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27 novembre 2024
Femmes
STATUT ET DROITS DES FEMMES
Retour sur les effets du dogme de l’intangibilité de la norme religieuse, de l’instrumentalisation de ce qu’il est convenu d’appeler « sharîa » de même que toutes les confusions autour de ce concept brandi pour entraver l’émancipation des femme
A la suite de l’article sur « Femmes, voile, polygamie et égalité » , dans la série de Publications du 8 au 16 mars 2023 et intitulée « Résistances féminines musulmanes et réponses doctrinales face aux extrémismes », lce dernier texte du Pr. Mohamed-Chérif Ferjani , Président du Haut-Conseil du Timbuktu Institute revient sur les effets du dogme de l’intangibilité de la norme religieuse, de l’instrumentalisation de ce qu’il est convenu d’appeler « sharîa » de même que toutes les confusions autour de ce concept brandi pour entraver le progrès social par l’émancipation des femmes dans le monde musulman. Il évoque aussi les différentes réformes entamées dans les pays du Maghreb, peu connues en Afrique subsaharienne où les pouvoirs politiques continuent de ménager les religieux. Ces derniers, qui ont du mal à s’inscrire dans la marche des idées et des réformes en cours dans le reste du monde musulmans ; enfermés dans une sacralisation des textes et des ouvrages classiques du Fiqh aujourd’hui caduques même dans les pays et contextes socioculturels qui les avaient générés.
Le débat qui précéda la récente réforme du code de la famille au Maroc a montré les limites et les possibilités qu’offrent les acquis de la démarche réformiste. Pour ce qui est des possibilités qu’offre au féminisme la prise en compte de l’identité culturelle, y compris dans sa dimension religieuse, de la société qu’on veut changer, il est important de rappeler le rôle joué par des théologiens mobilisés par les associations féministes et par les partisans de la réforme. Les apports du directeur de Dâr Al‑Hadîth Al‑Hasaniyya, Ahmed Khamlichi, l’actuel Ministre des affaires islamiques, Ahmed Taoufik, Abdou Filali‑Ansary, ou des penseurs invités d’autres pays musulmans, montrent le souci de rassurer la société en lui proposant des modalités de conciliation entre les croyances qu’elle pense – à tort ou à raison, là n’est pas le problème – constitutives de son identité et l’évolution souhaitée. Le rôle joué par des théologien(ne)s reconnu(e)s dans cette démarche était loin d’être négligeable. On peut mentionner, à ce propos, l’attitude du regretté Mohamed Elhabti, membre de la Ligue des ‘Ulamâ’ du Maroc, qui s’est désolidarisé de ses collègues pour soutenir le plan de réforme de la Mudawwana au nom de l’islam et de l’héritage juridique réinterprété du Maroc.
L’islam n’a rien à craindre du respect des droits des femmes …
Des associations féministes et les défenseurs du plan de réforme ont fait appel à ses contributions pour montrer que rien dans le projet n’était incompatible avec l’islam. Sans se départir des attributs de son statut, il a démontré que rien dans l’islam et dans la tradition normative du Maroc et des sociétés musulmanes n’empêche l’adoption des points sur lesquels portait la réforme (dont les restrictions concernant la polygamie, la suppression du tuteur matrimonial pour le mariage des femmes, le droit de la femme à demander le divorce, l’abolition de la répudiation, la proposition de porter l’âge légal du mariage de la jeune fille de 15 à 18 ans, et de prolonger la garde de l’enfant jusqu’à 15 ans, etc.) Sur tous ces points, il a montré que l’intérêt (maçlaha), de la société et des personnes concernées, exigeait une évolution dans le sens souhaité par la réforme. Il mit en évidence la mauvaise foi de ceux qui se cachaient derrière la religion pour rejeter la réforme tout simplement « parce que ceux qui l’ont proposée sont des laïques qui ne doivent pas être entendus même s’ils ont raison ». [1]
Dans le même sens, Abderrazak Moulay Rachid rassure les Marocains en précisant : « l’islam n’aura pas à souffrir de réformes pouvant établir l’égalité de droit entre hommes et femmes. Cette égalité est non seulement compatible, mais encore elle renoue avec les réformes amorcées au début de l’islam. Il faut continuer cette œuvre contre les esprits rétrogrades et jaloux de leurs privilèges. Ce n’est pas l’islam qui est en cause, mais son appropriation par certains groupes sociaux et politiques. » [2] De même, Aïcha Belarbi, revendiquant le droit pour les femmes d’interpréter les textes religieux au même titre que les théologiens, dit : « L’islam en tant que religion oriente la vie du musulman, organise la communauté sur les bases de l’égalité, de la justice, et de la dignité ». [3] Elle appelle à la « réappropriation de l’espace religieux par les femmes » en vue de remettre « en question des interprétations religieuses traditionalistes sur la femme, très souvent en rupture avec le Texte religieux et les pratiques sociales » et « de faire émerger et diffuser une nouvelle vision de la femme musulmane, par référence aux textes authentiques du Coran et de la Sunna » [4].
Des lectures féminines musulmanes pour rompre d’avec la théologie « masculine » ?
C’est la même « réappropriation de l’espace religieux par les femmes » qui inspira les travaux de Fatima Mernissi [5] qui remonte « très loin dans l’histoire, vers les premières années-sources de l’islam en essayant de comprendre pourquoi les femmes ont débuté dans l’islam politique comme disciples prestigieuses du Prophète (çahabiyyates) pour se retrouver sous les Omeyyades dans la position dégradante de jariya ».[6] Ce retour aux « années-sources » est, à ses yeux, nécessaire « pour évaluer la profondeur de cette amnésie dans la mémoire des musulmans qui vivent l’égalité des sexes comme un phénomène étranger » ; c’est pourquoi, ajoute-t-elle, « il nous faut toujours retourner à Médine, dans ses ruelles, où le débat sur l’égalité des sexes faisait rage, et où les hommes étaient obligés d’en discuter, sinon de l’admettre, puisque Médine et son Prophète l’exigeait ». [7] Héritières des Sultanes oubliées tout autant que de Houda Chaaroui, l’une des premières féministes musulmanes des temps modernes, les musulmanes sont de plus en plus nombreuses à investir le champ religieux pour ne plus laisser le monopole du bricolage du sacré à ses manipulateurs machistes. Leurs apports dans ce domaine seront essentiels. Les penseurs musulmans qui peinent depuis des siècles à faire évoluer les mentalités et les institutions sociopolitiques, trouveront-ils dans ces apports les moyens d’aller plus loin dans la remise en cause des structures patriarcales et autoritaires qui bloquent l’évolution de leurs sociétés ?
CONCLUSION
Si la réinterprétation des textes et de l’héritage religieux et culturel constitue une entrée nécessaire, aux yeux de celles et ceux qui la revendiquent, pour que l’évolution ne soit pas rejetée et vécue comme une entreprise menée contre la société et son identité, il est important d’avoir conscience des limites de la démarche réformiste. Comme nous pouvons le voir à travers toutes les réformes entreprises dans les mondes de l’islam depuis deux siècles, cette démarche ne lève pas complètement l’hypothèque du sacré : l’évolution des idées, des mœurs et des institutions n’est admissible que dans la mesure où elle est compatible avec la norme religieuse telle que la conçoit la lecture hégémonique dans la société. Elle ne permet pas au débat de se déployer librement à l’abri des logiques d’anathème et des persécutions qui peuvent en résulter. En effet, la sacralisation des valeurs et des conceptions qui fondent les systèmes en place, en les présentant comme inhérents à la religion et à la volonté de Dieu, a pour conséquence inévitable l’assimilation de toute nouveauté, dans quelque domaine que ce soit, à une « innovation hérétique » passible des pires châtiments.
Ce qui se passe en ce moment dans les sociétés musulmanes, comme dans toutes les sociétés où le lien social et le droit sont tributaires des normes d’une religion ou des conceptions doctrinaires d’une idéologie, montre les dangers du maintien d’une telle hypothèque pour la liberté de conscience et pour l’égalité des droits. Le problème n’est pas d’interdire aux croyants – musulmans, fidèles d’autres religions ou sans religion – de tenir compte des normes de leur sacré et de rechercher la conciliation de ce qu’ils vivent et font avec ce qu’ils croient : c’est là un droit fondamental, inhérent au principe de liberté de conscience et une société qui ne serait composée que de citoyens sans convictions, acceptant le divorce entre ce qu’ils croient et ce qu’ils vivent ou font, n’est pas plus enviable ou rassurante qu’une société embrigadée par un système doctrinaire de quelque nature qu’il soit.
Réinterroger le statut de la norme religieuse, sortir des essentialismes
Le problème est le statut revendiqué et donné à la norme religieuse : est-elle un principe moral individuel qui ne concerne que notre conscience et par rapport auquel on n’a de compte à rendre, ou à demander, à qui que ce soit ? Ou est-ce une règle juridique intangible, parce que sacrée, qui s’impose à la société, aux conduites individuelles et collectives, et structure tous les secteurs de la vie sociale, économique, politique, culturelle, etc. ? C’est là que se situe l’enjeu essentiel de la laïcité que les adeptes de l’islam politique, les modernistes timorés du monde musulman et les islamophobes, déclarés ou se cachant derrière des conceptions culturalistes essentialistes, disent impossible en islam. Les féministes iraniennes, comme celles de l’ensemble du monde musulman, sont partagées entre deux stratégies : une qui s’inscrit dans le cadre d’une démarche théologique cherchant à faire évoluer l’interprétation de la norme religieuse pour produire une « théologie de la libération des femmes » et une autre qui revendique une démarche laïque universaliste à l’instar de certains mouvements féministes qui, comme l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates et de grandes figures féminines, comme l’égyptienne Nawal Sa‘daoui, les Tunisiennes Sana Ben Achour, Sophie Bessis et bien d’autres intellectuels, femmes et hommes, considérant que les droits humains, dont les droits des femmes, ne peuvent être défendus de façon conséquente que sur la base de conceptions laïques prenant en compte l’universalité de l’humain et de ses droits[8].
[1]. M. Al‑Habtî Al‑Mawâhibî, « Mâjâ’a fî al‑khutta laysa fîh mâ huwa râji‘ li’l‑thawâbit al‑çârifa ‘an al‑nazhar fîh » (Ce qu’il y’a dans le Plan - de réforme de la Mudawwana -, ne comporte rien de ce qui relève des invariables indiscutables) texte reproduit dans le hors-série de Prologues, La mudawwana et sa réforme, quarante années de débats, Casablanca, 2001, p. 295-300.
[2]. A. Moulay Rachid, La femme et la loi au Maroc, Le Fennec, Casablanca, 1991, p. 130.
[3]. Voir sa contribution à Femmes et islam, Le Fennec, Casablanca, 1998, p. 5.
[4]. Ibid., p. 10.
[5]. Notamment dans Le harem politique, Le Prophète et ses femmes, Albin Michel, Paris 1987, et Sultanes oubliées : femmes chefs d’État en islam, Albin Michel, Paris, 1990.
[6]. F. Mernissi, dans la préface de Femmes et pouvoirs, Prologues, Le Fennec, Casablanca, 1990, p. 9, voir aussi sa contribution à cet ouvrage : « La jariya et le khalif », p. 65-80.
[7]. F. Mernissi, Le harem politique, op. cit., p. 163
[8] A propos de ces deux stratégies, voir l’excellente thèse de Hajir Khenfir publiée par Nirvana Edition-(Tunis 2022), Tahaddiyât al-khitâb al-niswîy al-‘arabî fî al-niçf al-thânî mon al-qarn al-‘ichrîn (Les défis du discours féministe arabe dans la deuxième moitié du vingtième siècle).
FEMMES, VOILE, POLYGAMIE ET ÉGALITÉ
Ce texte de Mohamed-Chérif Ferjani, président du Haut-Conseil du Timbuktu Institute réinterroge les conceptions théologiques sur le statut des femmes et la manière dont le débat a été mené pour la défense de leurs droits
A la suite de l’article sur « Luttes féminines musulmanes à l’épreuve des légitimations théologiques », dans la série de Publications entamée depuis le 8 mars 2023 et intitulée « Résistances féminines musulmanes et réponses doctrinales face aux extrémismes », ce texte du Pr. Mohamed-Chérif Ferjani , Président du Haut-Conseil du Timbuktu Institute réinterroge les conceptions théologiques sur le statut des femmes et la manière dont le débat, aujourd’hui tabou dans de nombreux pays musulmans, a été mené aussi bien par les théologiens que par des femmes engagées pour la défense de leurs droits. Ce texte aborde, de manière critique, le combat des femmes contre les conceptions islamistes de même que le débat sur le statut de la norme qu’on cherche souvent à opposer aux droits des femmes. Il s’arrête sur les travaux de nombreux penseurs musulmans à travers les siècles dont certains ont battu en brèche le sacro-saint principe de l’intangibilité de de la norme religieuse souvent enrobée dans la notion de « sharî’a » dans une forme de confusion volontaire dont le but serait de fermer les portes de l’ijtihâd, du débat et de la liberté d'expression de manière générale (A SUIVRE)
Si, dans la plupart des pays musulmans, on admet aujourd’hui l’accès de la fille à l’enseignement, beaucoup de pays continuent à le faire dans le cadre d’une stricte non-mixité. Les arguments en faveur de cette politique vont du danger que la mixité présente pour les « bonnes mœurs » et l’ordre moral traditionnel, à la nécessité de préserver la dignité de la femme. Certaines sociétés n’ont jamais permis la mixité, ni dans l’enseignement, ni dans le travail, ni dans les espaces publics ou privés, sauf lorsqu’il s’agit de personnes qui ne peuvent pas se marier entre elles du fait de leurs liens de parenté. Les Talibans, en Afghanistan, ont poussé cette interdiction de la mixité jusqu’à empêcher des médecins et des infirmiers d’examiner ou de soigner des femmes qui en ont besoin.
Là où la mixité est acceptée, elle est souvent assortie de l’obligation pour la femme de porter ce qu’on appelle une « tenue islamique » (zayy ’islâmî) : cela va d’un simple fichu sur la tête dans certains pays, à un voile ample et noir qui ne laisse rien apparaître du corps de la femme, en passant par des combinaisons intermédiaires (de couleurs, de longueurs, d’ampleurs et de formes). Cela dépend de ce que l’on considère dans le corps de la femme – mais aussi de l’homme – comme ‘awra : ce qui ne doit pas être vu – ou même entendu – parce qu’il est susceptible de tenter l’autre et de l’amener à transgresser les normes relatives aux relations sexuelles. [1] Cette notion est tributaire des fantasmes commandant les interprétations des versets coraniques, très équivoques, qui ont toujours servi de référence à ce sujet à savoir :
– « Ô prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de rabattre leurs amples tuniques (jalâbîb) sur elles. Ce sera pour elles le moyen le plus commode de se faire connaître et de ne pas être importunées. » (33/59)
– « Dis aux croyants de baisser leurs regards et de préserver leur chasteté (leur sexe). Cela est plus à même de les purifier. Dieu connaît parfaitement ce qu’ils font. Dis aux croyantes de baisser leurs regards et de préserver leur chasteté et de ne laisser voir de leur parure que ce qui en paraît. Qu’elles rabattent leur voilure (khumûr) sur leurs échancrures [de leurs habits : le mot utilisé est juyûb qui veut dire poche ou ouvertures des habits échancrés] et qu’elles ne montrent leur parure qu’à leur époux, à leur père, au père de leur mari, à leurs fils, aux fils de leurs maris, à leurs frères, aux fils de leurs frères, aux fils de leurs soeurs, à leurs dames de compagnie, à leurs esclaves femmes, aux domestiques hommes qui n’éprouvent aucun désir pour les femmes, aux enfants non-instruits sur les parties intimes (‘awra) des femmes. Qu’elles ne marchent pas de façon à attirer l’attention sur leurs atours (...) » (24/30-31)
Outre ces recommandations que les lectures islamistes intégristes cherchent à ériger en règles juridiques intangibles, les plus zélotes ajoutent des hadîths étendant la notion d’adultère à la femme qui se parfume et passe à côté d’une assemblée d’hommes, ou interdisant à un sexe de s’habiller comme l’autre, etc. Certains étendent les recommandations coraniques relatives à la conduite des épouses du Prophète à toutes les femmes avec le même esprit de rigorisme juridique, nourri par les fantasmes sexuels communs à toutes les sociétés fondées sur la séparation des sexes.
On ne peut mieux résumer la position des islamistes au sujet du statut de la femme, qu’en rappelant ces propos de Muhammad Al‑Ghazâlî : « Qu'on le sache, il est permis de se marier avec une et avec quatre. La répudiation est un droit dont l’homme bénéficie et que nul ne peut lui arracher. Dans l’héritage, la femme n’a droit qu’à la moitié. L’homme est le chef de famille, le responsable et le tuteur. Quant à ce que demandent aujourd’hui les femmes comme transformation de ces principes islamiques, ce n’est que de l’arrogance qu’il faut châtier sans pitié ». [2]
Combat pour les droits des femmes contre les conceptions islamistes
Les partisans de l’égalité des sexes ont, depuis le xixe s., privilégié d’autres références et d’autres lectures que celles des adversaires de l’émancipation féminine. Sans nier les énoncés coraniques et les traditions mobilisés constamment par leurs adversaires, ils les relativisent en invoquant les coutumes de la société dans laquelle l’islam est apparu ; l’islam a pris en compte ces coutumes mais, disent-ils, cela ne veut pas dire qu’il en faisait une règle intangible. Bien au contraire, « son intention » et « ses finalités» étaient, selon cette vision, l’évolution progressive de la société vers l’égalité, la justice et le bien. Ce qui compte ce n’est pas « la lettre de l’énoncé » mais son « esprit » et sa « finalité » déductibles à partir du sens de l’évolution souhaitée. Pour saisir ce sens, ils comparent la norme coranique et les pratiques impulsées par l’islam naissant avec ce qui existait auparavant.
Cette manière d’envisager les normes religieuses n’est pas nouvelle. Elle a toujours existé, mais la domination des conceptions patriarcales et machistes, dans les sociétés musulmanes, comme dans la plupart des sociétés humaines, l’a occultée au point que les musulmans en sont venus à penser qu’elle est incompatible aussi bien avec les lois de la nature qu’avec la religion. En effet, la théorie des maqâçid (finalités), bien que développée et explicitée par Shâtibî assez tardivement, est présente dans toutes les doctrines normatives de l’islam à travers les notions d’intérêt (maçlaha), de « justice » (‘adl), de « bien » ou « bel agir » (’ihsân) que doivent viser l’élaboration des normes et les conduites individuelles et collectives des humains. « La charia a pour fondement le jugement et les intérêts des gens dans la vie de ce monde et dans l’au-delà », disait le hanbalite Ibn Qayyim Al‑Jawziyya avant d’ajouter : « Là où apparaissent les signes de la justice, et par quelque moyen que ce soit, il y a le char‘ de Dieu ». [3]
Les notions de justice, de bien et d’intérêts étant variables selon les sociétés, les mœurs, les cultures, et les époques, les musulmans ont de tout temps divergé quant aux normes jugées conformes aux finalités de la charia, en ce qui concerne le statut de la femme et ses droits, comme par rapport à d’autres questions.
Ibn Rushd (Averroès) faisant le point, au xiie s., sur ces divergences, entre autres par rapport à la possibilité pour la femme d’exercer les fonctions d’Imam pour diriger la prière des musulmans, de Qâdhî ou de Calife, rappelait, dans son célèbre traité concernant les normes religieuses Bidâyatu’l‑mujtahid wa nihâyatu’l‑muqtaçid [4],qu’il n’y avait pas d’accord entre les théologiens à ce sujet, et que l’exégète Tabarî jugeait qu’elle y avait droit.
Dans son commentaire de La République de Platon, il déplorait les discriminations à l’égard des femmes, et leurs effets négatifs sur la société et l’économie, en affirmant qu’il n’y avait pas de différence fondamentale entre la nature du sexe féminin et celle du sexe masculin et pensait, en conséquence que les femmes pouvaient occuper toutes les fonctions, y compris celles que certaines législations réservaient aux hommes comme la direction des affaires politiques et religieuses. Il attribuait les inégalités, au nom desquelles ses contemporains justifiaient les différences de statut et de droits entre les hommes et les femmes, à l’éducation et aux traditions qui empêchaient la participation de la moitié de la société à la vie sociale et économique et qui étaient une des causes de la pauvreté des cités concernées.[5]
Il a fallu attendre le xixe s. pour voir Ibn Rushd réhabilité, et ce qu’il disait, entre autres à ce sujet, avoir droit de cité. Après l’Égyptien Tahtâwî qui a prôné l’éducation des filles en déplorant les méfaits, pour toute la société, de l’ignorance dans laquelle étaient maintenues les femmes, les réformistes se sont attaqués, les uns après les autres, à tel ou tel aspect rétrograde de la condition féminine dans les sociétés musulmanes. M. ‘Abduha dénoncé les méfaits de la polygamie dont il a prôné la limitation aux cas extrêmes de maladie ou de stérilité de l’épouse. Qâsim ’Amîn [6] a dénoncé le port du voile et fut le premier à plaider la libération des femmes au nom de l’islam. Presque au même moment, le fondateur du Parti Constitutionnel Tunisien, A. Th’âlibî publia, en 1905, L’esprit libéral du Coran dans lequel il reprit la dénonciation du voile et appela à l’instruction des filles.
En 1930, au moment où Mustapha Kémal Atatürk menait une politique laïque interdisant la polygamie dans le mariage civil et donnant à la femme des droits politiques et sociaux jusqu’alors inconnus dans le monde musulman, Tahar Haddad publia son célèbre ’Imra’atunânfî al‑charî‘a wa’l‑mujtama‘ (La femme musulmane au regard de la charî‘a et dans la société). Il va plus loin que tous ses prédécesseurs, aussi bien dans la dénonciation de la situation sociale faite aux femmes que dans la réfutation des arguments religieux invoqués pour justifier cette situation.
