SenePlus | La Une | l'actualité, sport, politique et plus au Sénégal
3 décembre 2024
Développement
LE RÉCIT SURRÉALISTE DE THOMAS DIETRICH AU TOGO
Son enquête au Togo a viré au cauchemar. En moins de deux jours, il a été arrêté, détenu, jugé et expulsé manu militari. Le journaliste français raconte son périple pour alerter sur les entraves à la presse sous le régime de Faure Gnassingbé
(SenePlus) - Le journaliste français indépendant Thomas Dietrich garde un souvenir amer de son récent reportage au Togo. Dans un témoignage publié sur son compte Twitter, ce reporter expérimenté fait part d'une expérience des plus troublantes, vécue en l'espace de seulement 29 heures sur le territoire togolais.
D'après ses dires, Thomas Dietrich se serait vu refuser l'accès aux informations et pièces du dossier lors de son arrestation et détention, "digne d'un film" selon ses propres termes. Pire, l'ambassade de France aurait camouflé aux autres journalistes le fait qu'il se trouvait en cellule. Après un "procès expéditif" pour entrée illégale sur le territoire alors qu'il détenait un visa professionnel valide, il aurait finalement été expulsé de force hors du pays.
"Ce que j'ai vécu est mille fois moins grave que les persécutions que subissent au quotidien les journalistes locaux", a déclaré Thomas Dietrich. Selon lui, ses démêlés avec les autorités togolaises seraient directement dus à son travail de journaliste qui déplaisait au président Faure Gnassingbé, au pouvoir de manière quasi-ininterrompue depuis 2005.
Dans son témoignage publié sur Twitter, le reporter français affirme avoir jugé "nécessaire de rétablir la vérité" face aux "mensonges des autorités togolaises". Il dénonce par ailleurs le soutien "bec et ongles" que continuerait d'apporter le président français Emmanuel Macron à la "plus vieille dictature de la Françafrique".
Mon reportage au #Togo a tourné court. En 29 heures, j’ai connu une arrestation digne d’un film, des violences en cellule, l’ambassade de France qui cache ma détention aux autres journalistes, un procès expéditif pour entrée illégale sur le territoire (alors que j’avais un visa… pic.twitter.com/pISwHK0KeN
CRISE LIBYENNE : L'INFLUENCE DES PUISSANCES EXTÉRIEURES DANS LA DÉMISSION DE BATHILY
Abdoulaye Bathily jette l'éponge, exprimant son désarroi face aux agissements des dirigeants libyens. Mais pour Jalel Harchaoui, ce départ révèle surtout la mainmise de pays tiers sur le dossier libyen
(SenePlus) - La démission mardi 16 avril dernier d'Abdoulaye Bathily de la tête de la Mission d'appui des Nations unies en Libye (Manul) marque la fin de mandat de l'envoyé spécial de l'ONU pour la Libye. C'est la huitième démission à ce poste depuis 2011, révélant une instabilité qui interroge, selon Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye au Royal United Service Institute de Londres, interrogé par RFI.
Pour le chercheur, le message de M. Bathily visant des dirigeants libyens plaçant "leurs intérêts personnels au-dessus des besoins du pays" ne fait pas sens car "si les acteurs étaient motivés de manière constructive vers le bien collectif des Libyens, on n'aurait pas besoin d’une mission de l’ONU". Selon lui, la vraie raison de cette démission est "l'installation en tant que députée, vice-envoyée spéciale, parachutée par les États-Unis, d’une diplomate américaine, Stéphanie Koury". Les États-Unis sont ainsi "parvenus à remplacer un personnage par un diplomate américain qui leur convient beaucoup mieux".
Interrogé sur la difficulté des Nations unies à peser sur les dirigeants libyens, M. Harchaoui pointe du doigt le rôle de certains États membres comme l'Égypte qui, de manière "presque unilatérale", a "mis des bâtons dans les roues d’Abdoulaye Bathily depuis qu’il est arrivé en septembre 2022". L'Égypte souhaitait selon lui "instrumentaliser cette notion d’élection pour essayer de renverser le gouvernement actuel d’Abdelhamid Dbeibah à Tripoli", sans élections crédibles.
Pour sortir de l'impasse, le chercheur estime qu'il faut décider "surtout dans le contexte de la crise de Gaza" si on "frustre l’Égypte" ou "considère que la crise libyenne n’est pas très importante". Une réflexion philosophique qui engage la responsabilité des grandes démocraties, conclut ce spécialiste de renom.
AHMED SYLLA ADMET S'ÊTRE TROMPÉ SUR LE RACISME EN FRANCE
L'humoriste avait déclaré dans une interview que "les Français au quotidien ne sont pas racistes" et qu'on n'était "pas confronté au racisme" en sortant dehors
(SenePlus) - Après une interview dans laquelle il avait nuancé les questions liées au racisme en France, l'humoriste Ahmed Sylla a publié un long message sur les réseaux sociaux samedi 20 avril pour reconnaître ses erreurs. "Je tournerai 7 fois ma langue dans ma bouche..." a-t-il écrit sur Twitter, admettant que son "prisme individuel est biaisé".
Dans les colonnes de Purebreak la semaine passée, Sylla avait déclaré que "les Français au quotidien ne sont pas racistes" et qu'on n'était "pas confronté au racisme" en sortant dehors. Des propos qui ont fait réagir, alors qu'une vidéo montrant une femme victime d'islamophobie dans une boulangerie devenait virale sur internet.
"Dans cette interview, mon propos était maladroit. Le karma m'a donné tort à travers cette triste vidéo", a concédé l'acteur, reconnaissant qu'il y a "bel et bien une montée du racisme en France". Citant son ancien statut de marginal, il admet que son "quotidien, je ne le vis plus comme mes semblables".
Mamadou Thiam, président de la Licra Paris, salue ce mea culpa. "C'est courageux de la part d'une personnalité publique de reconnaître ses erreurs. Cela permet d'avancer dans le débat sur ces sujets complexes", a-t-il confié à BFM TV.
VIDEO
THIABA CAMARA SY BOUSCULE LES CODES
L'experte-comptable et présidente du Women's Investment Club Capital, partage sa vision pour un Sénégal plus inclusif et prospère. En ligne de mire : le soutien aux femmes entrepreneurs et une refonte en profondeur du cadre juridique
Dans l'émission dominicale Objection sur les ondes de Sud FM ce dimanche 21 avril 2024, Thiaba Camara Sy, experte-comptable et présidente du Women's Investment Club Capital (WIC), a partagé sa vision pour un Sénégal plus inclusif et prospère. Invitée par l'animateur Baye Omar Guèye, elle a souligné l'importance cruciale de soutenir l'entrepreneuriat féminin et d'entreprendre des réformes institutionnelles majeures.
Pionnière dans son secteur, Mme Camara Sy a fondé son propre cabinet d'audit avant de prendre la tête de Deloitte Sénégal. En 2016, convaincue que les femmes sont la clé du développement économique, elle a lancé le WIC, un fonds d'investissement visant à lever les obstacles financiers auxquels font face les entrepreneures.
"Nous investissons d'abord dans des personnes porteuses de projets louables, en prenant des risques à leurs côtés, sans exiger de garanties", at-elle expliqué. Une approche qui porte ses fruits, avec un portefeuille d'entreprises féminines florissantes au Sénégal et en Côte d'Ivoire.
Mais pour Mme Camara Sy, le combat ne s'arrête pas là. Elle plaide avec force pour une refonte du cadre institutionnel et juridique du pays, jugé inadapté à l'émancipation économique et sociale des Sénégalaises. "Il faut s'inspirer du modèle rwandais, où l'équité de genre est une priorité institutionnalisée dans toutes les politiques publiques", a-t-elle martelé.
Sa feuille de route ? Une nouvelle Constitution, des réformes du Code de la famille et du Code du travail, visant à promouvoir l'inclusion et à briser le "plafond de verre". Un message fort, porté par une voix influente du secteur privé, qui espère voir le nouveau gouvernement transformer ces idées en actions concrètes.
LES POUVOIRS RENFORCÉS DU PREMIER MINISTRE OUSMANE SONKO FONT DÉBAT
Désormais "sous l'autorité du Premier ministre", les ministres voient-ils leur marge de manœuvre se réduire ? Cette réforme interroge certains commentateurs avisés de la vie politique sénégalaise
(SenePlus) - Depuis la publication début avril des premiers décrets du gouvernement, la question d'un renforcement des pouvoirs du Premier ministre Ousmane Sonko est au cœur des débats. Selon ces textes officiels, obtenus par la rédaction de RFI, les ministres sont désormais "placés sous l'autorité directe du premier ministre".
Cette nouvelle formulation interpelle des figures politiques comme Abdoul Mbaye, ancien Premier ministre de 2013 à 2014. "Cette disposition pourrait avoir des conséquences en termes de responsabilités pénales. Avec ce changement, le chef du gouvernement pourrait directement être responsable, par exemple, dans le cadre d'un faux rapport d'un ministre", a déclaré M. Mbaye sur sa page Facebook.
Mamadou Thiam, ancien coordinateur de la communication de la présidence sénégalaise entre 2012 et 2019, partage ces interrogations. "Est-ce que cette nouvelle formulation ne renforce pas les pouvoirs du Premier ministre, qui devient désormais la seule autorité à qui les autres ministres doivent rendre compte?", s'est-il demandé lors d'un entretien avec RFI.
Pour le ministre de la Formation professionnelle Amadou Moustapha Ndieck Sarré, porte-parole du gouvernement, il n'y a pas lieu de polémiquer. "Le Premier ministre est le chef d'orchestre du gouvernement, et les ministres en sont les musiciens. Il est aussi le seul à rendre des comptes directement au président de la République", a-t-il déclaré.
par l'éditorialiste de seneplus, pierre sané
URGENCES POUR LE GOUVERNEMENT DE MON PAYS
EXCLUSIF SENEPLUS - L’évocation de « ruptures » fait resurgir les mêmes arguments que ceux déployés à l’époque contre l'indépendance. Il s’agit du réenchantement du pays pour l'avenir. Les Sénégalais attendent depuis 60 ans
Le 2 avril 2024, les téléspectateurs du monde entier (intéressés à l’Afrique) découvraient avec curiosité et sympathie le tout nouveau jeune président de la République du Sénégal. Prisonnier politique dix jours auparavant. Élu avec une marge impressionnante et incontestable de 54% dès le premier tour sur la promesse d’une ère de ruptures et de progrès et à travers une campagne électorale éclair ! Qui plus est le parti Pastef âgé de 10 ans à peine, issu d’une classe moyenne rétive à l’ordre colonial, nous gratifie d’une paire de leaders tout aussi légitimes l’un que l’autre pour le prix d’un. Deux compagnons de longue date. « Vous avez commencé l’écriture d’une belle page de l’histoire politique du continent. Maintenant vous devez aller jusqu’au bout», me félicita un ami.
