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24 novembre 2024
LEOPOLD SENGHOR
ABDOUL AIZIZ MAYORO DIOP, TRAJECTOIRE SINGULIÈRE D'UN GRAND CRITIQUE DE SENGHOR
« Il m’était plus aisé, bien que la critique ne fût point tolérée, de pointer du doigt la politique du Président Senghor, que de commettre une faute de français au micro », raconte l’ancien journaliste de « Radio Sénégal »
El Hadji Gorgui Wade Ndoye |
Publication 24/11/2021
« Il m’était plus aisé, bien que la critique ne fût point tolérée, de pointer du doigt la politique du président Senghor, que de commettre une faute de français au micro », raconte l’ancien journaliste de « Radio Sénégal ». Très critique contre le pouvoir du président-poète, Abdoul Aziz Mayoro Diop est envoyé en Casamance pour avoir mis le xalam de Samba Diabaré Samb à l’antenne. Puis, il sera encore sanctionné à cause de ses positions trop critiques à l’égard du pouvoir et envoyé en Cologne, en Allemagne, comme correspondant. Le journaliste y prit sa retraite avec la « Voix de l’Allemagne » après avoir démissionné de « Radio Sénégal » contestant à Senghor la « paternité de la démocratie » sénégalaise.
Cologne, en Novembre ! Le ciel est gris, bas. Le froid, intenable. Les gens, austères. « Des étrangers pour moi. Ils ne boivent que de l’eau gazeuse. Ont du pain paysan. N’en mangent même pas, s’ils ont de la pomme de terre », se souvient Abdoul Aziz Mayoro Diop entré en journalisme pour « exprimer sa révolte ». C’est Serigne Abdoul Aziz Dabakh qui lui donna son propre nom, à sa naissance, à Saint-Louis, le 11 novembre 1948. Il réussit le concours d’entrée au centre de Maisons-Laffitte que la France organisait alors dans tous les pays francophones. Ils étaient trois Sénégalais admis à l’époque, l’un préféra suivre ses humanités classiques, à Paris, l’autre c’est son ami le regretté Abdou Bâ Ndongo alias « Fredy », un « éminent homme de radio, passionnément amoureux de jazz, producteur émérite ».
Entre le président et le journaliste, malgré les « conflits » inhérents au système du parti unique, il y avait quelque part de l’estime. Le Premier Noir Africain membre de l’Académie française avait l’ambition de faire du Sénégal indépendant une République respectée. Il s’était impliqué dans la création du quotidien national « Le Soleil ». « Commettre une faute, t’enlevait tout appétit et t’empêchait de dormir les poings fermés. Tellement le péché était grand », témoigne M. Diop. « Pour autant cependant, même avec les plus belles locutions, on ne pouvait pas se permettre de mettre un tant soit peu au pilori son programme ». Néanmoins, « je pouvais recourir à des subterfuges et questionner certains points. Souvent par le biais du micro-trottoir – une première qui, en soi, relevait déjà d’une certaine audace – et faire dire aux gens ce qu’on ne pouvait directement dire ». Le glaive tombait toujours, avec souvent une mise à pied de trois jours à une semaine sans salaire », relate-t-il. En dehors de ses deux premiers mois de travail, il n’eut jamais une rémunération complète. Lors d’une audience avec le Chef de l’État qui voulait encourager les journalistes, Abdoul Aziz Diop explique son cas. « Senghor s’en étonnera. Et je me sentis si réconforté, si intouchable », jubile-t-il. Sa joie sera de courte durée.
Samba Diabaré Samb à l’antenne : le grand péché !
Croyant avoir la protection de Senghor, le journaliste créa un tremblement de terre radiophonique, et ce, avec un malicieux sourire. « Un autre grand péché, en faisant jouer du xalam de Samba Diabaré Samb que j’ai toujours admiré à la Chaîne Inter ». À l’encontre de ce qui se faisait et défiant du coup Lucien Lemoine à qui il contestait le monopole de la musique classique dont il « nous » abreuvait à l’antenne. Le Directeur général le cherchait depuis des jours. « Je ne pouvais continuer à fuir. Je pris mon complice Fredy avec moi et frappais à la porte de son bureau ». « Ah te voilà enfin. Tu penses que cet établissement est le bien de tes parents pour y faire ce que tu veux », tonna son patron.
« La semaine prochaine, je t’appellerai à ton nouveau bureau à Ziguinchor », lui signifia le Directeur général. « Mais ce n’est pas sérieux ! », s’écrira son collègue et ami Fredy. À peine, avait-il fini de rouspéter, que sa sanction tomba : « Et toi, à Tambacounda ! ». Et pourtant, « il nous adorait quelque part, bien que nous lui donnions du fil à retordre. Senghor aussi, qui était d’un commerce facile. Agréable. Un grand homme. Certes, un peu emmerdeur. Mais, de loin, beaucoup moins que le système qu’il avait imposé », ajoute le journaliste.
Il découvrait la Casamance, qu’il ne tardait pas à aimer au point de ne plus vouloir revenir sur Dakar. « D’autant que, chose rare, j’y touchais maintenant mon salaire au complet. Et dépensais peu », explique-t-il. Avec des gens charmants et honnêtes qu’il aura du mal à quitter quelques mois plus tard, suite à un autre scandale qui le ramenait à la maison-mère.
Atterrissage en Cologne
« Sanctionné » par un envoi en Allemagne, Abdoul Aziz Mayoro Diop fera, cette fois-ci, un très long voyage. Sourire aux lèvres, son boss, qui voulait le rassurer, lui annonce la nouvelle, sans lui donner la possibilité de dire Non. Taquin, le journaliste qui s’attendait à tout lança : « Dois-je embarquer à Gorée, cette fois-ci, pour Les Amériques ? ». Faisant référence aux esclaves forcés de rejoindre le nouveau monde. « Décidément, tu ne changeras jamais », rétorqua le directeur et de lui préciser : « Tu embarqueras à Yoff. Et tu vas rejoindre l’Allemagne. En qualité de correspondant. Inutile de contester et de lever les bras. La décision vient d’en-haut ». « Dieu ! Je me sentais vraiment perdu. Dans un cauchemar. Sans doute ai-je dit non, jamais », confie-t-il. Il le sortit de son bureau en lui ouvrant, lui-même, la porte.
Du haut de ses 24 ans, Mayoro Diop, sentait dans le creux du ventre, que s’il partait, il ne reviendrait plus. « Disons, que je ne travaillerai plus pour ce pays que j’aime tant et où j’ai tellement à faire. Un an, deux ans, ce n’est pas long », pensait-il.
D’abord s’adapter ! « Et les Allemands me contamineront immédiatement. Mais il me fallait prendre mes quartiers. M’adapter. Vivre. Et me mettre à la tâche. Grâce à la « Deutsche Welle », qu’on dénommait alors « La Voix de l’Allemagne », je ferai mes correspondances radiophoniques. Et Transtel qui, avec son football en Allemagne, ses séries comme Derrick et bien d’autres documentaires, me permettra d’alimenter notre télévision naissante », renseigne-t-il. Premier correspondant de la presse sénégalaise, il se souvient aussi d’Idrissa Seydou Dia de « La Voice of America », du regretté Ousseynou Diop dit Bop du Canada, de Philippe Auguste Sambou décédé au Portugal. Avant l’arrivée de feu Massamba Thiam pour l’Union africaine de radiodiffusion (Urtna) et « l’élégant » Diadji Touré.
La démission
Paix de courte durée. Diop avait commis un crime de lèse-majesté ! « Je m’en étais alors pris à l’idéologie que Senghor imposait aux partis. À la limitation de leur nombre finalement à quatre. Et, plus grave encore, en lui refusant, comme le voulait l’usage, la paternité de notre démocratie. « Non, messieurs dames, il n’en est pas le père », tranche-t-il. Senghor, l’a rétablie après l’avoir suspendue : « Il n’y avait aucun mérite à cela. Je lui en voulais beaucoup. À cause de cette incompréhensible attitude envers Cheikh Anta Diop, Mamadou Dia et ses compagnons sans oublier Sembène Ousmane », ajoute M. Diop.
Nous sommes le 9 novembre 1976. Senghor célébrait son 70ème anniversaire. En même temps, une larme tombait sur la signature de la lettre que Diop venait de terminer et qui scellait sa démission de « Radio Sénégal ». Confronté à de grandes souffrances, le décès à bas-âge d’un de ses fils jumeaux lui inspire « L’Ailleurs et L’Illusion » (Nea-1983), un ouvrage pionnier sur les dangers de l’immigration. S’ensuit « Prisonniers de la vie » (Neas), au programme de littérature comparée de l’Université Gaston Berger en 2012 avec deux autres écrivains Malick Fall et Abdoulaye Sadji par le Professeur Lifongo Vetinde de Lawrence University face aux écrivains africains-américains Toni Morrison, Alice Walker et W.E.B. Du Bois. Enfin, « Prison d’Europe » sort en 2011. Diop travaille à boucler sa trilogie sur l’immigration avec « L’Obsession du bonheur », révèle-t-il.
