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24 avril 2025
Développement
UN MAL À JUGULER
L’enseignant-chercheur-sociologue Abdoulaye Ngom, le psychologue-sociologue Abdoulaye Cissé, l’économiste Meissa Babou Ciss et l’activiste Guy Marius Sagna analysent la situation délicate de la jeunesse a Sénégal
L’enseignant-chercheur-sociologue de l’université Assane Seck de Ziguinchor, Dr Abdoulaye Ngom, le psychologue-sociologue Abdoulaye Cissé, l’économiste Meissa Babou Ciss et l’activiste Guy Marius Sagna analysent la situation délicate à laquelle la jeunesse est confrontée. Ils donnent leurs avis, entre autres, sur l’efficacité des politiques mises en place par l'État pour régler les problèmes des jeunes, l’attitude agressive de ces derniers et leur engagement politique.
‘’Frappés de plein fouet par la persistance du chômage, les difficultés de la vie quotidienne, la pauvreté et l’échec de toute perspective d’amélioration de leur quotidien, nombreux sont les jeunes Sénégalais qui, à l’heure actuelle, éprouvent un sentiment de désespoir, "yaakaar bu tass", comme ils le disent’’, analyse l’enseignant-chercheur-sociologue, Dr Abdoulaye Ngom de l’université Assane Seck de Ziguinchor. Ce "sentiment de désespoir" chez les jeunes s'exprime, le plus souvent, au sein d'un lieu qu’ils nomment avec ironie "banc diaxlé". Le "banc diaxlé", ou ‘’banc du désespoir’’, note M. Ngom, est un lieu de retrouvailles entre jeunes pour passer du temps, boire du thé et discuter de sujets comme la lutte, le football, la politique ou les affres de leur vie.
Ainsi, ‘’le ‘banc du désespoir’ constitue, pour ces jeunes, une sorte d’exutoire qui leur permet de mettre à nu les divers problèmes auxquels ils sont confrontés et auxquels ils tentent de faire face quotidiennement’’, dit-il. La jeunesse, il faut oser le dire, est confrontée au chômage, à la pauvreté et au manque de perspective.
Aux yeux du psychologue-sociologue Abdoulaye Cissé, par ailleurs expert en prévention et lutte contre les violences sexuelles et basées sur le genre, cette situation est à la fois inquiétante et terrifiante, parce que la jeunesse, qu’on le veuille ou pas, est l’avenir de la nation.
Des mécanismes d’insertion des jeunes dévoyés
Pourtant, divers mécanismes d’insertion ont été mis en place par l’État, dans le but de lutter contre le chômage des jeunes. Cependant, note Abdoulaye Cissé, la plupart de ces mécanismes ne profitent pas, malheureusement, à sa cible originelle, à moins qu’elle ne soit politiquement engagée, notamment dans les partis de la mouvance présidentielle. ‘’Voilà ce qui fragilise tous les mécanismes de financement et affaiblit la plupart des initiatives intentées par l'État, dans le cadre de la lutte contre le chômage. Ils sont destinés initialement à toute la jeunesse, mais dans la pratique, ils ne profitent généralement qu’aux jeunes qui sont dans les partis au pouvoir’’.
En tout cas, c'est le sentiment qu’ont la plupart des jeunes qui déposent leurs dossiers auprès des structures chargées de rendre opérationnelles ces initiatives de l’État, si l’on s’en tient notamment à leurs propos. D’après M. Cissé, c’est justement ce que montre un travail de recherche fondamentale en cours sur les politiques d’insertion des jeunes et des femmes au Sénégal. ‘’Cette perception qu’ont les jeunes sur l’accès aux mécanismes de financement de l’État crée effectivement des frustrations et pousse certains d’entre eux à s’engager en politique, dans l’espoir d’avoir la possibilité d’accéder enfin à ces mécanismes’’, dit-il.
S’y ajoute l’inadéquation qu’il y a entre les politiques publiques établies jusque-là et les aspirations essentielles de la population, en termes notamment d’emploi et d’insertion professionnelle, et cela, depuis 1960. Pour Abdoulaye Cissé, ‘’le PSE, en tant que document de référence des politiques publiques, ne déroge pas non plus à la règle, malheureusement. Last but not least, il importe de convenir qu’il n’y a pas encore une véritable politique de jeunesse au Sénégal apte à créer les conditions nécessaires, en vue de favoriser l’entrepreneuriat et l’auto-emploi ou à créer les conditions y afférentes. Il n’y a que des mesures conjoncturelles de mitigation, voire d’atténuation’’.
Énormité des moyens et insuffisance des résultats
Même son de cloche chez l’économiste Meissa Babou. Pour lui, malgré la promesse de nombreux emplois, il n’y a rien. Il ne voit pas quelque chose de solide fait pour les jeunes. ‘’Je ne vois plus le Fonds national de promotion de la jeunesse (FNPJ). Les structures peuvent donner des chiffres chimériques, mais sur le terrain, on ne voit rien. Il est difficile de voir quelqu’un qui a bénéficié de ces financements, à part quelques groupements de femmes’’, dit-il. Il y a aussi les structures de formation que l’État a mis en place pour capaciter les jeunes. L’économiste constate l’énormité des moyens et l’insuffisance des résultats.
