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5 décembre 2024
Culture
UNE ENCLAVE WOLOF EN PAYS TOUCOULEUR
C’est l’histoire d’une frange de la population du Jolof qui a décidé de fuir les atrocités de la guerre dans le royaume éponyme. Celle-ci plie bagages et avoirs pour prendre la destination du Fuuta. Découverte d’une minorité qui vit bien son intégration
Elhadji Ibrahima Thiam et Oumar Ba, Pape Seydi |
Publication 26/09/2020
C’est l’histoire d’une frange de la population du Jolof qui a décidé de fuir les atrocités de la guerre dans le royaume éponyme. Celle-ci plie bagages et avoirs pour prendre la destination du Fuuta. Aujourd’hui, pas moins de huit villages sont majoritairement habités par des Wolofs en pays Toucouleur. Seddo Sebbé est de ce lot. Maniant les deux langues avec la même aisance, ces Jolof-Jolofs se revendiquent Foutanké. Découverte d’une minorité qui vit bien son intégration dans le Fuuta.
«Ma mère est Pulaar, mon père est Wolof. Ne me demandez surtout pas de quelle ethnie je me réclame. Je suis le mélange des deux», lance, avec un large sourire, Aissata Diop, en Pulaar. La dame dégage une mine enthousiaste. En ce début de matinée, munie de son râteau, elle rejoint le jardin communautaire situé juste à l’entrée du village. S’étendant sur deux hectares, l’aménagement maraîcher grouille de monde, majoritairement des femmes. Dans un admirable consensus, sur fond d’ambiance détendue, on jardine. La haute température n’altère nullement la bonne humeur et l’esprit d’initiative. Des rires fusent de partout. Les échanges sont teintés de courtoisie. On alterne entre la langue wolof et la langue pulaar. Indifféremment. Et tout le monde se comprend. Il en est ainsi à Seddo Sebbé, un des huit villages du Fuuta habités, en majorité, par des populations Wolof. Dans ce milieu pularophone, ils ont gardé intactes leur langue et leur culture, tout en s’appropriant celles de leur terroir d’accueil. Une belle prouesse dans une contrée réputée pour son homogénéité linguistique et culturelle.
Seddo Sebbe, c’est l’histoire d’une communauté wolof qui a fui les guerres au Jolof pour trouver de la quiétude, un peu plus au nord, en pays toucouleur, selon Baba Ndom, un des grands notables du village. Ce qui laisse penser que la présence de ces Wolofs à Seddo Sebbé n’est pas le résultat du peuplement résiduel de la Moyenne vallée lorsque les Wolofs cohabitaient avec les Peuls, Mandingues, Maures, Sérères, Soninkés et Toucouleurs avant de se déplacer vers le centre et relativement vers l’ouest. Les patronymes les plus courants témoignent de cette origine Jolof-Jolof des habitants de Seddo Sebbé. Ici, les noms résonnent : Ndiaye, Mangane, Thiam, Cissé, Sébor, Kobor, Guèye, Sarr, Ladjiane, Diop, Ndom…Dans cette localité du Fuuta ressort un exemple type d’intégration de minorités parmi les plus réussies.
Seddo Sebbé est situé du côté du Diéry, dans la commune de Nabadji, département de Matam. Il est relié à la Route nationalen°2, juste après les localités de Boynadji et de Bokissaboudou, par une piste latéritique longue de trois kilomètres. «Nos ancêtres ont quitté le Jolof pour rejoindre le Fuuta, il y a longtemps. Il est difficile de dater notre présence ici, mais toujours est-il que même nos arrières grands-parents sont nés ici. Quand nos aïeuls sont arrivés, ils ont été bien accueillis par les autochtones. En guise de bienvenue, ces derniers ont mis à leur disposition des terres pour leur habitation etleurs activités champêtres. Nous n’avons plus jamais quitté les lieux», confie Amath Ndiaye, trouvé dans le jardin communautaire. Sadio, Dodji, Yang-Yang, Barkédji, c’est par vagues successives que les premiers habitants Wolofs de Seddo Sebbé sont arrivés, ajoute-t-il. Baba Ndom confirme cette version. «La guerre faisait rage au Jolof avec son lot de morts. Certains survivants ont donc décidé de trouver refuge dans un endroit paisible. A l’époque, c’est le Fuuta qui offrait ce havre de paix», ajoute-t-il.
Un bel exemple d’intégration
Au tout début, les Wolofs s’étaient repliés sur eux-mêmes. Un réflexe commun à toutes les communautés minoritaires lorsqu’elles arrivent quelque part. Même s’ils ont toujours entretenu d’excellentes relations avec les Toucouleurs, toutefois, les deux communautés ne se mariaient pas entre elles, souligne Baba Ndom. Aujourd’hui, cette époque est révolue. Toucouleurs et Wolofs s’unissent pour le pire et le meilleur dans les liens du mariage et les enfants issus de ces unions se réclament des deux communautés. Le couple Thiam en est la parfaite illustration. Le mari, Alassane, est wolof, son épouse Fatou Ndiaye est pulaar. Les deux conjoints savourent leur bonheur depuis plusieurs années déjà.
Mais d’où vient l’appellation «Seddo Sebbe»? Selon Baba Ndom,«Seddo» signifie en Pulaar «arrivant» et «Sebbé» veut dire «Wolof». C’est sans doute pour faire la différence avec l’autre «Seddo» voisine, «Seddo Abass» où la population est à dominante Toucouleur pour ne pas dire exclusivement, que le substantif «Sebbé» y a été ajouté. Il n’empêche, il est quasi impossible de déterminer la ligne de démarcation entre ces deux villages. Les maisons s’entremêlent. La seule façon de les distinguer, c’est l’emplacement des mosquées.
Outre Seddo Sebbé, d’autres villages du Fuuta sont habités, en majorité, par des Wolofs. Et tous sont venus dans les mêmes conditions que ceux de Seddo Sebbé. Il y a Taiba, Thiel Padé, Saréliou, Thiarène, Diengue, Mogo, Deuk bou reuy (appelé aussi Saré Mawndé), Lougué Wolof.
Le premier point de chute des populations Wolof de Seddo Sebbé serait «Saradi», localité située près d’un grand cours d’eau. «Les Wolofs ne savaient pas nager et ils dénombraient souvent des cas de noyades. C’est ainsi qu’ils ont décidé de quitter la rive. Etant plus aptes aux activités de la chasse, ils ont préféré se rapprocher de la forêt, tout en cherchant un endroit où l’eau serait à leur portée. Dans leur pérégrination, ils ont atterri à Seddo», informe Ndom.
