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5 avril 2025
LEOPOLD SENGHOR
MAMADOU DIA, HISTOIRE D'UNE ARCHIVE INÉDITE
Dix ans après la mort de l'ancien président du Conseil (1957 à 1962), son ancien directeur de cabinet, Roland Colin, choisit de confier l’intégralité de ses douze heures d’entretiens enregistrés à Dakar entre 1975 et 1978, à RFI
RFI |
Valérie Nivelon Maxime Grember |
Publication 25/01/2019
C’est une archive sonore inédite où le premier président du Conseil du Sénégal revient sans aucune concession ni amertume sur la crise de 1962 et ses années de prison, suite à son arrestation ordonnée par son mentor Léopold Sédar Senghor, premier président de la République sénégalaise. Mais le témoignage de Mamadou Dia ne se résume pas à l’événement de 1962, aussi tragique soit-il. Sa dimension autobiographique revisite toute l’histoire de la lutte anticoloniale depuis les années 1930. Celle d’un instituteur africain et musulman, dont l’idéal nationaliste ne souffrait aucun compromis avec la France. À la proposition de Senghor de le libérer contre son engagement à renoncer à la politique, Dia a répondu qu’il préférait « vivre libre en prison plutôt que d’être prisonnier dehors ».
Avant de découvrir La voix Mamadou Dia, la série documentaire en trois épisodes diffusée en exclusivité dans La marche du monde sur RFIà partir du dimanche 17 mars à 11h10 TU, Roland Colin revient sur l’histoire de cette archive sonore et sur la dimension biographique du récit de Dia.
RFI : Dans quelles circonstances avez-vous réalisé ces entretiens ?
Roland Colin : J’ai retrouvé Mamadou Dia à Dakar en 1974, juste après sa sortie de prison et je lui ai dit que son témoignage était fondamental, que son histoire devait désormais être intégrée à la grande Histoire et qu’il devait reprendre la parole pour que tout le monde puisse entendre ce qu’il avait à dire.
Il a été très heureux de cette proposition, mais comme il était devenu presque aveugle et qu’il ne pouvait plus écrire, il a accepté de témoigner oralement et de revenir sur son parcours, de son enfance jusqu’à son emprisonnement en 1962.
C’est dans ce contexte que son récit autobiographique a été enregistré. Le travail de mémorisation a été fait par étape. Nous nous sommes vus une quinzaine de fois chez lui à Dakar entre 1975 et 1978. Ce travail lui a permis d’écrire son livre autobiographique : Afrique, le prix de la liberté (aux éditions L’Harmattan).
J’ai soigneusement gardé ces enregistrements et j’ai décidé aujourd’hui, à 90 ans, d’en faire don à RFI pour l’émission de Valérie Nivelon, La marche du monde. Il est important que ces archives puissent être connues de tous, car elles nous donnent à entendre la voix de Mamadou Dia, acteur de l’indépendance du Sénégal, mais aussi figure incontournable de la décolonisation en AOF (Afrique-Occidentale française) et en Algérie.
Quand entrez-vous au cabinet de et Mamadou Dia et quelle fonction occupez-vous ?
La loi-cadre Deffere du 23 janvier 1956 permet de créer pour la première fois un gouvernement sénégalais, et c’est le parti de Léopold Sédar Senghor qui occupe la position de responsabilité. Léopold Sédar Senghor nomme Mamadou Dia à la tête du gouvernement.
A la demande de Léopold Sédar Senghor, j’entre au cabinet de Mamadou Dia en juillet 1957, que je connaissais et pour qui j’avais de l’estime. Mamadou Dia me confie plusieurs missions importantes ; travailler à la fédération des Etats d’Afrique occidentale, suivre le transfert de la capitale de Saint-Louis à Dakar et l’accompagner dans la mise en place de sa politique de développement économique ; l’animation rurale.
Peut-on établir des comparaisons dans les parcours et les origines de Senghor et Dia ?
Mamadou Dia vient d’une classe pauvre. Il n’appartient pas au milieu de la bourgeoisie urbaine, à l’inverse de Léopold Sédar Senghor, dont le père était bien ancré dans le milieu des affaires.
Léopold Sédar Senghor a été extrait de son milieu dès l’âge de 7 ans. Il a été envoyé à l’école où on lui a appris le français et le wolof, alors que sa langue maternelle était le sérère. Il a découvert la religion et la culture française, tout en étant travaillé par l’aiguillon de la culture première perdue et qu’il appelait son royaume d’enfance. Dès lors, il va être obsédé par le retour à cette culture perdue ; la négritude, selon lui, qui sera vue comme une reconquête de soi. Il arrive à Paris en 1928 et il y restera jusqu’en 1945.
Quand il revient au Sénégal, il entend parler de Mamadou Dia, qui était un jeune instituteur et qui faisait un travail formidable avec les paysans sénégalais. Il rencontre un garçon en pleine possession de sa négritude première et sera dès lors fasciné par la négritude de Dia, qui venait de créer, avec un groupe d’amis, le cercle de l’authenticité, véritable creuset de la négritude accomplie.
De son côté, Dia considérait que la religion ne pouvait être un facteur discriminant pour s’intéresser aux autres, ce qui explique pourquoi il a accueilli Senghor (chrétien) avec beaucoup d’ouverture.
Dans quelle mesure la religion apparaît comme une clé de compréhension de la personnalité et de l’éthique politique de Mamadou Dia ?
Son témoignage nous permet de comprendre l’importance qu’a joué son père dans sa vie. Cet « homme digne et extraordinaire », comme il le qualifiait, était agent de police rurale et il incarnait à ses yeux la rectitude et la loi. Sa mort accidentelle va profondément le marquer et renforcer sa foi.
Par la voie d’un islam soufi que lui a transmis son père, la religion était de l’ordre du personnel et il était révulsé de voir l’utilisation de l’islam par les marabouts. Il voulait faire une grande assise nationale sur l’islam et le développement, mais cela n’a pas pu se faire à cause des événements de 1962.
D’où vient son intérêt pour les questions économiques ?
Il devient instituteur, puis comme directeur de l’école régionale de Fatick, il écrit pour des journaux dans lesquels il décrit la misère du monde paysan qu’il connaît bien. Ses articles portent essentiellement sur les questions économiques. Il préconise le regroupement des paysans en coopératives, voie idéale pour leur émancipation. Cette idée marquera par la suite sa pensée politique.
Comment Mamadou Dia est-il entré en politique et a-t-il créé le Bloc démocratique sénégalais (BDS) avec son mentor Léopold Sédar Senghor ?
D’abord réticent à l’action politique, il accepte de se présenter à la demande des habitants de Fatick qui souhaitent le voir candidat au conseil général. Parrainé par Senghor, il se présente sous l’étiquette SFIO.
