SenePlus | La Une | l'actualité, sport, politique et plus au Sénégal
29 novembre 2024
International
LES CANDIDATS RECALÉS S'ASSIGNENT UNE NOUVELLE MISSION
Accusant le Conseil constitutionnel d'avoir bâclé le processus électoral, le Front pointe sa responsabilité dans la crise démocratique et réclame une réforme en profondeur. Il s'engage désormais à défendre la démocratie bien au-delà du 24 mars
SenePlus publie ci-dessous, la déclaration du Front démocratique pour une élection inclusive (FDPEI) datée du 19 mars 2024, à propos de la présidentielle du 24 prochain.
Le Sénégal, notre pays, autrefois incarnation reconnue du combat des Africains pour l’État de droit, a vu ses acquis démocratiques écornés par une haute institution en charge de l’échéance électorale de la présidentielle de 2024 dont pourtant elle est garante de l’ensemble du processus et du caractère transparent, démocratique et inclusif.
Le Conseil constitutionnel sénégalais, à n’en pas douter, entrera dans l’histoire institutionnelle, constitutionnelle, politique et juridique de notre pays comme étant très éloigné du modèle de la belle histoire du Droit au Sénégal telle qu’incarnée par l’honorable patriarche Kéba Mbaye et ses illustres compagnons, tous dignes pionniers et bâtisseurs de l’État sénégalais moderne.
Rien ne peut justifier qu’on ait pu entrainer notre système démocratique dans un tel labyrinthe ayant conduit à l’élimination injustifiable et inqualifiable de compatriotes candidats à la plus haute fonction de la République. Ces compatriotes ont été privés, au vu et au su de tous, de leur droit fondamental à concourir pour les suffrages des citoyens.
Nous le disons sans ambages, le service informatique du Conseil constitutionnel a délibérément et sélectivement manipulé et saboté les parrainages de certains candidats. Des manquements graves en attestent largement, des preuves irréfutables sont disponibles et le Conseil constitutionnel a tout validé. Sa détermination à maintenir le cap et sa volonté farouche de défendre l’indéfendable a éveillé plus que des soupçons allant jusqu’à des allégations graves de corruption.
Voici quelques perles de cet acharnement du Conseil :
- élimination à la chaine, arbitraire et irrespectueuse de candidats, parfois après cinq minutes de présence dans la salle pour « clé USB inopérante » ;
- fabrication du premier « cas zéro » de l’histoire électorale du Sénégal avec un candidat qui, malgré un dossier complet et en béton, a été déclaré « inexistant dans le fichier des électeurs » ;
- rejet en bloc des 38 réclamations présentées par les candidats injustement invalidés
- contre-vérités sur l’irrecevabilité de certaines réclamations prétendument non signées par le représentant du candidat alors que c’était bien le cas ;
- élimination pour bi-nationalité d’un candidat manifestement en règle au moment de l’appréciation d’un recours contre sa candidature ;
- refus des recommandations du Dialogue national et confirmation de la liste des 19 « candidats retenus » ;
- publication d’une décision fondée sur l’article 34 de la Constitution cité de façon ouvertement tronquée par omission de la dernière ligne qui allait à contre-pied de sa décision visant à évacuer le problème d’une candidate réellement binationale et injustement validée ;
- substitution à l’Exécutif pour arrêter de façon précipitée « la date du 31 mars pour la présidentielle » (date qui correspond à la célébration de la fête de Pacques par nos compatriotes chrétiens) avant de rétropédaler pour s’aligner par un communiqué sur la date du 24 mars du décret présidentiel ;
- validation de la violation de l’article sur la durée légale de convocation du corps électoral, cette fois-ci convoqué en 17 jours au lieu des « 80 jours au moins », sans oublier la durée de 3 semaines requise pour le premier tour comprimée en deux semaines sans autre motif qu’une précipitation injustifiable. Du jamais vu !
Tous ces hauts faits d’arme ont positionné le Conseil constitutionnel au cœur d’une des plus grandes crises de l’histoire politique et électorale de notre pays ! Il convient dès lors, dans les réformes en vue, de construire une institution alternative sous une forme qui ne lui confèrera pas de facto le privilège indu de « l’infaillibilité » et surtout de « l’impossibilité de recours » contre son interprétation (somme toute humaine donc faillible) du droit. C’est là une œuvre de salubrité démocratique et de consolidation de nos institutions et de notre gouvernance basée sur l’État de droit et sur le traitement équitable de tous les citoyens de ce grand pays.
Le Front démocratique pour une élection inclusive est fier de son bilan et surtout de son combat. Le Front a incarné avec courage le refus de la tentative d’intimidation tyrannique, politique, juridique, médiatique contre les véritables défenseurs de l’État de droit et des droits sacrés des citoyens. Eux et tous leurs compagnons du mouvement global des spoliés auront en définitive marqué l’histoire de notre pays en contribuant de façon décisive à la résistance à la tyrannie qui a toujours été le moteur de la lutte contre l’arbitraire et pour la défense des libertés.
Confronté à l’imminence de la tenue d’un simulacre d’élection et d’une présidentielle bâclée le 24 mars prochain et suite à de larges et fraternelles concertations, les leaders du Front démocratique pour une élection inclusive ont unanimement décidé de maintenir le Front et de lui assigner la mission de poursuivre et d’élargir le combat pour la préservation de l’État de droit, de la démocratie et du droit à des élections inclusives au Sénégal.
Des discussions et échanges entre leaders du Front ont permis de constater que certains membres du Front ont décidé de boycotter cette élection entachée à leurs yeux de graves irrégularités et injustices. D’autres leaders du Front ont érigé en principe de ne jamais boycotter une élection quel que soit le caractère déplorable de son organisation. D’autres ont décidé de s’en limiter à une simple consigne de vote en direction de leurs militants ou sympathisants. D’autres enfin ont décidé de collaborer avec une coalition pour peser sur le vote du 24 mars.
Au regard de tout cela, le Front, respectueux du pluralisme des visions et des obédiences politiques en son sein, a décidé de reconnaitre à chaque entité le droit de faire librement son choix. Toutefois, tous les leaders se sont engagés à l’unanimité à continuer de privilégier l’unité dans la lutte et de s’impliquer dans tout combat démocratique post 24 mars.
Ce faisant, ils rappellent qu’ils adhèrent à la belle sentence historique d’un grand et digne intellectuel sénégalais (le regretté philosophe progressiste Hamidou Dia) : « Il n’y a pas de destin forclos, il n’y a que des volontés molles et des responsabilités désertées ! »
En un mot comme en mille, pour les leaders du Front, avant et au-delà du 24 mars, la mission de protéger et de sauver le Sénégal devrait être le seul viatique qui vaille !
VIDEO
VIOLENCE D'ÉTAT ET IMPÉRATIF DE JUSTICE
Le troisième numéro de la série "Où va le Sénégal ?" relève la dérive autoritaire du régime sortant. Entre répression meurtrière des manifs, torture et impunité des forces de l'ordre, le pays a sombré dans l'arbitraire, appelant à profonde une refondation
Dans le 3e épisode de la série "Où va le Sénégal ?" animée par Florian Bobin, les invités Aïcha Dabo et Ousmane Diallo ont dressé un sombre tableau de la dégradation des droits humains dans le pays depuis 2021.
Une répression sanglante et inédite s'est abattue sur les manifestations d'opposition, faisant des dizaines de morts et de blessés sous les balles des forces de l'ordre militarisées à l'extrême. Le recours aux "nervis", ces supplétifs civils armés, et à la torture, illustre la dérive autoritaire du régime.
L'adoption récente d'une loi d'amnistie pour les événements depuis 2021 confirme le déni de justice de l'État sénégalais. Celui-ci refuse d'enquêter sur les exactions, préférant invoquer la théorie complotiste de "forces occultes" pour justifier la violence meurtrière.
Face à ce constat accablant, les invités ont exhorté la prochaine administration à rompre avec l'ère des violations flagrantes. Abroger la loi d'amnistie, mener des enquêtes indépendantes, reconnaître le statut de victimes et indemniser les familles éplorées sont les premières urgences.