Foutankés authentiques et à part entière, les Seddonabé n’en renient pas pour autant leur origine. Les Ndom, par exemple, viennent de Sadio, les Cobor de Yang-Yang, les Thiéléne de Warkhokh, souligne-t-il. Dans la pratique des rites culturels, s’opère un brassage entre pratiques wolof et pulaar. Une approche du «donner et du recevoir, synthèse de deux cultures fortement ancrées dans les habitudes».
Par ailleurs, l’attache avec les parents du Jolof est rompue. «Il est, cependant, courant de rencontrer des Ndom ;à force d’échange, nous parvenons à rétablir les liens de parenté. Avec l’avènement des réseaux sociaux, les jeunes ont créé des groupes d’échange. Cette initiative a permis de renouer avec des Ndom de Touba, Mbour, Thiès et partout ailleurs», souligne le patriarche. Cette double culture, les habitants de Seddo Sebbé l’assument avec fierté. «Je suis Wolof, certes, mais je me sens 100 % Fuutanké», dit Baba Ndom.
La contrée compte une forte communauté d’émigrés repartis dans différents pays d’Afrique, d’Europe et des Etats-Unis. Cette diaspora seddoise, bien organisée, contribue largement au développement de la localité à travers la construction d’infrastructures sociales de base. «Le collège, le lycée, le dispensaire ont été financés grâce à l’argent de nos émigrés», informe Ndom.
SIDIKI DIABATÉ, LE PRINCE DE LA KORA DÉCHU
Accusé de «violences physiques» sur son ex-petite amie, le célèbre artiste de l’Afropop fait la Une de la presse people au Mali et à l’international. L’affaire qui a pris racine sur les réseaux sociaux est désormais entre les mains de la justice malienne
Sputnik France |
Idelette Bissuu |
Publication 25/09/2020
Accusé de «violences physiques» sur son ex-petite amie, le célèbre artiste malien de l’Afropop Sidiki Diabaté fait la Une de la presse people au Mali et à l’international. L’affaire qui a pris racine sur les réseaux sociaux est désormais entre les mains de la justice malienne et impacte déjà la carrière du «Prince de la Kora».
Au Mali, le célèbre musicien Sidiki Diabaté, petit-fils du «roi de la Kora» (instrument à corde), a été placé sous mandat de dépôt le 24 septembre. Un rebondissement dans l’affaire qui l’oppose à une ancienne petite amie, Mariam Sow, une influenceuse de 23 ans. Les charges retenues contre la star africaine font cas de «coups et blessures volontaires, séquestration, attentat à la pudeur et la violence corporelle». Ébruité par les réseaux sociaux à travers des images montrant le corps tuméfié de la victime présumée, les publications sont en quelques jours devenus virales.
À 28 ans, Sidiki Diabaté, spécialisé dans le genre musical Afropop, est depuis 2010 l’un des artistes les plus populaires de sa génération en Afrique de l’Ouest. Dans cette partie du continent, il appartient à la 72e génération des musiciens et conteurs gardiens de cette tradition qui se transmet de père en fils.
Mais cette affaire commence à avoir des répercussions sur sa notoriété. «L’enfant béni», comme il l’a lui-même chanté, est désormais «boycotté sur la Toile» par des fans. L’internationalisation de cette affaire contribue davantage à «isoler» l’artiste désormais entre les mains de la justice.
Lorsque les images choquantes des parties corporelles de la supposée victime de «violences» perpétrées par l’artiste arrivent sur le Net, des hashtags naissent, comme #ShameonSidiki, #JeSuisMamasita ou #BoycottSidikiDiabaté, sans oublier des groupes créés en soutien à la jeune femme.
Des organisations de défense des violences basées sur le genre et des associations caritatives à l’instar de Solidaris 223 et One Stop Center se sont saisies de la situation de la jeune femme. La victime présumée a bénéficié de conseils, d’une orientation procédurale, d’un suivi psychologique et sanitaire desdites structures.
«Nous avons accompagné la victime à son audition pour le dépôt de la plainte. Nous l’avons orienté au One Stop Center, un centre spécialisé pour les cas de violences basées sur le genre pour la prise en charge psychologique», précise Balla Mariko de Solidaris 223 à Sputnik.
Selon Diawara Bintou Coulibaly, présidente national de l’Association pour le progrès de la défense des droits des femmes (APDF), la réglementation sur les violences physiques existe au Mali, mais le retard réside dans «l’application» de cette dernière. L’association accompagne et oriente les victimes dans les procédures administratives. Pour l’activiste Coumba Bah, des avancées considérables sont faites depuis quelques années «sur les violences basées sur le genre» car la débat est désormais posé sur la place publique.
EXPERIENCES DE VIE : VERS UNE AUBE NOUVELLE, D'AÏDA DIOP
À travers un journal intime, Aïda Diop fait le récit de vingt ans de vie d’une sénégalaise de Dakar. Un exercice de style captivant qui permet de balayer du regard l’évolution de la société dakaroise depuis le milieu des années 1990
À travers un journal intime, Aïda Diop fait le récit de vingt ans de vie d’une sénégalaise de Dakar. Un exercice de style captivant qui permet de balayer du regard l’évolution de la société dakaroise depuis le milieu des années 1990.
Il n’est pas simple de tracer sa voie, de l’emprunter et d’y rester fidèle tout au long de sa vie en l’adaptant en permanence aux aléas et aux événements. Pas simple de vivre en adéquation avec son moi profond, la culture de son lieu de vie et le quotidien d’une vie affective, familiale et professionnelle. Aida diop s’y essaie et nous relate ses questionnements, ses doutes et ses convictions.
Pour ce faire elle suit une méthode originale qui consiste à relire le journal intime de dada, dakaroise née en 1977, commencé en 1996 et à le commenter au fur et à mesure des idées, des pensées et des vécus avec le regard qu’elle y porte aujourd’hui. Elle met en exergue les questions récurrentes de ses confessions à son journal en tentant d’en analyser les tenants et aboutissants sur la durée de son vécu. La démarche est intéressante et captivante pour le lecteur qui suit les notes de la jeune fille de 19 ans – parfois naïves dans leur relation, ses compréhensions des événements, de ses chagrins, de ses déceptions et de ses joies -, qui revient aussi sur ses années de petite fille dans sa famille, revisitées avec le regard et le pouvoir d’analyse résultant de sa vie de femme dans la quarantaine, de mère et d’épouse.