Ces attentes chez beaucoup de mes connaissances rejoignent les attentes immenses des populations sénégalaises. Si le Pastef ne peut pas faire de promesses inébranlables concernant tous les résultats envisagés, il peut et doit s’engager solennellement à travailler avec détermination, avec passion, avec honnêteté, dans la transparence, la solidarité et l’humilité pour la réalisation de cette ambition et surtout à ne pas trahir une telle promesse.
Néanmoins, il serait dangereux de faire croire aux Sénégalais que Bassirou Diomaye Faye et son gouvernement dirigé par Ousmane Sonko seront en mesure de régler tous nos problèmes. Pour commencer, une société sans problèmes est une société morte et nul ne souhaite la mort du Sénégal (ou de l’Afrique). Il y aura donc toujours des problèmes à résoudre. D’autant plus que l’héritage est lourd et révélera au fur et à mesure des surprises fort désagréables et autres forfaitures.
Au Sénégal, les chantiers sont d’une telle envergure qu’il faudra du temps, des réflexions collectives approfondies, des évaluations, une planification rigoureuse et de la détermination à toute épreuve pour mettre l’ambition de transformation (le projet Pastef) sur les rails. En transcendant obstacles, sabotages, menaces, désinformations, trahisons et résistances passives.
La question est donc de décider de quels problèmes va se saisir le nouveau régime et de s’assurer d’être en capacité de les régler. Le « projet de Pastef » ne saurait les appréhender tous en même temps si ce n’est au niveau des politiques publiques et orientations générales.
Il s’agit comme le dit si bien Frantz Fanon, pour chaque génération d’identifier les défis clés de son époque et de les relever (pas seulement de les identifier). La réponse commence par des initiatives phares qui vont marquer les esprits et installer le pays dans une dynamique de changement ou l’imagination devient source d’inspiration.
Ensuite, on ne peut pas demander à tous les Sénégalais d’être patients. Certains sont plus impatients et avec raison. Cela fait 60 ans qu’ils attendent. Cela fait 60 ans que leurs gouvernants leur font des promesses non tenues. Beaucoup se sont résignés face à l’impéritie des régimes qui se sont succédé. Ils continuent de vivre dans la pauvreté et dans la précarité, dans l’insécurité et la peur. Ils vivent (?) privés d’espoir.
Ce sont des populations qui ne sont pas en capacité de participer à l’effort national de développement du pays et d’en jouir. Comment peut-on améliorer leurs conditions rapidement ?
Dès à présent, il serait judicieux de prendre des initiatives marquantes :
- d’abord de répondre à quelques unes des attentes immédiates des plus démunis, des plus vulnérables et pour la paix en Casamance ;
- ensuite de lancer le grand débat public inclusif sur les réformes dans les secteurs incontournables de la production, de l’éducation et de la justice dans une optique de souveraineté et de mieux-être des populations ;
- sans oublier notre engagement pour l’Afrique qui doit être réaffirmé à travers des initiatives concrètes fortes dès le début du quinquennat.
Voici donc une proposition de 10 mesures phares (identifiées à travers une lecture transversale du projet Pastef) qui pourraient être confiées à des commissions pluridisciplinaires et multisecteurs bénévoles avec un timing resserré. En soutien patriotique aux ministres en charge.
1. Eau, Électricité, Internet pour tous partout à des prix abordables ;
2 Évaluation de la stratégie nationale de lutte contre les violences faites aux femmes et mise en œuvre ;
3 Paix en Casamance et décentralisation pilote (pôle régional de développement) ;
4 Feuille de route pour une monnaie nationale ;
5 Feuille de route pour une modernisation du secteur économique populaire (dit « informel ») ;
6 Feuille de route pour la modernisation des daaras et pour la résorption de tous les abris provisoires ;
7 Commission vérité et justice et réforme de la justice et des prisons ;
8 Évaluation et poursuite de la réforme foncière ;
9 Refondation de la CEDEAO ;
10 Initiative africaine sur les migrations internationales ;
Quelques commentaires qui appuient ce choix :
Imaginez seulement le sourire d’un enfant dans un village éloigné qui pour la première fois de sa vie découvre l’éclairage public et dont les parents ont pu enfin s’offrir un frigidaire. Ça change la vie. Instantanément. Ou cette fillette qui peut grandir sereinement dans la grande banlieue dakaroise sans crainte de subir une mutilation sexuelle ou un mariage forcé. Ou encore cette famille de « réfugiés » qui peut enfin retourner dans son village en Casamance sans courir le risque de sauter sur une mine anti-personnelle ou de rencontrer des hommes en armes qu’ils soient porteurs d’uniformes ou non.
« Changer la vie. Ici et maintenant » était la promesse (non tenue) de la gauche française sous François Mitterrand. Nous ? On peut. Je dirai même qu’on doit. Il faut planifier sous forme de package à partir du territoire et faire travailler les prestataires en synergie. (1) (2) et (3)
Le mode de production, la monnaie et l’éducation nationale sont des héritages de la « colonie Sénégal » qui sont restés pratiquement intacts avec leurs pendants populaires.
L’évocation de « ruptures » fait resurgir les mêmes arguments que ceux déployés à l’époque contre (je dis bien contre !) l’indépendance :
⁃ « Attention à « l’aventure ».
⁃ Nous devons conserver notre « amitié » avec la France.
⁃ La « stabilité » doit être privilégiée sur toute autre considération » !… y compris la liberté ? et la transformation de l’héritage ?
Les porteurs de cet argumentaire sont en besoin pressant d’un décapage intellectuel. Ils nous retardent. Et bien sûr l’immobilisme colonial les arrange alors que ça pénalise la majorité laborieuse. Seule une stratégie de déconnexion résolue nous permettra de réorienter nos énergies nos ressources et notre travail vers la satisfaction des besoins existentiels de nos concitoyens, dans la garantie de leurs libertés publiques. La décolonisation inachevée constitue un obstacle paralysant à la construction d’un Sénégal souverain prospère et juste. Nous avons les solutions. Ces réformes sont nécessaires pour l’émergence, enfin, de citoyens souverains. (4) (5) et (6)
Quant à Macky Sall, il veut nous transmettre un livre d’histoire du Sénégal dont des pages clé auront été expurgées. Il n’en est pas question. Ce sont ces pages où il se révèle, avec ses complices, comme l’incarnation de la mal gouvernance, du pillage du bien public, des violences policières qui se sont traduites par des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des actes de torture, de privation arbitraire de liberté. Et maintenant au moment de quitter la scène, il décrète par le biais d’une loi scélérate, le pardon et la réconciliation en lieu et place des victimes et acteurs sociaux. Il enracine l’impunité dans notre histoire judiciaire. NON ! Seule une Commission vérité et justice nous permettra de faire la pleine lumière sur ces épisodes douloureux (et d’épisodes précédentes ?) mais aussi de comprendre pourquoi nos institutions ont failli, comment cela s’est traduit sur l’ensemble du corps social et quelles conséquences cela risque d’entraîner. Les informations, analyses, conclusions et recommandations d’une telle Commission constitueront un apport indispensable à la réforme annoncée de la justice (et j’espère des prisons..) en écrivant la vraie histoire de cette période. En plus de rendre justice à toutes les victimes et leurs familles et de sanctionner les coupables. La réforme quant à elle doit s’atteler à décoloniser la justice et permettre au peuple de se reconnaître dans ses institutions. Donc une justice souveraine patriotique et intègre. Vérité et Justice ? Ce n’est pas une option politique. C’est une obligation pour tout régime qui s’inscrit dans la logique de l’État de droit et s’unit dans l’empathie avec son peuple. (7)
Par ailleurs, Macky Sall avait commissioné un rapport sur la réforme foncière mais (comme à son habitude) son manque de courage politique, son inconsistance l’ont amené à étouffer ledit rapport. Alors que nous l’avions élu pour anticiper et régler les contradictions de notre société, il s’est plutôt complu dans la chasse aux rétrocommissions (par le biais de contrats d’infrastructures surfacturés) de complots politiques tous aussi minables les uns que les autres et de choix économiques issus d’une incompétence désolante.
Dans 25 ans, nous serons 35 millions. Cette seule donnée devrait inciter et mobiliser tout gouvernement responsable à la réflexion, au dialogue informé, à l’établissement d’un calendrier de mise en œuvre d’une réforme foncière visant la souveraineté, la prospérité et la justice. (8)
Finalement, Bassirou Diomaye Faye, Ousmane Sonko et le Pastef ont rendez-vous avec l’Afrique. Les patriotes, les progressistes, les panafricanistes d’Afrique et de ses diasporas sont en attente de l’émergence d’un nouveau leadership africain émanant d’une génération montante et engagée.
Deux initiatives que pourraient prendre notre nouveau gouvernement :
- Pour une Refondation de la CEDEAO
La décision des États de l’AES de se retirer de la CEDEAO est une des conséquences de la crise multiple qui mine l’organisation communautaire depuis plus d’une décennie. Cette décision de retrait qui consacre l’échec de la CEDEAO a déclenché une réaction de panique au sein de l’organisation qui souhaite une “négociation”. Au Sénégal de prendre l’initiative pour la levée immédiate et sans conditions des sanctions et embargos illégaux et illégitimes et pour l’élaboration d’un plan d’arrêt des ingérences étrangères dans le fonctionnement et dans les mécanismes de décisions de l’organisation. A moyen terme, une refondation de la CEDEAO s’impose après 50 ans d’existence. Celle-ci devrait se faire sur la base de consultations inclusives dans tous les pays de la région : chercheurs et instituts de recherche, sociétés civiles et organisations populaires, partis politiques et états membres visant à rendre effectif l’engagement à transformer l’organisation en CEDEAO des peuples et à la rendre capable de répondre aux défis du 21e siècle. L’heure est venue pour les Ouest-africains de s’engager pour la transformation de notre organisation commune.
