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21 novembre 2024
LEOPOLD SENGHOR
AUDIO
MAMADOU DIA, LA BROUILLE AVEC SENGHOR
En décembre 1962, une crise politique oppose le président de la République au président du Conseil. Que s'est-il passé et comment ces désaccords aboutissent-ils ?
Il est l’une des personnalités marquantes de l’histoire contemporaine du Sénégal. Il était de tous les combats et rendez-vous qui ont abouti à l’indépendance de la jeune nation en 1960. Pourtant, Mamadou Dia aura finalement connu un destin tragique.
Suivez la suite de la série que lui consacre Alain Foka à travers son émission Archives d'Afrique.
« COLETTE NOUS LIVRE UNE ADMIRABLE LEÇON D’AMOUR ET DE FIDÉLITÉ »
Macky Sall a évoqué ce jeudi, la veuve de l'ancien président de la République, dont la levée du corps a lieu ce jeudi après son décès le 18 novembre dernier, en des termes on ne peut plus élogieux
Présent à la cérémonie de levée du corps de Colette Senghor, décédée le 18 novembre dernier en France, le président de la République, lui a rendu un vibrant hommage. Dans son discours, Macky Sall a d’emblée, relevé, le caractère triste de la cérémonie. Car, dit-il, Colette Senghor, était l’unique personne qui nous rattachait encore au premier président de la République du Sénégal. « Cette cérémonie est instructive parce que faisant vœu d’être enterrée auprès de son époux et de son fils. Colette Senghor nous livre une admirable leçon de vie, de dignité, d’amour et de fidélité, fidélité jusqu’à la mort. Ce, en ces temps où ces vertus cardinales sont si malmenées », a relevé Macky Sall.
Pour lui, cette cérémonie rappelle le rêve d’humanité du président poète, ardent défenseur de valeurs d’enracinement et d’ouverture, chantre infatigable de la culture qui mène à la civilisation universelle, symbiose de toutes les cultures et de toutes les civilisations. « Dans son amour fusionne le couple présidentiel, que formaient Léopold Sédar et Colette. Un couple qui symbolisait si bien les vertus du métissage biologique et socioculturel qui enjambent les barrières et ignorent les frontières. Colette a fait aimer sa Normandie à Senghor et, Senghor a fait aimer son Sénégal à Colette », magnifie Macky Sall. Qui, toujours dans ses éloges, déclame : « Je veux rendre hommage à celle qui, à l’ombre apaisante de son époux, fut une grande première dame, discrète dans l’espace public, présente, aimante et attentionnée dans l’intimité familiale. Colette s’était aussi l’épouse muse qui inspira à plusieurs fois la plume raffinée du président poète. La mort est un rappel et un avertissement pour les vivants ».
Après la cérémonie de la levée du corps, la dépouille a été acheminée à la Cathédrale de Dakar ou une messe sera dite en la mémoire de la défunte qui sera, après, inhumée au cimetière catholique de Bel-Air.
par Mamadou Kane
ÉLÉGIE À COLETTE SENGHOR
Le sol soluble de Bel Air est préparé, près des os du héro bien aimé. C'est ici la demeure éternelle. Après la collecte des saisons, Collette rejoint la maison, fluette silhouette de Verson. Ombre du poète des méandres, vient enfin se détendre !
Colette Hubert aurait eu 94 ans dans deux jours. Elle est décédée dans la demeure familiale de Verson. Elle avait épousé, en 1957, celui qui allait devenir président du Sénégal.
C’est avec une immense tristesse que la Ville de Verson apprend, ce 18 novembre 2019, le décès de Colette Senghor dans sa demeure familiale. Ce lundi 18 novembre 2019, la Ville de Verson rend hommage à une de ses plus illustres habitantes : Colette Hubert. Née le 20 novembre 1925 à Mouzay (Meuse), elle épouse, le 18 octobre 1957, Léopold Sédar Senghor, alors député.
Colette Hubert deviendra première dame du Sénégal. Muse, tendre compagne, elle a toujours veillé et épaulé son mari dans sa vie politique et a été la source de son inspiration dans sa vie artistique. Léopold Sédar Senghor lui a consacré le recueil de poèmes Lettres d’hivernage.
C’est également elle qui lia à jamais le poète président à la Normandie, et plus spécifiquement à Verson, où le couple prit l’habitude de venir en villégiature dans la maison familiale de Mme Senghor, au 150, rue du Général-Leclerc, puis d’y résider à partir des années 1980 , indique Michel Marie, le maire de la commune.
Colette Senghor a toujours veillé sur la mémoire de son mari. Elle a fait en sorte qu’une partie de ses archives soit conservée, notamment, au sein de la salle Djilor dans l’espace Senghor, à Verson.
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MAMADOU DIA, L'ENSEIGNANT
Il était de tous les combats et rendez-vous qui ont abouti à l’indépendance de la jeune nation sénégalaise en 1960. Pourtant, l'ancien président du Conseil aura finalement connu un destin tragique
Il est l’une des personnalités marquantes de l’histoire contemporaine du Sénégal. Il était de tous les combats et rendez-vous qui ont abouti à l’indépendance de la jeune nation en 1960. Pourtant, Mamadou Dia aura finalement connu un destin tragique.
Le journaliste camerounais de RFI, Alain Foka, revient dans ce premier épisode de son magazine Archves d'Afrique, sur l'histoire ce grand homme.
PRÉSENCE AFRICAINE, HÉRITIÈRE DES NÉGRITUDES !
En plus d’être mouvement et tribune pour l’intelligentsia noire, la maison d'édition créée par Alioune Diop, a permis l’éclosion d’une littérature « nègre » basée sur des idéaux différents mais tous liés à la cause noire d’après-guerre
« Alioune Diop restera celui qui a permis aux Noirs de s’exprimer. Sans cet outil qu’il a forgé, nous serions demeurés ce que nous avons toujours été : des muets », ainsi se réjouissait dans ses écrits Mongo Béti (1932-2001), l’auteur camerounais à propos de la création, il y a 72 ans, de la Revue Présence Africaine.
La période post-seconde Guerre Mondiale marquée certes par la naissance de courants politiques dans la France métropolitaine, a surtout coïncidé avec un nouvel élan d’écrivains afro-francophones et antillais déterminés à revendiquer leurs identités culturelles et historiques.