Il dénonce le mode d’éducation de la fille, « élevée dans la honte de son corps. Elle doit baisser les yeux même devant les seuls hommes qui ont le droit de la voir (...). Elle doit être timide, sans personnalité affirmée, ni initiative propre (…). Elle est élevée dans la peur de ses maîtres, son père, puis son mari », dit Mohamed Charfi pour résumer les idées de T. Haddad à ce sujet. [7] Il fait le procès de la polygamie, de l’enfermement des femmes, des modalités du mariage qui en font une marchandise, etc. Il récuse les arguments religieux à travers lesquels les théologiens cherchent à démontrer l’infériorité de la femme et son statut en soutenant que « les filles ont exactement les mêmes capacités cérébrales, les mêmes potentialités que les garçons et (…) que la condition des femmes s’explique seulement par le fait qu’elles ont été, dès leur jeune âge, maintenues dans l’ignorance et empêchées d’avoir la moindre participation à la vie publique ». [8] Il s’élève contre les lectures sclérosées de la religion et montre que l’islam ne s’oppose pas au changement de cet état des choses en disant : « D’une manière plus claire et plus précise, je veux dire que nous devons considérer la grande et nette différence entre, d’une part, l’essence de l’islam et son sens profond, tels que l’unicité de Dieu, la bonne morale, les principes de justice, d’équité et d’égalité entre tous les êtres humains, qui sont ce pourquoi l’islam est venu (...), et, d’autre part, les pratiques qui correspondaient à la mentalité ancrée dans l’esprit des gens et qui n’étaient pas conformes à son éthique. Les règles adoptées pour essayer de corriger ces pratiques et faire évoluer ces mentalités devront par la suite continuer leur évolution.
L’abrogation de toutes ces règles circonstancielles n’est en rien contraire à l’islam. C’est le cas de l’esclavage, de la polygamie et de toutes les règles similaires qu’on ne peut en aucun cas considérer comme faisant partie de l’islam. » [9] Bourguiba, qui s’en était démarqué dans les années 1930, l’a réhabilité après l’indépendance et en fit une référence majeure du Code du Statut Personnel tunisien. Il utilisa les arguments développés par T. Haddad pour abolir la polygamie en invoquant les mêmes versets coraniques relatifs à la condition d’équité entre les épouses (« si vous craignez de ne pas être équitable, une seule suffit » (4/3), et « vous ne saurez être équitables entre les femmes même si vous vous efforcez de l’être » (4/135).
Les idées de T. Haddad et de ses précurseurs sont constamment sollicitées dans les débats actuels au sujet du statut de la femme dans les pays où les conceptions patriarcales continuent à dominer. Allant plus loin dans la démarche finaliste qui a inspiré les lectures réformistes, Mohamed Talbi [10] appelle à distinguer, à propos de chaque énoncé, la situation sur laquelle il porte et qu’il vise à modifier et la situation qu’il veut atteindre. Il parle ainsi de « vecteur(s) orienté(s) » indiquant « les finalités » (maqâçid) visant l’égalité des « enfants de Dieu » (‘iyâlallâh).
Dans une démarche plus radicale, le théologien soudanais Mahamûd Muhammad Taha considère que l’inégalité entre les sexes n’est pas un fondement en islam et que le fondement est plutôt l’égalité [11] On pourrait en dire autant des nouvelles approches de la question féminine par des penseurs comme N. H. Abû Zayd, Muhammad Chuhrûr, Abdelmajid Charfi et par les femmes, qui sont de plus en plus nombreuses à investir le débat religieux autour de ces questions : les Marocaines Fatema Mernissi, Farida Bennani, Aïcha Belarbi, Fatima-Zohra Zryouil, Rajae Elhabti, les Tunisiennes Olfa Youssef, Neila Sellini, Amel Grami, Latifa Lakhdar, Zeineb Ben Saïd Cherni, Raja Ben Slama, des Algériennes comme Leila Babès, des égyptiennes comme Nawâl Sa‘dâwî poursuivant dans la voie ouverte par Hudâ Cha‘râwî et Bint Al-Châti’, etc.
[1]. Voir l’analyse que fait de cette notion A. Bouhdiba 1979, La sexualité en islam (2e éd.), P.U.F., Paris, p. 52 sq.
[2]. M. Al‑Ghazâlî, Kifâhu dîn, op. cit., p. 209.
[3]. Ibn Qayyim Al-Jawziyya, op. cit., Vol. 4, p. 373
[4]. Ibn Rushd (Al‑Qurtubî), Bidâyatu’l‑mujtahidwanihâyatu’l‑muqtaçid, op. cit., tome 1, p. 145 et tome 2, p. 460.
[5]. Voir Ibn Rushd, Talkhîç al‑siyâsa, Dar at‑talî‘a, Beyrouth, 1998, p. 124 sq. et les textes anglais à partir desquels le texte arabe a été reconstitué : E. I. J. Rosenthal, Averroes’s commentary on Platon’s “Republic”, Cambridge Universty Press, 1969, et Ralph Lerner, Averroes on Platon’s “Republic”, Cornell University Press, 1974.
[6]. Il fut le premier à dénoncer le port du voile et à prôner la libération de la femme au nom de l’islam notamment dans Al‑’islâm wa tahrîr al‑mar’a (L’islam et la libération de la femme) publié au Caire en 1901.
[7]. M. Charfi, « Tahar Haddad : “la femme musulmane : aspects religieux”, un tournant dans la pensée islamique », in Prologues n° 20, Automne 2000, p. 30-34.
[8].Ibid.
[9]. T. Haddad, ’Imra’atunâ fî al‑charî‘awa’l‑mujtama‘ (La femme musulmane au regard de la charia et dans la société), Dâr al‑ma‘rifa, Sousse (Tunisie), 1930, p. 13 (la traduction est de M. Charfi, op. cit.).
[10]. Plaidoyer pour un islam ouvert, op. cit., Penseur libre en islam : un intellectuel musulman dans la Tunisie de Ben Ali, Albin Michel, 2002.
[11]. M. M. Taha, op. cit., p. 162.
RÉSISTANCES FÉMININES MUSLMANES
Les formes de résistance développées dans le monde musulman aussi bien par des théologiens que par des femmes qui se sont appropriées les textes fondateurs de l’islam pour fournir des interprétations en faveur de leurs droits
Ce texte du Pr. Mohamed-Chérif Ferjani , Président du Haut-Conseil du Timbuktu Institute sur les présupposés et interprétations religieuses en défaveur des droits des femmes est la première partie d’une série de publications intitulée « Résistances féminines musulmanes et réponses doctrinales face aux extrémismes ». Cette série se poursuivra en évoquant les formes de résistance développées dans le monde musulman aussi bien par des théologiens que par des femmes qui se sont appropriées les textes fondateurs de l’islam pour fournir des interprétations en faveur de leurs droits et de l’amélioration de leur statut du XIXème siècle à nos jours.
Le 13 septembre dernier, Mahsa Amini, 22 ans est arrêtée par la police des mœurs à Téhéran pour "port du voile inapproprié". Trois jours après, la jeune femme décède des suites des traitements infligés par la police. Sa fin tragique est à l’origine d’un mouvement de colère parti le 17 septembre, du Kurdistan iranien, pour s’étendre rapidement à Téhéran et à d'autres régions. Défiant l’ordre des Mollahs, des centaines de femmes se filment en train de se couper les cheveux, de brûler leurs voiles. Les symboles du régime sont attaqués. La protestation tourne à une contestation du régime et de son chef suprême, Ali Khamenei. Ainsi, les femmes iraniennes, premières victimes des conceptions rétrogrades de l’islam politique depuis l’avènement de la République islamique en 1979, sont aujourd’hui à la pointe du combat contre l’ordre de mollahs. Elles donnent l’exemple à toutes les femmes des sociétés musulmanes et du monde en lutte contre les discriminations que leur réserve l’ordre patriarcal dont les islamistes et les fondamentalistes et intégristes de toutes les religions sont les plus fervents défenseurs. Les Iraniennes renouent par ce soulèvement avec les combats de générations de femmes qui, par diverses voies, ont essayé de briser les chaînes de la servitude que les sociétés musulmanes, comme la plupart– pour ne pas dire l’ensemble – des sociétés humaines réservent à la femme au nom de sa soi-disant infériorité naturelle par rapport à l’homme.
En effet, les préjugés relatifs à la nature essentiellement différente de la femme et de l’homme, au nom desquels on défend les discriminations à l’égard de la moitié de l’espèce humaine, ont partout trouvé, dans les différentes religions, sans exception, des arguments de nature à en faire des normes sacrées et intangibles. Les fondamentalismes religieux continuent partout à défendre les conceptions à la base de ces préjugés prônés de nos jours par toutes les expressions de la révolution conservatrice.
Malgré les progrès réalisés sur la voie de l’émancipation des femmes partout dans le monde grâce aux combats des femmes et au soutien des hommes convaincus de la nécessité des méfaits de l’injustice et de la discrimination pour l’ensemble de la société, la plupart des sociétés musulmanes font partie des sociétés qui résistent à la reconnaissance de l’égalité entre les hommes et les femmes. Le développement des mouvements islamistes intégristes, en réaction à des modernisations chaotiques qui n’ont pas tenu leurs promesses, a même généré des involutions qui se sont traduites par une remise en cause, non seulement des droits récemment acquis, mais aussi de certains droits garantis par les systèmes traditionnels. En effet, le développement de différentes expressions de l’islam politique – le mouvement des Frères musulmans et ses ramifications dans divers pays, le Parti de la libération islamique, les prolongements de Jamaat-e-Islami en Inde et au Pakistan, le Hizbollah et les mouvements islamistes se réclamant du chiisme, la nébuleuse des groupes salafistes et jihadistes plus ou moins affiliés au wahhabisme, à Al-Qâ‘ida, aux Talibans ou à DAECH, etc. – a eu pour effet la remise en cause de certains droits arrachés par les femmes musulmanes, à la faveur des réformes entreprises depuis le xixe s. et dans les années 1950.
L’avènement des « Républiques Islamiques », en Iran et au Soudan, a donné à cette régression un caractère spectaculaire et dramatique avant que les Talibans – portés au pouvoir en Afghanistan par la principale puissance du « Monde Libre » – ne prennent, dans le même sens, des mesures inédites allant jusqu’à priver les femmes de soins médicaux sous prétexte de respecter « les règles de la loi islamique » destinées à « préserver la dignité féminine du péché » que représenterait le fait qu’elles soient examinées et soignées par des médecins hommes.
A l’instar de tous les adversaires de l’émancipation des femmes, les islamistes mobilisent des conceptions traditionnelles sacralisées au nom de la religion et présentées comme étant, sinon la charia de l’islam, du moins un «droit musulman » qui en procède et qui l’incarne.
Contre cet état des choses, de grandes figures féminines ont réclamé, à l’instar de Houda Cha‘raoui, depuis le début du XXIe s siècle, l’émancipation féminine. Dans certains pays, les origines du combat pour l’amélioration du statut et de la condition des femmes remontent au xixe s. Ce combat est mené au nom de références universelles : les principes de liberté et d’égalité prônés par la déclaration universelle des droits humains, les conventions et textes internationaux relatifs à la lutte contre toutes les formes de discriminations entre les femmes et les hommes. Il est aussi mené au nom des normes religieuses interprétées dans une perspective opposée aux conceptions patriarcales et misogynes des adversaires de la cause féminine.
Ainsi, l’islam et sa charia sont invoqués, d’un côté, par les islamistes et les milieux conservateurs pour justifier les discriminations et les atteintes aux droits des femmes, et de l’autre, par des mouvements de femmes qui s’en réclament, pour revendiquer l’égalité des sexes et la fin de l’asservissement de la « moitié» de l’humanité.
Il est difficile de revenir ici à la discussion des arguments développés par les islamistes et leurs adversaires favorables à l’égalité entre les femmes et les hommes[1], ou de présenter une analyse exhaustive de la situation des femmes dans les différents pays musulmans. Outre la difficulté de satisfaire une telle ambition dans un cadre aussi limité, d’autres travaux ont été consacrés à ce sujet [2]. C’est pourquoi on se limitera à montrer comment les normes religieuses de l’islam se trouvent utilisées par les un(e)s et par les autres pour justifier les conceptions relatives aux principales questions qui sont au cœur du débat au sujet de la question féminine.
Conceptions et arguments islamistes contre les droits des femmes
À la base de toutes les discriminations encore défendues par les islamistes et les conservateurs au nom de l’islam, nous trouvons le refus de l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce refus est justifié par un verset coranique qui stipule : « Les hommes leur [c’est-à-dire aux femmes] sont supérieurs d’un degré »(2/228). Donnant à ce verset la portée d’une loi universelle, Y. Qaradhâwî, dans son ouvrage Le licite et l’illicite en islam, résume les justifications traditionnelles de ce postulat en précisant : « L’homme est le seigneur de la maison et le maître de la famille d’après sa constitution, ses prédispositions naturelles, sa position dans la vie, la dot qu’il a versée à son épouse et l’entretien de la famille qui est à sa charge » [3]. S. Qutb défendant une conception de la justice fondée sur le refus de l’égalité, affirmait : « Entre les sexes, l’égalité de la femme avec l’homme est totale du point de vue de [l’appartenance à] l’espèce [humaine] et des droits humains. La distinction n’est instituée qu’au regard des considérations relatives aux possibilités, à l’expérience et à la responsabilité [de l’homme et de la femme] ; ce qui n'affecte pas le statut humain des deux sexes. Là où il y a égalité de possibilités [naturelles], d'expérience et de responsabilité, ils sont égaux. Là où ils diffèrent en quoi que ce soit, l’inégalité doit être en conséquence ». [4]Hassan Al‑Banna ne disait pas autre chose : « La différence entre l’homme et la femme dans les droits est la conséquence des différences naturelles des rôles attribués à chacun des deux sexes ; elle est nécessaire pour protéger leurs droits respectifs » [5]. Ces arguments se retrouvent dans le discours de certains « modernistes » comme Abbâs Mahmûd Al‑‘Aqqâd, invoquant les mêmes références religieuses et les mêmes arguments quant aux différences naturelles entre l’homme et la femme. [6] Dans les débats récents au sujet de la réforme du code de la famille (la mudawwana), au Maroc, le Ministre des affaires islamiques, Abdelkébir Mdaghri, opposé à la réforme, dit : « L’islam n’a pas établi l’égalité absolue entre les hommes et les femmes au sens que donne l’Occident à l’égalité. Et celui qui dit le contraire commet un mensonge envers Dieu ». [7] L’un des dirigeants du mouvement Al‑‘adl wa’l‑’ihsân (Justice et Bienfaisance) de Absalam Yassine affirme : « l’égalité totale entre les époux telle qu’elle est dans le projet des féministes est totalement inacceptable. Elle n’est possible que si la charia est éliminée et que l’État déclare ouvertement sa laïcité ». [8]
C’est au nom de cette inégalité fondamentale que les adversaires de l’égalité des sexes justifient toutes les autres discriminations.
Ainsi, la tutelle des hommes sur les femmes est encore justifiée au nom de ce verset coranique : « les hommes ont tutelle sur les femmes en raison de la distinction établie entre eux et du fait de ce qu’ils dépensent de leurs biens. » (4/34) S. Qutb, que ne contredisent ni Y. Qaradhâwî, ni les théologiens ou juristes attachés à la mise sous tutelle perpétuelle des femmes, précise à ce sujet : « la raison (…) en est la capacité [naturelle] et l’expérience en ce qui concerne la charge de tutelle. L’homme, en raison de sa disponibilité du point de vue des responsabilités maternelles, a plus de temps pour affronter les problèmes sociaux auxquels il se prépare avec toutes ses facultés intellectuelles (…). En outre, les charges maternelles développent chez la femme le côté affectif et réactionnel autant que se développent chez l'homme la spéculation et la réflexion. Le droit de tutelle revient [à celui-ci] en raison de ses capacités et de l’expérience qu’il a de cette fonction. Il a en outre la charge d’entretenir [la famille], or l’aspect financier est fortement lié à la question de tutelle. La tutelle est donc un droit d'obligation qui revient, en vérité, à une égalité de droits et d'obligations (…) » [9]
Ce droit de tutelle s’accompagne, dans cette conception, de l’obligation d’obéissance pour la femme vis-à-vis de son tuteur, et du droit de correction qui revient à l’homme à l’encontre de la femme jugée rebelle. Y. Qaradhâwî dit à ce propos : « Pour toutes ces raisons, la femme ne doit pas désobéir à son mari, ni se rebeller contre son autorité provoquant ainsi la détérioration de leur association, l’agitation dans leur maison ou son naufrage du moment qu’elle n’a plus de capitaine » [10].
Il ajoute « Quand le mari voit chez sa femme des signes de fierté ou d’insubordination, il lui appartient d’essayer d’arranger la situation avec tous les moyens possibles en commençant par la bonne parole, le discours convainquant et les sages conseils. Si cette méthode ne donne aucun résultat, il doit l’aborder au lit, dans le but de réveiller en elle l’instinct féminin et l’amener ainsi à lui obéir pour que les relations deviennent sereines. (…) Si cela s’avère inutile, il essaie de la corriger avec la main tout en évitant de la frapper durement et en épargnant son visage. Ce remède est efficace avec certaines femmes, dans des circonstances particulières et dans une mesure déterminée. Cela ne veut pas dire qu’on la frappe avec un fouet ou un morceau de bois » [11].Y. Qaradhâwî conclut : « Si tout cela ne donne aucun résultat et si l’on craint l’aggravation de leur désaccord, c’est alors que la société islamique et les gens connus pour leur sagesse et leur bonté doivent intervenir pour les réconcilier (...). C’est après l’échec de toutes ces tentatives de réconciliations qu’il est permis au mari de recourir à une solution ultime codifiée par l’Islam, afin de répondre à l’appel de la réalité et aux exigences de la nécessité et afin de résoudre des problèmes auxquels seul le divorce à l’amiable peut mettre fin. Telle est la seule justification du divorce ». [12] Passons sur la contradiction entre la notion de « divorce à l’amiable » et le fait de considérer que c’est « au mari de recourir » à cette « solution ultime. » C’est une manière d’éviter de parler de la « répudiation » et de faire l’amalgame – très courant dans les textes juridiques des pays musulmans – entre cette pratique arbitraire considérée comme un droit exclusif du mari, et le divorce accordé par le juge à la demande de l’épouse ou par les deux conjoints. Cette confusion est confortée par la désignation des deux formes de rupture du lien conjugal par le terme talâq qui veut, précisément, dire « rupture » sans prise en compte de la manière dont le lien conjugal est rompu.
Là-aussi, S. Qutb ne dit pas autre chose en justifiant à sa manière le droit pour le mari de « corriger » son épouse en ces termes : « lorsqu’il s’avère que toutes les autres méthodes de correction sont restées inefficaces, c’est que le mari se trouve devant un cas de rébellion violente qui nécessite l’utilisation d’un procédé violent : les coups, non pas dans l’intention de nuire mais de corriger… Et ce droit (de corriger sa femme rebelle) dont l’homme a le privilège, c’est Dieu qui le lui a accordé » [13]. Le comble, c’est la reprise de ce type de justifications par des femmes qui ont intégré le discours islamo-machiste. Ainsi, à l’encontre de la législation tunisienne qui donne droit à la femme de poursuivre son conjoint qui porte atteinte à son intégrité physique en la frappant, l’islamiste tunisienne Warda Râbih nous dit : « la rébellion (nuchûz) est un cas pathologique qui se présente chez la femme de deux façons :
– la première est celle où elle prend plaisir à être le partenaire dominé, et à recevoir des coups et des châtiments, c’est ce qu’on appelle en psychologie « masochisme » ;
– la deuxième est celle où elle prend plaisir à faire du mal à l’autre, ou à le dominer (…), c'est ce qui s'appelle « sadisme ». Pour W. Râbih, la solution dans les deux cas est celle que le Coran prescrit, à savoir le châtiment et la force pour la ramener au droit chemin. Elle conclut que : « la psychologie moderne est venue confirmer et vérifier la valeur et l’efficacité de ces châtiments administrés par les maris, confirmation scientifique qui (…) donne à la recommandation religieuse un caractère de miracle… » [14]
Ceux qui revendiquent « ce droit de l’homme » sur son épouse s’appuient sur un verset coranique érigé en règle intangible qui n’admet aucune forme de relativisation, aucune possibilité de contextualisation. Ce verset stipule : « Les femmes dont vous craignez l’insubordination, sermonnez-les, éloignez-vous d’elles dans le lit, frappez-les. Si elles vous obéissent, ne cherchez plus à leur nuire injustement. »(4/34)
Le même type d’argumentation est mobilisé pour justifier l’équivalence entre le témoignage d’un homme et celui de deux femmes sur la base de la même technique de lecture d’un verset coranique stipulant : « S’il n’y a pas deux témoins hommes, alors un homme et deux femmes... » (2/28 S. Qutb y voit là une exigence de sa conception de la justice sociale en islam [15] en disant : « la femme, en raison de la nature des fonctions maternelles voit se développer chez elle le côté affectif et réactionnel autant que se développent chez l'homme la spéculation et la réflexion (…) la question, ici, est une question de considération pratique dans la vie, et non une question (…) d’inégalité ». [16]
De la même façon, la discrimination en matière d’héritage est érigée en règle intangible, y compris en Tunisie, sur la base du verset coranique suivant : « Au mâle, l’équivalent de ce qui revient (en héritage) à deux femelles. » (4/176). S. Qutb résume les arguments de tous ceux qui continuent à défendre cette discrimination en disant : « Favoriser l’homme en lui accordant le double de ce dont hérite une femme est une justice trouvant sa justification dans la responsabilité qui revient à l’homme dans la vie. Il épouse une femme dont il a la charge ainsi que celle de leurs enfants. C'est à lui que revient la charge de constituer un foyer, et à lui seul revient la responsabilité des compensations et des contraventions. Il a donc le droit d’hériter comme deux femmes pour cette seule raison (…). La question est, ici, une question d’inégalité de responsabilité nécessitant une inégalité au niveau de l’héritage ». [17]
Là où les islamistes ne s’encombrent pas de la norme coranique – qu’ils érigent en règle intangible pour d’autres questions – c’est au sujet de la discrimination concernant le mariage avec un(e) non-musulman(e). Les recommandations coraniques à ce sujet ne font pas de différence entre les sexes. « N’épousez pas les associatrices (muchrikât) tant qu’elles n’auront pas cru. Une esclave croyante vaut mieux qu’une associatrice (muchrika), même si celle-ci vous plaît. Ne donnez pas vos femmes aux associateurs tant qu’ils n’auront pas cru. Un esclave croyant vaut mieux qu’un associateur, même si celui-ci vous plaît. » (2/201)
Cependant, pour justifier le mariage du musulman avec la non-musulmane, parmi les gens du Livre, on invoque, en l’isolant de son contexte historique et textuel, ce verset donné en réponse à une question posée au prophète par ses compagnons : « Aujourd’hui, (Y. Qaradhâwî n’est pas le seul à oublier cette précision contextuelle) vous sont licites les bonnes choses et la nourriture de ceux qui ont reçu le Livre, comme votre nourriture est licite pour eux ; de même, [vous sont licites] les femmes chastes parmi les croyantes et les femmes chastes parmi celles qui ont reçu le Livre avant vous, à condition que vous leur apportiez leurs dots en hommes chastes et non débauchés ou amateurs de maîtresses (...) » (5/5) Pour interdire ce droit aux femmes, on invoque le verset précédent concernant le mariage avec les associateurs, et non les gens du Livre, en oubliant qu’il concerne les hommes et les femmes. Y. Qaradhâwî nous donne à cet égard un exemple édifiant sur cette démarche tordue : « Il est interdit à la musulmane d’épouser un non-musulman, qu’il soit ou non des gens du Livre. Cela ne peut en aucune façon lui être permis et nous citons les paroles de Dieu à ce sujet : “Ne donnez pas vos femmes en mariage à des associateurs tant qu’ils n’auront pas cru” (2/221). Dieu a dit au sujet des croyants qui s’étaient exilés à Médine : “Si vous savez qu’elles sont croyantes, ne les renvoyez pas alors aux autres mécréants. Elles ne leur sont pas permises (comme épouses), et ils ne leur sont pas permis” (60/10). Aucun texte n’est venu libérer les gens du Livre de cette sentence. » [18] Nous remarquons que le premier fragment de verset n’est qu’une partie du verset concernant le mariage des hommes et des femmes, avec un(e) adepte de l’associationnisme sans la moindre mention des gens du Livre. De même, le deuxième fragment de verset parle de « mécréants » sans la moindre référence aux gens du Livre. Cela n’empêche pas Y. Qaradhâwî – et il est loin d’être le seul dans ce cas – d’affirmer de façon catégorique, qu’il s’agit là d’une interdiction formelle pour la musulmane d’épouser un non-musulman qu’il soit ou non des gens du Livre ! Il n’apporte même pas un hadîth, ou une tradition consacrée allant dans le sens de son affirmation. Toute son argumentation repose sur les préjugés relatifs au statut de l’homme et de la femme, d’un côté, et à la tolérance de l’islam et l’intolérance des autres religions, d’autre part. Ainsi, dit-il sans l’ombre d’une preuve : « l’Islam a uniquement permis au musulman d’épouser une juive ou une chrétienne, mais il n’a jamais permis à la musulmane d’épouser un juif ou un chrétien, car l’homme est le maître de la maison. C’est lui qui veille aux intérêts de la femme et qui en est responsable. L’islam a assuré pour l’épouse juive ou chrétienne, à l’ombre de son mari musulman, sa liberté de conscience et a protégé sa législation et ses directives, ses droits et sa responsabilité. Par contre, une autre religion, telle que la religion chrétienne ou juive, n’assure aucune liberté de conscience à la femme de croyance différente et ne lui préserve pas ses droits. Comment l’islam peut-il livrer à l’aventure l’avenir de ses filles et se jeter entre les mains de gens qui n’ont aucun respect et aucun scrupule pour leur religion ? » [19]
Qaradhâwî, et les musulmans qui partagent ses conceptions xénophobes, reproduisent, par ce genre de discours, à l’égard des autres religions, ce qu’ils dénoncent dans les discours qui stigmatisent l’islam en le réduisant aux aspects les plus négatifs dans les sociétés qui s’en réclament. En effet, ce qui est affirmé ici à propos des religions chrétienne et juive ne peut se justifier qu’en les réduisant au même type de lecture que font de l’islam Qaradhâwî, S. Qutb et les adeptes de leur archaïsme.