Regard sur le journalisme aujourd’hui
Abdoul Aziz Mayoro Diop a une admiration pour « les derniers des mohicans » que sont Sada Kane et Abdoulaye Diaw. « Et bien d’autres plumes, de tout âge, que je me garderai toutefois de citer, pour ne pas me tromper, et qui ont donné ses lettres de noblesse à la presse sénégalaise. Et avec l’excuse, de par son absence, de ne pas les connaitre tous », confie le vieux journaliste. L’aîné déplore, cependant, chez beaucoup de jeunes journalistes, « un manque criant d’éthique, de déontologie et bien d’autres faiblesses. Tant dans la forme que dans le fond ». Révélatrices d’une absence totale de culture générale due surtout au fait qu’ils ne lisent pas, analyse notre confrère. « Je ne sais pas comment fonctionne le Cesti (Centre d’études des sciences et techniques de l’information), mais on devrait y introduire un programme de lecture. Ne serait-ce qu’un livre par mois afin de leur donner le goût de la lecture. Il y a aussi, à l’autre bout, cet excès qui amène certains à faire, dans des interviews, étalage de leurs connaissances », conseille-t-il. S’ils ne jouent pas simplement aux procureurs, à l’instituteur ou, devant la caméra, à la grande vedette. Ce dernier point visant particulièrement « des femmes qui se décolorent la peau et portent des cheveux naturels ». Ce qui est le « comble d’une acculturation profonde et d’une extrême dépersonnalisation. Et c’est révoltant et triste à la fois. On devait simplement les interdire d’antenne », pense Abdoul Aziz Mayoro Diop. Néanmoins, conclut le journaliste, musicien et écrivain « ne désespérons pas trop. Certes, il y a beaucoup à faire. La tâche est immense mais le tir peut être rectifié. Avec un peu plus d’humilité ».
Mémoriales, par elgas
1963-1968, PRÉLUDES AU MULTIPARTISME
EXCLUSIF SENEPLUS - De cette séquence, une constante : Senghor a longtemps gouverné sans une partie importante des élites. Et même lorsque ces dernières l’ont rejoint, la fusion n’était jamais totale. La construction d’une nation est restée dans l’ombre
En 63, la jeune République du Sénégal entre en plein cœur d’un cycle tempétueux. Plusieurs marqueurs chronologiques en attestent. En 62, le couple Dia-Senghor vole en éclat dans le fracas. L’évènement est révélateur d’une fragilité institutionnelle, d’un malaise au-delà du cadre politique : deux hommes, longtemps complices, qui ont incarné l’Etat en parfaite communion, se séparent dans le tumulte, la violence, la rancœur et l’injustice. Une scission, d’abord timide, presqu’interdite, menace le pays. Les deux hommes en effet, de tempérament, d’ascendance, de chapelle religieuse, de vision politique, depuis toujours différents et désormais plus éloignés encore, deviennent des repères en matière de positionnement politique pour les populations, surtout les élites.
Répression du PAI et du PRA-S
En 63, les choses empirent. Le contexte est explosif, la contestation du pouvoir bascule dans la défiance. Les élections de la même année marquées par une fraude massive mais aussi une traque des opposants et une atmosphère de chasse aux sorcières, créent des tensions terribles. Des leaders contestataires, longtemps dans le sillage du pouvoir, sont mis aux arrêts. Les trois premières années de l’indépendance s’installent ainsi, dans un conflit larvé, à la suite des vicissitudes d’une vie politique qui de tout temps avait été caractérisée par agitation. Seule donnée nouvelle : la violence, et ce qu’elle charrie : la tentation de la contre-violence et le climat de suspicion.
Le PAI qui est depuis longtemps l’ennemi du pouvoir voit ses rangs décimés, poursuivi jusque dans sa clandestinité. Des dénonciations anonymes, des descentes arbitraires, tentent d’éteindre les velléités de ce parti hargneux, jamais dans le compromis, et que craint Senghor. Il séduit également par son envergure plus panafricaine. Il parvient à attirer la jeune élite, lettrée, plus radicale, plus formée, avec une base doctrinale forte et une discipline presque religieuse. La promesse à l’horizon d’une souveraineté absolue en fait une force principale, même tapie dans son maquis. Son pouvoir de nuisance est réel pour le pouvoir, au risque de susciter la disproportion dans la riposte. Peu ou prou, plusieurs grands leaders à venir font leur école ou leurs armes au sein du bassin politique du PAI.
Le PRA-S voit, lui, ses hommes forts chahutés ou embastillés. Il a été dans des dispositions plus complexes et mesurées avec Senghor : tantôt fâchés, tantôt réconciliés. En 63 toujours, Fadilou Diop passe par la prison, Abdoulaye Ly est mis aux arrêts. La stratégie de l’UPS de Senghor est claire : centraliser davantage le pouvoir. Dépouiller les forces de l’opposition, par la force ou l’intimidation, pour susciter le ralliement à son parti. Si la méthode est rude, anti-démocratique, dans le cadre du parti unique, elle porte ses fruits. Comme après toute période de chaos, une accalmie faite de peur, d’indécision, succède à la panique. Malgré tout, Senghor reste l’homme fort du pays. Qu’il y ait laissé des plumes, suscité des inimitiés fortes, c’est certain, mais il a des soutiens, tient un Etat encore légitime et peut compter sur les références morales du pays qui lui donnent leur bénédiction. Un regain d’énergie politique lui ouvre un appétit de conquête.
Une nouvelle configuration : l’UPS s’impose et impose sa loi
Les évènements engendrent ainsi, curieusement, un Etat plus fort. Vainqueur par KO, l’UPS élargit sa base et engrange de nouveaux adhérents, en masse. Sur les ruines de 63, il fait son marché, habilement. Cette reconfiguration redessine le paysage en faveur du pouvoir.
Le PAI cherche un second souffle, tenté par la révolution, en termes violents. Sa hiérarchie quasi-martiale y songe depuis ses réclusions dans le Sénégal oriental. Comment casser les ailes de ce parti ambitieux, certes petit mais amené à se déployer davantage ? L’UPS affine sa stratégie. Libérer quelques caciques, prisonniers politiques. Donner des gages d’ouverture. Appeler à la concorde. C’est dans ce mouvement de pacification qu’a lieu une rencontre entre Senghor et Abdoulaye Ly, tête forte du PRA-S, arrêté en 63, jugé et incarcéré en 64, puis gracié par Senghor au début de l’été 66. L’acte est hautement symbolique. Il signe une réconciliation, une autre, qui consacre la suprématie du pouvoir.
Victime de désertions, le PRA-S joue aussi stratégiquement. En repartant pour un tour avec Senghor, il ne se sépare pas de ses convictions mais mise et prend en considération la conjoncture à l’affût d’opportunités. Pour Senghor, le coup politique n’est pas moindre. Ce n’est rien de moins qu’engloutir des rivaux teigneux et prestigieux. Le nouvel accord conduit les membres du PRA-S au gouvernement et à la députation. Abdoulaye Ly, Amadou-Mahtar Mbow, Assane Seck, sont ministres. Fadilou Diop est élu député en 66 sur la seule liste de l’UPS.
Le vent social et la convergence des colères font voler le pacte
Mais une tempête sociale gronde. Dès 67, le climat dans le pays se tend. Les grèves s’enchainent. Les promesses dans la grande union politique ne sont pas tenues. S’y ajoutent les difficultés économiques, les salaires sont bloqués, comme les bourses, l’UNTS mène la contestation. La force syndicale organise une défiance plus marquée contre le pouvoir. Tous les non-dits, passés sous silence dans la réconciliation, refont surface. L’étincelle décisive arrive en 68, l’année connaît des agitations majeures. La grève des cours à l’université, dans les collèges, lycées ; la grève générale des travailleurs, d’une ampleur inédite ; les échos des évènements en France ; la vie intellectuelle dakaroise marquée par le foisonnement des idées marxistes et souverainistes ; le vent de liberté venu du reste du monde. Tout rend le contexte local explosif.
L’accalmie aura duré peu de temps. Senghor, seul avec son gouvernement, avec ses nouveaux alliés, a quelques scrupules à mater la contestation. Il y cède pourtant. Le 30 mai, l’état d’urgence est déclaré. La répression s’en suit, comme en 63. La violence est revenue, 5 ans après, dans un cycle douloureux. L’impressionnante convergence des luttes a eu raison des tentations de Senghor à la surdité et à la cécité, déclenchant sa colère. En usant de la force, en délogeant cette énergie jeune de ses fiefs, alors qu’elle est soudée, le président s’attire davantage les foudres.
Conséquence logique de ces débordements, plusieurs morts et des centaines de blessés. Les hommes forts du PRA-S sont dans un dilemme. Ils devront vite trancher. Fadilou Diop, blessé par la tournure des évènements, l’autarcie de Senghor, démissionne de son poste de député. Ce sera aussi le cas de ses camarades du parti qui claquent la porte du gouvernement. Cette fois, la rupture sera définitive. Après, les divorces de 58 et de 63, 68, acte la fin de l’histoire.
Pour les jeunes engagés des années 50, c’est le désenchantement total et la prise de distance avec la vie politique et le militantisme classique. Senghor a franchi la ligne rouge. Sa récidive installe son pouvoir dans la fragilité et le contraint à ouvrir davantage le pays. Même si des spasmes de violences politiques marqueront encore les années 70 dont l’emblème sera l’affaire Blondin Diop.
68 cristallise ainsi à plus d’un titre l’épuisement d’un système de tractations politiques, avec le primat de la tactique sur les idées. Les récents évènements contribuent à faire monter dans le ciel dakarois un idéal de liberté. Plus que des évènements isolés, cette fin de mai 68 est un moment fondateur, qui précipitera l’éclaircissement des lignes politiques. Nul hasard que la période ait suscité l’intérêt des historiens et chercheurs documentant de leur travaux la période, parmi lesquels ceux d’Abdoulaye Bathily, acteur de premier plan de la séquence.