C’est dans ce contexte, précisément en 1947, que le Sénégalais Alioune Diop créa la revue Présence Africaine.
En plus d’être mouvement et tribune pour l’intelligentsia noire, elle a permis l’éclosion d’une littérature « nègre » basée sur des idéaux différents mais tous liés à la cause noire d’après-guerre.
« Cette revue ne se place sous l’obédience d’aucune idéologie philosophique et politique (...)», dira dans le premier numéro son fondateur surnommé « Le Socrate noir » pour sa « maïeutique » en faveur de ses pairs écrivains.
Certes des associations noires – ou mieux, des réseaux littéraires afro-francophones et antillais - avaient déjà vu le jour en France, avant même le Comité de défense de la race nègre et le journal « La Voix des Nègres » fondés en 1926 par le Sénégalais Lamine Senghor. Ou encore l’association « La Ligue de défense de la race nègre » ou la revue « La Race nègre » créées l’année suivante.
Des auteurs comme Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Léon Gontran Damas, etc., symboliques pionniers de la Négritude ayant tous publié chez Présence Africaine, comme d’autres auteurs d’ailleurs, ont trouvé en cette revue, le lieu de rencontres et d'échanges.
« Présence Africaine a représenté une opportunité et a ouvert un lieu de débats. Les écrivains ont eu l'assurance de pouvoir publié », a rappelé à APA Dr. Abdoulaye Imorou, enseignant-chercheur à l’Université du Ghana.
Selon lui, « cette assurance s'accompagne d'une forme de liberté, celle de pouvoir écrire comme on veut ou en tout cas presque ».
Présence Africaine a donc permis aux écrivains noirs de pouvoir « décider des orientations de la littérature africaine », a souligné Dr. Imorou.
Cependant il est reconnu que le contexte colonial, jadis marqué par des censures de certains écrits revendicatifs, entravait l’émergence d’une pensée noire.
« L’époque de la naissance de la Revue Présence Africaine était plus compliquée qu’aujourd’hui parce qu’il y avait beaucoup plus de revendications », a indiqué à APA la petite-fille de Alioune Diop, Marie Kattié, chargée de communication de Présence Africaine.
Présence Africaine, c’est aussi une Maison d’édition
Au-delà de la revue, Présence Africaine incarna également le statut de réceptacle d’œuvres d’écrivains noirs. La Maison d’édition créée deux ans plus tard (1949) également par Alioune Diop, publia le premier ouvrage à polémique de Placide Tempels, « La Philosophie bantoue».
Cette publication somme toute courageuse, compte tenu des réticences des autres éditeurs d’alors d’obédience philosophique partisane et d'intérêt franco-français, créa le déclic d'une nouvelle idée. C’est « l’idée d’une libération des peuples noirs de la pensée, de notre présence, de notre existence ; car au fond, on était nié, on n’existait pas » dira Christiane Yandé Diop, la veuve de Alioune Diop.
A l’occasion de la commémoration ce samedi à Paris des 70 ans de la Maison d’édition "Présence Africaine", plusieurs figures de la littérature africaine, notamment Wole Soyinka, Ngugi Wa Thiong’o, Djibril Tamsir Niane, Théophile Obenga, se retrouvent pour rendre hommage à son fondateur Alioune Diop.
Cette célébration se tient dans le cadre des Universités de la Rentrée de Présence Africaine (URPA).
Plusieurs tables-rondes sont prévues autour du thème « 70 ans de transmission » pour célébrer cet anniversaire.
Pour Marie Kattié, le terme « transmission » renvoie naturellement au « but premier de Présence Africaine » qui est de « transmettre la culture, les idées des différents intellectuels depuis sa création ».
par l'éditorialiste de seneplus, boubacar boris diop
MERCI POUR TA PERMISSION, BACHIR
EXCLUSIF SENEPLUS - N'ayant pas apprécié une de tes interviews, j’ai dit publiquement que j’y vois le symbole d’une allégeance intellectuelle à l’Occident à la fois déshonorante et dangereuse - C’est aussi simple que cela
Boubacar Boris Diop de SenePlus |
Publication 19/09/2019
Mon texte qui s’est voulu courtois – mais sans concession sur le fond – t’a fait sortir de tes gonds, à la surprise générale. Je n’aurai donc réussi, en cherchant à te secouer un peu, qu’à te blesser. J’ai dû toucher quelque point sensible et tu m’en vois désolé. Les invectives sont nuisibles à la dignité de ce débat et il vaut mieux que nous les évitions. Encore faudrait-il que tu fasses l’effort de distinguer la critique de l’affront. Tu as quand même un peu fait rire à tes dépens avec cette étrange histoire de vouvoiement. Encore heureux que tu ne m’aies pas provoqué en duel sur je ne sais quel pré de Bretagne ou de Normandie. Serions-nous tous devenus fous au point de ne même plus pouvoir discuter – un peu rudement, certes – de nos affaires sans nous prendre les pieds dans le tapis des autres, pour paraphraser Ki-Zerbo ? Sans jamais avoir été des amis, nos relations sont plutôt restées cordiales au cours des ans. Mais tu sais bien que nous avons rarement l’occasion de nous voir. La dernière remonte à plus d’une décennie. Alors, Bachir, se dire ‘’tu’’ ou ‘’vous’’ une fois tous les quinze ans, ça rime à quoi, surtout à nos âges ?
Tu as été tellement aveuglé par ta colère que tu me reproches injustement à deux ou trois reprises d’avoir présenté ‘’In the Den of the Alchemist’’ comme une interview. Voici ce que tu écris à ce sujet : “Le propos que l’auteur – moi-même en l’occurrence – présente comme une interview récente n’est pas une interview et n’est pas récent : c’est la reprise, des décennies plus tard, d’un article dont seul le titre a été changé.’’ Dis-moi franchement : peux-tu relire ce passage de ton texte sans embarras ? N’importe quel lecteur peut bien voir que l’allégation est totalement fausse car j’analyse l’un après l’autre l’article de Chimurenga et des éléments de l’interview que tu as accordée à Elara Bertho et que SenePlus a reprise sous un titre assez délicatement “diagnien’’ : “Un universel comme horizon’’.