‘’Ils ont mis beaucoup d’argent, mais ça n’a pas porté ses fruits. Ce n’est pas la voie économique et sociale capable d’engranger du travail. Ils sont très pressés jusqu’à créer la Der, sans réfléchir sur les stratégies. Le gouvernement, après avoir englouti autant d'argent, n'ose pas faire le bilan’’, regrette-t-il.
De son côté, l’activiste Guy Marius Sagna est catégorique : sans souveraineté, point de développement possible. Sans patriotisme économique, point de résolution du chômage. ‘’Avec le libre-échange, il n’y a pas de sortie de la pauvreté pour le Sénégal et l'Afrique. Si ces préalables ne sont pas réglés, toute initiative entrepreneuriale débouchera vers la faillite, comme c'est le cas des 64 % de PME qui meurent trois ans après leur création au Sénégal, car elles sont nées dans un environnement qui déroule le tapis du Doing Business aux entreprises étrangères qui écrasent nos entreprises sur leur passage’’, prévient-il. ‘’L'entrepreneuriat n'est efficace dans la lutte contre le chômage que si nous tournons résolument le dos à la préférence étrangère, impérialiste, néocoloniale’’, insiste-t-il.
En effet, selon lui, la jeunesse sénégalaise, tout comme celle de l’Afrique, subit les conséquences d'une ‘’politique néocoloniale’’ qui imposerait aux jeunes de choisir entre ‘’la valise ou le voyage et le chômage au Sénégal ; entre la radicalisation terroriste et la pirogue de ‘Barça ou de Barsax’ ; entre être le ‘boy’ d'un des ministres ou directeur d'agence de Macky ou être un agresseur ou un oublié de l'État néocolonial, etc.’’.
Attitudes agressives des jeunes
Un certain nombre d’attitudes agressives des jeunes peut être inextricablement lié à la dure situation qu’ils vivent au jour le jour, selon le Dr Abdoulaye Ngom. Situation caractérisée par l’absence de toute perspective de réussite et d’amélioration de leurs conditions de vie. ‘’Lorsque, pendant plusieurs années, ils peinent à sortir d’une pauvreté ambiante et chronique, lorsque, pour certains, les revenus qu’ils ont ne leur permettent pas de faire face aux nombreux problèmes auxquels ils sont confrontés, certains jeunes peuvent être amenés à avoir des attitudes agressives’’, a dit l’enseignant-chercheur-sociologue.
Abondant dans le même sens, le psychologue-sociologue Abdoulaye Cissé souligne qu’en psychologie, toute accumulation de frustration est susceptible de déboucher sur des actes de violence. Cela dit, ‘’le contexte décrit plus haut ne peut pas ne pas avoir une répercussion sur les actes de violence notés ces temps-ci, d’autant plus qu’ils impliquent très souvent des jeunes en quête d’emploi ou engagés dans des emplois précaires. Cependant, c’est seulement un paramètre parmi une kyrielle de facteurs. La jeunesse, par essence, est contestataire, notamment quand l’avenir se révèle sombre et perpétuellement incertain pour sa frange la plus importante. Le ‘Barça ou Barsax’ n'était pas, en son temps, un simple slogan de désespoir, mais aussi, un cri du cœur qui en disait long sur l’absence de perspective des jeunes dans leur propre pays’’, a-t-il analysé.
Aujourd’hui, selon lui, c’est d’autres moyens qui sont utilisés, même si absolument rien ne peut justifier le recours à la violence. D’après le psychologue-sociologue, l’attitude agressive de la population, et pas seulement de la jeunesse, découle plus de l’intolérance qui est aujourd’hui à son paroxysme dans toutes les sphères, du fait de nombreux autres facteurs pas nécessairement liés à la situation incriminée. Un point de vue partagé par l’économiste Meissa Babou.
Jeunesse manipulée par les politiques ?
‘’Il est clair que certains partis politiques, mais pas tous, fort heureusement, exploitent les jeunes pour atteindre leurs objectifs. Ce constat est un secret de polichinelle, du fait que le monde politique sénégalais est composé d’hommes politiques véreux assoiffés de pouvoir, mus par leurs propres intérêts, qui utilisent certains jeunes dans le cadre de leurs combats politiques’’, a noté le Dr Abdoulaye Ngom.
La jeunesse sénégalaise, en tout cas, à une profonde soif de changement à plusieurs niveaux et tout leader qui incarne l’espoir peut effectivement cristalliser leur attention, d’après Abdoulaye Cissé. Ainsi, à ses yeux, ceux qui, en revanche, veulent coûte que coûte y arriver peuvent - parce qu’ils pensent qu’ils ne disposent plus d’aucune issue - donner l’impression qu’ils sont manipulés, alors que ce n’est véritablement pas le cas. ‘’Ils trouvent leur compte auprès de ces politiciens et jouent finalement la carte du donnant-donnant. Cela dit, la jeunesse peut donner l’impression d’être exploitée par certaines formations politiques, alors que tel n’est absolument pas le cas. Ils s’engagent de part et d’autre, soit par conviction et l’espérance d’un avenir meilleur, soit par opportunisme et calculs purement politiciens’’, a indiqué M. Cissé.