Solitude du pouvoir et germes d’une violence politique structurelle
Il se dégage à la lecture de cette séquence une constante : Senghor a longtemps gouverné sans une partie importante des élites. Et même lorsque ces dernières l’ont rejoint, la fusion n’était jamais totale. Il est de tout temps resté des relents d’une incompatibilité originelle, d’un malaise démocratique, que les évènements tragiques ont exacerbé.
Cette configuration politique semble être restée une des facettes de l’identité politique nationale. Malgré l’avènement du multipartisme en 74, la pléthore des courants politiques, le pays est resté marqué par ces manifestations tantôt sourdes tantôt grondantes de violence. Conséquence de cette politique toujours dans l’urgence, soumise aux lois des évènements, heureux ou malheureux, et de ces exercices de concorde nationale souvent hasardeux : d’autres chantiers sont restés dans l’ombre, comme celui de la construction d’une nation. Résultat des courses : une réalité politique qui s’entête à survivre au temps qui passe, marquée par une paix armée qui s’embrase de façon cyclique sous des brasiers sociaux, avec des accents tragiques. Une situation qui appelle urgemment une démocratie réelle : sociale, politique, économique, culturelle et religieuse. Un chantier total qu’hélas aucune offre politique n’a porté depuis l’indépendance, et encore plus inquiétant, qu’aucun courant ne porte aujourd’hui.
OMAR BLONDIN DIOP, REVOLUTIONNAIRE LÂCHEMENT ASSASSINÉ PAR LE RÉGIME SENGHORIEN ?
Il avait été envoyé en prison en 1973, accusé de « terrorisme » et d’espionnage comme agent étranger. Il avait été condamné par un tribunal spécial à trois ans de prison pour le délit d’atteinte à la sûreté de l'État
Si un bon nombre de Sénégalais célèbrent généralement la date du 11 mai comme celle de l’anniversaire de la mort de Bob Marley, les hommes de gauche ce pays pensent plutôt célébrer Omar Diop Blondin. Certes, ils le célèbrent dans la sobriété mais ils n’en oublient pas moins que Blondin, mort le 11 mai 1973, est l’une des figures marquantes des luttes anticoloniales en Afrique et en Europe.
La mort d’Omar Diop Blondin dans l’ex-prison de Gorée est sujette à polémique. Si la version officielle dit qu’il s’est pendu dans sa cellule, la version populaire veut qu’il ait été lâchement assassiné par pendaison et qu’il y a eu un simulacre de suicide.
Omar Diop Blondin avait été envoyé en prison en 1973, accusé de « terrorisme » et d’espionnage comme agent étranger. Il avait été condamné par un tribunal spécial à trois ans de prison pour le délit d’atteinte à la sûreté de l'État.
Blondin était né le 18 septembre 1946 à Niamey au Niger où son père, médecin de son état, avait été muté. C’était l’époque de l’Afrique occidentale française (AOF) et les fonctionnaires pouvaient être brinqueballés d’un pays des colonies à l’autre. Le père Blondin, Ibrahima de son prénom, est lui-même présenté comme un Malien d’origine sénégalaise qui ne s’est installé à Dakar qu’après la rupture de la Fédération du Mali. Omar est donc né au Niger mais, très tôt, il a été envoyé en France où il devait poursuivre ses études secondaires. Il entre au lycée Louis-le-Grand à Paris et poursuit ses études universitaires comme Normalien à l'École normale supérieure de Saint-Cloud. Naturellement l’ambiance de l’époque, dans les années 1960 à 1968, était sulfureuse. Les étudiants étaient tous de tendance révolutionnaire et Omar se signalera par un engagement très fort dans la lutte contre l’ordre établi. Contestataire, il se fera remarquer en mai 68 lorsqu’il prend la parole à la Sorbonne et distille un discours qui appelle à la désobéissance civile et à la révolte populaire. La France s’embrase. Le Sénégal suit.
A Dakar, les syndicats s’opposent à des réformes senghoriennes et déclenchent une grève illimitée réprimée durement par les forces de l’ordre. Les mouvements révolutionnaires étaient au début et à la fin des manifestations violentes qui éclatent alors et qui se poursuivent sur plusieurs semaines. Les manifs s’étalent à Ziguinchor, Thiès et Saint-Louis et le pays est au bord de l’explosion.
En France, Omar Diop Blondin, qui s’était imposé comme l’un des dirigeants des contestations estudiantines aux côtés d’un certain Daniel Cohn-Bendit, est arrêté par la police et expulsé vers le Sénégal, pays dont il a la nationalité. Il était accusé d’avoir participé à l’occupation de l’ambassade du Sénégal à Paris le 31 mai 1968. Avec lui lors de cet événement spectaculaire, il y avait aussi Landing Savané, militant maoïste. Parmi ses amis, il y avait de très grands intellectuels français comme Alain Krivine.
Expulsé de France, Blondin rentre donc au pays et impulse le mouvement révolutionnaire qu’incarnaient alors les partis clandestins comme le PAI. Avec ses frères et quelques amis comme Alioune Sall dit Paloma, Sidy Diop Noiraud ou encore Joe Ouakam, ils organisent des réunions clandestines et préparent en secret des actions d’éclat. Il entreprend d’implanter son mouvement dans les régions de l’intérieur, plus particulièrement dans le bassin arachidier, en Casamance, à Saint-Louis et dans le Sénégal oriental.
En septembre 1971, Omar Diop Blondin retourne en France « comme boursier du Sénégal » et réintègre l’École normale supérieure de Saint-Cloud. Le président Senghor était intervenu « personnellement » et « avec insistance auprès du président de la République française (Georges Pompidou) », pour faire lever la mesure d’exclusion et d’expulsion qui le frappait. C’est son père qui était intervenu auprès du président Senghor qui avait reçu en audience le jeune Omar, brillant étudiant qui faisait honneur au pays. Même s’ils n’avaient pas les mêmes points de vue, Senghor et Blondin ont eu un entretien et le président souhaitait qu’il termine ses brillantes études et revienne servir son pays.
Blondin reviendra au cours de la même année car il entendait protester contre des travaux coûteux que l’Etat avait engagés pour recevoir avec faste le président français, Georges Pompidou, ami et condisciple de Senghor qui devait accomplir une visite officielle dans notre pays. Avec son groupe de révolutionnaires clandestins, ils organisent une attaque au cocktail Molotov le 15 janvier 1971 contre le cortège de Pompidou, incendient le Centre Culturel Français et le ministère des Travaux publics. Pourchassé par la police, Omar Diop Blondin se réfugie au Mali. Senghor exige alors du président malien de l’arrêter et de l’extrader vers le Sénégal, ce qui fut fait.
Son procès a été évacué en vitesse et il est envoyé au bagne de Gorée. C’est là qu’il trouvera la mort le 11 mai 1973. Selon la version officielle, il se serait suicidé. Mais un de ses frères, Mohamed, qui était emprisonné en même temps que lui à Gorée réfutera la thèse du suicide. Son père portera plainte contre les autorités pour « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort » et « non-assistance à personne en danger ».
Deux gardiens de prison, dont le célèbre Néré Birame Faye, ont été accusés d’avoir été ses tortionnaires sur ordre du ministre de l’Intérieur d’alors, Jean Collin. Son frère, Mohamed, a soutenu que la veille de sa mort, Omar avait reçu la visite de Jean Collin et, face à son intransigeance, Collin avait demandé aux gardiens de lui « faire sa fête ». Son autre frère, Dialo Diop, arrêté en même temps qu’eux était, lui, incarcéré à la prison pour mineurs du Fort B. Tous ses deux frères soutiendront qu’il a été assassiné. Lors du procès intenté contre l’Etat par le père Blondin, la thèse du suicide et les résultats de l’autopsie menée par le professeur Quénum sont battus en brèche par la défense. Une pendaison improbable selon son père et tous ceux qui connaissaient la détermination du militant révolutionnaire qui n’aurait pas offert une si belle occasion au président Senghor de poursuivre sa politique pro-française.
A l’occasion d’un forum de témoignages sur ‘’Omar Blondin Diop : 40 ans après’’, organisé le 10 mai 2013 à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, le Dr Dialo Diop, devenu un éminent homme politique et frère cadet du défunt, avait soutenu que la version officielle servie par les autorités gouvernementales sénégalaises ne correspondait pas à la vérité : « Ce n’est pas exactement la vérité. Blondin Diop ne s’est jamais suicidé. Nous croyons fortement à la thèse de l’assassinat. Toute mort en détention doit être considérée comme un crime jusqu’à la preuve du contraire » avait-il soutenu.
Quant à Amath Dansokho, ancien ministre d’Etat, son témoignage avait été péremptoire : « C’est tellement clair comme de l’eau de roche dans ma tête : Omar Blondin Diop a été assassiné. Il a été tué parce que les autorités de l’époque étaient convaincues que, par son intelligence, il pouvait faire partir le système ».
Quoi qu’il en soit, l’histoire retiendra le nom de ce militant intransigeant et les jeunes générations se souviendront de Omar Diop Blondin comme l’un des dignes fils du Sénégal qui avait tenté de faire bouger l’inamovible.
Par Hamidou ANNE
LE PAYS DE SENGHOR
Depuis vingt ans, un projet est savamment exécuté, avec comme seul but : détruire son legs, qui tient en trois mots salvateurs et précieux : l’État, la Nation, la République. Ce pays doit se rappeler ce qu’il lui doit
J’ai quitté le domicile de mon défunt ami Alioune Badara Cissé pour rentrer, avant de subitement bifurquer à gauche et m’arrêter 200 mètres plus loin. Je ne connais pas très bien ce coin de Dakar d’où me parviennent les appels de la mer toute proche. Ces vents soufflent, ce samedi matin, profitant du silence inhabituel qui règne, à cette heure, dans notre capitale. Le silence n’est profané que par le bruit de moteur des camions qui, dans cet endroit, proche du port, rivalisent d’ardeur à la tâche et transforment la route en champ de désordre.