Au-delà, une refonte en profondeur des institutions, à commencer par la Constitution héritée des indépendances, est indispensable pour rééquilibrer les pouvoirs et garantir la primauté de l'État de droit. Seule une telle réforme de fond permettra d'éviter ce que les pires années du régime sortant ont donné à voir au monde : l'image d'un Sénégal sombrant dans la répression aveugle et l'arbitraire le plus total.
par Youssouph Mbargane Guissé
SOUVERAINETÉ POLITIQUE ET ÉCONOMIE ENDOGÈNE
EXCLUSIF SENEPLUS - Le bilan des 60 ans d'indépendance force le constat d'échec d'un modèle néolibéral générateur d'inégalités. Il est urgent de cultiver de nouveaux paradigmes au service d'une économie intégrée à l'échelle du continent
Cette réflexion est une contribution à l’enjeu principal de l’élection présidentielle au Sénégal, celui d’un projet alternatif de rupture avec un modèle économique fondé sur la croissance qui depuis l’indépendance de 1960, n’a cessé de creuser des fractures au niveau des territoires et régions, développé des inégalités sociales profondes et crée le désarroi au sein de la jeunesse en proie au mal vivre. Ce modèle dépendant et extraverti a marginalisé les intellectuels académiques et leurs productions critiques ainsi que celles des lettrés, savants et sages des diverses communautés culturelles, spirituelles et religieuses. Cette marginalisation des élites du pays s’est maintenue sous l’hégémonie politique d’une classe dirigeante compradore soumise aux intérêts capitalistes étrangers et en connexion particulièrement depuis le début des années 2000, avec la mafia financière internationale. Les profonds et vastes mouvements populaires de résistance pour la souveraineté et le développement du Sénégal, mais aussi dans notre région ouest, remettent de plus en plus en cause le système néocolonial et son modèle appauvrissant. L’élection présidentielle de ce mois de mars a comme enjeu central de dégager les voies salutaires d’un véritable développement endogène égalitariste et démocratique.
Retour sur le modèle dominant
La mondialisation achevée au début des années 80, a imposé une nouvelle configuration de l’économie capitaliste libérale aux Etats, nations et pays, les obligeant à des réadaptations, regroupements régionaux et à de nouvelles alliances géostratégiques. On assiste à l’entrée de puissances émergentes sur le marché universel grâce à des innovations technologiques du Numérique, rendant farouche la concurrence des productions et du commerce entre groupes industriels privés et géants de la finance internationale. En Afrique, les Etats- nations désunis et fragiles du fait de leurs économies encore coloniales, ont été obligés d’accepter les conditionnalités d’une restructuration de leurs économies par les institutions de Breton Wood, le Front Monétaire International et de la Banque Mondiale. Ce fut le cas du Sénégal. Cette période drastique d’ajustement structurel et de privatisation libérale des économies a vu la confiscation de leur souveraineté d’Etat et la destruction des acquis sur le plan agricole et industriel pour imposer un modèle de développement productiviste capitaliste, fondé sur la croissance du PIB et les équilibres macro-économiques. Ce modèle néo-libéral favorable aux investisseurs et industriels privés étrangers, a marginalisé les entreprises nationales porteuses de croissance et productrices de richesses. Il a conduit à des inégalités sociales insoutenables, aux violences et à l’insécurité dans les pays victimes d’attaques terroristes jihadistes.
L’hégémonie conceptuelle
A partir de l’application des PAS, l’hégémonie conceptuelle occidentale s’est affirmée, assurée par les experts du FMI et de la Banque mondiale qui ont élaboré une panoplie de concepts imposés aux Etats surendettés et sans « corps d’idées autonomes ». Sous la supervision serrée de ces Institutions, les Etats africains ont comme objectif d’atteindre le développement, concept conçu selon le modèle universaliste occidental,[1]comme un processus de croissance productive de l’activité économique, quantifiée par les outils statistiques. Mais ce concept de développement se révèle un mythe savamment distillé pour masquer la confiscation de la souveraineté des Etats africains, plongés ainsi dans une crise structurelle de domination et de spoliation aggravée. Il a servi à créer l’illusion entretenue que le modèle économique d’exploitation capitaliste et d’asservissement de nos pays allait les conduire à une étape finale de création de richesses et de bien être pour les populations.
Une croissance qui ne se mange pas
Selon l’important Rapport RASA/AROA[2] : « Le développement est le concept sacralisé pour catégoriser le monde selon des indicateurs économiques définis sur la base des réalités des pays d’Europe et d’Amérique du Nord pour rendre compte de leur état « d’avancement » et du retard des « autres » dans leur marche vers le progrès social ». C’est donc la même stratégie qui se perpétue avec les mêmes principes par un renouvellement de concepts savamment dérivés les uns des autres : « Ajustement structurel », « lutte contre la pauvreté », « objectifs du Millénaire pour le développement », « Document stratégique de réduction de la pauvreté », « Emergence », etc.
C’est pourquoi les rapports sur le développement de l’Afrique reflètent surtout un économisme universaliste, étatiste et linéaire avec des indicateurs standards occidentaux qui cherchent à mesurer les prétendus progrès de pays dominés et surexploités. Les évaluations rectificatives, les classements et notations encourageantes, les projections statistiques optimistes des institutions spécialisées, n’ont été en général jusqu’ici que falsifications et manipulations car « l’écart reste important entre les données produites et les réalités des populations, entre les indicateurs théoriques et les situations et pratiques réelles ». Certes « la croissance est bien là, mais elle creuse les inégalités, exclut les populations vulnérables et surexploite les ressources naturelles ».
Les carences du FMI et de la Banque mondiale
Selon le rapport du Bureau indépendant d’évaluation du FMI publié en mai 2011, l’intervention de L’institution en Afrique est un échec global. Cet échec de l’institution financière est dû aux paradigmes universalistes des lois de l’économie capitaliste libérale imposées aux Etats africains, mais également aux méthodes de recherche utilisées sur les réalités du terrain. Le rapport indique les carences suivantes :« une recherche institutionnelle orientée », des « biais idéologiques » donnant « des conclusions préconçues ». Il souligne que « certaines études reposent sur un cadre analytique inapproprié aux réalités des pays étudiés ». Il s’y ajoute selon toujours le Rapport, dans les recherches du FMI, « une incapacité répétée à citer les travaux des chercheurs locaux ».
Quant à la Banque mondiale, elle a été secouée dans un Rapport interne publié en 2015 par un scandale concernant des décaissements au profit des pays en voie de développement. Ce rapport établit que 7,5% de ces décaissements seraient détournés par le biais de sociétés écrans vers les paradis fiscaux comme la Suisse, le Luxembourg, Singapour. L’Union Africaine avait déjà tiré la sonnette d’alarme sur la gravité d’une telle situation dans les conclusions d’un groupe de travail conduit par Tabo Mbeki, l’ancien Président sud-africain. Le rapport estimait à 56 milliards de dollars annuels la perte subie par le continent africain dues à des transactions illégales.
Aujourd’hui « la Commission Economique des Nations-Unies pour l’Afrique évaluerait les pertes annuelles subies par le continent à environ 148 milliards de dollars, soit une moins-value en termes de croissance de l’ordre de 25% du PIB ». L’auteur en conclut : « On commence à y voir plus clair sur les raisons expliquant qu’en près de 60 ans d’indépendance, pour de nombreux pays africains la contribution de la Banque mondiale reste encore marginale ». A un tel scandale s’ajoutent des résultats de croissance globalement désastreux.
Le règne en plus de la corruption financière et de l’influence des réseaux mafieux jusqu’au sommet des Etats rendent les politiques publiques inopérantes. C’est ainsi que les bilans élogieux sur les grandes infrastructures réalisées n’impressionnent outre mesure les jeunes, les ménages et les populations qui aspirent à la sécurité, à l’emploi et au bien-être, à la dignité.
Des échecs masqués
En aucun cas la crise sociale profonde, l’aggravation de la pauvreté des populations et le désarroi profond de la masse des jeunes, n’empêchent les sempiternels discours officiels présentant les statistiques sur les performances économiques fictives en général. En effet, la dure réalité sociale de la précarité et du dénuement reste têtue. Mais tout ceci est soigneusement masqué, en plus des chiffres et statistiques brandis, par :
- La délivrance de note de satisfécit aux Gouvernants grâce aux taux de croissances dit en bonne évolution, cela malgré la gangrène de la corruption et de la mal gouvernance institutionnelle.
- Le classement dans des revues soi-disant de références comme le Doing Business dont s’indignait l’économiste Ndongo Samba Sylla de la faiblesse des critères et des choix méthodologiques. Ce guide s’avère non scientifique et non pertinent politiquement, rendant les bons élèves bien classés, les plus démunis.
- La distinction par des prix honorifiques à certains dirigeants politiques dans le but de redorer leur blason terni. Toute cette mise en scène théâtrale solennelle et protocolaire est planifiée et organisée à dessein par des groupes de la mafia affairiste internationale pour masquer l’ignoble exploitation financière subie par les peuples sous domination. Un tel bilan désastreux pour les Africains a fait dire à Théophile Obenga que la Banque mondiale et le FMI devraient être interdits de mettre leurs pieds en Afrique. Un tel échec aux conséquences sociales et humaines catastrophiques milite impérativement pour l’alternative de déconnexion du système de dépendance et d’extraversion en place depuis la colonisation, et la reconnexion à une économie continentale africaine souveraine et intégrée.
