BASSE SUR LE CAMEROUN”
EXCLUSIF SENEPLUS - Les maux dénoncés par l’insoumis Mongo Beti ont-ils disparu ? La jeunesse africaine gagnerait à lire cet ouvrage majeur de la littérature africaine qui reste d’actualité
Jean-Claude Djéréké de SenePlus |
Publication 08/02/2022
“Main basse sur le Cameroun. Autopsie d’une décolonisation” (MBC) d’Alexandre Biyidi alias Mongo Beti aura 50 ans, cette année. À l’occasion de cet anniversaire, que peut-on dire ? D’abord, que l’auteur écrivit cet ouvrage parce qu’il se sentait coupable de vivre loin du pays, de ne pas être dans le maquis avec ceux qui menaient le combat contre la mainmise de la France sur ses anciennes colonies, ensuite que l’ouvrage édité par François Maspero fut immédiatement interdit en 1972 par Raymond Marcellin, le ministre de l’Intérieur français d’alors, à la demande de Ferdinand Oyono, ambassadeur du Cameroun en France, ce qui est un double paradoxe. Pourquoi ? Parce que F. Oyono était l’auteur du roman “Le vieux nègre et la médaille” où, après que Nti eut affirmé que les Noirs ne devraient pas “s’étonner de ce qui nous vient des Blancs”, l’assistance répond : “le chimpanzé n’est pas le frère du gorille”, ce que l’on pourrait traduire par l’amitié entre Blancs et Noirs n’existe pas, d’une part et parce que la France est quand même le pays où fut adoptée le 10 décembre 1948 la Déclaration universelle des droits de l’homme qui reconnaît à toute personne la liberté d’opinion et d’expression (article 19), d’autre part. L’interdiction, qui ne sera levée qu’en 1976, non seulement mettait la France en porte-à-faux avec un texte auquel elle avait librement souscrit mais illustrait le fait que la France continuait de faire la loi dans des pays dont elle était censée être partie en 1960.
Mais qu’est-ce qui était si dérangeant dans l’ouvrage de Mongo Beti pour qu’il fût censuré ? La première chose qu’il importe de savoir, c’est que MBC dévoile ce qui s’est passé avant et pendant le procès politique d’Ernest Ouandié, le dernier leader historique de l’Union des populations du Cameroun (UPC) et de Mgr Albert Ndongmo, évêque de Nkongsamba. On y découvre comment Ahidjo a été imposé par les Français à la tête du Cameroun. On y apprend que des dirigeants de l’opposition sont détenus au secret pendant plus de quatre mois sous de fallacieux chefs d’inculpation, qu’ils sont drogués et torturés. On y voit comment des accusés sont diabolisés et condamnés avant même que leur crime ne soit établi, comment d'éminentes personnalités occidentales se disqualifient en soutenant un dictateur. L’ouvrage parle aussi de l’exécution sur la place publique d’E. Ouandié et de ses compagnons au terme d’une parodie de procès. Tous ces faits conduisent Mongo Beti à soutenir que les indépendances en Afrique francophone sont une vaste tromperie, que Charles de Gaulle a octroyé des indépendances nominales aux Africains parce que son pays avait toujours besoin de leurs matières premières.
Évidemment, Mongo Beti est contre ces pseudo-indépendances. Mais ce qui l’exaspère le plus, c’est le deux poids, deux mesures de la presse occidentale. Il ne comprend pas que cette dernière, si prompte à ruer dans les brancards quand les droits de l’homme sont bafoués en Amérique latine, se taise sur la situation des pays africains, qu’elle ne dise rien sur le procès de Ouandié. Il ne comprend pas non plus que, “quand il s'agit de l'Afrique noire, les clivages gauche/droite, libéraux/conservateurs deviennent brusquement caducs en France pour faire place à un complexe obscur, mélange inquiétant de paternalisme paranoïaque et de sadomasochisme, qui doit servir de fond à tous les crimes passionnels” (Mongo Beti, préface à l'édition de 1977, p. 37).