Je connais mal ce lieu ; aire curieuse où la vie, dynamique, s’immisce dans la majestueuse intimité de la mort. Les deux se joignent en une étrange symphonie qui interpelle le visiteur hésitant que je suis. La présence des élégantes femmes vendeuses de fleurs, alignées telle une belle mélodie de midi, n’est agressée que par les manœuvres aussi dangereuses que sottes afin de sortir du lieu, qu’opère un camion de l’Ucg. Son bruit enquiquine les vivants et trouble le sommeil éternel des locataires du lieu, à qui les vents marins offrent sûrement un zeste de fraîcheur dans la chaleur du jour. A l’intérieur, les agents de l’Etat désherbent, balaient, nettoient ; ils font montre d’une énergie dans ce lieu du repos éternel propice au silence et au recueillement. Je vois des femmes et parfois des hommes, dont certains accompagnés de leur progéniture, venir astiquer les tombes des proches en cette veille de la Toussaint. Les morts, dont certains dans leur long sommeil, reçoivent rarement de la visite. Certains oubliés par une descendance distraite. D’autres ont le privilège de profiter encore de la tendresse de ceux qui n’oublient pas ; qui ne renient pas le passé et rendent aux proches ce qu’ils ont reçu d’eux, avant à leur tour de les rejoindre. Tous les morts catholiques profitent dans la période de l’affection des croyants qui, en visitant les cimetières, prennent date avec l’immanquable.
Je me suis rendu compte que je ne connaissais pas ce lieu ; je n’y ai jamais mis les pieds. Les cimetières ne sont pas un endroit que j’aime visiter. Il y règne un rappel permanent de l’inanité de nos luttes, la fugacité de nos réussites et la banalité de nos ego devant ce quelque chose de plus grand que nous. Ce lieu nous ramène à la fatidique réalité : nous ne sommes rien que de la poussière polie appelée à redevenir infime poussière et dispersée dans l’immensité de l’univers.
Je sais que de toute façon notre bail est à venir avec ce lieu, et l’éternité est là pour en être le témoin privilégié ; témoin également de nos proches qui nous oublieront et marqueront un silence gêné, esquisseront un sourire tendre ou tairont une profonde animosité devant nos souvenirs communs.
Le cimetière de Bel Air est bien tenu ; un certain ordre y règne. On y observe une logique géométrique, rendant le décor des morts en phase avec une société qui sacralise la vie même dans son autre versant. Même un lieu aussi sinistre, qui ceint nos souvenirs douloureux, peut inspirer une poésie par la façon par laquelle on y apporte un certain soin.
Je prends presque mes aises dans un lieu dont rien que l’évocation m’inspirait l’effroi et le rejet. Comme si je luttais, à ma manière, pour ne jamais imaginer l’incontournable rendez-vous avec le Pays sans fin.
Je le cherche. Je parcours les allées bien dessinées à sa quête, refusant de demander. Une sorte de défi presque enfantin pour trouver moi-même son antre du sommeil. Puis, après avoir erré une demi-heure, je consens à demander mon chemin : «Bonjour, vous savez où se trouve la tombe du Président ?». Il comprendra. Un seul ancien locataire du Palais a rejoint les ancêtres. Peut-être que nous n’avons jusque-là eu qu’un seul Président…
Il m’indique le chemin. Le caveau est sobre, à l’image de l’homme, de sa vie, de sa gestion publique, de sa fin et de son souvenir. Il est aux cotés de sa chère Colette. Ils enlacent Philippe, le «souffle mêlé de (leurs) narines». Réunis enfin, ils savourent cette insondable – pour nous autres – poésie de l’Éternité.
À côté, des figures de ce que nous avons de plus précieux ; ce que nous nous transmettons dans une sacralité sans faille depuis 60 ans, certes de manière tumultueuse, mais jusque-là saine : la République. Le silencieux Bruno Diatta, le géant André Peytavin. Ce Sénégal est celui de mon hôtel de l’insomnie : ce Sénégal d’hier, qui se perd lentement, mais sûrement.
Une profonde émotion m’emplit devant la tombe du Président, le bâtisseur de notre pays ; celui qui a placé le Sénégal sur la carte du monde. Je suis contemporain de l’époque qui salit son œuvre. Depuis vingt ans, un projet est savamment exécuté, avec comme seul but : détruire son legs, qui tient en trois mots salvateurs et précieux : l’Etat, la Nation, la République. Ce pays doit se rappeler ce qu’il lui doit. On appartient au pays de ses morts. Ce pays est le sien. Léopold Sédar Senghor est l’homme d’un seul pays. Le Sénégal est le pays d’un seul homme.
LA PART D'OMBRE DE SENGHOR
En 1963, Mamadou Dia et quatre de ses ministres, dont le charismatique Valdiodio N’Diaye, étaient sévèrement sanctionnés pour avoir défendu une autre vision de la décolonisation. Un acharnement qui révèle une facette méconnue du président-poète
C’est l’histoire d’un coup d’État qui n’a jamais dit son nom mais qui aura modifié en profondeur la destinée du Sénégal post-indépendance. Le 18 décembre 1962, alors qu’une crise institutionnelle oppose le président de la République, Léopold Sédar Senghor, au président du Conseil (ancienne désignation du Premier ministre), Mamadou Dia, ce dernier et quatre de ses ministres sont arrêtés par l’armée. En mai 1963, ils seront lourdement condamnés à l’occasion d’un véritable « procès de Moscou ».
Depuis plus de 20 ans, la réalisatrice Amina N’Diaye Leclerc, fille de l’ancien ministre Valdiodio N’Diaye, qui fut au cœur de l’affaire, creuse ce sillon méconnu de l’histoire sénégalaise contemporaine. Une tragédie politique qui a été gommée des livres d’histoire et des archives tant elle écorne le mythe du Senghor poète et humaniste, chantre de la négritude. « Il reste très peu de films et de photos sur Valdiodio N’Diaye et Mamadou Dia, alors qu’ils étaient filmés régulièrement par les Actualités sénégalaises. On a voulu les effacer de l’histoire officielle », résume Amina N’Diaye Leclerc.
Après un premier film en 2000, Valdiodio N’Diaye, l’indépendance du Sénégal (52’), celle qui n’était encore qu’une enfant lorsque la vie de sa famille a basculé prolonge aujourd’hui ce travail de mémoire dans Valdiodio N’Diaye, un procès pour l’histoire (90’), qui a été projeté en juillet lors du Festival de Cannes, dans le cadre du marché du film, et sera prochainement diffusé sur TV5 Monde. Citant de nombreux témoins de l’époque, elle y détaille le conflit qui opposa, au sommet de l’État sénégalais, deux conceptions antagonistes de la décolonisation.
De Gaulle humilié
L’histoire commence le 26 août 1958, dix-huit mois avant l’indépendance du Sénégal. Arrivé de Conakry, De Gaulle, alors président du Conseil sous la présidence de René Coty, est en visite à Dakar pour préparer les esprits au référendum prévu un mois plus tard – qui marquera l’acte de naissance de la Ve République. Le général propose aux colonies françaises d’Afrique d’adhérer au projet de « Communauté » qui entérinerait leur statut d’État tout en perpétuant leur allégeance à la France à travers différents domaines partagés.
En Guinée, la veille, De Gaulle a essuyé un camouflet de la part du président Sékou Touré, bien décidé à décliner l’offre française. « Plutôt la liberté dans la pauvreté que la richesse dans l’esclavage », lance-t-il devant un De Gaulle humilié. À Dakar aussi, l’accueil qui lui est réservé tourne à l’affront. Alors que Senghor est en villégiature en Normandie et que Mamadou Dia reçoit des soins médicaux en Suisse, c’est Valdiodio N’Diaye, alors ministre de l’Intérieur, qui reçoit le général. Sur la place Protet (l’actuelle place de l’Indépendance), le Sénégalais tient un discours énergique où perce l’ambition d’un pays réellement affranchi de la tutelle française. Devant une foule exaltée, le général encaisse le coup. Mais Valdiodio N’Diaye vient d’entrer en disgrâce, même si le « oui » l’emportera à 97,6 %.
Motion de censure
Le 4 avril 1960, le Sénégal accède à l’indépendance. Et le duo Mamadou Dia-Valdiodio N’Diaye affiche des velléités d’émancipation qui contrarient de puissants acteurs. Comme le résume dans le film le Français Roland Colin, directeur de cabinet puis conseiller personnel de Mamadou Dia de 1958 à 1962, leur souverainisme affirmé et les affinités de ce dernier avec le bloc socialiste « heurtaient les intérêts de trois groupes principaux ». En l’occurrence, les marabouts, certains cadres politiques prêts à toutes les compromissions pour sauvegarder leur influence ainsi que les intérêts économiques français, alors promus par la Chambre de commerce de Dakar.
