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21 novembre 2024
LEOPOLD SENGHOR
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LA FIN DU CYCLE SENGHORIEN
En chassant le régime sortant, les Sénégalais ont également rejeté un modèle politique vieux de 64 ans selon Mamadou Diouf. Pour l'universitaire, cette élection est une "révolution" qui doit mener à la refondation d'une société minée par la gabegie
Invité exceptionnelle sur le plateau d'ITV samedi 6 avril 2024 après la victoire surprise de Bassirou Dioum Faye à la présidentielle, l'historien Mamadou Diouf, professeur à l'université prestigieuse de Columbia, a livré une analyse percutante. Selon lui, cette élection marque ni plus ni moins que la fin du "cycle senghorien", ce système politique vieux de 64 ans hérité de l'époque coloniale.
Pour Diouf, ce "modèle islamo-wolof" instauré sous Senghor reposait sur un contrat social entre la classe politique, les chefs religieux et les détenteurs de légitimités traditionnelles. Un système stable permettant d'éviter les coups d'État, mais qui atteignait désormais ses limites, incapable de s'adapter aux nouvelles aspirations de la société.
"Les Sénégalais ne se battaient pas contre une personne, mais pour le respect de leur Constitution", a insisté le professeur, voyant dans la contestation du 3e mandat la première brèche dans l'ancien système.
Avec la mobilisation populaire inédite et la victoire surprise du candidat anti-système Bassirou Dioum Faye, c'est donc un véritable tournant historique que le Sénégal vient de négocier. "Le cycle senghorien s'est clôturé", a tranché Diouf.
Pour l'universitaire, le nouveau président fait face à un mandat clair : répondre aux aspirations de la jeunesse qui a été le moteur du changement, en opérant une « refondation morale » de la société. Finie la gabegie des élites, place à une nouvelle gouvernance au service du bien commun selon Diouf.
L'historien préconise d'ailleurs des réformes de rupture comme la réduction du nombre de députés, la création d'un fonds pétrolier cogéré ou encore l'éradication du phénomène des talibés.
Une révolution à accompagner S'il se montre optimiste sur les capacités de mobilisation des Sénégalais, Diouf a également appelé sa génération à "accompagner les jeunes, mais dans un rôle invisible". Une nouvelle page s'ouvre pour le Sénégal, celle d'une nation qui semble décidée à rompre avec les vieux démons de son passé.
PAR Gaston Kelman et Jemal M Taleb
LE SÉNÉGAL DE SENGHOR À SONKO, UNE GESTION PARADOXALE DE L'ÈRE POSTCOLONIALE
Nous assistons à l’ouverture de la troisième République, celle de la renaissance, mais surtout de la fierté d’être africain avec ou sans l’onction de l’ancien maître. On survivra sans le dessert. Et l’on retrouve ici comme la réhabilitation de Mamadou Dia
Gaston Kelman et Jemal M Taleb |
Publication 07/04/2024
Le Sénégal ne laisse aucun Africain indifférent parce qu’il s’est toujours présenté comme un modèle unique. Unique, il l’a été dans l’approche mémorielle de l’histoire de l’Afrique. En effet, avec la porte de non-retour de l’île de Gorée, on a le mémorial qui a su imposer à tous les présidents américains de s’incliner devant le drame de la traite négrière. On se serait attendu à ce que chaque côte africaine ait le sien. Le Sénégal l’a fait. L’honneur est sauf. Un jour peut-être… Un jour qui sait… Les autres comprendront que les âmes des déportés attendent cela de nous pour devenir respectables au pays des ombres. Après le mémorial pour l’histoire, la bien nommée Statue de la Renaissance dont l’espérance de vie est plus que millénaire, pointe le doigt vers un avenir radieux et offre au continent qui en manque cruellement, une trace de notre génération pour la postérité.
Mais le Sénégal est aussi unique dans sa gestion paradoxale de l’ère postcoloniale, mélange d’une aliénation outrancière à l’Occident et du plus bel espoir de changement. En effet, la gouvernance des nations africaines postcoloniales s’inscrit sur quelques axes majeurs. Les frontières entre ces axes ne sont pas étanches. Nous allons nous contenter d’en illustrer trois ici, parce qu’ils comportent des des éléments assez forts non perceptibles à première vue. Tous ces axes sont des suites bien logiques d’une histoire unique, celle de l’Afrique et de l’Afrique francophone en particulier, faite de violence, de soumission, d’humiliation, d’aliénation, de traumatisme. Il y a au cœur de tout cela, cette difficulté de la France à comprendre que le monde évolue, même l’Afrique. Puis on voit poindre quelque chose comme une aube nouvelle au pays des énigmatique Signares.
Premier axe : le temps des coups d’état.
Le coup d’état est un mode assez répandu d’accès au pouvoir en Afrique. C’était le modèle le plus logique. Le colon avait fait signer des accords iniques par des dirigeants dont il avait organisé l’accession au pouvoir. Si quelqu’un ne correspondait pas ou plus à son modèle, il le faisait déposer par un plus docile. Tenus par la peur, les dirigeants espéraient ne pas devoir assister à la destruction programmée de leur pays comme ce fut le cas pour la Guinée, parce que Sékou Touré avait osé dire non au plan unilatéral de la France sur son pays.
Un autre aspect justifiait le coup d’état. Le colon a usé de la violence comme seul modèle d’exercice de pouvoir sur les indigènes. Le gouverneur venu d’un pays démocratique n’était pas élu par ceux qu’il dirigeait. Il leur était imposé par la force et exerçait cette force sur eux comme unique outil de gouvernance. C’est donc le seul modèle de dévolution et de conservation de pouvoir que le dirigeant africain connaissait.
Il convient de noter que le coup d’état n’est pas mort. Il reprend même de la vigueur. Pourtant, le concept a très fortement évolué. Jadis, c’est l’Occident qui fomentait des coups d’état pour mettre des dirigeants à sa solde. Il n’a d’ailleurs pas abandonné cet axe. Mais aujourd’hui, les coups d’état sont aussi organisés localement pour déposer les dirigeants que l’on juge trop à la solde de l’Occident.
Deuxième axe : la tentation dynastique.
Il y a quelques années, le coauteur de ce texte, Gaston Kelman, publiait un article intitulé « La tentation dynastique ». Il soutenait que c’était le modèle de gouvernance le plus conforme aux aspirations des humains. C’est celui dont on trouve la trace dans tous les peuples non acéphales. En Occident, il était déjà en cours pendant la période de barbarie médiévale. On le retrouve à la renaissance et il assure le développement de l’Occident. La démocratie inventée cinq siècles avant l’ère chrétienne ne séduit personne et n’a absolument pas ébranlé ce modèle qui allait de pair avec la monarchie. C’est quand il a achevé son développement avec ce système aux contours clairs – je suis le chef et je lègue le pouvoir à mon fils – que l’Occident a mis en place ce fourre-tout qui a pour nom « démocratie » dont on ne trouve pas une application identique dans deux pays. Ici, on a recours à la votation-référendum, ailleurs la démocratie est dite représentative, avec une élection par les individus ou par les grands électeurs, au scrutin uninominal ou de type proportionnelle, elle même totale ou partielle. Et après avoir démocratiquement élu ses représentants, le peuple est obligé de descendre dans la rue tous les jours pour se faire entendre, pour faire respecter ses droits, parce que quelques lobbies n’en font qu’à leur tête et se paient la sienne.