50 ans après la parution de cet essai qui décrit très bien les mécanismes de maintien de tout un pays sous l’emprise d’un individu, les conditions de vie et de travail des Camerounais se sont-elles améliorées ? Les Africains vivent-ils mieux ? Bref, les maux dénoncés par l’insoumis Mongo Beti ont-ils disparu ? L’honnêteté m’oblige à répondre par la négative. Quand je vois le délabrement de la plupart des pays dits francophones, quand je vois la misère qui clochardise et déshumanise chaque jour des milliers de personnes dans les villes et villages malgré nos nombreuses ressources naturelles, quand je vois la multiplication des bases militaires françaises sur le sol africain, quand je vois le soutien de Paris à certains dictateurs et violeurs de Constitutions, je me dis que MBC reste d’actualité et que la jeunesse africaine gagnerait à lire cet ouvrage majeur de la littérature africaine.
L’Africain qui ose attaquer le néocolonialisme français est vite taxé d’ingratitude et de haine envers la France. Traitera-t-on de la même manière les Français qui ne supportent plus la politique criminelle et prédatrice de leur pays en Afrique et ailleurs ? Le 2 février 2022, à la tribune du Parlement français, Sébastien Nadot déclarait ceci : “La politique extérieure de la France est dans l'égarement. Depuis plusieurs années, partout, notre pays se comporte de manière arrogante et belliqueuse. Du Yémen à l’Éthiopie, de la Birmanie au Sahel, du Haut Karabakh à la Libye, notre pays arme très fréquemment le bras de la mort.”
Les laquais et caniches de la France en Afrique, ceux et celles qui croient que parler et manger avec Macron est un honneur, ceux qui volèrent au secours d’une France en perte de vitesse à Montpellier le 8 octobre 2021, que pensent-ils de ces paroles lucides et véridiques ? Diront-ils que le député toulousain a été acheté par la Russie ou qu'il est manipulé par les Africains ? Parleront-ils, comme Marine Le Pen, Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan, d’une humiliation de la France par le Mali parce que l’ambassadeur français fut sommé de quitter le pays dans les 72 h ? Ceux qui pensent que le Mali a humilié la France en expulsant Joël Meyer rappellent volontiers que 53 Français sont morts dans la lutte contre les jihadistes mais qu’est-ce que 53 soldats à côté des milliers d'Africains morts pour la libération de la France occupée et malmenée par Adolf Hitler ? Et puis, s’ils sont si fâchés, pourquoi ne demandent-ils pas à leur président de fermer toutes les bases militaires françaises en Afrique et de faire rentrer les militaires français chez eux ? En tout cas, l'Afrique ne s'en porterait que mieux et aucun Africain sérieux et digne ne regretterait leur départ.
Je suis certain que Mongo Beti soutiendrait les courageux fils du Mali et qu’il inviterait les autres pays africains à leur emboîter le pas car “la coopération franco-africaine, c’est l’introduction en Afrique de ce que l’on a appelé ailleurs la république bananière”. Constater que l’Afrique ne fut pas décolonisée en 1960 ne signifie pas que Mongo Beti est un afro-pessimiste. Pour lui, toutes les chances du continent noir demeurent intactes. Pour lui, l’Afrique peut rebondir, peut renaître, à condition que les Africains aillent au combat en faisant preuve d’intelligence, de ruse, de détermination et de fermeté comme Assimi Goïta et Choguel Maïga.
Certes, il n’eut pas l’occasion de prendre le maquis, mais il n’en a pas moins combattu la Françafrique en utilisant sa plume. Avec “Main basse sur le Cameroun”, un vrai chef d’œuvre, Mongo Beti peut être considéré comme l’un des combattants de la justice de la première heure. Il aurait pu faire comme Ferdinand Oyono, c’est-à-dire profiter du régime Biya, le soutenir envers et contre tout, mais cet esprit rebelle voyait plus grand que l’ethnie. Il n'y avait ni complaisance ni ambiguïté chez lui dans ce domaine. Il ne s’exprimait pas en tant que béti mais en tant que Camerounais, en tant qu’Africain révolté par la situation d’un continent dominé et exploité par des gens qui peut-être ne sont ni meilleurs ni pires mais qui ne savent pas s’arrêter, pour reprendre une idée de Marcel Amondji, et c’est cette qualité qui me séduit le plus chez lui.