En rapport avec cette question du mariage, l’une des discriminations auxquelles s’attachent la plupart des islamistes et tous les conservateurs, concerne la polygamie. Ce « droit de l’homme » d’après eux, ne saurait être aboli car il serait reconnu comme un droit intangible par le Coran. Il invoque à ce sujet un fragment de verset stipulant : « Épousez, selon ce qui vous agrée, une, deux, trois ou quatre femmes (...) » (4/3) Ils omettent de prendre en compte la suite du verset qui précise : « (...) si vous craignez de ne pas être équitable, n’en épousez qu’une seule. »(4/3)Quand on leur rappelle cette condition – qu’un autre verset déclare irréalisable en stipulant : « vous ne saurez être équitable entre les femmes même si vous vous efforcez de l’être » (4/135) – les réponses varient selon les situations, les rapports de forces, l’évolution des mentalités et des mœurs, etc.
A suivre
[1]. J’ai déjà réfuté ces thèses dans Le politique et le religieux dans le champ islamique, Paris, Fayard, 2005, Islamisme, laïcité et droits de l’Homme, L’Harmattan, 1991, Les voies de l’islam : approche laïque des faits islamiques, op. cit., ainsi que dans les chapitres précédents de ce travail et dans plusieurs articles (concernant le statut du politique et du juridique en islam et ses incidences sur la question de la laïcité et des droits humains), parus dans différentes revues : ce texte reprend en les actualisant les idées développées dans ces travaux au sujet des droits des femmes aux yeux de leurs défenseurs et des islamistes ;
[2]. Je pense notamment aux travaux de F. Mernissi (Sexe, idéologie, islam, Tierce, 1975, Le harem politique, Albin Michel, 1987, La peur-modernité, chez le même éditeur, 1992), de Nawâl Sa‘dâwî (Nawal Saadoui) (Les femmes de l’islam, La Brèche, 1980, La face cachée d’Eve, Éditions des femmes, 1982), ainsi qu’à d’autres travaux.
[3]. Y. Qaradhâwî, Le licite et l’illicite en islam, Al‑Qalam, Paris, 1995, (3e éd.), p. 207.
[4]. S. Qutb, Al‑’adâla al‑’ijtimâ’iyyafîal‑’islâm (La justice sociale en islam), Dâr al‑churûq, Beyrouth, 1983, p. 47.
[5]. H. Al‑Banna, Al‑mar’a al‑muslima (La femme musulmane), Dâr al‑jîl, Beyrouth, 1371, p. 7.
[6]. Voir son livre Al‑mar’a fî’l‑qur’ân (La femme dans le Coran), Al‑maktaba al‑‘açriyya, Beyrouth, s.d.
[7]. A. Mdaghri, Al‑mar’abayna ’ahkâm al‑fiqhwa’l‑da‘wa ’ilâ al‑taghyîr (La femme entre les normes du fiqh et l’appel au changement), Muhammadiya, Maroc, 1999, p. 146.
[8]. M. Al‑Bachiri, Munâqachatu al‑matâlib al‑nisâ’yya al‑hâdifa ’ilâtqghyîrmudawwanat al-’ahwâl al-chakhçiyya (Critique des revendications féminines visant la modification du Code du statut personnel), Université Hassan II, 1994, p. 693.
[9]. S. Qutb, op. cit., p. 48.
[10]. Y. Qaradâwî, op. cit., p. 207.
[11]. Ibid.
[12]. Ibid., p. 208.
[13]. S. Qutb : ChubuhâtHawla al‑’islam (Calomnies au sujet de l’islam), (13e éd.), Beyrouth, Dârash‑shûrûq, 1980, p. 136-137.
[14]. W. Rabih in Al Ma‘rifa n° 10, 1er octobre 1978, p. 25.
[15]. C’est la traduction du titre de son livre dont sont tirées les citations relatives à cette question.
[16]. S. Qutb, op. cit., p. 48.
[17]. Ibid.
[18]. Y. Qaradhâwî, op. cit., p. 189.
[19]. Ibid., p. 189-190.
par Ndèye Fatima Ndiaye
DES SOLUTIONS POUR L'AMÉLIORATION DES CONDITIONS DE LA FEMME
Tour d'horizon des sujets abordés par Ousmane Sonko dans son livre Solutions au sujet des femmes
Dans cet article, je compte faire le tour de sujets abordés par le PROS dans son livre Solutions, et qui concernent les femmes. Je ferai alors une analyse des solutions que propose Ousmane Sonko pour un Sénégal plus égalitaire.
Les femmes constituent la couche la plus vulnérable des sociétés humaines. Le 5 mars 2023, à l’ouverture des deux semaines de débats de la Commission de la condition de la femme à New York, Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations unies déclarait qu’il faudrait encore plus de trois siècles pour éradiquer les inégalités de genres dans le monde. Force est de constater que les inégalités hommes-femmes se creusent davantage à l’échelle planétaire, lorsque survient une catastrophe humaine (guerres, conflits armés) ou encore naturelle (séisme, pandémie).
Quand vient le temps d’élire un nouveau président de la République au Sénégal, le pays tout entier se prononce sur les choses qui ne vont pas bien. On trouve, entre autres, des plaintes sur l’économie, le chômage des jeunes, les problèmes dans les hôpitaux, les migrations clandestines, etc. Mais très peu de personnes s’intéressent aux droits des femmes, et à leur évolution. D’ailleurs, il suffit de jeter un coup d’œil à la photo du Conseil des ministres de l’actuel gouvernement du Sénégal pour se rendre compte que les femmes sont sous-représentées (seulement 25%), contre 49% (19 femmes ministres sur 39) au Canada. Mais la réalité est bien pire en ce qui a trait aux réalités socioculturelles et intrafamiliales. Les violences faites aux femmes et aux filles sont une réalité bien perverse au Sénégal. On la retrouve dans toutes les sphères de la vie quotidienne des femmes. Elles sont d’ordre physique, mais aussi économique et psychique.
Depuis la petite enfance, les filles sont privées d’école pour aider à la maison. Si elles sont scolarisées, elles sont plus à risque d’abandonner à cause d’un mariage précoce ou d’une grossesse. Les filles au village sont les plus vulnérables sur ce plan. La pauvreté des parents les pousse à abandonner l’école avant leur seizième année. Selon le rapport de l’Unicef de 2016, près de 14 % des filles âgées de moins de quinze ans subissent encore l’excision et 31,5 % des femmes ont été mariées avant leur dix-huitième anniversaire.
Quand elles réussissent à poursuivre leurs études jusqu’à l’université, elles ont quand même moins de chance sur le marché du travail. Elles se butent au sexisme et au patriarcat endémique de la société sénégalaise. Leurs compétences ne sont guère mieux ciblées que leurs charmes pour l’octroi d’un emploi. Elles doivent se soumettre au diktat des hommes qui occupent les fonctions les plus honorables dans la quasi-totalité des entreprises dans lesquelles elles convoitent un poste. Et c’est en ce moment-là que l’écart se creuse davantage entre leurs possibilités d’autonomie et celles de leurs concitoyens masculins. Mais pas seulement. Dans le ménage, l’autorité du mari et de la belle-famille, les responsabilités familiales très genrées au Sénégal pèsent lourdement sur leur carrière.
Sur la sphère politique, on peut également noter les disparités qui existent entre les hommes sénégalais et les femmes sénégalaises, notamment une certaine invisibilité de celles-ci. Il suffit de voir les invités des plateaux télé les vendredis soir pour s’en apercevoir. La plupart du temps , elles ne figurent sur aucun débat télévisé. Et pourtant, dans l’ombre des partis politiques sénégalais, il y a des femmes. Elles sont certes sous représentées – à cause entre autres du poids des responsabilités familiales et de l’autorité maritale citées plus haut – mais il y en a des brillantes. Des femmes engagées qui s’affairent lorsque vient le temps de collecter des signatures pour les parrainages, ou encore d’accompagner les élus de leurs partis. La Loi Wade N°2010-11 sur la parité n’a pas bien résolu les problèmes des inégalités en politique. Les femmes les mieux instruites et compétentes ne sont pas toujours celles qui figurent sur les listes électorales. Elles cèdent souvent la parole aux plus loquaces à l’hémicycle de la Place Soweto. Elles y sont aussi utilisées pour de petites guéguerres politiciennes, à l’occasion, ou n’y sont que parce qu’elles font un mauvais buzz sur les réseaux sociaux. L’on se souvient facilement de la guerre des chaises et des coups de poing entre élus, tout récemment.
Sur le plan religieux, les femmes doivent se contenter de jouir de droits primaires datant du 7e siècle, surtout en ce qui a trait à l’héritage. Sans aucune étude coranique sérieuse, certains se prévalent de droits islamiques dont ils ne connaissent même pas les fondements.
Que propose le Président Ousmane Sonko pour les femmes et leurs droits dans Solutions (2018)
Au chapitre X qui s’intitule « Protéger les Sénégalais et réduire les inégalités », le PROS souligne l’urgence d’agir pour contrer la pauvreté des femmes sénégalaises, qui sont deux fois plus touchées par le chômage (40% contre 18% chez les hommes) « du fait des inégalités de chance ». Il propose des mesures inclusives visant notamment à maintenir les filles à l’école, principalement dans les zones rurales, ainsi que le droit d’accès des femmes à la propriété foncière. Sonko, O, (2018) Solutions, p.180. Le PROS tient bien au maintien des enfants à l’école, avec sa proposition « de légiférer pour la scolarisation intégrale et la définition d’un seuil minimal » de fréquentation scolaire obligatoire. Par ce même biais, il compte réduire le décrochage scolaire des filles. Sonko, O, (2018) Solutions, chap. Égaliser les chances par l’éducation. p.168.
Le PROS exprime sa sensibilité quant aux précarités financière et sociale que vivent les travailleurs et travailleuses domestiques. Ce secteur qui comprend le ménage, la garde d’enfant, le linge, etc. emploie pour la plupart des femmes. Il compte remédier à ces précarités en améliorant leur rémunération et par l’encadrement de leurs conditions de travail journalier, pour leur garantir une meilleure protection sociale. Sonko, O, (2018) Solutions, Solidarité et protection sociale, p.176.
Le Pr Ousmane Sonko a démontré par moult occasions sa volonté d’aider les femmes sénégalaises à atteindre l’autonomie financière. L’on se souviendra de l’aide qu’il octroyait aux femmes transformatrices de la Casamance, quand il était député. En parcourant le livre Solutions, j’ai pu constater son désir d’aider à atteindre le pouvoir d’agir qui leur fait défaut, depuis 1960. Elles sont certes actives économiquement, mais le manque d’éducation ou encore l’absence d’autonomie effective les freinent dans l’exploitation de leur plein potentiel économique. Et c’est dans les paramètres socioculturels et politiques qu’il faudra corriger le tir pour leur permettre un devenir meilleur, dans le Sénégal nouveau dont toutes et tous rêvent.
Il y a encore tout à faire pour réduire les inégalités hommes-femmes au Sénégal. La liste des problématiques entourant les femmes est longue. Rien que la révision du Code de la famille, pourrait et devrait faire l’objet de débats à l’Assemblée nationale. Les questions sur l’encadrement de la polygamie – car oui, cette pratique est bel et bien balisée par le texte coranique- , l’abandon du domicile familial par le mari, ou encore l’avortement médicalisé en cas de viol ou d’inceste, devraient y être abordées, et sujettes à des projets de loi infaillibles.
Il est alors temps pour les Sénégalaises de questionner les futurs dirigeants sur les programmes les concernant, et sur les avancées en droits qu’elles ambitionnent dans le nouveau Sénégal en téléchargement.
Alors, ma chère petite sœur, arrête donc de me souhaiter bonne fête les 8 mars de chaque année, parce que la femme sénégalaise n’a encore rien à fêter !
LUTTES FÉMININES MUSULMANES À L'ÉPREUVE DES LÉGITIMATIONS THÉOLOGIQUES
Si dans la famille, le statut de la femme est marqué de toutes ces discriminations, comment peut-il en être autrement dans la société conçue, dans le cadre de cette vision, comme une famille patriarcale élargie ?
A la suite de l'article sur les conceptions patriarcales de l’islam politique, dans la série de Publications entamée le 8 mars 2023 et intitulée « Résistances féminines musulmanes et réponses doctrinales face aux extrémismes », ce texte du Pr. Mohamed-Chérif Ferjani , Président du Haut-Conseil du Timbuktu Institute revient sur l'impact des luttes féminines sur l'évolution des cadres normatifs et législations dans les pays à majorité musulmane. Dans cette partie, il s'intéresse aux questions relatives notamment à l'égalité, à la polygamie ainsi qu'aux tentatives théologiques de légitimer religieusement d'autres formes de discriminations à l'égard des femmes (A SUIVRE)
En Tunisie, par exemple, le législateur s’est appuyé sur la mobilisation des femmes pour leurs droits comme sur les acquis des réformes accomplies dès le xixe s., pour déduire de l’impossible équité entre les femmes, stipulée dans le Coran, l’interdiction de la polygamie. Les islamistes tunisiens, et leurs alliés conservateurs ont longtemps dénoncé cette abrogation en affirmant que la polygamie « est autorisée et comme l’admet explicitement le texte bien établi et sans équivoque, et comme l’ont appliqué le Prophète et ses compagnons (...), il n’est absolument pas permis au gouvernant musulman de l’interdire ; car l’interdire voudrait dire que le savoir d’un tel gouvernant est plus étendu que celui de Dieu. » [1] En conformité avec la ligne défendue par son mouvement depuis sa genèse dans les années 1970, le leader du mouvement islamiste tunisien, Rachid Ghannouchi, demanda au début des années 1980 la révision du Code du Statut Personnel qui avait abrogé, entre autres discriminations à l’égard des femmes, la polygamie. Devant la protestation des femmes et des forcesprogressistes dans le pays, il fut obligé de tenir une conférence de presse pour dire que le code en question était une interprétation possible de la charia islamique. Il ajouta que s’il demandait la révision de ce code, c’était pour garantir plus de droits pour les femmes et non pour contester leurs acquis !
En Algérie, la condition de l’équité a été réduite à la nécessité de garantir un logement équivalent à toutes les épouses ! Vu la crise de logement dans le pays, une telle interprétation a permis de réduire considérablement la pratique de la polygamie ; cependant, ceux qui ont les moyens de s’offrir autant de logements qu’ils le souhaitent, continuent à profiter de ce « droit ».
Ailleurs, on continue à ignorer cette condition et à justifier la polygamie comme un bienfait de la « Sagesse divine ». Ainsi Y. Qaradhâwî nous dit : « Certains hommes désirent ardemment procréer, mais leur épouse est frigide ou malade, ou ses règles sont trop longues, ou il y a une autre anomalie ; cependant, l’homme ne peut supporter longtemps la privation de femmes. N’a-t-il pas le droit, dans ce cas, d’épouser une autre femme dans la légalité plutôt que de se chercher une autre maîtresse ?
Il arrive aussi que le nombre de femmes excède celui des hommes, surtout à la suite de guerres qui diminuent le nombre d’hommes et de jeunes gens. C’est dans l’intérêt de la société et des femmes elles-mêmes, que les femmes soient des co-épouses, plutôt que de rester toute leur vie vieilles filles privées de vie conjugale et de ce qu’elle assure comme paix, amour pur, sauvegarde de la chasteté et de l’honneur, privées aussi du bienfait de la maternité alors que le cri de la nature qui se cache en elles les appelle à cette noble fonction.
Ces femmes, dont le nombre dépasse celui des hommes, se trouvent, en effet, devant trois solutions :
1) soit elles passent le restant de leur vie dans l’amertume de la privation ;
2) soit on les libère pour qu’elles vivent comme instruments pour les amusements prohibés des hommes ;
3) soit on leur permet d’épouser un homme marié et capable de faire face à ses nouvelles responsabilités.
Il ne fait aucun doute que cette dernière solution est la voie de la justice et le baume bienfaisant ». [2]
Qutb justifie la polygamie en essayant d’en montrer « les grands avantages, particulièrement dans cette période où les humains sont devenus prétentieux et arrogants, où ils croient détenir un savoir supérieur à celui de leur créateur. En réalité c’est l’ignorance, les bas instincts et les passions qui les font parler… Et ils osent imaginer qu’il y a aujourd'hui des choses nouvelles qui sont survenues, que le créateur n’était pas en mesure de les prévenir et d’en tenir compte dans sa législation !…Ce qui justifie (…) la polygamie, c’est que la période de fertilité chez l’homme se prolonge jusqu’à soixante-dix ans et plus, alors que chez la femme, elle s’arrête autour de la cinquantaine. Il y a donc vingt ans de décalage, vingt ans qu’il n’est pas permis de perdre alors que la loi divine et la loi naturelle s'accordent à fixer à l’humanité le rôle de peupler la planète ». [3]
De son côté, Sa‘îd Hawwa ajoute : « l’islam a permis à l’homme de multiplier ses épouses, mais pas à la femme parce que cette dernière n’a pas plusieurs utérus dans lesquels elle pourrait mettre séparément les enfants de chaque mari. Et comment pourrait-elle s’occuper de plusieurs maris à la fois, et quelle serait sa relation avec chacun d'eux ? Et comment est-ce que l’un d'eux pourrait être responsable d’elle ? La logique et la nature de la femme sont d'accord, la femme ne peut avoir qu’un seul mari. Quant à l’homme, il peut déposer sa semence dans plus d’un utérus, nourrir plus d’une femme et c'est donc normal que la polygamie lui soit permise. Si son appétit sexuel est grand et que sa femme est froide, il peut lui joindre une deuxième, puis une troisième, puis une quatrième, et qui ne peut se satisfaire de quatre femmes ? Et puis il y a les cas des maladies des femmes, des longs voyages, des guerres… ne vaut-il pas mieux permettre la polygamie que de voir s’instaurer la relation illicite (zinâ) ? » [4].