Le changement de paradigmes
C’est pourquoi un véritable changement de paradigme s’impose pour édifier des économies fortes dépassant le cadre des faibles productions et de l’étroitesse des marchés des Etats-nation actuel. La libération de l’hégémonie conceptuelle universaliste du développement conçu en termes de croissance du PIB, de productivité et de ses outils d’évaluation quantitativistes et statistiques. Cette nouvelle conceptualisation identifie les espaces régionaux naturels de production et d’échanges intégrés ainsi que les acteurs historiques porteurs d’innovation et renouveau du continent. En sortant du morcellement et en élargissant l’horizon par la réunification politique et l’intégration des productions, filières et marchés, les vastes ensembles, on pourrait acquérir « la réduction des couts unitaires grâce aux économies d’échelle par un niveau accru de spécialisation et de concurrence économique, par l’accès à la technologie et par un meilleur partage des idées et des expériences à tous les niveaux ».[3]Les Africains pourront alors produire des économies d’abondance, le bien-être et la prospérité collective.
Un leadership nouveau
Les intellectuels africains, chercheurs et savants, industriel et entrepreneurs, ingénieurs, professionnels de métiers, architectes et aménagistes, inventeurs, artistes, conteurs et philosophes, doivent impérativement prendre leur place stratégique dans la direction politique des Etats fédérés de l’Afrique. Ils doivent s’appuyant la mobilisation politique des masses et de la jeunesse, pousser à la sortie les actuelles élites politiques paresseuses, corrompues et contre-productives. Cette nouvelle catégorie politique dirigeante d’avant-garde constitue en ce temps critique, l’armature intellectuelle créative du nouveau monde africain à inventer. Leur mission est d’apporter de nouvelles visions et des choix pertinents dictées par le cours actuel de l’histoire. En effet, la Raison et la Justice, le Bien, le Beau et l’Ethique doivent enfin soutenir les pratiques d’une nouvelle philosophie politique, celle du Renouveau culturel et civilisationnel de tous les Etats fédérés de l’Afrique enfin libre. Nul n’ignore à présent les immenses ressources et richesses matérielle, humaines et culturelles dans chaque pays, chaque région, dans tout le continent de part et d’autre de l’Equateur. L’exploitation coordonnée et la mise en valeur de ce potentiel peuvent alors permettre la montée en puissance rapide de l’Afrique sur le plan économique, politique, culturelle et diplomatique dans un contexte de reconfiguration des rapports de forces à l’échelle mondiale. En tout état de cause, le développement intégral de l’humain n’est pas que matériel, mais aussi culturel et spirituel ; il repose sur ce qui n’est ni quantifiable, ni chiffrable, sur le génie créateur des peuples, leurs cultures, leurs langues, leurs valeurs de vie, l’attachement à la communauté, légalité sociale, la joie de vivre, l’amour de la Création et le respect du Vivant.
[1] Voir à ce titre l’ouvrage qui a fait date sur cette vision : Rostow (1970). Les étapes de la croissance économique. Paris. Points
[2] RASA AROA (2018). Rapport alternatif sur l’Afrique. Un rapport pour l’Afrique et pour l’Afrique. Dakar :
[3] Real Lavergne Dir. 1996. Préface. Intégration et coopération régionales en Afrique de l’Ouest. Paris, éd. Karthala-CRDI.
PAR Abdourahmane Sarr
ENTRE LA PEUR ET L’ESPOIR, CHOISIR SONKO-DIOMAYE
EXCLUSIF SENEPLUS - Le candidat Amadou Ba a l’intention d’endetter le pays davantage pour dérouler la même vision qu’il a mise en œuvre quand il était ministre de l’Économie. Notre pays ne peut pas réaliser son développement dans le paradigme actuel
L’espoir est ce qui fait vivre et jeunesse rime avec espoir. A n’en point douter, sur le plan purement politique, Ousmane Sonko a su cristalliser les espérances de la jeunesse sénégalaise, notamment celle qui n’a pas d’espoir ou d’acquis à préserver. Pour cette frange de la population, la peur de l’inconnu ne prendra pas le dessus sur l’espoir de lendemains meilleurs par une alternance par l’alternative. Les Sénégalais qui ont des acquis à préserver, cette frange de la population pour laquelle le statu quo est source de stabilité, seront sensibles à un message d’apeurement qui peut ne pas avoir sa raison d’être. Non seulement la peur obstrue la raison, elle démotive, décourage, et empêche l’être d’atteindre son potentiel. Nous ne pourrons donc pas avoir le courage du développement par la peur.
Nous avons observé la campagne présidentielle qui est sans surprise bipolarisée entre Ousmane Sonko à travers Bassirou Diomaye Faye et Amadou Bâ. Les premiers sont porteurs d’un message d’espoir, le deuxième a misé sur la peur de l’autre et de l’inconnu pour convaincre. De ce point de vue, Bassirou Diomaye Faye ne sera que le représentant, par les urnes, d’un leadership collectif porteur de progrès et d’espérance à travers un projet. Entre l’espoir et la peur, il faut choisir l’espoir à moins qu’il y ait des raisons objectives de craindre pour se prémunir d’un danger réel. Nous avons foi en la capacité de la jeunesse sénégalaise accompagnée de réaliser le développement du pays avec courage et responsabilité en prenant son destin en main. Prendre son destin en main, c’est avoir le mandat du peuple d’utiliser tous les instruments qui devraient permettre de réaliser les espérances de vie meilleure des sénégalais de demain, donc de la jeunesse.
La majorité silencieuse a la responsabilité d’arbitrer les deux forces partisanes qui se font face par la raison. Nous disions commentant la politique générale du Premier ministre Amadou Bâ déclarée au FMI que « la ligne du Plan Sénégal Emergent (PSE) comptait sur la co-construction de notre développement avec le financement extérieur en devises du privé comme du public sans autonomie monétaire pour ensuite redistribuer les fruits d’une croissance éventuelle » (Présidentielle 2024 : DPG au FMI à reformuler). Cette vision ne libère pas les énergies du peuple lui-même, ce qui en fait un paradigme collectiviste socialisant à l’échelle centrale, et fera de l’Afrique la locomotive de l’agenda du monde. Cette vision socialisante, nous disions, ne nous a jamais réussi et a été réaffirmée dans notre programme 2023-2026 avec le FMI et dans celui du candidat Amadou Bâ baptisée « Prospérité partagée ». Le FMI a confirmé démarrant le programme en cours, que le PSE n’a pas réussi sa promesse de transformation structurelle de l’économie et que notre endettement a financé des infrastructures qui, quoique utiles, n’ont pas contribué à une croissance durable tirée par le secteur privé et génératrice d’emplois et de progrès social (voir Rapports FMI 2023). Après nous avoir dit que notre taux de change était surévalué et que nous devions nous financer en monnaie nationale ou en dette extérieure concessionnelle en devises, le FMI n’en a pas tiré de conclusions autres que l’austérité et les réformes structurelles car il n’a pas ce mandat politique. Le Premier ministre Amadou Bâ, après avoir, à travers son ministre des Finances, pris acte du bilan dressé sur le PSE, et reconnu que les ressources pétrolières et gazières en perspective sont limitées et n’auront pas d’impact sur notre cadre économique, n’a pas proposé un programme présidentiel alternatif. La réorientation annoncée du PSE lors de la déclaration de politique générale présentée aux députés suite à la nomination du Premier ministre Amadou Bâ n’a donc pas eu lieu (Amadou Bâ : DPG Reportée, Candidat de la Continuité).
Alors que notre programme avec le FMI prévoit une réduction de notre déficit budgétaire à 3% du PIB à l’horizon 2025 pour maîtriser notre rythme d’endettement dans ce paradigme, le candidat Amadou se donne 2029 comme horizon pour ce même niveau de déficit. Il a donc l’intention d’endetter le pays davantage pour dérouler la même vision qu’il a mise en œuvre quand il était ministre de l’Économie, des Finances et du Plan. Il avait réalisé une croissance non soutenable par l’endettement et donc politicienne pour la réélection du président Macky Sall en 2019. Notre pays ne peut pas réaliser son développement dans le paradigme actuel qui est basé sur la dette extérieure en devises, concessionnelle ou pas aux vues des contraintes de notre banque centrale. Changer cette option nécessite une autonomie monétaire à l’échelle nationale ou de l’UEMOA si cette dernière a les mêmes options économiques.