Femme, croyante et belle, elle trébuche sans cesse sur le comportement des autres et le regard qu’ils lui portent. Celui des hommes certes et leur concupiscence éventuelle en contradiction selon elle avec la bienséance sociale habituelle et sénégalaise en particulier, mais également ceux des femmes, leurs jalousies à son égard et leurs trahisons à de rares exceptions près. Elle porte un regard acéré sur les relations sociales et les sociabilités de sa société, la société dakaroise des vingt dernières années.
Une société en pleins changements, religieux, économiques et comportementaux, où la femme continue d’avoir un rôle précis à jouer, un rang à tenir – ce que dada tente d’assumer avec franchise et conviction. Ce faisant elle se heurte à son désir d’authenticité, se mettant à dos, parfois, collègues, amis/es, écartelée entre sa fidélité aux normes sociales – religieuses et familiales –, des valeurs auxquelles elle adhère et croit et ses désirs, ses rêves, la perception qu’elle a de sa propre réalisation en tant que femme, qu’elle perçoit comme une course d’obstacles permanente, se sentant ainsi souvent seule et incomprise. Elle vit sa confrontation à la polygamie de son mari, comme une trahison certes mais aussi comme une souffrance devant tant d’incompréhension à son égard, d’autant plus qu’elle l’aime et qu’il ne lui est pas possible – religieusement, socialement mais aussi par conviction – de ne pas accepter cette situation. se considérant comme le pôle fixe de sa famille devenue instable par la dispersion du père, elle, femme active professionnellement, décide de se rendre disponible en tant que mère pour mieux accompagner ses enfants – et ceux de la famille élargie – en les préparant à cette société en mutation, ce qui passe selon elle, obligatoirement par la connaissance, c’est-à-dire la réussite à l’école.
Avec ce livre, une analyse de sa propre évolution, Aida diop nous présente un travail sur elle-même qui lui procure une maturité lui permettant d’accepter la situation sans devenir aigrie mais la libère également, lui promettant une « aube nouvelle », celle d’une femme en accord avec elle-même. Elle enrichit le Sénégal d’un récit intime sur la pensée, le ressenti, le vécu, l’éducation des femmes rares à côté d’Une si longue lettre de Mariama Ba.
Ce faisant, elle met également à jour les contradictions de sa société entre ses valeurs et les comportements des individus pris dans le tourbillon de la mondialisation et ainsi dans différentes grilles de lecture de valeurs se complétant parfois, s’opposant souvent. Elle livre aux lecteurs une véritable étude sociologique de sa société, du statut et du rôle de la femme – petite fille puis jeune fille et femme adulte – en son sein. Elle relativise ainsi les discours du féminisme blanc en posant implicitement la question cruciale de l’universalité des valeurs féministes et rejoint les discours du féminisme africain ou plus généralement des différentes expériences à la source des féminismes. En tout cas, son livre est un plaidoyer pour la Femme sénégalaise bien qu’en le lisant, on soit tenté de se poser la question comme dada elle-même le fait (p. 161), par le biais de Sembene Ousmane, « Pourquoi acceptons-nous d’être le jouet des hommes ? ».
Africulture
VIDEO
ELAN DE SOLIDARITE POUR HAJOOJ KUKA
Une vague de solidarité est lancée dans les milieux cinéphiles pour la libération des artistes en prison au Soudan
Hajooj Kuka, réalisateur membre de l’académie des Oscars, ainsi que quatre autres artistes, est en prison au Soudan, au motif selon lui d’avoir monté une pièce de théâtre à laquelle participent des femmes... Une mixité qui dérange les intégristes religieux. Une vague de solidarité est lancée dans les milieux cinéphiles pour la libération de ces artistes.
Nous abordons aussi la souffrance des jeunes face au Covid-19. Un peu partout dans le monde, la "génération C", comme on appelle ceux qui grandissent avec le coronavirus, voient leurs années de jeunesse perturbées par la pandémie.
De son côté, le réalisateur et comédien Nicolas Bedos publie sur Instagram une tribune contre le port du masque et créé la polémique.
DIMAT, LE VERROU CONTRE LA PÉNÉTRATION FRANÇAISE AU FUUTA
Pendant près de 50 ans, cette localité nichée dans la province du Dimar, contiguë au Toro, entre le fleuve Sénégal et le marigot Ngalenka, a constitué un obstacle aux velléités françaises de pénétration des territoires de l’ancien Tekrur
Elhadji Ibrahima Thiam et Oumar Ba, Pape Seydi |
Publication 24/09/2020
Entre le 18ème et le 19ème siècle, si le Fuuta était une porte, Dimat en serait certainement le verrou. Pendant près de 50 ans, cette petite localité nichée dans la province du Dimar, contiguë au Toro, entre le fleuve Sénégal et le marigot Ngalenka, a constitué un obstacle aux velléités françaises de pénétration des territoires de l’ancien Tekrur. Les colons n’ont réalisé leur dessein que trois ans après la mort de celui qui symbolisait cette résistance, le patriarche Elimane Boubacar, en 1854.
Lorsqu’Amadou Makhtar Kane évoque l’histoire de Dimat, l’auditoire est tout ouïe. Il n’a même pas besoin de jeter un coup d’œil sur les papiers qu’il tient entre les mains. Les mots qui sortent de la bouche de ce presque septuagénaire sont d’une limpidité et d’une cohérence dignes d’un agrégé en Histoire. Si tant est que seuls les bancs de l’école garantissent cette dignité. Ici à Dimat, on ne le pense pas. «Amadou Makhtar, c’est notre historien. Personne ne maîtrise mieux que lui l’histoire de cette contrée. On n’ajoute et on ne soustrait rien à ce qu’il dit», souligne l’imam Amadou Sy Baidy que nous retrouverons plus tard à Dimat Walo.