La tentation dynastique est logique dans les nations en construction comme les nations africaines ou les… Etats-Unis d’Amérique. Qui peut imaginer que Georges W. Bush aurait été président si son père ne l’avait été avant lui ! Hilary Clinton aurait-elle rêvé de la Maison blanche si elle ne l’avait connue à travers son Bill ! On sait que Barack Obama y a pensé – et peut-être y pense encore – pour sa Michelle et que les Kennedy un instant ont été convaincus qu’ils allaient se céder le bail les uns après les autres, par ordre d’aînesse sur plusieurs générations. En Occident et en France en particulier, les présidents de la république créent souvent une véritable cour familiale autour d’eux.
Fort logiquement, le modèle dynastique a le vent en poupe en Afrique. Il ne s’agit point d’approuver ou de désapprouver. Personne ne se félicitait des coups d’état. Ils étaient logiques parce que le dominant ne voulait pas lâcher le dominé. Le modèle dynastique qui s’insinue dans le paysage africain charrie toute la panoplie de personnages qui va avec, le dauphin, le régent et même Brutus. Parfois elle prend des formes qui pourraient échapper aux statistiques. Sur une vieille photo en noir et blanc des années 1960/1970 (à voir en illustration 2), on voit divers personnages. Ce qui les caractérise, c’est qu’ils ont tous exercé le pouvoir suprême et continuent à se léguer le palais présidentiel. Il y a la Jomo Kenyatta, premier président du Kenya (1964/1978) qui tient un gamin de cinq ans par la main. On y voit Daniel Arap Moï qui sera le deuxième président (1978/2002) et Mwaï Kibaki (2002/2013) qui sera le troisième. L’enfant que Jomo tient en main, c’est son fils Uhuru, qui avait été élu en 2013.
Point n’est besoin de faire l’inventaire de la situation actuelle. Les cas sont nombreux. On a – ou on a eu – au pouvoir des régences, des Brutus et des dauphins. Il paraît que le président camerounais, un modèle assez exceptionnel de longévité, caresserait le rêve – ou y serait poussé par la courtisanerie – de voir son fils Franck lui succéder.
L’axe majeur : les nervis de l’Occident et de la France en particulier.
L’Afrique est secouée par des mouvements de révolte. On a l’impression d’assister au deuxième acte des indépendances. Ces mouvements sont-ils identiques partout ? Ce qui est certain, ils sont tous placés sous un commun dénominateur, le sentiment anti français. C’est ce bel euphémisme qu’ont choisi les médias hexagonaux. Mais hélas, la situation est bien plus explosive, beaucoup plus préoccupante qu’un pâle sentiment. Il s’agit de la haine suscitée et entretenue par l’arrogance des gouvernants français, leur autisme face aux évolutions en Afrique. Cette situation est décriée même par certains élus et inconditionnels de la France. Cette situation a créé un sentiment de ras-le-bol qui frise l’asphyxie au sein de la jeunesse.
Il existe sur le continent des dirigeants que l’on considère à la solde de la France. Ils seraient plus là pour les intérêts du maître que pour le développement de leur pays. Ce sentiment a été renforcé récemment par le soutien que ces dirigeants on apporté à l’Eco, cette monnaie que l’on a proposé pour remplacer le CFA.
La colère a franchi un cran avec la levée de bouclier de la CEDAO contre le coup d’état au Niger. La lecture que le continent a fait de la position de la CDEAO était qu’elle obéissait à la France qui gigotait dans des positionnements ubuesques, d’un comique troupier. Certains de ces présidents vont jusqu’à dire qu’ils doivent tout à la France et que leurs pays vivent sous perfusion grâce à l’aide au développement. L’obstination de la France à s’appuyer sur ces nervis, plutôt que de concevoir un autre système de relations avec l’Afrique, voilà le carburant du ressentiment de la jeunesse africaine. Et parmi cette jeunesse, on compte le nouveau pouvoir du Sénégal.
Le Sénégal, un cas à part.
Puis il y a le Sénégal qui apparaît au départ comme la terre de l’aliénation et de l’adaptation simiesque au modèle occidental, et français en particulier. Paradoxalement au fil de l’évolution de la gouvernance de ce pays, on observe un mouvement ascendant, comme irrésistible, espoir de désaliénation. Avec l’avènement du nouveau pouvoir, nous avons réparti l’ère post coloniale du Sénégal en trois républiques.
1. Senghor et la république de l’aliénation.
Qu’est-ce qui a pu pousser ce Sérère dans cet inattendu degré d’aliénation pour un intellectuel ! En effet, l’on conçoit fort bien que le traumatisme de l’impérialisme pousse le dominé à se croire inférieur. Mais dans toutes les situations, l’essence de l’intellectuel est de prêcher la libération, ce bien vers lequel aspire tout individu. Et du temps de la lutte pour la libération, on n’imaginait pas un intellectuel digne de ce nom qui ne soit pas « engagé ». L’engagement était le signe distinctif de l’intellectuel colonisé et toutes les dissertations de français tournaient autour de ce thème.
Des compagnons de route de Senghor qui ont connu la même histoire (Mamadou Dia le colonisé) ou même des situations plus complexes (Césaire, descendant d’esclave et colonisé) ont eu des discours plus libres, plus engagés. On n’oubliera pas Le discours sur le colonialisme de Césaire et son cri selon lequel, le malheur de l’Afrique c’est d’avoir rencontré la France. On n’oubliera pas non plus le Cahier d’un retour au pays natal, véritable manifeste de la libération et de la grandeur future de l’Afrique qu’il voit « multiple et une, verticale dans sa tumultueuse péripétie, avec ses bourrelets et ses nodules, un peu à part, mais à portée du siècle comme un cœur de réserve ».