Ses relations avec Lamine Gueye, leader de la SFIO, se détériorent et avec un groupe de camarades contestataires, dont Léopold Sédar Senghor, il décide de s’impliquer dans la création du BDS.
Pour quelles raisons Mamadou Dia entretient-il des relations privilégiées avec les religieux et avec les syndicalistes pour créer le BDS ?
Le contact avec les religieux et les syndicalistes a permis au BDS de se structurer et de s’étendre, là où la SFIO n’avait pas d’influence.
Mamadou Dia était proche du militant syndicaliste Ibrahima Sar, qui était l’animateur de la grande grève des chemins de fer de 1947. Ibrahima Sar a été ministre du Travail et de la Fonction publique dans le gouvernement de Dia. Il restera fidèle et solidaire à Dia lors des événements de 1962. Il sera emprisonné au même titre que Dia pendant douze ans. Il est mort peu de temps après, suite à une maladie mal soignée pendant son emprisonnement.
En quoi l’année 1958 est-elle un tournant dans la politique sénégalaise ?
L’année 1958 est celle de l’effondrement de la IVe République française. Le général de Gaulle arrive au pouvoir et accepte de faire un pas supplémentaire vers l’autonomie des territoires de l’AOF en proposant un grand référendum sur l’ensemble de l’espace d’influence française, où les pays doivent choisir entre deux options : prendre l’indépendance immédiatement ou se fédérer au sein de la communauté française…
Gros débat, car choisir l’indépendance, c’est émerger sur le plan international sous la forme d’un petit Etat et compromettre les chances réelles d’émancipation sur le plan économique et géopolitique. Le Sénégal, avec d’autres, choisit le statut d’Etat membre de la communauté, en annonçant qu’il transforme son système intérieur de telle sorte à être apte à assumer les responsabilités de l’indépendance. Le Sénégal se donne quatre ans pour transférer son économie.
Comment Mamadou Dia s’y prend-il pour transformer l’économie de son pays ?
Dia avait une formation économique, ce qui était précieux et rare pour un responsable africain de cette époque. Et comme le Sénégal vivait encore dans l’économie de traite colonialiste, il va choisir la voie de l’économie sociale pour transformer l’économie de l’arachide et créer les coopératives paysannes, qui seront de véritables lieux d’apprentissage de la démocratie. Il se fixe comme objectif de réaliser ce travail de formation et de transformation sur quatre ans.
Il lui faut un outil d’éducation paysanne pour permettre à la population de gérer ce qu’il lui est proposé ; ce sera l’animation rurale. Dia va parler d’une économie démocratiquement contractuelle et d’un socialisme humaniste - et non bureaucratique - selon les références culturelles du peuple. A partir de là, son gouvernement va proposer aux paysans de s’organiser en coopératives paysannes, puis il va choisir de réformer l’administration pour que celle-ci soit une administration de partenariat. Dia va appeler ce système de cogestion et d’autogestion le « socialisme africain humaniste ».
C’est à cette période que vous débutez votre collaboration avec Mamadou Dia ?
Oui. Accordé à cette idée, Mamadou Dia me demande de prendre la tête de son cabinet. Ce seront quatre années passionnantes de mise en place du développement de l’animation rurale. Une étape nécessaire pour passer de l’autonomie à l’indépendance.
Comment se met en place l’animation rurale ?
L’Etat met en place un plan de développement sur quatre ans pour chacune des régions : 750 coopératives sont créées la première année. L’Etat crée une banque de développement et un office de commercialisation, ce qui permet de sortir de l’économie de traite. Sur les 600 000 tonnes d’arachide produites chaque année, 150 000 tonnes le sont par le biais de l’économie sociale. Les protagonistes extérieurs n’y croient pas et pensent que les Noirs sont incapables de se gérer eux-mêmes… Au bout de la première année, tout marche au cordeau.
Lors de la deuxième année, 1 500 coopératives sont créées et 300 000 tonnes d’arachide sont produites. Tout marche normalement et les protagonistes extérieures hostiles au régime commencent à avoir peur et pensent que si l’on passe à 75%, ce sera irréversible… Dès lors, il faut « abattre » Dia avant la troisième année.
Comment les opposants de Mamadou Dia vont-ils s’y prendre pour faire tomber son gouvernement ?
Les opposants forment une coalition comprenant trois composantes : « les firmes de commerces internationaux », « les grands marabouts sénégalais » et « le personnel des administrations ». L’objectif est de faire renverser le gouvernement avant la troisième année en déposant une motion de censure par les députés qui s’opposent à la politique de Dia.
Entre-temps, Senghor avait pris les fonctions de président de la République. Dia était toujours chef de gouvernement et pouvait orienter le gouvernement avec la confiance de Senghor, qui pouvait arbitrer en cas de crise. La gestion de Dia est critiquée. Il reprend contact avec certains dirigeants venant des pays de l’Est, notamment la Yougoslavie dont le principe d’autogestion l’intéresse. Les ennemis de Dia intoxiquent Senghor, car le socialisme de Dia mènera au communisme qu’on lui présente comme une destruction pour l’Afrique. On fait croire à Senghor que Dia est en train de monter un complot contre lui pour transformer le Sénégal en République islamique. Progressivement, Senghor va se laisser envahir par cette idée.
Comment Mamadou Dia décrit les événements de 1962 dans vos entretiens ?
Senghor s’était installé dans un protocole « élyséen », si bien que Dia n’avait plus le même accès à Senghor qu’auparavant pour discuter simplement.
Les députés frondeurs déposent une motion de censure alors qu’ils sont issus du même parti que Dia et Senghor. Ils programment le vote de la motion de censure avant que le Conseil national ne se réunisse. Dia se trouve face à un dilemme politique et moral ; s’il laisse faire, c’est toute la politique menée depuis des années qui s’écroule. Il faut donc convaincre les parlementaires avant que le parti ne se réunisse, ce qu’il ne réussit pas à faire. La motion de censure est votée. En parallèle, la Constitution change et on passe au régime présidentiel. Dia est embarqué par l’armée. La nouvelle est répandue : Dia a tenté un coup d’Etat, la presse est sous contrôle, et on dit que Senghor a sauvé la démocratie d’un coup d’Etat.
Ou étiez-vous à ce moment précis ?
Un mois avant les événements de 1962, j’étais au cabinet de Dia et j’avais encore accès à Senghor avec qui je pouvais discuter, car il avait confiance en moi, mais une tuberculose m’oblige à être évacué en France. J’apprends la nouvelle de l’emprisonnement de Dia à la radio depuis la France.
A quel moment revenez-vous au Sénégal ?
Senghor m’envoie un message et me dit que ma place est au Sénégal, et qu’il me confiera des responsabilités importantes quand je sortirai du sanatorium. Je lui réponds que je ne peux pas remettre les pieds au Sénégal tant que Dia est en prison. Senghor se fâche et interrompt ses relations avec moi. Je retrouve Paris en juin 1963 après huit mois au sanatorium et j’entre à la direction de l’Iram, l’Institut de recherche et d’applications des méthodes de développement. Madagascar et le Niger s’intéressaient aux méthodes de Dia et je leur servais d’interlocuteur.