On est le 14 septembre 2020. Après un long périple qui a commencé à Dakar aux premières heures de l’aurore, on arrive enfin, vers 15h, à Dimat que certains appellent «Porte du Fuuta» située à une dizaine de km de Fanaye. «Porte du Fuuta», cette appellation n’est pas usurpée. C’est à la fois une réalité historique et géographique. Mais aussi symbolique. En ce lendemain de pluie, la localité croule sous une chaleur moite. Les rues sont presque désertes comme si le soleil avait étouffé les allers et venues des habitants. Les rares personnes dehors sont cantonnées sous quelques arbres ombrageux qui bordent la Route nationale 2 (Rn2).
Derrière cette tranquillité apparente de Dimat, se cache une histoire au rythme de la lutte contre la pénétration française dans le Fuuta. Un récit peu connu du grand public mais que les Dimatois aiment à ressasser comme pour lutter contre l’oubli mémoriel. «Nous avons mis en place des commissions qui travaillent à la revivification de l’histoire de Dimat et de la province du Dimar en général», glisse Mamadou Kane, un des descendants d’Elimane Boubacar, le grand patriarche qui fut un rempart contre la présence française dans la Moyenne vallée pendant une cinquantaine d’années. «C’est après son décès, en1851, que les Français ont pu mettre un pieds dans le Fuuta. Sous son règne, les Français étaient cantonnés sur l’Île de Saint-Louis et dans le Walo. Elimane Boubacar, c’était une forte personnalité, très respectée et dont l’influence avait donné à Dimat une certaine autonome vis-à-vis du reste du Fuuta bien qu’il n’était pas Almamy», souligne le Pr Mamadou Youry Sall, enseignant à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis et grand spécialiste du Fuuta.
Quelques vestiges rappellent ce passé. Ces reliques se trouvent à Dimat Walo, de l’autre côté du marigot Ngalenka. En effet, «Dimat est subdivisé en deux parties : Dimat Diéry, d’installation récente et qui se trouve sur la route nationale, et Dimat Walo, notre village originel», précise Alioune Kane, le chef de village.
Pour aller donc à Dimat Walo, il faut traverser le marigot Ngalenka à bord d’une embarcation bien particulière : une traille se déplaçant grâce à des câbles tendus d’une rive à l’autre et à la force du courant. Ensuite, pénétrer les terres de décrue du fleuve Sénégal, trois kilomètres plus loin. Apparaissent alors, au milieu de ce relief plat et herbacé, deux minarets. Comme un peu partout au Fuuta, la mosquée est le premier édifice qu’on aperçoit à l’entrée d’une localité. Dimat Walo ne déroge pas à cette réalité.
Le lieu de culte se trouve au milieu du village aux habitats typiquement traditionnels où le pisé domine le ciment. A côté de la mosquée, l’endroit où a eu lieu la veillée spirituelle entre Elimane Boubacar, Tafsir Diabir Diallo et Elhadji Oumar Tall a été transformé en mausolée. L’endroit est voilé du sceau du sacré car considéré comme étant le point de départ de l’épopée omarienne. Explications : «avant de s’engager dans le djihad, Elhadji Oumar Tall est venu recueillir l’avis d’Elimane Boubacar et de Tafsir Diabir Diallo. Les trois hommes se sont enfermés dans ce local pendant des jours. C’est au sortir de cette retraite spirituelle qu’Elhadji Oumar a obtenu la bénédiction de faire le djihad. Elimane Boubacar lui a donné un de ses fils, Souleymane Boubacar, qui deviendra un de ses principaux lieutenants, du lot de ceux qu’on appelait ‘’afo diiné’’ qui veut dire ‘’aîné en la religion’’ », explique Amadou Makhtar Kane.
Mais, Elimane Boubacar, c’était aussi ce côté politique qu’il assumait. D’ailleurs, le Pr Mamadou Youry Sall le qualifie «d’érudit doublé de fin politicien», en référence à son opposition aux ambitions colonialistes des Français.
Au cimetière du village, le tombeau d’Elimane Boubacar se dresse au milieu des sépultures, entouré par quatre murets peints à la chaux. L’épitaphe accrochée à l’entrée met en exergue la longévité de l’homme : «1721-1851». Cent trente ans sur terre, un modèle de longévité. Et comme un symbole, derrière sa tombe, un canon profondément enfoui sous terre et dont n’apparaît que la gueule. «Il y en a d’autres mais ils sont ensevelis», précise Oumar Gaye, la trentaine, reconnu également comme un fin connaisseur de l’histoire de Dimat aux côtés d’Amadou Makhtar Kane.
Cette artillerie lourde est le témoin de la bataille du 6 mai 1854 entre l’armée de Dimat et les forces coloniales conduites par le gouverneur Auguste-Léopold Protêt et le capitaine de génie Louis Faidherbe. Cet épisode est connu sous le vocable de «Prise de Dial Matche». «Dial Matche» était l’autre nom de Dimat.
Ce jour-là, la muraille d’un mètre de large et de 4,5 mètres de haut qui entourait le village, par ailleurs capitale de la province du Dimar, n’a pas pu résister à la puissance de feu des Français décidés à en finir avec Dimat qui, pendant longtemps, les a empêchés de dérouler leur agenda au Fuuta et limité leurs actions au Sénégal. Les colons français étaient d’autant plus déterminés que celui qui leur tenait tête depuis une cinquantaine d’année, Elimane Boubacar, n’était plus de ce monde. «Les Français voulaient aller s’installer à Podor par le fleuve. Cependant, ils devaient forcément passer par Dimat. Ils ont demandé aux gens de Dimat de rester neutres, ces derniers ont refusé et ont attaqué leur flotte. Dimat a fait prisonniers quatre soldats noirs de l’armée française qui avaient déserté et, en plus, a capturé l’enseigne de vaisseaux Lebrun. Très courroucée par cet acte de défiance, l’armée coloniale française, sur le chemin du retour après l’expédition de Podor, attaqua Dimat», indique Oumar Gaye. Selon Amadou Makhtar Kane, Faidherbe aurait écrit dans son rapport ces mots : «pendant 45 ans, Elimane Boubacar et Dimat nous ont empêché de prendre le Fuuta». D’après l’ancien conservateur du Fort de Podor, Abdourahmane Niang, le contingent français arrivé à Dimat comptabilisait 250 hommes. «Beaucoup d’entre eux ont péri. Après la bataille, il n’en restait que 75», dit-il.