Senghor ne voit l’Afrique que sous la tutelle de la France. Il est dans une allégeance assumée, revendiquée, professée. Il veut y embarquer le Sénégal et toute l’Afrique qui pour lui est «attachée à la France par le nombril». Le plaidoyer du premier président par rapport à la langue française est tout simplement inqualifiable. Le Français, cet outil merveilleux qu’il aurait trouvé dans les décombres du colonialisme, il voudrait l’ériger en trésor africain, dont les langues maternelles occuperaient désormais la même place que le basque ou l’occitan. La fascination de Senghor par rapport à la langue française – et l’allégeance à la France qu’elle reflète – est sans borne. « Le français, offre une variété de timbres dont on peut tirer tous les effets : de la douceur des alizés la nuit sur les hautes palmes, à la fulgurance de la foudre sur la tête des baobabs_ ». Désormais, après avoir fait verdir les chênes et rougir les vignes, la poésie française sifflera sur la cime des palmiers et des baobabs d’Afrique. On a l’impression que pour lui, son sérère natal, le wolof, le bambara, la langue de Servantes ou celle de Dante ne peuvent pas exprimer la poésie. En un mot, c’est la France et la colonisation qui ont créé l’Afrique. La France elle-même n’en demandait pas tant.
On a de la peine a penser qu’un intellectuel, de surcroit président d’un état, ignore que les deux fondements d’une nation sont justement le territoire et la langue ; que comme le lui opposera Sembene Ousmane, «on ne décolonisera pas l’Afrique avec les langues étrangères». Justement, Senghor ne demande pas la décolonisation de l’Afrique, mais son effacement et sa dissolution dans la francophonie. Vous avez dit francophonie ! On lui offre généreusement d’avoir été le créateur de cette supposée unité culturelle. On lui offre une place à l’Académie française et un peu partout, on pense au timeo danaos_ du grand prêtre troyen Laocoon. Après le poète qui voudrait assujettir le culture africaine à la francophonie, l’homme politique va défendre les intérêts de la France et pour atteindre cet objectif, rien ne va l’arrêter.
Même pas son compagnon de route, Mamadou Dia. Avec le père de la Négritude, il fonde en 1948 le Bloc Démocratique Sénégalais (BDS). Les rôles sont repartis. Senghor sera président de la république et lui Président du conseil des ministres dès 1956. C’est lui qui signera quatre ans plus tard les accords d’indépendance du Sénégal. Le modèle de gouvernement est un régime parlementaire bicéphale où les deux hommes se partagent le pouvoir exécutif. Senghor président de la République et gardien de la Constitution, a une fonction de représentation, surtout au niveau international. Mamadou Dia élabore la politique intérieure et économique du pays. Plus radical que Senghor, il veut rompre le vis-à-vis avec la France en diversifiant les partenaires. Pour Senghor c’est non-négociable. Il organise le renversement de Dia pour sauvegarder les intérêts de la France et le condamnera à la prison à perpétuité dont il purgera douze années.
En quoi la position du poète président est-elle exceptionnelle ? L’Afrique a connu et connaît encore des dirigeants assujettis. Mais chez les uns et les autres, on sent plus la peur que la conviction. Il y a parfois aussi des aliénés naïfs qui pensent que l’aide de l’occident leur est nécessaire. Avec Senghor, nous sommes en présence du complexe du dominé qui n’arrive pas à se libérer de l’emprise du maître. L’aliénation de Senghor est unique. Il n’a pas peur de la France, il l’aime. Il lui est dévoué. Il est convaincu qu’elle est supérieure et que l’Afrique doit l’accepter et s’arrimer à elle, faire partie comme au temps jadis, de l’empire colonial, de la même façon que la Martinique ou Wallis et Futuna.
L’ère de l’aliénation Senghorienne se terminera avec l’appendice Abdou Diouf, roi fainéant, qui récoltera lui aussi pour services rendus, une retraite dorée au sommet de l’organisation de la… francophonie.
Abdoulaye Wade le bâtisseur ou la deuxième république.
Après l’intermède Diouf, un géant de l’Afrique contemporaine prend le pouvoir au Sénégal. C’est aussi un ancien et permanent opposant à Senghor. Abdoulaye Wade arrive au pouvoir à la faveur de la démocratie, ce canevas de la culture occidentale supposé universel et panacée du développement. C’est occidental, donc c’est excellent pour cette annexe de l’Occident que le Sénégal a toujours rêvé d’être. Les longues années de l’opposition, et l’indéniable intelligence de Gorgui, cet homme plein d’ambition pour son pays, vont faire le reste. L’homme est un prince bâtisseur. Il ne veut rien de moins que de changer la face du Sénégal. Il ouvre des chantiers pharaoniques dans l’urbanisme et les infrastructures. La puissance symbolique de certaines de ses réalisations est inégalée. La statue de la Renaissance est la première merveille de l’Afrique contemporaine et les monuments qu’il envisage de bâtir sous le nom des sept merveilles sont une ambition de grand homme.
Abdoulaye Wade va solliciter un troisième mandat pour terminer l’œuvre engagée. Il ne l’aura pas. Si Senghor a réussi à positionner son dauphin, Wade sera éjecté par le sien, Brutus Macky Sall. L’homme mènera une campagne farouche contre son ancien mentor pour soutenir contre vents et marrées cette nouveauté qu’est la limitation des mandats. Le Sénégal y tient mordicus, car ce doit être un indicateur des sociétés civilisées. Le discours le plus courant de Dakar à l’époque était le suivant. « Wade est excellent. On n’aura pas mieux, mais il a fait ses deux mandats, il doit partir ».
Que retiendrons-nous du règne appenditiel de Macky Sall ? Qu’il a poursuivi vaille que vaille quelques chantiers de Wade ; qu’il a construit un TER trop utile mais trop coûteux, ou qu’il se félicitait de l’amour que la France a toujours manifesté pour le Sénégalais, puisque les soldats sénégalais avaient le dessert et les autres rien. Peut-être on retiendra aussi cet alignement caricatural et attristant à l’option dictée par Paris sur les coups d’état qui secouent le Sahel. Mais on retiendra surtout sa volonté farouche de ne pas s’appliquer la limitation de mandats. Et tout y est passé, l’interprétation très opportuniste des textes constitutionnels, le harcèlement et l’emprisonnement arbitraire des opposants, la répression sanglante des soulèvements populaires…
Bassirou Diamoye Faye et la rupture de la troisième république.
Une image a fait le tour de la planète. Un jeune homme arpente une plateforme, une femme à sa droite, une femme à sa gauche. Cet jeune homme, c’est le nouveau président du Sénégal le soir de son élection. Et ces deux jeunes dames, ce sont ses épouses. Nous sommes au Sénégal, un pays africain où la polygamie est autorisée. Nous sommes en présence de Bassirou Diamoye Diakhar Faye, le tout nouveau président de la république et de deux jeunes dames, en beauté, en grâce et au port altier. On écrirait une encyclopédie en plusieurs volumes pour analyser la puissance de cette image. En Afrique, beaucoup de présidents ont plusieurs épouses. Mais la pensée unique leur interdit d’assumer leur culture. La même pensée unique ici vante parfois son charme et l’appelle affectueusement « poly amour ». Alors, ces présidents et hauts responsables tartuffent à qui mieux-mieux et laissent leurs épouses dans l’ombre. Le jeune président assume. Mais ce n’est pas tout.