La coalition Diomaye Président est la seule à avoir annoncé cette perspective nécessaire comme le disait le président Macky Sall lui-même en Conseil des ministres décentralisé et perspective qu’il faudra réaliser avec les mesures d’accompagnement. Une des conditions, pour le Sénégal et la Côte d’Ivoire locomotives de l’UEMOA, est bien évidemment la réduction de leurs dettes publiques notamment en devises de même que leurs déficits budgétaires dans un proche horizon, 2025 au plus tard. Il faudra ensuite mettre un marché des changes en place, marché à approfondir et accompagner progressivement avec la libéralisation des flux de capitaux extérieurs dans la zone. Il faudra dans ce cadre s’assurer de l’inclusion financière de nos populations, de nos entreprises, et de nos collectivités locales, l’accès au crédit étant actuellement difficile sinon impossible pour la plupart. Cette inclusion financière devra se faire avec une banque centrale transparente ayant une autonomie d’objectifs et d’instruments pour assurer la stabilité des prix qui est essentielle.
De notre lecture, Ousmane Sonko et la coalition Diomaye Président ont présenté un projet souverainiste qui veut, dans l’autonomie monétaire, s’affranchir de la domination de l’étranger, mais dans le collectivisme de plans de développement à l’échelle locale. Ceci en fera un paradigme libéral puisque les pôles aux plans et processus de développement autonomes seront nécessairement en compétition. Ce projet collectivise ainsi, en partie, avec un état développementaliste à l’échelle décentralisée de pôles régionaux, la direction du pays. S’il doit co-construire avec l’étranger, ce sera à ces échelles tout en accompagnant la libération des énergies des populations là où elles vivent dans la diversité culturelle, cultuelle, et sociale renforçant la libre solidarité locale qui accompagne la justice sociale à l’échelle centrale. Cette vision se rapproche de notre préférence, c’est-à-dire la souveraineté, mais dans le libéralisme et l’autonomie monétaire nationale ou sous-régionale dans l’UEMOA seulement, mais aussi dans le progressisme social et culturel. Nous disions que cette vision responsabiliserait les Sénégalais et le secteur privé national ou sous-régional dans leur propre développement et choix culturels de même que ceux de leurs communautés de base autonomisées avec une Côte d’Ivoire acquiesçant. A défaut, ce sera Senexit pour ces objectifs. Nous avons baptisée cette vision Souverainiste Libérale et Progressiste. Nous nous sommes donc retrouvés dans la formule du candidat Bassirou Diomaye Faye : « Un Sénégal souverain, juste, prospère, dans une Afrique en progrès ». La co-construction du développement et de l’industrialisation avec l’investissement étranger en complément à l’échelle de pôles régionaux peut rencontrer la vision du maire de Sandiara qui a rejoint la coalition Diomaye Président. Cette vision est aussi compatible avec celles de Boubacar Camara, de Boun Dionne, et de Mamadou Lamine Diallo sur l’industrialisation et les moyens de son financement à cette échelle.
Nous concluons cette contribution de soutien à la coalition Diomaye Président en disant que dans les programmes des autres candidats que nous avons lus, il y a des mesures de réformes sur lesquelles les Sénégalais peuvent avoir un consensus. Ces réformes qui peuvent être utiles et pertinentes relèvent dans bien des cas du management et non du leadership ou d’une vision alternative au statu quo et ne sont donc pas déterminantes de notre point de vue. Bien sûr, nous pouvons toujours renforcer nos institutions et notre démocratie qui dans un passé récent nous ont démontré leur solidité. Nous pouvons également améliorer les performances de beaucoup de secteurs notamment la santé, l’éducation, les infrastructures et les biens et services publics horizontaux. Le préalable, cependant, c’est la création de richesses pour leur financement durable dans la souveraineté sans intervention étatique inutile au-delà de la correction des défaillances et des sous-provisions de biens publics et dans les limites des capacités objectives de l'État.
Créer de la richesse, c’est accompagner l’entreprenariat et la liberté économique dans tous les secteurs productifs même dans l’agriculture, l’élevage et la pêche et savoir distinguer ce qui est simplement de la redistribution ou de l’idéologie collectiviste socialisante interventionniste et ce qui est de l’économie pure. Même dans la fourniture de services publics de base, l'État peut privilégier de financer et subventionner mais n’est pas obligé de produire afin d’encourager l’efficacité et l’efficience, la compétition, tout en promouvant l’égalité des chances. La décentralisation et la territorialisation de la définition même des politiques publiques et la comparaison des performances d’unités territoriales autonomes en concurrence peuvent permettre l’émulation vers le haut et la sanction localisée des échecs. De ce dernier point de vue, le Sénégal gagnerait à écouter le candidat Serigne Mboup. Karim Wade quant à lui a la responsabilité d’accompagner la vision souverainiste libérale et progressiste qui parachèvera le SOPI et qui relève le défi qu’avait lancé son père à la jeunesse africaine de trouver la voie du développement dans le libéralisme (voir Eco et Libéralisme : Relever le défi d’Abdoulaye Wade).
Librement.
Dr. Abdourahmane Sarr est président CEFDEL/MRLD
Moom Sa Bopp Menël Sa Bopp
REGAIN D'ESPOIR EN CASAMANCE DERRIÈRE LA CANDIDATURE SONKO-DIOMAYE
Privée de liaisons maritimes, rongée par le chômage des jeunes, la Casamance exprime à nouveau sa soif de changement à travers l'affluence aux meetings de Bassirou Diomaye Faye
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 19/03/2024
Alors qu'Ousmane Sonko et son candidat suppléant Bassirou Diomaye Faye enchaînent les rassemblements en Casamance à l'approche de la présidentielle sénégalaise, cette région du sud marquée par des décennies de conflit leur offre un terrain de campagne favorable. De nombreux jeunes Casamançais placent en effet leurs espoirs dans ce tandem qu'ils voient comme le porteur d'un changement attendu de longue date.
C'est du moins l'analyse apportée par un reportage de l'AFP réalisé dans plusieurs localités de la région. A Ziguinchor, ville dont Sonko a été élu maire en 2022, des milliers de personnes se pressent devant la scène où il prend la parole, à l'image de Mourtalla Diouf, un pâtissier de 27 ans pour qui "il est l'homme qui peut tout changer".
La longue rébellion indépendantiste qui a miné la Casamance a renforcé le sentiment de négligence de beaucoup à l'égard de Dakar. Bassirou Diomaye Faye promet de faire des problèmes de développement de la région, vivant de l'agriculture, de la pêche et du tourisme, "une urgence". C'est ce qu'attend Nafissatou Gueye, une commerçante de 49 ans privée de revenus depuis l'arrêt des liaisons maritimes entre Dakar et Ziguinchor.
Pourtant, le président sortant Macky Sall a également œuvré pour la région, selon Seydou Sané, président du comité électoral de sa coalition dans le département. Hôpitaux, routes, ponts et accords de paix sont mis à son actif. Mais pour beaucoup comme Boubacar Diedhou, 23 ans, seul Sonko peut apporter "le travail et le développement" promis.
Si certains reconnaissent comme Moustapha Sy, 30 ans, les progrès accomplis, les espoirs de changement des jeunes Casamançais semblent se tourner majoritairement vers le nouveau départ promis par Sonko et Diomaye.
LES AFRICAINS OBSERVENT, ENTRE ESPOIRS ET DOUTES, LE DUEL BIDEN-TRUMP
Un retour potentiel de Donald Trump à la Maison Blanche suscite des réactions mitigées sur le continent, où son premier mandat n'avait pas démontré un grand intérêt pour l'Afrique
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 19/03/2024
Alors que les élections présidentielles américaines de novembre approchent, de nombreux observateurs africains scrutent avec attention les résultats à venir. Un retour potentiel de Donald Trump à la Maison Blanche suscite en effet des réactions mitigées sur le continent, où son premier mandat n'avait pas démontré un grand intérêt pour l'Afrique.
Selon Christian Moleka, coordinateur national du réseau Dypol de chercheurs en sciences politiques en République démocratique du Congo (RDC), interrogé par l'AFP, "un retour de Trump signifierait une réduction de l'implication américaine dans tout ce qui est multilatéralisme, comme la question du climat, et possiblement une réduction de l'aide au développement". Une administration centrée sur "l'Amérique d'abord" et en rivalité commerciale avec la Chine pourrait également être "moins exigeante avec les gouvernements africains en matière de démocratie et respect des droits humains", ajoute-t-il.