Pour ce qui est de mon aptitude à comprendre un texte dans la langue de Shakespeare, sache seulement que je t’écris ces lignes du campus de l’Université américaine du Nigeria (AUN) où depuis quatre ans j’enseigne, en anglais, en plus du creative writing, les auteurs anglophones et francophones, ces derniers en traduction anglaise. Tu ignores aussi, je suppose, qu’ici même au Nigeria mais encore plus aux Etats-Unis, je ne cesse de faire des présentations en anglais. Cela a été le cas récemment au National Press Club de Washington DC pour le 25ème anniversaire du génocide contre les Tutsi au Rwanda puis quelques jours plus tard à Dickinson University au moins sept ou huit fois en deux semaines mais avant tout cela à Mac Allaster, à Boston et à Stanford.
J’aurais préféré ne pas avoir à préciser tout cela. J’ai en effet toujours préféré rester en retrait de la vie publique en tant que personne tout en prenant systématiquement position sur les questions politiques ou sociales de l’heure.
Vois-tu, Bachir, personne n’a la science infuse. Tout s’apprend et ma langue maternelle aussi j’ai guerroyé avec elle en solitaire pendant des milliers d’heures pour en maîtriser l’écriture. Comme tu le sais, j’y ai aujourd’hui à mon actif deux romans et la traduction d’une pièce d’Aimé Césaire. Je n’évoquerai qu’au passage les œuvres littéraires que mes amis et moi-même publions à travers EJO, notre maison d’édition en langues nationales, le label de traduction “Céytu’’, le sous-titrage en wolof de KEMTIYU, le documentaire d’Ousmane William Mbaye sur Cheikh Anta Diop et, last but not least, le site d’information en ligne Lu defu waxu, tenu pour l’essentiel par certains de mes anciens étudiants de wolof de l’université Gaston Berger.
Tu as par ailleurs mis en avant l’âge de ton texte : plus de vingt ans, dis-tu. C’est beaucoup, oui. Sauf que Chimurenga ne mentionne nulle part que L’antre de l’Alchimiste est une reprise, sous un titre totalement différent, d’un très vieil article. J’ai moi-même contribué par un long article à ce numéro spécial d’avril 2018 sur Cheikh Anta Diop où tu l’as republié et une telle indication ne m’aurait sûrement pas échappé. À vrai dire, je comptais réagir très brièvement à ton observation sur l’ancienneté de ce texte mais des amis m’ont dit, horrifiés : “Déet, looluëpp naa def, exprime-toi clairement là-dessus car même ceux qui t’aiment bien sont en train de se demander pourquoi tu as présenté un article datant de deux décennies comme étant beaucoup plus récent !’’ Retiens donc ceci : si j’avais eu connaissance de la première date de parution de “In the Den of the Alchemist’’, je l’aurais signalée avant d’en proposer exactement la même analyse. Après tout, en le faisant reparaître tu nous as invités à le considérer comme actuel. Et tu as bien eu raison : un texte de vingt ans peut être bien plus “jeune’’ qu’un autre datant seulement de deux semaines. L’âge est moins fonction ici de la plate chronologie que du contenu. Or, “In the Den of the Alchemist’’ peut revendiquer à bon droit une certaine intemporalité. Sur cette question, ton indignation me semble plutôt feinte. Pourquoi aurais-je usé d’un tel artifice en sachant que tu pourrais t’en servir pour m’accuser de “mauvaise foi’’ ? Crois-moi, si j’avais été un “cynique’’ mû par de “sinistres’’ desseins, je n’aurais pas frappé avec un tel amateurisme.
Je dois ajouter ici une petite information assez intéressante dans le contexte de cette polémique : dès mai ou juin 2018, une amie, brillante universitaire américaine et donc parfaitement anglophone, rendue furieuse par “In the Den of the Alchemist’’ y a répliqué par un article intitulé Dans la tanière de l’Alchimiste : hommage ou dédain de Souleymane Bachir Diagne envers Cheikh Anta Diop ? Et tu sais quoi ? C’est ton humble serviteur qui l’a dissuadée de le publier. Pourquoi ai-je agi ainsi, alors que j’étais entièrement de son avis ? Parce qu’en bon Sénégalais, je ne goûte pas spécialement les affrontements verbaux. En réalité, sans ton entretien avec Elara Bertho, je m’en serais tenu à cette position. Il me semble essentiel de rappeler à l’intention de ceux qui s’interrogent, en toute bonne foi, sur mes motivations que c’est à cette interview très récente, faite en français, que j’ai prioritairement répondu.
Avant d’y revenir plus longuement, deux mots sur l’article de Chimurenga. Puisque beaucoup de personnes qui n’en soupçonnaient même pas l’existence l’ont lu pour se faire une opinion personnelle, il est devenu plus facile d’en parler.