En tout cas, pour Guy Marius Sagna, il existe une autre forme de radicalisation qui serait salutaire. Il s’agit de la radicalisation ‘’anti-impérialiste, antinéocoloniale, la radicalisation de la révolution panafricaine et souveraine’’. C'est à cette révolution anti-impérialiste, populaire et panafricaine que ces camarades et lui invitent dans le cadre du Frapp. Car, pour eux, c’est la seule démarche qui peut, de manière durable, régler les problèmes des Sénégalais et donc de la jeunesse africaine du Sénégal.
‘’J'ai foi en l'avenir, quand je vois de plus en plus de jeunes et de non jeunes répondre à l'appel de la radicalisation révolutionnaire, patriotique, en s'engageant dans les mouvements citoyens anti-impérialistes, en lançant des initiatives dans différents secteurs de la transformation des produits locaux, des services, de l'agriculture, du commerce... qui matérialisent sur le terrain le slogan du Frapp : ‘Doomi réew mooy tabax réew’’, a salué M. Sagna.
UN PAYS EN STAND-BY
En raison des calculs politiciens, le président de la République laisse le pays sans gouvernement et sans Premier ministre depuis le Conseil des ministres du 3 août dernier, au lendemain des législatives du 31 juillet 2022
En raison des calculs politiciens, le président de la République laisse le pays sans gouvernement et sans Premier ministre depuis le Conseil des ministres du 3 août dernier, au lendemain des législatives du 31 juillet 2022. Les ‘’ministres de la transition’’ qui devaient gérer les affaires courantes semblent plus préoccupés par leur propre sort.
Voilà presque un mois que le Sénégal est suspendu à la formation d’un nouveau gouvernement. Annoncé depuis le premier Conseil des ministres après les élections législatives, le remaniement tant attendu tarde encore à voir le jour. Et c’est devenu un secret de Polichinelle : l’Administration est presque à l’arrêt dans beaucoup de départements ministériels. Interpellé, ce cadre dans un ministère de la place confirme : ‘’C'est une réalité bien perceptible. Pratiquement, il n'y a plus d'activités dans les ministères, le mien y compris. Certains ministres ne viennent même plus au bureau. Ils sont aux abonnés absents.’’
Pour s’en convaincre, fait remarquer le fonctionnaire, il suffit de regarder les grandes éditions de la Radiodiffusion télévision sénégalaise (RTS1). ‘’Certains, dit-il, essayent de sauver la face en faisant des sorties intempestives face à certaines urgences, mais la réalité est que personne ne travaille. Presque dans tous les ministères, ce sont les secrétaires généraux qui expédient les affaires courantes. Certains départements ministériels n'ont même plus de cabinet. C’est un vrai parfum de vacance gouvernementale.’’
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le constat sur les ministres introuvables en ces temps incertains est presque unanime. Par exemple, alors que les consommateurs sénégalais sont accablés depuis quelque temps par la vie chère, la ministre du Commerce, Assome Diatta, se fait désirer. En lieu et place, c’est le secrétaire général dudit ministère et quelques directeurs qui montent au créneau pour jouer les premiers rôles. Il en est de même des ministres en chargés de l’industrie et de l’agriculture, malgré les nombreuses difficultés auxquelles font face leurs secteurs respectifs. Ces derniers sont loin d’être les seuls membres du gouvernement concernés par cette vacance de fait.
Naguère prompts à monter au créneau pour éteindre les feux, ils semblent plus préoccupés par leur sort individuel, dans ce contexte où le président de la République est appelé à redistribuer les cartes.
Épée de Damoclès sur la tête de beaucoup de ministres
En fait, bien avant même ce climat marqué par l’annonce d’un remaniement, le pays était presque à l’arrêt, à cause de la campagne électorale. Tous avaient déserté pour aller s’occuper de leur base électorale, d’autant plus que le président de la République s’est par le passé montré intransigeant contre les perdants. Avec la défaite de plusieurs responsables de premier plan, l’épée de Damoclès plane sur la tête de beaucoup de ministres.
D’ailleurs, c’est un des aspects évoqués par un de nos interlocuteurs pour justifier l’absence de certains membres du gouvernement. ‘’Vous savez, signale-t-il, on vient de sortir d’élections qui n’ont pas été de tout repos pour la plupart des ministres. C’est normal que certains aillent un peu se reposer, parce que ça a été un peu compliqué pour eux…’’.
Dans ce contexte, les agents, dans beaucoup de ministères, suivent également le rythme de leurs supérieurs. À l’image des ministres, ils ont eux aussi déserté les bureaux. ‘’Certains peuvent rester une semaine sans venir, d’autres passent une fois par semaine… Il n’y a que le SG et quelques chefs des services les plus essentiels qui sont là pour évacuer les affaires courantes’’, fait remarquer un agent. Et d’ajouter : ‘’Faites un reportage dans n'importe quel ministère, vous vous rendrez compte que la majeure partie des agents ont déserté les lieux.’’
Par ailleurs, si dans certains ministères tout est à l’arrêt, dans d’autres, par contre, les choses fonctionnent peut-être au ralenti, mais elles fonctionnent. C’est ce que semble expliquer cet agent qui invite à plus de nuance. À l’en croire, il y a des ministères où les gens continuent de travailler presque normalement, même si le ministre peut être absent. Il insiste : ‘’Pour moi, c’est une fausse perception de croire que les gens peuvent faire dans le public ce qu’ils veulent, qu’il n’y a pas de contrôle. En tout cas, ce n’est pas le cas de mon ministère où le contrôle est systématique et que les gens sont obligés d’avoir des autorisations pour s’absenter. C’est aussi valable en ce moment, bien que j’avoue que le ministre n’est pas toujours là. Mais cela n’a aucun impact sur le service.’’