Cette approche conviendrait à certains dirigeants africains lassés des critiques occidentales sur les reculs démocratiques, selon M. Moleka. Kelma Manatouma, professeur de sciences politiques à l'université de N'Djamena au Tchad, estime également qu'un retour de Trump "encouragerait les pouvoirs forts en Afrique" et permettrait aux régimes autoritaires du continent de "renouer ouvertement les liens avec la Russie et la Chine".
Le manque de respect de Donald Trump pour les règles démocratiques dans son propre pays a par ailleurs terni l'image des États-Unis auprès de certains pays africains. C'est le cas en Afrique du Sud, dont le parti au pouvoir s'est moqué des appels à la supervision d'élections américaines, mettant en avant le bilan démocratique du pays. Prétoria entretient également des relations tendues avec Washington sur le conflit israélo-palestinien.
D'autres observateurs s'inquiètent qu'un retour de Donald Trump ne compromette l'aide militaire américaine contre les groupes terroristes en Somalie et dans la Corne de l'Afrique. Le retrait de troupes américaines ordonné par Trump en 2021 avant son départ avait été annulé par Joe Biden. "Cela serait très problématique si Trump revenait sur cette décision", alerte Samira Gaid, consultante sur la Corne de l'Afrique, car l'encadrement américain est essentiel aux forces somaliennes.
Pour Julius Kattah, économiste à l’université du Ghana cité par l'AFP, l'Afrique "pourrait au final regretter" Joe Biden qui a "ravivé les relations avec le continent", contrairement à son prédécesseur qui l'avait "pratiquement abandonné". Une victoire de Donald Trump signifierait un retour à cette politique de désintérêt pour l'Afrique.
par Ndongo Samba Sylla
QUI A PEUR D’UNE MONNAIE NATIONALE POUR LE SÉNÉGAL ?
EXCLUSIF SENEPLUS - La plupart des pays CFA ont soit décliné ou stagné. Rester dans le franc CFA, c’est souscrire une assurance sous-développement. En sortir n’est pas promesse de développement. Tout dépend du modèle économique
Depuis que le candidat à la présidentielle Bassirou Diomaye Faye a évoqué l’idée d’une monnaie nationale, les réactions catastrophistes et démagogiques, typiques de l’esprit françafricain, n’ont cessé de pleuvoir. Beaucoup d’experts autoproclamés et de « gens d’expérience » ont dit des choses - qu’ils ne maîtrisaient pas ou de nature biaisée - dans le seul but de défendre le statu quo économique et monétaire. De mon point de vue, cette proposition courageuse et lucide est salutaire pour le Sénégal compte tenu de son nouveau statut de pays exportateur d’hydrocarbures, du bilan désastreux de la zone franc et de la chimère qu’est le projet de monnaie unique CEDEAO. Nonobstant la tentative de sabotage des présidents Emmanuel Macron et Alassane Ouattara, ce dernier projet revient à dire : voulez-vous du naira comme monnaie unique régionale ? Il ne s’agit pas pour moi de réitérer mon plaidoyer pour une monnaie nationale sénégalaise mais plutôt de répondre à des questions que la plupart de nos compatriotes soucieux de progrès économique pour eux-mêmes et les futures générations ne peuvent manquer de se poser.
Avoir une monnaie nationale est-ce quelque chose d’exceptionnel ?
Non, c’est la norme partout à travers le monde. Tous les pays africains disposent de leur propre monnaie nationale, à l’exception des quatorze pays qui utilisent le franc CFA. Soit un total de 40 pays souverains sur 54. Même s’il est nominalement national, le franc comorien fonctionne comme le franc CFA car il est sous le contrôle du Trésor français.
Les unions monétaires rassemblent des États souverains qui partagent une même devise émise par une banque centrale commune. Elles ont connu leur apogée dans la période coloniale. Il n’en existe que quatre aujourd’hui : le bloc CFA en Afrique de l’ouest ; le bloc CFA en Afrique centrale ; l’Union monétaire des Caraïbes Orientales ; la zone euro. La zone euro est la seule union monétaire en activité qui ait vu le jour dans la période « postcoloniale ». D’ailleurs, selon Benjamin Cohen, la zone euro est une anomalie historique : « Jamais auparavant, dans l’histoire moderne, un groupe d’États totalement indépendants n’a volontairement accepté de remplacer les devises nationales existantes par un type de devise nouvellement créé. »
Au total, c’est moins de 7 % de la population mondiale qui vit dans une union monétaire. Le principe « un État, une monnaie » est donc la norme. Les unions monétaires sont l’exception.
Une monnaie nationale est-elle une démarche aux antipodes du panafricanisme ?
Non. La monnaie étant la créature et l’instrument d’un État, une cohérence s’impose : soit elle est nationale, soit elle est fédérale. La vraie « balkanisation » n’est pas dans la pluralité monétaire, qui est rationnelle tant que la politique économique demeure au niveau national, mais dans l’absence de coordination en matière diplomatique, militaire, industrielle, de vente des matières premières, etc.
Ceux qui pensent que battre monnaie va à l’encontre de l’intégration africaine devraient songer à laisser la politique budgétaire et fiscale de leur pays être décidée par un pays tiers…au nom du « panafricanisme » ! Un État qui n’est pas prêt à se dissoudre dans un ensemble politique plus large, et à renoncer à sa souveraineté fiscale, ne devrait pas se priver de sa monnaie nationale.
En attendant d’avoir un État fédéral régional ou continental, il est possible d’avoir un système de monnaies nationales solidaires, comme l’ont défendu Samir Amin, Joseph Tchundjang Pouemi et Mamadou Diarra.
Pourquoi battre monnaie est-il associé à la souveraineté politique ?
Citons feu l’économiste britannique Wynne Godley qui écrivait en 1992 :
« Le pouvoir d'émettre sa propre monnaie, de faire des tirages sur sa propre banque centrale, est l'élément principal qui définit l'indépendance nationale. Si un pays abandonne ou perd ce pouvoir, il acquiert le statut de collectivité locale ou de colonie. » Wynne Godley, Maastricht and All That, London Review of Books, 1992
La monnaie doit-elle être adossée à quelque chose, à l’or par exemple ?
Depuis le début des années 1970, nous vivons dans un monde de monnaies fiduciaires. Les monnaies existantes ne sont adossées à aucun métal. Leur valeur découle de la puissance des États qui les émettent, et notamment de leur capacité à prélever des impôts et taxes dans leur unité de compte. La notion de « viabilité » d’une monnaie ne fait pas grand sens. Ce qui « garantit » la « viabilité » d’une monnaie est ce qui garantit la viabilité d’un État. Tout État qui s’estime viable sur les plans économique et institutionnel devrait être capable de battre monnaie.
Le Franc CFA est-il une monnaie indépendante ?
Non. C’est une monnaie créée par le ministère français des Finances en 1945 et qui est toujours sous son contrôle. Les banques centrales qui émettent le franc CFA n’ont donc jamais eu d’expérience de gestion d’une monnaie indépendante de l’ancien colonisateur et qui évolue en régime de change flexible.
Même si les officiels français parlent de soixante-quatre ans de « coopération monétaire » (1960-2024) à propos du Franc CFA, ils n’ont jamais appris aux deux banques centrales de la zone franc comment fabriquer elles-mêmes leurs billets de banque et leurs pièces de monnaie. Ce qui se comprend. L’impression des signes monétaires de la zone franc constitue pour la Banque de France « près de la moitié de son plan de charges sur l’avenir », selon un de ses cadres.
La France garantit-elle le Franc CFA ?
On entend souvent dire que c’est la France qui « garantit » le franc CFA. C’est une vue de l’esprit. La « garantie » est une promesse de prêt du Trésor français vis-à-vis des deux banques centrales qui émettent les francs CFA. Or, le système franc CFA est paramétré pour que cette « promesse », cette « garantie », ne soit jamais mise à exécution. Résultat, au lieu que le Trésor français prête des devises aux deux banques centrales, c’est le contraire qui a prévalu de 1960 à 1980 et de 1994 à aujourd’hui. Autrement dit, ce sont les pays africains qui mettent à la disposition du Trésor français une partie de leurs devises à des taux avantageux.
Les pays CFA et leurs élites sont-ils si aliénés au point de ne pouvoir jamais envisager leur indépendance vis-à-vis du Trésor français ?
Oui, jusque-là. Les 14 pays qui utilisent le franc CFA ont une population de plus de 200 millions. Leurs dirigeants, leurs financiers et économistes pour la plupart, ont considéré jusque-là qu’ils sont incapables de faire quoi que ce soit sans le Trésor français qui, pourtant, ne leur apporte rien…sinon une discipline collective qui s’est avérée ruineuse sur le plan économique sur le long terme.