Le jeune homme qui parade avec ses deux épouses n’est pas celui qui était prévu à cette place. En fait, le père de cette aventure se nomme Ousmane Sonko, l’homme a abattre du régime Sall. Il aurait pu mettre le Sénégal à feu et à sang. Il a choisi une voie inédite. Puisqu’il est l’homme a abattre, puisqu’il ne cherche pas le pouvoir mais le bien du Sénégal, il trouve parmi ses compagnons celui que le magnat Sall ne pourra pas récuser. Et comme l’équipe est porteuse d’une vision et que nous sommes au Sénégal où on ne court pas derrière un messie mais derrière un programme de changement, le choix du parti est plébiscité par le peuple. On a connu des situations en Afrique où des candidats demandaient le boycott des élections présidentielles quand ils ne pouvaient pas se présenter ou celui des autres scrutins pour qu’il n’y ait pas un conseiller municipal de leur parti, encore moins un maire ou un député qui pourraient leur faire de l’ombre.
Quelle que soit la suite que ce gouvernement donnera à son aventure, nous assistons à une authentique révolution dans le modèle de gestion du pouvoir en Afrique. Nous assistons à l’ouverture de la troisième république, celle de la renaissance, mais surtout de la fierté d’être africain avec ou sans l’onction de l’ancien maître. On survivra sans le dessert. Et l’on retrouve ici comme la réhabilitation de Mamadou Dia.
Tout le monde peut se revendiquer de Mamadou Dia puisque l’aliénation senghorienne ne fait plus recette. Le baptême d’un bâtiment ou d’une rue en son nom, c’est bon à prendre. Mais l’ancien président du Conseil posait l’autonomie de son pays par rapport à la France comme un impératif. Depuis son éviction, aucun président sénégalais, même pas Abdoulaye Wade, n’a osé relever le défi, viser ce niveau d’émancipation mentale. C’est donc à ce rendez-vous avec l’histoire que l’on attend de cette équipe de jeunes au profil de baba cool. Elle aussi revendique l’héritage de Dia. Le discours de campagne allait dans ce sens. Ousmane Sonko et ses camarades ont martelé leur exigence : que la France nous laisse tranquille comme les autres anciennes puissances coloniales le font pour leurs anciennes colonies. Les premiers gestes de la nouvelle équipe sont prometteurs et portent une puissance symbolique novatrice. Et en filigrane, on croit entendre comme ces mots d’Aimé Césaire quand il hurle aux autres, accommodez-vous de moi, je ne m’accommoderai point de vous.
Gaston Kelman est écrivain.
Jemal M Taleb est avocat au barreau de Paris, Diamantis & Partners.
Texte Collectif
PLAIDOYER POUR LA SAUVEGARDE DU PATRIMOINE SENGHORIEN
La bibliothèque personnelle de Léopold Sédar Senghor, reflet de ses lectures et de ses relations intellectuelles, sera dispersée aux enchères à Caen en avril 2024, risquant de voir disperser un pan de l'histoire littéraire africaine
Le 16 avril 2024 à l’hôtel des ventes de Caen en France, est programmée la vente d’« une – grande – partie de la bibliothèque personnelle » (pas moins de 304 lots composés d’un à plusieurs ouvrages) du premier président de la République du Sénégal, Léopold Sédar Senghor. En regardant à la loupe ces ouvrages, l’on découvre avec stupeur que seront vendus entre autres : l’exemplaire du prodigieux Discours sur le colonialisme de l’ami Aimé Césaire dédié à « ce vieux Léopold Sédar Senghor, (…) parce que je suis sûr que malgré les appartenances politiques, il déteste le colonialisme, destructeur de culture, de finesse [sic] et de civilisations », des ouvrages du poète Aragon, également adressés à Ginette Eboué son épouse, ou encore l’exemplaire d’un ouvrage déterminant dans la construction de sa pensée, Ainsi parla l’oncle de l’Haïtien Jean-Price Mars, qui rend « un fervent hommage d’admiration au grand poète noir » …. Ces ouvrages sont dédiés au poète, au député, au Président de la République ou encore à l’ami Senghor. Sans viser l’exhaustivité, évoquons aussi les ouvrages d’Ousmane Sembène, d’Ousmane Socé Diop, de Birago Diop, de Fily Dabo Sissoko ou encore de Joseph
Zobel, de Paul Niger, de Léon-Gontran Damas et de Richard Wright…. Ils disent autant sur les lectures de Senghor que sur ses relations avec les auteurs et le réseau amical, politique et intellectuel qu’il a tissé et dans lequel il s’insère. Ajoutons enfin des ouvrages de son ami René Maran, le premier Goncourt noir avec Batouala. En première page du livre Les Pionniers de l’Empire, Maran désigne Senghor comme « l’une des gloires de la race à laquelle je suis fier d’appartenir ». Camille Maran avait d’ailleurs eu la généreuse et visionnaire idée en son temps de donner à celui qui venait d’être élu président de la République du Sénégal une partie importante de la bibliothèque et des archives de son époux : le fonds René Maran est à la disposition des étudiants et des chercheurs à la Bibliothèque Centrale de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il y existe aussi un fonds Senghor que pourraient enrichir ces ouvrages. Dans le cas contraire, c’est tout un pan de l’histoire littéraire sénégalaise, ouest-africaine et afro-américaine qui risque d’être dispersé à travers l’éclatement promis de cette bibliothèque de la négritude inédite et unique.
Cette vente intervient à peine quelques mois après l’annonce de celle des cadeaux diplomatiques, décorations militaires et autres bijoux personnels de Senghor, en octobre 2023, vente à laquelle l’État du Sénégal est parvenu à sursoir, après avoir racheté l’ensemble des lots, désormais conservés au Musée des
Civilisations Noires à Dakar. La commissaire-priseuse Me Solène Lainé avait elle-même convenu, non sans une pointe d’enthousiasme, « qu’on ne voit jamais ce type de vente aux enchères » (cité dans l’article du parisien du 20 octobre 2023, Bertrand Fizel, « Des objets rares ayant appartenu à Léopold Sédar Senghor aux enchères à Caen »).
La dispersion du patrimoine senghorien entre la France et le Sénégal principalement, mais aussi en Allemagne et aux Etats-Unis, relève de la géographie senghorienne. Dans le cadre des activités de notre groupe, près d’une trentaine de fonds d’archives de/sur Senghor, plus ou moins importants en termes de volume, a été identifiée. Or la majeure partie est inaccessible au public sénégalais. Une grande part des photographies, objets, œuvres d’art, archives (correspondances, manuscrits et autres papiers de Senghor allant des années 1950 à 2001), est en effet conservée dans la maison familiale de Verson en Normandie, qui est conformément aux vœux de Léopold Sédar Senghor et de son épouse, propriété de la municipalité depuis juillet 2022, avec tous les biens qui la composent.