Autrement, renchérit-il, cela allait se savoir. ‘’Je pense que pour parler de blocage, il faut surtout regarder les indicateurs. Et je pense que là, tout se déroule assez bien. Les autorisations et autres certificats dont les usagers ont besoin sont délivrés normalement. Sinon, vous les auriez entendus ruer dans les brancards. Maintenant, même en temps normal, il y a des gens peu consciencieux qui ne font pas le job.’’
Factures non payées
En parlant d’indicateurs, ils sont quand même nombreux les acteurs économiques à se plaindre de retards dans le paiement de leurs factures au niveau du ministère des Finances. Si certains indexent des difficultés de trésorerie, la plupart l’imputent surtout à cette situation de non gouvernement et d’absence de Premier ministre qui plane, depuis les Législatives. Et si le chef de l’État va jusqu’au bout de sa logique, cette situation pourrait se poursuivre jusqu’au 14 septembre au moins, date d’installation de la 14e législature.
En effet, comme l’annonçait ‘’EnQuête’’ dans ses précédentes éditions, Macky Sall a la hantise de procéder à un remaniement et de faire éclater sa majorité plus que précaire, qui ne tient qu’à un député.
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VOTRE AVENIR, CE N'EST PAS L'ANTI-FRANCE
Emmanuel Macron a appelé vendredi à Alger les jeunes Africains à « ne pas se laisser embarquer » par « l’immense manipulation » de « réseaux » téléguidés par des puissances étrangères qui présentent la France comme « l’ennemie » de leurs pays
Le président français, Emmanuel Macron, a appelé vendredi 26 août à Alger les jeunes Algériens et Africains à « ne pas se laisser embarquer » par « l’immense manipulation » de « réseaux » téléguidés « en sous-main » par des puissances étrangères qui présentent la France comme « l’ennemie » de leurs pays.
« Je veux dire simplement la jeunesse africaine : expliquez-moi le problème et ne vous laissez pas embarquer parce que votre avenir, ça n’est pas l’anti-France », a déclaré Emmanuel Macron, interrogé par la presse sur « le désamour de la France » dans certains pays africains, au deuxième jour de sa visite en Algérie.
IL FAUT ENSEIGNER DAVANTAGE L'HISTOIRE DE LA COLONISATION FRANÇAISE
"Beaucoup de Français vont être étonnés de découvrir les massacres de civils perpétrés par l'armée française, les déplacements de populations", a dit l'historien Benjamin Stora ce vendredi en marge de la visite de Macron à Alger
L'historien Benjamin Stora a estimé vendredi que l'apaisement des mémoires entre la France et l'Algérie passait aussi par un travail de "transmission" aux futures générations de l'histoire de la colonisation française.
"Cette histoire ne peut pas être lue, interprétée par sa fin, c'est-à-dire 1962, la guerre, la tragédie, les massacres de tous ordres", a déclaré Benjamin Stora, auteur d'un rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie, à des journalistes durant la visite du président Emmanuel Macron à Alger.
"On doit essayer de la comprendre par ses origines", "avoir une vision plus large de ce qu'a été l'arrivée française en Algérie" en 1830, la "confiscation de terres, les massacres", "les déplacements de population", les "combats et les résistances", a-t-il pointé. "Le problème, c'est la transmission, c'est la connaissance. Il n'y a pas de circulation de cette information", a-t-il constaté, en appelant à enseigner plus largement cette page de l'histoire dans les écoles françaises.
"La fabrication de la mémoire s'opère aussi à partir d'une transmission ou non transmission", a-t-il insisté. "Beaucoup de Français vont être très étonnés de découvrir les grottes enfumées (les massacres de civils par +enfumades+ perpétrés par l'armée française, ndlr), les déplacements de populations. Ils ne savent pas tout cela", a-t-il dit, à propos des 50 premières années particulièrement sanglantes de la colonisation. "Ce n'est pas avec un seul discours, un seul geste, un seul mot et un seul acte qu'on va apaiser l'effervescence extraordinaire qui existe dans les deux sociétés", selon lui: "Il faut du temps, de la pédagogie, de l'inscription de tout cela dans les manuels scolaires".
En scellant leur réconciliation jeudi, M. Macron et son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune, ont annoncé la création d'une commission mixte d'historiens "pour regarder ensemble cette période historique" du début de la colonisation (1830) jusqu'à la fin de la guerre d'indépendance (1962). L'idée est d'aborder le sujet "sans tabou, avec une volonté (...) d'accès complet à nos archives", a souligné M. Macron. "L'arrivée des pieds-noirs, de l'armée, les combats, les résistances, tout cela fabrique un récit national, tout cela fabrique aussi des trous de mémoire", a poursuivi l'historien. "C'est une question du présent sur laquelle insistent malheureusement beaucoup d'extrémistes, qui jouent de ces trous de mémoires, de ces silences pour reconstruire des récits fantasmés et fabriquer des identités meurtrières", a-t-il analysé.