Quant à Mohammad Qutb, il justifie la polygamie par les cas « où la multiplicité des épouses est une nécessité absolue. Parmi ces cas, citons l’existence, chez certains hommes, d’un besoin ou appétit sexuel aigu et violent, auquel ils ne peuvent résister et qui ne peut se satisfaire d’une seule épouse. Citons aussi les cas des femmes stériles. Nous savons que le besoin d'avoir une progéniture est profond, légitime et tout à fait honorable (…) et il n’est pas juste de priver l’homme d’une progéniture. Citons également les cas de maladies répétées chez les femmes, qui peuvent empêcher ou espacer les rapports sexuels. Et n’allez surtout pas dire que la sexualité est quelque chose de vil ou de bas. C’est, en fait, une force à laquelle l’homme ne peut pas échapper et Dieu ne demande pas l’impossible à ses créatures. De même pour les cas d’incompatibilité sexuelle (…) Dans tous ces cas, prendre une nouvelle épouse (deuxième, troisième ou quatrième) est beaucoup mieux que de répudier la première. » [5] Ce qui est étrange c'est que les islamistes n'imaginent pas que ces « cas » peuvent être invoqués pour justifier le droit de la femme à plusieurs époux ! C’est ce qui permet à l’islamiste égyptien Mohammad Ghazali, qui a sévi en Algérie sous le règne de Chadli Ben Djédid, de protester : « Parler d'interdire la polygamie, c'est peut-être parler des Martiens, mais en aucun cas de notre société égyptienne qui, dans ses profondeurs, ignore le délire de ceux qui veulent copier les Européens alors que ces derniers, plongés dans l'ignominie, interdisent le licite et permettent l’illicite (…) » [6]
Si dans la famille, le statut de la femme est marqué de toutes ces discriminations, comment peut-il en être autrement dans la société conçue, dans le cadre de cette vision, comme une famille patriarcale élargie ? Faute de versets coraniques traitant de cet aspect, les islamistes mobilisent les hadîths et un certain nombre de traditions consacrées pour les besoins des intérêts d’une société machiste. Ainsi, un hadîth, selon lequel « un peuple qui délègue la gestion de ses affaires à une femme ne peut pas réussir », est mobilisé contre la participation de la femme à la vie politique et à l’exercice de fonctions publiques en Arabie Saoudite comme dans les pétromonarchies du Golfe. L’islamiste algérien Ali Belhadj considérait que le rôle de la femme se limitait à ses tâches dans la famille. Les islamistes tunisiens, malgré l’évolution connue par la société dans laquelle ils vivent, allaient jusqu’à contester le droit des femmes au travail prétextant qu’il a pour objectif de concurrencer les hommes et de les dominer.
L’accès au travail a – selon eux – « amené la femme à se dévoiler, se dénuder », et à « aller à l’encontre des traditions familiales et du devoir d’obéissance à l’égard de son mari ». Le plus grave à leurs yeux c’est qu’un grand nombre des activités exercées par la femme lui permet « d’exercer une tutelle ou une quasi-tutelle sur les hommes. Nous savons que la tutelle ne peut être que sur celui qui est incapable, mineur ou faible. Pour cela, toute la tutelle revient à l’homme dans toutes les affaires publiques. Dieu (...) a réservé [à l’homme] la prophétie, le califat, l’imâmat, le jihâd, l’appel à la prière, le prêche, etc. Il a institué l’obligation pour la femme de lui obéir et non le contraire. » Les mêmes islamo-conservateurs tunisiens n’osent plus contester le droit de la femme à l’instruction. Cependant ils préconisent de limiter ce droit « à l’apprentissage de ce qui est indispensable pour l’accomplissement de sa fonction, comme la lecture, l’écriture, le calcul, la religion, l’histoire des ancêtres bienfaisants, l’entretien de la maison, l’hygiène, les principes de l’éducation et de l’orientation des enfants. Quant aux autres sciences, (...) elles sont sans intérêt [pour les femmes] et il est vain de leur permettre de les acquérir. » [7] Confrontés à l’hostilité de la société à l’égard de leurs conceptions rétrogrades, ils ont fait marche arrière en considérant que le Code du Statut Personnel tunisien, qu’ils ont longtemps rejeté, était une interprétation compatible avec charia.Selon les circonstances et les rapports de forces, ils n’hésitent pas à passer d’une conception à son contraire. Ainsi, après les tergiversations au sujet du Code du Statut Personnel, une fois au pouvoir, ils ont essayé de remplacer le principe d’égalité par celui de complémentarité entre les hommes et les femmes. Il a fallu la mobilisation des femmes et des défenseurs des droits humains pour les obliger à faire marche arrière.
A suivre ....
[1]. « La question de la femme entre les adeptes de la monogamie et ceux de la polygamie », dans la revue tunisienne Le Maghreb, n° 45, 1982.
[2]. Y. Qaradhâwî, op. cit., p. 195-196.
[3]. S. Qutb, Fîzhilâl al‑qur’ân (À l'ombre du Coran) Beyrouth, Dâr ach‑chourouq, 1973, vol. 1 p. 578.
[4]. S. Hawwa, Al‑’islâm, Beyrouth, Dâr al‑kutuub al‑‘ilmiyya, 1979, (2e éd.), p. 240.
[5]. M. Qutb, Chubuhât Hawla al‑’islam, op. cit., p. 129.
[6]. M. Al‑Ghazâlî, Kifâhu Dîn (Un combat de religion), Le Caire, Dâr at-ta’lîf, 1965, (3e éd.), p. 209, cité par EmnaBelhaj Yahya dans « Discours islamiste radical et droits des femmes », in La non-discrimination à l’égard des femmes, Imprimerie Officielle de la République Tunisienne, Tunis, 1989, p. 369-376.
[7]. Revue Al‑Ma‘rifa n° 4, « Al‑mar’a ka ‘insâna » (« La femme en tant qu’être humain »), cité par A. Hermassi dans Al‑haraka al‑islamiyyafîtûnis (Le mouvement islamiste en Tunisie), Bayrim, Tunis, 1985, 1977, p. 122 sq.
par Thomas Sankara (8 mars 1987)
LA LIBÉRATION DE LA FEMME, UNE EXIGENCE DU FUTUR
Le bonheur égoïste n’est qu’illusion et nous avons une grande absente : la femme. Elle a été exclue de cette procession heureuse. La condition de la femme est le noeud de toute la question humaine, partout. Elle a un caractère universel
thomassankara.net |
Thomas Sankara |
Publication 10/03/2023
Il n’est pas courant qu’un homme ait à s’adresser à tant et tant de femmes à la fois. Il n’est pas courant non plus qu’un homme ait à suggérer à tant et tant de femmes à la fois, les nouvelles batailles à engager.
La première timidité de l’homme lui vient dès le moment où il a conscience qu’il regarde une femme. Aussi, camarades militantes, vous comprendrez que malgré la joie et le plaisir que j’ai à m’adresser à vous, je reste quand même un homme qui regarde en chacune de vous, la mère, la soeur ou l’épouse. Je voudrais également que nos soeurs ici présentes, venues du Kadiogo, et qui ne comprennent pas la langue française étrangère dans laquelle je vais prononcer mon discours soient indulgentes à notre égard comme elles l’ont toujours été, elles qui, comme nos mères, ont accepté de nous porter pendant neuf mois sans rechigner. ( Intervention en langue nationale mooré pour assurer les femmes qu’une traduction suivra, d leur intention.)
Camarades, la nuit de 4 août a accouché de l’oeuvre la plus salutaire pour le peuple burkinabè. Elle a donné à notre peuple un nom et à notre pays un horizon.
Irradiés de la sève vivifiante de la liberté, les hommes burkinabè, humiliés et proscrits d’hier, ont reçu le sceau de ce qu’il y a de plus cher au monde : la dignité et l’honneur. Dès lors, le bonheur est devenu accessible et chaque jour nous marchons vers lui, embaumés par les luttes, prémices qui témoignent des grands pas que nous avons déjà réalisés. Mais le bonheur égoïste n’est qu’illusion et nous avons une grande absente : la femme. Elle a été exclue de cette procession heureuse.
Si des hommes sont déjà à l’orée du grand jardin de la révolution, les femmes elles, sont encore confinées dans leur obscurité dépersonnalisante, devisant bruyamment ou sourdement sur les expériences qui ont embrassé le Burkina Faso et qui ne sont chez elles pour l’instant que clameurs.
Les promesses de la révolution sont déjà réalités chez les hommes. Chez les femmes par contre, elles ne sont encore que rumeurs. Et pourtant c’est d’elles que dépendent la vérité et l’avenir de notre révolution : questions vitales, questions essentielles puisque rien de complet, rien de décisif, rien de durable ne pourra se faire dans notre pays tant que cette importante partie de nous-mêmes sera maintenue dans cet assujettissement imposé durant des siècles par les différents systèmes d’exploitation. Les hommes et les femmes du Burkina Faso doivent dorénavant modifier en profondeur l’image qu’ils se font d’eux-mêmes à l’intérieur d’une société qui, non seulement, détermine de nouveaux rapports sociaux mais provoque une mutation culturelle en bouleversant les relations de pouvoir entre hommes et femmes, et en condamnant l’un et l’autre à repenser la nature de chacun. C’est une tâche redoutable mais nécessaire, puisqu’il s’agit de permettre à notre révolution de donner toute sa mesure, de libérer toutes ses possibilités et de révéler son authentique signification dans ces rapports immédiats, naturels, nécessaires, de l’homme et de la femme, qui sont les rapports les plus naturels de l’être humain à l’être humain.
Voici donc jusqu’à quel point le comportement naturel de l’homme est devenu humain et jusqu’à quel point sa nature humaine est devenue sa nature.
Cet être humain, vaste et complexe conglomérat de douleurs et de joies, de solitude dans l’abandon, et cependant berceau créateur de l’immense humanité, cet être de souffrance, de frustration et d’humiliation, et pourtant, source intarissable de félicité pour chacun de nous ; lieu incomparable de toute affection, aiguillon des courages même les plus inattendus ; cet être dit faible mais incroyable force inspiratrice des voies qui mènent à l’honneur ; cet être, vérité chamelle et certitude spirituelle, cet être-là, femmes, c’est vous ! Vous, berceuses et compagnes de notre vie, camarades de notre lutte, et qui de ce fait, en toute justice, devez vous imposer comme partenaires égales dans la convivialité des festins des victoires de la révolution.
C’est sous cet éclairage que tous, hommes et femmes, nous nous devons de définir et d’affirmer le rôle et la place de la femme dans la société.
Il s’agit donc de restituer à l’homme sa vraie image en faisant triompher le règne de la liberté par-delà les différenciations naturelles, grâce à la liquidation de tous les systèmes d’hypocrisie qui consolident l’exploitation cynique de la femme.
En d’autres termes, poser la question de la femme dans la société burkinabè d’aujourd’hui, c’est vouloir abolir le système d’esclavage dans lequel elle a été maintenue pendant des millénaires. C’est d’abord vouloir comprendre ce système dans son fonctionnement, en saisir la vraie nature et toutes ses subtilités pour réussir à dégager une action susceptible de conduire à un affranchissement total de la femme.
Autrement dit, pour gagner un combat qui est commun à la femme et à l’homme, il importe de connaître tous les contours de la question féminine tant à l’échelle nationale qu’universelle et de comprendre comment, aujourd’hui, le combat de la femme, burkinabè rejoint le combat universel de toutes les femmes, et au-delà, le combat pour la réhabilitation totale de notre continent.
La condition de la femme est par conséquent le noeud de toute la question humaine, ici, là-bas, partout. Elle a donc un caractère universel.
La lutte de classes et la question de la femme.
Nous devons assurément au matérialisme dialectique d’avoir projeté sur les problèmes de la condition féminine la lumière la plus forte, celle qui nous permet de cerner le problème de l’exploitation de la femme à l’intérieur d’un système généralisé d’exploitation. Celle aussi qui définit la société humaine non plus comme un fait naturel immuable mais comme une antiphysis.
L’humanité ne subit pas passivement la puissance de la nature. Elle la prend à son compte. Cette prise en compte n’est pas une opération intérieure et subjective. Elle s’effectue objectivement dans la pratique, si la femme cesse d’être considérée comme un simple organisme sexué, pour prendre conscience au-delà des données biologiques, de sa valeur dans l’action.
En outre, la conscience que la femme prend d’elle-même n’est pas définie par sa seule sexualité. Elle reflète une situation qui dépend de la structure économique de la société, structure qui traduit le degré de l’évolution technique et des rapports entre classes auquel est parvenue l’humanité.
L’importance du matérialisme dialectique est d’avoir dépassé les limites essentielles de la biologie, d’avoir échappé aux thèses simplistes de l’asservissement à l’espèce, pour introduire tous les faits dans le contexte économique et social. Aussi loin que remonte l’histoire humaine, l’emprise de l’homme sur la nature ne s’est jamais réalisée directement, le corps nu. La main avec son pouce préhensif déjà se prolonge vers l’instrument qui multiplie son pouvoir. Ce ne sont donc pas les seules données physiques, la musculature, la parturition par exemple, qui ont consacré l’inégalité de statut entre l’homme et la femme. Ce n’est pas non plus l’évolution technique en tant que telle qui l’a confirmée. Dans certains cas, et dans certaines parties du globe, la femme a pu annuler la différence physique qui la sépare de l’homme.
C’est le passage d’une forme de société à une autre qui justifie l’institutionnalisation de cette inégalité. Une inégalité sécrétée par l’esprit et par notre intelligence pour réaliser la domination et l’exploitation concrétisées, représentées et vécues désormais par les fonctions et les rôles auxquels nous avons soumis la femme.
La maternité, l’obligation sociale d’être conforme aux canons de ce que les hommes désirent comme élégance, empêchent la femme qui le désirerait de se forger une musculature dite d’homme.
Pendant des millénaires, du paléolithique à l’âge du bronze, les relations entre les sexes furent considérées par les paléontologues les plus qualifiés de complémentarité positive. Ces rapports demeurèrent pendant huit millénaires sous l’angle de la collaboration et de l’interférence, et non sous celui de l’exclusion propre au patriarcat absolu à peu près généralisé à l’époque historique !
Engels a fait l’état de l’évolution des techniques mais aussi de l’asservissement historique de la femme qui naquit avec l’apparition de la propriété privée, à la faveur du passage d’un mode de production à un autre, d’une organisation sociale à une autre.
Avec le travail intensif exigé pour défricher la forêt, faire fructifier les champs, tirer au maximum parti de la nature, intervient la parcellisation des tâches. L’égoïsme, la paresse, la facilité, bref le plus grand profit pour le plus petit effort émergent des profondeurs de l’homme et s’érigent en principes. La tendresse protectrice de la femme à l’égard de la famille et du clan devient le piège qui la livre à la domination du mâle. L’innocence et la générosité sont victimes de la dissimulation et des calculs crapuleux. L’amour est bafoué. La dignité est éclaboussée. Tous les vrais sentiments se transforment en objets de marchandage. Dès lors, le sens de l’hospitalité et du partage des femmes succombe à la ruse des fourbes.
Quoique consciente de cette fourberie qui régit la répartition inégale des tâches, elle, la femme, suit l’homme pour soigner et élever tout ce qu’elle aime. Lui, l’homme, surexploite tant de don de soi. Plus tard, le germe de l’exploitation coupable installe des règles atroces, dépassant les concessions conscientes de la femme historiquement trahie.
L’humanité connaît l’esclavage avec la propriété privée. L’homme maître de ses esclaves et de la terre devient aussi propriétaire de la femme. C’est là la grande défaite historique du sexe féminin. Elle s’explique par le bouleversement survenu dans la division du travail, du fait de nouveaux modes de production et d’une révolution dans les moyens de production.
Alors le droit paternel se substitue au droit maternel ; la transmission du domaine se fait de père en fils et non plus de la femme à son clan. C’est l’apparition de la famille patriarcale fondée sur la propriété personnelle et unique du père, devenu chef de famille. Dans cette famille, la femme est opprimée. Régnant en souverain, l’homme assouvit ses caprices sexuels, s’accouple avec les esclaves ou hétaïres. Les femmes deviennent son butin et ses conquêtes de marché. Il tire profit de leur force de travail et jouit de la diversité du plaisir qu’elles lui procurent.
De son côté dès que les maîtres rendent la réciproque possible, la femme se venge par l’infidélité. Ainsi le mariage se complète naturellement par l’adultère. C’est la seule défense de la femme contre l’esclavage domestique où elle est tenue. L’oppression sociale est ici l’expression de l’oppression économique.
Dans un tel cycle de violence, l’inégalité ne prendra fin qu’avec l’avènement d’une société nouvelle, c’est-à-dire lorsque hommes et femmes jouiront de droits sociaux égaux, issus de bouleversements intervenus dans les moyens de production ainsi que dans tous les rapports sociaux. Aussi le sort de la femme ne s’améliorera-t-il qu’avec la liquidation du système qui l’exploite.
De fait, à travers les âges et partout où triomphait le patriarcat, il y a eu un parallélisme étroit entre l’exploitation des classes et la domination des femmes ; Certes, avec des périodes d’éclaircies où des femmes, prêtresses ou guerrières ont crevé la voûte oppressive. Mais l’essentiel, tant au niveau de la pratique quotidienne que dans la répression intellectuelle et morale, a survécu et s’est consolidé. Détrônée par la propriété privée, expulsée d’elle-même, ravalée au rang de nourrice et de servante, rendue inessentielle par les philosophies Aristote, Pythagore et autres et les religions les plus installées, dévalorisée par les mythes, la femme partageait le sort de l’esclave qui dans la société esclavagiste n’était qu’une bête de somme à face humaine.
Rien d’étonnant alors que, dans sa phase conquérante, le capitalisme, pour lequel les êtres humains n’étaient que des chiffres, ait été le système économique qui a exploité la femme avec le plus de cynisme et le plus de raffinement. C’était le cas, rapporte-t-on, chez ce fabricant de l’époque, qui n’employait que des femmes à ses métiers à tisser mécaniques. Il donnait la préférence aux femmes mariées et parmi elles, à celles qui avaient à la maison de la famille à entretenir, parce qu’elles montraient beaucoup plus d’attention et de docilité que les célibataires. Elles travaillaient jusqu’à l’épuisement de leurs forces pour procurer aux leurs les moyen subsistance indispensables.
C’est ainsi que les qualités propres de la femme sont faussées à son détriment, et tous les éléments moraux et délicats de sa nature deviennent des moyens de l’asservir. Sa tendresse, l’amour de la famille, la méticulosité qu’elle apporte à son oeuvre sont utilisés contre elle, tout en se parant contre les défauts qu’elle peut avoir.
Ainsi, à travers les âges et à travers les types de sociétés, la femme a connu un triste sort : celui de l’inégalité toujours confirmée par rapport à l’homme. Que les manifestations de cette inégalité aient pris des tours et contours divers, cette inégalité n’en est pas moins restée la même.
Dans la société esclavagiste, l’homme esclave était considéré comme un animal, un moyen de production de biens et de services. La femme, quel que fût son rang, était écrasée à l’intérieur de sa propre classe, et hors de cette classe même pour celles qui appartenaient aux classes exploiteuses.
Dans la société féodale, se basant sur la prétendue faiblesse physique ou psychologique des femmes, les hommes les ont confinées dans une dépendance absolue de l’homme. Souvent considérée comme objet de souillure ou principal agent d’indiscrétion, la femme, à de rares exceptions près, était écartée des lieux de culte.
Dans la société capitaliste, la femme, déjà moralement et socialement persécutée, est également économiquement dominée. Entretenue par l’homme lorsqu’elle ne travaille pas, elle l’est encore lorsqu’elle se tue à travailler. On ne saurait jeter assez de lumière vive sur la misère des femmes, démontrer avec assez de force qu’elle est solidaire de celle des prolétaires.
De la spécificité du fait féminin.
Solidaire de l’homme exploité, la femme l’est.
Toutefois, cette solidarité dans l’exploitation sociale dont hommes et femmes sont victimes et qui lie le sort de l’un et de l’autre à l’Histoire, ne doit pas faire perdre de vue le fait spécifique de la condition féminine. La condition de la femme déborde les entités économiques en singularisant l’oppression dont elle est victime. Cette singularité nous interdit d’établir des équations en nous abîmant dans les réductions faciles et infantiles. Sans doute, dans l’exploitation, la femme et l’ouvrier sont-ils tenus au silence. Mais dans le système mis en place, la femme de l’ouvrier doit un autre silence à son ouvrier de mari. En d’autres termes, à l’exploitation de classe qui leur est commune, s’ajoutent pour les femmes, des relations singulières avec l’homme, relations d’opposition et d’agression qui prennent prétexte des différences physiques pour s’imposer.
Il faut admettre que l’asymétrie entre les sexes est ce qui caractérise la société humaine, et que cette asymétrie définit des rapports souverains qui ne nous autorisent pas à voir d’emblée dans la femme, même au sein de la production économique, une simple travailleuse. Rapports privilégiés, rapports périlleux qui font que la question de la condition de la femme se pose toujours comme un problème.
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L’homme prend donc prétexte la complexité de ces rapports pour semer la confusion au sein des femmes et tirer profit de toutes les astuces de l’exploitation de classe pour maintenir sa domination sur les femmes. De cette même façon, ailleurs, des hommes ont dominé d’autres hommes parce qu’ils ont réussi à imposer l’idée selon laquelle au nom de l’origine de la famille et de la naissance, du « droit divin », certains hommes étaient supérieurs à d’autres. D’où le règne féodal. De cette même manière, ailleurs, d’autres hommes ont réussi à asservir des peuples entiers, parce que l’origine et l’explication de la couleur de leur peau ont été une justification qu’ils ont voulue « scientifique » pour dominer ceux qui avaient le malheur d’être d’une autre couleur. C’est le règne colonial. C’est l’apartheid.
Nous ne pouvons pas ne pas être attentifs à cette situation des femmes, car c’est elle qui pousse les meilleures d’entre elles à parler de guerre des sexes alors qu’il s’agit d’une guerre de clans et de classes à mener ensemble dans la complémentarité tout simplement. Mais il faut admettre que c’est bien l’attitude des hommes qui rend possible une telle oblitération des significations et autorise par là toutes les audaces sémantiques du féminisme dont certaines n’ont pas été inutiles dans le combat qu’hommes et femmes mènent contre l’oppression. Un combat que nous pouvons gagner, que nous allons gagner si nous retrouvons notre complémentarité, si nous nous savons nécessaires et complémentaires, si nous savons enfin que nous sommes condamnés à la complémentarité.
Pour l’heure, force est de reconnaître que le comportement masculin, fait de vanités, d’irresponsabilités, d’arrogances et de violences de toutes sortes à l’endroit de la femme, ne peut guère déboucher sur une action coordonnée contre l’oppression de celle-ci. Et que dire de ces attitudes qui vont jusqu’à la bêtise et qui ne sont en réalité qu’exutoires des mâles opprimés espérants, par leurs brutalités contre leur femme, récupérer pour leur seul compte une humanité que le système d’exploitation leur dénie.
La bêtise masculine s’appelle sexisme ou machisme, toute forme d’indigence intellectuelle et morale, voire d’impuissance physique plus ou moins déclarée qui oblige souvent les femmes politiquement conscientes à considérer comme un devoir la nécessité de lutter sur deux fronts.