L’acteur le mieux à même et le plus légitime pour porter cette initiative sera le Sénégal.
- Pour une relecture africaine des accords avec l’Europe sur la circulation des capitaux des biens et des personnes.
Les circulations sont discutées et négociées séparément alors qu’elles sont inextricablement liées dans la construction de la globalisation néolibérale. Comment peut-on donner son blanc-seing à la liberté de circulation des capitaux et marchandises sans libérer celle de la force de travail.J usqu’à quand maintiendra-t-on cette dynamique de développement inégal. L’Afrique doit se saisir de cette problématique et presser l’Europe de s’y atteler. Il s’agit de préserver les milliers de vie englouties dans les océans et déserts du monde.
Au Sénégal nouveau de porter le débat dans les instances africaines. (9) et (10)
Au bout du compte, il s’agit du « réenchantement » du pays pour aller à l’assaut du futur. Nous avons en Afrique aujourd’hui la jeunesse qu’il faut. La communauté intellectuelle doit continuer à se mobiliser en force de propositions afin d’éviter que le nouveau gouvernement ne soit prisonnier d’une bureaucratie qui monopolise l’information l’analyse et le conseil. Les ministres doivent se convertir et devenir des militants, non pas des militants de Pastef, mais des militants de la cause d’un Sénégal souverain prospère et juste dans une Afrique de progrès. L’avenir nous appartient.
LES CHANTIERS DE LA RUPTURE
Justice, économie au service des plus démunis, politiques publiques inclusives... Felwine Sarr liste les grands défis sociétaux nécessaires pour transformer la victoire démocratique en une révolution sociale profonde, à la hauteur des attentes populaires
Felwine Sarr est convaincu qu’il y a un ethos de l’universitaire, qui est de faire profession de vérité et celle-ci est due à la société et aux puissants. Depuis les Etats-Unis où il enseigne, l’universitaire sénégalais revient, dans cet entretien, sur la « révolution démocratique » que constitue l’élection de Bassirou Diomaye Faye qui, à son avis, doit aboutir à « une révolution sociale » afin de concrétiser le désir de changement exprimé dans les urnes.
Quelle signification donnez-vous à l’élection de Bassirou Diomaye Faye comme président de la République ?
Le sentiment que j’ai, c’est que le peuple sénégalais a réussi une révolution démocratique. Je pense que les deux termes sont importants. Il y a eu un désir de changement profond dans la société sénégalaise et un refus de basculer dans un régime autocratique. Le précédent régime a tenté de violer nos droits et libertés, a exercé une violence soutenue contre le corps social sénégalais, a piétiné les institutions et nous a entrainé dans une situation inédite ces trois dernières années, jusqu’à ce moment crucial où le président de la République avait décidé d’arrêter le processus électoral. Donc, le fait que l’élection ait eu lieu d’une part, que les institutions et le peuple aient résistés et limité les dérives autocratiques, me donne le sentiment qu’une révolution démocratique s’est opérée. Deuxièmement, je trouve que le PASTEF a su résister aux assauts de l’appareil d’État avec une grande détermination et une forte résilience ; il a convaincu les Sénégalais de son projet de rupture et de sortie du pacte néocolonial ; ceci a fait échos et les gens ont voté pour cela. Tous ces changements me font penser aux prémices d’une révolution. Mais cette révolution démocratique doit aboutir à une révolution sociale, économique et politique. Je pense que la révolution frappe à la porte et celle-ci est entrouverte.
À votre avis quelle est la marge de manœuvre du nouveau gouvernement sur des sujets comme l’emploi des jeunes, le coût de la vie ou encore la réforme des institutions ?
On peut résumer ces priorités en deux points : la réforme des institutions et la vie économique et sociale. Sur le premier point, la marge de manœuvre est totale. Il revient au gouvernement en place d’examiner là où nos institutions ont été vulnérables. Si elles ont été mises en mal et secouées, c’est parce qu’il y’avait de la vulnérabilité. Le code électoral a été manipulé pour exclure des candidats, la présence du président de la République et du ministre de la Justice dans le Conseil supérieur de la magistrature pose un problème d’indépendance pour cette institution. Nous avons un sérieux chantier de refondation du système judiciaire et des institutions en règle générale. Il ne faut pas que la victoire du peuple sénégalais nous fasse oublier cette vulnérabilité. Il faut rendre la séparation des pouvoirs beaucoup plus effective avant que le temps de l’oubli n’arrive. L’autre question épineuse, c’est la vie économique qui dépend en partie de ce qui se passe en interne, de la manière dont l’économie est pilotée, mais aussi du contexte global international. Le Sénégal est une petite économie ouverte, souvent affectée et vulnérabilisée par les chocs extérieurs. Lorsque ceux-ci vont dans le bon sens, le pays en bénéficie, mais lorsque la conjoncture est moins bonne, le pays en souffre. Il faudra rapidement restaurer des marges de manœuvre budgétaire. Le pays s’est beaucoup endetté ces dernières années avec un ratio dette/Pib qui est passé d’environ 30% en 2012 à presque 80% aujourd’hui soit au-dessus de la norme communautaire qui est de 70%. Il est nécessaire de rationaliser les dépenses budgétaires et élargir la base de l’assiette fiscale afin de maintenir un niveau d’investissement public soutenu. Il faudra également tenter d’atteindre ce que les économistes appellent le niveau de production potentielle de l’économie. Et pour cela, il faut des innovations technologiques, de la formation du capital humain et de l’investissement dans les secteurs où le pays a des avantages comparatifs afin de générer des gains en compétitivité. Un diagnostic de l’économie sénégalaise est nécessaire, voir où sont ses limites, mais aussi ses forces et ses potentialités. Enfin, mettre en place des filets sociaux pour les couches les plus vulnérables. Quel que soit le niveau de notre richesse nationale, il est possible de mettre en œuvre un peu plus de solidarité envers les plus démunis en même temps que l’on travaille à rendre l’économie beaucoup plus productive. Pour cela, une économie politique de la dignité est un chantier important qui devrait engager toute la nation ; le gouvernement, le secteur privé et ainsi que ceux qui œuvre dans l’économie populaire, sociale et relationnelle.
Comment mettre fin à l’Hyperprésidentialisme ?
Sur la question du rééquilibrage du pouvoir présidentiel, il faut rappeler que l’on a connu une crise de bicéphalie au sommet de l’État entre Senghor et Mamadou Dia en 1962. Et depuis, les pouvoirs du Chef de l’État n’ont cessé de se renforcer jusqu’à ce que l’on fasse l’expérience des limites d’un tel fait. On s’est rendu compte qu’il fallait retirer des pouvoirs au président de la République et les disséminer dans d’autres pouvoirs : législatif ou judiciaire. Vue la manière dont les élections présidentielles se sont déroulées et la figure de leader incontesté du PASTEF qu’incarne Ousmane Sonko, il est un premier ministre avec un poids politique important. Je ne trouve cependant pas que cette situation de partage du pouvoir exécutif de fait, née d’une conjoncture politique singulière, soit la réponse à l’hyperprésidentialisme. Celle-ci doit être institutionnelle et s’effectuer dans l’espace de la Constitution par une distribution plus équilibrée des pouvoirs entre les différentes institutions afin d’assurer l’existence de véritables contre-pouvoirs. Nous devons faire en sorte que les institutions acquièrent force et crédibilité et qu’elles soient en capacité de modeler les comportements des individus, qu’elles s’autonomisent et échappent aux tentatives de capture par le pouvoir politique. Le fait que le Conseil constitutionnel ait retoqué par deux fois des décisions du président de la République participe au renforcement de nos institutions, à la construction d’une jurisprudence qui inscrit dans l’histoire politique du pays l’idée que l’institution judiciaire peut limiter les dérives de l’exécutif. Il faut également réfléchir à comment construire des formes de vie qui réinstituent au cœur de l’aventure sociale, la dignité et l’autonomie des individus. On a eu une victoire importante, mais elle ne doit pas nous faire oublier le chantier qui est devant nous. Nous devons renforcer les institutions pour faire en sorte de ne pas nous retrouver à l’avenir dans de pareilles situations.
Une loi d’amnistie a été votée pour « réconcilier le pays », mais certains continuent de réclamer justice. Comment concilier ces deux impératifs ?
En fait, je pense que l’œuvre de justice est fondamentale pour toute société. La loi d’amnistie qui a été votée, si nous la laissons telle quelle, consacre l’impunité. Quand il y a de l’impunité dans un corps social, celle-ci sème les graines d’une violence à venir. L’histoire nous l’a montré. Les exemples sont légion en Afrique et dans le reste du monde. L’amnistie interroge notre rapport à la justice et à l’histoire. Le problème d’une loi d’amnistie, c’est qu’elle rend difficile le travail de mémoire d’une société. Toute communauté humaine génère ses monstres, mais il faut dialoguer avec ceux-ci, leur faire face, les conjurer et les mettre à distance. La loi d’amnistie empêche d’investir le passé, de savoir ce qui s’est passé, qui a fait quoi, qui est responsable de quoi. Les forces de défense et de sécurité ont exercé une violence létale à l’encontre des Sénégalaises et Sénégalais. Comment on comprend cette violence ? D’où est ce qu’elle vient ? Je pense que son origine remonte au fait colonial et que nous avons retourné la violence coloniale contre nous-mêmes. Frantz Fanon avait prévenu, en suggérant un travail de destruction des institutions coloniales, du risque de nous ensauvager. Je pense que le rapport entre les forces de défense et de sécurité et les citoyens reproduit le rapport du colon au colonisé. Nous devons extirper de cette institution ce rapport à la citoyenneté qui est déshumanisant. Comment répare-t-on cette violence ? Comment la reconnaît-on ? Comment mettre une distance entre elle et le corps social si on n’effectue pas le travail de vérité et de justice pour les victimes ? Quelles leçons tirons-nous de la crise ? Et que faisons-nous pour que celle-ci nous aide à approfondir le fait démocratique. Il est absolument fondamental de rendre justice aux familles des victimes, de situer les responsabilités et de mettre des garde-fous. Il ne faut pas qu’on l’on négocie avec ces faits et que l’on vendent à la société l’idée d’une réconciliation sans justice. Si on indemnise seulement, on ne rend pas justice. C’est important de répondre au besoin justice des citoyennes et citoyens qui ont été victimes. Le pays leur doit ça. Et la société se le doit à elle-même.