Le continent a été nié dans son humanité. Il a vu des langues, des organisations sociales et des systèmes de valeur lui être imposés, provoquant ainsi une aliénation que des décennies d’indépendance ne parviennent pas à effacer
A Douala, durant l’édition 2022 de la Nuit des idées sur le thème «(Re)construire ensemble», j’ai participé à un échange passionnant avec des intellectuels camerounais sur la réparation du «pagne social», notamment dans une société fragmentée aux prises avec une gouvernance politique compliquée. Si le passé est un puissant levier de compréhension du présent, il convient donc d’y retourner pour appréhender ce qui nous arrive, nous Africains, et qui nous oblige à penser l’à-venir de manière différente.
L’Afrique a bel et bien eu une histoire avant l’esclavage et la colonisation. Elle a porté de grands empires et a été bercée par des modèles et des savoirs endogènes qu’une foisonnante littérature a documentés. Mais l’Afrique, c’est aussi cinq siècles de domination étrangère et de négation de son humanité, qui ont nourri toutes les théories racistes à notre encontre. Inventer un devenir nouveau, dépouillé des pesanteurs de l’histoire, requiert de répondre à la question de comment panser les blessures du passé.
Mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde, disait Camus. Il faut nommer les blessures et les impasses du passé, la souffrance des Africains des siècles durant, qui ont fait face à la traite transatlantique et à la colonisation, crimes contre l’humanité, qui ont hypothéqué notre ascension économique et notre construction en tant que société. Dans son essai Afrotopia (Philippe Rey, 2016), Felwine Sarr assure que «la traite transatlantique et le colonialisme ont été synonymes de ponction de richesses et d’hommes, de déstructuration des sociétés, de distorsions institutionnelles, de viol culturel, d’aliénation et d’inscription des sociétés dominées dans des trajectoires peu vertueuses». Il ajoute qu’ils ont eu un impact négatif sur «le développement et la croissance des nations jadis dominées». Par exemple, selon lui, les Africains disposaient au 16ème siècle d’un avantage démographique sur le reste du monde avec une population estimée à 100 millions, soit 20% de la population mondiale. Le chiffre a ensuite chuté en deux siècles pour se situer à 9% de la population mondiale. Ce choc post-traumatique subi par les Africains, que Felwine Sarr appelle hystérèse, renvoie à la remarque de Césaire sur la violence du fait colonial, qui n’a pas seulement été caractérisée par les morts et les déportations, mais par l’insémination dans le cerveau de générations entières d’une absence d’humanité et de dignité.
Le continent a été nié dans son humanité. Son histoire a été confisquée. Il a vu des langues, des organisations sociales et des systèmes de valeur lui être imposés, provoquant ainsi une aliénation que des décennies d’indépendance ne parviennent pas à effacer. Il demeure dans un état de choc qui provoque une crise de sens s’ajoutant à la gouvernance inefficace des décennies post-indépendance.
Dès lors, comment recouvrer une dignité et rebâtir une souveraineté basée sur nos imaginaires ? La question du politique me semble essentielle. Elle permet d’habiter les lieux du pouvoir afin de transformer la vie des gens, notamment les plus précaires, ceux qui souffrent le plus de la gouvernance des élites corrompues et immorales. Mais ma réflexion, depuis notre ouvrage collectif Politisez-vous ! (United Press, 2017), a évolué. Je pense de plus en plus à l’expression politique par le bas comme outil de transformation du réel. Par la culture et l’éducation populaire, et à travers ce que le philosophe slovène, Slavoj Žižek, appelait la «guérilla patiente», se fraye la possibilité d’avoir un impact sur des générations entières d’Africains que le politique comme appareil du pouvoir et de prise de décision ne touche plus.