Il est temps que les Sénégalais puissent librement accéder à ce patrimoine, sans avoir à parcourir la moitié du globe et à affronter des services consulaires peu généreux et accueillants. A l’heure où le tout récemment investi 5ème président du Sénégal Bassirou Diomaye Diakhar Faye parle avec force de la nécessité pour le Sénégal de recouvrer pleinement sa souveraineté, le Groupe international de recherche Léopold Sédar Senghor (UCAD/ENS) souhaite attirer l’attention sur l’urgente nécessité de préserver et de valoriser le patrimoine du premier président du Sénégal et poète Léopold Sédar Senghor. À travers les traces qu’il a laissées et qu’il nous a léguées, c’est toute une partie de l’histoire et du patrimoine sénégalais qui apparaît et qui risque à nouveau de disparaître.
Pour le Groupe de recherche international Léopold Sédar Senghor
(Université Cheikh Anta Diop de Dakar/École normale supérieure (France))
Pr Mamadou Ba (Lettres Modernes, UCAD)
Dr Edoardo Cagnan (ITEM, CRNS/ENS)
Coline Desportes (Doctorante en Histoire de l’art, EHESS)
Dr. Alioune Diaw (Lettres modernes, UCAD)
Dr Mohamed Lat Diop (EBAD, UCAD)
Pr. Babacar Mbaye Diop (Philosophie, UCAD)
Dr Laura Gauthier-Blasi (Littérature, Université d’Alcala)
Maëlle Gélin (doctorante en Histoire, Sciences Po Paris)
Dr Sébastien Heiniger (ITEM, CRNS/ENS)
Dr. Céline Labrune Badiane (ITEM, CRNS/ENS)
Pr Amadou Ly (Lettres modernes, UCAD)
Dr. Claire Riffard (ITEM, CRNS/ENS)
Pr Felwine Sarr (Romance studies, Duke)
Dr. Serigne Seye (Lettres modernes, UCAD)
Dr Mouhamadou Moustapha Sow (Histoire, UCAD)
Pr. Cheikh Thiam (Etudes africaines, Amherst College)
ELGAS DÉCRYPTE L'ALTERNANCE AU-DELÀ DES DISCOURS CONVENUS
Les ruptures sont incarnées par des pratiques sur le long-terme. Ce qu’on appelle système est souvent un fantasme collectif que la conquête du pouvoir cible. La notion de panafricanisme de gauche est une habile trouvaille - ENTRETIEN
Elgas revient avec recul et nuance dans cet entretien sur l'élection de Diomaye Faye et sur la véritable portée de cette alternance politique. Il interroge notamment l'idée d'une rupture définitive avec l'héritage de Senghor et replace le débat sur l'indépendance du Sénégal dans une perspective historique plus large.
Seneweb : La victoire de Bassirou Diomaye Faye à l’élection présidentielle a été présentée au Sénégal aussi bien qu'ailleurs comme une rupture avec l’ère inaugurée par Léopold Sédar Senghor. Partagez-vous ce point de vue ?
Elgas : Cela me semble être une lecture paresseuse, facile et rapide. Elle est du reste un récit que font pro domo les dégagistes, en oubliant une donnée majeure : les ruptures sont incarnées par des pratiques sur le long-terme ; les annonces sont souvent des prophéties trahies et c’est bien là quelque chose de factuel. Un Etat, c’est d’abord une continuité institutionnelle. Toute alternance est porteuse de rupture, de nouveauté, de nouveaux horizons, certes l’illusion d’une pureté nouvelle est contraire à ce qui fait la force des administrations, leur capacité à survivre à toutes tempêtes. Attribuer un quelconque magistère presqu’éternel à Senghor, comme substance d’un système inchangé, c’est accréditer l’idée que tout était plus ou moins condamné d’avance et les dés pipés. Une nation, un pays, un Etat évoluent, souvent dans une lenteur institutionnelle imperceptible. Les marqueurs de l’ère Senghor, si jamais on devait arriver à les nommer – bicéphalisme avec Dia, centralité étatique, socialisme – ne sont pas restés structurants pendant les magistères suivants. Et si on reste dans une telle optique, c’est déresponsabiliser les gouvernants. Ce qu’on appelle système est souvent un fantasme collectif que la conquête du pouvoir cible et que son exercice réhabilite immanquablement d’où d’ailleurs le sentiment de statu quo. Bassirou Diomaye Faye a été bien élu, comme le furent avant lui Wade et Sall. Il lui reste de poser les actes d’une rupture avec les pratiques malfaisantes. Ce sont elles plus que le système, le nid des problèmes qui s’endurcissent avec le temps. Cela me paraît résolument plus pertinent que de pourchasser l’héritage de Senghor, c’est s’acharner sur l’ombre et pas la proie, préférer le confort des symboles à l’inconfort des faits.
Certains de ses partisans en commentant son élection ont déclaré : le Sénégal prend enfin son indépendance. Y a-t-il une part de réalité ?
C’est encore là la manifestation des euphories compréhensibles mais ivres et illusionnées. C’est presque nihiliste de supposer que les tous les hommes des régimes successifs, les intellectuels, les universitaires, les religieux, les artistes, les citoyens, n’ont jamais rien fait et se complaisaient dans une position d’allégeance. L’indépendance ne se proclame pas, elle se vit. Dans l’état actuel de notre économie, des flux de capitaux qui soutiennent encore l’édifice économique, d’un informel émietté qui ne donne pas de ressources majeures à l’Etat, les ambitions de souveraineté doivent répondre à un travail méthodique de longue haleine et à une habileté pour créer les conditions locales de la prospérité. Étant entendu qu’aucune autarcie, aucun isolement, aucune rupture avec le monde, et le flux des échanges, n’a jamais créé nulle part au monde, les conditions d’un essor. L’histoire regorge d’exemples de ce genre, les cités-Etats médiévales les plus développées étaient celles ouvertes au commerce du monde. Tout enclavement réduit la portée des échanges. La notion d’indépendance devrait du reste être étudiée dans sa symbolique au Sénégal, avec la notion de « surga », qui montre la prévalence d’une dépendance interne qui, inéluctablement, influe dans les consciences. L’indépendance est un horizon, sans illusion d’enfermement. On ne l’acquiert pas par un vote seul, fût-il démocratique mais par une ingénierie politique.
Le nouveau président s’est présenté dans Le Monde comme un “panafricaniste africain de gauche”. Ce qui fait un peu penser à Cheikh Anta Diop. Parmi les soutiens de M. Faye figure Dialo Diop, membre fondateur du Rassemblement National Démocratique (RND), le dernier parti politique créé par Cheikh Anta Diop. L’élection de ce nouveau président est-elle une forme de revanche de Cheikh Anta Diop sur Senghor?