Il y a un débat sur la faible présence des femmes dans le nouveau gouvernement. La rupture c’est aussi sur cette question de l’égalité et de l’inclusivité des femmes ?
La politique ce sont aussi des actes symboliques. Je crois qu’il y a une vraie sous-représentation des femmes dans le gouvernement (4 sur 30). Elles représentent 49,6% de la population totale et donc il était important que le gouvernement reflète cela. Sur le plan économique, elles représentent 80% de la force de travail dans le monde rural et agricole, mais ne possèdent que 2% des terres. Quand on regarde les statistiques sur la pauvreté au Sénégal, 33% des femmes vivent en dessous du seuil de pauvreté (2,15 dollars par jour) et 94% des femmes travaillent dans le secteur informel et elles ont trois fois plus de chances de ne pas être employées, alors qu’elles représentent 40% de la force de travail dans le pays. Dans les ménages, les travaux démontrent que lorsque l’on accroit le bien-être et la prospérité des femmes, il y a un effet bénéfique pour toute la famille, y compris en éducation et en santé. Le ministère de la femme me semble nécessaire car elles ont des problématiques qui leur sont spécifiques ; mais également une économie féministe, c’est-à-dire qui prend en compte et améliore la condition des femmes, parce qu’on ne peut pas avoir de la prospérité dans le pays si la moitié du corps social est victime d’un certain nombre d’handicaps et d’asymétries. Dans tous les domaines on trouve des femmes qui sont très compétentes et capables de diriger des ministères, c’est une revendication tout à fait normale et légitime.
Le nouveau pouvoir place la question de la souveraineté au cœur de ses promesses. Quelle signification donneriez-vous à ce concept et comment s’articule-t-il avec les luttes précédentes ?
On peut dire que la souveraineté, c’est juste la capacité à ne pas se voir imposer la volonté des autres, c’est-à-dire d’être un État qui, sur son territoire, son espace et devant sa population, garde l’exclusivité de ses compétences juridique, exécutive et législative et œuvre pour le bénéfice de ses populations. La souveraineté est une revendication qui date des indépendances. On sortait d’une aliénation de plus d’un siècle avec l’idée de reprendre notre souveraineté politique, économique et sociale et de décider pour nous-mêmes de notre destin, de nos directions et de nos choix sociétaux. Cependant, nous avons certes accédé à la souveraineté dite internationale en 1960, mais nous sommes resté pris dans les rets de relations asymétriques dans plusieurs espaces (économique, politique, épistémologique, symbolique et ainsi que dans celui des futurités, c’est-à-dire des visions du monde). 60 ans après, les jeunesses africaines ont conscience que nous ne sommes pas pleinement maitre chez nous. Les théoriciens des relations internationales soutiennent l’idée d’une fiction de la souveraineté, c’est-à-dire d’un monde sans souveraineté absolue, qui est plutôt interdépendant et ceci du fait de la globalisation. Cependant dans la grande relation d’interdépendance (qui peut être positive ou négative) entre les états-nations, certains sont plus dépendants que d’autres, et nous subissons la dimension négative de l’interdépendance. Dans la demande de souveraineté, il y a le désir d’une relation beaucoup équilibrée avec le reste du monde. Nous savons que nous ne vivons pas dans une autarcie, et que nous sommes reliés au reste du monde, mais nous ne tirons pas de manière équitable les gains d’une relation économique, sociale et culturelle. Nos jeunes ne peuvent pas circuler comme les autres jeunes du reste du monde. Dans le rapport économique, nous ne bénéficions pas prioritairement de nos ressources. Dans les rapports symboliques et politiques, nous avons le sentiment que nous ne décidons pas vraiment de certaines questions qui nous concernent. Cette demande est donc légitime. Pour un peu complexifier la question de la souveraineté, je dirais que c’est un idéal, mais dans la réalité, les États négocient la réalité des interdépendances et essaient de tirer leur épingle du jeu.
Quand on parle de souveraineté il y a une fixation sur la monnaie. En tant qu’économiste monétariste quelle est votre position sur le débat sur le franc Cfa ?
Je suis pour la sortie du franc Cfa. Nos arguments consistent à dire que les accords de coopération monétaire avec la France nous entravent et nous empêchent d’avoir une politique monétaire proactive qui est tournée vers la satisfaction de nos besoins en termes de croissance économique et que celle-ci est trop contrainte par l’arrimage à l’euro. Une monnaie doit refléter les fondamentaux de son économie. Le fait que le franc Cfa soit arrimé à l’euro fait que quand celle-ci s’apprécie (l’euro), le Cfa s’apprécie également ; et cela entrave notre compétitivité externe. Et cette appréciation du franc Cfa vis-à-vis du dollar ou du yen ne dépend pas des dynamiques de nos économies ouest-africaines. Nous perdons donc un degré de liberté. Les études nous ont montré qu’un régime de change plus flexible, dont les marges de fluctuations sont encadrées ; un « currency board » avec un arrimage de la monnaie à un panier de devises au prorata des monnaies des pays avec lesquelles on commerce le plus, était beaucoup plus optimal en termes de bien-être et de croissance économique. Nous avons comparé les différents régimes de change et nous sommes parvenu à la conclusion que pouvoir utiliser le taux de change pour ajuster les chocs, était beaucoup plus bénéfique pour nous. Dans le débat, on a beaucoup mis en avant l’argument de la stabilité, ce qui est vrai, mais cette stabilité-là nous a énormément coûté en termes de croissance économique et de bien-être. En gros, lorsqu’on a fait le travail on a vu que retrouver la souveraineté sur notre politique monétaire pour avoir un « policy-mix » mieux articulé était indéniablement plus préférable en termes de bien-être. Deuxième argument à mettre dans la balance, c’est la dimension symbolique de la monnaie. Le franc Cfa apparaît comme un vestige du fait colonial. Même s’il y a eu des réformes dans le temps et que le nom a changé de signification, dans l’opinion il y a l’idée que c’est une monnaie coloniale, que ce n’est pas notre monnaie. Je pense que la monnaie a une dimension symbolique et imaginaire et qu’il faut répondre à ce besoin. Il ne faut donc pas sous-estimer cette dimension symbolique parce que la monnaie c’est la fiducia, la confiance que les gens ont dans ses fonctions et la complexité c’est d’articuler ces différentes dimensions : économique, symbolique et politique. Dès fois, en tant qu’économiste, j’ai regretté le fait que cette dimension symbolique ait pris le pas sur la réflexion purement économique, mais je comprends que c’est une nécessité d’articuler ces trois dimensions. Et pour toutes ces raisons, nous doit aller vers une réforme et reprendre la souveraineté entière sur la monnaie et l’utiliser au profit de notre prospérité et de notre bien-être économique.
Faut-il faire cette réforme dans le cadre communautaire ou aller vers une monnaie nationale ?
Je pense pour ma part que l’on avait entamé un projet (l’eco) dans le cadre de la Cedeao et que, si on a les moyens d’accélérer ce processus-là et de préserver les gains d’une intégration monétaire et économique, je préférerais qu’on le fasse. Si nous devons aller vers une monnaie nationale, il faudra s’assurer des conditions économiques pour bien le faire, parce que l’on voit bien que c’est à double tranchant : actuellement il y a 23 monnaies africaines qui sont dans la tourmente. Il faut donc réfléchir au bon « trade-off » pour assurer l’effectivité des fonctions de la monnaie ainsi que les avantages de l’indépendance de la politique monétaire. C’est une réflexion à mener avec soin.
Vous venez d’évoquer les difficultés de certaines monnaies africaines, un argument qu’évoquent souvent les tenants du statut quo. Comprenez-vous ceux qui ont peur du changement ?
C’est une inquiétude fondée, du fait que le Cfa nous a apporté une certaine maitrise de l’inflation et une stabilité pendant de longues années et que nous n’avons pas la culture de la fluctuation du taux de change. Donc, c’est une inquiétude que l’on peut comprendre, mais il ne faut pas que cela nous installe dans le confort du statut quo. La vraie question, c’est de savoir la situation vers laquelle nous voulons aller, quels en sont les gains et les limites potentiels. Si l’on gagne plus en termes de prospérité économique à avoir plus de flexibilité et un peu plus d’inflation avec de la fluctuation, il faudrait qu’on l’accepte. Autrement dit, échanger de la stabilité contre de la prospérité. Mais faudrait-il que nous mettions en œuvre les conditions de cette prospérité. Il y a aussi de l’apprentissage. Le jour où l’on sortira du franc Cfa on devra apprendre à raisonner et à travailler autrement. Je pense que la souveraineté c’est aussi accepter d’apprendre à emprunter des chemins inconnus dont on est convaincu qu’au bout, le résultat est préférable. Nous devons mettre en avant le scénario qui, pour nous, va répondre au mieux aux besoins économiques de nos sociétés. Les difficultés qu’éprouvent certains pays comme le Ghana ou le Zimbabwe doivent certes nous faire réfléchir, mais on peut aussi regarder d’autres pays qui ont des monnaies nationales et qui les gèrent plutôt bien et qui ont un niveau de prospérité beaucoup plus élevé que le nôtre et nous inspirer d’eux. Donc, il ne faut pas avoir une peur viscérale du changement, mais regarder où nous mènera ce changement.
35 AGENTS DES AIRES PROTEGEES ENTRE LE SENEGAL ET LA MAURITANIE FORMES SUR L’UTILISATION DES GPS ET LE PILOTAGE DES DRONES
Ces outils que sont le GPS et le drone vont beaucoup nous aider dans la gestion de nos aires protégées, la préservation de la biodiversité et la restauration de nos écosystèmes », ont-ils laissé entendre
Les responsables du Projet de Renforcement de la Coopération transfrontalière pour une meilleure gestion et restauration des écosystèmes dans le Delta du Fleuve Sénégal ont initié depuis le mardi 16 avril 2024 une formation de cinq (5) jours consacrée à l’utilisation des GPS et le pilotage des drones. Celle-ci est destinée aux agents des aires protégées et s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de ce projet qui concerne le Sénégal et la Mauritanie à travers la Réserve de Biosphère Transfrontière du Delta du Fleuve Sénégal (RBTDS).