L’abandon de l’éducation et de la culture a eu des conséquences terribles sur la marche de nos pays. D’abord au plan économique, car ils sont des secteurs productifs, mais aussi aux plans social et sociétal. Le manque d’accès à la culture et à l’éducation a désorienté des générations entières et a défavorisé la formulation d’un projet commun. L’éducation est le premier levier pour changer le destin d’un pays, car le savoir enrichit et libère de la tentation obscurantiste, dont les manifestations sont devenues quotidiennes. Et la culture, comme le disait Senghor, est le moteur de la civilisation, ce qui doit être au début et à la fin de tout processus de développement. Durant les débats au sein de la Galerie MAM de Douala, j’ai repensé aux hétérotopies foucaldiennes. Cet espace incarne ces lieux autres qui abritent l’utopie, où les codes sont une forme de réinvention du monde. Multiplier ces lieux remplis d’art et de culture peut contribuer à réparer nos âmes, à renforcer l’estime de soi et à proposer en Afrique un tournant civilisationnel qui permet, à travers des imaginaires jusque-là négligés, de repenser la société et de mener la bataille contre le capitalisme et les intégrismes et leur dessein morbide.
PAR BOUBACAR BADJI DE SENEPLUS
MULTIPLE PHOTOS
UN SACRE HAUT EN COULEURS
EXCLUSIF SENEPLUS - Accoutrements loufoques, maquillages du corps entier à l'effigie du Sénégal. Au coeur de la longue procession dans les rues de Dakar avec les Lions champions d'Afrique de retour au bercail - REPORTAGE PHOTOS
Boubacar Badji de SenePlus |
Publication 07/02/2022
Des millions de Sénégalais ont pris d'assaut les rues de la capitale, Dakar et sa banlieue ce lundi 7 février, pour célébrer le triomphe de l'équipe nationale de football à la CAN 2021. Parmi eux, de véritables passionnés des Lions qui ont fait preuve d'imagination débordante pour manifester leur soutien aux nouveaux champions d'Afrique.
SenePlus vous plonge dans cette ferveur populaire grâce à ce reportage photos réalisé par Boubacar Badji.
LE PROJET « SISTERS CREATE » RELÈVE LA CRÉATIVITÉ DES FILLES DE LA BANLIEUE
Partout dans le monde, les possibilités de participation des filles sont limitées en raison des traditions, des structures et des valeurs.
A travers le projet «Sisters create», les jeunes des «zones laissées pour compte» sont organisés et travaillent activement, par le biais de la musique, des médias et des activités culturelles, pour faire progresser l’égalité des chances entre les filles et les garçons. A cet effet, 250 jeunes sénégalais sont activement impliqués pour promouvoir le respect et la réalisation des droits des enfants et l’égalité des droits en faveur des filles.
Partout dans le monde, les possibilités de participation des filles sont limitées en raison des traditions, des structures et des valeurs.
Le projet «Sisters create» a été créé en raison d’une fusion innovante de la lutte internationale de Plan International pour l’égalité des droits des filles et la façon dont Fryshuset travaille à l’autonomisation des filles. Ce projet vise à donner de l’inspiration, de l’espace et des outils aux filles des «zones laissées pour compte» en Suède et au Sénégal, afin de créer un changement durable pour l’égalité et ainsi contribuer à la réalisation de l’ODD-5. «Le projet “Sisters create” met un accent particulier sur les activités de communication des cultures urbaines basées sur une approche centrée sur les droits afin de s’assurer que les messages des filles atteignent un large public.
Le projet interagit avec des artistes établis qui sont des modèles importants avec des personnalités inspirantes. Au moyen de lieux physiques et numériques, un mouvement commun est créé pour que les filles revendiquent leur espace dans la société et façonnent leur propre avenir», lit-on dans un document de Plan International qui nous est parvenu.
A Pikine, une des banlieues de Dakar où se trouve le Studio Timbuktu, initié par l’artiste Jason “Timbuktu” Diakité, en collaboration avec le rappeur sénégalais Matador, les jeunes apprennent à connaître leurs droits et à développer leurs compétences artistiques et techniques en musique, théâtre, arts et médias (radio, télévision et médias sociaux) et ont la possibilité de diffuser leurs messages. Ainsi 250 jeunes sénégalais sont activement impliqués pour promouvoir le respect et la réalisation des droits des enfants et l’égalité des droits des filles.