EXCLSIF SENEPLUS - Au Sénégal, on a appris à des générations de postulants intellectuels à aimer ou haïr Senghor. Il en a découlé une terrible méconnaissance de son œuvre. En fauchant tout ou presque, on passe sous silence que le pays lui est redevable
Photo Serge Philippe Lecourt |
Elgas |
Publication 30/08/2021
Inclure Léopold Sédar Senghor dans une série baptisée « Les damnés de leur terre » peut sembler relever de l’hérésie, tant l’homme a été le récipiendaire de tous les honneurs possibles et imaginables, surtout les plus officiels. Senghor fut en effet pourvu, et bien, en apparat, toges, breloques et médailles, et ce du tout-venant : universités, républiques, monarchies, cabinets, antres religieux. Partout il fut reçu avec diligence, et son personnage, sans aspérités trop prononcées, cheminant avec le prodige qui lui est propre, lui ouvrit en grand la porte des cénacles les plus prestigieux. Il suffit de faire quelques détours dans les notices biographiques disponibles – même les plus paresseuses – pour y voir, consignés sur des pages et des pages, bien mis en valeur, les trophées du bonhomme. Dans son pays, l’homme s’est fondu au fronton des bâtiments publiques, dans la mémoire collective, et même, lettrés et illettrés confondus, dans l’imaginaire collectif. Il préfère « pourrir dans la terre comme le grain de millet », vœu formulé dans son poème liminaire adressé à Léon Gontran Damas dans Hosties Noires (1948) pour devenir « la trompette et la bouche du peuple ». On peut constater sans le flatter que la graine a fleuri et qu’il est exaucé. Il eut sa griotte et cantatrice attitrée, Yandé Codou Sène, et aujourd’hui encore les louanges défient le temps.
Une mémoire chahutée
Tout ça bien sûr ne milite pas pour son inclusion dans la liste des Damnés de leur terre pas plus qu’à parier, Fanon ne l’aurait inscrit dans la sienne des Damnés de la terre (1961). Cependant, même chez ses admirateurs les plus fervents, on s’impose désormais la discrétion : on ne le célèbre plus véritablement qu’in petto, sans gros tapages. Même si l’empreinte du « père de la Nation » est là, imposante et irréfutable, tantôt fardeau, tantôt couronne, si partout son effigie trône, si Senghor reste dans les esprits, il y a loin encore pour qu’il soit dans les cœurs, en bonne place, avec de la bienveillance mémorielle et sur le temps long. Les cœurs sont divisés à son propos. Et pas n’importe lesquels. Il importe d’aller farfouiller dans ce malaise aux allures de crime originel, disons continental, pour essayer d’y voir clair sur cette tragédie familiale, celle d’un fils perdu par son amour illégitime.
Dans le pays Sérère qui le vit naître, pays du reste pépinière à héros nationaux, le fils de Joal reste un enfant prodige et un fils prodigue. Et dans les cœurs de ce Sine royal, ce premier fils dont la gloire illumine encore la filiation, est bien chanté en psaumes et autres élégies. Mais au-delà du carcan proche, des émules acquises, dans les cercles de savoir, c’est-à-dire dans l’épique querelle intellectuelle, Senghor est dans les cœurs certes, mais à une place ingrate : celle du père déserteur, renégat de la fierté nationale. Un patriarche inassumé, dont on est presque honteux, avec ses honneurs étrangers, sinon français, qui ne signent en définitive que l’opprobre. Ses titres n’ornent que la flamboyance de son tombeau, sur lequel l’on ne manque pas d’aller cracher ou « danser » généreusement. Car dans ce Dakar prescripteur de la tendance intellectuelle, et dans cette Afrique en quête d’une renaissance chahutée par diverses péripéties, Senghor a perdu. Vingt ans après sa mort, c’est une défaite sans l’ombre d’un doute, si on en juge par les forces en présences et les idées en vogue. Dans les manifestations nationales et continentales, il est vain d’attendre des slogans à sa gloire, la seule façon pour lui d’y figurer, c’est en effigie crucifiée et brûlée en place publique pour intelligence avec l’ennemi. Ses adversaires les plus illustres sont devenus les idoles de la jeunesse, les modèles des aspirants, et les alliés des activistes qui ont le vent en poupe.
Pourquoi donc aller au-delà de ce constat historique, de cette défaite consignée, d’où aucune rémission ou réhabilitation ne semble possible pour l’ancien président sénégalais ? Pourquoi enjamber ce verdict sanglant qui s’est imposé à mesure du temps ? Sans doute parce qu’il y a dans la damnation une part fatale, mais bien plus encore une part d’injustice, sans jouer ni les avocats, ni le contempteur assagi. Survoler les rangs de ceux qui ont eu des différends, parfois des inimitiés, souvent de la rancœur contre Senghor, c’est côtoyer une incroyable galaxie d’esprits lumineux devenus symboles du continent.
Un homme politique dur
Sur le champ politique d’abord, Senghor ne fut ni un saint ni un tendre. Il faut le dire d’emblée. Parachuté dans cet univers par la force des choses et son parcours qui l’y a mené naturellement, il fut un leader coriace sous des dehors avenants et charmants voire charmeurs. Avec une componction toute bourgeoise et des manières monacales, il joua un registre maîtrisé, celui de l’homme politique sans écarts extravagants. Cette tonalité lui est naturelle quand on connaît son ascendance, lui qui est d’un lignage noble du côté de son père, Basile Diogoye comme de sa mère, Gnilane. L’un fut commerçant prospère ; l’autre de la filiation des Guelwar. C’est donc un garçon bien né, précocement mélancolique, qui n’éprouva pas les rudesses et les incartades du destins qui corsent les caractères. Hormis l’épisode de la seconde guerre, où il fut prisonnier des Allemands, et celui plus tard de l’acharnement de la faucheuse contre sa descendance, ses premiers engagements ont ainsi été marqués par une certaine douceur. Il n’a eu besoin ni de chasser pour survivre ni de combattre pour s’imposer. Un tel pedigree est une part importante de son identité.
Si l’indépendance fut acquise au Sénégal, enfant gâté de colonie, dans la dévolution et non au combat, cet état de fait institua une transition en douceur, presqu’une continuité. Incarnation de cette étape, Senghor devait fatalement susciter des querelles de positionnements, point de cristallisation des reproches de ses pairs. Car le modèle Senghor tout promis à son destin, était tout de même à rebours de la rupture sèche prônée par les mouvements panafricains et la dynamique des indépendances. S’il en partageait le fond et les optiques, dans l’impulsion de la négritude qu’il contribua à conceptualiser, il ne fut à l’inverse ni combattant, ni rebelle, encore moins activiste ; et à bien des égards, il parut se satisfaire de ce costume taillé sur mesure sans soubresauts majeurs. Était-ce au nom d’un sens du compromis déjà consommé qui cadrait bien avec son tempérament en quête de consensus, et donc tout compte fait une philosophie du pouvoir bien étudiée ? Ou alors était-ce un lien viscéral avec le colonisateur de nature presqu’affective par les liens de la langue, de la littérature et de sa foi chrétienne réelle et profonde ? Était-ce la bonne mesure pour gouverner ces pays nouvellement indépendants où il y avait tout à défaire et tout à refaire ? Sans doute un peu des trois.
L’amour coupable et la tâche indélébile
Et il ne sert à rien d’occulter l’aspect, très important, de sa francophilie bien réelle et de son amour – coupable ? – pour la France qui le lui a bien rendu. S’il s’en défend « ah je ne suis pas la France, je le sais » c’est pour dire plus loin, dans le même poème qui chante les tirailleurs, s’agissant toujours de la France « que ce peuple de feu […] a distribué la faim de l’esprit comme de la liberté à tousles peuples de la terre conviés solennellement au festin catholique ». On peut en trouver d’autres, facilement, des extraits sans équivoque, sur cet attachement et cette fascination. Un amour proche de la déférence, et contre les intérêts de son pays, arguent avec raison ses jurés. Cet amour pour le bourreau a fédéré l’essentiel des reproches à son endroit, et les noms d’oiseaux rivalisent de sarcasme pour l’accabler. Du nègre de maison au suppôt, il y a le choix. On est à un point de l’histoire où aimer la France pour un Sénégalais, fût-il Senghor, est une tare irrémissible. Aimer le Sénégal pour un Français, un acte d’ouverture. Une drôle d’asymétrie…dans une quête d’égalité.
Si on réussit à passer l’objet de la querelle centrale sur Senghor que l’on vient d’évoquer, on peut noter sur le plan politique d’autres griefs qui l’empoignent. Depuis les désaccords avec Lamine Gueye – autre fils chanté du pays – au lendemain de la seconde guerre sur des choix politiques jusqu’à la scission avec la fédération du Mali en 1960, en passant par sa répression des débordements de 1963 et de 1968, Senghor a montré un certain art martial de la gestion politique. On ne compte plus ses concurrents, anciens amis devenus opposants, et victimes de ses « punitions » aux inclinations très carcérales et de répressions sanglantes. On pourrait tourner la question à loisir, chercher des arguments à décharge, et si en face on n’eut pas que des saints, Senghor avait quand même une conception de la démocratie très peu inclusive, étroite et violente. Son empressement à couper court à la parole contraire n’honorait ni ses engagements intellectuels, ni son legs politique. La tâche est là au milieu du front, ombre ravageuse sur sa réputation de rondeur bienveillante. Mamadou Dia, Blondin Diop, Pathé Diagne, Cheikh Anta Diop.... Ils sont nombreux à avoir subi son arbitraire, sans toujours mériter ce funeste sort. Dans le contexte très porteur pour les idées d’émancipation des années 50 /60, bâillonner la dissidence ne pouvait déboucher que sur un effet désagréable et rétroactif, lequel, avec le temps, était promis à consacrer les victimes d’hier avec le privilège habituel des victimes : celui d’être encensées outre-mesure en passant ainsi vite sur leurs propres manquements et forfaits. Le symbole de cette célébration par défaut, c’est Mamadou Dia, devenu depuis son martyre, l’anti-Senghor qui suscite les regrets et compile les bénéfices de la comparaison.