Entre-temps, Dia est condamné pour coup d’Etat par une cour de justice constituée de parlementaires qui avaient voté la motion de censure, et est envoyé dans un centre de détention proche de la frontière du Mali.
En 1967, je reviens à Dakar pour un congrès international et je rencontre Senghor le lendemain de mon arrivée. Je lui rappelle l’estime que j’ai pour lui et que le tandem qu’il formait avec Dia était fondamental, que c’était une chance pour l’Afrique d’avoir un homme de culture et un économiste à la tête du gouvernement du Sénégal, et qu’ensemble ils doivent faire front commun pour mener le destin du Sénégal. Senghor veut bien envisager des mesures permettant la libération de Dia, mais il veut des garanties et me propose de faire l’intermédiaire pour mettre en œuvre sa libération.
Quel est votre rôle pendant les douze années de prison de Dia ?
Je continue d’écrire régulièrement à Senghor sans réussir à faire avancer les choses et un jour Senghor me fait venir à Dakar. Il me demande de porter le message suivant : « J’ai décidé d’envisager la libération de Dia à condition qu’il fasse l’engagement par écrit de renoncer à faire de la politique ». Je me charge de faire l’intermédiaire et Senghor me permet de rencontrer secrètement Dia en prison.
Je revois Dia en 1972 et lui expose les exigences de Senghor et il me dit qu’il considère la politique non pas comme un droit mais aussi comme un devoir. Il me dicte un texte que je remets à Senghor dans lequel il lui dit préférer « vivre libre en prison plutôt que d’être prisonnier dehors ». La lettre est transmise au cabinet de Senghor, qui estime que Dia fait sa mauvaise tête.
Entre-temps, Dia souhaite que son message soit connu et me demande que sa lettre soit envoyée à Houphouët-Boigny, alors président de Côte d’Ivoire. La réconciliation entre le Sénégal et la Côte d’Ivoire bat son plein ; Senghor fait son voyage de réconciliation à Abidjan et invite Houphouët à Dakar. Houphouët-Boigny appelle l’ambassade du Sénégal et dit qu’il accepte à condition que Dia sorte de prison. Senghor reçoit le message et les négociations se rouvrent pour faire sortir Dia de prison. Un compromis est trouvé. Nous sommes en 1974.
Comment Dia a-t-il supporté ses douze années de détention ?
Ses conditions de vie étaient très dures. Il a tenu le choc moralement et spirituellement en le prenant comme une épreuve humaine et métaphysique. Une mission vis-à-vis de son peuple. Il a beaucoup médité, réfléchi, lu et écrit. Il en est sorti encore grandi.
J’ai beaucoup admiré sa force morale et sa sérénité. Dia a été séparé de ses cinq compagnons avec qui il n’a eu aucun contact pendant ces douze ans. Chacun dans son pavillon. Il a vécu dans une grande solitude et il ne pouvait recevoir de visite qu’une fois par trimestre. Il est sorti de ces longues années d’incarcération avec une volonté de liberté totale.
Dans quel état d’esprit retrouvez-vous Mamadou Dia à sa sortie de prison ? Une réconciliation était-elle envisageable avec Senghor ?
Dia était évidemment heureux de retrouver les siens et la liberté mais il n’était pas habité par un esprit de revanche. Il avait la conviction qu’il avait encore un devoir à accomplir dans la ligne de la démocratie participative.
Avec Senghor, on peut parler de reprise de contact et non d’une réconciliation. Dès que Dia est sorti de prison, il a demandé à être reçu par Senghor. Une fois dans son bureau, il s’est avancé vers lui, a ouvert les bras et lui a dit : « Alors, tu ne m’embrasses pas Léopold ? » S’en est suivi une conversation politique dans laquelle Dia lui a dit qu’il fallait impliquer davantage la société civile pour qu’elle puisse avancer vers la démocratie participative et qu’il souhaitait fonder une internationale africaine pour le développement. Senghor était interloqué par la demande de Dia.
Dia créée cette fondation en 1975 et commence à faire des voyages. Le gouvernement sénégalais lui a mis des bâtons dans les roues. Le projet a fonctionné deux ans. Dia a ensuite repris sa militance politique.
Né en 1928, Roland Colin entre à l'Ecole nationale de la France d'outre-mer en 1948 où il a Léopold Sédar Senghor comme professeur et avec qui il se lie d’amitié. Diplômé de l'Ecole des langues orientales, il commence sa carrière comme administrateur au Soudan français (actuel Mali) en 1952, puis au Sénégal en 1955.
En juillet 1957, à la demande du président Senghor, il est nommé conseiller technique dans le cabinet de Mamadou Dia, président du Conseil de gouvernement du Sénégal, puis chef du gouvernement de la République du Sénégal en 1958.
Suite à l’arrestation de Mamadou Dia en décembre 1962, Roland Colin abandonne toute fonctionne officielle et rentre en France pour entamer une carrière d’anthropologue et d’universitaire, spécialiste du développement des pays africains.
PAR AMADOU LAMINE SALL
17 ANS QUE SENGHOR DORT SANS FIN
Monsieur le président, vous assistez de là où désormais votre regard déshabille toutes choses, aux tribulations du pays dans ce qui devait être un moment apaisé de responsabilité et qui, sous nos yeux, se révèle comme un tragique théâtre politique
C’est le 20 décembre 2001 que vous nous avez quittés : pourquoi ceux que nous aimons meurent-ils ? Que restent-ils de ceux qui voyagent si loin, si près, si ce n’est la mémoire de ceux qui sont encore restés et qui se préparent, eux aussi, pour l’éternelle couette de terre ? Alors, que reste t-il vraiment qui surmonte le temps, si ce n’est les livres d’histoire ? En écrivant ces mots, mon cher poète, je pense à vous, je pense aussi à un autre homme disparu le 4 décembre 2018 dernier, à 16 jours du 17ème anniversaire de votre grand sommeil. Le Sénégal a pleuré Sidy Lamine Niasse, d’une année mon aîné, enfant de Kaolack comme moi. J’évoque sa mémoire ici, car ma maman l’aimait et elle a beaucoup, beaucoup pleuré quand je suis allé dans sa chambre lui annoncer notre deuil. Je n’aime pas voir ma mère pleurer. Que l’on ait de l’estime pour lui ou non, Sidy Lamine était Sidy Lamine. « Amadou, je viendrais embrasser notre maman, bientôt », m’avait-il lancé à la fin du dîner en la résidence de notre ami, l’Ambassadeur de Palestine, Safwat Ibraghith. La Palestine belle et rebelle, se souvient toujours de Léopold Sédar Senghor ! Tous vos successeurs lui ont gardé ce que tu lui avais donné, le premier ! Un héritage qui honore notre pays au sein de la communauté internationale.