« Une réserve de biosphère, c’est un outil de conciliation, de développement, de l’économie, de l’environnement et de l’appui logistique. Cela se fait sur la base d’un zonage », a rappelé Mme Diop Aminata Sall, Coordonnatrice dudit projet. Elle est revenue sur l’importance de l'utilisation efficace des technologies qui améliore de nos jours la surveillance, la cartographie, et la collecte de données, permettant ainsi une gestion intégrée des écosystèmes.
« Nous avons ciblé les agents qui tournent autour des aire protégées c’est-à-dire ceux qui conservent la biodiversité ou qui font de la restauration des écosystèmes. Ils sont au nombre de trente-cinq (35) répartis entre le Sénégal et la Mauritanie et la formation a porté sur l’utilisation des GPS et le pilotage des drones qui sont des outils vraiment importants de nos jours », a dit la Coordinatrice.
D’après Mme Diop Aminata Sall, l'objectif général de ces sessions est de renforcer les capacités des parties prenantes de la RBTDS sur l’utilisation des GPS et des drones. Il s’agira ainsi de former les participants sur des aspects tels que l’utilisation des Technologies de Localisation pour la Gestion des ressources naturelles ; d’effectuer une surveillance aérienne et suivi des habitats naturels par l’utilisation des drones ; d’analyse des données pour la prise de décision sur la biodiversité et les écosystèmes.
L’initiative est vivement magnifiée par Idrissa Ndiaye, agent des parcs nationaux en service au Parc National des Oiseaux du Djoudj et Sidy Mamadou Diawara, un autre agent originaire de la République de Mauritanie. Tous les deux sont revenus sur l’intérêt qu’ils portent sur cette formation. « Le monde évolue et les nouvelles technologies sont incontournables. Ces outils que sont le GPS et le drone vont beaucoup nous aider dans la gestion de nos aires protégées, la préservation de la biodiversité et la restauration de nos écosystèmes », ont-ils laissé entendre. D’autres séances de formation et des descentes sur le terrain sont au programme de la mise en œuvre de ce projet.
Désigné en 2005, la RBTDS couvre 641.768 hectares du delta du Sénégal et englobe un ensemble d'aires protégées centrales, ainsi que des zones tampons et de transition. Elle a été établie comme un moyen d'intégrer les considérations environnementales, sociales et économiques tout en conciliant la conservation de la biodiversité et l'utilisation durable des ressources naturelles sur le long terme.
QUATRE HOMMES, UN ETAT – Par Henriette Niang KANDE
MACKY SALL, DU TRIOMPHE À L’ÉGAREMENT
L’élection de Macky Sall à la tête du Sénégal en mars 2012 n’avait ressemblé à aucune autre emais personne ne le perdit aussi facilement que la dernière année de son second mandat
Avec Macky Sall, la gestion libérale du pouvoir allait prendre un autre souffle. Premier ministre et directeur de campagne pour la réélection de Abdoulaye Wade en 2007, Macky Sall fut le vainqueur de la deuxième alternance à la tête du Sénégal : un autre espoir après la fin des 12 années de règne mouvementé du « Pape du Sopi ». Quoiqu’incarnant, à ses débuts, un nouveau style politique, celui d’un président « moral », transparent, sobre, Macky Sall n’incarna pas la rupture tant attendue. Le mode clientéliste de gestion du pouvoir poussa son parti à tout truster sur fond de patrimonialisation et de privatisation accélérées de l’appareil d’Etat. Le référendum de 2016 consacre la réalité du pouvoir par laquelle Macky Sall « vampirise » autant les institutions constitutionnelles que le processus de sélection des candidats à la présidentielle. On assiste de fait, à la reconstitution d’un Etat superpuissant flottant au-dessus de la société dans laquelle la parole libre devient suspecte. Le point d’orgue en sera le « mortal kombat » entre Macky Sall et Ousmane Sonko, une opposition frontale et « meurtrière » qui livre, à terme, le pouvoir au cinquième président du Sénégal, Bassirou Diomaye Diakhar Faye.
L’élection de Macky Sall à la tête du Sénégal en mars 2012 n’avait ressemblé à aucune autre et ne s’était réduite à aucune précédente. Cette année-là, il gagne très vite le soutien des foules, mais personne ne le perdit aussi facilement que la dernière année de son second mandat. Si l’élection relève d’un mécanisme institutionnel et d’un rituel démocratique bien rodé, il n’en demeure pas moins que celle de 2012, s’est inscrite dans le sillage d’une famille politique (les Libéraux) qui a dominé les années 2000. Ce n’est pas un hasard si le tiercé gagnant sorti de la course au premier tour appartient à cette famille : Abdoulaye Wade, Macky Sall, Idrissa Seck. Le trio partage les mêmes caractéristiques : volontaire, téméraire avec une détermination d’airain. De ces trois hommes, Macky Sall a été celui qui a le plus poussé chacun de ces trois traits. D’eux, on ne saurait pas retenir que les incompatibilités de caractères après que leurs tempéraments se sont accordés, dans une harmonie qu’ils ont célébrée maintes fois, publiquement. Pour l'un comme pour les autres, il y eut toujours ce but qu'il leur a fallu apprivoiser, et que le commun des mortels ne saurait envisager sans trembler : le palais de la République. La deuxième alternance qu’a connue le pays procède d’un vote démocratique, sur un mode référendaire (pour ou contre Abdoulaye Wade). Au lancement de la campagne électorale de 2012, Wade avait-il conscience que s'ouvrait devant lui, sur une pente de 21 jours de campagne, l'ubac de son quinquennat ? Idrissa Seck lui, a été incapable de voir dans le regard des autres, autre chose que son propre reflet. Devenu réfractaire à Wade, il a osé se gausser du « monarque républicain ». Et publiquement ! Avec l'insolence en guise d'insoumission. Quant à Macky Sall, il a profité d’une image qui prenait les couleurs d’une aurore naïve. Il est arrivé en se pressant… lentement tout en gagnant du terrain, sans avoir l’air d’y toucher, convainquant les sceptiques, les hésitants, les grincheux.
Les choix de Macky Sall
En 2008, beaucoup de ses camarades de parti et de Sénégalais, ne lui reconnaissaient une épaisseur encore moins une intelligence politique, lorsqu’il se coupait d’Abdoulaye Wade et du Pds. Sa carrière politique commence au lycée, quand il fréquente les maoïstes. Etudiant, il « milite » dans le mouvement marxiste-léniniste duquel il s’éloigne, adhère au Pds et vote Abdoulaye Wade aux élections présidentielles de 1983 et 1988. La même année, il est le secrétaire général de la Convention régionale du parti à Fatick, son lieu de naissance. Son ascension s’esquisse dans le Pds et dans l’administration en 2000. Cette année-là, il est nommé directeur général de Petrosen, la société des Pétroles du Sénégal où il occupait le poste de chef de la division Banque de données. Sa carrière se poursuit dans les différents gouvernements de Wade : ministre de l’Energie et des Mines, ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales (chargé de l’organisation des élections), Premier ministre et directeur de campagne pour la réélection de Wade en 2007, Président de l’Assemblée nationale. Son apprentissage des leçons politiques s’affermit, il acquiert de plus en plus d’expériences et tisse ses réseaux de clientèles politiques, économiques, religieux, dans et en dehors du pays. Il aiguise ses armes sans se faire remarquer dans les agitations fratricides qui minent et secouent dangereusement le PDS, qui le place loin derrière, dans la lignée des héritiers que sont Idrissa Seck et Karim Wade. Abdoulaye Wade en fait le principal instrument mis en action pour faire passer à la trappe, Idrissa Seck. Il s’attelle à la tâche sans état d’âme. Il accompagne la montée en puissance de Karim Wade, le fils du président dans l’appareil d’Etat et tolère ses manœuvres qui visent la création de la Génération du concret. Mais ses gages et ses accompagnements n’empêchent pas sa descente aux enfers, et la guérilla menée contre lui par Wade et par ses camarades de parti. En 2007, après les élections législatives, il devient Président sous surveillance de l’Assemblée nationale, rétif au projet de « dévolution monarchique » du pouvoir de Wade au fils Karim. Il entre ouvertement en dissidence en convoquant ce dernier devant le Parlement pour répondre de la gestion décriée de l’Agence Nationale de la Conférence Islamique (Anoci). Abdoulaye Wade invite alors ses députés à voter une loi réduisant le mandat du président et du bureau de l’Assemblée nationale de cinq à une année.
En 2008, il fait face au harcèlement politique des proches partisans et des représentants de la frange la plus belliqueuse et arrogante du Pds, qui lui reprochent ses velléités d’autonomie politique ou économique (il est convoqué et auditionné à la police pour cause de blanchiment d’argent). On lui transmet un message non équivoque : s’aligner ou se faire écraser. En lui faisant vivre ces affres, Wade et le Pds venaient de dégoupiller une grenade qui leur explosera dans les mains. En réponse à ce traitement, Macky Sall démissionne du Pds et se défait de tous ses mandats électifs. Il réussit ainsi à faire voler en éclat cette image de débonnaire qu’il renvoyait. Il n’était pas nouveau. Il devenait neuf. Il adopte une stratégie qui déborde du cadre de la succession pour celle de la conquête. Elle lui offre une démarche gagnante. Il a fallu de l’habilité, de la détermination et une grande dose de baraka. L’Alliance pour la République (Apr) qu’il crée en 2008 se démarque du Pds et des principaux partis de l’opposition (Ps, Pit, Ld, Reewmi…).
En sa qualité de Président, il prépare sa revanche, la rage au ventre, mais il n’inquiète personne. Il sillonne le pays pour présenter son offre politique basée sur une « nouveauté » : la rupture dont lui-même est un symbole, et laisse Dakar aux activités politiques des principaux leaders des autres partis. Les points les plus saillants de son discours et de son agenda politiques ont été :
- Les marabouts sont des citoyens comme les autres ;
- La patrie avant le parti ;
- La lutte contre la corruption ;
- Le rejet catégorique de la transhumance ;
- La réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans.
- La suppression du Sénat ;
- Le rétablissement du mandat du bureau de l’assemblée de 1 à 5 ans.