La théorie et la pratique du pouvoir : une dissonance
Si Senghor a eu du flair dans ses écrits politiques, sur sa vision du socialisme, en pressentant par exemple rapidement la dissonance entre le marxisme théorique et les réalités africaines, il n’en tira pas de bénéfice dans l’immédiat. Il a partagé ce constat avec Amady Ali Dieng, intellectuel sénégalais, qui s’était montré sceptique sur les Damnés de la terre de Fanon dont il produisit une remarquable critique. Mais ces nuances et intuitions visionnaires dans ses idées politiques, généreusement expliquées dans le tome 2 de Liberté, Nation et voie africaine du socialisme (1971), semblent parties en pures pertes. Car politiquement, l’époque vouait un culte au Marxisme, et si lui - d’ailleurs primo-communiste dans ses premiers engagements et aspirant socialiste plus tard - n’a pas été particulièrement tenté par les promesses du Marxisme, à l’examen d’aujourd’hui, il n’eut pas tort. L’héritage du Marxisme sur le continent comme matrice idéologique est constamment battu en brèche et rétrospectivement, son pressentiment fut le bon. De telles pièces à conviction ne pesèrent pas bien lourd dans la balance de son procès. On jeta le bébé avec l’eau du bain. Du politique, on ne lut ainsi que très peu le théoricien, mais on accabla généreusement le praticien du pouvoir, avec ses dents de glace dans le velours de l’apparence.
Des questions légitimes se posent dès lors. Comment un tel élan théorique a-t-il pu se laisser aller à une gestion politique aussi virile, avec des inflexions dictatoriales par moment ? Cela reste un mystère. Toujours est-il, avec un tel passif, tous les acquis de Senghor sont foulés aux pieds par l’acte d’accusation, dans le procès historique qui s’est ouvert avant sa mort et qui est aujourd’hui encore entretenu. Les mots sont durs à son endroit ; le verdict plus encore. À même en oublier que les vertus prêtées au rôle prééminent des confréries dans la gouvernance politique au Sénégal, fut un legs de l’administration coloniale que Senghor a veillé en entretenir. Ce que le Sénégal se gargarise d’avoir comme modèle de régulation sociale est un compromis colonial, une entente cordiale entre colonisateurs et chefs locaux que Senghor a formalisée par la suite, et intégrée comme une tradition perçue comme endogène. Ces bases de la stabilité politique du Sénégal portent une part de son mérite et ses soutiens, peu bruyants mais bien nombreux, ne manquent pas souvent de saluer ces actes forts : son départ en transition douce en 1980 quand le continent voyait des satrapes s’accrocher au pouvoir et la survivance de sa vision culturelle qui a perdu de son ascendant depuis son départ.
Littérature, de la controverse légitime aux attaques personnelles
Même fortune dans le champ littéraire ou presque, le poète fédère contre lui la crème du continent : Stanislas Adotevi, Wolé Soyinka, Mongo Béti, et bien d’autres illustres noms, se sont payés Senghor, en termes souvent redoutables, sans toujours avoir tort. Les critiques d’Adotevi dans Négritude et Négrologues (1972) et de Soyinka dans la même veine, étaient de l’ordre de la controverse des idées, notamment les désaccords sur la Négritude. À ce titre, elles ajoutaient de la matière au débat, malgré la rudesse des charges. Mais chez beaucoup d’autres de ses détracteurs, les attaques ont vite migré du terrain des idées à celui de la personne en elle-même. Même chez ses supposés amis, il n’a pas toujours été en odeur de sainteté comme le symbole une malédiction chronique qui empoissonne son héritage. Il ne fut par exemple pas un régulier de Présence Africaine, temple de l’époque, où il ne publia aucun livre, tout au plus quelques textes dans la Revue. On n’y garde pas le souvenir d’un combattant, d’un ami de la maison, de la cause, porté par exemple par la fièvre du moment.
Même Césaire, l’ami indéfectible qui ne l’a jamais renié, a admis en termes sibyllins que Senghor n’avait pas que des « répulsions » pour la France, pour faire dans l’euphémisme. Les deux hommes resteront pourtant jumeaux de la Négritude, siamois, avec l’ardeur flamboyante pour l’Antillais et le charme diplomatique du Sérère. Et même quand Sartre préface son Anthologie de la poésienègre et malgache (1948), dans l’abrasif Orphée Noir, il semble y avoir là encore une dissonance, entre le philosophe ami des opprimés et Senghor lui-même, le dernier des opprimés. Les deux textes semblent varier d’épaisseur politique, ils ne portent pas la même charge, et produisent un drôle d’écho disharmonieux, comme si Sartre ou Senghor s’étaient trompé, l’un ou l’autre, dans leur choix. Un concerto aux tons en décalage.
Le pair et le repère
Tout cela produit une chose : on se paie Senghor. C’est même devenu une mode. Un défi. Un passage initiatique pour les aspirants intellectuels. Parmi les premiers à recevoir les honneurs, premier admis dans les enceintes prestigieuses, quand bien même la docilité en même temps que le mérite l’y ont propulsé, Senghor ne pouvait devenir qu’un punching-ball. Un baromètre à partir duquel se mesure la jauge du positionnement intellectuel. Une sorte de boussole qui indique une direction que l’on s’empresse de ne pas suivre, à l’exception d’un dernier quarteron d’irréductibles dont la voix ne porte guère hors des cercles de poésies dépolitisées.
La presse et les travaux universitaires se sont fait l’écho de cette querelle, et dans les éléments récurrents, dont on ne fera pas l’inventaire ici – d’autres plus qualifiés l’ont fait fort bien – on retiendra les phrases devenues elles-mêmes les chefs d’accusation : « l’émotion est nègre, la raison Hellène ». « « La colonisation est un mal nécessaire ». Des livres ont été écrits, en défense ou en accusation de ces éléments, et si des siècles ne parviennent pas à en faire une exégèse admise pour tous, c’est qu’il y a trop à comprendre ou pas assez. Tout est évident ou parfaitement complexe. Et ce n’est par manque d’avoir ratiociné au mot près pour traduire ces extraits. Les protagonistes du débat figés dans leurs camps prennent peu en considération les avis inverses. Il faut des coupables et des héros. Et à ce jeu, Senghor n’avait pas les arguments pour peser devant ces « preuves » on ne peut plus accablantes.
L’homme et l’œuvre broyés ?
Dans tout cela, y a-t-il finalement de la place pour la Littérature ? D’entendre sa voix poétique, inaliénée, dans un souffle de création non captif des déformations politiques ? Pas tellement sûr. Dissocier l’homme de l’artiste ? C’est encore la prétention de la frontière, oublier que l’homme entier était à la fois poésie et politique, génial et vil ; de Joal et de Verson, ombre et lumière, et qu’à tout prendre, il faut le prendre en entier et renoncer aux idoles parfaites… Senghor était d’un temps où la Littérature ne se faisait pas seulement, comme un caprice esthétique ou une purge de quelques obsessions ; pas seulement un divertissement. Elle se pensait avec une certaine démangeaison épidermique. Elle investissait la langue, le mot, le rythme, elle portait une métaphysique. Habitée par un démon, elle était un art chevillé au corps, possessif et entêtant. Elle était investie d’une mission. Si celle de Césaire fut évidente pour beaucoup, le contretemps Senghorien ne manquait pas de cette fibre. Du séminaire de Ngazobil sur la petite côte sénégalaise de l’enfant du Sine à l’académie française du Quai Conty pour le serviteur du français, en passant par Louis-le-Grand, l’agrégation, et une carrière de professeur de Lettres à Tours, sans oublier les grandes étapes à Dakar et à Verson en Normandie, c’est une sacrée trajectoire. Une vie pleine qui ne pouvait pas offrir que de l’éclat, de la vertu, un lisse héritage.
Elle reste la colonne vertébrale d’une œuvre poétique, majeure, que même ses détracteurs les plus chevronnés lui reconnaissent. Dans le Tome 1 dans Liberté, Négritude et humanisme, discours, conférences (1964) on retrouve toute la grammaire de la poésie de cette œuvre résolument panafricaine qui a toujours été son obsession. Dans le jeu des phrases à monter en épingle, sa poésie offre nombre de repaires sublimes tant elle est une des plus belles esthétiquement, philosophiquement, avec ses portées humanistes, sa profondeur endogène, et sa délicate fragilité. Tant elle porte l’énergie de sa langue, de son pays, de son Joal, dans cet universel déjà horizontal chez lui qui est devenu la référence des épistémologies du Sud. Un Michel Torga avant l’heure « l’universel, c’est le local sans les murs ». Un festin désormais admis dont il est exclu au motif de la tâche originelle de traîtrise qui semble tout défaire, comme l’acide attaque la matière. Sans doute est-ce la plus grande injustice contre son œuvre. Vue et filtrée à travers lui, broyée même, toute sa dimension panafricaine, militante, qu’il a obsessionnellement nourrie jusqu’au Festival des arts nègres (1966), et partant, sa politique culturelle, est soustraite de son legs majeur. En fauchant tout ou presque, on passe sous silence que le Sénégal lui est redevable d’une part de son rayonnement. « Notre noblesse nouvelle est non de dominer le peuple mais d’être son rythme et son cœur », écrivait-il dans Hosties noires. Il le fit le long de toute son œuvre, toute – et c’est notable – orientée vers l’Afrique et les Mondes Noirs malgré l’évident tropisme français. Poèmes, récits, théories politiques, journaux, lettres, discours, anthologies, essais, tout est là, prêt à plaider pour lui, à l’enfoncer aussi.