Si cher poète, comme le temps est long depuis votre grand sommeil ! Et pourtant, vous êtes si présent en nous, avec nous. Pas une année où aux plus reculés des hémisphères, l’on ne vous fête ! Nous rentrons de Paris le 9 novembre 2018 où l’Académie des Sciences d’Outre-mer célébrait, autour de la thématique de la trilogie de la paix, trois grands noms : Léopold Sédar Senghor, Martin Luther King, Alfred Manessier le peintre. Monsieur Moustapha Niasse, votre ami si fidèle, disciple invincible, en sa qualité de président du Conseil d’Administration de la Fondation L.S.Senghor en était l’invité d’honneur. Maître Boucounta Diallo, Raphaël Ndiaye, directeur général de la Fondation et votre peul qui a migré dans les bras des Sérères, étaient présents au pays de Victor Hugo. C’est comme si vous y étiez et vous y étiez ! Monsieur Gérard Bosio, le fils inconsolé et qui fut votre conseiller, nous y a accueillis. Il s’échine, avec grand mal, à ouvrir un musée en votre nom où seraient enfin exposées toutes les œuvres du patrimoine que vous lui avez laissées et qu’il garde comme le dernier grenier de mil ! Au même moment, Emmanuel Macron le jeune Président français qui tisse sa légende mais à qui un mouvement populaire sorti de l’exaspération et de la pauvreté, dénommé les « Gilets jaunes », lui ôte ses aiguilles et ses étoffes, pourrit le quinquennat, met la France à nu, face au monde. Le Président français recevait près de 70 Chefs d’État, pour la commémoration du 11 novembre, cent ans après la 1ère guerre mondiale de 14-18.
J’ai pensé alors au soldat Senghor, combattant de la seconde guerre mondiale ! Je me souviendrais toujours de mon voyage à Saint Médard en Jalles, non loin de Bordeaux, cette localité où vous aviez été interné comme prisonnier de guerre et dont la médiathèque porte désormais votre nom. Vous imaginant dans ce camp près de 82 ans plus tard, j’ai mesuré en foulant ce sol, combien la grâce divine vous avait préservé de la mort. Plus fascinant encore : jamais en vous regardant gouverner, dire des poèmes, prononcer des discours, manger, dormir, l’on ne pouvait distinguer en vous que vous aviez été un seul jour de votre vie au cœur de cette boue glaciale et sanglante que fut le théâtre de la guerre, en ce temps-là ! Je n’ai jamais vu et entrevu en vous que la lumière ! Ou cachiez-vous donc cette vie antérieure, me suis-je toujours demandé à vos côtés ? Est-ce donc la poésie qui avait tout embelli en vous ?
Tiens, le 25 novembre, en entrant dans les locaux de la nouvelle radio « imedia », où j’étais venu prendre part à un débat animé par le teigneux journaliste Alassane Samba Diop, je vous ai trouvé à l’accueil avec Nelson Mandela. Oui, une belle photo de vous et du grand zoulou décorent les locaux de cette naissante station radio ! Bel hommage d’une solide compagnie d’invincibles journalistes, dont Mamoudou Ibra Kane, Antoine Diouf, Khalifa Diakhaté, entre autres. Vous êtes ainsi dans le cœur d’une nouvelle génération médiatique qui triomphe par sa rigueur et sa qualité.
Si cher poète, Monsieur le Président -dans l’ordre alphabétique-, vous assistez de là où désormais votre regard déshabille toutes choses, aux tribulations du Sénégal dans ce qui devait être un moment apaisé de haute responsabilité et qui, sous nos yeux, se révèle comme un tragique théâtre politique de fous et d’hallucinés. La politique et des ambitions démesurées ont rendu méconnaissables notre pays. Notre chance, cependant, est que le plus grand nombre du peuple Sénégalais reste grand et lucide. Seule l’arène politique est atteinte d’un cancer généralisé. Nous espérons que le suffrage universel, au lendemain des élections présidentielles de février 2019, guérira très vite, au réveil, les plus atteints. Le système fort contesté dit du parrainage a déjà sorti de la chimiothérapie quelques chanceux. Un vent de folie et d’ambition que rien ne semble arrêter, pollue jusqu’à l’eau de nos robinets. Le peuple se tait. La horde des politiciens déferle sur nos vies. Sans respect. Avec une poignante honte. Ce visage là ne ressemble pas à votre pays. Tant pis si nous acceptons cette fatalité. Peut-être mènera t-elle à un jour nouveau, une autre manière de faire de la politique, une autre manière d’être digne.
Votre 4 ème successeur bâtit, bâtit, bâtit ! Quelque soit l’adversité, il sera difficile de dire de cet homme qu’il fut un flâneur tenant en laisse une tortue pour installer son pays au cœur de la modernité. Nous lui souhaitons que l’histoire de son héritage ne soit pas d’argile ! Mais nous n’oublions pas que des Chefs d’État africains paient cher pour offrir la pauvreté à leur peuple ! Ce qu’il nous faudrait accélérer serait plutôt l’émergence d’industries productives, génératrices d’emplois et de richesses, exportatrices, sans lesquelles il ne saurait y avoir de véritable pays avancé. Là, se logent nos faiblesses. Il faudra bien résorber ce gap ! L’État seul ne saurait y réussir, mais il doit pousser dans ce sens le secteur privé national et international, dans un partenariat dynamique, qui relaie et complète les actions de l’État.
Macky Sall, c’est son nom, cher poète, brigue un second mandat en février 2019. Le temps de vos 20 ans au pouvoir est bien sûr révolu. Je vous vois d’ailleurs en rire ! Vous nous avez toujours confié que vous étiez arrivé au pouvoir par accident et que vous ne comptiez pas y rester longtemps, jusqu’à cette fameuse et si contestée tentative de coup d’État qui changea le temps de votre mandat. Votre 4ème et jeune successeur a fixé la norme à deux mandats de cinq ans. Après lui, nous souhaitons que les Sénégalais approuvent un mandat unique dont la durée restera con sensuellement à être fixée, afin d’avancer et d’éviter à notre pays de détestables échéances trop proches les unes des autres qui nous installent dans des campagnes électorales permanentes, sans compter les inévitables compromissions de renouvellement de mandat avec de grosses coalitions politiques qui ne viennent pas que pour boire du thé !