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ABDOULAYE BATHILY SORT SON AUTOBIOGRAPHIE, PASSION DE LIBERTÉ
C'est un livre de combat que publie l'homme politique sénégalais. Dans cette autobiographie, l'ancien leader de la Ligue démocratique raconte ses 50 années de lutte et révèle notamment les coulisses de la victoire de Wade à la présidentielle de 2000
Avec « Passion de liberté » aux éditions Présence africaine, c'est un livre de combat que publie l'homme politique sénégalais Abdoulaye Bathily. Dans cette autobiographie, l'ancien leader marxiste de la Ligue démocratique raconte ses cinquante années de lutte et révèle notamment les coulisses de la victoire d'Abdoulaye Wade à la présidentielle de l'an 2000. Pour l'historien et ancien ministre d’État Abdoulaye Bathily, cette alternance démocratique du 19 mars 2000 est un événement politique plus important que l'indépendance du 4 avril 1960.
En ligne de Dakar, il explique pourquoi au micro de Christophe Boisbouvier.
par Farid Bathily
LES PAYS AFRICAINS ENCORE DÉMUNIS FACE À LA VARIOLE DU SINGE
L’Afrique fait face à la variole du singe depuis les années 1970, dans la quasi indifférence du reste du monde. Maintenant que l’épidémie touche l’Europe et l’Amérique du Nord, c’est la course au vaccin, et le continent est encore oubliée
Le Centre africain de contrôle des maladies l’a rappelé encore récemment : les autorités sanitaires et les chercheurs africains font face depuis les années 1970, quasiment seuls, avec peu de ressources, à des épidémies successives de la variole du singe en Afrique centrale et de l’ouest, avec des taux de mortalité élevés.
De 2019 à 2021, pendant l’épidémie du Covid-19, la variole du singe a connu un nouveau regain, affectant onze pays, notamment dans des zones non endémiques. La maladie revêt maintenant une forme particulièrement mortelle. On a recensé jusqu’à 12 454 cas d’infection et 365 décès pendant cette période. En 2022, l’épidémie a encore infecté 2800 personnes dans ces pays et a fait 103 morts, soit un taux de mortalité de 3,6%. Mais jusque-là, les autorités sanitaires africaines sont restées seules, avec peu de moyens pour faire face à la maladie.
La variole du singe, urgence de santé planétaire
C’est avec l’apparition de la maladie en début d’année 2022 en Europe et en Amérique du Nord que les grands médias du monde entier se sont saisis du sujet et l’ont mis à l’agenda de la communauté internationale.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a ainsi décrété l’état d’urgence de santé publique de portée internationale, indiquant par-là que la maladie constitue désormais un risque pour la santé publique dans d’autres États en raison du risque de propagation internationale qui exige une action internationale coordonnée. Mais l’Afrique ne bénéficie toujours pas de cette mobilisation.
Toutes les doses du seul vaccin disponible commercialisé sous les appellations de Jynneos en Amérique du Nord et de Imvanex en Europe sont déjà achetées pour les populations européennes et américaines. L’Etat fédéral américain a acquis 600 000 doses et placé commande de 7 millions de doses supplémentaires pour sa population auprès de Bavarian Nordic, la seule firme productrice. L’Union européenne a d’ores et déjà donné son feu vert à ce fabricant et un pays européen lui a fait une première commande de 1 500 000 doses.
Covid-19, bis repetita ?
A ce jour, l’Afrique n’est pas prise en compte dans la répartition du vaccin, ce qui n'est pas sans rappeler ce qui s'est produit pour le Covid-19...
"On ne doit pas permettre que ce qui s’est passé au début de la distribution du vaccin contre le Covid-19, quand l’Afrique est restée sur le bord de la route au moment où les autres pays se partageaient les quelques vaccins disponibles, se reproduise, alerte Matshidiso Moeti, la directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique. Mais il semble bien que ce soit bien ce qui se passe."
En fait, non seulement l’Afrique n’a pas accès au vaccin, mais elle n’a qu’une quantité limitée de médicaments antiviraux et peu de matériels de test. Selon de nombreux experts, d’une manière ou d’une autre, pour éradiquer la variole du singe à l’échelle mondiale, il sera nécessaire de répondre aux besoins urgents de l’Afrique et de combler le gap vaccinal et de traitement existant avec les pays industrialisés.
par Farid Bathily
LE NIGERIA LANCE UN CONSEIL POUR L'ÉRADICATION DU PALUDISME EN 2030
Le chef de l’État nigérian, Muhammadu Buhari, a lancé à Abuja une une initiative dont l’objectif est d’en finir avec le paludisme d’ici la fin de la décennie
Le Nigeria End Malaria Council (NEMC, Conseil d’éradication du paludisme), a vu le jour le 16 août 2022 au palais présidentiel d’Abuja en présence de l’hôte des lieux, Muhammadu Buhari, et de plusieurs personnalités du monde politique et des affaires.
Parmi ces dernières figurait notamment Aliko Dangoté, désigné président du Conseil par le chef de l’État nigérian, qui justifie ce choix par les nombreuses implications de l’homme d’affaires dans des causes sanitaires sur le continent. L’homme le plus riche d’Afrique dirige ainsi ce Conseil, qui comprend quinze autres membres, et dont la mission est d’œuvrer à l’éradication du paludisme d’ici 2030, conformément à l’objectif de l’Union africaine.