Comment faire un bon parricide ? L’exemple de Tchicaya
Dans sa biographie de Tchicaya U Tam’si, Boniface Mongo-Mboussa décrit la relation du poète congolais à Senghor. Tchicaya ne voulait haïr ou détester Senghor comme on nous l’enseigne à presque tous, mais seulement le « tuer ». Un parricide littéraire, rien d’autre, à la fois hommage et envol. S’affranchir du carcan sans le renier. La leçon de Tchicaya n’a pas été apprise ou retenue. L’option binaire a prospéré. Au Sénégal, on a appris à des générations de postulants intellectuels, dans un sens comme dans l’autre, à aimer ou haïr Senghor, pas à le tuer hélas. Une telle injonction, produite par la déformation de l’Histoire, a bien opéré. On ne prend plus la peine de le lire, puisque le tribunal a rendu son verdict. Il en a découlé une terrible méconnaissance de son œuvre, en même temps qu’une grande admiration et haine à doses pas toujours égales. Comme s’il n’existait pas cette zone grise, qui ne saurait être une tiédeur, mais bien la fabrique de vrais esprits tiraillés, capables de faire un choix et d’élucider un texte avec des arguments non biaisés dès le départ.
Comme l’acte inaugural de la difficulté du continent à ne pas entretenir un débat sain et serein, l’affaire « Senghor » est symptomatique de l’incapacité, devenue désormais hélas pathologie aigue aujourd’hui, de ne pas critiquer sans destituer. De ne pas porter le désaccord sans l’hostilité. En désignant les « traitres » du continent, c’est l’extrême étendue de leur qualité qu’on restreint à une petite portion, réceptacle des crachats ainsi invités à s’abattre. Défier cet ordre, c’est réinstituer Senghor à l’agenda et le lire, véritablement, et seulement après se faire un avis. Pas sûr que cette option ait du succès.
Dans Ndessé toujours dans Hosties noires, sublime chant crépusculaire, ode amère à la mère, Senghor écrit en chute du poème au plus fort du Spleen : « Mère, je suis un soldat humilié, qu’on nourrit de gros mil. Dis-moi donc l’orgueil de mes pères ! » La petite ironie de l’histoire, c’est que Sédar, son prénom sérère, signifie « celui qui ne sera jamais humilié ». Il ne le fut jamais en réalité, mais tous les honneurs qui l’ont inondé, l’ont aussi un peu coulé dans la momification vivante. Ils masquent une blessure intérieure, celle de ne pas avoir assez gagné les cœurs pour rester dans les mémoires avec le bon rôle. Senghor et sa mansuétude pleine de sagesse et de dérision, le savaient sans doute : sa défaite est sublime parce qu’elle porte une part de victoire indicible, inavouable. Et le triomphe de ses adversaires, paradigme à l’œuvre aujourd’hui, porte ses parts d’ombre et ses défaites qu’on n’osera jamais dénoncer, parce que c’est le sens de l’Histoire peu importe la destination. Avoir tort avec Cheikh Anta Diop sera toujours plus acceptable qu’avoir raison avec Senghor. Loi de l’époque, du nombre, du vent de l’histoire, du mouvement ; loi de la justice ! C’est la condition même du pair nécessaire, dans tous les sens du terme. Celui qu’il nous faut, pour le meilleur et le pire.
Léopold Sédar Senghor préférait qu’on retienne de lui le poète, plutôt que le président. Il a pourtant joué le tout premier rôle dans l’indépendance du Sénégal
Léopold Sédar Senghor préférait qu’on retienne de lui le poète, plutôt que le président. Il a pourtant joué le tout premier rôle dans l’indépendance de son pays, le Sénégal.
Distribution : Nicolas Mouen (comédien), Senny Camara (musicienne, kora).
Le théâtre des indépendances est un podcast théâtral librement inspiré par l'histoire des indépendances africaines, racontée en six épisodes par six « Pères de la Nation ». Une série écrite et mise en scène par Vladimir Cagnolari, produite et captée par le festival Africolor et adaptée par RFI pour une écoute au casque.
Par Fadel DIA
SENGHOR EST MORT
L'arbre du ministre de l'Enseignement supérieur cache la forêt des Sénégalais qui font croire que le pays à l’origine de la Francophonie est devenu celui où la langue française est la plus mal parlée
«Nous sommes le seul pays africain francophone qui ont des UVS…Nous sommes le seul pays africain…qui vont recevoir un lot de 6000 ordinateurs...». Je voudrai d’abord rassurer tous ceux qui me font le plaisir de me lire quelquefois dans les colonnes de ce journal : ces propos ne sont pas de moi. Hélas! Hélas, parce qu’on aurait pu me les pardonner en invoquant mon âge, car la presse n’est pas souvent tendre pour les personnes dites du troisième âge, puisqu’on y lit souvent ce genre de fait divers : « un vieillard de 60 ans a été renversé par une charrette»
Hélas, parce qu’on aurait pu penser qu’il s’agit forcément de propos tenus dans l’intimité, puisque je ne suis pas de ceux auxquels on tend un micro, qu’il s’agit d’une opinion personnelle, lancée à la légère, au fil d’une conversation…
Hélas, parce que ces propos ont été tenus par un ministre de la République et que le seul fait que celui-ci leur ait survécu est la preuve, pour ceux qui en doutaient encore, que Senghor n’est plus aux affaires.
Parce que ces propos ont été tenus sur une télévision à vocation nationale, face à l’interviewer vedette de la chaine, et à une heure de grande écoute et qu’ils n’ont pas échappé à la presse.
Parce qu’il ne s’agit pas d’un simple lapsus, puisque le bafouement d’une règle aussi élémentaire que l’accord du verbe avec son sujet, qui attire ici notre attention, a été répété à plusieurs reprises.
Parce qu’il ne s’agit pas de n’importe quel ministre, mais de celui qui est chargé de l’enseignement supérieur, censé être la référence suprême du bon usage de la langue française.
Parce que c’est précisément en français, langue officielle du Sénégal, que s’exprimait le ministre, la langue par laquelle se fait l’acquisition du savoir dans nos écoles, nos collèges, nos lycées et nos universités. Une langue dont les règles fondamentales sont fixées depuis des siècles, gravées sur du marbre et que nos maitres et nos professeurs s’acharnent à enfoncer dans la tête de nos enfants, même quand elles heurtent leur raisonnement, car le français qu’on écrit n’est pas forcément celui qu’on entend !
Quelle sera désormais la crédibilité de nos éducateurs, si celui qui aurait dû donner l’exemple foule aux pieds ces règles ? Au fond, tous ceux qui enseignent la grammaire française auraient dû manifester dans la rue, voire observer un jour de grève, car c’est la fiabilité même du savoir qu’ils dispensent qui est remise en cause. Je ne sais pas si notre pays est « le seul pays africain qui ont des UVS », mais je peux dire que c’est le seul pays francophone qui ont si peu de respect pour Grevisse et les Robert ! Car l’arbre du ministre cache la forêt des Sénégalais, étudiants, enseignants, hommes et femmes de la politique ou de la société civile qui, sur les ondes des radios (y compris sur RFI, la « radio mondiale »), ainsi que sur les écrans de télévision, font croire que le pays qui a été à l’origine de la Francophonie est devenu celui où la langue française est la plus mal parlée.
Senghor est bien mort, et une autre preuve est que le théâtre Daniel Sorano, qu’il avait fondé, est fermé : ses portes sont ouvertes mais sa scène est désespérément vide. Depuis combien de temps n’y a-t-on pas joué une pièce de théâtre, une vraie, avec un texte de qualité, quelle que soit sa langue, qui enrichit le cœur et l’esprit ? Le théâtre n’est pas le seul à avoir déserté Sorano où ne retentissent plus les sonorités de l’ensemble instrumental, où ne résonnent plus les pas des danseurs de Sira Badral. Mais il n’y a pas que le théâtre. Le premier long métrage cinématographique « négro-africain » réalisé en Afrique est l’œuvre d’un cinéaste sénégalais, et notre pays ne compte pratiquement qu’une salle de cinéma.
Le premier artiste noir admis à l’Académie française des beaux-arts est sénégalais, et aucune de ses œuvres ne figure dans nos rues et dans nos places. Il est vrai que ce paradoxe ne se limite pas à la culture puisque le Sénégal qui, depuis des années, figure au premier rang africain dans le classement des équipes nationales de football, ne possède aucun terrain de football homologué pour une rencontre internationale !
Senghor est mort, lui qui cultivait la ponctualité, et si l’exactitude est la politesse des rois, alors tous nos politiques sont d’une incorrigible incivilité. Toutes les réunions qu’ils président, toutes les rencontres auxquelles ils sont conviés, se tiennent avec des retards qui ne se résument pas au quart d’heure de courtoisie mais peuvent s’étirer sur des heures.
L’imponctualité est devenue le travers le mieux partagé au Sénégal et elle est à l’origine d’un cercle vicieux : l’important ce n’est plus de venir à l’heure, mais juste de venir avant les officiels, forcément en retard, dont l’arrivée conditionne le début des travaux ! Ce manque de ponctualité n’est pas seulement une marque d’impolitesse, c’est aussi un énorme gaspillage de temps et d’énergie qui contribue à administrer chaque jour la preuve qu’au fond, si nous ne sortons pas du sous-développement, c’est que nous ne travaillons pas assez.