Tiens, le Musée des Civilisations Noires dont vous rêviez vient d’être enfin inauguré, 11H, le jeudi 6 décembre 2018, par l’heureux Président Macky Sall ! Près de 93 ans d’attente, décompte fait ! En effet, que de temps parcouru depuis 1925, date d’évocation de ce projet par un certain Lamine Senghor, puis 1957 avec les assises de Rome autour d’intellectuels et d’artistes, 1966 avec le totémique Festival mondial des arts nègres, 1974 avec le Conseil des ministres spécial de Dakar sur le musée. Quatre dates marquantes révélées par l’actuel ministre de la Culture Abdou Latif Coulibaly devant le Parlement, le 4 décembre 2018 ! L’inauguration du tant souhaité projet du Mémorial de Gorée attendra combien d’hivernages ? Le Président Sall a dit oui à ce projet dans son discours d’inauguration du Musée et l’a réitéré en lettres d’or au Conseil des ministres du mercredi 12 décembre 2018. Enfin, le symbole de toutes les mémoires souffrantes serait érigé pour l’histoire et dans l’histoire des Noirs de toutes les couleurs!
Que te rapporter d’autre, cher poète, en ces temps incertains du monde. Les États Unis d’Amérique scalpent les États libres et son invraisemblable et fatidique Président a ouvert des boutiques de linceul le long de ses frontières. La Grande Bretagne lutte contre elle-même et aiguise ses couteaux avec ses propres dents en sortant de l’Union Européenne par le « Brexit ». La Chine continue sa marche jaune devenue jaune-arc-en-ciel, pour dire que ses conquêtes sont devenues grandes. L’Afrique s’organise. Juste le temps encore d’enterrer le reste des Chefs d’État qui l’humilient et la déshonorent ! Mais nulle part dans le monde, la démocratie ne porte des habits de grande lumière. La justice, non plus. Le combat des écologistes s’intensifie, conséquence de l’accélération du réchauffement climatique face à des gouvernants aveugles et suicidaires. La 3ème guerre mondiale est déclenchée : nature contre homme. La fin n’est plus loin ! Au Sénégal nous luttons contre un projet de port monstrueux, une pieuvre géante et puante qui étend ses tentacules de Ndayane à Toubab Dialaw, sur un des plus beaux littoral sénégalais ! Un génocide écologique qui s’annonce si le Président Sall n’y apporte pas la plus précieuse et la plus patriotique des attentions ! Déjà, les catastrophes du port de Bargny-Sendou sont désormais ressenties jusque chez toi, cher poète, à Joal la Portugaise ! Tes vertes vérandas sont menacées par la suie noire des vents noirs de la pollution. La poésie résiste, mais jusqu’à quand ? Mais le temps des poètes n’est pas fini ! Dans l’actualité des réflexions du monde, j’apprends ceci du chercheur américain André Tanenbaum : « Dans le futur, chacun possédera chez soi un terminal connecté à un réseau d’ordinateurs. On pourra faire des référendums spontanés sur des questions législatives importantes. Plus tard, on pourra supprimer les représentants du peuple au bénéfice de l’expression populaire directe. » Par ailleurs, sur un autre sujet de langue et de religion, je partage avec vous ces éclairantes leçons de Fawzia Zouari : « Des élus français confondent l’enseignement de l’arabe avec l’enseignement du Coran. Ils se trompent. L’arabe existait avant le Coran et était une langue de poésie avant tout. De même que bien des musulmans prient sans savoir lire ni écrire. Donc, il n’est point besoin d’apprendre l’arabe à l’école pour connaître et pratiquer la religion (…) le plus grand pays adepte de cette foi, l’Indonésie, ne parle pas l’arabe (…) le musulman peut naître chinois (…) l’arabe est aussi la langue des juifs et des chrétiens d’Orient ».
Mon cher poète bien-aimé, dans mes lectures qui m’éloignent de l’environnement médisant et nauséabond de nos politiques, de l’angoisse de nos peuples, j’ai appris que Dieu nous parlait et nous écrivait tous les jours avec des consonnes et que c’était à nous d’y introduire les voyelles, pour tracer et assurer notre propre verticalité vers Lui.
Votre pensée nous manque. Elle nous donnait à boire quand nous avions grand soif !
En ce 20 décembre 2018, 17 ans après votre grand sommeil, sur votre tombe poussent des poèmes que des pèlerins sont venus écrire pour vous et qu’ils n’ont pas voulu signer. Quand arrive le vent, il les essaime dans tout le cimetière de Bel air et les morts les lisent à haute voix la nuit avec Julien Jouga.
Vous ne nous avez jamais quittés !
Rokhaya Diallo-Hamidou Anne-Penda Mbow-Alymana Bathily-René Lake
SÉNÉGAL, ENJEUX 2019
EXCLUSIF SENEPLUS - Jusqu'à l'élection présidentielle de février, publication d'une série d'articles d'analyse de fond des défis qui se posent au développement du pays - La conversation est dès à présent ouverte et tout le monde peut y prendre part
#Enjeux2019 - A partir de cette semaine, SenePlus.com lance un projet de publication d'une série d'articles d'analyse de fond des principaux défis qui se posent au développement du Sénégal.
"Enjeux 2019", titre de cette série de publications que vous retrouverez sur SenePlus.com et dans les colonnes de quelques uns de ses partenaires de la presse écrite, a pour objectif de susciter, de mener, d'entretenir et de prolonger dans le fond et dans la durée des débats nationaux d'ici au 24 février 2019, date de la prochaine élection présidentielle.
Avec le soutien de la fondation Open Society Initiative for Africa (OSIWA), SenePlus a sollicité plusieurs contributions écrites auprès d'experts, d'activistes, et de leaders d'opinion représentants un groupe de citoyens divers en tous points : âge, genre, ethnie, religion, opinion ou engagement politique, école de pensée philosophique ou idéologique, et spécialité professionnelle notamment.
Les discussions, les conversations et les débats autour des "Enjeux 2019" seront menés sous un angle non-partisan. L'intention est sous-tendue par l'idée selon laquelle, quelle que soit l'administration qui sera aux affaires après la prochaine présidentielle, nous devrons tous ensemble, malgré nos approches différentes, voire divergentes, sinon trouver des solutions, au moins faire des progrès significatifs dans certains domaines. Car, cela relève d'une exigence populaire et bien souvent également, une exigence de bon sens.
Tous les sujets de fond seront abordés. Ensemble, nous réfléchirons aux questions de gouvernance, d'éducation, de formation, de la place de nos langues nationales, de celle des femmes dans toutes les sphères de la société, du rôle des médias, des défis d'Internet et des réseaux sociaux, de la santé publique, de la monnaie, de la gestion des ressources naturelles, de la politique africaine et internationale, de la défense et de la sécurité, de l'environnement, du sport, etc.
Les points de vue des femmes et des jeunes seront transversaux à toutes ces questions.
Il s'agira de rendre compte des défis qui se posent de manière spécifique aux femmes qui représentent la majorité de la population du Sénégal. Où en sommes-nous par rapport à l'égalité en droit entre hommes et femmes ? Quelles mesures et quelles réformes pour faire face à la violence sur les femmes dans la sphère domestique ? Comment discuter et agir face à la mendicité infantile ? Les questions sont bien nombreuses.