Tu admets avoir attribué la paternité du Laboratoire de Carbone 14 à Théodore Monod et Vincent Monteil. La moindre des choses aurait été de nous dire dans ta réponse ce que leurs deux noms viennent faire dans cette histoire. Dans Figures du politique et de l’intellectuel au Sénégal (Harmattan, 2016) le Professeur Djibril Samb, par ailleurs ancien directeur de l’IFAN, raconte en détail la création du laboratoire. Voici ce qu’il écrit dans cet ouvrage dont on ne saurait trop recommander la lecture à tout un chacun : “Dès le début de sa carrière, Cheikh Anta Diop conçut le projet – qui pouvait paraître utopique à plus d’un – de monter, au sein de l’IFAN, un laboratoire de datation au radiocarbone.’’ Diop obtient alors du Recteur de l’époque, Claude Franck, l’autorisation de se rendre en France pour étudier les installations du laboratoire de Saclay qui allait lui servir de modèle. “À son retour, écrit Djibril Samb, il se consacra tout entier à cette tâche gigantesque. Il dressa lui-même les plans du laboratoire dont l’exécution fut confiée au service des Travaux publics. Mais il faut mal connaître l’homme pour penser qu’il se fût contenté de dresser une liasse de plans et d’aller pêcher. Ce projet était d’abord le sien, et il s’y engagea tout entier comme dans tout ce qu’il faisait, déployant toutes les facettes, non seulement d’un immense savant mais d’un homme d’action, pragmatique, attentif aux moindres détails. Dans une lettre en date du 25 juin 1963 adressée au Directeur de l’IFAN, le grand et regretté Théodore Monod, il rappelle qu’il donnait lui-même des indications aux entreprises maîtres d’oeuvres, effectuait deux à quatre visites quotidiennes sur le chantier, précisait les plans d’installation du laboratoire, en fixait les pièces, déterminait leurs dispositions et leurs vocations, redressait les directives ou les applications erronées’’. Le récit de Djibril Samb se poursuit ainsi sur près de dix pages. Cheikh Anta Diop avait le plus grand respect pour Monod à qui il rend d’ailleurs hommage quelque part. Ce n’est donc pas un hasard si son nom apparaît dans Figures du politique et de l’intellectuel au Sénégal ; Monteil et lui peuvent être crédités d’avoir dans leur rôle administratif, permis à Diop d’aller au bout de son grand rêve. Lui-même a dès 1968 consacré un ouvrage à son laboratoire et je constate avec stupéfaction que tu ne l’as pas lu pour les besoins de ce que tu présentes comme un hommage. Il y fait état des résultats des premières datations à partir de trois échantillons fournis respectivement par Théodore Monod, le laboratoire de Saclay/Gif-sur-Yvette et une mission archéologique britannique en Gambie. Cela dit, s’il est un directeur de l’IFAN qui aurait mérité d’être nommé, c’est Amar Samb avec qui Cheikh Anta Diop avait des relations exceptionnelles, comme en témoigne l’ouvrage qu’il lui a dédié en des termes émouvants.
Tu n’as pas non plus démenti ce que j’ai écrit sur la soutenance de thèse de Diop. La mention qui l’avait sanctionnée était-elle juste ? Se contenter de la rappeler au passage n’est pas la meilleure façon de mettre Diop en valeur. La qualification de “l’Alchimiste’’ ne peut être un point de détail dans un texte comme le tien. Le face-à-face de Diop le 9 janvier 1960 avec un jury de la Sorbonne a été un moment copernicien dans l’histoire des idées en Afrique francophone. Et ce n’était là que le prélude à un autre affrontement direct, quatorze ans plus tard, au Caire.
D’autres passages de ton article – notamment ta description enjouée et pittoresque du cambriolage du labo – sont révélateurs d’une prise de distance parfois un peu déroutante. À qui s’adresse donc ta petite musique pleine de charme et d’ironie ? Désolé de te le dire mais tu sembles parler de si loin que le mot “exotisme’’ m’est venu à l’esprit. Un terme bien curieux, oui. Mais nous sommes si mal barrés, nous autres intellectuels africains – dois-je ajouter “francophones’’ ? - qu’il peut nous arriver de nous voir tout à fait du dehors. Ton exercice de style est, de ce point de vue, un modèle du genre. Cela dit, je suis prêt à parier qu’il t’est plus facile de parler ainsi de Cheikh Anta Diop que de Senghor. Ton texte n’est évidemment pas que cela : j’en ai évoqué les accès de tendresse à l’égard de Diop et le très beau passage que tu cites toi-même sur l’exil et le Royaume en est un. Tu avoueras malgré tout qu’un hommage pouvant passer si aisément aux yeux de beaucoup pour du dénigrement a, pour dire le moins, raté son but. Est-ce parce que, comme on dirait en wolof, dangaymàtt di ëf ?
Venons-en à présent à ce qui, à mon humble avis, est le plus important : ton entretien du 2 juillet 2019 avec Elara Bertho. Bien que la plus grande partie de mon analyse ait porté sur ce que tu appelles tes “deux coups de griffe contre Cheikh Anta Diop’’, tu as préféré ne pas t’y attarder dans ta réplique hâtive et enflammée. Sans vouloir te faire un procès d’intention, je me demande encore si ce n’était pas à dessein, pour éviter une discussion un peu gênante sur la question de la langue.
Si tu me dis que tes propos sur la traduction de la théorie de la relativité en wolof par Diop ne visaient pas à le tourner en dérision, je ne peux que t’en donner acte. Uniquement sur la forme, bien entendu. Parce que dans le fond, je ne vois pas en quoi tu es qualifié pour juger de la difficulté ou non de l’entreprise. Tu as certes évoqué à l’occasion d’un de nos rares échanges par mail, ton ambitieux projet de traduction en wolof de concepts philosophiques. La nouvelle m’a fait plaisir et je t’ai dit qu’il est bien que ce soit une personne comme toi qui fasse ce travail. Je crois savoir que l’affaire évolue dans la bonne direction et je te renouvelle ici mes encouragements. J’espère simplement que tu as fait l’effort de t’alphabétiser. Je n’en ai pas eu l’impression la dernière fois que j’ai surpris des termes wolof dans certains de tes textes en français.
Tu reprends également à ton compte la vieille rengaine africaniste voyant en tout défenseur de Cheikh Anta Diop un fanatique, adepte d’on ne sait quelle nouvelle “religion’’. C’est lui faire un bien mauvais procès car peu de penseurs ont dû faire face autant que lui au feu roulant des critiques. Elles ne l’ont jamais dérangé, bien au contraire. Lorsqu’en 1974 Diop et Obenga se rendent au Caire pour une explication décisive avec les égyptologues occidentaux, une des choses qu’il dit à son ami et disciple congolais, c’est : “S’ils ont raison, sur la base de faits précis, nous n’aurons pas d’autre choix que de le reconnaître publiquement’’. Ils n’en eurent pas besoin, car comme chacun sait, leurs thèses sont sorties confortées de cette rencontre de haut niveau. Ce n’est pas moi qui le dis mais le rapport de l’UNESCO qui se conclut ainsi : « La très minutieuse préparation des communications des professeurs Cheikh Anta Diop et Obenga n’a pas eu, malgré les précisions contenues dans le document de travail préparatoire envoyé par l’UNESCO, une contrepartie toujours égale. Il s’en est suivi un réel déséquilibre dans les discussions. »
De même, lorsque Diop lance aux jeunes Africains : “Armez-vous de science jusqu’aux dents, car à connaissance égale la vérité finit toujours par triompher !’’, il ne peut exclure que leurs recherches puissent invalider un jour ou l’autre ses propres thèses.