Pour lutter et vaincre, les femmes doivent s’identifier aux couches et classes sociales opprimées : les ouvriers, les paysans…
Un homme, si opprimé soit-il, trouve un être à opprimer : sa femme. C’est là assurément affirmer une terrible réalité. Lorsque nous parlons de l’ignoble système de l’apartheid, c’est vers les Noirs exploités et opprimés que se tournent et notre pensée et notre émotion. Mais nous oublions hélas la femme noire qui subit son homme, cet homme qui, muni de son passbook (laisser-passer), s’autorise des détours coupables avant d’aller retrouver celle qui l’a attendu dignement, dans la souffrance et dans le dénuement.
Pensons aussi à la femme blanche d’Afrique du Sud, aristocrate, matériellement comblée sûrement, mais malheureusement machine de plaisir de ces hommes blancs lubriques qui n’ont plus pour oublier leurs forfaits contre les Noirs que leur enivrement désordonné et pervers de rapports sexuels bestiaux.
En outre, les exemples ne manquent pas d’hommes pourtant progressistes, vivant allègrement d’adultère, mais qui seraient prêts à assassiner leur femme rien que pour un soupçon d’infidélité. Ils sont nombreux chez nous, ces hommes qui vont chercher des soi-disant consolations dans les bras de prostituées et de courtisanes de toutes sortes ! Sans oublier les maris irresponsables dont les salaires ne servent qu’à entretenir des maîtresses et enrichir des débits de boisson. Et que dire de ces petits hommes eux aussi progressistes qui se retrouvent souvent dans une ambiance lascive pour parler des femmes dont ils ont abusé. Ils croient ainsi se mesurer à leurs semblables hommes, voire les humilier quand ils ravissent des femmes mariées.
En fait, il ne s’agit là que de lamentables mineurs dont nous nous serions même abstenus de parler si leur comportement de délinquants ne mettait en cause et la vertu et la morale de femmes de grande valeur qui auraient été hautement utiles à notre révolution.
Et puis tous ces militants plus ou moins révolutionnaires, beaucoup moins révolutionnaires que plus, qui n’acceptent pas que leurs épouses militent ou ne l’acceptent que pour le militantisme de jour et seulement de jour ; qui battent leurs femmes parce qu’elles se sont absentées pour des réunions ou des manifestations de nuit. Ah ! ces soupçonneux, ces jaloux ! Quelle pauvreté d’esprit et quel engagement conditionnel, limité ! Car n’y aurait-il que la nuit qu’une femme déçue et décidée puisse tromper son mari ? Et quel est cet engagement qui veut que le militantisme s’arrête avec la tombée de la nuit, pour ne reprendre ses droits et ses exigences que seulement au lever du jour !
Et que penser enfin de tous ces propos dans la bouche des militants plus révolutionnaires, les uns que les autres sur les femmes ? Des propos comme « bassement matérialistes, profiteuses, comédiennes, menteuses cancanières, intrigantes, jalouses etc, etc… » Tout cela est peut-être vrai des femmes mais sûrement aussi vrai pour les hommes ! Notre société pourrait-elle pervertir moins que cela lorsque avec méthode, elle accable les femmes, les écarte de tout ce qui est censé être sérieux, déterminant, c’est-à-dire au-dessus des relations subalternes et mesquines !
Lorsque l’on est condamné comme les femmes le sont à attendre son maître de mari pour lui donner à manger, et recevoir de lui l’autorisation de parler et de vivre, on n’a plus, pour s’occuper et se créer une illusion d’utilité ou d’importance, que les regards, les reportages, les papotages, les jeux de ferraille, les regards obliques et envieux suivis de médisance sur la coquetterie des autres et leur vie privée. Les mêmes attitudes se retrouvent chez les mâles placés dans les mêmes conditions.
Des femmes, nous disons également, hélas qu’elles sont oublieuses. On les qualifie même de têtes de linottes. N’oublions jamais cependant qu’accaparée, voire tourmentée par l’époux léger, le mari infidèle et irresponsable, l’enfant et ses problèmes, accablée enfin par l’intendance de toute la famille, la femme, dans ces conditions, ne peut avoir que des yeux hagards qui reflètent l’absence, et la distraction de l’esprit. L’oubli, pour elle, devient un antidote à la peine, une atténuation des rigueurs de l’existence, une protection vitale.
Mais des hommes oublieux, il y en a aussi, et beaucoup ; les uns dans l’alcool et les stupéfiants, les autres dans diverses formes de perversité auxquelles ils s’adonnent dans la course de la vie. Cependant, personne ne dit jamais que ces hommes-là sont oublieux. Quelle vanité, quelles banalités !
Banalités dont ils se gargarisent pour marquer ces infirmités de l’univers masculin. Car l’univers masculin dans une société d’exploitation a besoin de femmes prostituées ; Celles que l’on souille et que l’on sacrifie après usage sur l’autel de la prospérité d’un système de mensonges et de rapines, ne sont que des boucs émissaires.
La prostitution n’est que la quintessence d’une société où l’exploitation est érigée en règle. Elle symbolise le mépris que l’homme a de la femme. De cette femme qui n’est autre que la figure douloureuse de la mère, de la soeur ou de l’épouse d’autres hommes, donc de chacun de nous. C’est en définitive, le mépris inconscient que nous avons de nous-mêmes. Il n’y a de prostituées que là où existent des « prostitueurs » et des proxénètes.
Mais qui donc va chez la prostituée ?
Il y a d’abord des maris qui vouent leurs épouses à la chasteté pour décharger sur la prostituée leur turpitude et leurs désirs de stupres. Cela leur permet d’accorder un respect apparent à leurs épouses tout en révélant leur vraie nature dans le giron de la fille dite de joie. Ainsi sur le plan moral, on fait de la prostitution le symétrique du mariage. On semble s’en accommoder, dans les rites et coutumes, les religions et les morales. C’est ce que les pères de l’Église exprimaient en disant qu « il faut des égouts pour garantir la salubrité des palais ».
Il y a ensuite les jouisseurs impénitents et intempérants qui ont peur d’assumer la responsabilité d’un foyer avec ses turbulences et qui fuient les charges morales et matérielles d’une paternité. Ils exploitent alors l’adresse discrète d’une maison close comme le filon précieux d’une liaison sans conséquences.
Il y a aussi la cohorte de tous ceux qui, publiquement du moins et dans les lieux bien pensants, vouent la femme aux gémonies. Soit par un dépit qu’ils n’ont pas eu le courage de transcender, perdant confiance ainsi en toute femme déclarée alors instrumentum diabolicum, soit également par hypocrisie pour avoir trop souvent et péremptoirement proclamé contre le sexe féminin un mépris qu’ils s’efforcent d’assumer aux yeux de la société dont ils ont extorqué l’admiration par la fausse vertu. Tous nuitamment échouent dans les lupanars de manière répétée jusqu’à ce que parfois leur tartufferie soit découverte.
Il y a encore cette faiblesse de l’homme que l’on retrouve dans sa recherche de situations polyandriques. Loin de nous, toute idée de jugement de valeur sur la polyandrie, cette forme de rapport entre l’homme et la femme que certaines civilisations ont privilégiée. Mais dans les cas que nous dénonçons, retenons ces parcs de gigolos cupides et fainéants qu’entretiennent grassement de riches dames.
Dans ce même système, au plan économique la prostitution peut confondre prostituée et femme mariée « matérialiste ». Entre celle qui vend son corps par la prostitution et celle qui se vend dans le mariage, la seule différence consiste dans le prix et la durée du contrat.
Ainsi en tolérant l’existence de la prostitution, nous ravalons toutes nos femmes au même rang : prostituées ou mariées. La seule différence est que la femme légitime tout en étant opprimée en tant qu’épouse bénéficie au moins du sceau de l’honorabilité que confère le mariage. Quant à la prostituée, il ne reste plus que l’appréciation marchande de son corps, appréciation fluctuant au gré des valeurs des bourses phallocratiques.
N’est-elle qu’un article qui se valorise ou se dévalorise en fonction du degré de flétrissement de ses charmes ? N’est-elle pas régie par la loi de l’offre et de la demande ? La prostitution est un raccourci tragique et douloureux de toutes les formes de l’esclavage féminin. Nous devons par conséquent voir dans chaque prostituée le regard accusateur braqué sur la société tout entière. Chaque proxénète, chaque partenaire de prostituée remue un couteau dans cette plaie purulente et béante qui enlaidit le monde des hommes et le conduit à sa perte. Aussi, en combattant la prostitution, en tendant une main secourable à la prostituée, nous sauvons nos mères, nos soeurs et nos femmes de cette lèpre sociale. Nous nous sauvons nous-mêmes. Nous sauvons le monde.
La condition de la femme au Burkina.
Si dans l’entendement de la société, le garçon qui naît est un « don de Dieu », la naissance d’une fille est accueillie, sinon comme une fatalité, au mieux comme un présent qui servira à produire des aliments et à reproduire le genre humain.
Au petit homme l’on apprendra à vouloir et à obtenir, à dire et être servi, à désirer et prendre, à décider sans appel. A la future femme, la société, comme un seul homme et c’est bien le lieu de le dire assène, inculque des normes sans issue. Des corsets psychiques appelés vertus créent en elle un esprit d’aliénation personnelle, développent dans cette enfant la préoccupation de protection et la prédisposition aux alliances tutélaires et aux tractations matrimoniales. Quelle fraude mentale monstrueuse !
Ainsi, enfant sans enfance, la petite fille, dès l’âge de 3 ans, devra répondre à sa raison d’être : servir, être utile. Pendant que son frère de 4, 5 ou 6 ans jouera jusqu’à l’épuisement ou l’ennui, elle entrera, sans ménagement, dans le processus de production. Elle aura, déjà, un métier : assistante-ménagère. Occupation sans rémunération bien sûr car ne dit-on pas généralement d’une femme à la maison qu’elle « ne fait rien ? ». N’inscrit-on pas sur les documents d’identité des femmes non rémunérées la mention « ménagère » pour dire que celles-ci n’ont pas d’emploi ? Qu’elles « ne travaillent pas ? ».
Les rites et les obligations de soumission aidant, nos soeurs grandissent, de plus en plus dépendantes, de plus en plus dominées, de plus en plus exploitées avec de moins en moins de loisirs et de temps libre.
Alors que le jeune homme trouvera sur son chemin les occasions de s’épanouir et de s’assumer, la camisole de force sociale enserrera davantage la jeune fille, à chaque étape de sa vie. Pour être née fille, elle paiera un lourd tribut, sa vie durant, jusqu’à ce que le poids du labeur et les effets de l’oubli de soi physiquement et mentalement la conduisent au jour du Grand repos. Facteur de production aux côtés de sa mère dès ce moment, plus sa patronne que sa maman elle ne sera jamais assise à ne rien faire, jamais laissée, oubliée à ses jeux et à ses jouets comme lui, son frère.
De quelque côté que l’on se tourne, du Plateau central au Nord-Est où les sociétés à pouvoir fortement centralisé prédominent, à l’Ouest où vivent des communautés villageoises au pouvoir non centralisé ou au Sud-Ouest, terroir des collectivités dites segmentaires, l’organisation sociale traditionnelle présente au moins un point commun : la subordination des femmes. Dans ce domaine, nos 8 000 villages, nos 600 000 concessions et notre million et plus de ménages, observent des comportements identiques ou similaires. Ici et là, l’impératif de la cohésion sociale définie par les hommes est la soumission des femmes et la subordination des cadets.
Notre société, encore par trop primitivement agraire, patriarcale et polygamique, faite de la femme un objet d’exploitation pour sa force de travail et de consommation, pour sa fonction de reproduction biologique.
Comment la femme vit-elle cette curieuse double identité : celle d’être le noeud vital qui soude tous les membres de la famille, qui garantit par sa présence et son attention l’unité fondamentale et celle d’être marginalisée, ignorée ? Une condition hybride s’il en est, dont l’ostracisme imposé n’a d’égal que le stoïcisme de la femme. Pour vivre en harmonie avec la société des hommes, pour se conformer au diktat des hommes, la femme s’enferrera dans une ataraxie avilissante, négativiste, par le don de soi.
Femme-source de vie mais femme-objet. Mère mais servile domestique. Femme-nourricière mais femme-alibi. Taillable aux champs et corvéable au ménage, cependant figurante sans visage et sans voix. Femme-charnière, femme-confluent mais femme en chaînes, femme-ombre à l’ombre masculine.
Pilier du bien-être familial, elle est accoucheuse, laveuse, balayeuse, cuisinière, messagère, matrone, cultivatrice, guérisseuse, maraîchère, pileuse, vendeuse, ouvrière. Elle est une force de travail à l’outil désuet, cumulant des centaines de milliers d’heures pour des rendements désespérants.
Déjà aux quatre fronts du combat contre la maladie, la faim, le dénuement, la dégénérescence, nos soeurs subissent chaque jour la pression des changements sur lesquels elles n’ont point de prise. Lorsque chacun de nos 800 000 émigrants mâles s’en va, une femme assume un surcroît de travail. Ainsi, les deux millions de Burkinabé résidant hors du territoire national ont contribué à aggraver le déséquilibre de la sex-ratio qui, aujourd’hui, fait que les femmes constituent 51,7 pour cent de la population totale. De la population résidante potentiellement active, elles sont 52,1 pour cent.
Trop occupée pour accorder l’attention voulue à ses enfants, trop épuisée pour penser à elle-même, la femme continuera de trimer : roue de fortune, roue de friction, roue motrice, roue de secours, grande roue.
Rouées et brimées, les femmes, nos soeurs et nos épouses, paient pour avoir donné la vie. Socialement reléguées au troisième rang, après l’homme et l’enfant, elles paient pour entretenir la vie. Ici aussi, un Tiers Monde est arbitrairement arrêté pour dominer, pour exploiter.
Dominée et transférée d’une tutelle protectrice exploiteuse à une tutelle dominatrice et davantage exploiteuse, première à la tâche et dernière au repos, première au puits et au bois, au feu du foyer mais dernière à étancher ses soifs, autorisée à manger que seulement quand il en reste ; et après l’homme, clé de voûte de la famille, tenant sur ses épaules, dans ses mains et par son ventre cette famille et la société, la femme est payée en retour d’idéologie nataliste oppressive, de tabous et d’interdits alimentaires, de surcroît de travail, de malnutrition, de grossesses dangereuses, de dépersonnalisation et d’innombrables autres maux qui font de la mortalité maternelle une des tares les plus intolérables, les plus indicibles, les plus honteuses de notre société.
Sur ce substrat aliénant, l’intrusion des rapaces venus de loin a contribué à fermenter la solitude des femmes et à empirer la précarité de leur condition.
L’euphorie de l’indépendance a oublié la femme dans le lit des espoirs châtrés. Ségréguée dans les délibérations, absente des décisions, vulnérable donc victime de choix, elle a continué de subir la famille et la société. Le capital et la bureaucratie ont été de la partie pour maintenir la femme subjuguée. L’impérialisme a fait le reste.
Scolarisées deux fois moins que les hommes, analphabètes à 99 pour cent, peu formées aux métiers, discriminées dans l’emploi, limitées aux fonctions subalternes, harcelées et congédiées les premières, les femmes, sous les poids de cent traditions et de mille excuses ont continué de relever les défis successifs. Elles devaient rester actives, coûte que coûte, pour les enfants, pour la famille et pour la société. Au travers de mille nuits sans aurores.
Le capitalisme avait besoin de coton, de karité, de sésame pour ses industries et c’est la femme, ce sont nos mères qui en plus de ce qu’elles faisaient déjà se sont retrouvées chargées d’en réaliser la cueillette. Dans les villes, là où était censée être la civilisation émancipatrice de la femme, celle-ci s’est retrouvée obligée de décorer les salons de bourgeois, de vendre son corps pour vivre ou de servir d’appât commercial dans les productions publicitaires.
Les femmes de la petite-bourgeoisie des villes vivent sans doute mieux que les femmes de nos campagnes sur le plan matériel. Mais sont-elles plus libres, plus émancipées, plus respectées, plus responsabilisées ? Il y a plus qu’une question à poser, il y a une affirmation à avancer. De nombreux problèmes demeurent, qu’il s’agisse de l’emploi ou de l’accès à l’éducation, qu’il s’agisse du statut de la femme dans les textes législatifs ou dans la vie concrète de tous les jours, la femme burkinabè demeure encore celle qui vient après l’homme et non en même temps.
Les régimes politiques néo-coloniaux qui se sont succédés au Burkina n’ont eu de la question de l’émancipation de la femme que son approche bourgeoise qui n’est que l’illusion de liberté et de dignité. Seules les quelques femmes de la petite-bourgeoisie des villes étaient concernées par la politique à la mode de la « condition féminine » ou plutôt du féminisme primaire qui revendique pour la femme le droit d’être masculine. Ainsi la création du ministère de la Condition féminine, dirigée par une femme fut-elle chantée comme une victoire.
Mais avait-on vraiment conscience de cette condition féminine ? Avait-on conscience que la condition féminine c’est la condition de 52 pour cent de la population burkinabè ? Savait-on que cette condition était déterminée par les structures sociales, politiques, économiques et par les conceptions rétrogrades dominantes et que par conséquent la transformation de cette condition ne saurait incomber à un seul ministère, fût-il dirigé par une femme ?
Cela est si vrai que les femmes du Burkina ont pu constater après plusieurs années d’existence de ce ministère que rien n’avait changé dans leur condition. Et il ne pouvait en être autrement dans la mesure où l’approche de la question de l’émancipation des femmes qui a conduit à la création d’un tel ministère-alibi, refusait de voir et de mettre en évidence afin d’en tenir compte les véritables causes de la domination et de l’exploitation de la femme. Aussi ne doit-on pas s’étonner que malgré l’existence de ce ministère, la prostitution se soit développée, que l’accès des femmes à l’éducation et à l’emploi ne se soit pas amélioré, que les droits civiques et politiques des femmes soient restés ignorés, que les conditions d’existence des femmes en ville comme en campagne ne se soient nullement améliorées.
Femme-bijou, femme-alibi politique au gouvernement, femme-sirène clientéliste aux élections, femme-robot à la cuisine, femme frustrée par la résignation et les inhibitions imposées malgré son ouverture d’esprit ! Quelle que soit sa place dans le spectre de la douleur, quelle que soit sa façon urbaine ou rurale de souffrir, elle souffre toujours.
Mais une seule nuit a porté la femme au coeur de l’essor familial et au centre de la solidarité nationale.
Porteuse de liberté, l’aurore consécutive du 4 août 1983 lui a fait écho pour qu’ensemble, égaux, solidaires et complémentaires, nous marchions côte à côte, en un seul peuple.
La révolution d’août a trouvé la femme burkinabè dans sa condition d’être assujettie et exploité par une société néo-coloniale fortement influencée par l’idéologie des forces rétrogrades. Elle se devait de rompre avec la politique réactionnaire, prônée et suivie jusque-là en matière d’émancipation de la femme, en définissant de façon claire un politique nouveau, juste et révolutionnaire.
Notre révolution et l’émancipation de la femme
Le 2 octobre 1983, le Conseil national de la révolution a clairement énoncé dans son Discours d’orientation politique l’axe principal du combat de libération de la femme. Il s’y est engagé à travailler à la mobilisation, à l’organisation et à l’union de toutes les forces vives de la nation, et de la femme en particulier. Le Discours d’orientation politique précisait à propos de la femme : « Elle sera associée d tous les combats que nous aurons à entreprendre contre les diverses entraves de la société néo-coloniale et pour l’édification d’une société nouvelle. Elle sera associée à tous les niveaux de conception, de décision et d’exécution dans l’organisation de la vie de la nation tout entière ».
Le but de cette grandiose entreprise, c’est de construire une société libre et prospère où la femme sera l’égale de l’homme dans tous les domaines. Il ne peut y avoir de façon plus claire de concevoir et d’énoncer la question de la femme et la lutte émancipatrice qui nous attend.
« La vraie émancipation de la femme c’est celle qui responsabilise la femme, qui l’associe aux activités productrices, aux différents combats auxquels est confronté le peuple. La vraie émancipation de la femme, c’est celle qui force la considération et le respect de l’homme ».
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Cela indique clairement, camarades militantes, que le combat pour la libération de la femme est avant tout votre combat pour le renforcement de la Révolution démocratique et populaire. Cette révolution qui vous donne désormais la parole et le pouvoir de dire et d’agir pour l’édification d’une société de justice et d’égalité, où la femme et l’homme ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. La Révolution démocratique et populaire a créé les conditions d’un tel combat libérateur. Il vous appartient désormais d’agir en toute responsabilité pour, d’une part, briser toutes les chaînes et entraves qui asservissent la femme dans les sociétés arriérées comme la nôtre, et pour, d’autre part, assumer la part de responsabilité qui est la vôtre dans la politique d’édification de la société nouvelle au profit de l’Afrique et au profit de toute l’humanité.
Aux premières heures de la Révolution démocratique et populaire, nous le disions déjà : « l’émancipation tout comme la liberté ne s’octroie pas, elle se conquiert. Et il incombe aux femmes elles-mêmes d’avancer leurs revendications et de se mobiliser pour les faire aboutir ». Ainsi notre révolution a non seulement précisé l’objectif à atteindre dans la question de la lutte d’émancipation de la femme, mais elle a également indiqué ta voie à suivre, les moyens à mettre en oeuvre et les principaux acteurs de ce combat. Voilà bientôt quatre ans que nous oeuvrons ensemble, hommes et femmes, pour remporter des victoires et avancer vers l’objectif final.
Il nous faut avoir conscience des batailles livrées, des succès remportés, des échecs subis et des difficultés rencontrées pour davantage préparer et diriger les futurs combats. Quelle oeuvre a été réalisée par la Révolution démocratique et populaire dans l’émancipation de la femme ?
Quels atouts et quels handicaps ?
L’un des principaux acquis de notre révolution dans la lutte pour l’émancipation de la femme a été sans conteste la création de l’Union des femmes du Burkina, (UFB). La création de cette organisation constitue un acquit majeur parce qu’elle a permis de donner aux femmes de notre pays un cadre et des moyens sûrs pour victorieusement mener le combat. La création de l’UFB est une grande victoire parce qu’elle permet le ralliement de l’ensemble des femmes militantes autour d’objectifs précis, justes, pour le combat libérateur sous la direction du Conseil national de la révolution. L’UFB est l’organisation des femmes militantes et responsables, déterminées à travailler pour transformer [la réalité], à se battre pour gagner, à tomber et retomber, mais à se relever chaque fois pour avancer sans reculer.