Il y a bien longtemps que Cheikh Anta Diop a pris sa revanche sur Senghor. Il bénéficie d’une aura bien plus grande et il est plus cité. Mais attention également à ne pas épouser des récits tout faits. Wade comme Macky Sall ont revendiqué un ancrage panafricain, et Senghor davantage avec le FESMAN, les NEAS et il a fait de la capitale Dakar, le refuge et le havre d’un dialogue avec les Haïtiens entre autres. Il ne faut pas toujours dans une dynamique conflictuelle de segmentation du panafricanisme. Senghor est déjà condamné par le tribunal de l’histoire, mais ensevelir tout son héritage serait contre productif et bien injuste. La notion de panafricanisme de gauche est une habile trouvaille, c’est un pléonasme, parce que le panafricanisme est du côté de la justice, de la solidarité et de l’égalité. Mais très souvent, au pouvoir, il a trahi, l’exemple de Sékou Touré étant le plus emblématique des glissements où le pouvoir devient autoritaire, répressif, fermé à l’ouverture et ne gardant plus du panafricanisme comme identité vidée. La vigilance doit être de mise pour que les mots comme l’histoire ne soient pas tronqués.
Y a-t-il nécessité selon vous de réhabiliter Senghor et sa pensée ?
Senghor est présenté ou caricaturé comme le symbole de la soumission à la France ou jugé trop universel. La nouvelle ère qui s’ouvre sera-t-elle synonyme de repli identitaire comme certains le craignent ou plutôt de rééquilibrage ?
Je n’ai aucun catastrophisme avec le régime qui arrive. Je lui souhaite de réussir, tout en étant conscient que cela sera dur au vu des attentes. Je ne crains ni repli, ni racornissement de notre identité. Il serait bien vain de nier que Senghor avait des relations énamourées avec la France et que cela a influé dans sa gouvernance. Tout comme il faut se garder de condamnation définitive, il faut se garder de promettre l’échec au nouveau régime. Senghor ne doit pas être l’obsession du nouveau régime, ce serait une terrible erreur. Il a reçu un plébiscite, avec une plateforme formidable pour construire, il serait mal inspiré de s’assombrir avec l’énergie sombre de la rancœur. La terre espérée de l’homme c’est l’avenir, pas farfouiller dans les tombes.
Enfin, votre dernier essai s’intitulait « Les Bons Ressentiments ». Ces bons ressentiments ont-ils été palpables dans la séquence politique que nous venons de vivre ?
Je ne parlerai pas de bons ressentiments. Tout est prématuré pour l’instant pour statuer. Je parlerai de révolutions conservatrices. C’est ce qui a cours partout sur le globe. La défiance contre des élites, et le retour souhaité à des valeurs anciennes. C’est un bouleversement tant le conservatisme a toujours été populaire avec un État qui osait l’impopularité d’aller à rebours. Ce qui change c'est que le conservatisme est porté par l’Etat qui devient une caisse de résonance et pas de régulation de la foule. Beaucoup s’en réjouissent. J’ai plein de doute, pour dire le moins.
PAR Alymana Bathily, Rama Salla Dieng et René Lake
VERS UNE NOUVELLE ÈRE DE GOUVERNANCE
ÉDITORIAL SENEPLUS – Le rôle vital des Assises Nationales et de la CNRI – Exiger de tous les candidats présidentiels un engagement formel, écrit et public pour la mise en œuvre de ce pacte national
Alymana Bathily, Rama Salla Dieng et René Lake |
Publication 10/12/2023
« Dix ans, et pas une ride pour les Assises nationales toujours actuelles dans leur quête de démocratie participative et de gouvernance transparente », écrivait Mame Less Camara en 2018 au moment de la célébration du dixième anniversaire de l’événement.
Et d’évoquer « cette méthodologie inédite de consultations citoyennes dont devraient s’inspirer bien des parlements » qui a permis de formuler des recommandations audacieuses, notamment à travers la Charte de Gouvernance Démocratique, et de sortir ainsi de ce « fixisme institutionnel installé par le modèle colonial qui bouche encore l’horizon de tous les pays qui l’ont enduré, y compris ceux qui ont subi la médication énergique des Conférences nationales ».
Concernant la Commission Nationale de Réformes des Institutions (CNRI), Mame Less Camara souligne qu'elle est née en 2013 à la suite d’un malentendu : le président Macky Sall l’a commanditée pour « adoucir » en quelque sorte les recommandations des Assises qui ne sont à ses yeux « ni le Coran ni la Bible, ni la Thora » alors que le président Amadou Mahtar Mbow et l’équipe chargée de la rédiger, en ont fait l’armature et le socle de la Charte de la Gouvernance Démocratique des Assises Nationales.
- De la pertinence actuelle des recommandations citoyennes -
L'objectif principal des recommandations issues des Assises Nationales et de la Commission Nationale de Réformes des Institutions (CNRI) était de préserver et de promouvoir l’État de droit, ce qui englobe la séparation et l'équilibre entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, ainsi que le renforcement de l'indépendance de la justice. Ces recommandations visaient également à consolider et protéger les libertés publiques, à instaurer une démocratie participative et une gouvernance de qualité, fondées sur des principes de transparence, de dialogue avec les citoyens, d'équité et d'obligation pour les autorités de rendre des comptes.
Des restrictions variées sont imposées aux partis politiques d'opposition et aux organisations de la société civile, entravant l'exercice de leurs droits légaux. La presse indépendante fait face à des attaques injustifiées. De plus, l'exécutif néglige d'exécuter les décisions de justice qui visent à rectifier ces abus et manipule le système électoral, menaçant ainsi l'équité, la transparence et la régularité des élections présidentielles prévues en février 2024.
L'approche autoritaire du gouvernement a aggravé les tensions, engendrant un climat de peur et de défiance. Cette atmosphère oppressante a malheureusement poussé certains manifestants à recourir à des actions extrêmes et répréhensibles en réaction aux injustices perçues et à la restriction de leurs droits.
Dans un contexte marqué par la mauvaise gouvernance, la corruption, l'augmentation du coût de la vie et les pénuries de services et de biens essentiels, l'importance et la nécessité des conclusions des Assises Nationales et des recommandations de la CNRI n'ont jamais été aussi évidentes.
- De la dynamique du débat citoyen -
Il est essentiel que chacun, à son niveau et selon ses engagements, continue à lutter dès maintenant contre les atteintes à l’État de droit, les agressions contre les libertés publiques et individuelles et pour une élection présidentielle inclusive, transparente et équitable, mais nous devons aussi chercher à bâtir ensemble un nouveau pacte national capable d’assurer à terme la mise en œuvre des recommandations des AN et de la CNRI.
Comment ? D’abord par le débat citoyen. Puis par l’interpellation des candidats à l’élection présidentielle.
SenePlus, Sursaut Citoyen et Demain Sénégal ainsi que de nombreux mouvements citoyens associés ont d’ores et déjà investi le débat citoyen.