Sachant bien tout cela, je ne peux nullement te reprocher d’avoir cherché à remettre sa pensée en cause. Mais dis-moi, Souleymane Bachir Diagne, comment se fait-il qu’un esprit aussi vaste et brillant que le tien ne puisse nous proposer rien de personnel dans sa critique de Cheikh Anta Diop ? Tu es allé puiser à pleines mains chez Francois-Xavier Fauvelle-Aymar qui écrit dans “L’Afrique de Cheikh Anta Diop. Histoire et idéologie’’ (Karthala, 1996) : “Mais au demeurant, quoi qu’on en conclue, il reste que Diop use là d’un modèle de l’Etat-nation sous sa forme la plus jacobine explicitement emprunté à la France’’. Fauvelle s’exprime ainsi au terme d’un laborieux développement sur la supposée préférence de Diop pour une “langue unique’’. Et toi, vingt trois ans plus tard, tu déclares : “Deuxièmement il – Diop - est beaucoup plus jacobin et français qu’il ne le croit parce qu’il veut une langue unique. Cela n’a pas de sens d’avoir une langue d’unification : pourquoi le projet devrait-il être un projet qui imite l’Etat-Nation, c’est-à-dire être homogène avec une seule langue, de manière centralisée ?’’ Il ne me viendra jamais à l’esprit de mettre en doute tes capacités intellectuelles. Mais alors pourquoi ne t’en sers-tu pas pour penser par toi-même comme ne cessait d’ailleurs de nous le recommander Senghor ? Quel besoin as-tu d’aller “emprunter’’ des griffes à un intellectuel français qui s’est construit, comme le montre bien Obenga, dans une haine vigilante et quasi morbide de Cheikh Anta Diop ? En somme, dans cette interview, tu crânes avec des mots grandioses qui ne sont même pas les tiens mais ceux écrits par Fauvelle quand il n’avait que vingt huit ans. En d’autres circonstances Fauvelle t’aurait fait une petite querelle de derrière les fagots. Mais il s’en garde bien car, idéologiquement parlant, c’est tout bénef pour lui d’être relayé par une voix africaine. Il t’en sait donc gré et, dans une toute récente émission de France Culture, conclut sa charge furieuse contre Cheikh Anta Diop par les mots que voici : “D’ailleurs, ne croyez pas que tous les intellectuels africains sont d’accord avec Diop, lisez donc Souleymane Bachir Diagne !’’.
Cette affaire n’est pas bien jolie mais un tel faux-pas, cela peut arriver à tout un chacun, en particulier à ceux qui, comme toi, ont fini par ne plus s’attendre à être contredits. Il en a résulté une situation assez cocasse où en te réfutant sur la théorie de la langue unique, je me trompais en quelque sorte d’interlocuteur. Cela ne mérite-t-il pas réflexion ? le plus grave, toutefois, c’est le fait que tu reprennes à ton compte l’accusation de “jacobinisme’’ supposée être, pour un certain africanisme de combat, l’arme fatale contre Cheikh Anta Diop. On ne peut laisser personne glisser ce mot dans une interview, ni vu ni connu, alors qu’il a un potentiel si explosif. C’est ce mot-là, et au fond ce mot seul, qui m’a fait réagir. Nous faut-il une “relecture négro-africaine’’ de Cheikh Anta Diop ? Elle s’impose plus que jamais. Mais comment “relire’’ une œuvre que l’on n’a même pas pris le temps de lire ? Je n’ai pas été le seul à essayer de te montrer, textes à l’appui, à quelles extrémités peut mener le manque de caractère d’une intelligentsia africaine encore tellement fascinée par l’Occident.
Pour le reste, chacun de nous peut avoir la plus haute idée de lui-même mais je doute que nos petites personnes comptent vraiment. Beaucoup d’amis communs ont été gênés, voire choqués, par cette polémique soudaine et très inhabituelle au Sénégal. Je crois que c’est ta réaction qui a mis le feu aux poudres. Elle aura cependant été, pour le dire ainsi, un mal pour un bien. Les idées de Diop ont en effet rarement été aussi présentes dans l’espace public sénégalais, surtout depuis sa disparition. L’on a vite oublié ce que tu as pu écrire il y a vingt ans pour réfléchir à ce qui peut nous arriver dans vingt ans. Je trouve cela très bien. S’il en est ainsi, c’est que la discussion a été prise en mains, pour l’essentiel, par cette “jeunesse africaine en quête de sens’’ dont parle Aminata Dramane Traoré. Certains de ces jeunes ont, ainsi qu’en témoigne l’article de Khadim Ndiaye, une égale affection pour chacun de nous deux. Je les sais d’ailleurs déchirés en ce moment. Ils n’ont qu’une hâte : que les esprits se calment et qu’ils reprennent leur dialogue avec l’un et l’autre sans avoir à se sentir coupables de n’avoir pas choisi leur camp. Il ne devrait pas y avoir de camp, en fait. À mes yeux, cette affaire est toute simple. Ayant jugé pernicieux et de mauvais goût un de tes articles, je l’ai dit publiquement en me limitant à une analyse du texte. Ayant encore moins apprécié une de tes interviews, j’ai dit publiquement que j’y vois le symbole d’une allégeance intellectuelle à l’Occident à la fois déshonorante et dangereuse. C’est aussi simple que cela. Tu as peut-être été surpris, comme moi-même, par les réactions très vives d’une partie de l’opinion. C’est que, comme l’a si magnifiquement rappelé un des intervenants à ce débat, Cheikh Anta Diop est aujourd’hui encore pour beaucoup d’Africains non seulement un penseur mais aussi une conscience. Il est bon de s’en souvenir chaque fois que l’on est tenté de le traîner dans la boue.
L'éditorialiste de SenePlus Boubacar Boris Diop est écrivain et directeur de publication du site d'information et d'analyse en wolof : www.defuwaxu.com.
L'ÉTAT VERSE-T-IL PLUS D'UN MILLIARD AUX HÉRITIERS DE SENGHOR ?
Un journal en ligne affirme que les héritiers de l'ancien président percevraient par an, plus d'un milliard FCFA au titre des droits d'auteur de l’hymne national du Sénégal. Qu'en est-il exactement ?