- La déflation institutionnelle et administrative.
En quittant la Place de la Nation, son « mergadou » sous l’aisselle, les cris d’orfraie fusent, mais sur lui, tout semble glisser. Il devient omniprésent sur le terrain, poursuit sa tâche de laboureur sans relâche. Coup de poker insensé.
Face à l’omniprésence brouillonne des partisans de Abdoulaye Wade, il avance d’un pas tranquille enveloppé d’une certaine rondeur. Un de ses ex intimes, dans une confession m’a révélé : « je l’ai observé pendant plusieurs années. Je ne sais pas qui il est ». Ceux qui ont tenté de le percer donnent l’impression de s’enfoncer dans un labyrinthe. Il fait un pied de nez à tous ceux qui l’avaient sous-estimé. Il n’assiste pas à la grand’messe des Assises nationales et n’occupe pas les premiers rangs des manifestations organisées par l’opposition et la société civile.
Face à la coalition de l’opposition Benno Siggil Sénégal, qui ne parvient pas à s’accorder sur une candidature unique (Moustapha Niasse- Tanor Dieng), Macky Sall creuse son sillon et cultive la différence, dans la critique tout en retenue des autres candidats. Au soir du 26 février 2012, jour du premier tour de l’élection présidentielle, il se place derrière Abdoulaye Wade, devance Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng, mais surtout Idrissa Seck. Macky Sall peut commencer à préparer le second tour de l’élection présidentielle. Il bénéficie de l’engagement des candidats de l’opposition à soutenir le mieux placé parmi eux. Il commence à tisser sa toile, s’écartant de manière stratégique de certains éléments de son agenda du premier tour. Il adopte, à partir de ce moment une position d’héritier de Wade, que sa dissidence avait masquée. Il revient sur sa proclamation de la qualité de citoyen ordinaire des marabouts et sur son rejet des conclusions de Assises nationales qu’il embrasse désormais « avec réserve » dit-on. Le jeu de yoyo entre l’agenda politique du premier tour qui affiche l’autonomie vis-à-vis des appareils politiques et des associations de la société civile et promeut la rupture et celui du second tour qui s’aménage des espaces de compromis et des alliances avec certaines forces politiques et de la société civile annonce une gouvernance heurtée, sinon très opportuniste. L’héritier de Wade se dépouille déjà des oripeaux du candidat de la rupture.
L’EXERCICE DU POUVOIR
Au début de son mandat, il s’emploie à incarner un nouveau style politique, celui d’un président moral, transparent, sobre. Sa volonté d’afficher la rupture lui fait déclarer son patrimoine, engager une politique de réduction du train de vie de l’Etat en restreignant le premier gouvernement à 25 ministres. Il engage des audits réclamés à cor et à cris par les populations, sur les dignitaires de l’ancien régime, ressuscite la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite, crée l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), n’intercède pas en faveur de Serigne Béthio Thioune emprisonné pour complicité de meurtre de deux de ses disciples.
Suite au réaménagement gouvernemental d’octobre 2012, il supprime le ministère chargé des élections et rend au ministère de l’Intérieur, toutes ses prérogatives dans l’organisation des élections. Il dissout le Sénat pour cause de réaffectation de son budget à la gestion des inondations de l’hivernage 2012. Ce qui lui ôte, par ailleurs la possibilité de caser ses partisans et autres alliés qui n’avaient pas trouvé de place dans le gouvernement ou à l’Assemblée nationale. Mais tout cela ne l’a pas empêché d’être pris dans le jeu des alliances politiques et n’a pas permis, on le verra plus tard de « réparer l’image de la politique ». Les élections législatives qui se tiennent trois mois après la présidentielle ne passionnent pas franchement les Sénégalais car seuls 37% des inscrits ont voté.
La coalition Benno Bokk Yakaar sort vainqueur. Dès le soir de sa victoire au deuxième tour de la présidentielle de 2012, Macky Sall, se révèle dans l’exercice du pouvoir, marqué par un seul souci, sa réélection pour un deuxième mandat. Son parti, l’APR n’est pas structurée. Le PDS, malgré son affaiblissement reste une force avec laquelle il faut compter. Les différents autres groupes qui se manifestent dans son entourage, y compris familial, revendiquent des agendas différents sinon opposés et en compétition. La rupture se fait attendre. Le mode clientéliste de gestion de pouvoir n’a pas disparu.
La nomination abusive de ministres-conseillers et l’élargissement du gouvernement, comme les audits engagés et qui tardent à aboutir sont de plus en plus dénoncés. Le parti prend le pas sur la patrie. L’APR truste toutes les positions de directions dans l’administration et les sociétés publiques et parapubliques. Les sinécures et le pillage des ressources financières dénoncés par les organes de contrôle sont sans effet, si ce n’est lui-même qui déclare « avoir mis le coude sur certains dossiers ».
Par petites touches, Macky Sall reconduit le modèle dont il a toujours revendiqué le démantèlement : il mène une politique de la fragmentation qui a des conséquences sur l’espace public, en particulier sur les partis politiques, remettant en cause, dans le même temps des stratégies de coalitions. S’installe par conséquent, une crise de leadership au sein du Parti socialiste, du PIT, de l’AFP et de la LD. Pour les réfractaires, une cavalerie administrative et judiciaire qui piétine tout sur son chemin est lancée et l’opposition est menacée d’être « réduite à sa plus simple expression ».
Les différences de traitement sont manifestes, selon que l’on membre du parti ou non, un droit qui n’est pas égal pour tous, parfois teinté d’humiliation, parfois de violence. Sans dire les pressions exercées sur les concernés par la politique dite de la « traque des biens mal acquis » il consacre publiquement la transhumance lors d’un conseil ministériel à Kaffrine en 2015 : « Un homme politique ne doit pas être rancunier, revanchard. Pourquoi ne devrais-je pas recevoir des gens du Pds ou d’un autre parti qui veulent intégrer l’Apr ? Je n’ai aucun problème à les recevoir ! La transhumance est un terme péjoratif qui ne devrait jamais être utilisé en politique parce qu’elle est réservée au bétail qui quitte des prairies moins fournies pour aller vers des prairies plus fournies. Selon les saisons, le bétail a besoin de se mouvoir. C’est vrai que c’est par analogie que les gens ont taxé les perdants qui vont vers les vainqueurs. Ça peut se concevoir mais le terme n’est pas acceptable. Nous avons tous la liberté d’aller et de venir, c’est la Constitution qui nous le garantit.
Ensuite, les acteurs politiques au Sénégal ne sont pas nombreux. Nous avons à peu près 5 millions d’électeurs sur 13 millions de Sénégalais ». Ce à quoi un observateur avait soufflé avec dépit : “Il a pour lui l’argent, la calculatrice, le coffre-fort et tous les hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre quand il n’y a à enjamber que la honte.” Peu à peu, il détricote la politique de passation des marchés. L’inclusion ou l’exclusion des prébendes aux ressources publiques deviennent dès lors, l’unique enjeu des activités politiques. On assiste à un contournement, voire un détournement des appareils de l’Etat mais elle correspond à des prises de position par rapport à ce dernier qui est concomitant à la reconstitution d’un Etat superpuissant flottant au-dessus de la société dans laquelle la parole libre devient suspecte. Il met fin aux fonctions officielles de quiconque se déclare contre son 3ème mandat. Sans en revendiquer l’héritage, il se vêt des habits de Abdoulaye Wade, relativement aux infrastructures, qu’on affichera à la fin de son mandat, sur le tableau des réalisations, que c’est l’élément le plus visible de son « bilan matériel ». Ce qui n’est pas faux. Face à l’indiscipline et au chantage au vote-sanction, le pays connait une inflation institutionnelle et administrative. La mise en place du Haut Conseil des Collectivités Territoriales (HCCT) est un exemple parmi d’autres, tandis que la patrimonialisation et la privatisation accélérées de l’appareil d’Etat suivent leurs cours. Aujourd’hui, il se dit que le patrimoine bâti de l’Etat, se réduit à une vingtaine de biens.
Première dame
Dans une « chronique de l’improviste » en date d’octobre 2016, le statut de l’épouse est posé. « Le texte de Monsieur Mody Niang publié (…) dans la presse pose clairement le cas du statut de ce qu’il est convenu d’appeler Première dame de la République. (…) En son temps. Madame Colette Senghor s’est distinguée par une discrétion, un mutisme, si ce n’était une mutité. Durant les années 1980-1990, (…) au plan politique (politicien), une campagne de désenghorisation est lancée. Elle n’a pas seulement pour objet, de trouver une nouvelle honnêteté à Abdou Diouf. Son épouse est également dans la propagande qui fit entendre à tous les Sénégalais que le Palais venait d’être occupé par (presque) d’authentiques Sénégalais (…) Après une décennie de silence, Madame Diouf opère sa mue, prononce un discours, est aux premiers rangs des fidèles lors de la visite du Pape Jean Paul II, sort de sous le couvert de la Fédération nationale de l’action sociale (Fnass).
L’histoire retient qu’en pleine période de préparatifs du 20ème anniversaire de cette fédération, Abdou Diouf trouve un prétexte pour le faire reporter. Deux mois après, la Fondation de son épouse était créée. Madame Diouf s’affirme alors comme actrice de la vie publique, notamment avec sa fondation Solidarité-Partage. A l’époque déjà, et plus encore après la chute du Président Diouf, des voix se sont élevées pour dire l’opacité qui entourait l’objet, son fonctionnement et sa gestion et ont rebaptisé la « Fondation Solidarité, Partage… du gâteau ». Les années 2000 seront celles de la Sénégalaise décomplexée, qui revendique sa part de légitimité dans la construction nationale, comme Viviane Wade réclame sa sienne dans le Sopi. (…). Exaltée par la victoire de son époux, elle sort du Palais, va faire son marché, participe à une marche pour protester contre les violences faites aux femmes, interpelle des soldats en partance pour le Congo en les mettant en garde contre les risques que des vendanges non protégées pourraient causer des récoltes sidéennes et précipite dans la nuit d’un tombeau, la Fondation de Madame Diouf. Elle crée l’«Association Education-Santé », fait construire un hôpital à Ninéfécha, administré par le ministère des Forces Armées.