Par contraste, notons que les Seychelles avec 100 mille habitants ont une monnaie nationale qui évolue en régime de change flexible. Leurs taux d’intérêt directeurs sont parmi les plus faibles au monde malgré les nombreux chocs que subit le pays. De 1976 à 2022, les Seychelles n’ont eu une balance commerciale excédentaire qu’une seule fois : en 2003 ! Une expérience à méditer pour ceux qui disent que le Sénégal ne peut pas avoir de monnaie nationale tant qu’il n’aura pas de surplus commerciaux ! En 1960, les Seychelles avaient un revenu réel par habitant trois fois supérieur à celui du Sénégal. En 2022, l’écart est passé de trois à dix.
Le Franc CFA est-il compatible avec la souveraineté nationale ?
Non. La preuve est que le système franc CFA peut être utilisé par la France et ses alliés africains pour asphyxier financièrement les gouvernements dissidents, en leur privant l’accès à leurs comptes auprès de la banque centrale et au marché financier régional. En 2011, la Côte d’Ivoire, sous Laurent Gbagbo, a été victime de ces mesures illégales tout comme le Mali, sous Assimi Goïta, en 2022 et le Niger depuis juillet 2023. Ce type de sanction est impossible à mettre en œuvre dans les pays qui disposent de leur monnaie nationale.
Instrument de protection des intérêts français, le franc CFA est donc également un outil de répression contre les dirigeants qui ne se plient pas à la discipline françafricaine.
Le Franc CFA a-t-il facilité le commerce entre ses pays membres ?
La réponse est non. Entre 1995 et 2021, les échanges au sein la CEMAC sont de l’ordre de 1,5 % du commerce extérieur des pays membres malgré le partage d’une même monnaie depuis 1945. Le commerce intra-zone est plus élevé en zone UEMOA (13,6% sur la même période), du fait notamment des spécialisations économiques différentes et de la dépendance des pays enclavés vis-à-vis des pays côtiers.
Le Franc CFA est-il surévalué ?
Oui. Le franc CFA est né surévalué, c’est-à-dire sa valeur externe ne se justifie pas au regard des caractéristiques économiques des pays qui l’utilisent. Cette surévaluation est chronique. Dans le tome 3 de son histoire de l’UMOA, page 47, la BCEAO note que le franc CFA a été surévalué dans tous les pays membres selon des proportions variables entre la fin des années 1960 et 1994. Ce qui, selon son propre constat, a « fortement entamé la compétitivité de la zone dans la mesure où les coûts de production restaient élevés ».
Une monnaie surévaluée agit comme une subvention pour les importations et comme une taxe sur les exportations. Ali Zafar, ancien économiste de la Banque Mondiale, dans un récent ouvrage, montre que le franc CFA demeure encore largement surévalué. Utiliser le franc CFA, selon lui, c’est comme courir un marathon avec un frigo sur le dos.
Les déficits commerciaux chroniques des pays de l’UEMOA ont donc partie liée avec le système CFA qui pénalise leur compétitivité et les prive de financements, tout ceci au nom de la défense de la parité vis-à-vis de l’euro.
Le Franc CFA a-t-il favorisé l’attractivité économique des pays qui l’utilisent ?
Non. Jusqu’en 2018, le Ghana, dont la monnaie, le cedi, est réputée moins stable que le franc CFA, a enregistré un stock d’investissements directs étrangers (IDE) entrants supérieur à celui de tous les pays de l’UEMOA réunis. En Afrique centrale, en termes de stock d’IDE entrants, le Congo est le seul pays de la zone franc plus « attractif » que la République démocratique du Congo dont la monnaie est dollarisée.
Toutefois, les pays CFA font souvent face à des taux d’intérêt moins élevés sur les marchés financiers internationaux comparés à la plupart de leurs homologues. Cet avantage apparent pose problème : pourquoi ces pays qui se sont surendettés dans les années 1980 au point de forcer en 1994 une dévaluation – évitable si la France avait activé sa « garantie » – sont si prompts à se réendetter en monnaie étrangère ? En fait, dans le cas de l’UEMOA, tous les pays membres sauf la Côte d’Ivoire, pour certaines années, ont des balances commerciales et des balances courantes déficitaires : ils perdent des devises. Cette situation ne peut durablement coexister avec un régime de parité fixe immuable qu’à la condition de mettre le frein sur le crédit intérieur et de renforcer la dépendance financière vis-à-vis de l’extérieur (s’endetter en monnaie étrangère et attirer vaille que vaille l’investissement direct étranger).
Les deux blocs franc CFA sont-ils des « zones monétaires optimales » ?
La littérature sur les « zones monétaires optimales » s’intéresse aux conditions idéales qui font de l’unification monétaire une alternative plus avantageuse au plan microéconomique (réduction des coûts de transaction) que l’usage de monnaies nationales. Aucune étude ne montre que les deux blocs CFA répondent chacun à la définition d’une zone monétaire optimale. Comme l’expliquent les économistes Christina Laskaridis et Jan Toporowski, « la plupart des auteurs qui [ont étudié cette question] concluent que la zone franc ne peut être évaluée en termes de zone monétaire optimale [...] Les raisons de la création et de la pérennité de la zone franc s'expliquent plus adéquatement par des motifs politiques que par des motifs économiques ».
Autrement dit, l’UEMOA et la CEMAC n’ont pas de justification économique. C’est la politique (la « Françafrique) qui explique leur survivance.
Rappelons que la zone franc (en réalité « zone du franc français ») a été créée pour permettre à la France de s’ajuster dans un monde dominé par le « privilège exorbitant » du dollar américain.
Le paradoxe, et ce n’est pas l’un des moindres : bien que les pays de l’UEMOA fassent déjà partie d’une zone monétaire, ils ont jusque-là échoué à remplir collectivement les critères pour faire partie de la zone monétaire entrevue par la CEDEAO !
Le Franc CFA a-t-il permis une « stabilité monétaire » ?
Oui. C’est là l’argument majeur des partisans du franc CFA qui auraient connu une dépréciation de sa valeur externe et interne plus limitée que la plupart des pays africains. Ceci est une conséquence de l’arrimage à l’euro. L’escudo cap-verdien arrimé à l’euro a donné des résultats similaires sur ce point précis. Les pays CFA n’ont donc aucun mérite pour cela. Le Franc CFA, c’est de l’euro déguisé. C’est pourquoi il est logiquement « prisé » des pays voisins. Il est même ridicule de se vanter de cet état de fait. Selon les données de la Banque mondiale, entre 1996 et 2019, le Sénégal a eu un en moyenne annuelle un taux d’inflation (mesuré par l’indice des prix à la consommation) de 1,3%, le même que la France. À l’échelle mondiale, le Sénégal n’a été « devancé » que par le Japon, pays dans une situation de léthargie économique depuis les années 1990. La plupart des pays dynamiques comme la Chine, la Corée du Sud, la Malaisie, le Brésil, etc. ont connu des taux d’inflation supérieurs à celui du Sénégal. Qui peut croire que cette « exception sénégalaise » est due à une quelconque maîtrise économique ? Un ami économiste espagnol a l’habitude de dire que les pays CFA utilisent l’euro mais sans être invités à la table au niveau de la Banque centrale européenne.
Peter Doyle, ancien économiste du FMI, a donné l’exemple de l’Eswatini (ex-Swaziland) qui a un taux de change fixe avec la monnaie sudafricaine. Dans les années 1960, l’Eswatini avait environ le même niveau de revenu réel par habitant que le trio Niger, Burkina Faso et Mali. 50 ans plus tard, l’Eswatini, avec des taux d’inflation comparativement plus élevés, a enregistré un niveau de réel par habitant cinq fois supérieur.
Le Franc CFA a-t-il favorisé le développement économique ?
Non. La Côte d’Ivoire est le pays le plus grand par la taille économique dans la zone franc. Selon les indicateurs de la Banque mondiale, son meilleur niveau de PIB réel par habitant remonte à 1978, niveau qui n’a toujours pas été « rattrapé ». Les sept autres pays de l’UEMOA sont classés parmi les Pays les Moins Avancés (PMA), catégorie créée dans les années 1970. Le Sénégal a rejoint cette catégorie en 2000 et n’en est toujours pas sorti. En effet, c’est en 2014 que le Sénégal a retrouvé son meilleur niveau de PIB réel par habitant qui date de 1961. Quant au Niger, son PIB réel par habitant de 2022 est inférieur de 37% à son meilleur niveau qui date de 1965 ! La Guinée-Bissau, ex-colonie portugaise a obtenu son meilleur niveau de PIB réel par habitant en 1997, année de son entrée dans l’UEMOA. Depuis lors, son appauvrissement a été le prix à payer pour mettre fin à son record impressionnant d’instabilité macroéconomique et politique !