Preuve que la prise de Dimat a été considérée par la France comme une grande victoire, 11 parmi les soldats qui avaient pris part à cette expédition ont été décorés, d’après Amadou Makhtar Kane. Il rappelle que le premier «accrochage» entre les soldats français et l’armée de Dimat a eu lieu le 22 juillet 1804 à Fanaye situé à 9 km de là. Vingt ans plus tard, une grande coalition mise en place par Elimane Boubacar et composée du chef du Walo, Yerim Fatim Mbodj, de l’émir du Trarza, Mohamed El Habib, et de l’almamy du Fuuta, Ibra Jaatara Agn, s’opposera aux Français.
Lorsque Dimat a été vaincu, c’est le fils d’Elimane Boubacar qui tenait les rênes du pouvoir. Il s’appelait Elimane Seydou. Malgré cette défaite, son autorité était restée intacte. Les Français ont tenté d’en faire leur pion, il a refusé. Il est capturé, déporté et mis en résidence surveillée à Saint-Louis. Une autre version dit qu’en 1858, Faidherbe et Elimane Abdoul Boly ont signé un traité de protectorat, ce qui met la province du Dimar sous protectorat français détaché du Fuuta. Dimat aura connu trois déportations : celle d’Elimane Seydou à Saint-Louis, celle d’Elimane Mamadou Dada au Gabon et qui reviendra des années plus tard auréolé du titre d’officier de l’armée française, et celle d’Elimane Demba en Casamance.
LAMINE SENGHOR, LA VOIX DE L'ANTICOLONIALISME
Ancien tirailleur sénégalais devenu l'un des poumons du mouvement anticolonialiste, il contribua grandement à la prise de conscience du monde noir
Ancien tirailleur sénégalais devenu l'un des poumons du mouvement anticolonialiste, Lamine Senghor contribua grandement à la prise de conscience du monde noir.
«SERERES NOONS» OU LA SPIRITUALITÉ ANCESTRALE
Le peuple «Noon», localisé dans la ville de Thiès et ses villages environnants, est réparti dans trois zones géographiques où ses occupants portent les noms de leurs zones d’habitation.
Cheikh Camara, correspondant permanent à Thiès |
Publication 23/09/2020
Les «Noons», toujours fidèles à la spiritualité ancestrale, croient à l’immortalité de l’âme et à l’incarnation. ils rendent hommage aux ancêtres par des prières mais aussi par des sacrifices, chants, festivités, etc. chez eux, l’homme ne meurt pas définitivement, il regagne l’autre monde avec ses biens. Ce départ doit être fêté par des chants et des danses. Ils vénèrent les morts et cherchent à gagner leur sympathie. Les sérères, l’une des plus anciennes populations du Sénégal, partis des régions de la vallée du Nil, Egypte-Nubie, sont passés par le Gaabu, prononcé aussi Kaabu, et se sont arrêtés au niveau de la vallée du fleuve Sénégal, région qui allait devenir le Tékrour.
Le peuple «Noon», localisé dans la ville de Thiès et ses villages environnants, est réparti dans trois zones géographiques où ses occupants portent les noms de leurs zones d’habitation. Les « Noon » vivant dans la zone « Saawi » au nord de la ville de Thiès sur la route de Saint-Louis sont appelés « Saawi Noons ». Ils habitent dans les localités de Diassap, Keur Ndiokoune, Laalane, Thiaoune Diora, Thiaoune Louwa, Ndiobène, Thiafathie, Koudiadiène, Lamlam et Diassa.
Dans la zone de Fandène, appelée « Pade » en « Noon », située à l’Est de la ville de Thiès, vivent les « Pade-Poons ». ils sont répartis dans les localités de Keur ndiour, Keur Daouda, Keur Lika, Kioba, Kiniabal, Mbayène, Fouthie, Diayane sérère, Ndiamdioro. Les « Noons », qui vivent dans la commune de Thiès appelée « Caañak » en « Noon », sont les « Canginnoons ». On les retrouve dans les localités de Nguenth, Pognène, Grand Thialy, Petit Thialy, Thionah Sérère, Thiapong Sérère, Thiès-none, Wango, Dioung, Silmang, Ndoufak, Ngoumsane, Peykouk Sérère et Leloh.
Mêmes traditions et pratiques culturelles et rituelles
D’aprèsl a tradition orale, la communauté « Noon », communément appelée « sérère noon », qui occupe la région de Thiès, appartient à la grande famille sérère constituée entre autres des sérères de Sine qui occupent les régions de Fatick et Kaolack, des sérères du Baol qui occupent la région de Diourbel et des sérères de Joal qui habitent au Sud de la région de Thiès. Bien que leurs langues soient différentes, les sérères dans leur ensemble constituaient une seule communauté. ils ont conservé jusqu’à ce jour les mêmes traditions et pratiques culturelles et rituelles.
Dans l’histoire de la grande famille sérère, beaucoup de phénomènes d’exode se sont produits à plusieurs reprises dont certains sont attestés dans la tradition orale et d’autres dans des textes écrits. Les sérères constituent l’une des plus anciennes populations du Sénégal. Partis des régions de la vallée du nil, Égypte-nubie, ils sont passés par le Gaabu, prononcé aussi Kaabu, et se sont arrêtés au niveau de la vallée du fleuve Sénégal, région qui allait devenir le Tékrour. Les sérères ont vécu dans l’ancien Etat du Tékrour jusqu’au 6ème siècle. Le roi de cet Etat s’appelait War Diaby ndiaye. ils sont restés dans le Tékrour jusqu’à l’arrivée des maures almoravides qui ont collaboré avec le roi et l’ont converti à l’islam. Le roi imposa la religion islamique à toute la population. Les sérères ont résisté à l’islamisation, refusant de renier les croyances de leurs Ancêtres. Celles-ci, rythmées par des libations et autres sacrifices. ils recherchèrent ainsi une région plus stable où ils pouvaient vivre en paix et garder leur unité sociale.
Très conservateurs et poussés par le désir ardent de garder leur indépendance d’esprit, ils sont partis sur les chemins de l’exode. Cette unité qui jusque-là était jalousement conservée est « en train d’éclater », selon des sources proches du peuple « Noon ». Le départ des sérères de la vallée du fleuve s’est organisé d’une manière progressive et désorganisée. Les liens de parenté ont été un des principaux critères de regroupement. Ce groupe ethnique, parti du Tékrour, avait une langue commune. Cependant, au cours des migrations, une langue commune était difficile à sauvegarder. C’est ainsi que différentes langues ont dû se développer, mais la population sérère a gardé les mêmes pratiques traditionnelles et rituelles.