Quant aux jeunes, les textes de SenePlus et ses partenaires refléteront la maturité politique d'une partie de cette jeunesse et son appropriation des enjeux immenses qui se posent à un pays à bâtir ensemble. Les contributions des jeunes femmes et des jeunes hommes auront ce sens profond qu'elles proviennent du cœur social d'un pays jeune. Elles constitueront le propos de celles et de ceux sur qui le pouvoir à venir en février 2019 s'exercera.
Pour prolonger, étendre et diversifier les conversations, SenePlus.com interpellera régulièrement, sur des plateformes multimédia, des citoyens dans les rues du pays et ailleurs pour avoir en diola, en pulaar, en wolof et en français, leurs perspectives sur les "Enjeux 2019".
Après l'élection, plusieurs formules pour poursuivre les discussions sur les "Enjeux 2019 - 2024" seront proposées à tous les acteurs sociaux. D'un ouvrage aux conférences et autres espaces de discussion, il s'agira de poursuivre cette réflexion endogène sur le développement du Sénégal.
Tous ceux qui souhaiteront contribuer ou réagir aux articles publiés dans cette série "Enjeux 2019" sont invités à nous contacter par email à l'adresse : article@seneplus.com.
Rokhaya Diallo, Hamidou Anne, Penda Mbow, Alymana Bathily et René Lake
Sur les réseaux sociaux : #Enjeux2019
PAR MAMADOU DIALLO
SENGHOR, UNE PENSÉE AU PRÉSENT
Le président-poète avait l’intuition de l’avenir - L’inauguration récente du Musée des Civilisations Noires au Sénégal, projet qu’il a évoqué lors du 1er Festival Mondial des Arts Nègres en 1966, témoigne encore de sa vivacité d’esprit
Si la grandeur d’une pensée se mesure assurément à ce que nul ne peut éviter de la croiser, d’y séjourner un jour ou une vie entière, de l’habiter en apprenti, d’en ressortir la splendeur, Senghor est bien installé dans l’histoire de la pensée contemporaine.
Il fait donc partie des intellectuels qui ont contribué à modifier profondément et durablement le paysage intellectuel et politique mondial. Théoricien et novateur, jamais coupé des enjeux de son époque mais jamais réductible à eux, son œuvre est devenue une clé de lecture du temps présent.
Elle démontre la nouveauté et la force de l’impact du Président-poète sur l’Histoire. Dix-sept ans après sa mort, sa voix n’a cessé de s’affermir. Elle porte aujourd’hui plus loin qu’il y a dix-sept ans. La cause est sans doute à chercher dans le fait que sa pensée était visionnaire comme sa villa futuriste de la corniche à Dakar.
L’inauguration récente du Musée des Civilisations Noires au Sénégal, projet qu’il a évoqué lors du 1er Festival Mondial des Arts Nègres en 1966 témoigne encore de sa vivacité d’esprit. Le poète à l’esprit créatif avait l’intuition de l’avenir. Il était capable d’anticipation. On l’appelait, on sollicitait son avis, ou lui confiait des missions. On lui décernait un diplôme honoris causa ou lui accordait une citoyenneté. On inscrit en France, sa réflexion aux pro- grammes de l’agrégation de lettres.
En 2006, pour fêter les 100 ans de Senghor, l’UNESCO publiait , sous la plume d’éminents intellectuels du monde,50 écrits en hommage au poète-président. Mais accuser Senghor de tel ou tel renoncement n’a aucun intérêt, pas plus que vouloir le rallier à l’intellectuel universel que représente Marx. Sans doute, il a eu des impasses : ses concepts contradictoires, négritude et francophonie, sénégalité et francité, dialogue et autorité( car il savait aussi mordre, réprimer).
En réalité, il était plus « l’homme des confluences» que des contradictions ou des compromissions. Il appréciait ce thème pascalien de l’accordement des contraires. Il maîtrisait l’art de la nuance.
Il y a bien plus passionnant. Retracer sa trajectoire, ses luttes dans son champ de spécificité et comprendre l’écho reçu par ses thèses, jusqu’à aujourd’hui inclus.Tout ce que nous pouvons dire a déjà été dit sur cet Homme d’Etat, homme de pensée et d’action. Un Président politique et culturel qui a redessiné à sa manière avec une érudition époustouflante, la carte du monde.
Nous tenterons d’analyser combien les idées senghoriennes forgées au 20ème siècle sont encore actuelles.
Comment Senghor a-t-il pu jeter sur le monde d’aujourd’hui les ailes de sa pensée ? Comment ses thèmes récurrents voire ses concepts contradictoires ont pu trouver leur traduction au sein de la communauté internationale ? Sans nous livrer à un ordre spécifique de tous les points, nous étudierons, pour avoir une li- gne générale, sûrement volontaire, le contexte réel dans lequel une œuvre d’exception née au siècle dernier traverse encore ce siècle nouveau.
- La Civilisation de l’Universel
Senghor en imaginant la Civilisation de demain, symbole vivante de tous les continents, de tous les peuples et toutes les races pressentait la Mondialisation (Globalisation). Roger DEHAYBE, écrivain belge, Commissaire de l’année de Senghor et Ancien Administrateur de la Francophonie affirme : « le père de l’alter-mondialisme, c’est Senghor.»
La Civilisation de l’Universel surgissant du rendez-vous du donner et du recevoir devait en effet donner naissance à la rencontre de toutes les civilisations particulières. Penser qu’on a des valeurs communes, des savoirs communs, on doit donc construire et partager ensemble. Dans cette mondialisation devenue irréversible, l’Afrique pourrait y apporter grandement son sens de la communauté, de solidarité et de partage et lui, l’humaniste, forcément une touche de fraternité pour la civiliser.
- La force du dialogue
Pour Senghor, la pensée se construit dans l’échange, dans l’altérité ou la contradiction, ce qui suppose un dialogue : dialogue des cultures et dialogue des religions. Sur le dialogue des cultures, le message ne variait jamais. Il avait une vision universaliste de la culture. La refondation du monde passerait fondamentalement par le métissage culturel.
La culture qui ne peut être conçue comme une dépendance de la politique doit rester un élément de premier plan dans toute approche de développement. D’autre part, il a théorisé le dialogue des religions plus particulièrement le dialogue islamo-chrétien. Il a vite compris que la religion est un sujet sensible, où on est confronté à une diversité de croyances.
Senghor a été élu sans discontinuité alors qu’il appartenait à une religion minoritaire au Sénégal.
Sans le dialogue, la religion risque d’être l’accélérateur de la violence, le ressort, le prétexte, l’inspiration des conflits.
Le 21ème siècle en tournant le dos à ses recommandations lucides porte malheureusement en lui les folies des nations et des peuples.
- La détérioration des termes de l’échange
Senghor fut le premier à dénoncer dans un célèbre discours à l’ONU en 1962 la détérioration des termes de l’échange appauvrissant les producteurs.