Dis-moi avec quel retard se tiennent les réunions chez toi, et je te dirais dans quelle catégorie de pays tu vis ! Senghor est mort, lui qui se tenait à égale distance des religieux, alors qu’aujourd’hui entrer en politique c’est commencer par se chercher un guide religieux et que nos présidents ont besoin d’un copilote pour nous gouverner. C’est un attelage périlleux, d’abord pour le religieux car la politique est toujours une forme de compromis, voire de compromission, mais aussi pour les gouvernants, parce que l’affaissement du politique marque le début du désordre.
Cette confusion des rôles est un frein à nos libertés, et si au temps de Senghor on pouvait aller en prison pour avoir critiqué le pouvoir, aujourd’hui on peut se faire lyncher pour avoir exprimé une opinion religieuse qui ne reflète pas, dans ses moindres détails, la doxa ambiante. J’aurai pu multiplier les exemples et, contrairement à ce que pensent certains, les reproches formulés plus haut ne sont pas « un détail de notre histoire ».
Evidemment tout l’héritage de Senghor n’est pas à perpétuer et il y a aussi des usages qu’il avait instaurés ou maintenus dans notre pays et que nous avons eu bien raison de jeter aux oubliettes. Je citerai, à titre d’exemple, ces vestes à queue de pie qu’il s’imposait et imposait à son protocole, par tous les temps, ainsi que son mépris des tenues africaines. Il n’était pas non plus un modèle de démocrate, son patriotisme était pour le moins trouble, et les vingt ans pendant lesquels il a gouverné notre pays ont été de dures années pour ceux qui se battaient pour le desserrement de la pression de l’ancienne métropole sur notre économie et sur nos esprits. Mais il faut lui reconnaitre ce mérite qu’il avait tenté de nous guérir de ce qu’il appelait nos « thiakhaneries » où se mêlent à la fois le culte de l’arrangement (le massala), une grande légèreté (« garaawul ! »), et l’illusion que notre pays est béni de Dieu.
Senghor avait fait plus que prêcher l’exemple, il avait créé ex nihilo une administration pour nous apprendre « l’organisation et la méthode ». Malheureusement les résultats n’avaient pas été à la hauteur de ses espérances et aujourd’hui, plus de quarante ans après son départ du pouvoir, on peut dire que, dans ce domaine comme dans d’autres, nous avons peu appris et beaucoup oublié…
UN TABLEAU DE SOULAGES AYANT APPARTENU À SENGHOR AUX ENCHÈRES SAMEDI EN FRANCE
Cette huile sur toile abstraite constituée de larges traits noirs faisant penser à une sorte de totem asymétrique est estimée "de 800.000 à un million d'euros", précise l'hôtel des ventes
Un tableau de l'artiste français Pierre Soulages ayant appartenu au poète et ancien président du Sénégal Léopold Sédar Senghor va être mis en vente samedi à Caen dans l'ouest de la France, selon l'organisateur Caen Enchères.
Cette huile sur toile abstraite constituée de larges traits noirs faisant penser à une sorte de totem asymétrique est estimée "de 800.000 à un million d'euros", précise l'hôtel des ventes.L'oeuvre intitulée "Peinture 81 x 60 cm, 3 décembre 1956" a été acquise par Léopold Sédar Senghor peu de temps après sa réalisation par "son ami" Pierre Soulages, relate Caen Enchères. Son actuelle propriétaire, qui souhaite rester anonyme, est une amie de la soeur de l'épouse du poète décédé en 2001.
Disparue en 2019, Colette Senghor avait légué le tableau à sa soeur décédée en 2020.L'oeuvre se trouvait dans la maison des Senghor à Verson, près de Caen, où le couple a vécu à partir des années 80.Elle est caractéristique du travail du peintre dans les années 50, avant qu'il passe à l'outrenoir, cet univers imaginé par Soulages en 1979 lorsqu'il a pris le virage du noir complet.En 2019 un Soulages a atteint 9,6 millions d'euros (frais compris) aux enchères à Paris.
L'ancien président sénégalais était un fervent admirateur du peintre aujourd'hui âgé de 101 ans."La première fois que je vis un tableau de Pierre Soulages ce fut un choc. Je reçus au creux de l'estomac un coup qui me fit vaciller, comme le boxeur touché qui soudain s'abîme", écrit le premier Africain devenu académicien dans Lettres Nouvelles (1958)."Les peintures de Soulages me rappellent toujours les peintures, voire les sculptures négro-africaines", ajoute le chantre de la négritude, mouvement pour la défense des valeurs culturelles du monde noir qu'il a inventé avec l'Antillais Aimé Césaire.
Outre ce tableau, Léopold Sédar Senghor possédait également "un petit croquis" du peintre "où il avait écrit +amitiés Pierre Soulages+", selon Me Solène Lainé, commissaire-priseur.
par Hamidou Anne
LES MASSES DE GRANIT DE SENGHOR
Aujourd’hui, les critiques légitimes du président-poète foisonnent. Mais de nombreux imprudents profanent son œuvre non sans une certaine mauvaise foi. Personne ne niera la hauteur de l’homme qui a imaginé un grand dessein pour un petit pays
Il y a 40 ans, Senghor quittait volontairement sa fonction de président de la République. Fait inédit dans une Afrique où la mode était plutôt aux autocrates assoiffés de pouvoir. Le père de la Nation sénégalaise devrait d’ailleurs inspirer de nombreux chefs d’Etat qui rêvent encore de mourir au pouvoir.
Il y a 19 ans, il nous quittait après avoir eu une vie politique et intellectuelle exceptionnelle. Senghor est le plus grand Président africain. Il est le plus illustre des Sénégalais. Le devoir d’inventaire continue de s’exercer au sujet de l’œuvre de l’homme qui, comme toute œuvre humaine, par essence imparfaite, contient des impasses et des horreurs. Mais personne ne niera la hauteur de l’homme qui a imaginé un grand dessein pour un petit pays. Il a compris très tôt que l’homme est la plus grande ressource pour un pays et non l’or, le pétrole ou le gaz.
En 2020, Senghor apparaît encore plus moderne que nombre de ses détracteurs ; lui qui a bâti notre pays par l’arme miraculeuse de la culture. Par elle, il a érigé l’enracinement, l’ouverture et le recours aux humanités au rang de culte. Au rendez-vous du donner et du recevoir, le Sénégal, pays de lettrés, de peintres, de comédiens, offre des réponses aux questions existentielles de notre contemporanéité.
Napoléon a laissé à la France ce qui s’appelle des «masses de granit», c’est-à-dire les institutions républicaines comme le préfet ou le lycée qui, deux siècles plus tard, demeurent. Les masses de granit dispersées sur le sol de la Nation par Senghor constituent le socle de notre politique culturelle. L’Université des mutants, le musée dynamique, le Festival mondial des arts nègres, le théâtre Daniel Sorano, l’Orchestre national, le Ballet national la Linguère, les Manufactures des arts décoratifs, l’Ensemble lyrique et l’Ecole artistique de Dakar sont l’œuvre de Senghor. Le Sénégal venait ainsi avec ses apports fécondants pour contribuer aux communs de l’universel.
Senghor définissait la culture comme l’ensemble des valeurs de création d’une civilisation. Par la culture, l’homme crée, dépasse le présent, prolonge l’histoire et dispose pour l’avenir. C’est aussi par la culture qu’un génie a fait d’un minuscule point sur le globe qui s’appelle Sénégal un contributeur majeur à la «Civilisation de l’Universel». Cette civilisation dont il nous dit qu’elle «serait composée des apports, complémentaires, de tous les continents et de toutes les races, sinon de toutes les Nations». «Tout ce qui monte converge», dit Teilhard de Chardin. Senghor a propulsé le Sénégal au rendez-vous des convergences créatrices du monde par la culture.
Aujourd’hui, les critiques légitimes de Senghor foisonnent. Mais de nombreux imprudents profanent son œuvre non sans une certaine mauvaise foi, voire une méconnaissance coupable. Taper sur Senghor est un sport national, notamment pour expliquer que notre retard économique est du fait d’un poète occupé par ses vers et non par la production de richesses. Critique absurde, car c’est par la culture qu’une Nation produit pour se mesurer à l’universel. La culture est le lieu de sophistication de la société, la base du commerce et donc de l’économie.
Les impasses épistémiques actuelles du capitalisme donnent raison à Senghor. Plutôt que l’économie, il a commencé par la culture pour bâtir une humanité non dépouillée de sens et de spiritualité qui font défaut à un monde des évidences technologiques.
Senghor demeure plus qu’actuel, notamment durant cette période de pandémie qui confine les artistes et les créateurs et les coupe de leurs lieux d’expression et de monstration. Les artistes vont continuer à souffrir, car il n’y a pas, depuis 40 ans, une politique culturelle ambitieuse capable de porter un progrès économique et social. Nous n’avons pas structuré une économie de la création en vue d’intégrer pleinement les artistes au cœur de notre outil productif.
Le Sénégal est l’œuvre de Senghor. A la négation de la dignité noire, il opposa la négritude. Président de la République, il utilisa la culture comme instrument de construction d’un discours et d’une identité africaine afin d’extirper notre pays de la Grande nuit. Si le Sénégal est une Nation debout, une et indivisible, c’est d’abord grâce à Senghor. Ses successeurs n’ont pas été à sa hauteur. Un rapide tour d’horizon de la classe politique suffit pour se dire que nous n’aurons peut-être plus jamais un homme d’Etat à la hauteur de Léopold Sédar Senghor.