C’est là une conscience nouvelle qui a germé chez les femmes du Burkina, et nous devons tous en être fiers. Camarades militantes, l’Union des femmes du Burkina est votre organisation de combat. Il vous appartient de l’affûter davantage pour que ses coups soient plus tranchants et vous permettent de remporter toujours et toujours des victoires. Les différentes initiatives que le Gouvernement a pu entreprendre depuis un peu plus de trois ans pour l’émancipation de la femme sont certainement insuffisantes, mais elles ont permis de faire un bout du chemin au point que notre pays peut se présenter aujourd’hui à l’avant-garde du combat libérateur de la femme. Nos femmes participent de plus en plus aux prises de décision, à l’exercice effectif du pouvoir populaire.
Les femmes du Burkina sont partout où se construit le pays, elles sont sur les chantiers : le Sourou (vallée irriguée), le reboisement, la vaccination-commando, les opérations « Villes propres », la bataille du rail, etc. Progressivement, les femmes du Burkina prennent pied et s’imposent, battant ainsi en brèche toutes les conceptions phallocratiques et passéïstes des hommes. Et il en sera ainsi jusqu’à ce que la femme au Burkina soit partout présente dans le tissu social et professionnel. Notre révolution, durant les trois ans et demi, a oeuvré à l’élimination progressive des pratiques dévalorisantes de la femme, comme la prostitution et les pratiques avoisinantes comme le vagabondage 3t la délinquance des jeunes filles, le mariage forcé, l’excision et les conditions de vie particulièrement difficiles de la femme.
En contribuant à résoudre partout le problème de l’eau, en contribuant aussi à l’installation des moulins dans les villages, en vulgarisant les foyers améliorés, en créant des garderies populaires, en pratiquant la vaccination au quotidien, en incitant à l’alimentation saine, abondante et variée, la révolution contribue sans nul doute à améliorer les conditions de vie de la femme burkinabè.
Aussi, celle-ci doit-elle s’engager davantage dans l’application des mots d’ordre anti-impérialistes, à produire et consommer burkinabè, en s’affirmant toujours comme un agent économique de premier plan, producteur comme consommateur des produits locaux.
La révolution d’août a sans doute beaucoup fait pour l’émancipation de la femme, mais cela est pourtant loin d’être satisfaisant. Il nous reste beaucoup à faire.
Pour mieux réaliser ce qu’il nous reste à faire, il nous faut d’avantage être conscients des difficultés à vaincre. Les obstacles et les difficultés sont nombreux. Et en tout premier lieu l’analphabétisme et le faible niveau de conscience politique, toutes choses accentuées encore par l’influence trop grande des forces rétrogrades dans nos sociétés arriérées.
Ces deux principaux obstacles, nous devons travailler avec persévérance à les vaincre. Car tant que les femmes n’auront pas une conscience claire de la justesse du combat politique à mener et des moyens à mettre en oeuvre, nous risquons de piétiner et finalement de régresser.
C’est pourquoi, l’Union des femmes du Burkina devra pleinement jouer le rôle qui est le sien. Les femmes de l’UFB doivent travailler à surmonter leurs propres insuffisances, à rompre avec les pratiques et le comportement qu’on a toujours dit propres aux femmes et que malheureusement nous pouvons vérifier encore chaque jour par les propos et comportements de nombreuses femmes. Il s’agit de toutes ces mesquineries comme la jalousie, l’exhibitionnisme, les critiques incessantes et gratuites, négatives et sans principes, le dénigrement des unes par les autres, le subjectivisme à fleur de peau, les rivalités, etc… Une femme révolutionnaire doit vaincre de tels comportements qui sont particulièrement accentués chez celles de la petite-bourgeoisie. Ils sont de nature à compromettre tout travail de groupe, alors même que le combat pour la libération de la femme est un travail organisé qui a besoin par conséquent de la contribution de l’ensemble des femmes.
Ensemble nous devons toujours veiller à l’accès de la femme au travail. Ce travail émancipateur et libérateur qui garantira à la femme l’indépendance économique, un plus grand rôle social et une connaissance plus juste et plus complète du monde.
Notre entendement du pouvoir économique de la femme doit se départir de la cupidité vulgaire et de la crasse avidité matérialiste qui font de certaines femmes des bourses de valeurs-spéculatrices, des coffres-forts ambulants. Il s’agit de ces femmes qui perdent toute dignité, tout contrôle et tout principe dès lors que le clinquant des bijoux se manifeste ou que le craquant des billets se fait entendre. De ces femmes, il y en a malheureusement qui conduisent des hommes aux excès d’endettement, voire de concussion, de corruption. Ces femmes sont de dangereuses boues gluantes, fétides, qui nuisent à la flamme révolutionnaire de leurs époux ou compagnons militants. De tristes cas existent où des ardeurs révolutionnaires ont été éteintes et où l’engagement du mari a été détourné de la cause du peuple par une femme égoïste et acariâtre, jalouse et envieuse.
L’éducation et l’émancipation économique, si elles ne sont pas bien comprises et utilement orientées, peuvent être sources de malheur pour la femme, donc pour la société. Recherchées comme amantes, épousées pour le meilleur, elles sont abandonnées dès que survient le pire. Le jugement répandu est impitoyable pour elles : l’intellectuelle se « place mal » et la richissime est suspecte. Toutes sont condamnées à un célibat qui ne serait pas grave s’il n’était pas l’expression même d’un ostracisme diffus de toute une société contre des personnes, victimes innocentes parce qu’elles ignorent tout de « leur crime et de leur tare », frustrées parce que chaque jour est un éteignoir à une affectivité qui se mue en acariâtrie ou en hypochondrie. Chez beaucoup de femmes le grand savoir a provoqué des déboires et la grande fortune a nourri bien des infortunes.
La solution à ces paradoxes apparents réside dans la capacité des malheureuses instruites ou riches à mettre au service de leur peuple leur grande instruction, leurs grandes richesses. Elles n’en seront que plus appréciées, voire adulées par tant et tant de personnes à qui elles auront apporté un peu de joie. Comment alors pourraient-elles se sentir seules dans ces conditions ? Comment ne pas connaître la plénitude sentimentale lorsque l’on a su faire de l’amour de soi et de l’amour pour soi, l’amour de l’autre et l’amour des autres ?
Nos femmes ne doivent pas reculer devant les combats multiformes qui conduisent une femme à s’assumer pleinement, courageusement et fièrement afin de vivre le bonheur d’être elle-même, et non pas la domestication d’elle par lui.
Aujourd’hui encore, et pour beaucoup de nos femmes, s’inscrire sous le couvert d’un homme demeure le quitus le plus sûr contre le qu’en-dira-t-on oppressant. Elles se marient sans amour et sans joie de vivre, au seul profit d’un goujat, d’un falot démarqué de la vie et des luttes du peuple. Bien souvent, des femmes exigent une indépendance sourcilleuse, réclamant en même temps d’être protégées, pire, d’être sous le protectorat colonial d’un mâle. Elles ne croient pas pouvoir vivre autrement.
Non ! il nous faut redire à nos soeurs que le mariage, s’il n’apporte rien à la société et s’il ne les rend pas heureuses, n’est pas indispensable, et doit même être évité. Au contraire, montrons-leur chaque jour les exemples de pionnières hardies et intrépides qui dans leur célibat, avec ou sans enfants, sont épanouies et radieuses pour elles, débordantes de richesses et de disponibilité pour les autres. Elles sont même enviées par les mariées malheureuses pour les sympathies qu’elles soulèvent, le bonheur qu’elles tirent de leur liberté, de leur dignité et de leur serviabilité.
Les femmes ont suffisamment fait la preuve de leurs capacités à entretenir une famille, à élever des enfants, à être en un mot responsables sans l’assujettissement tutélaire d’un homme. La société a suffisamment évolué pour que cesse le bannissement injuste de la femme sans mari. Révolutionnaires, nous devons faire en sorte que le mariage soit un choix valorisant et non pas cette loterie où l’on sait ce que l’on dépense au départ mais rien de ce que l’on va gagner. Les sentiments sont trop nobles pour tomber sous le coup du ludisme.
Une autre difficulté réside aussi sans aucun doute dans l’attitude féodale, réactionnaire et passive de nombreux hommes qui continuent de par leur comportement, à tirer en arrière. Ils n’entendent pas voir remettre en cause des dominations absolues sur la femme au foyer ou dans la société en général. Dans le combat pour l’édification de la société nouvelle qui est un combat révolutionnaire, ces hommes de par leurs pratiques, se placent du côté de la réaction et de la contre-révolution. Car la révolution ne saurait aboutir sans l’émancipation véritable des femmes.
Nous devons donc, camarades militantes, avoir clairement conscience de toutes ces difficultés pour mieux affronter les combats à venir.
La femme tout comme l’homme possède des qualités mais aussi des défauts et c’est là sans doute la preuve que la femme est l’égale de l’homme. En mettant délibérément l’accent sur les qualités de la femme, nous n’avons pas d’elle une vision idéaliste. Nous tenons simplement à mettre en relief ses qualités et ses compétences que l’homme et la société ont toujours occultées pour justifier l’exploitation et la domination de la femme.
Comment allons-nous nous organiser pour accélérer la marche en avant vers l’émancipation ?
Nos moyens sont dérisoires, mais notre ambition, elle, est grande. Notre volonté et notre conviction fermes d’aller de l’avant ne suffisent pas pour réaliser notre pari. II nous faut rassembler nos forces, toutes nos forces, les agencer, les coordonner dans le sens du succès de notre lutte. Depuis plus de deux décennies l’on a beaucoup parlé d’émancipation dans notre pays, l’on s’est beaucoup ému. II s’agit aujourd’hui d’aborder la question de l’émancipation de façon globale, en évitant les fuites des responsabilités qui ont conduit à ne pas engager toutes les forces dans la lutte et à faire de cette question centrale une question marginale, en évitant également les fuites en avant qui laisseraient loin derrière, ceux et surtout celles qui doivent tue en première ligne.
Au niveau gouvernemental, guidé par les directives du Conseil national de la révolution, un Plan d’action cohérent en faveur des femmes, impliquant l’ensemble des départements ministériels, sera mis en place afin de situer les responsabilités de chacun dans des missions à court et moyen termes. Ce plan d’action, loin d’être un catalogue de voeux pieux et autres apitoiements devra être le fil directeur de l’intensification de l’action révolutionnaire. C’est dans le feu de la lutte que les victoires importantes et décisives seront remportées.
Ce plan d’action devra être conçu par nous et pour nous. De nos larges et démocratiques débats devront sortir les audacieuses résolutions pour réaliser notre foi en la femme. Que veulent les hommes et les femmes pour les femmes ? C’est ce que nous dirons dans notre Plan d’action.
Le Plan d’action, de par l’implication de tous les départements ministériels, se démarquera résolument de l’attitude qui consiste à marginaliser la question de la femme et à déresponsabiliser des responsables qui, dans leurs actions quotidiennes, auraient dû et auraient pu contribuer de façon significative à la résolution de la question. Cette nouvelle approche multidimensionnelle de la question de la femme découle de notre analyse scientifique, de son origine, de ses causes et de son importance dans le cadre de notre projet d’une société nouvelle, débarrassée de toutes formes d’exploitation et d’oppression. II ne s’agit point ici d’implorer la condescendance de qui que ce soit en faveur de la femme. II s’agit d’exiger au nom de la révolution qui est venue pour donner et non pour prendre, que justice soit faite aux femmes.
Désormais l’action de chaque ministère, de chaque comité d’administration ministériel sera jugée en fonction des résultats atteints dans le cadre de la mise en oeuvre du Plan d’action, au-delà des résultats globaux usuels. À cet effet, les résultats statistiques comporteront nécessairement la part de l’action entreprise qui a bénéficié aux femmes ou qui les a concernées. La question de la femme devra être présente à l’esprit de tous les décideurs à tout instant, à toutes les phases de la conception, de l’exécution des actions de développement. Car concevoir un projet de développement sans la participation de la femme, c’est ne se servir que de quatre doigts, quand on en a dix. C’est donc courir à l’échec.
Au niveau des ministères chargés de l’éducation, on veillera tout particulièrement à ce que l’accès des femmes à l’éducation soit une réalité, cette réalité qui constituera un pas qualitatif vers l’émancipation. Tant il est vrai que partout où les femmes ont accès à l’éducation, la marche vers l’émancipation s’est trouvée accélérée. La sortie de la nuit de l’ignorance permet en effet aux femmes d’exprimer, et d’utiliser les armes du savoir, pour se mettre à la disposition de la société. Du Burkina Faso, devraient disparaître toutes les formes ridicules et rétrogrades qui faisaient que seule la scolarisation des garçons était perçue comme importante et rentable, alors que celle de la fille n’était qu’une prodigalité.
L’attention des parents pour les filles à l’école devra être égale à celle accordée aux garçons qui font toute leur fierté. Car, non seulement les femmes ont prouvé qu’elles étaient égales à l’homme à l’école quand elles n’étaient pas tout simplement meilleures, mais surtout elles ont droit à l’école pour apprendre et savoir, pour être libres.
Dans les futures campagnes d’alphabétisation, les taux de participation des femmes devront être relevés pour correspondre à leur importance numérique dans la population, car ce serait une trop grande injustice que de maintenir une si importante fraction de la population, la moitié de celle-ci, dans l’ignorance.
Au niveau des ministères chargés du travail et de la justice, les textes devront s’adapter constamment à la mutation que connaît notre société depuis le 4 août 1983, afin que l’égalité en droits entre l’homme et la femme soit une réalité tangible. Le nouveau code du travail, en cours de confection et de débat devra être l’expression des aspirations profondes de notre peuple à la justice sociale et marquer une étape importante dans l’oeuvre de destruction de l’appareil néo-colonial. Un appareil de classe, qui a été façonné et modelé par les régimes réactionnaires pour pérenniser le système d’oppression des masses populaires et notamment des femmes. Comment pouvons-nous continuer d’admettre qu’à travail égal, la femme gagne moins que l’homme ? Pouvons-nous admettre le lévirat et la dot réduisant nos soeurs et nos mères au statut de biens vulgaires qui font l’objet de tractations ? II y a tant et tant de choses que les lois moyenâgeuses continuent encore d’imposer à notre peuple, aux femmes de notre peuple. C’est juste, qu’enfin, justice soit rendue.
Au niveau des ministères chargés de la culture et de la famille, un accent particulier sera mis sur l’avènement d’une mentalité nouvelle dans les rapports sociaux, en collaboration étroite avec l’Union des femmes du Burkina. La mère et l’épouse sous la révolution ont des rôles spécifiques importants à jouer dans le cadre des transformations révolutionnaires. L’éducation des enfants, la gestion correcte des budgets familiaux, la pratique de la planification familiale, la création d’une ambiance familiale, le patriotisme sont autant d’atouts importants devant contribuer efficacement à la naissance d’une morale révolutionnaire et d’un style de vie anti-impérialiste, prélude à une société nouvelle.
La femme, dans son foyer, devra mettre un soin particulier à participer à la progression de la qualité de la vie. En tant que Burkinabé, bien vivre, c’est bien se nourrir, c’est bien s’habiller avec les produits burkinabé. II s’agira d’entretenir un cadre de vie propre et agréable car l’impact de ce cadre sur les rapports entre les membres d’une même famille est très important. Un cadre de vie sale et vilain engendre des rapports de même nature. II n’y a qu’à observer les porcs pour s’en convaincre.
Et puis la transformation des mentalités serait incomplète si la femme de type nouveau devait vivre avec un homme de type ancien. Le réel complexe de supériorité des hommes sur les femmes, où est-il le plus pernicieux mais le plus déterminant si ce n’est dans le foyer où la mère, complice et coupable, organise sa progéniture d’après des règles sexistes inégalitaires ? Ce sont les femmes qui perpétuent le complexe des sexes, dès les débuts de l’éducation et de la formation du caractère.
Par ailleurs à quoi servirait notre activisme pour mobiliser le jour un militant si la nuit, le néophyte devait se retrouver aux côtés d’une femme réactionnaire démobilisatrice !
Que dire des tâches de ménage, absorbantes et abrutissantes, qui tendent à la robotisation et ne laissent aucun répit pour la réflexion !
C’est pourquoi, des actions doivent être résolument entreprises en direction des hommes et dans le sens de la mise en place, à grande échelle, d’infrastructures sociales telles que les crèches, les garderies populaires, et les cantines. Elles permettront aux femmes de participer plus facilement au débat révolutionnaire, à l’action révolutionnaire.
L’enfant qui est rejeté comme le raté de sa mère ou monopolisé comme la fierté de son père devra être une préoccupation pour toute la société et bénéficier de son attention et de son affection.
L’homme et la femme au foyer se partageront désormais toutes les tâches du foyer.
Le Plan d’action en faveur des femmes devra être un outil révolutionnaire pour la mobilisation générale de toutes les structures politiques et administratives dans le processus de libération de la femme.
Camarades militantes, je vous le répète, afin qu’il corresponde aux besoins réels des femmes, ce plan fera l’objet de débats démocratiques au niveau de toutes les structures de l’UFB.
L’UFB est une organisation révolutionnaire. À ce titre, elle est une école de démocratie populaire régie par les principes organisationnels que sont la critique et l’autocritique, le centralisme démocratique. Elle entend se démarquer des organisations où la mystification a pris le pas sur les objectifs réels. Mais cette démarcation ne sera effective et permanente que si les militantes de l’UFB engagent une lutte résolue contre les tares qui persistent encore, hélas, dans certains milieux féminins. Car il ne s’agit point de rassembler des femmes pour la galerie ou pour d’autres arrière-pensées démagogiques électoralistes ou simplement coupables.
II s’agit de rassembler des combattantes pour gagner des victoires ; il s’agit de se battre en ordre et autour des programmes d’activités arrêtés démocratiquement au sein de leurs comités dans le cadre de l’exercice bien compris de l’autonomie organisationnelle propre à chaque structure révolutionnaire. Chaque responsable UFB devra être imprégnée de son rôle, dans sa structure, afin de pouvoir être efficace dans l’action. Cela impose à l’Union des femmes du Burkina d’engager de vastes campagnes d’éducation politique et idéologique de ses responsables, pour le renforcement sur le plan organisationnel des structures de l’UFB à tous les niveaux.
Camarades militantes de l’UFB, votre union, notre union, doit participer pleinement à la lutte des classes aux côtés des masses populaires. Les millions de consciences endormies, qui se sont réveillées à l’avènement de la révolution représentent une force puissante. Nous avons choisi au Burkina Faso, le 4 août 1983, de compter sur nos propres forces, c’est-à-dire en grande partie sur la force que vous représentez, vous les femmes. Vos énergies doivent, pour être utiles, être toutes conjuguées dans le sens de la liquidation des races des exploiteurs, de la domination économique de l’impérialisme.
En tant que structure de mobilisation, l’UFB devra forger au niveau des militantes une conscience politique aiguë pour un engagement révolutionnaire total dans l’accomplissement des différentes actions entreprises par le gouvernement pour l’amélioration des conditions de la femme. Camarades de l’UFB, ce sont les transformations révolutionnaires qui vont créer les conditions favorables à votre libération. Vous êtes doublement dominées par l’impérialisme et par l’homme. En chaque homme somnole un féodal, un phallocrate qu’il faut détruire. Aussi, est-ce avec empressement que vous devez adhérer aux mots d’ordre révolutionnaires les plus avancés pour en accélérer la concrétisation et avancer encore plus vite vers l’émancipation. C’est pourquoi, le Conseil national de la révolution note avec joie votre participation intense à tous les grands chantiers nationaux et vous incite à aller encore plus loin pour un soutien toujours plus grand, à la révolution d’août qui est avant tout la vôtre.
En participant massivement aux grands chantiers, vous vous montrez d’autant plus méritantes que l’on a toujours voulu, à travers la répartition des tâches au niveau de la société, vous confiner dans des activités secondaires. Alors que votre apparente faiblesse physique n’est rien d’autre que la conséquence des normes de coquetterie et de goût que cette même société vous impose parce que vous êtes des femmes.
Chemin faisant, notre société doit se départir des conceptions féodales qui font que la femme non mariée est mise au ban de la société, sans que nous ne percevions clairement que cela est la traduction de la relation d’appropriation qui veut que chaque femme soit la propriété d’un homme. C’est ainsi que l’on méprise les filles-mères comme si elles étaient les seules responsables de leur situation, alors qu’il y a toujours un homme coupable. C’est ainsi que les femmes qui n’ont pas d’enfants, sont opprimées du fait de croyances surannées alors que cela s’explique scientifiquement et peut être vaincu par la science.
La société a par ailleurs imposé aux femmes des canons de coquetterie qui portent préjudice à son intégrité physique : l’excision, les scarifications, les taillages de dents, les perforations des lèvres et du nez. L’application de ces normes de coquetterie reste d’un intérêt douteux. Elle compromet même la capacité de la femme à procréer et sa vie affective dans le cas de l’excision. D’autres types de mutilations, pour moins dangereuses qu’elles soient, comme le perçage des oreilles et le tatouage n’en sont pas moins une expression du conditionnement de la femme, conditionnement imposé à elle par la société pour pouvoir prétendre à un mari.
Camarades militantes, vous vous soignez pour mériter un homme. Vous vous percez les oreilles, et vous vous labourez le corps pour être acceptées par des hommes. Vous vous faites mal pour que le mâle vous fasse encore plus mal !
Femmes, mes camarades de luttes, c’est à vous que je parle : vous qui êtes malheureuses en ville comme en campagne, vous qui ployez sous le poids des fardeaux divers de l’exploitation ignoble, «justifiée et expliquée» en campagne ; vous qui, en ville, êtes sensées être des femmes heureuses, mais qui êtes au fond tous les jours des femmes malheureuses,
accablées de charges, parce que, tôt levée la femme tourne en toupie devant sa garde-robe se demandant quoi porter, non pour se vêtir, non pour se couvrir contre les intempéries mais surtout, quoi porter, pour plaire aux hommes, car elle est tenue, elle est obligée de chercher à plaire aux hommes chaque jour ; vous les femmes à l’heure du repos, qui vivez la triste attitude de celle qui n’a pas droit à tous les repos, celle qui est obligée de se rationner, de s’imposer la continence et l’abstinence pour maintenir un corps conforme à la ligne que désirent les hommes ; vous le soir, avant de vous coucher, recouvertes et maquillées sous le poids de ces nombreux produits que vous détestez tant nous le savons mais qui ont pour but de cacher une ride indiscrète, malencontreuse, toujours jugée précoce, un âge qui commence à se manifester, un embonpoint qui est trop tôt venu ; Vous voilà chaque soir obligées de vous imposer une ou deux heures de rituel pour préserver un atout, mal récompensé d’ailleurs par un mari inattentif, et pour le lendemain recommencer à peine à l’aube.