LEÏLA SLIMANI ET MBOUGAR SARR : LA LITTÉRATURE FRANÇAISE, C'EST EUX
Elle est née au Maroc et lui, au Sénégal. Tous deux lauréats du prix Goncourt, ils abordent dans leurs romans l’héritage colonial et font entendre un discours nuancé sur l’identité. Dialogue au sommet
L'Obs |
Grégoire Leménager et Elisabeth Philippe |
Publication 05/02/2022
Aux oreilles de certains, leurs prénoms ne doivent pas sonner suffisamment « français ». Pourtant, la Franco-Marocaine Leïla Slimani et le Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, héritiers de Camus ou Kundera, incarnent aujourd’hui la littérature française et la font rayonner bien au-delà de frontières étriquées. Tous deux ont reçu, très jeunes, le prix Goncourt. Leïla Slimani, à 35 ans, pour « Chanson douce » en 2016 ; Mohamed Mbougar Sarr, à 31 ans, pour « la Plus secrète mémoire des hommes », en novembre. Si leurs styles sont aux antipodes – épuré pour elle, luxuriant pour lui – ils se rejoignent sur de nombreux thèmes comme l’identité, le métissage et la colonisation.
Ces questions traversent le puissant roman goncourisé de Sarr, dans lequel un jeune écrivain sénégalais part sur les traces d’un auteur culte et disparu, un certain T. C. Elimane, « Rimbaud nègre » acclamé en France dans les années 1930 avant d’être voué aux gémonies. Un personnage en partie inspiré par l’écrivain malien Yambo Ouologuem, prodige d’abord encensé puis accusé de plagiat. Dans cette odyssée follement littéraire qui passe par l’Afrique, l’Europe et l’Amérique latine, qui convoque aussi bien Roberto Bolaño que Witold Gombrowicz, Sarr multiplie les points de vue pour ouvrir la réflexion et les imaginaires. Cette polyphonie, Leïla Slimani la cultive elle aussi dans son nouveau roman, « Regardez-nous danser », deuxième volet parfaitement maîtrisé de sa saga historique « le Pays des autres ».
On y retrouve, comme de vieilles connaissances, la famille d’Amine et Mathilde dans le Maroc postcolonial des années 1960, écartelé entre ses aspirations à la liberté et l’exercice brutal du pouvoir par Hassan II. On croise des hippies, des femmes en bikini, Roland Barthes et un certain Mehdi, qui se rêve écrivain et que tout le monde surnomme Karl Marx. Comme dans ses précédents romans, et à l’instar de Mohamed Mbougar Sarr, Leïla Slimani a l’art de faire passer des idées complexes et nuancées par les corps de ses personnages, les sons, les odeurs, mélange capiteux de haschich, de soleil et de sueur. Il était donc tentant de réunir ces deux romanciers qui ont tant en commun. Ensemble, ils ont parlé du sexe en littérature, de la pensée décoloniale et de leur statut de symboles. Sans tabous.
Vous étiez-vous déjà croisés ?
Leïla Slimani. Je garde un souvenir très précis de la première fois. Mohamed avait dit une phrase très belle, que j’ai souvent réutilisée, pour définir la francophonie : « C’est lire Balzac à Dakar et avoir envie de devenir écrivain ; j’espère que quelqu’un, un jour, dans la Creuse, lira Sony Labou Tansi ou Ahmadou Kourouma et aura envie de devenir écrivain. » Je l’ai tout de suite trouvé très sympathique. En plus, j’avais lu ses livres, « Terre ceinte », « De purs hommes », où beaucoup de choses résonnaient avec mes engagements. Et le Sénégal et le Maroc ont des liens très étroits, notamment au niveau religieux. Dès que j’ai lu « la Plus secrète mémoire des hommes », j’ai envoyé un mot à Mohamed et dit à tout le monde qu’il fallait lire ce roman. J’ai été très heureuse quand il a eu le prix Goncourt.
Mohamed Mbougar Sarr. Par la force des choses, je t’ai connue avant que la réciproque soit vraie, car tu as publié avant moi. Je me rappelle que quand j’ai lu « Dans le jardin de l’ogre », ce qui m’avait frappé, c’était la référence à Kundera, un de nos amours communs. Et j’étais tout intimidé de te rencontrer.
Vous l’êtes encore ?
MMS. Oui. Je suis intimidé par tout le monde. Mais par Leïla, bien sûr. Elle a été un agent officieux pour « La plus secrète mémoire des hommes ». Beaucoup de gens m’ont dit l’avoir lu parce que Leïla Slimani leur en avait parlé. Il faudrait que je songe à la rémunérer.