En Afrique centrale, le Gabon a actuellement un niveau de PIB réel par habitant inférieur de presque de moitié à son meilleur niveau qui date de 1976. Le Cameroun n’a pas encore « retrouvé » son meilleur niveau de PIB réel par habitant qui remonte à 1986. La Guinée équatoriale, petit pays pétrolier, qui a connu des taux de croissance économique monstrueux à la fin des années 1990 jusqu’au milieu des années 2000 a vu son revenu réel par habitant diminuer de 59 % entre 2008 et 2018, alors que le pays n’est pas en guerre ou sous sanction…mais, par contre, utilise une monnaie arrimée à l’euro : le franc CFA.
Y a-t-il des pays pétroliers qui ont fixé leur monnaie à l’euro ?
Le FMI publie chaque année la classification des régimes de change et des cadres de politique monétaire à travers le monde. On constate que les seuls pays pétroliers et gaziers au monde à avoir fixé leur monnaie uniquement à l’euro sont les pays CFA. Ce « choix » qui défie le bon sens économique et qui est contraire aux intérêts de ces pays s’explique par des raisons politiques – la France a toujours voulu avoir un contrôle sur ses ex-colonies et avoir la possibilité d’acheter leurs ressources dans sa monnaie dans un monde dominé par le dollar américain. La conséquence, notamment pour les pays pétroliers en Afrique centrale, est la création de rentes pour le secteur financier français : ces pays sont dans l’obligation de convertir en euro la moitié de leurs réserves officielles de change et de les déposer auprès du Trésor français…alors que l’essentiel de leur commerce extérieur est libellé en dollar.
L’erreur qui est souvent commise est de considérer uniquement la destination géographique des échanges extérieurs et d’ignorer la monnaie dans laquelle ils sont facturés. Dans le cas du Sénégal et de ses homologues de l’UEMOA, la zone euro n’est pas la première destination à l’exportation mais la principale source d’approvisionnement. Ce qui s’explique : l’arrimage à l’euro fonctionne comme une « préférence commerciale » pour les produits européens et empêche le taux de change de jouer son rôle d’amortisseur des chocs.
Dans tous les cas, plus de 75 % du commerce extérieur de ses pays se passe dans des devises autres que l’euro et cette tendance va s’accentuer avec l’exploitation d’hydrocarbures dans des pays comme le Sénégal et le Niger.
La parité fixe à l’euro est un legs colonial. C’est la contrepartie de l’inexistante « garantie » française, soit un moyen pour Paris de continuer à avoir son mot à dire dans les affaires économiques, monétaires et politiques de ses anciennes colonies.
Est-il possible de se développer avec le Franc CFA ?
Jusque-là, la réponse est négative. Sur le long terme, la plupart des pays CFA ont soit décliné ou stagné sur le plan économique. La surévaluation du franc CFA, la rigidité de la parité fixe, les saignées financières que subissent ces pays et l’absence de financements adéquats sont autant de handicaps à déplorer. Un exemple édifiant est le suivant : au Sénégal, le secteur primaire – agriculture, élevage, pêche - qui occupe une proportion significative de la population active ne reçoit annuellement au titre des crédits bancaires de plus d’un an que 24-25 milliards de francs CFA. Oui, 24 et 25 milliards francs CFA. À titre de comparaison, les prêts que la BCEAO accorde à son personnel (plus de 3000 personnes) ont baissé en 2022 pour atteindre un peu moins de 43 milliards de francs CFA.
Epilogue….
Bref, rester dans le franc CFA c’est souscrire une assurance sous-développement (d’autant plus qu’on ne connaît pas de pays du Sud qui se soit développé en restant dans une union monétaire non fédéraliste et de surcroît contrôlée par l’ex-puissance coloniale). En sortir n’est pas promesse de développement. Tout dépend du modèle économique, comme les deux plus grands économistes africains à avoir réfléchi sur ces questions, Samir Amin et Joseph Tchundjang Pouemi, n’ont eu de cesse de le dire en leur temps.
Le propos est déjà long. Beaucoup d’autres choses pourraient être dites, notamment sur l’impossibilité d’une politique financière cohérente dans le cadre de la zone franc et la responsabilité du système monétaire et financier vis-à-vis du lancinant problème du chômage. Au fond, qu’est-ce que le chômage ? Si l’on part de l’idée qu’il décrit la situation de personnes désireuses de louer leurs services de travail en échange de la monnaie émise par l’État, on comprend dès lors que quand la masse monétaire est artificiellement restreinte pour défendre une parité fixe…on crée nécessairement du chômage. Comme l’écrit l’économiste américain Randall Wray :
"Il existe de solides arguments éthiques contre l'utilisation de la pauvreté et du chômage comme principaux outils politiques pour atteindre la stabilité des prix et des taux de change - d'autant plus que les coûts de la pauvreté et du chômage ne sont pas répartis de manière égale au sein de la population. Et même si la stabilité des prix et de la monnaie est désirable, il est douteux que l'on puisse le défendre comme un droit humain au même titre que le droit au travail."
Comme on le dit souvent, on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. De la même manière, on ne peut libérer un esclave satisfait de sa servitude sucrée.
LE SÉNÉGAL DE MACKY SALL ENTRE LUMIÈRES ET OMBRES
Il a transformé le visage de Dakar et construit une nouvelle ville. Pourtant, de nombreux Sénégalais estiment être exclus du progrès. Alors que Macky Sall s'apprête à céder sa place, son action laisse un goût d'inachevé
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 18/03/2024
Douze ans après son accession à la magistrature suprême, Macky Sall laisse derrière lui un Sénégal transformé sur le plan des infrastructures mais aux profondes fractures sociales et démocratiques, selon les analystes interrogés par l'AFP. Alors qu'il s'apprête à quitter le pouvoir fin mars à l'issue de l'élection présidentielle, retour sur son bilan contrasté.
Sur les nombreux chantiers qui maillent désormais Dakar, la capitale méconnaissable, travaille Ismaïla Bâ, peintre en bâtiment de 36 ans. Pourtant, il se sent exclu du changement opéré sous la présidence Sall. "Je gagne à peine 9 euros par jour. Il m'est impossible d'envisager d'habiter dans ces nouveaux immeubles", déplore-t-il. Locataire avec sa famille dans le populaire quartier de Ouakam, il doit déjà s'acquitter de 122 euros mensuels de loyer, somme que son propriétaire menace d'augmenter. Pour arrondir ses fins de mois, il vend aussi du café et pratique la coiffure. Comme lui, de nombreux Sénégalais estiment être laissés pour compte de la croissance, profitant avant tout à une minorité bien nantie.
Pourtant, impossible de nier l'ampleur des chantiers menés sous Macky Sall. "Le pays dont j'ai hérité était véritablement vétuste" a-t-il déclaré, revendiquant une "transformation structurelle" du Sénégal. Il peut se targuer d'infrastructures majeures comme la nouvelle ville de Diamniadio, le train express régional, de nouveaux aéroports, autoroutes ou hôpitaux. Ces réalisations lui "permettent d'entrer dans l'histoire du Sénégal", concède le philosophe Souleymane Bachir Diagne sur RFI.
Pour autant, un Sénégalais sur trois vit toujours sous le seuil de pauvreté selon l'Agence nationale de la statistique (ANSD), soit 37,8% de la population. Bien que cette proportion ait diminué de 5 points depuis 2011, les inégalités sociales restent criantes. L'économiste Cheikh Bamba Diagne accuse le président d'"oublier la qualité de vie" au profit des seules infrastructures. Le chômage dépasse les 20% quand l'inflation atteint des sommets. Et pour relever ces défis économiques et sociaux, le déficit et la dette publique ont flambé. Cette dernière représente désormais 69,4% du PIB contre seulement 40% en 2012.
Sur le plan politique, Macky Sall laisse également un héritage controversé. Ces trois dernières années ont été marquées par une forte contestation populaire, réprimée dans le sang, et des dizaines de morts selon les ONG. Le report in extremis de l'élection présidentielle n'a fait qu'accroître la défiance envers le pouvoir. L'intellectuel Felwine Sarr dénonçait déjà dans Jeune Afrique les "procédés de fermeture de l'espace public" inhérents à sa gouvernance. Certains lui reprochent aujourd'hui une "dérive autoritaire", à l'image du slogan "Macky Sall dictateur" scandé dans la rue.