Le mouvement citoyen assurera le suivi du débat public ainsi lancé pour l’étendre aux différentes localités du pays ainsi qu’aux divers secteurs de la population.
Dans l’objectif d’alimenter et d’amplifier ce débat, SenePlus et plusieurs publications associées diffuseront les documents suivants dans les tous prochains jours :
L’intégralité de la Charte de Gouvernance Démocratique des Assises nationales.
L’intégralité des conclusions et recommandations de la CNRI.
Une série de tribunes sur les questions clés posées par les AN et la CNRI commissionnées pour alimenter le débat public pendant la période de décembre 2023 et janvier 2024.
De plus, un rapport mensuel SenePlus.com concernant la situation politique et sociale du pays sera publié en décembre 2023, ainsi qu'en janvier et février 2024.
Toutes ces publications seront largement diffusées en ligne, dans les réseaux sociaux, dans plusieurs journaux de la presse écrite mais également sur les radios et télévisions et cela dans plusieurs de nos langues nationales.
- Interpeller les candidats pour bâtir un Pacte national consensuel -
Il est également crucial de demander à chaque candidat présidentiel un engagement formel, écrit et public pour la mise en œuvre du pacte national dès le début de leur mandat, ainsi qu'à organiser un référendum dans les 200 premiers jours du mandat sur le projet de Constitution proposé par la CNRI.
REMETTRE LES ASSISES NATIONALES AU CENTRE DE LA PRÉSIDENTIELLE
EXCLUSIF SENEPLUS - Un séminaire citoyen d'experts et de militants veut souligner l'actualité des Assises et des recommandations de la CNRI face au péril démocratique. Leur esprit de consensus représente une boussole pour une meilleure gouvernance
À trois mois de l'élection présidentielle sénégalaise de février 2024, la société civile s'empare des Assises nationales de 2009 et des conclusions de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI) pour alimenter le débat politique, dans un contexte national tendu marqué par des entraves à la liberté, la répression des voix dissidentes, les arrestations de militants, le refus d’exécution des décisions de justice.
C'est l'objet du séminaire citoyen d’une journée organisé ce samedi 25 novembre 2024 dans les locaux de l’éditeur L’Harmattan, à l’entrée de la VDN à Dakar par le site d’information SenePlus, les organisations de la société civile Sursaut Citoyen et Demain Sénégal. Ces acteurs entendent notamment mettre en lumière les conclusions issues d'un processus participatif et consensuel qui a réuni de manière tout à fait historique l'ensemble des forces vives du pays.
Au programme, des sessions animées par d'éminentes personnalités telles que l'ancien Premier ministre Mamadou Lamine Loum, la juge Dior Fall Sow, l’économiste Jean-Louis Corréa, l’universitaire Abdoulaye Dieye et le leader de la société civile Moussa Mbaye. Il s'agira d'analyser en profondeur la méthodologie, les approches et le contenu des Assises et du travail remarquable de la CNRI, afin d'en diffuser une compréhension commune au sein des forces vives de la société.
Cette initiative se propose ainsi de réactiver l'esprit et la lettre des Assises face aux défis actuels de l'État de droit, en fournissant aux citoyens des éléments permettant d'exiger des engagements concrets des prétendants à la magistrature suprême sur ces questions cruciales.
Au-delà de la présidentielle à venir, les organisateurs du séminaire entendent promouvoir dans la durée, les valeurs démocratiques de consultation, de participation et de redevabilité mises en avant par cet acquis majeur du débat national sénégalais.
En un mot, il s’agit de mettre la démocratie participative au centre de la gouvernance au Sénégal. Certainement le meilleur moyen pour sortir le pays d’un hyperprésidentialisme décrié depuis plus de six décennies par de bien nombreux acteurs de la vie publique.
LES ANNÉES NOIRES DE LA DISSIDENCE SOUS SENGHOR
De la dissolution du PAI à la mort en détention du philosophe Omar Blondin Diop, retour sur les méthodes implacables déployées par le régime du président-poète pour museler toute opposition politique au Sénégal entre 1960 et 1976
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 10/11/2023
La période allant de 1960 à 1976 au Sénégal a été marquée par une répression formidable de l'opposition politique orchestrée par le régime du président Léopold Sédar Senghor. Pourtant, ce pan méconnu de l'histoire du pays commence seulement à être étudié de manière approfondie, à la faveur de témoignages récents mais aussi d'un travail publié dans la nouvelle édition de la Revue d'Histoire Contemporaine de l'Afrique.
Son auteur, Florian Bobin, y explore à travers différents "fragments" plusieurs épisodes marquants qui éclairent la manière dont le nouvel Etat sénégalais a cherché à museler toute voix dissidente. De la dissolution du parti d'opposition PAI dès 1960 aux arrestations massives de militants pendant la période dite des "années 1968", en passant par la crise politique de 1962 et la répression du mouvement étudiant, l'article offre une première synthèse rare sur le sujet.
Le Parti Africain de l'Indépendance, principal opposant au régime, fait les frais de l'autoritarisme naissant dès les premières élections. "La police a commencé à massacrer les gens", témoigne Ismaïla Traoré, ancien militant du PAI. Le lendemain, le parti est dissous et ses leaders emprisonnés. Une répression qui inaugure selon l'auteur la politique d'intimidation menée par l'État durant cette période.
Les syndicats étudiants comme l'UGEAO ne sont pas davantage épargnés, subissant dissolutions et interdictions de manifestation. En décembre 1962, la crise atteint son paroxysme avec l'arrestation spectaculaire du Premier ministre Mamadou Dia, condamné à la prison à vie. Cet épisode marque un tournant vers un régime de plus en plus présidentialiste.
À partir de 1966, toute opposition se retrouve reléguée dans la clandestinité avec l'instauration de l'État-parti. Le mouvement de mai 68 est durement maté plusieurs opposants sont condamnés à des peines de prison, comme les membres du groupe des "incendiaires" ou du parti And Jëf dans les années 1970.
En combinant analyses historiques et témoignages inédits, l'article de Florian Bobin contribue ainsi à lever un coin du voile sur cette période longtemps passée sous silence. Elle invite à poursuivre l'exploration de ce pan méconnu mais révélateur de l'histoire politique du Sénégal.
par Texte Collectif
AFFAIRE OMAR BLONDIN DIOP, L’HEURE DE VÉRITÉ
50 ans après la mort en détention du philosophe, une cinquantaine de personnalités politiques, intellectuelles et artistiques, dont Boris Diop, Felwine Sarr, Mohamed Mbougar Sarr entre autres, exhortent à réouvrir le dossier judiciaire
50 ans après la mort en détention du philosophe Omar Blondin Diop, une cinquantaine de personnalités politiques, intellectuelles et artistiques exhortent les autorités sénégalaises à réouvrir le dossier judiciaire. Un appel renforcé par le témoignage du juge à l’époque chargé de l’enquête, une nouvelle reconstitution 3D des dernières heures du détenu ainsi que la révélation inédite d’un ancien collaborateur du président Senghor.