Camarades militantes, hier à travers les discours, par la Direction de la mobilisation et l’organisation des femmes (DMOF) et en application du statut général des CDR, le Secrétariat général national des CDR a entrepris avec succès la mise en place des comités, des sous-sections et des sections de l’Union des femmes du Burkina.
Le Commissariat politique chargé de l’organisation et de la planification aura la mission de parachever votre pyramide organisationnelle par la mise en place du Bureau national de l’UFB. Nous n’avons pas besoin d’administration au féminin pour gérer bureaucratiquement la vie des femmes ni pour parler sporadiquement en fonctionnaire cauteleux de la vie des femmes. Nous avons besoin de celles qui se battront parce qu’elles savent que sans bataille, il n’y aura pas de destruction de l’ordre ancien et construction de l’ordre nouveau. Nous ne cherchons pas à organiser ce qui existe, mais bel et bien à le détruire, à le remplacer.
Le Bureau national de l’UFB devra être constitué de militantes convaincues et déterminées dont la disponibilité ne devra jamais faire défaut, tant l’oeuvre à entreprendre est grande. Et la lutte commence dans le foyer. Ces militantes devront avoir conscience qu’elles représentent aux yeux des masses l’image de la femme révolutionnaire émancipée, et elles devront se comporter en conséquence.
Camarades militantes, camarades militants, en changeant l’ordre classique des choses, l’expérience fait de plus en plus la preuve que seul le peuple organisé est capable d’exercer le pouvoir démocratiquement.
La justice et l’égalité qui en sont les principes de base permettent à la femme de démontrer que les sociétés ont tort de ne pas lui faire confiance au plan politique comme au plan économique. Ainsi la femme exerçant le pouvoir dont elle s’est emparée au sein du peuple est à même de réhabiliter toutes les femmes condamnées par l’histoire.
Notre révolution entreprend un changement qualitatif, profond de notre société. Ce changement doit nécessairement prendre en compte les aspirations de la femme burkinabè. La libération de la femme est une exigence du futur, et le futur, camarades, est partout porteur de révolutions. Si nous perdons le combat pour la libération de la femme, nous aurons perdu tout droit d’espérer une transformation positive supérieure de la société. Notre révolution n’aura donc plus de sens. Et c’est à ce noble combat que nous sommes tous conviés, hommes et femmes.
Que nos femmes montent alors en première ligne ! C’est essentiellement de leur capacité, de leur sagacité à lutter et de leur détermination à vaincre, que dépendra la victoire finale. Que chaque femme sache entraîner un homme pour atteindre les cimes de la plénitude. Et pour cela que chacune de nos femmes puisse dans l’immensité de ses trésors d’affection et d’amour trouver la force et le savoir-faire pour nous encourager quand nous avançons et nous redonner du dynamisme quand nous flanchons. Que chaque femme conseille un homme, que chaque femme se comporte en mère auprès de chaque homme. Vous nous avez mis au monde, vous nous avez éduqués et vous avez fait de nous des hommes.
Que chaque femme, vous nous avez guidés jusqu’au jour où nous sommes continue d’exercer et d’appliquer son rôle de mère, son rôle de guide. Que la femme se souvienne de ce qu’elle peut faire, que chaque femme se souvienne qu’elle est le centre de la terre, que chaque femme se souvienne qu’elle est dans le monde et pour le monde, que chaque femme se souvienne que la première à pleurer pour un homme, c’est une femme. On dit, et vous le retiendrez, camarades, qu’au moment de mourir, chaque homme interpelle, avec ses derniers soupirs, une femme : sa mère, sa soeur, ou sa compagne.
Les femmes ont besoin des hommes pour vaincre. Et les hommes ont besoin des victoires des femmes pour vaincre. Car, camarades femmes, aux côtés de chaque homme, il y a toujours une femme. Cette main de la femme qui a bercé le petit de l’homme, c’est cette même main qui bercera le monde entier.
Nos mères nous donnent la vie. Nos femmes mettent au monde nos enfants, les nourrissent à leurs seins, les élèvent et en font des êtres responsables.
Les femmes assurent la permanence de notre peuple, les femmes assurent le devenir de l’humanité ; les femmes assurent la continuation de notre oeuvre ; les femmes assurent la fierté de chaque homme.
Mères, soeurs, compagnes,
II n’y a point d’homme fier tant qu’il n’y a point de femme à côté de lui. Tout homme fier, tout homme fort, puise ses énergies auprès d’une femme ; la source intarissable de la virilité, c’est la féminité. La source intarissable, la clé des victoires se trouvent toujours entre les mains de la femme. C’est auprès de la femme, soeur ou compagne que chacun de nous retrouve le sursaut de l’honneur et de la dignité.
C’est toujours auprès d’une femme que chacun de nous retourne pour chercher et rechercher la consolation, le courage, l’inspiration pour oser repartir au combat, pour recevoir le conseil qui tempérera des témérités, une irresponsabilité présomptueuse. C’est toujours auprès d’une femme que nous redevenons des hommes, et chaque homme est un enfant pour chaque femme. Celui qui n’aime pas la femme, celui qui ne respecte pas la femme, celui qui n’honore pas la femme, a méprisé sa propre mère. Par conséquent, celui qui méprise la femme méprise et détruit le lieu focal d’où il est issu, c’est-à-dire qu’il se suicide lui-même parce qu’il estime n’avoir pas de raison d’exister, d’être sorti du sein généreux d’une femme.
Camarades, malheur à ceux qui méprisent les femmes ! Ainsi à tous les hommes d’ici et d’ailleurs, à tous les hommes de toutes conditions, de quelque case qu’ils soient, qui méprisent la femme, qui ignorent et oublient ce qu’est la femme, je dis : « Vous avez frappé un roc, vous serez écrasés ».
Camarades, aucune révolution, et à commencer par notre révolution, ne sera victorieuse tant que les femmes ne seront pas d’abord libérées. Notre lutte, notre révolution sera inachevée tant que nous comprendrons la libération comme celle essentiellement des hommes. Après la libération du prolétaire, il reste la libération de la femme. Camarades, toute femme est la mère d’un homme. Je m’en voudrais en tant qu’homme, en tant que fils, de conseiller et d’indiquer la voie à une femme. La prétention serait de vouloir conseiller sa mère. Mais nous savons aussi que l’indulgence et l’affection de la mère, c’est d’écouter son enfant, même dans les caprices de celui-ci, dans ses rêves, dans ses vanités. Et c’est ce qui me console et m’autorise à m’adresser à vous.
C’est pourquoi, Camarades, nous avons besoin de vous pour une véritable libération de nous tous. Je sais que vous trouverez toujours la force et le temps de nous aider à sauver notre société.
Camarades, il n’y a de révolution sociale véritable que lorsque la femme est libérée. Que jamais mes yeux ne voient une société, que jamais, mes pas ne me transportent dans une société où la moitié du peuple est maintenue dans le silence. J’entends le vacarme de ce silence des femmes, je pressens le grondement de leur bourrasque, je sens la furie de leur révolte. J’attends et espère l’irruption féconde de la révolution dont elles traduiront la force et la rigoureuse justesse sorties de leurs entrailles d’opprimées.
Camarades, en avant pour la conquête du futur ; Le futur est révolutionnaire ; Le futur appartient à ceux qui luttent.
La patrie ou la mort, nous vaincrons !
LE PROCÈS DU PATRIARCAT
Fatoumata Bernadette Sonko vient de publier aux éditions L’Harmattan, son livre intitulé « Femmes sous silence au Sénégal – Une fabrique du patriarcat ». Une réflexion sur l'absence de représentation de la femme dans les médias
Fatoumata Bernadette Sonko vient de publier aux éditions L’Harmattan, son livre intitulé « Femmes sous silence au Sénégal – Une fabrique du patriarcat ». La journaliste et formatrice au Centre d’études des sciences et techniques de l’information, (Cesti) pose une réflexion sur la représentation de la femme dans les médias où elle est passée sous silence sur les chaines de radio, presque invisible sur les plateaux de télévisions et son actualité quasi inexistante dans les colonnes des journaux. A ce défaut d’exposition des femmes dans les médias, Dr Sonko ajoute une « socialisation différenciée combinée à une exclusion de l’histoire les effaçant de la mémoire collective et des dispositions juridiques défavorables ».
Face à ce constat, l’auteure va à la recherche des fondements de ce qui s’apparente à un « silence » médiatique des femmes dans la presse et à la radio introduits durant la colonisation et plus tard à la télévision.
En cherchant des réponses à sa question de départ, elle procède à une confrontation de plusieurs écoles théoriques et de postures endogènes pour mieux comprendre la trajectoire des femmes qui ont vécu de nombreuses influences externes tout en subissant ses mutations internes, tant sociologique, politique que juridique. L’analyse faite à partir de leurs vécus part du matriarcat des sociétés négro-africaines à l’alliance patriarcale entre l’administration coloniale et l’aristocratie locale.
En conséquence l’auteur pointe le patriarcat, qui définit la société sénégalaise pour expliquer ce silence sur la femme. Mais plusieurs facteurs sont entrés en jeu au cours de l’histoire. Il s’agit notamment de contingences historiques datant de l’époque de la colonisation, de contingences religieuse et culturelle. Elle relève également comme cause le contrat social liant les autorités politiques et religieuses depuis les années 1960 sur leur dos. L’analyse de Dr Sonko révèle également comme étant l’une des causes de ce « silence », les préjugés qui continuent à s’abreuver de l’inconscient collectif sénégalais.
Pour produire cet ouvrage, il a fallu à l’auteure de procéder à des recherches sur six années. En effet, Dr Sonko a, de 2014 à 2020, passé en revue les quotidiens nationaux : LeSoleil, Walfadjri et Sud quotidien, les chaines de radio : Radio Sénégal internationale (RSI), Sud FM et Radio Futurs Médias (RFM) et les chaines de télévision : TFM, RTS et 2STV. Elle a aussi procédé à des enquêtes auprès d’universitaires, de journalistes et de responsables de médias.
Docteure en sciences de l’information et de la communication, Fatoumata Bernadette Sonko enseigne au Cesti (Université Cheikh Anta Diop de Dakar). Elle donne en même temps des cours en Communication internationale à l’université du Québec à Chicoutimi (Uquac).
Auteure de plusieurs articles, ses recherches portent sur les femmes et médias, les violences basées sur le genre et l’histoire des femmes. Engagée dans la défense de leurs droits, elle a aussi fondé le site d’informations www.lescommeres.sn.
APRES LES PREMIERES ASSISES NATIONALES, TOUT DOIT CHANGER
Le Ministre de la Femme, Dr. Fatou Diané Guèye est formelle : « Après les premières Assises de l’entreprenariat et de l’autonomisation des femmes (tenues le 7 mars au Grand Théâtre de Dakar) tout doit changer. Elle l’a affirmé, lors de ce entretien.
Le Ministre de la Femme, de la Famille et de la Protection des enfants Dr. Fatou Diané Guèye est formelle : « Après les premières Assises de l’entreprenariat et de l’autonomisation des femmes (tenues le 7 mars au Grand Théâtre de Dakar) tout doit changer ». Elle l’a affirmé, lors d’un entretien avec « Le Soleil ».
Vous venez d’organiser les premières Assises de l’entreprenariat et de l’autonomisation des femmes, la veille du 8 mars au Sénégal. Comment vous est venue l’idée ?
D’abord, il faut noter que c’est la première fois qu’on organise les Assises de l’entreprenariat féminin et de l’autonomisation des femmes au Sénégal. Comme vous le savez, de l’indépendance du Sénégal à nos jours, l’Etat a déployé beaucoup d’efforts et investi énormément de ressources pour améliorer la condition féminine et promouvoir l’autonomisation des femmes. Et dans ce registre, le Président de la République, Macky Sall, a apporté une contribution volontariste inégalable, sur tous les plans, à travers différents mécanismes novateurs, dont la Délégation générale à l’entreprenariat rapide des femmes et des jeunes (Der/Fj), divers fonds pour la promotion de l’entreprenariat féminin, etc.
Cependant, malgré tous ces dispositifs, les résultats sont mitigés et l’impact sur les femmes reste à mesurer, les femmes rencontrent encore des difficultés. D’où l’urgence, l’importance de s’arrêter, de s’asseoir ensemble, entre toutes les parties prenantes, services de l’Etat, organisations de femmes, secteur privé et partenaires au développement, pour faire un diagnostic sans complaisance des interventions, pour évaluer, ensemble et réorienter s’il y a lieu, en fonction des instructions et mesures à prendre par la plus haute autorité.
C’est toute la pertinence des Assises nationale de l’entreprenariat féminin de l’autonomisation des femmes, qui ont été précédées par des concertations inclusives par pôle territoriaux regroupant les organisations de femmes suivant les filières et secteurs d’activités, sous l’égide des autorités administratives, dont je salue encore l’engagement et le professionnalisme dans tout le processus.
Je saisis votre tribune pour remercier, encore, au nom de toutes les femmes du Sénégal et en mon nom, le président de la République, Macky Sall, d’avoir accepté de présider ces Assises et pris d’importantes mesures pour renforcer l’entreprenariat féminin et l’autonomisation des femmes au Sénégal.
Quelle est la situation des femmes au Sénégal, près de 6 mois après que vous êtes à la tête du Ministère ?
La situation des femmes au Sénégal est aujourd’hui, plus que jamais, marquée par des avancées significatives adossées à notre marche irréversible vers l’émergence, conformément aux orientations de Son Excellence Macky Sall, président de la République du Sénégal, bien déclinées dans le Plan Sénégal Emergent. Dès notre arrivée à la tête du ministère, en septembre 2022, conformément aux instructions du président de la République, j’ai engagé d’importants chantiers pour accélérer l’élimination des violences faites aux femmes et aux enfants.
Dans ce registre, il me plait de rappeler, notamment : le dialogue direct et les consultations avec les différents acteurs du mouvement associatif féminin, l’organisation au Sénégal, le 10 novembre 2022, avec un succès retentissant, de la 2éme conférence de l’Union africaine sur la masculinité positive, pour l’engagement des hommes en faveur de l’élimination des violences faites aux femmes et aux filles, sous la présidence du chef de l’Etat Macky Sall, président en exercice de l’Union africaine (Ua), le lancement des 16 jours d’activisme des Nations Unies pour l’élimination des violences faites aux femmes et aux filles, le 16 décembre 2022, la campagne « Naa Dakk Ba Mu Dal », en cours, et, d’autre part, la plateforme nationale de signalement et de prise en charge de telles violences, dénommée « Wallu Allo 116 », un numéro vert gratuit, anonyme et fonctionnel H24 et 7 jours sur 7 sur toute l’étendue du territoire national. Une équipe pluridisciplinaire avec 15 téléopérateurs est mobilisée à cet effet.
Malgré les nombreux efforts de l’Etat et des Partenaires techniques et financiers, les conditions de beaucoup de femmes demeurent difficiles (Vbg, accès à la terre, eau potable, soins primaires, excision, mortalité maternelle…). Où est-ce qu’il faut placer le levier pour inverser la tendance ?
Pour inverser la tendance, nous devons prendre en compte les acquis et les défis que j’ai évoqués tout à l’heure. Et dans ce cadre, nous devons ensemble, avec tous les acteurs, renforcer la sensibilisation, la mobilisation et la communication, pour un changement de comportement favorable au respect et à la protection de la femme, avec surtout l’implication des hommes, des leaders d’opinion, des autorités religieuses et coutumières, des élus locaux et des partenaires.
C’est toute l’importance que le Président de la République, champion « He for She », accorde à la masculinité positive, comme un nouvel état d’esprit que nous promouvons pour assurer davantage la protection des femmes et des filles. Et je tiens à magnifier ici, l’exemplarité de relation de partenariat avec les différentes parties prenantes, et adresse mes remerciements à tous les partenaires techniques et financiers, ainsi qu’aux organisations de la société civile, pour leur appui constant à côté de l’Etat pour assurer davantage la protection et l’autonomisation des femmes et des filles. Je leur réitère mon appel à renforcer la coordination de nos interventions, la mutualisation et la rationalisation de nos ressources pour plus d’impact et de performance au profit des populations.
La femme, la famille, les enfants sont les principaux bénéficiaires des interventions de toutes les politiques de développement. C’est toute la pertinence de l’approche Famille, qui structure les interventions de mon département. Aussi est-il fondamental et primordial de mettre en place des cadres de concertation forts et dynamiques inclusifs et participatifs pour arriver à changer la donne.
Après le recensement exhaustif des organisations de femmes, quelle doit être la prochaine étape ?
Vous conviendrez avec moi, qu’il fallait commencer par cela, car on ne saurait arriver à des résultats concluants dans l’organisation et l’accompagnement de ce secteur sans avoir une connaissance exacte du nombre d’organisations féminines que nous comptons au Sénégal. Bref, une base de données fiable.
C’était un préalable surtout pour l’économiste, la statisticienne de formation que je suis. Et par la grâce de Dieu nous venons de réaliser, pour la première fois, le recensement national des organisations féminines du Sénégal, en un temps, avec l’appui technique de l’Ansd et surtout l’implication efficace et décisive du commandement territorial à qui je rends ici un vibrant hommage.
A ce jour, nous avons recensé au moins 24 706 organisations de femmes au niveau des 557 communes du Sénégal.
J’ai engagé mes services à actualiser régulièrement cette base de données, à travers une plateforme nationale dédiée aux organisations de femmes.
Ce recensement nous a permis aussi de connaître le profil des organisations de femmes, leurs domaines d’intervention, leurs secteurs d’activités, la structuration de leurs besoins en formation, financement et autres.
Sous ce rapport et à la lumière des recommandations des organisations de femmes et des instructions du chef de l’Etat, nous allons davantage ajuster, réajuster et réorienter nos interventions et les politiques publiques en faveur des femmes.
Les données du recensement national des organisations féminines permettront, de procéder prochainement à la redynamisation et au renouvellement en toute transparence des Conseils consultatifs des femmes au niveau national.
Qu’est ce qui doit changer après ces Assises ?
Tout ou beaucoup de choses. Du moins, c’est toute notre ambition et l’on est persuadé de pouvoir compter sur le soutien du chef de l’Etat, Macky Sall. Nous attendons déjà la mobilisation de ressources substantielles pour le financement de l’autonomisation des femmes avec la participation déterminante et conséquente des sociétés minières et gazières au titre de la Rse. Il nous faut dépasser les petits montants et arriver à créer de véritables championnes et de capitaines d’industrie et dans cette quête du Graal, l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie) doit être mise à contribution. Donc, le mode de financement va s’améliorer sensiblement à travers des critères plus démocratiques, parce que justement en amont de ces Assises, des plateformes d’enrôlement des demandes de financement ont été installées un peu partout au niveau des Centres départementaux d’assistance et de formation pour la femme (Cedaf) pour recueillir toutes les demandes de financement en allégeant les procédures de dépôt et en écourtant au mieux, les délais pour la mise à disposition des ressources. Toute une série de mesures que ces Assises vont renforcer. Dorénavant, la journée du 7 mars est institutionnalisée journée de l’autonomisation des femmes au Sénégal, comme cadre de dialogue annuel entre le président de la République et les femmes du Sénégal pour faire le bilan des avancées et dégager de nouvelles perspectives.
Depuis 2017, la Quinzaine nationale de la femme ne se tient plus au Sénégal. Pourquoi sa suspension ? Peut-on s’attendre à une reprise sous votre magistère ?
La Quinzaine nationale de la femme a été une revendication des femmes sénégalaises pour trouver des plateformes de retrouvailles périodiques, de dialogue, d’échanges et de partage sur des thématiques majeures les concernant. Effectivement, elle a été suspendue depuis 2017 pour plusieurs raisons liées notamment à l’excès du folklorisme et souvent aux coûts d’organisation relativement élevés. Mais, tout porte à croire que le besoin de la reprendre se pose encore avec acuité, selon, certainement, des modalités à revoir avec les différentes parties prenantes. Au cours de mon dernier passage à l’Assemblée nationale pour le vote du Budget de mon département, la question a été agitée par certains députés, mais je demeure convaincue qu’une solution sera trouvée très prochainement et mes services techniques y travaillent.
LES FEMMES DE LA CASAMANCE PREOCCUPEES PAR LA MONTEE DE LA TENSION POLITIQUE
La célébration de la journée du 8 mars a été l’occasion pour Ndèye Marie Diédhiou, la présente de la Plateforme des femmes pour la paix en Casamance, d’exprimer les inquiétudes des femmes de la Casamance
Jean DIATTA correspondant permanent à Ziguinchor. |
Publication 09/03/2023
La célébration de la journée du 8 mars a été l’occasion pour Ndèye Marie Diédhiou, la présente de la Plateforme des femmes pour la paix en Casamance, d’exprimer les inquiétudes des femmes de la Casamance par rapport à la tension qui ne cesse de monter en flèche au Sénégal. Une tension, marquée, selon elle, par des violences physiques et verbales qui mettent en péril tous les secteurs de la vie des populations, ce qui, à son avis, n’honore pas du tout le Sénégal.
‘’Je voudrais saisir ce moment solennel pour exprimer, au nom du Comité Consultatif de la Femme, notre inquiétude par rapport à la tension sociale et politique actuelle qui plane sur le pays… De plus en plus, des violences physiques et verbales assombrissent le tableau culturel, social, politique et religieux de notre cher Sénégal. Ces actes n’honorent point notre pays, réputé pour ses belles convenances sociales et sa Teranga élégante. A ce sujet, il est important de rappeler que chacun a le droit de s’exprimer, mais également chacun de nous a l’obligation de respecter le choix de l’autre, et surtout de respecter nos institutions. Œuvrons tous ensemble pour bâtir une société paisible et inclusive, au bénéfice de tous’’, a-t-elle lancé.