Fléau endémique
Le paludisme, causé par la piqûre d’un moustique porteur du plasmodium – groupe de parasites responsables de la maladie – est endémique sur le continent africain, particulièrement dans la région subsaharienne. Six pays y concentrent 55% des cas de toute la planète, selon le rapport 2021 de l’OMS.
En tête des pays les plus touchés, le Nigeria représentait 26,8% des malades en 2020. Le pays enregistre également le plus grand taux de mortalité avec 31,9%. Soit plus du double de celui de la République démocratique du Congo (13,2%), seconde nation la plus affectée par cette maladie face à laquelle les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes sont très vulnérables.
Ces chiffres, en augmentation par rapport aux précédentes données de l’OMS, témoignent du défi constant que pose le paludisme sur le continent africain.
Impulser la mobilisation
Selon le président Buhari, le Conseil devra aider l’État nigérian principalement en termes de mobilisation des ressources nécessaires pour vaincre la maladie.
Le chef de l’Etat nigérian estime à 1,89 milliard de nairas les fonds nécessaires pour faire baisser, dans un premier temps, le taux de prévalence à 10% au cours des quatre prochaines années, conformément au Plan national anti-malaria 2021-2025.
"Cela fait écho à mon rôle actuel d'ambassadeur du Nigeria pour la lutte contre le paludisme et au travail de ma Fondation pour la mobilisation du secteur privé contre la maladie en Afrique", a déclaré Aliko Dangote.
L’initiative nigériane arrive moins d’un an après que l’OMS a officiellement recommandé l’utilisation généralisée du vaccin antipaludique RTS,S chez les enfants en Afrique subsaharienne et dans d’autres régions du monde. Faite en octobre 2021, cette recommandation historique de l’OMS se fonde sur les résultats d’un programme pilote qui a touché plus de 800.000 enfants et qui a démarré depuis 2019 au Ghana, au Kenya et au Malawi.
LES ROMANS AFRICAINS DE LA RENTRÉE LITTÉRAIRE
Leurs nouveaux livres sont toujours très attendus : Jeune Afrique en a sélectionné cinq qui feront parler d’eux
Jeune Afrique |
Anne Bocandé, Fatoumata Diallo, Mabrouck Rachedi, Nicolas Michel |
Publication 25/08/2022
Que lire en cette rentrée littéraire ? Au milieu des 490 romans publiés, nous vous proposons cinq romans d’écrivains africains dont les signatures sont déjà des références.
À la vie, à la mort
« Tu ne cesses de te le répéter au point d’en être désormais convaincu : une nouvelle vie a débuté pour toi il y a moins d’une heure lorsqu’une secousse a écartelé la terre alentour et que tu as été comme aspiré par un cyclone avant d’être projeté là où tu te retrouves maintenant, au-dessus d’une éminence de terre dominée par une croix en bois toute neuve. Je respire ! Je vis ! T’étais-tu à ce moment-là murmuré en signe de victoire. Mais à présent, alors que la clarté du jour pointe à l’horizon, tu n’es plus du tout habité par cette certitude. Les images qui te hantent sont plutôt celles de tes dernières heures, celles d’un trépassé cloîtré dans un cercueil et conduit en grande pompe dans sa demeure finale, ici, au cimetière du Frère-Lachaise. »
Le décor est planté. C’est par un début tragique qu’Alain Mabanckou, prix Renaudot 2006, commence son roman. Liwa Ekimakingaï, un employé de cuisine d’un palace de Pointe-Noire connaît une fin tragique un soir du 15 août, fête d’indépendance du pays. Le jeune homme pense qu’il ne devait pas mourir ce jour-là et qu’il avait encore des affaires à régler sur terre. L’auteur remonte la vie et les heures qui ont précédé la mort de son personnage. Liwa cherche désespérément à comprendre pourquoi il a été si vite arraché à l’existence. Il assiste à sa veillée funèbre de quatre jours, ressent le chagrin de sa bien-aimée grand-mère Mâ Lembé, entend le chant des louanges de ses proches qui accompagnent son âme vers les cieux, et vit son propre enterrement.
Dans Le Commerce des Allongés, Mabanckou peint une société africaine où la vie et la mort se côtoient. Cette société qui mêle croyances ancestrales et religieuses, où le monde des vivants n’est pas l’aboutissement de l’existence. Fidèle à lui-même à travers son personnage, l’écrivain décrit également une société congolaise gangrenée par la pauvreté et où la lutte des classes fait rage.
Que peuvent les mots face aux guerres intimes et politiques ?
C’est l’histoire de trois amis d’enfance. Tarek, devenu berger, à qui les mots ont toujours manqué, contrairement à son frère de lait, Saïd, l’intellectuel parti étudier en Tunisie. À leurs côtés, Leïla, celle qui est restée dans leur village, El Zahra. Chacun vit ses guerres intimes parallèlement à celles traversées par l’Algérie entre 1920 et 1990. La colonisation, la Seconde Guerre mondiale, la guerre d’indépendance, le coup d’État de Boumédiene et l’arrivée au pouvoir des islamistes. Du village au Frontstalag allemand, du front de libération algérien, aux foyers de travailleurs migrants parisiens, Tarek choisit de cultiver le silence, jusqu’à le trouver pleinement lors d’une parenthèse italienne. Saïd, lui, écrit le premier roman algérien de langue arabe. Celui qui brise la vie de Leïla, sur le point de trouver refuge dans la lecture. « Dans tous mes romans, les générations n’arrivent pas à se parler », confiait Kaouther Adimi à propos de Nos richesses.