Africa Check |
Assane Diagne |
Publication 14/09/2019
« Plus d’un milliard c’est le montant perçu chaque année par les héritiers de feu Léopold Senghor, auteur de l’hymne national du Sénégal (…). Et ce jusqu’à soixante-dix ans après la disparition du Président », rapporte senedirect.net dans un article publié le 5 avril dernier.
« Pour rappel, cette somme concerne seulement les textes dont Senghor est l’auteur puisque la musique est d’Herber Pepper », précise l’article.
Nous avons enquêté pour savoir si les héritiers du premier président du Sénégal, décédé en 2001, perçoivent effectivement les revenus indiqués au titre du droit d’auteurs pour le texte de l’hymne national sénégalais.
Quelle est la source de cette information ?
L’article de senedirect.net est en réalité une reprise d’un article publié en 2011 par le site d’informations xibar.net. Il y est indiqué que c’est le Bureau sénégalais du droit d’auteur (BSDA) qui verse cette somme de plus d’un milliard de francs CFA aux héritiers de Senghor.
« Interpellée, la directrice (du BSDA) Abibatou Siby confirme : ‘‘ce sont les héritiers du président Senghor qui perçoivent le montant et cela avec les droits post-mortem jusqu’à 70 ans’’ », est-il écrit.
L’article ajoute : « Un exemple assez illustratif, la télévision nationale ouvre et ferme ses émissions avec l’hymne national et verse à chaque fois des redevances. Faites un calcul sur le nombre de fois que ces vers sont utilisés pendant les cérémonies officielles et autres, voilà ce qui explique la fortune empochée par les Senghor pour seulement cette œuvre ».
Le service de communication du ministère de la Culture et de la Communication nous a systématiquement renvoyés vers la SODAV «qui est l’organe exclusif en charge de réguler la question des droits d’auteur».
Le directeur de la Fondation Senghor, Raphaël Ndiaye, a dit ne pas disposer « d’informations suffisantes pour répondre » à notre question. « Rapprochez-vous de la famille (de Senghor) ou de la SODAV », nous a-t-il suggéré, tout comme Malick Ba, le conseiller juridique de la RTS, contrôlée par l’Etat.
« Aberrant et impossible »
« Je peux vous dire que c’est aberrant parce qu’en calculant les droits d’auteur (que nous versons) par an, nous ne faisons même pas un milliard. On ne peut donc pas verser un milliard par an aux héritiers de Léopold Sédar Senghor, ce n’est pas possible », a réagi le directeur juridique et des droits voisins de la SODAV, Youssou Soumaré.
« Je peux vous assurer qu’aujourd’hui, en versant tous les droits confondus, on ne fait même pas un milliard par an », a-t-il insisté.
Africa Check a demandé à M. Soumaré quelle somme exacte est donc versée aux héritiers de l’auteur des paroles de l’hymne national sénégalais.
Il nous a répondu : « Les droits d’auteur ont un caractère salarial, c’est donc un peu compliqué de devoir donner des informations concernant cela. Nous sommes désolés (…), nous avons une certaine limite, un droit de réserve, par rapport à certains éléments ».
Youssou Soumaré a toutefois précisé que le paiement ne fait pas annuellement mais plutôt par semestre. A titre d’exemple, il a dit que le dernier paiement concerne le premier semestre 2015 (six mois) pour montant total de 114,9 millions de francs.
La RTS verse une redevance globale
L’article de xibar.net repris textuellement par senedirect.net, explique en substance que cette somme de plus d’un milliard est atteinte grâce, notamment, au fait que la RTS paye une redevance à chaque fois qu’elle diffuse l’hymne national ; et également à chaque fois qu’il est joué lors d’une cérémonie « officielle et autres », les organisateurs versent une redevance.
« La RTS paye des droits d’auteur, au même titre que les autres radiodiffuseurs », a relevé Youssou Soumaré à Africa Check.
Soulignant un « contrat un peu à part » entre la SODAV et la RTS du fait de la « mission de service public et d’intérêt général » de cette dernière, M. Soumaré a précisé que « la RTS paye les droits sur la base d’un forfait annuel de 25 millions de francs CFA pour l’exploitation de toutes les œuvres du répertoire de la SODAV ».
« C’est un répertoire pluridisciplinaire, il y a de la musique, il y a des œuvres littéraires, il y a des œuvres lyriques, etc. Donc dire qu’un montant est versé aux héritiers de Senghor uniquement pour l’hymne national, ça ne se passe pas comme ça. La redevance de la RTS est une redevance globale », a-t-il expliqué.
S’agissant de la diffusion de l’hymne national lors des cérémonies, le directeur juridique et des droits voisins de la SODAV a confirmé que cela est soumis à un paiement des droits d’auteur. Il a indiqué, à cet égard, que « le caractère officiel ou non (d’une cérémonie) n’est pas un critère déterminant » pour le payement d’une redevance.
« En principe le paiement des droits est une exigence, dès qu’il y a communication au public, sauf en cas de communication dans le cercle familial ou au cours d’un service religieux », a relevé M. Soumaré.
Il a expliqué ensuite que « la Société de gestion collective peut tenir compte de certains critères pour revoir à la baisse les taux applicables au cas où l’Etat est impliqué (dans une cérémonie) en tenant en compte de la mission d’intérêt général ou du caractère social de la manifestation ».
Conclusion : le montant est exagéré
La somme exacte versée aux ayants-droit de Léopold Sédar Senghor, auteur de l’hymne national sénégalais, n’a pas été dévoilée, parce que revêtant « un caractère salarial » donc confidentiel.
Mais le directeur juridique et des droits voisins de la Sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins (SODAV), Youssou Soumaré, a assuré à Africa Check que les redevances versées pour tous les droits confondus n’atteignent même pas un milliard par an.