L’appellation «Noon», un terme wolof qui signifie ennemi en français
Les sérères occupent presque toutes les régions du Sénégal comme l’attestent les noms de localités d’origine sérère. Dans la région de Dakar, on retrouve des localités comme Diamniadio, Tengej, Diokoul. Au nord du Sénégal, dans la région du fleuve et au Fouta-Toro, on retrouve la localité de Diassap. Dans le Sud du Sénégal, on trouve des localités comme Sindian. Les villages autour de Brin en Casamance portent le nom de Founoun. On retrouve encore, dans la région de Thiès, des localités habitées par des sérères « Noons », qui portent ces noms. Il s’agit de Sindian, Diokoul, Diasap et Founoun. Aujourd’hui, les sérères sont nombreux dans quatre régions du Sénégal : Thiès, Diourbel Fatick et Kaolack. Au 18ème siècle, les sérères qui sont installés dans la région de Thiès ont créé un Etat sérère appelé le pays « Saafi ».
Cet Etat sérère était aussi appelé le pays « Noon » qui est différent de l’actuelle communauté « noon ». Le terme « Noon » désignait l’ensemble des sérères vivant dans la région de Thiès. Selon la tradition orale, l’appellation « Noon » date du 19ème siècle. C’est un terme wolof quisignifie ennemi en français. Les sérères Noon combattaient les Blancs et leurs alliés Wolofssous l’autorité de pinet-Laprade, gouverneur de l’AOF (1860), contre l’occupation du pays Saafi. Les Wolofs les considéraient comme leurs ennemis et les appelaient « noon ».
Pinet-Laprade (1860) aussi, présentait les « Noons » comme des « hommes farouches, cruels envers les étrangers ». Fait de massifs de montagnes et de forêts, le pays Saafi était pratiquement inviolable. Bien qu’ils aient été en sous nombre par rapport aux autres groupes ethniques, ils avaient assuré leur défense face à l’ennemi. ils se sont toujours isolés des autres ethnies du Sénégal et ont aussi su se maintenir hors de tout brassage culturel et ethnique. Ce qui leur a permis de conserver une certaine authenticité dans leur culture. D’aucuns soutiennent que seul le groupe Saafi a préservé le caractère primitif de ses cultures et traditions, comparé aux autres ethnies de la grande famille sérère. Le pays Saafi comprenait 6 provinces. La province « cangin », qui est actuellement la ville de Thiès, comptait 20 villages. Sa capitale était Caañak. La province Fandène comptait 10 villages (de Diassap à Diassa). Sa capitale était Kusuut. La province Saafi ou Saawi comptait 11 villages. Sa capitale était Lamlam. La province Laalaa ou Lehar comptait 17 villages. Sa capitale était Kiwi. La province de Siili ou ndut comptait 18 villages. Sa capitale était Tiwil Tangor. La province Saafène comptait 65 villages, c’est la plus grande province. Sa capitale était Diass.
Grande Province. Sa capitale était Diass. Le pays Saafi, un groupe constitué des peuples Noon, Lehar, Ndut, Palor et Saafène
Au pays Saafi, il n’y avait pas de roi mais plutôt un chef dans chaque province, appelé « Ha’ kul » (Chef de province). Le chef de province Cangin s’appelait Amary Sangane Faye, celui de Fandène : Kaagne Diawal Tine, celui de Saafi : Malick Tine, celui de Lehar : Cadout Tine, celui Saafène : Loumboub Dione et enfin celui de Siili, Niawar Ciss. Les chefs de provinces du pays Saafi ont existé jusqu’au 19ème siècle. ils dirigeaient de fortes armées pour combattre l’esclavage et l’invasion coloniale. ils prélevaient aussi un impôt aux populations qui traversaient leur territoire sur les productions agricoles et le commerce. Au niveau des villages, il y avait des chefs de village qui s’appelaient Lamane et dans les concessions, des chefs de concession ou de carré qui s’appelaient Ha’ kaan. Aujourd’hui, le pays Saafi n’existe plus comme un Etat, mais demeure un groupe danslequel on retrouve les peuples Noon, Lehar, ndut, palor et Saafène.
Les provinces du pays Saafis ont devenues des communautés autonomes, chacune d’elles a développé sa propre langue mais les traditions et pratiques rituelles restent les mêmes. Selon les Sages du peuple Sérère noon, « Ce que l’on désigne actuellement comme ethnie ‘’Noon’’ correspond aux provinces Cangin, Fandène et Saawi. La communauté « Noon » se distingue par son originalité par rapport aux autres ethnies sénégalaises. Leurs plus grandes manifestations culturelles demeurent le « Mbilim », un festival de chants et danses, la circoncision, les funérailles et la cérémonie collective de divination appelée ‘’payaa’’ qui regroupe les grands maîtres devins de la communauté ‘’Noon’’ ».
L’homme ne meurt pas définitivement
Toujours fidèles à la spiritualité ancestrale, chez les « Noons », l’âme des Ancêtres sanctifiés reste en interaction avec les vivants depuis leurs demeures divines. ils rendent hommage aux Ancêtres par des prières mais aussi par des sacrifices, chants, festivités, etc. Chez les « Noons », l’homme ne meurt pas définitivement, il regagne l’autre monde avec ses biens. Ce départ doit être fêté par des chants et des danses. ils vénèrent les morts et cherchent à gagner leur sympathie. A l’approche de la saison des pluies, les devins organisent une séance de divination collective afin d’assurer une bonne pluie et une récolte abondante. Le mariage se contractait entre eux, rares étaient les mariages interethniques. Les « noons » considèrent la parenté maternelle comme la plus importante, la parenté paternelle est une simple parenté à laquelle ne sont rattachées que des obligations secondaires ou morales.
A en croire les sages de la grande famille « noon », « aujourd’hui, l’expansion de l’islam et la modernisation ont fait disparaitre beaucoup de ces pratiques ». Les « Noons » croient à l’immortalité de l’âme et à l’incarnation. Ils vénèrent les morts et font des offrandes au pied des arbres. Aujourd’hui, la religion dominante chez eux est le christianisme (98%). Une petite minorité s’est convertie à l’islam. Ces convertis sont d’ailleurs assez souvent soit déshérités, soit exclus de la communauté. Malgré leur conversion à l’islam et au christianisme, les « Noon » restent toujours fidèles aux esprits des Ancêtres et aux pratiques rituelles.