L’autrice algérienne continue de tirer le fil des mots qui manquent, à travers la solitude récurrente de ses personnages. Lesquels rencontrent, au cours de leurs vies, des figures réelles comme ici Pontecorvo et Saadi, co-réalisateurs du film mythique La Bataille d’Alger. Elle questionne aussi les mots qui trahissent, les récits qui déterminent et bouleversent les destinées. Comment, face au vent mauvais, tenir tête ? Avec une mise en abyme du roman qui se lit et celui qui s’écrit, dans un enchaînement de chapitres que l’on aurait parfois aimé voir se déployer davantage tant les riches références se succèdent, Kaouther Adimi signe un cinquième roman haletant et surprenant jusqu’à la toute dernière page.
Malgré la perte de nombreux cadres depuis 2012, le PDS a montré qu’il pouvait avoir plus d’un tour dans son sac. Toutefois, la prochaine échéance électorale peut mettre le parti à rude épreuve, malgré l’embellie des derniers scrutins
Dix ans que le Parti démocratique sénégalais (PDS) a perdu le pouvoir. Malgré la chute brutale de 2012, la formation politique créée par l’ancien président de la République Abdoulaye Wade a su rebondir. De ‘’responsable’’ des malheurs du Sénégal, elle se positionne désormais comme un potentiel sauveur, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2024. Deux rendez-vous en 2022 ont livré des vérités allant en ce sens : les élections locales du 23 janvier et les Législatives du 31 juillet. Les résultats enregistrés, en affrontant des coalitions politiques beaucoup plus étoffées, sont admirables. Pourtant, le parti n’a jamais connu autant de départs de figures emblématiques.
La dernière en date est celle de Toussaint Manga qui a annoncé sa démission, dimanche dernier, du PDS. "C'est avec beaucoup d'émotion que je vous adresse ces quelques mots pour vous présenter ma démission de toutes les instances du parti", écrit l'ancien secrétaire national de l'Union des jeunesses travaillistes et libérales (UJTL) dans la lettre adressée à Me Abdoulaye Wade. L’ex-député, responsable politique dans la région Sud (Casamance) a mal vécu son investiture à la 31e position sur la liste nationale de la coalition Wallu Sénégal, dirigée par le PDS, lors des élections législatives : ‘’Il s’agit d’une humiliation, d’une insulte faite aux militants et aux responsables de toute la région. Nous sommes la seule région qui n’a aucun candidat au niveau départemental. Nous sommes la seule région qui a un seul candidat au niveau national, mais logé au-delà des 30 premiers investis. Nous ne pouvons pas l’accepter.’’
Toussaint Manga et Cheikh Bara Doly rallongent la longue liste de départs
Ces investitures avaient fait une première victime, en la personne de Cheikh Mbacké Bara Doly, Président du groupe parlementaire Liberté et démocratie dans la 13e législature. Positionné à la 13e place sur la liste nationale, lui également a eu le même sentiment que son camarade du sud du Sénégal, avec une réactivité plus radicale.
En effet, il n’a pas attendu la fin des élections législatives pour claquer la porte du PDS. Et il a surtout rejoint le camp présidentiel qui cherchait à renforcer sa présence à Mbacké.
Avant eux, ils sont nombreux à avoir quitté le navire battant pavillon libéral. Et pas des moindres : Aminata Tall, Habib Sy, Pape Diop, Abdoulaye Baldé, Modou Diagne Fada, Ousmane Ngom, Souleymane Ndéné Ndiaye, Oumar Sarr, Babacar Gaye, etc. Des départs qui avaient placé le parti au bord du gouffre. Lors de la Présidentielle de 2019, le PDS n’a pas obtenu la validation de son candidat Karim Wade. De cet échec est née une crise qui a abouti à l’exclusion d’Oumar Sarr, alors Secrétaire national adjoint et n°2 du PDS, accusé par Abdoulaye Wade ‘’de saper l’unité du parti’’ et de poser ‘’des actes de défi’’.
Malgré tout, le PDS semble faire de la résistance. Mais pour le docteur Ousmane Ba, enseignant-chercheur à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, ce n’est pas le PDS qui survit, mais plutôt son secrétaire général : ‘’Le PDS est une organisation politique qui a un vécu un ancrage dans toutes les localités du pays, pour avoir été dans l’opposition pendant 26 ans, avant d’accéder au pouvoir pendant 12 ans. Il y a des électeurs qui votent pour Abdoulaye Wade. S’il n’était pas revenu, je pense que le parti allait s’effondrer comme un château de cartes. Donc, je pense qu’il ne s’agit pas forcément du parti, mais du leader et de l’alliance mise en place.’’
CETTE GÉNÉROSITÉ DU GOUVERNEMENT QUI INQUIÈTE
En augmentant les salaires des enseignants, des agents de la santé, des magistrats et autres administrateurs civils, l’État risque de concourir au renchérissement du coût de la vie et d’en faire supporter les conséquences aux moins nantis
‘’Une générosité surprenante et inquiétante’’. C’est en ces termes que l’inspecteur des impôts et des domaines, Elimane Pouye, dans une tribune signée sous le titre de simple citoyen, a tenu à alerter contre les possibles conséquences des dernières mesures du gouvernement relatives à la hausse presque généralisée des salaires dans la Fonction publique (voir ‘’EnQuête’’ du 18 août 2022).