Peut-on savoir ce qu’elle vous a écrit au sujet de votre livre ?
MMS. Je ne sais plus. Mais c’était très touchant et je serais jaloux que quelqu’un d’autre le voie.
Leïla Slimani, qu’est-ce qui vous a semblé si éblouissant dans « la Plus secrète mémoire des hommes » ?
LS. Bien sûr, il y a la langue, le fait que ce soit très brillant intellectuellement et très drôle, mais ce qui m’a le plus touchée et frappée, c’est le corps. Il y a une sensualité que j’ai très rarement trouvée, à part dans certains romans sud-américains, avec une description des corps, du désir, des scènes de sexe, des personnages féminins qui existent charnellement… Je suis très sensible à un discours extrêmement profond et des idées complexes, mais malgré tout, ce qui vous reste à la fin, c’est une goutte de sueur, la forme des cuisses, le regard que l’on peut porter sur le corps de quelqu’un.
MMS. Je me rappelle très précisément « Dans le jardin de l’ogre ». Ce qui m’avait frappé, c’est de comprendre qu’en nous, c’est le corps qui pense le mieux et le plus profondément. L’esprit est une émanation de la chair, et c’est comme ça que le personnage du roman vit. Après, je n’ai pas de discours théorique élaboré sur la sensualité, mais il me semble que c’est un point d’entrée efficace, la perspective la plus pertinente sur l’humanité. Par la sensualité se révèle toujours quelque chose de plus intime, de plus fort.
LS. Je prends une forme de plaisir à raconter, à rencontrer mes personnages d’abord par leur corps. Quand je pense à eux, je pense toujours à ce qu’ils ressentent physiquement. Est-ce qu’il est gros ou maigre, est-ce qu’il transpire, quelle est son odeur, comment il déglutit ? Parfois, décrire un détail physique en dit beaucoup plus que de longs discours. Et puis je viens d’une culture où le corps est souvent empêché. La culture marocaine ne vous pousse pas au plaisir, on n’y parle pas de sexualité. C’est ce que je voulais montrer dans mon nouveau roman, qui décrit une petite parenthèse hédoniste au Maroc dans laquelle on se baigne, on se dénude, on prend le soleil, on danse.
MMS. Au Sénégal, c’est la même chose, alors que c’est une culture où la sensualité est présente : dans la cuisine, la danse et surtout dans la langue. C’est très présent dans les métaphores en wolof, qui sont même souvent très sexuelles. Mais ce n’est admis que là. C’est peut-être cette langue qui est présente lorsque j’écris, comme une sous-langue, une langue cachée, une langue secrète, qui irradie aussi. Mais il y a quelque chose d’empêché, de réprimé.
DECES DE ABDOUL AZIZ GUISSE, DIRECTEUR DU PATRIMOINE CULTUREL
Historien de formation, Abdoul Aziz Guissé est directeur du Patrimoine culturel au Sénégal depuis 2015. Parmi ses derniers grands chantiers, le dossier du classement du Cebbu jen au Patrimoine mondial de l’Unesco.
Le monde de la culture du Sénégal est en deuil, avec la disparition hier du directeur du Patrimoine culturel du ministère de la Culture et de la communication, Abdoul Aziz Guis¬sé, qui sera inhumé aujourd’hui à Bambilor.
Historien de formation, Abdoul Aziz Guissé est directeur du Patrimoine culturel au Sénégal depuis 2015. Parmi ses derniers grands chantiers, le dossier du classement du Cebbu jen au Patrimoine mondial de l’Unesco. L’acceptation de ce dossier et le classement du plat national sénégalais ont été une grande satisfaction pour le pays.
Auparavant, M. Guissé avait participé à l’équipe chargée de piloter l’inscription du Kankurang (2006 -2008) et du Xooy (2013) sur la liste du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Coordonnateur du projet d’inventaire des musiques traditionnelles au Nord et au Sud du Sénégal entre 2013 et 2015, il fut également formateur national et superviseur du projet d’inventaire du Patrimoine culturel immatériel (Pci) au Sénégal, entre 2016 et 2019. Ce projet a permis d’inscrire 59 nouvelles expressions culturelles.