Elle est largement revenue également sur le thème choisi cette année pour célébrer cette journée, à savoir ‘’La Protection des femmes et des filles dans les espaces numériques’’. ‘’Cette thématique a justement, pour objectif d’enseigner à bon dessein aux femmes et aux filles, l’usage approprié de l’outil numérique, afin qu’elles puissent l’intégrer avantageusement dans leurs activités, d’autant que la technologie offre des moyens multiformes pour l’autonomisation des femmes et des filles, relève-t-elle. Elle poursuit pour dire que ‘’mais, elle peut, dans le même temps, être source de divers maux pour elles, en raison des violences véhiculées sur la Toile… Il nous incombe dès lors un devoir de veille et d’alerte sur l’utilisation de l’outil informatique, ainsi que sur la nécessité d’un recadrage de cet important véhicule de communication et d’échanges. Vous conviendrez avec moi que les normes à poser devront être imposées à tous les utilisateurs sans différence de genre’’, mentionne-t-elle à ce propos. Toujours dans ce même sillage, la présidente de la Plateforme des femmes pour la paix en Casamance a fait un très fort plaidoyer pour mettre fin aux violences sexuelles basées sur le genre en ligne.
Mettre fin aux violences sexuelles basées sur le genre en ligne
‘’Il s’agit encore et surtout d’une alerte, d’un plaidoyer, d’une sensibilisation, pour mettre fin à la violence sexuelle basée sur le genre en ligne. Fléau qui impacte de plus en plus notre société, et dont nous sommes tous victimes, principalement les femmes, les jeunes filles, les enfants et aussi les hommes. Le combat contre ce fléau passe par l’information, la formation et la sensibilisation de toutes les franges de la population. Car nous sommes tous en réalité, acteurs et victimes sans distinction. Une autre arme contre ce mal, chers jeunes, Mesdames et Messieurs, c’est le respect d’autrui, le déni du jugement non fondé, et l’éthique conformément à nos valeurs et principes de société’’, fait-elle remarquer.
Sur un autre plan, elle s’est félicitée des résultats obtenus de haute lutte par les femmes, il s’agit notamment du retour progressif de la paix en Casamance pour laquelle son organisation a toujours œuvré et d’autre part de l’adoption de la loi qui permet à un époux étranger d’une Sénégalaise d’obtenir la nationalité du pays. La paix a été facilitée par les efforts faits, de part et d’autre, l’Etat du Sénégal et le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc), confie -t-elle. ‘’L’heure est à la consolidation de cet acquis que nous, de cette accalmie que nous vivons, les effortsfaits par les deux parties ; l’Etat du Sénégal et le Mfdc. Nous, en tant que femmes, nous devons accompagner cette dynamique pour arriver à une paix définitive en Casamance’’, appelle-telle. Par contre, pour ce qui est de l’autonomisation des femmes qui demeure un sujet très préoccupant, elle souligne que le travail qui reste à faire demeure immense pour atteindre cet objectif. Et le principal obstacle est lié aux problèmes récurrents du foncier en Casamance. Le conflit qui perdure dans la région, depuis des décennies, demeure le second facteur de blocage, souligne Madame Diédhiou. ‘’Ce conflit a tellement affaibli les femmes à tous les niveaux au point que ces femmes casamançaises que l’on connaissait pour leur indépendance économique ont perdu cette indépendance’’, déplore-t-elle. À ce sujet, elle pense qu’on doit impérativement déminer les sols de la Casamance et que ceux-ci soient répartis de façon équitable aux populations.
«L’ACCES ET LE CONTROLE D’UN FONCIER SECURISE PAR LES FEMMES EST DE NATURE A AMELIORER LA RESILIENCE DE LEURS FAMILLES»
Selon l’expert foncier Kader Fanta Ngom, Les femmes doivent être mieux accompagnées afin qu’elles puissent jouer leur partition dans l’atteinte de la sécurité alimentaire et nutritionnelle.
Les femmes doivent être mieux accompagnées afin qu’elles puissent jouer leur partition dans l’atteinte de la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Parmi les mesures à prendre pour cela, il faut, selon l’expert foncier Kader Fanta Ngom, commencer par une forte vulgarisation des avancées juridiques de promotion des droits fonciers de la femme.
Alors que l’Etat semble être à fond dans sa volonté/politique d’autosuffisance alimentaire, qui peine encore à produire les résultats escomptés, force est de constater que plus de la moitié de la population (les femmes) éprouve d’énormes difficultés à accéder à la terre. Quelle est la place des femmes dans l’agriculture au Sénégal ?
La place de la femme dans l’accès au foncier agricole est ambivalente. La femme peut avoir physiquement accès au foncier, mais ne le gère pas et n’a aucune maitrise sur ces terres. Cela me rappelle cette fameuse citation du président Julius Nyerere qui disait qu’en Afrique : «la femme trime toute sa vie sur une terre qu’elle ne possède pas pour produire ce qu’elle ne contrôle pas. Et si son mariage se termine par un divorce ou la mort de son mari, elle peut être renvoyée les mains vides.»Or, il n’est plus à démontrer la place fondamentale de la femme dans la production agricole notamment en zone rurale. Selon le Plan d’action national de la femme, les femmes constituent 60% de la force de travail et assurent environ 70% de la production vivrière. Cela veut dire qu’en réalité, c’est la femme qui nourrit le monde. Ce constat se vérifie aussi au niveau international. Une étude de la FAO (2010) avait déjà publié des statistiques selon lesquelles «les femmes produisent 60 à 80% des aliments et sont responsables de la moitié de la production alimentaire mondiale». Malheureusement, elles ne tirent pas, proportionnellement à cette production, les retombées économiques adéquates. Les femmes sont en général des ouvrières et non propriétaires de ces exploitations agricoles. Elles ne maitrisent pas le principal facteur de production, à savoir la terre qu’elles mettent en valeur. Et pourtant, elles sont fortement impliquées au Sénégal dans toute la chaine de valeur agricole (transformation, commercialisation…). L’accès et le contrôle d’un foncier sécurisé par les femmes est de nature à améliorer la résilience de leurs familles respectives et de la communauté en général. La faible maitrise des principales sources de production (terres, eau à usage agricole, etc.) rend les femmes dépendantes des hommes, eux-mêmes confrontés aujourd’hui au rétrécissement du foncier dû aux accaparements fonciers et à la poussée démographique. Pour contribuer efficacement à l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire, les femmes doivent être appuyées à dépasser ces activités de subsistance pour la satisfaction de leurs besoins élémentaires et embrasser des activités économiques consistantes. Pour ce faire, la femme doit avoir accès à un foncier sécurisé et aménagé dans le cadre d’une production à grande échelle et une autonomisation économique pérenne. Enfin, le renforcement de la participation des femmes dans les activités agricoles et l’amélioration de leurs accès aux terres contribuent largement au développement et à la sécurité alimentaire et nutritionnelle ; d’où la pertinence de l’adoption de mesures de discrimination positive à leur égard.
Qu’est-ce qui explique que les femmes ont des difficultés à accéder à la terre au Sénégal notamment en milieu rural ?
En réalité, deux séries de difficultés peuvent être notées. Premièrement, il s’agit de la faible (voir absence) mise en application des textes juridiques favorables à l’égalité d’accès entre homme et femme et d’autre part de la persistance des pesanteurs socioculturelles. Le Sénégal a non seulement ratifié les instruments internationaux relatifs à la protection et à la promotion des droits fonciers de la femme, mais a adopté, au niveau national, un cadrage politique très favorable aux droits de la femme ainsi que des textes juridiques progressistes. Le PSE, par exemple, fait la promotion de «l’équité et de l’égalité de genre» et prévoit la prise en compte des questions de genre considéré comme un enjeu transversal pour l’ensemble des programmes de développement national. Quant à la Constitution, elle proclame, dès son préambule, le rejet et l’élimination, sous toutes leurs formes, de l’injustice, des inégalités et des discriminations. L’article 15 de la Constitution dispose que«l’homme et la femme ont également le droit d’accéder à la possession et à la propriété de la terre dans les conditions déterminées par la loi». Cela veut dire que l’accès à la possession et à la propriété foncière est érigé au Sénégal en règle constitutionnelle. Concernant la loi d’orientation agro-sylvo-pastorale (loi n°2004- 16), elle institue même une discrimination positive en faveur de la femme. Aux termes de son article 54, l’Etat doit assurer «la parité des droits des femmes et des hommes en milieu rural, en particulier dans l’exploitation agricole. En outre, des facilités d’accès au foncier et au crédit sont accordées aux femmes». Le cadre juridique interdit toute forme de discrimination envers les femmes. Les textes en vigueur donnent ainsi aux femmes des droits d’accès à la terre égaux à ceux des hommes. Malgré toutes ces avancées, la réalité de terrain est tout autre. Ces textes et visions politiques ne se traduisent pas en actes concrets dans la réalité. Cette volonté d’opérationnaliser l’équité et l’égalité de genre dans la distribution foncière n’a toujours pas permis de lever toutes les contraintes relatives à la question. Les statistiques révèlent que les femmes ne possèdent que 4% des terres agricoles au niveau national (IRD, 2018). L’autre série de difficultés est la persistance des pesanteurs socioculturelles qui constituent les contraintes majeures auxquelles les femmes sont confrontées dans le contrôle du foncier. Dans beaucoup de localités rurales au Sénégal, la femme accède au foncier par le canal d’un homme (mari, frère, père etc.). C’est pourquoi, on dit que la femme est encore placée sous «tutelle foncière». Son accès au foncier dépend de la volonté et des grâces d’un homme et non de la législation ou autre document de vision politique officielle. Certains, pour rejeter les droits fonciers de la femme, considère celle-ci comme une cible mobile qui peut, à tout moment, quitter le village pour aller rejoindre le domicile conjugal qui peut se trouver dans une autre localité. Donc, elle n’a pas droit là où elle habite, mais là où elle doit vivre avec son mari. Or, la famille d’accueil, également, rétorque que ce sont ses enfants qui ont droit au patrimoine foncier du mari et non la femme qui pourrait, demain (en cas de divorce ou de décès du mari), avoir un autre mari d’une autre localité. Ce ballotage de la femme est constant en zone rurale. Pour rejeter ces droits, il est dit que la femme est une cible mobile alors que le foncier est une cible fixe, donc les deux ne peuvent aller de pair. Tout ce contexte fait que les femmes sont en général exclues des assemblées où on discute des questions foncières. Pour justifier cette marginalisation foncière de la femme, des idées mystiques sont même développées, telles que la femme ne doit pas assister à ces séances au risque qu’un malheur ne s’abatte sur elle et ses enfants. Il faut quand-même avouer que certains maires développent de bonnes pratiques de promotion des droits fonciers de la femme (Toubacouta, Mbadakhoune, Tattaguine etc.), mais il ne faut pas aussi perdre de vue l’impuissance des communes rurales face au poids des coutumes portées par certains propriétaires fonciers coutumiers ou autres notabilités encore réticentes à la promotion des droits fonciers de la femme. En effet, les communes rurales, malgré leurs prérogatives d’affecter et de désaffecter, sont obligées de négocier avec les chefs de villages, les notables et/ou les propriétaires terriens, pour obtenir des parcelles à affecter aux GIE de femmes. La situation est encore plus difficile pour les femmes individuelles qui souhaitent s’investir dans la production agricole puisque, contrairement aux GIE de femmes, elles bénéficient rarement du soutien des propriétaires terriens.
La culture et l’interprétation de la religion (favorable aux hommes) n’ont-elles pas une grande part de responsabilité dans cette donne ?
A la place de la religion, je parlerais plutôt de certaines coutumes. Car, selon le système successoral musulman, la femme hérite la moitié de ce qu’hérite l’homme. Mais cette règle ne saurait s’appliquer sur les terres du Domaine National. En effet, la règlementation sur le Domaine Nation (l’essentiel des terres du Sénégal), interdit toute transaction sur ces terres dont l’héritage (art. 3 décret 72/1288). Les entraves auxquelles les femmes sont confrontées sont effectivement d’ordre social avec ces pesanteurs socioculturelles très ancrées dans le monde rural ainsi que la réticence encore manifeste de certains hommes. Dans ce même ordre d’idées, nous pouvons citer la conception patriarcale qui se définit comme l’accès prioritaire des hommes aux moyens de production et dans les prises de décisions. Ce sont donc les représentations sociales qui accordent aux hommes le maximum de chances pour accéder aux ressources, dès lors qu’ils doivent supporter les dépenses familiales.
Les textes et lois en vigueur sur le foncier favorisent-ils un accès équitable à la terre?
Sur ce plan, le Sénégal a enregistré des avancées salutaires. Les textes juridiques en vigueur sur le foncier favorisent effectivement un accès équitable à la terre. Les instruments internationaux (CEDEF, Protocole de Maputo…), sont ratifiés pour la promotion de l’accès et du contrôle par les femmes des ressources productives telles que la terre. Au niveau national, au-delà des textes fondamentaux et référentiels politiques (Constitution PSE…), plusieurs textes vont dans ce sens. La loi n°2010-11 du 28 mai 2010 sur la parité absolue Homme-Femme et son décret d’application instituent la parité dans les Institutions municipales ainsi que les Commissions techniques dont la Commission domaniale. C’est important, parce que l’essentiel des terres du Sénégal relève du Domaine National et la gestion de ces terres est confiée aux Collectivités territoriales. Malheureusement, si le respect de la parité au niveau de l’Institution municipale est acquis, tel n’est pas le cas au niveau de la Commission domaniale qui est le bras technique de la commune sur toutes les questions foncières, en termes d’investigation, d’enquête et de préparation des décisions foncières de la commune. L’objectif de cette disposition était de renforcer la participation égalitaire des femmes dans le processus décisionnel. En outre, en 2018, le ministre de l’Agriculture avait pris une importante circulaire portant réduction des inégalités genre au niveau des activités agricoles, en accordant aux femmes 15% des parcelles dans les aménagements, 20% des engrais subventionnés, 20% de semences certifiées, 10% des tracteurs subventionnés, 40% du financement et 20% de taux de représentation. Même si l’application laisse à désirer, je la considère comme une bonne initiative. Globalement, le cadre juridique interdit toute forme de discrimination envers les femmes, même si certaines dispositions devraient être revues. Par exemple, l’article 7 du décret 72/1288 dispose qu’une nouvelle demande de réaffectation de la parcelle doit être adressée au maire, dans un délai de trois mois qui suivent le décès du précédent affectataire (par exemple le mari). Les femmes jugent que ce délai est très court, en ce sens qu’il coïncide avec la période de veuvage. Et, socialement, la femme serait mal vue par la société, si elle s’occupait de telles formalités administratives pendant cette période. Ensuite, aux termes de l’article 18 du décret 64-573 portant application de la loi 64-46 sur le Domaine National, la cessation de résidence sur le terroir est une cause de désaffectation. Or, par nature, la femme est mobile et pourrait quitter le terroir pour rejoindre le domicile conjugal. Cette disposition est alors en défaveur de la femme qui serait ainsi dans une insécurité foncière constante.
Quelle politique foncière pour corriger un tel préjudice à l’égard des femmes ?
Plusieurs leviers peuvent être actionnés. Il faudra commencer par la forte vulgarisation/médiatisation des avancées juridiques de promotion des droits fonciers de la femme. Dans certains milieux en zone rurale, l’ignorance de ces textes est patente. Il faudra les traduire en termes très simples et en langues locales et tenir des émissions dans les radios locales, avec la participation de toutes les parties prenantes (élus, autorités administratives, notabilités religieuses et coutumières, chefs de village etc.). Ce qui permettra de faciliter progressivement la réduction des pratiques discriminatoires à l’égard des femmes dans la distribution foncière. Dès l’instant que le foncier est une compétence transférée, les maires ont un grand rôle à jouer dans cette dynamique. Et je magnifie, au passage, les bonnes stratégies locales. Je pense notamment aux vastes campagnes de délivrance de délibérations foncières aux femmes dans certaines communes, où des négociations ont été d’abord organisées dans les ménages et auprès des autorités coutumières, dans le cadre d’un dialogue communautaire, pour recueillir les accords des différentes parties prenantes. La stratégie consistait à mettre le focus sur les arrangements locaux. Certaines communes également, pour faciliter cet accès juridique, procèdent à l’allégement ou à la gratuité des frais de bornage, pour faire sauter toute contrainte d’ordre financier dans l’accès au foncier pour les femmes. A Matam, un Projet (SAED/Coopération française) a mené des caravanes de sensibilisation auprès des chefs religieux et des autorités coutumières sur la promotion des droits fonciers de la femme rurale. Les messages positifs et de soutien ont été enregistrés et ont fait, par la suite, objet de large diffusion au niveau des radios locales. Le renforcement de l’adhésion des leaders d’opinion (coutumiers et religieux) à la reconnaissance des droits fonciers des femmes est fondamental. Ces résultats ont «libéré» les maires qui ont, par la suite, facilité les processus d’attribution de titres aux femmes. Ce qui a fait dire à certains experts, qu’il n’y a pas de problème d’accès des femmes au foncier, mais plutôt un problème d’approche. Par ailleurs, les représentants de l’Etat, de leur côté, doivent veiller à ce que la réglementation sur la parité soit rigoureusement appliquée, afin d’améliorer la gestion inclusive et paritaire du foncier, avec une bonne implication des femmes. En résumé, la politique foncière devra aussi promouvoir des sessions de formation massive sur les procédures foncières. Une étude réalisée en 2018 montre que les femmes déposent rarement des demandes au niveau des communes. Or, le dépôt d’une demande foncière est une condition substantielle avant toute délibération foncière. Je suis aussi de ceux qui pensent que la promotion des droits fonciers de la femme ne doit pas se faire avec les femmes exclusivement. Il faudra mobiliser et engager les hommes, pour un soutien et un meilleur plaidoyer des droits fonciers de la femme. Il est constaté, également, un faible taux d’alphabétisation des femmes. Ceci ne favorise pas la maitrise des procédures foncières et des voies de recours. Le taux d’analphabétisme est de 54,6% au Sénégal dont 62% de femmes (RGPHAE 2013). Cette situation réduit forcément l’accès à l’information sur les droits fonciers de la femme ainsi que les procédures pour accéder à la terre. Pour une durabilité de l’activité économique, l’accès au foncier ne doit pas être considéré comme une fin en soi. Il y a aussi des entraves d’ordre technique, avec le manque de moyens de production (équipements agricoles modernes), sans oublier les entraves financières marquées par des difficultés d’accès au crédit et enfin les entraves organisationnelles qu’il faudra corriger par un meilleur niveau d’organisation et d’encadrement des femmes. Une fois l’accès au foncier est acquis, les autres accès doivent suivre, par exemple l’accès au financement adéquat, l’accès aux équipements, l’accès au marché etc.
Considérant que l’agriculture au Sénégal est essentiellement familiale et que les revenus des femmes servent grandement à nourrir la famille et entretenir les enfants, le fait qu’elles n’aient pas accès au foncier n’accentue-t-il pas les récurrentes menaces d’insécurité alimentaire dans certaines régions du pays ?
Au Sénégal des enquêtes de terrain, portant sur l’affectation des revenus des femmes chefs de ménage, ont révélé que : - 50% de leurs ressources sont destinées aux dépenses alimentaires, 15% aux dépenses de santé, 15% à l’éducation des enfants, 10% à l’habitat, 10% aux dépenses vestimentaires (habillement et parure). Sachant que le foncier constitue le principal facteur de production pour les femmes, le fait qu’elles n’aient pas accès à cette ressource constitue naturellement un sérieux frein à l’autonomisation économique des femmes que le président de République surnomme les «héroïnes au quotidien». L’insécurité foncière ou parfois la dépossession foncière que vivent les femmes, enfonce celles-ci dans une situation de vulnérabilité, ce qui constitue une menace d’insécurité alimentaire pour toute la communauté.
Le fait qu’elles soient mises à l’écart ou presque des politiques agricoles, parce que n’ayant pas accès au foncier, n’impacte-t-il pas négativement à l’atteinte de l’autosuffisance ?
Vous me donnez ici l’occasion de saluer l’approche du PSE qui intègre les questions de genre de façon transversale dans tous les programmes publics. Cette approche est utilisée pour faire en sorte que les exigences et la situation des femmes, comme celles des hommes, soient prises en compte dans toutes les actions, dans le but d’améliorer la gouvernance foncière. Cette approche permet notamment de combattre la marginalisation foncière de la femme. Cette marginalisation impacte effectivement et négativement l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire. La femme constitue une part très importante de la main d’œuvre agricole ; il est alors fondamental de mobiliser et de mettre cette main d’œuvre dans de bonnes conditions de production. Je crois que l’appui à la sécurisation foncière de cette main d’œuvre féminine est nécessaire dans la stratégie de l’autosuffisance alimentaire. Cet objectif pourrait être atteint avec la mise en place, à l’échelle nationale, de fermes agricoles génératrices d’emplois. Il faut, par contre, déplorer le fait d’affecter un lopin de un à deux hectares à un GIE composé d’un nombre important de femmes. Chaque femme se retrouve, après morcellement, avec une parcelle de taille peu viable et non rentable. Ainsi, les gains obtenus sont très en deçà des efforts fournis et cela hypothèque très souvent la pérennisation de l’investissement et entraine des abandons. Les revenus tirés de ces lopins sont très faibles pour ne pas dire nuls. Tous ces facteurs impactent négativement à l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire.
Les changements climatiques ont des conséquences sur la rentabilité des productions agricoles. Pensez- vous que les femmes qui n’ont pas accès à la bonne terre peuvent développer dans ce contexte une activité qui garantira leur indépendance financière ?
Le contexte actuel n’est pas favorable, ce qui justifie la nécessité pour l’Etat d’accorder une attention toute particulière à l’autonomisation économique de la femme. Dans certaines localités, la nappe baisse, ce qui complique l’accès à l’eau au niveau des exploitations agricoles des femmes. Dans d’autres sites, c’est la salinisation qui progresse ou l’érosion côtière qui amenuise par exemple les terres utilisées par les femmes transformatrices de produits halieutiques. L’érosion côtière a réduit, dans la plupart des sites, leurs aires de travail. Bref, la dégradation de l’environnement et le changement climatique réduisent la disponibilité des ressources en terres et rendent encore plus vulnérables les femmes, déjà socialement et économiquement marginalisées. Ces conditions sont aggravées parfois par l’attribution aux femmes de terres éloignées du village, d’accès difficile et de moindre qualité. Ce qui entraine leur abandon de l’activité agricole. Il est clair que, dans ces conditions générales, la femme ne pourrait développer une activité qui garantira son indépendance économique ou financière. Ce contexte a même obligé bon nombre de femmes à se repositionner dans le segment de commercialisation de produits agricoles produits par d’autres ou à exploiter d’autres opportunités économiques qui n’offrent pas des gains importants.