Dans sa tribune, le spécialiste est largement revenu sur la question du financement de ces hausses qui vont coûter plus de 100 milliards F CFA au budget de l’État. A l’en croire, il y a fort à parier que l’État va encore opter pour le tout fiscal, comme à son habitude. ‘’Le financement de la nouvelle hausse des salaires dans le secteur public ne saura échapper à la logique du tout fiscal du régime actuel’’, avertit M. Pouye.
En fait, à entendre l’inspecteur des impôts, ancien Secrétaire général du Syndicat des agents et inspecteurs des domaines (SAID), durant la dernière décennie, la fiscalité a été l’un des principaux leviers sur lesquels l’État s’est appuyé pour financer ses nombreuses dépenses. Souvent, au grand dam des populations les plus vulnérables, contraintes de financer de nouveaux privilèges accordés aux fonctionnaires les plus nantis. Durant cette décennie, six nouvelles taxes ont été instituées. En sus de deux taxes sur le ciment, il y a la taxe de sortie sur les volumes d’arachides exportées ; la taxe sur l’utilisation des sachets en plastique ; la taxe sur les corps gras alimentaires et la taxe spécifique sur les produits textiles.
À côté de ces taxes nouvelles, une dizaine d’impôts existants ont vu, durant la même période, leur assiette, leur taux ou tarif être modifiés à la hausse. Il s’agit notamment de l’extension du périmètre de la taxe sur les véhicules de tourisme à tous les véhicules ; l’extension de la taxe sur les boissons gazeuses non alcoolisées aux jus de fruits et du relèvement de son taux ; du rehaussement des tarifs de la taxe sur les armes à feu et du droit de timbre sur les permis de port d’arme ; du relèvement du taux de la taxe sur les tabacs ; du relèvement du taux de la taxe sur les produits cosmétiques ; de la hausse du taux de taxation des plus-values réalisées ; de l’extension aux sociétés de la taxe de plus-values sur les cessions d’immeubles et de droits réels immobiliers figurant au bilan. Autant de taxes qui ont concouru au renchérissement du coût de la vie. Et cela pourrait aller crescendo, avec les dernières mesures fiscales.
Mais ce qui inquiète le plus chez les puristes, c’est que ces mesures, ‘’inédites par leur spontanéité et leur ampleur’’, interviennent dans un contexte de morosité économique et d’inflation sans précédent. Elimane Pouye s’interroge : ‘’Dans un contexte de finances publiques tendues, lourdement impactées par les tensions géopolitiques, il y a lieu de s’interroger sur cette générosité à la fois surprenante et inquiétante.’’ La revalorisation des salaires, a-t-il poursuivi, ‘’est assez surprenante, au regard de la doctrine de gestion de la masse salariale jusqu’ici assumée par l’État. Elle s’inscrit surtout aux antipodes d’une gestion rationnelle des finances publiques.’’
En effet, depuis son accession à la magistrature suprême, le président de la République avait prôné une maitrise des mesures de hausse des salaires et une politique de rationalisation des dépenses qui n’a rien à voir avec ces dernières pratiques considérées par beaucoup comme électoralistes. Cette doctrine a été réaffirmée juste à la suite de sa réélection en 2019. A l’occasion de la cérémonie de remise des cahiers de doléances du 1er mai 2019, il pestait en des termes peu diplomatiques que ‘’l’État n’a pas les moyens d’augmenter les salaires dans la Fonction publique… Nous ne le ferons pas. Il faut que ça soit clair. Ce n’est pas possible’’.
Bien avant ces déclarations du chef de l’État, au lendemain de l’adoption du Plan Sénégal émergent, rappelle M. Pouye, l’alors ministre de l’Économie et des Finances invitait les fonctionnaires à ‘’s’interroger sur la légitimité du poids qu’ils font supporter à la nation tout entière, par le biais de la masse salariale inscrite, année après année, à un rythme toujours plus croissant dans le budget’’. En 2014, rappelait-il, 100 540 agents de l’État, constituant moins de 1 % de la population sénégalaise, émargeaient à la solde et se partageaient ainsi une enveloppe de 717 milliards équivalent à 46,3 % des recettes budgétaires de l’année 2014’’. Dans le projet de loi de finances pour l’année 2021, les dépenses de personnel étaient projetées à 904 milliards F CFA.
Nous sommes donc très loin de cette époque. Pourtant, la situation économique et le niveau d’inflation n’ont jamais été aussi exécrables. Sous la pression des syndicalistes de l’enseignement et de la santé, dans un contexte marqué par une baisse de popularité continue de son régime, le président Macky Sall a voulu, sans doute, faire plaisir à la classe moyenne où il a le plus de problème, du point de vue électoral. Elimane Pouye met en garde tout en relevant un certain nombre d’alternatives envisageables. ‘’Certes, dit-il, l’abondance de bien ne nuit pas, mais une générosité déraisonnable peut conduire à la ruine… Une meilleure mobilisation des recettes fiscales par une taxation adéquate des niches fiscales, une véritable rationalisation des exonérations, une réorientation des dépenses publiques aurait permis d’éviter de creuser le déficit et de diminuer le coût de la vie pour tous les citoyens’’.