Malgré sa volonté affichée de transformer le Sénégal, force est de constater que le bilan économique, social et démocratique de Macky Sall, qui quittera le pouvoir en mars, demeure ambigu. Si les infrastructures ont changé le visage du pays, les fractures sociales et politiques peinent à se résorber. Son héritage préoccupe aussi bien les partisans d'un renforcement de l'État que les défenseurs d'une démocratie apaisée.
LES INVESTISSEURS SOUS TENSION AVANT LA PRÉSIDENTIELLE
Le pays a obtenu 1,9 milliard de dollars de financement du FMI en octobre, une aide perçue comme une force de stabilité pour les finances. Mais les appels du camp Sonko à créer une nouvelle monnaie nationale et renégocier les contrats miniers inquiètent
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 18/03/2024
Les investisseurs internationaux observeront attentivement l'élection présidentielle au Sénégal, prévue le 24 mars, après les reports qui ont provoqué de vastes protestations dans le pays. Le Sénégal, habituellement l'une des démocraties les plus stables d'Afrique de l'Ouest souvent secouée par les coups d'État, a été agité par les tensions depuis début février, lorsque le président Macky Sall a tenté de reporter le scrutin qui était initialement prévu le 25 février de 10 mois, soulevant des craintes de recul démocratique.
Selon une analyse de l'agence Reuters, plusieurs éléments préoccupent les investisseurs :
Au niveau financier, le Sénégal a environ 4,2 milliards de dollars d'obligations internationales en circulation, dont deux émises en euros et trois en dollars américains. Pour les investisseurs détenant ces obligations, l'attention actuelle se porte sur le déroulement pacifique et équitable du scrutin présidentiel. "Le marché scrutera de près pour s'assurer que les électeurs pourront s'exprimer lors d'un vote crédible", a déclaré Yvette Babb, gestionnaire de portefeuille chez William Blair Investment Management, citée par Reuters.
Sur le plan économique, le Sénégal est généralement considéré comme un environnement favorable aux affaires, avec de bonnes perspectives de croissance grâce à des projets gaziers devant démarrer cette année, projets qui devraient faire bondir le PIB à deux chiffres d'ici 2025 selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI). Le pays a obtenu 1,9 milliard de dollars de financement du FMI en octobre, une aide perçue comme une force de stabilité pour les finances publiques. L'arrimage du franc CFA à l'euro est également vu comme un atout pour contenir l'inflation.
Cependant, certains candidats populistes comme Ousmane Sonko pourraient remettre en question ces orientations. Ses appels à créer une nouvelle monnaie nationale et renégocier les contrats miniers et énergétiques inquiètent. Alors que les sondages officiels font défaut, son candidat Bassirou Diomaye Faye est perçu comme un sérieux challenger au président sortant Macky Sall. "Les populations demandent pourquoi l'investissement ne change pas leur vie", analyse Mucahid Durmaz, expert Afrique de l'Ouest chez Verisk Maplecroft, également cité par Reuters.
par Nioxor Tine
DE LA PREMIÈRE ALTERNANCE À LA FIN DU SYSTÈME
Le tollé suscité par le report de la présidentielle traduit l'exaspération de la population face aux dérives antidémocratiques du pouvoir. Derrière les manœuvres électorales, c'est la fin annoncée d'un régime oppressif qui se joue
Habituellement, l’élection présidentielle sénégalaise se tient le dernier dimanche du mois de février de la dernière année du mandat en cours. Cette année, elle va finalement se tenir avec quatre semaines de retard, après moult rebondissements liés à la volonté farouche du président sortant de différer la tenue du scrutin. Cela traduit-il une peur panique face au crépuscule du système d’oppression néocolonial déjà malmené dans les pays frères voisins ?
Si cette volonté de report injustifié a suscité un immense tollé au niveau international, elle a buté sur une désapprobation massive dans notre pays, même si elle n’a finalement été considérée que comme la goutte d’eau qui a fait déborder le vase des violations itératives des normes et principes démocratiques.
Pourtant, les Assises nationales de 2008-2009, dans un remarquable exercice de prospective politique aux conclusions desquelles, le président Macky Sall avait fini par – ou fait semblant de – souscrire, avaient indiqué, entre autres pistes de solution, la refondation institutionnelle, l’émergence citoyenne et l’obtention / parachèvement de nos souverainetés politique, économique et monétaire.
Paradoxalement, depuis le début de la deuxième alternance, une lourde chape de plomb s’est abattue sur notre pays instaurant un autoritarisme pesant sur la vie publique en général et la scène politique, en particulier, tentant de faire tourner la roue de l’Histoire à l’envers et de nous ramener à l’ère de la glaciation senghorienne (voire à celle de la sujétion coloniale).
On en est ainsi arrivé à un stade où des mesures antidémocratiques extrêmes ont eu droit de cité. Il s’agit, notamment de l’interdiction pour les partis politiques de l’opposition d’accéder à leurs sièges pour y tenir leurs réunions ordinaires, de la dissuasion de manifestations par des rafles systématiques de passants dans la rue, d’arrestations arbitraires de supposés militants de l’opposition dans leurs domiciles, de la dissolution du Pastef, 60 ans après celle du PAI….
Si cette stratégie d’asservissement du citoyen a pu prospérer, c’est parce que le régime du Benno-APR a procédé à une instrumentalisation des institutions et à une criminalisation de l’activité politique, avec comme point culminant, la cabale contre le leader du Pastef identifié comme un des principaux obstacles à la perpétuation du système néocolonial. Des lois ont été perverties, de telle manière que les infractions relatives au terrorisme ont été rendues vagues et floues, pour en élargir l’acception, notamment l’article 279-1, assimilant à des actes terroristes, les violences ou voies de fait commises contre les personnes et des destructions ou dégradations commises lors des rassemblements. Il y a aussi eu les infractions liées aux technologies de l’information et de la communication. Cette législation liberticide sera corsée, au lendemain des émeutes ayant trait à l’affaire Ousmane Sonko – Adji Sarr. Au vu de ces rappels, on appréhende mieux cette obsession du pouvoir apériste à susciter et à entretenir une atmosphère de tension avec une interdiction systématique des manifestations doublée d’un déploiement massif et irréfléchi des forces de l’ordre suivi d’usage abusif de la force. C’est par ces prétextes et provocations, qu’on a embastillé, sans aucune enquête digne de ce nom, des milliers de jeunes gens présumés innocents, sans désigner un quelconque coupable pour tous ces crimes apparentés à des actes terroristes.
Force est de reconnaître, que face à cette réduction sans précédent des espaces civiques, les capacités de revendication, de protestation et d’indignation ont également diminué, avec une propension de larges secteurs de la société civile et de la presse à jouer à l’équilibrisme, se tenant à équidistance entre le bourreau et la victime. C’est donc dans une indifférence quasi-générale, que le régime du Benno-APR a reconduit, comme en 2019, le système inique du parrainage citoyen ainsi que l’éviction judiciaire de concurrents politiques et dénaturé notre processus électoral.
Adossé aux appareils sécuritaire et judiciaire et brandissant l’épouvantail d’un prétendu terrorisme salafiste, le président Macky Sall et les pontes du Benno-APR ont cru pouvoir prendre des raccourcis et s’exonérer de leurs tâches politiques dans un pays aux solides traditions démocratiques.
C’est ce qui explique cette monumentale bévue politique consistant à vouloir prolonger indûment un mandat arrivé à terme, sanctionnée par deux désaveux cinglants du juge électoral suprême qu’est le conseil constitutionnel. On assiste, depuis lors, à un repli désordonné de la coaltion Benno-APR, dont le patron s’est mué en « chantre de la réconciliation nationale », initiateur d’une « généreuse amnistie » votée le 6 mars 2024, avec une célérité, qui interroge sur l’unilatéralité du mode de prise de décision au plus haut sommet de l’Etat, qu’une certaine gauche fait semblant de ne découvrir que maintenant.
En réalité, le président actuel, écarté bien malgré lui, des prochaines joutes électorales par la limitation des mandats et échaudé par les exemples mauritanien et angolais, est en train d’assurer ses arrières. Mais il feint d’ignorer, qu’en garantissant l’impunité à ses collaborateurs zélés, surtout ceux coupables de graves et multiples violations des droits humains, il commet un affront à l’endroit des familles des victimes.
Électoralement et sociologiquement minoritaire, le Benno-APR, son candidat milliardaire et leurs affidés libéraux, socio-démocrates et ex-communistes ne sont plus en mesure de s’opposer à la profonde aspiration populaire au changement et à l’alternative politique tant attendue.