Le Sénégal ne verse pas plus d’un milliard chaque année aux héritiers de Senghor pour les droits d’auteur des paroles de l’hymne national. La somme est donc exagérée.
par Souleymane Bachir Diagne
L’OR ET LA BOUE
EXCLUSIF SENEPLUS - On peut avoir sur tout penseur des différences - Les argumenter, c’est le mode de fonctionnement qui est le mien. La condition en est de ne pas prêter à quelqu’un des propos qui ne sont pas les siens
Il y a près de vingt-cinq ans, les responsables d’une exposition consacrée au “laboratoire” sous toutes ses formes me demandaient d’écrire une contribution pour le catalogue qui allait accompagner l’événement. Je saisis l’occasion et la liberté qui m’était laissée par les commanditaires d’écrire sur ce que je voulais pour proposer un hommage au travail du professeur Cheikh Anta Diop dans le laboratoire de carbone 14 qu’il a rendu célèbre. Ce texte, que j’ai écrit en anglais, s’intitule « A Laboratory to transmute lead into gold. The legend of the center of low nuclear energies of the Institut Fondamental d’Afrique Noire ». Ce qui se traduit ainsi : « Un laboratoire pour transmuer le plomb en or. La légende du centre des basses énergies de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire. »
Le texte jouait d’une comparaison avec l’ancêtre des laboratoires scientifiques que sont les cabinets des alchimistes qui cherchaient le moyen de transformer le métal le plus vil en or pur. Cette comparaison exprimait le propos suivant : d’un laboratoire fondé sous l’autorité de deux directeurs de l’IFAN, le professeur C.A.Diop avait su faire un trésor. Alors qu’on l’avait empêché d’accéder à l’université en utilisant tous les moyens en commençant par la mention qui avait sanctionné sa thèse, et alors qu’on l’avait exilé dans ce laboratoire, il avait transformé ce bannissement en triomphe et fait de son laboratoire de l’or. On me permettra de me citer en me traduisant en français : « il y a un signe qui ne trompe pas et qui distingue les grands hommes, c’est la capacité de transformer l’exil en royaume. Diop a montré cette capacité. » C’est cette phrase qui est le cœur du texte que j’ai donné pour le catalogue et elle explique le titre d’une contribution qui est un hommage à un homme qui m’a accueilli de manière touchante lorsque mon oncle Pathé Diagne m’a amené le saluer quand je suis rentré au Sénégal. Ce texte, écrit donc il y a plus de vingt ans, je l’avais perdu de vue et n’en avais plus copie lorsqu’il y a quelques mois des collègues de Cape Town en Afrique du Sud m’ont dit vouloir le republier. J’ai donné mon autorisation et leur revue Chimurenga a publié mon vieil hommage. Mon titre originel était long, la revue a opté pour un nouveau titre : « In the den of the Alchemist ». Traduction : « Dans le cabinet de l’alchimiste ».
C’est dans ce texte que Boubacar Boris Diop a découpé de ci de là de quoi fabriquer une attaque qu’il m’attribue contre Cheikh Anta Diop. Ce texte qu’il cite, prenant la pose du défenseur de la statue du commandeur contre une attaque venue de « Bachir Diagne» à qui il est demandé de « permettre », est en fait un éloge et un hommage du même « Bachir Diagne » à celui qui a fait du laboratoire de carbone 14 le symbole qu’il est devenu, et ce texte date de plus de vingt ans ! Le propos que l’auteur présente comme une interview récente n’est pas une interview et n’est pas récent : c’est la reprise, des décennies plus tard, d’un article dont seul le titre a été changé.
Comment effectue-t-on un tel retournement et transmute-t-on donc, pour rester dans le vocabulaire de la chimie, un texte d’éloge et d’hommage à une personnalité en une attaque contre cette même personnalité ? Vous prenez une phrase qui dit exactement ceci en anglais : « Diop a transformé un laboratoire tout à fait ordinaire pour datation de carbone 14 tel qu’il avait créé par Théodore Monod avant d’être complètement terminé par Vincent Monteil en un lieu de légende, un véritable cabinet d’alchimiste », et vous la transformez en ceci : Bachir Diagne dit que ce n’est pas Cheikh Anta Diop qui a créé le laboratoire de carbone 14, mais Monod et Monteil ! Etrange manipulation alchimique qui ne cherche plus l’or mais à faire boue de tout.
La question est : pourquoi ? Pourquoi faire passer un vieil article de plus de vingt ans pour une récente interview ? Transformer un hommage en attaque ? Trafiquer une phrase qui dit que le vrai créateur du laboratoire ce ne sont pas les directeurs qui ont présidé à sa naissance mais l’homme qui en a fait un « lieu de légende » pour lui faire dire le contraire ? Le seul manque de familiarité avec l’anglais n’explique pas la démarche méthodique, préméditée et ultimement sinistre de fabrication de « citations » en oubliant qu’il suffira simplement aux lecteurs de se référer eux-mêmes au texte du journal Chimurenga pour vérifier la vraie nature du propos qui a été tenu. Mes amis qui n’ont jamais pensé un seul instant que les affirmations qui m’étaient prêtées dans « l’interview » qui n’en est pas une pouvaient être miennes m’ont proposé de traduire mon texte en français. Mais à quoi bon ?
Restent deux points qui ne sont pas dans la publication de Chimurenga mais dans mes propos consacrés à la traduction et aux langues africaines. Des points sur lesquels je reviens souvent. Avant de les aborder, une remarque. Quand quelqu’un dit qu’il se permet « deux coups de griffe » pour annoncer un désaccord, c’est parce que son respect pour l’œuvre dans sa totalité, et pour la personne lui commandent ce langage. C’est un langage de précaution pour dire qu’on se permet respectueusement une critique et voilà que cela est encore transformé alchimiquement en une ironie désinvolte et irrespectueuse. Sur ce chapitre on peut me faire toutes sortes de critiques mais je ne crois pas avoir la réputation d’être irrespectueux.
Le premier point est donc qu’alors qu’ils partagent tous les deux la même ferveur panafricaniste d’un nécessaire remembrement de l’Afrique, Ngugi Wa Thiong’o insiste pour dire que ce remembrement se fera dans le pluralisme linguistique, l’unité se réalisant par la traduction, quand Cheikh Anta Diop insiste sur la nécessité du choix d’une langue d’unification. Les deux positions se défendent dans une discussion honnête et celle qui considère une langue comme instrument d’unification est en effet la définition du jacobinisme. Je penche pour ma part pour le remembrement sur la base du pluralisme linguistique et d’une philosophie de la traduction. Penser ainsi est commettre un blasphème? Avons-nous donc affaire à une religion ?