La tragique disparition d’Omar Blondin Diop le 11 mai 1973 à la prison de Gorée n’est toujours pas élucidée 50 ans après. Selon la version officielle, il se serait suicidé dans sa cellule.
Le 6 juin 1973, le père d’Omar, feu le Dr Ibrahima Blondin Diop, a déposé une plainte pour « coups et blessures volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner » et « non-assistance à personne en danger », qui s’est soldée par une ordonnance d’incompétence prise par le Tribunal Correctionnel de Dakar le 12 juin 1975.
Aujourd’hui, plusieurs éléments nouveaux viennent renforcer cette exigence de vérité et la nécessité d’une réouverture du dossier judiciaire.
D’abord, la récente apparition de feu le Juge Moustapha Touré dans le film documentaire intitulé Omar Blondin Diop, un révolté du réalisateur Djeydi Djigo, qui affirme, après reconstitution sur site, son intime conviction de l’impossibilité matérielle pour Omar de commettre un tel suicide. Une reconstitution que tout un chacun peut visualiser grâce à la modélisation 3D inédite proposée par Le Monde dans son reportage vidéo du 27 octobre 2023 intitulé « Affaire Omar Blondin Diop : enquête sur la mort suspecte du célèbre opposant sénégalais » et réalisée par la journaliste Laureline Savoye.
Ensuite, le témoignage de Jean-Pierre Biondi, ancien conseiller audiovisuel au cabinet du président Léopold Sédar Senghor, dans la série podcast du 18 septembre 2023 intitulée « Omar Blondin Diop, plutôt la mort que l’esclavage » et réalisée par les journalistes Clémentine Méténier et Florence Morice pour Radio France Internationale, qui qualifie la version officielle de la mort d’Omar de « mensonge d’État », révélant que la version circulant à la présidence parmi les proches du président Senghor était bien celle d’un homicide commis par les gardiens de la prison.
Nous, Sénégalais-e-s, Africain-e-s, citoyen-ne-s du monde épris de justice, aux côtés de la famille, des amis et des camarades d’Omar, exigeons vérité et justice pour Omar Blondin Diop.
50 ans après, nous disons toujours, à l’instar du proverbe africain : « Quelle que soit la longueur de la nuit, le soleil finit toujours par se lever ».
Ont signé :
Abdoulaye Diallo, ingénieur (Mali) ;
Adama Samassekou, ancien ministre de l’éducation nationale (Mali) ;
Aguibou Diarrah, diplomate, ancien ambassadeur (Mali) ;
Alioune Nouhoum Diallo, ancien président du Parlement de la CEDEAO, ancien président de l’Assemblée nationale (Mali) ;
Alioune Sall dit Paloma, sociologue (Sénégal) ;
Alioune Sall, député à l’Assemblée nationale (Sénégal) ;
Alioune Tine, militant des droits humains (Sénégal) ;
Alymana Bathily, sociologue des médias (Sénégal) ;
Amadou Tidiane Wone, ancien ambassadeur et ministre (Sénégal) ;
Aminata Dramane Traoré, ancienne ministre de la culture et du tourisme, essayiste (Mali) ;
Aminata Fall, juriste, présidente de l’Association des juristes sénégalaises (Sénégal) ;
La présente pétition est une initiative de la Fondation Omar Blondin Diop, établie par la famille, les camarades et les amis du philosophe révolutionnaire dans le sillage du 50ème anniversaire de sa mort, commémorée à Dakar en mai 2023. Pour toute question, veuillez contacter : info@omarblondindiop.com
Omar Blondin Diop, plutôt la mort que l'esclavage
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LE POINT DE NON RETOUR
Face à un pouvoir de plus en plus répressif, Omar Blondin Diop part se former à la lutte armée en Syrie et se rapproche du mouvement des Black Panthers, à Alger. Il franchit un à un les paliers de la violence révolutionnaire (3/5)
Cofondateur du mouvement des jeunes marxistes-léninistes du Sénégal, Omar Blondin Diop devient une figure des milieux universitaires et contestataires de Dakar. Alors que le Sénégal de Léopold Sédar Senghor s’apprête à accueillir le président français Georges Pompidou, des actions visant les symboles de l’impérialisme français sont organisées.
Face à un pouvoir de plus en plus répressif, Omar Blondin Diop part se former à la lutte armée dans un camp d’entraînement palestinien en Syrie et se rapproche du mouvement des Black Panthers, à Alger. Il franchit un à un les paliers de la violence révolutionnaire.
Mais comment un étudiant de 24 ans, promis à un avenir brillant, se retrouve-t-il arme à la main dans la froideur de l’hiver syrien ?
Avec Alioune Sall, dit Paloma, ami d’Omar Blondin Diop ; Dialo Diop, frère d’Omar ; Florian Bobin, biographe d’Omar.
LA THÈSE DU SUICIDE D'OMAR BLONDIN DIOP MISE À MAL PAR DE NOUVELLES RÉVÉLATIONS
La vérité sur la mort du célèbre militant est-elle encore possible ? 50 ans après son décès, le 11 mai 1973, sur l’île de Gorée, des documents, des témoignages et une modélisation 3D inédite soulignent aujourd’hui les failles de la version officielle
La vérité sur la mort d’Omar Blondin Diop est-elle encore possible ? Cinquante ans après son décès, le 11 mai 1973, sur l’île de Gorée, au Sénégal, la thèse officielle du suicide semble plus fragile que jamais. Enquête.
Omar Blondin Diop est resté célèbre au Sénégal. Jeune philosophe, premier Sénégalais admis à Normale-Sup, cofondateur aux côtés de Daniel Cohn-Bendit du mouvement du 22-mars, qui a lancé mai 1968 et militant formé à la lutte armée, Omar Blondin Diop a marqué les années 1960.
Les conditions de sa mort, en détention, n’ont jamais été clarifiées. Le gouvernement affirme alors qu’il s’est « suicidé par pendaison », thèse confirmée par l’autopsie publiée par le quotidien Le Soleil. La thèse du « pendu », pourtant, les proches d’Omar Blond Diop, des médecins et un juge n’y ont jamais cru.
Que s’est-il passé dans cette prison, le 11 mai 1973 ? Et comment Omar Blondin Diop est-il mort ? Des documents, des témoignages et une modélisation 3D inédite soulignent aujourd’hui les failles de la thèse officielle. Une enquête du « Monde Afrique ».
Parmi les sources et images utilisées dans cette enquête :
- Rapports d'autopsie
- Presse et photographies de l'époque
- Registre de la main courante de la prison de Gorée
- "Omar Blondin Diop, un révolté sénégalais", documentaire de Djeydi Djigo
- "Nous voir nous-mêmes du dehors. Réflexions politiques d’Omar Blondin Diop (1967-1970)", de Florian Bobin