L’inégalité des pouvoirs de négociation entre les petits producteurs des pays en voie de développement et les filiales des grosses sociétés agricoles des pays développés était de nature vertigineuse. Les recettes à l’exportation des pays du Sud (l’arachide du Sénégal) en baissant considérarablement entrainaient des conséquences graves sur l’investissement, les dépenses publiques, l’emploi et le pouvoir d’achat des populations, d’où leur endettement.
Senghor n’a cessé de marteler tout le temps et partout , cette notion de détérioration des termes de l’échange.
Il était déterminé à créer des opportunités pour les producteurs économiques du Sud en situation de désavantage, à mener le combat contre la pauvreté et à instaurer de l’équité, de la transparence et de la solidarité dans ce système trop injuste.
Sa revendication permanente pour un système d’échange dont l’objectif était de parvenir à une grande égalité dans le commerce mondial, à utiliser le commerce comme levier de développement et de réduction des inégalités en veillant à la juste rétribution des producteurs a fini par donner naissance au commerce équitable. Le commerce équitable n’est-il-pas une forme de commerce ayant pour principe de rétribuer de façon juste les producteurs ? Mais le combat pour la détérioration des termes de l’échange a également abouti à la mise en place d’un Nouvel Ordre Economique International (NOEI) voté par consensus par l’As- semblée Générale des Nations Unies en décembre 1974. Le NOEI prônait dans sa philosophie d’établir un prix juste des matières premières en tenant compte de la loi de l’offre et de la demande
- Les cercles concentriques
Le monde qui se construit sera constitué de grands ensembles autour de l’Europe, des Etats Unis d’Amérique et de la Chine. C’était le constat senghorien. C’est pourquoi, il pensait aussi que l’Afrique devait être un grand rêve nourrissant espoirs et passions. Il ne cessait de rappeler que le continent maternel est condamné à se réaliser, que ce soit pas à pas, ou au moyen de marchandages diplomatiques. C’était sa théorie d’intégration régionale par cercles concentriques. Son sursaut d’audace pour éviter une Afrique balkanisée n’a pas eu un grand succès. Le Président Houphouet a manifesté une absence de générosité. Au final, l’Afrique n’a pas accompli cet esprit de dépassement.
- L’environnement
Contrairement à la plupart des responsables mondiaux, Senghor avait rapidement compris les grands défis environnementaux du moment. Dès son accession au pouvoir, il crée la Direction des Parcs et Espaces Verts rattachée à la Présidence de la République. A cette époque, où l’écologie était un fait marginal, il avait déjà la conscience civique du risque de la disparition de la faune et de la flore, de la finitude des ressources. Il était animé par le sentiment d’une responsabilité à l’égard des générations futures.
- Le marxisme
Senghor n’a jamais été marxiste. L’ancien séminariste n’y trouvait pas Dieu. L’idéologie marxiste excluant la spiritualité. Mais il a libéré la terre pour la confier aux paysans sénégalais( Loi sur le domaine national).
Au moment où les peuples se ruaient vers le marxisme, il a refusé de subir l’envoûtement, se cramponnant sur un système de pensée humaniste d’inspiration négro-africaine.
Il n’a pas rejeté tout du marxisme. Il a retenu la dialectique comme méthode.
L-Histoire n’a-t-elle pas donné raison à Senghor avec la chute du Mur de Berlin en 1989 ?
Quel pays se targue aujourd’hui d’être communiste ?
« Avoir raison très tôt, c’est avoir tort », disait Edgar Faure, son grand ami et Immortel comme lui.
- Le multipartisme
Senghor a été le précurseur de la démocratie pluraliste au Sénégal et en Afrique. Il a instauré le multipartisme limité avant qu’il ne soit intégral sous la présidence de son successeur. Sortir du parti unique à cette époque était une décision politique novatrice et courageuse dans le continent.
Lorsqu’on peut tirer sur les théories d’un tel homme si largement, on a la preuve expérimentale de sa dimension intellectuelle.
En définitive, le senghorisme n’est pas une mode ou une nostalgie. Il est une grille de lecture des problèmes du monde contemporain. Le nègre visionnaire a réussi à sortir l’opinion internationale de son lieu naturel , la faire aller en un point , où elle ne saurait jamais aller d’elle-même, lui retirer toute évidence pour la remplacer par d’autres évidences. Senghor a opéré ce déplacement à la fois historique et profond avec probité, séduction et conviction. Par sa vision globale et lucide, l’Humanité forte de ses valeurs impérissables, marchera longtemps dans le sillage de sa lumière.
Mamadou Diallo est Avocat au Barreau de Paris, Docteur en droit, responsable des Cadres AFP France
PAR MAME MACTAR GUEYE
MAMADOU DIA, COMBATTANT OUBLIÉ
Il est grand temps de réhabiliter la mémoire de ce grand patriote, qui s'est battu pour la liberté des peuples d'Afrique de décider par eux-mêmes des modèles de développement qu'ils estiment les mieux adaptés à leurs réalités socio-culturelles
Une crise institutionnelle inédite que les trois protagonistes, Léopold Sedar Senghor (1er président de la République du Sénégal), Me Lamine Guèye (1er président de l’Assemblé nationale) et le principal mis en cause, Mamadou Dia (président du Conseil), auront marqué d’une tâche indélébile, à travers les rôles qu’ils ont respectivement eu à incarner, dans cette douloureuse et délicate parenthèse de l’évolution de la démocratie sénégalaise, riche en enseignements pour la postérité, et qui n’aura pas moins failli faire basculer le «Pays de la Téranga» vers des lendemains incertains !
Suite à l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale, le 04 avril 1960, Mamadou Dia, tout nouveau président du Conseil (Premier ministre) était une des personnifications au sommet de l’État d’un singulier système politique bicéphale. Il avait en charge la sécurité intérieure et la politique économique, pendant que la politique extérieure était dévolue au président de la République, Léopold Sedar Senghor. Mamadou Dia, qui militait pour une rupture radicale avec l’ancienne puissance coloniale, concocta un désengagement progressif du Sénégal du modèle de production agricole, imposé par la Métropole, et qui fondait toute l'économie du pays sur une seule culture de rente (essentiellement destinée à l'exportation, en raison de la masse de devises qu'elle génère) : la culture arachidière. Ce qui desservait les intérêts de l’ancien colonisateur. Et indisposait également une certaine élite politico-maraboutique.