Le répertoire de ce patrimoine a d’ailleurs été publié au mois de juin dernier, sous la forme d’un petit ouvrage répertoriant et expliquant l’ensemble des expressions culturelles que chacune des 14 régions du Sénégal a pu définir.
DAKAR A L’HONNEUR AU FESTIVAL MOUSSEM CITIES
La capitale du Sénégal est à l’honneur au Festival Moussem cities, prévu du 3 au 27 février 2022. La créativité artistique du Sénégal sera exposée à cette occasion dans différents lieux à Bruxelles (Belgique), dans le cadre de ce festival.
La capitale du Sénégal est à l’honneur au Festival Moussem cities, prévu du 3 au 27 février 2022. La créativité artistique du Sénégal sera exposée à cette occasion dans différents lieux à Bruxelles (Belgique), dans le cadre de ce festival.
Le cinéma, la danse, les arts plastiques, la littérature, etc., sont les disciplines artistiques au programme. Ainsi, de grands artistes et créateurs sénégalais se produiront dans la capitale belge. Parmi eux, le plasticien Soly Cissé, le chanteur Wasis Diop, la chorégraphe Germaine Acogny, etc.
Egalement, plusieurs films sénégalais seront projetés, allant de l’ancienne génération à la plus récente. La Noire de de Sembène Ousmane (1966) ; Deweneti de Dyana Gaye (2006) ; Atlantiques de Maty Diop (2009) sont, entre autres, retenus dans la programmation cinématographique.
Pour le volet littéraire, Moussem cities propose, en raison des restrictions liées à la crise sanitaire, plusieurs podcasts et vidéos d’écrivains, de slameurs et d’universitaires, réalisés à Dakar par le journaliste et critique d’art, Oumar Sall.
«Moussem cities est une plateforme pour artistes qui s’articule autour de thèmes universels, met en lumière le contexte artistique local et favorise l’échange avec Bruxelles», explique-t-on dans un communiqué.
«Avec le festival multidisciplinaire Moussem cities, nous orientons, conjointement à nos partenaires bruxellois, notre regard sur une Métropole à l’histoire culturelle riche et variée, qui joue un rôle essentiel par son dynamisme artistique», indique la même source. Les villes d’Alger, de Damas, Casablanca, Beyrouth étaient à l’honneur lors des éditions précédentes.
AVEC LES AQUATIQUES : OSVALDE LEWAT REMPORTE LE GRAND PRIX PANAFRICAIN DE LITTERATURE
C’est à la galerie Françoise Livinec, dans un quartier cossu de Paris, que l’on retrouve Osvalde Lewat.
Dans ce premier roman d’émancipation, la documentariste et photographe s’attaque aux conventions sociales. Le prix, nouvellement créé par la présidence congolaise de l’Union africaine et doté de 30 000 dollars, lui sera remis au mois de février à Addis-Abeba, lors du prochain sommet des chefs d’Etat de l’Ua. Peu avant cette consécration, Ja rencontrait l’autrice.
C’est à la galerie Françoise Livinec, dans un quartier cossu de Paris, que l’on retrouve Osvalde Lewat. Réalisatrice de dizaines de documentaires et photographe, elle y expose Lumières africaines, extrait de la série Couleurs nuits, d’abord montrée dans les rues de Kinshasa en 2014. C’est par les arts visuels qu’elle commence à se raconter : «Je consacre du temps aux personnes que je filme et photographie, pour aller au-delà de la rencontre fortuite. L’idée est de décentrer le regard, de ramener la marge au centre ou de modifier l’idée qu’on se fait de la marge.» Si elle a l’allure d’une Parisienne chic, il serait bien indélicat de figer l’autrice de 45 ans dans la capitale française. Membre du jury documentaire au Fespaco, elle revient de Ouagadougou et sera dans quelques jours en Afrique du Sud pour un tournage sur «les soldats qui ont rejoint la branche armée de l’Anc», un film qui «est aussi un documentaire sur Mandela chef de guerre». Dans la lignée de son premier court métrage, filmé à 23 ans auprès d’Amérindiens marginalisés de Toronto, le travail de réalisation de Osvalde Lewat a toujours été animé par des enjeux sociaux et le désir de «donner un coup de pied dans la fourmilière».