Le deuxième point concerne la traduction justement. Pourquoi dire que la traduction de la théorie de la relativité dans toute langue, en wolof en particulier n’est pas aussi compliquée que la complexité et le caractère abstrait de la théorie le laisserait supposer ? Autrement dit pourquoi est-il plus compliqué de traduire de la poésie que des sciences logico-mathématiques ? La raison pour laquelle la difficulté de traduire est fonction directe du contenu empirique de ce qu’on traduit est qu’un formalisme logique est sa propre langue et se traduit tout seul. Quand vous traduisez une démonstration vous ne traduisez pas le langage des signes dans lequel cette démonstration se conduit mais le métalangage, autrement dit le commentaire en langue naturelle qui accompagne la procédure. Vous traduirez « on en déduit que », « si je pose… », « alors il vient… » et non pas le déroulement de l’argument qui se passe dans un système de signes universels. Une démonstration formelle conduite en langue ourdoue au tableau sera comprise par tous ceux qui assistent à celle-ci sans connaître cette langue pourvu qu’ils comprennent les procédures formelles écrites au tableau. Pourquoi donc dire que plus la théorie est abstraite et réalisée dans la langue formulaire, moins il est compliqué de la traduire ? Parce que c’est vrai. Faut-il donc s’interdire de conclure à ce que l’on tient pour vrai sur la traduction des systèmes formels ? Derechef, avons-nous affaire à une religion ?
On peut avoir sur tout sujet et sur tout penseur des différences. Les exprimer comme telles, argumenter et contre argumenter, c’est le mode de fonctionnement du monde académique qui est le mien. L’honnêteté en est la condition, qui est d’abord de ne pas prêter à quelqu’un des propos qui ne sont pas les siens. « Bachir tu permets ? », m’a-t-il été demandé. Ma réponse est : « je vous en prie » !
Pauvres Césaire et Senghor ! Le bilan de 60 ans d’indépendance africaine fait mentir l’optimisme de la Négritude, au risque de donner à penser que nos sociétés restent malades de tares ancestrales que nous ne nous avouons pas
24 heures au Bénin |
Roger Gbegnonvi |
Publication 26/08/2019
Dahoméen vieilli à l’ombre des écoles, vous posez aux jeunes pousses béninoises dotées du baccalauréat la question : « Qu’est-ce que la Négritude ? » L’on vous répond : soit « je ne sais pas », soit « né… quoi ? » Car en 2019, élèves et étudiants béninois ignoreraient jusqu’au nom du mouvement créé par Césaire et Senghor à Paris autour de 1930 pour marteler que les Noirs de par le monde ne sont pas des parias. Hors-jeu, la Négritude ?
En 1960, à l’aube des indépendances africaines, cette Négritude fut le bonheur des élèves et étudiants, aujourd’hui parents et grands-parents. Avec Senghor nous chantions : « Femme nue, femme noire / Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté ! / J’ai grandi à ton ombre. » Avec Césaire nous admirions « nos vieilles sociétés. / C’étaient des sociétés communautaire, jamais de tous pour quelques-uns. / C’étaient des sociétés pas seulement anté-capitalistes, […] mais aussi anti-capitalistes. / C’étaient des sociétés démocratiques, toujours. / C’étaient des sociétés coopératives, des sociétés fraternelles. »
Rêve ou réalité ou lyrisme à foison ? Car Césaire précise : « Je fais l’apologie systématique des société détruites par l’impérialisme. » Dont acte. Car le bilan de 60 ans d’indépendance ne plaide pas pour l’anticapitalisme ou pour la démocratie au regard de Bokassa, Idi Amin Dada, Mobutu et consorts. Ni pour la fraternité au regard de nos conflits ethniques : le génocide sur les Tutsis effleura le génocide sur les Juifs. Ni pour « la femme noire » au regard de sa dépigmentation voulue pour ‘‘faire la Blanche’’. Et nos enfants et petits-enfants grandissent noirs à l’ombre de femmes occupées à se décolorer à coup d’onguents, de comprimés, de pilules et d’injections pour se débarrasser de la mélanine. Car en 1952, Frantz Fanon, psychiatre et petit-fils d’esclaves, a écrit : « Le Noir veut être comme le Blanc. Pour le Noir, il n’y a qu’un destin. Et il est blanc. Il y a de cela longtemps, le Noir a admis la supériorité indiscutable du Blanc… » Au point de traiter comme maladie honteuse la couleur noire de sa peau ? Les enfants grandis en voyant Maman se dépigmenter se dépigmenteront. Pauvres Césaire et Senghor ! Car le bilan de 60 ans d’indépendance africaine fait mentir l’optimisme de la Négritude, au risque de donner à penser que nos sociétés restent malades de tares ancestrales que nous ne nous avouons pas pour n’avoir pas à les corriger, que nous cachons sous un tollé d’ « apologie systématique » face au Blanc, tout en œuvrant, dit Fanon, pour que « tous nos efforts tendent à réaliser une existence blanche ». Et nous ne nous avouons pas non plus le terrible fiasco de cette singerie.
La Négritude à la Césaire et à la Senghor fut une école de pensée pour traverser, à peu près debout, les souffrances de la colonisation après les souffrances de l’esclavage. Cette école est révolue. Nous devons en ouvrir une autre pour une conscience nouvelle. Il faut réinventer la Négritude. Une autre Négritude. Dynamique. Créatrice. La tâche s’en impose à nous. Et nous ne l’accomplirons pas en nous proclamant marxistes-léninistes, car aucun membre de notre intelligentsia n’a été dans l’étude et dans l’abnégation au chevet de notre prolétariat ou de notre paysannerie en quête pour eux d’un sort meilleur. Et nous ne l’accomplirons pas en nous affichant chrétiens catholiques ou réformés, car nos ancêtres n’ont pas participé aux luttes sanglantes qui ont départagé les tenants de l’Evêque de Rome et les tenants du moine allemand Martin Luther. La tâche à faire, nous l’accomplirons en nous arrimant à Aimé Césaire : « car il n’est point vrai que l’œuvre de l’homme est finie / que nous n’avons rien à faire au monde / que nous parasitons le monde / mais l’œuvre de l’homme vient seulement de commencer / et il reste à l’homme à conquérir toute interdiction immobilisée au coin de sa ferveur. » Oui. Réflexion et action. Foi et ferveur.