LA POLÉMIQUE ENFLE AUTOUR DU FILM "MIGNONNES"
Le long-métrage de la franco-sénégalaise Maïmouna Doucouré qui dénonce l’hypersexualisation des petites filles est au centre d’une violente controverse. Ses détracteurs, qui se radicalisent, l’accusent de « pornographie » et d’« islamophobie »
Jeune Afrique |
Léo Pajon |
Publication 19/09/2020
Sur change.org, une plateforme permettant de lancer des pétitions en ligne, plus de 733 000 personnes ont déjà signé. Leur objectif : retirer le film Mignonnes de Netflix, et poursuivre en justice la réalisatrice, l’équipe du film, les parents des actrices, ainsi que le géant du site de streaming pour avoir diffusé du contenu « inapproprié » impliquant des mineurs.
« Film pédo-pornographique », « dégueulasse », « encourageant la pédophilie »… les commentaires accompagnant la pétition sont particulièrement violents. Des comptes Facebook d’homonymes de la réalisatrice fleurissent d’insultes en anglais : « Prostituée ! (…) Tu vas allez en enfer ! » Plus grave encore, selon nos sources, la réalisatrice et ses jeunes actrices auraient subi des menaces personnelles depuis plusieurs semaines.
Hypersexualisation
En Turquie, le film jugé « islamophobe et pédophile » a été purement et simplement interdit de diffusion. En cause, des images et un sujet jugés tendancieux. L’histoire de Mignonnes est celle d’une fillette de 11 ans qui se lance dans le twerk pour intégrer un groupe de danse dans son collège.
Maïmouna Doucouré expliquait lors de l’avant-première de son long métrage, mi-août, vouloir « dénoncer à travers (son) œuvre l’hypersexualisation des petites filles. » Des spectateurs s’étaient déjà sentis gênés, car le film montre ce qu’il dénonce : des gamines dans des poses lascives. Mais aucun ne remettait en cause les intentions de la cinéaste, ou ne percevait une dimension érotique dans le film qui a reçu en janvier le prix de la meilleure réalisation au Festival de Sundance.
Alors qu’en France la sortie de Mignonnes n’a pas vraiment fait de vagues, une communication particulièrement maladroite de Netflix a mis le feu aux poudres sur les réseaux sociaux fin août. Pour présenter le film rebaptisé Cuties, la plateforme avait utilisé une image racoleuse et écrit un résumé évoquant une petite fille qui « décide d’explorer sa féminité en défiant les traditions familiales. »
Pro-Trump et afroféministes
La polémique est aujourd’hui récupérée politiquement Outre-Atlantique par les ultraconservateurs proches de Donald Trump… La manipulation est d’autant plus profitable que Netflix, qui diffuse les documentaires du couple Obama, est perçu comme pro-Démocrates.
ROYAUME DU NIANI, SYMBOLE DU REFUS DE LA CONVERGENCE ETHNIQUE
Une simple évocation de son nom suffit pour plonger plus d’un dans les annales de l’histoire du Sénégal. Cette localité, connue pour être une zone de refus, fut également un point de convergence d’une foultitude d’ethnies venues de plusieurs régions
Royaume du Niani ! Une simple évocation de ce nom suffit pour plonger plus d’un dans les annales de l’histoire du Sénégal. Cette localité, connue pour être une zone de refus, fut également un point de convergence d’une foultitude d’ethnies venues de plusieurs régions du Sénégal et de pays limitrophes.
Chantée par des musiciens traditionnalistes sénégalais de renom avant d’être reprise par la jeune génération, l’histoire de Niani continue de défier le temps plus de deux siècles après. Niani «Royaume insoumis», Niani «Terre d’accueil». Ces attributs renseignent à suffisance sur le caractère historique de cette localité qui fait partie des rares endroits n’ayant pas connu de domination coloniale. Derrière cette victoire, se cache une autre histoire qui reste une marque de fabrique pour le Niani. Il s’agit de la convergence ethnique notée dans cette localité où beaucoup de communautés se sont implantées progressivement au fil du temps.
André Sarr est historien et géographe de formation. Il assure les fonctions de proviseur du Lycée Bouna Sémou Niang de Koumpentoum. Président de la commission scientifique du Festival Pencum Niani, M. Sarr fait partie des auteurs qui ont retracé l’histoire de Niani dans les volumes publiés dans le cadre du projet de réécriture de l’Histoire générale du Sénégal (Hgs). D’après lui, le peuplement de Niani est très ancien. En illustre l’existence de vestiges comme les mégalithes de Thiékène ou de Douba qui datent de la protohistoire.
Dans l’article qu’il a rédigé avec Abdoulaye Camara, ancien directeur général de l’Ecole nationale d’administration (Ena), André Sarr soutient que les Mandingues du Niani viennent de l’empire Mandé. En effet, les deux auteurs expliquent qu’au XIIIe siècle, le Mandé était secoué par des crises, suite à la révolution menée par Soundiata Keita qui vainquit le roi de Sosso Soumangrou Kanté, à la bataille de Kirina, en 1235. Ces crises avaient été à l’origine de vastes mouvements migratoires. Toutefois, deux sources différentes renseignent sur l’itinéraire des Mandingues du Niani. La première, explique-t-il, avance que les Mandingues seraient passés par Tambacounda, puis par Koumpentoum où il y avait eu d’autres vagues migratoires. Certaines étaient parties à Kaataba et à Kouokoto (vers le fleuve Gambie), tandis que d’autres s’établissaient à Koungheul (…).
Des Mandingues originaires de Mandé
Une deuxième source enseigne que les Mandinguess du Niani, en majorité les Camara, seraient venus de l’empire Mandé, plus précisément du village de Niani qui se situe en République de Guinée, près de la frontière avec le Mali. Leur émigration était intervenue suite à un mouvement de désobéissance. Au XIVe siècle, ils quittèrent le Mandé et s’installèrent au Gaabu. Ensuite, ils traversèrent le fleuve Gambie, s’établirent successivement à Kouo, Koumbidian et Koungheul, avant que les deux frères, Kansia et Mansaly, les ancêtres des Camara du Niani, ne se séparèrent à Koungheul. L’un des frères, Kansia, fut le fondateur de Koumpentoum. S’agissant du nom, André Sarr indique que le choix n’était pas fortuit parce que les Mandingues auraient conservé le nom de leur localité d’origine.