Le ministère de la Santé de l’époque avait mis à sa disposition un personnel médical. Ce qui avait fait dire à un opposant de son présidentiel époux, non sans raison d’ailleurs : « En réalité c’est un président bis ». Maître Wade avait, quant à lui qualifié son épouse de « sa première opposition » (…). Quant à Marième Faye Sall, elle est décrite comme étant « cette femme qui s’était engagée sur le terrain politique aux côtés de son époux, participant à la mobilisation des électeurs, en pantalon jean et un T shirt à l’effigie du candidat, une casquette vissée sur la tête » Le couple qu’elle forme avec l’actuel président de la République, constitué de deux êtres nés après l’indépendance du pays, nous renvoie sa différence avec la vieille classe politique et son engagement « naturel » avec la rupture. Dès l’accession de son époux à la Présidence de la République, le ton est donné : elle, Sénégalaise bon teint, de père et mère, n’est pas venue d’ailleurs. Cette fois-ci (…), pas d’étrangère. Mais très vite, elle fait l’objet, à tort ou à raison d’alarme dynastique, entre faits de Première Dame, bon plaisir et esprit de cour. Sur son blog, il est inscrit : Marième Faye Sall, Première Dame du Sénégal- Blog officiel, mettant en exergue un lien privé qui donne un privilège public.
La Fondation elle-même, n’a ni site, ni blog. Ou s’ils existent, ils ne sont pas référencés. Quand ce n’est pas la société de Loterie nationale sénégalaise qui offre des ambulances à la « Fondation Servir le Sénégal » qu’elle a mise en place, «elle bénéficie de nombreux soutiens matériels et fi nanciers de mécènes qui cherchent peut-être le retour de l’ascenseur », selon Monsieur Baba Tandian, (…). Toutes ces Premières dames ont quelques points communs. A un moment ou à un autre du ou des mandats de leurs présidentiels époux, elles ont arbitré des querelles politiques, en faisant prévaloir leurs préférences e/ou leur détestation. Seule leur façon de faire est différente. Et c’est là où se situe le nœud du problème. Pas élues, (les électeurs votent pour un candidat et non pour un couple), elles ont plongé (hormis Madame Senghor), avec leur fondation ou association dans des domaines sociaux qui ne sont en rien liés à leurs trajectoires personnelles, mais dont une dynamique a pris forme en les faisant passer de l’effacement à une visibilité accrue grâce à leurs actions humanitaires ou sociales, leur octroyant un rôle politique manifeste.
L’objectif de leurs fondations, leur mot d’ordre est d’identifier les groupes vulnérables, de diminuer les souffrances, de dérouler une politique compassionnelle, s’arrimant ainsi dans cette niche sociale d’un Etat en ruine et d’une privatisation de la redistribution sociale. C’est là que se sont affirmées et continuent de l’être, les activités les plus symboliques et les plus politiques. Le départ du pouvoir du Président battu s’accompagne généralement d’une vague de rejet de l’épouse, qui juste avant l’élection perdue avaient subjugué par leur charme, leur générosité, leur simplicité. Dérivé du « First Lady » américain, le terme Première dame devient l’équivalent qui qualifie l’épouse du candidat sorti vainqueur de cette élection présidentielle, Macky Sall. (…). Cette évolution a contribué à façonner les frontières des sphère publique et domestique que chevauche le pouvoir politique, au point où des voix se sont élevées pour qu’une fonction politique officielle leur soit attribuée. Mais officielle ou pas pourra-t-on un jour dissoudre les humeurs d’une première dame dans une solution constitutionnelle ? ».
Marième Faye Sall a toujours nié la place centrale qu’elle a occupée dans la gouvernance de son époux. Malgré ses déclarations, elle a pesé de plus en plus lourd et son rôle s’est élargi au fil du temps. « Si nous sommes ministres, Matar Ba et moi, nous le devons à Marième Faye » avait lâché Mbagnick Ndiaye, nouvellement promu au ministère de la Culture. Elle a intéressé, elle a intrigué, elle a choqué ou impressionné, boulet pour les uns, atout charme pour les autres. Quelques mois avant la présidentielle de 2024, sa fondation est officiellement dissoute. Le couple Sall, aujourd’hui installé au Maroc, a laissé la place à un tout nouveau président de la République du Sénégal, élu et… polygame. Mais je m’égare…
Découvertes gisements de gaz et de pétrole
En 2014 surviennent les premières découvertes en hydrocarbures dans le pays. D’abord le gisement de Sangomar, qui promettait des revenus à hauteur de 24 milliards USD ensuite ceux de GTA en partage avec la Mauritanie, dont les retombées étaient évaluées à environ 15 milliards USD. Puis survient le scandale Petrotim avec le sulfureux homme d’affaires Frank Timis. Quand bien même le fin mot de cette histoire n’est toujours pas connu, le gouvernement a rendu public tous les contrats sur le pétrole et le gaz conformément à l’adhésion du Sénégal à l’ITIE. Outre les sociétés américaines et britanniques, Total jadis prudent arrive en 2017. Le major français paraphe un contrat avec l’État et se voit octroyer le bloc Rufisque Offshore profond, soulevant une grosse polémique ayant abouti au limogeage ou à la démission de Thierno Alassane Sall. Entretemps le retard de la production s’accumule. Les premiers barils qui devaient être chargés en 2022 puis en 2023 devront attendre au plus tôt, le troisième trimestre 2024.
Rapports avec l’opposition
Il n’y a pas de succès politique sans l’échec des concurrents ou des adversaires et surtout de ceux qui avaient été des amis ou mieux des « frères ». D’anciennes pratiques sont reconduites : l’utilisation politique de la CREI, à la condamnation de Karim Wade et de celle de Khalifa Sall, la défenestration de Nafi Ngom Keita de l’OFNAC qui s’est rendue coupable de se plaindre de ne pas avoir été reçue pour transmettre les rapports de son organisation. Karim Wade sera la première tête de turc de Macky Sall, dans la « traque des biens mal acquis » conduite par la Crei en mars 2013. Il disposait d’un mois pour justifier sa fortune que l’Etat estimait à 600 milliards de F Cfa. Le délai arrivé, il est écroué et condamné après deux ans, en mars 2015 à 6 ans de prison et à une amende de plus de 135 milliards. Le procès fut une véritable traversée du miroir qui finit par coiffer un prévenu impopulaire d’une couronne de martyr et de prisonnier politique victime d’un acharnement judiciaire.
Libéré en catimini en juin 2016, suite à une grâce présidentielle (alors qu’il réclamait un nouveau procès), il s’envole, avec l’obligation de ne plus venir à Dakar, en compagnie du procureur général du Qatar, envoyé par l’Emir en direction de Doha. Ce qui présageait une situation politique invalidante de sa participation à l’élection présidentielle à venir. En mars 2016, un référendum constitutionnel est organisé, comportant 15 points dont la participation de candidats indépendants à tous les types d’élections, la reconnaissance de nouveaux droits aux citoyens, la restauration du quinquennat pour le mandat présidentiel, l’élargissement des pouvoirs de l’Assemblée nationale quatre points allaient s’avérer capitaux à veille de la présidentielle de 2014 : la soumission au Conseil constitutionnel des lois organiques pour contrôle de constitutionnalité avant leur promulgation , l’augmentation du nombre des membres du même conseil, la désignation par le président de l’Assemblée nationale de deux de ses sept membres, l’élargissement des compétences du Conseil constitutionnel pour donner des avis et connaitre des exceptions d’inconstitutionnalité soulevées devant la Cour d’appel,
L'intangibilité des dispositions relatives à la forme républicaine, la laïcité le caractère indivisible, démocratique et décentralisé de l'État, au mode d’élection, à la durée et au nombre de mandats consécutifs du Président de la République. Khalifa Ababacar Sall, maire de Dakar, appelle à voter massivement non. Quelques mois après, en 2017, il est accusé de détournement de ce qu’on a appelé « la caisse d’avance », pour une valeur de 1,8 milliard. Il est condamné à cinq ans de prison et incarcéré, après avoir été révoqué de sa fonction de maire. Auparavant, son immunité parlementaire a été levée.
En mode fast track, il devient ni électeur, ni éligible. Ces partisans et avocats ont très vite dénoncé cette décision contre l’un des principaux opposants de Macky Sall qui devait briguer un second mandat en 2019. Karim Wade et Khalifa Sall ont été les victimes d’opérations de moralisation de la vie politique sénégalaise qui dissimulait mal des sentiments moins nobles relevant davantage du règlement de compte.
Le deuxième mandat
A l’élection de 2019, Macky Sall en sort vainqueur dès le premier tour, devançant Idrissa Seck et Ousmane Sonko. Si Idrissa Seck a été étrangement muet après cette élection, Ousmane Sonko, n’a pas hésité à réserver ses critiques et railleries aux petits et grands cénacles, lapidant de lazzi Macky Sall en place publique, qu’il réduisait en dictateur et qu’il menaçait d’occire comme Samuel Doe. Ses contestations étaient permanentes et avaient trouvé écho parmi de grandes franges de la population, particulièrement chez les jeunes, toujours habile de prendre l'opinion à témoin, la ranger du côté de sa bonne foi apparente, de sa victimisation, sinon de son bon droit. Sa force, celle de son parti et de ses animateurs, a certainement résidé dans leur capacité à incarner une nouvelle figure de la politique qui replace, l’honnêteté, l’engagement, le patriotisme et la citoyenneté au cœur des récits et imaginaires d’une part importante de la jeunesse. S’il est sans doute encore trop tôt pour évaluer les effets profonds de ces manières de se dire et de se penser dans l’espace social elles semblent néanmoins renouveler, sans nécessairement les épuiser, les formes d’inscription de la jeunesse dans le champ politique et social depuis l’indépendance.