Homophobie familiale
Née à Garoua dans une famille bamiléké, Osvalde Lewat étudie le journalisme à Yaoundé avant d’intégrer Sciences Po Paris et de faire une étape au Canada. Elle tourne, entre autres, Au-delà de la Peine et Les Disparus de Douala au Cameroun, visite à plusieurs reprises, la Guinée Equatoriale et le Gabon, vit huit ans à Kinshasa, aux Comores, et aujourd’hui entre Paris et le Burkina, où son mari est un haut diplomate français. Des expériences qui nourrissent l’imaginaire du Zambuena, où évoluent les personnages de son premier roman Les Aqua¬tiques. «Je voulais construire un pays avec des réalités communes : l’homophobie, le poids du groupe sur l’individu, les injonctions faites aux femmes, le bal des apparences.» Avec une question en forme de fil rouge : à quel moment se hisse-t-on à hauteur de soi-même ? «Le personnage de Katmé m’a été inspiré par des femmes que j’ai vu mourir à elles-mêmes pour être conforme aux attentes.» Que va donc faire Katmé, épouse d’un notable ambitieux, quand son ami artiste, Sami, est emprisonné en raison de son orientation sexuelle ? «J’ai grandi dans un contexte homophobe où la condamnation familiale qui arrive avant celle de l’Etat signe votre mort.»
Aux critiques qui lui disent que Les Aquatiques est un «roman pour Blancs» qui épouse une vision occidentale de l’identité sexuelle, elle rétorque : «C’est de l’ignorance. Dans l’Afrique d’avant la colonisation, il y avait des rapports entre personnes de même sexe, encadrés par la communauté.» L’intrigue se tisse autour de cet opprobre qui frappe Sami et de sa relation amicale avec Katmé. «L’ex¬pression de l’amour ne passe pas forcément par les schémas de la famille et du couple. Des amitiés fortes m’ont construite et sauvée.»
Immobilisation forcée
Enfant modèle, Osvalde Lewat se décrit aujourd’hui comme «un ovni familial». A la vingtaine, alors qu’une place l’attend auprès d’un père chef d’entreprise, et d’un clan où «être se mesure à ce que l’on a», elle choisit les arts avant d’avoir construit une famille «traditionnelle» dans une société où «si vous n’êtes pas marié et sans enfants, vous êtes disqualifié». On entend, derrière l’attachement familial, les difficultés : «Quand on vient de monde où le poids du groupe pèse autant, dire “non”, c’est choisir un chemin de solitude.» Avant de glisser, pudiquement, en riant : «Aujourd’hui, ça va, je suis mariée.» La figure maternelle, «très littéraire», est pour elle source d’inspiration. Dans Les Aquatiques, les personnages féminins sont particulièrement travaillés avec Keuna, la galeriste mère-célibataire, et Sen¬nke, la petite sœur religieuse.
«Il n’y a pas de bonne manière d’être, la seule qui compte c’est d’être soi. Comme pour mon accident, la vie parfois vous oblige à vous déterminer», affirme Osvalde Lewat. C’est ainsi que la primo-romancière introduit l’élément déclencheur de son passage à l’écriture : une cheville cassée et une immobilisation forcée d’un an. Encouragée par des amis, comme Atiq Rahimi, celle qui, petite, voulait être écrivaine (et psychothérapeute), et avait à l’adolescence rédigé «un mauvais roman», se lance à 39 ans.
«J’étais acceptée comme documentariste, photographe. Remettre cela en question, avoir quatorze refus d’éditeur, c’était difficile. Mais quand j’écris, je sais que c’est là où je dois être», confie-t-elle. Grande lectrice, elle confie son admiration pour Doris Lessing et «son ton affranchi et culotté» qui «a libéré mon écriture». « Les écrivains juifs américains ont aussi beaucoup compté, comme Saul Bellow. Et je reste impressionnée par la modernité de la langue de Chinua Achebe et Ahmadou Kourou¬ma», poursuit-elle. C’est sur les terres ivoiriennes de ce dernier, grâce aux éditions Nimba, que Les Aquati¬ques sera disponible, en no¬vembre, pour une diffusion en Afrique.