Outre les Mandingues, d’autres communautés ont élu domicile à Niani qui a fini par devenir un véritable lieu d’attraction. Il a enregistré l’arrivée des Peuls en provenance du Boundou. «Il y a une relation historique entre ces deux communautés, qui ont cohabité de manière fraternelle. Même si certaines sources soutiennent qu’elles sont venues ensemble. Quoi qu’il en soit, Niani était devenu un terroir d’accueil», souligne l’historien. Il relève également la présence de Peuls dans le Niani, qui sont venus du Macina. Il s’agit, précise-t-il, des compagnons de Koli Tenguéla Ba qui instaura la dynastie animiste des Dénianké au Fouta (XVIe–XVIIe siècle). A ces deux ethnies, s’ajoutèrent d’autres venues du Ndoucoumane (les familles Ndao, Kobor…de Kouthia Gaidy), du Fouta (les familles Sall, Ndome de Malème Niani) et du Jolof qui s’établissent dans le Niani Kalounkadougou. Les chercheurs du «Pencum Niani» notent aussi la présence, certes récente, des Koniaguis, des Bassaris et des Sérères dans le Niani. Les activités du train qui ont commencé dans les années 1920 ont aussi contribué au peuplement avec l’arrivée des Bambaras. Au fil du temps, Niani est devenu un creuset culturel. Aujourd’hui, on dénombre une douzaine d’ethnies : Mandingues, Peuls, Wolofs, Sérères, Bambaras, Laobés, Konianguis, Dialonkés, Peuls Fouta, Maures et Diakhankés.
SÉRIE TÉLÉVISÉE, DU TOP AU FLOP DES SAISONS
En un temps, elles ont conquis les écrans à la place des télénovelas. Plébiscitées par le public, les séries sénégalaises battent des records d’audience. Leur secret ? Des intrigues typiquement locales qui nous ressemblent
Les séries sénégalaises ont fini par battre un record d’audience dans le paysage audiovisuel. D’ici et d’ailleurs ! Toutefois, l’absence d’un objectif précis, l’arrivée des partenaires, le changement de réalisateurs, d’acteurs ou encore de scénaristes, entre autres, font basculer le jeu. Résultats : les scénaristes finissent par perdre leur fil conducteur
En un temps, elles ont conquis les écrans à la place des télénovelas. Plébiscitées par le public, les séries sénégalaises battent des records d’audience. Leur secret ? Des intrigues typiquement locales qui nous ressemblent. On y parle d’amour, de problèmes de caste, de trahison, de violences conjugales etc. Leur décor ? Dakar et ses environs. On y retrouve nos cadres de vie. Du coup, l’effervescence est devenue réelle dans la création audiovisuelle avec des téléfilms à n’en plus finir. Sauf que parfois, le scénario perd son fil conducteur. Des premières saisons qui séduisent le public avec des intrigues inédites, on passe à des dernières saisons avec des histoires qui nous brouillent les cartes. «Déjà pour faire une série, il faut une bible qui permet de déterminer les saisons, préparer tous les dossiers nécessaires à savoir les saisons 1, 2 etc. ; mais assez souvent, le travail préalable ne se fait pas alors que c’est le fondement», explique le réalisateur Pape Bolé Thiaw. Selon lui, tout doit être clair dans la tête des producteurs ou réalisateurs dès le début. Sur ce, l’expert audiovisuel et spécialiste des industries culturelles embouche la même trompette. Dans les séries sénégalaises, les créateurs prennent beaucoup plus de temps pour sortir la saison une et souvent les séries ne sont écrites que pour une seule saison», soutient Thierno Diagne Ba. «Quand il y’a eu succès par exemple de la première saison avec le public qui s’accroche et l’arrivée des partenaires qui permettent d’avoir de l’argent et qui cherchent de la visibilité, on peut se dire je ne dois pas rater ce business et là, on commence à travailler sur le scénario. On continue et cela montre qu’on n’avait pas la bible», regrette Pape Bolé Thiaw qui a travaillé dans beaucoup de séries.
LES PARTENAIRES BASCULENT LE JEU
Poursuivant son propos, celui que l’on surnomme le « Baye Fall du cinéma sénégalais » pour son film sur le mouvement « Baye Fall » ajoute : « si on commence à étayer le scénario, ça pose problème parce que l’idée n’est plus mûrie et souvent aussi à la fin de la saison, le temps nécessaire n’est pas pris pour reconstruire la saison suivante alors que le niveau doit augmenter malheureusement, il y’a toujours le côté business qui, finalement, impacte sur la qualité de la production dans l’ensemble». De là, les partenaires qui viennent peuvent parfois «dénaturer la série alors qu’ils doivent adhérer sur ton fil conducteur». Conséquence : le producteur n’est plus indépendant dans son travail. «Quand tu étais indépendant, tu avais mûri ta réflexion mais quand il y’a d’autres regards qui s’ajoutent dans ton scénario, il n’y a plus d’indépendance alors que l’artiste doit avoir la liberté de s’exprimer», dira Pape Bolé Thiaw. Là aussi, les avis sont les mêmes. «La série se renouvelle sans un vrai projet artistique puisque l’audience et le commercial marchent», souligne Thierno Diagne Ba.
«C’EST LE NOM DE LA SERIE QUI RESTE MAIS LE CONTENU VA CHANGER»
Le fait d’étayer les séries n’est pas, en effet, sans impact sur la qualité de la production. On aura noté un « relâchement » ou bien encore un « épuisement des thèmes». «Il y’aura ainsi une contraste entre les saisons alors que ça doit être une continuité et si tu ne fais pas attention, c’est le nom de la série qui reste mais le contenu va changer et à cet instant, tu ne vas plus être dans une série mais un feuilleton», estime Pape Bolé Thiaw.
Pour Thierno Diagne Ba, le basculement dans les séries peut aussi être causé par le «changement» de réalisateur, de scénaristes ou de quelques acteurs. «Et cela peut impacter sur la qualité d’une saison à l’autre. Il faut aussi noter que le marketing et la communication sont plus denses au niveau de la première saison», dira l’expert audiovisuel et spécialiste des industries culturelles. Pour Pape Bolé Thiaw, le manque d’indépendance dans la production peut être comblé par l’augmentation des subventions. «Si on avait assez de subventions pour que qu’on soit indépendant dans la partie production, on pourra maitriser ce que tu fais», laisse entendre le réalisateur