En janvier 2018, un massacre est perpétré dans la forêt de Bayotte en Casamance. Le gouvernement prend des décisions quant à l’exploitation (illicite) de bois. Le MFDC a été le premier suspect des médias et du gouvernement. Puis des soldats sénégalais ont été retenus en otage. Il n’en fallait pas plus, pour que Macky Sall, Chef suprême des Armées fasse bombarder les bases des rebelles et quand il déloge Yaya Jammeh, obligé de s’enfuir en Guinée équatoriale, cela tient plus du style de commando que d’une négociation diplomatique. L’épidémie de la Covid en février 2020 fait enregistrer une hécatombe sur le plan humain et met à nu, les fragilités système sanitaire et plus tard, au plan de la gestion des ressources financières qui avaient été affectées pour l’endiguer. Les restrictions qu’imposaient les risques sanitaires obligent les Sénégalais d’observer un couvre-feu, qui lui, un soir, n’a pas été respecté par Ousmane Sonko qui s’est vu accusé de viol par une jeune dame officiant dans le salon de beauté où il allait se faire masser pour calmer ses douleurs lombaires qu’il ressentait depuis sa tendre enfance. Un imbroglio s’ensuit. Tout le monde accuse tout le monde : viol, complot, subornation de témoins…
Sa convocation en mars 2021, au tribunal met le feu aux poudres. Ses partisans, convaincus que l’Etat de Macky Sall veut lui faire subir le même sort que celui de Karim Wade et de Khalifa Sall, parce que non formel investissent la rue et tentent de l’empêcher d’aller répondre au juge qui l’avait convoqué. La réplique des forces de l’ordre est ferme, la riposte l’est tout autant. Plus d’une soixantaine de morts que les deux camps font porter chacun à l’autre, des biens publics et privés pillés ou saccagés. Du côté de la présidence de la République, c’est le mutisme face au bilan de la violence. Macky Sall donne l’impression de compter sur la peur d’une situation chaotique et violente qui pourrait jouer dans l’essoufflement progressif des mobilisations. Il n’en a rien été.
En réaction, l’Etat prend des mesures drastiques contre un discours violent, et qualifie les manifestants et leurs chefs de terroristes, mus par des forces occultes. D’autant que les médias locaux et étrangers, les réseaux sociaux, contribuent à alimenter l’image d’un pays à feu et à sang. Les élections législatives organisées en janvier 2022, ont vu l’Assemblée nationale être configurée autrement que ce que les résultats des législatives avaient donné depuis l’indépendance : un presqu’équilibre entre le nombre de députés de la coalition de la majorité et celle de l’opposition.
A l’ouverture de cette 14ème législature, on assiste à une impression de déliquescence, un cirque dans lequel chaque acteur s’est efforcé d’enfoncer un clou de plus dans le cercueil de la démocratie. Il y a eu le spectacle offert par les nouveaux députés, les insultes, les suspensions de séances, la transformation des élus du peuple en acteurs tik tok, et une ceinture de gendarmes protégeant l’urne pour que le vote puisse se tenir. Cette opération se répètera plus tard. Le 1er juin 2023, le verdict tombe, du procès opposant Adji Sarr qui avait accusé Ousmane Sonko de viol : corruption de la jeunesse. Les manifestants réinvestissent la rue, la violence refait surface, des nervis sont utilisés de part et d’autre, les pillages reprennent. On compte des morts, dont les plus emblématiques sont deux filles brulées dans un véhicule de transport en commun.
En réaction, l’Etat emprisonne à tout va. Manifestants ou soupçonnés tels. Les prisons sont surchargées de « terroristes et d’indépendantistes », plusieurs cadres du Pastef emprisonnés ou affublés d’un bracelet électronique, Ousmane Sonko est condamné par contumace, et le Pastef dissout. Plus tard, il sera emprisonné dans le même temps son éligibilité et son droit d’électeur. Macky Sall, évasif ou muet sur son éventuelle candidature à un 3ème mandat, fait réagir l’opposition à qui on peut tout reprocher sauf de manquer d’imagination dans les choix de création de collectifs, et ce, jusqu’à la veille de l’élection et que Macky Sall, après avoir déclaré sa non-candidature le 3 juillet 2024, s’est mis en tête de se raviser et développe des stratégies spécieuses pour faire reprendre le processus électoral. Pendant trois ans, des coalitions de l’opposition se sont succédé, bâties par les mêmes hommes et femmes, et souvent avec le socle discursif. Nous avons eu droit à toutes les compositions politiciennes d’hommes et de femmes qui sensiblement ont des parcours et des partis divergents mais savent faire front au nom d’intérêts propres.
Le tout entretenant un combat entre deux hommes. Ousmane Sonko en prison, se résout à faire de Bassirou Diomaye Faye, le candidat de Pastef et de la coalition qui le soutient, après avoir porté son choix sur Habib Sy, dont la candidature avait été validée par le Conseil Constitutionnel, suite au parrainage des élus. Cheikh Tidiane Dièye lui, passé le tamis des parrainages, dont la candidature elle aussi a été validée par le Conseil constitutionnel, renonce à sa candidature. Habib Sy en a fait de même.
Décisions refusées par le Conseil Constitutionnel. Du côté de la coalition au pouvoir, « le choix de raison » porté sur Amadou Bâ, fit naître des contestations reposant sur le fait « qu’il n’avait pas une légitimité historique ». Les protestataires opèrent une intensification et une radicalisation contre ce choix, soutenus par Macky Sall aveuglé par une haine qui ne veut pas dire son nom, qui leur souffle à l’oreille, parfait connaisseur des méandres de la politique politicienne, dans une cacophonie favorable à toutes sortes de manœuvres, fait ouvrir les portes de la prison à ces centaines de manifestants « pro Pastef », et suite à ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui, le «Protocole du Cap Manuel », choisit d’amnistier Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye qui recouvrent la liberté. Comme Senghor, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, les deux mandats de Macky Sall ont été traversés par Farba Ngom, son griot, dont on dit qu’il avait le pouvoir de faire ou défaire des carrières.
Député et maire, il est nommé secrétaire national de l’Apr, chargé de l’organisation et de la mobilisation. Sa richesse, il la doit à son travail et aux transactions immobilières qu’il opère depuis plus de 20 ans, dit-il. Gent d’arme oral pour Macky Sall, il a été pendant tout le temps à ses côtés, un personnage clivant. La campagne électorale se tient en 10 jours au lieu des 21 prévus par la loi. Macky Sall organise un dialogue boudé par les candidats validés. Dans une saute d’humeur, il lance, « mon départ, du pouvoir, c’est le 2 avril. J’en ai assez ».
Au soir du 24 février, Bassirou Diomaye Faye gagne l’élection, au premier tour, avec 54% des suffrages exprimés. Aucun recours n’a été porté. C’est dans cette conjoncture qu’il faut lire le futur du Sénégal. On dit que le premier mandat d'un Président de la République lui permet d'imprimer sa marque, et que le deuxième contribue à préparer sa place dans l'Histoire. Le nouveau pouvoir est-il capable de bâtir de nouvelles formes d’interventions politiques et d’alliances pour promouvoir la rupture promise depuis 2000 ? D’autant plus que cette génération est la plus à même de trouver un langage qui lui est propre, pour enfin cesser d’être une héritière. Au passage, certains observateurs, analystes, de la scène politique, écrivent ou disent qu'il faut cent jours pour réussir. Mais que ces cent jours ne se situent pas à la fin mais au début d’un quinquennat.
par Abdoulaye Sall
LA LAÏCITÉ EST UN PILIER DE NOTRE RÉPUBLIQUE
Pourquoi créer une structure spécifique pour les diplômés en arabe ? Je m'interroge sur le placement de cette direction au sein de la présidence. La question de la neutralité de l’État face aux différentes confessions religieuses se pose
Je m'adresse à vous aujourd’hui en tant qu’inspecteur de l'enseignement à la retraite et en tant qu’activiste, pour exprimer mes préoccupations profondes concernant la récente création de la Direction des Affaires religieuses et de l’Insertion des diplômés de l’Enseignement Arabe au sein de la Présidence de la République. Cette décision, telle qu'annoncée lors du communiqué du conseil des ministres du 17 avril 2924, soulève plusieurs interrogations importantes qui, je le crois, méritent une réflexion approfondie.
Premièrement, en tant que nation qui s’enorgueillit de son caractère laïc, il est surprenant et préoccupant de voir une direction spécifiquement dédiée aux affaires religieuses et à l'insertion d'une catégorie spécifique de diplômés être établie directement sous votre haute autorité. Cette démarche semble indiquer une préférence non seulement pour une confession particulière, mais également pour une discipline d'enseignement spécifique, ce qui peut être perçu comme une rupture du principe d'égalité qui doit prévaloir dans un État laïc.
Deuxièmement, la question de la neutralité de l’État face aux différentes confessions religieuses se pose avec acuité. Il est crucial de savoir de quelle confession sera issu le directeur de cette nouvelle direction, et comment cette nomination pourra affecter l’équilibre et la cohésion entre les différentes communautés religieuses du Sénégal.
Troisièmement, l'insertion des diplômés de l'enseignement arabe soulève la question de la pertinence et de l’équité vis-à-vis des diplômés des autres disciplines linguistiques. Pourquoi créer une structure spécifique pour les diplômés en arabe, et pas pour ceux des autres langues ( français, anglais, russe, allemand, espagnol, langues nationales...) ? Cette décision pourrait être vue comme une forme de favoritisme qui mine les principes d'équité et d'égalité des chances pour tous les citoyens, quelle que soit leur formation académique. Cela d'autant plus que le premier article de la constitution est sans équivoque : "La langue officielle de la République du Sénégal est le Français. Les langues nationales sont le Diola, le Malinké, le Pular, le Sérère, le Soninké, le Wolof et toute autre langue nationale qui sera codifiée". Nulle référence à l'arabe ! Alors monsieur le président de la République si vous voulez vraiment créer une rupture remodelez la constitution et érigez l'arabe comme second langue officielle pour vous mettre à l'aise.
Enfin, je m'interroge sur le placement de cette direction au sein de la présidence. Cette organisation pourrait-elle signifier une ingérence du politique dans des domaines qui devraient plutôt relever de technicités éducatives et religieuses gérées de manière plus neutre et indépendante ?
Monsieur le président, la laïcité est un pilier de notre République. En témoigne notre constitution : "La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race, de sexe, de religion. Elle respecte toutes les croyances.”
Cette laïcité doit par conséquent être préservée et protégée.
C'est la raison pour laquelle je vous implore de reconsidérer cette initiative, en veillant à ce que l'administration publique reste un espace de neutralité et d'égalité, conformément aux principes qui ont guidé notre nation jusqu'à ce jour.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le président, l'expression de ma très haute considération.
M. Abdoulaye Sall est Inspecteur de l'enseignement à la retraite, activiste à ses heures perdues.