Mamadou Dia prôna, dans un discours historique radical, tenu le 8 décembre 1962 à Dakar, axé sur « les diverses voies africaines du socialisme », le « rejet révolutionnaire des anciennes structures » et une « mutation totale, aux fins de substituer à la société coloniale et à l’économie de traite une société libre et une économie de développement ». Cette déclaration motiva des députés à déposer une motion de censure contre le gouvernement, qu’il dirigeait. Jugeant cette motion irrecevable, Mamadou Dia tenta d’en empêcher son examen par l’Assemblée nationale, préférant que cette tâche fût dévolue au Conseil national de son Parti (UPS). Il fit évacuer manu militari le parlement, le 17 décembre 1962, et en fit bloquer l’accès par la gendarmerie. Mais l’Assemblée nationale fut rapidement dégagée par l'Armée, restée fidèle au président Senghor, pendant que le président de l'Assemblée, Me Lamine Guèye, était « protégé » par une foule de manifestants, venue en bouclier envahir l’Hémicycle. La tentative du président du Conseil, Mamadou Dia, de démettre le parlement de ses prérogatives ayant échoué - en dépit de son coup de force, alors qualifié de « tentative de coup d'État » -, la motion de censure fut votée dans l'après-midi au domicile du président de l’Assemblée, Maître Lamine Guèye.
Arrêté le lendemain, avec quatre de ses compagnons (Valdiodio Ndiaye, Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye et Alioune Tall), par un détachement de paras-commandos, le président du Conseil, Mamadou Dia, fut traduit devant la Haute Cour de justice. Lors de son procès, qui s’est tenu du 9 au 13 mai 1963, il compta parmi ses avocats Me Robert Badinter (ancien ministre de la Justice du gouvernement de François Mitterrand), et un certain… Me Abdoulaye Wade. Mamadou Dia fut lourdement condamné, à la perpétuité. Peine qu’il devra purger dans une enceinte fortifiée à Kédougou, après une courte transition à la prison de l’Ile de Gorée.
Durant son incarcération, des personnalités occidentales de premier plan et de célèbres intellectuels, dont Jean-Paul Sartre, François Mauriac, René Cassin (Prix Nobel de la Paix), Aimée Césaire et le Pape Jean XXIII, ont demandé sa libération. Mais Senghor resta de marbre. Ce n’est que 12 années plus tard, le 26 Mars 1974, qu’il consentit à le gracier, avant de l’amnistier, en avril 1976, à la faveur d’une réforme constitutionnelle, qui institua le multipartisme au Sénégal – alors limité à quatre courants de pensée (Socialiste, Libéral, Marxiste, Conservateur).
« Celui qui, en tant que président du Conseil, détenait presque tous pouvoirs entre ses mains, avait-il véritablement besoin d'un coup d’État », s’interrogera plus tard le Général Jean Alfred Diallo (chef d’État-major des Armées au moment des événements du 17 décembre 1962) : « Mamadou Dia n'a jamais fait de coup d’État contre Senghor. C'est de l’affabulation » !
Il n'empêche que le (1er) Premier ministre du Sénégal, Mamadou Dia, fait toujours l'objet d'un ostracisme qui ne dit pas son nom. Aucun édifice public (avenue, stade, école...) ne porte son nom. Son œuvre est quasiment occulté par certains historiens, au point qu'il est presque un inconnu pour la génération montante.
Il est grand temps de réhabiliter la mémoire et l’œuvre de ce grand patriote, qui s'est battu sans relâche pour notre véritable indépendance économique ; pour la liberté des peuples d'Afrique de décider par eux-mêmes et pour eux-mêmes des modèles de développement qu'ils estiment les mieux adaptés à nos réalités socio-culturelles.
MUSÉE SENGHOR, À LA RENCONTRE DE L'HOMME CULTURE
Lorsque l’on entre dans la vaste maison ocre de Léopold Sédar Senghor près de la Corniche Ouest, à Hann, on a l’impression que le temps s’est arrêté - Depuis que son illustre occupant s’en est allé, rien n’a changé ou presque
Senghor occupa cette maison après son départ du pouvoir, de 1980 à 1992. Dessinée par l’architecte français Ferdinand Bonamy, elle a été construite entre 1975 et 1978 sur une parcelle de près de 8000 m2 et décorée par Jean-Pierre Brossard. Pour des raisons de santé, à partir de 1992, Senghor ne pouvait plus prendre l’avion et resta avec sa femme Colette en Normandie jusqu’à sa mort en 2001.
La maison de Senghor a été rachetée par l’Etat sénégalais en 2010 et laissée plusieurs années à l’abandon. C’est Macky Sall qui décida d’en faire un musée. Celui-ci a été inauguré le 30 novembre 2014 lors du XVe sommet de la Francophonie, en présence de François Hollande et Macky Sall. Eiffage Sénéfal a financé sa réhabilitation (toiture, façades, jardin, etc.).
La visite est effectuée par Barthélémy Sarr, un ancien gendarme, qui a bien connu Senghor puisqu’il est entré à son service au palais présidentiel en 1973 et qu’il avait les clés de la maison lorsque l’ancien président partait plusieurs mois par an à Paris remplir ses fonctions d’académicien.
Les pièces d’habitations spacieuses et hautes de plafond s’ouvrent à travers de grandes baies vitrées sur de larges terrasses asymétriques. Le plan de la maison déstructuré, selon le principe du parallélisme asymétrique, est une alliance des influences africaine (notamment malienne) et occidentale. Certaines façades sont constituées de grands panneaux verticaux aux lignes aiguisées en forme de triangles. D’où le surnom « Les dents de la mer » donné à la maison, en référence au film de Steven Spielberg sorti en 1975.
On découvre au fil de la visite la salle de manger officielle où Senghor recevait notamment les personnes de sa Fondation, le petit salon d’attente, le salon rose, le salon blanc, le bureau du rez-de-chaussée où il recevait ses invités. Puis la partie plus privée de cette résidence avec une pièce où il déjeunait avec sa femme ou prenait le thé, deux chambres d’amis, et à l’étage, sa chambre, modeste, celle de sa femme, Colette, toute verte (cela lui rappelait la verdure de sa Normandie natale), et enfin celle de son 3ème fils, Philippe, toute bleue. On aperçoit un vaste jardin agrémenté d’une piscine où Senghor faisait volontiers quelques longueurs.
On devine l’homme de lettres et le poète à travers de nombreuses bibliothèques où aucun livre n’a bougé : littérature africaine, française, russe, philosophes antiques, etc. sans oublier les poèmes d’Apollinaire en collection La Pléiade, un exemplaire du Coran et de la Bible, un dictionnaire Le Robert posé sur son bureau à l’étage où il travaillait le matin et prenait plaisir à nourrir les oiseaux de quelques graines de mil sur la terrasse.
On devine également l’homme d’Etat à travers différents cadeaux reçus lors de ses nombreux voyages, venant de Chine, de Corée, d’Egypte, d’Iran ou des Etats-Unis.
On découvre également l’homme privé, le père et le mari, à travers de nombreuses photographies dont celles de ses trois fils, Francis Arfang, Guy Waly et Philippe Maguilène. Il eut les deux premiers avec Ginette Eboué, fille de l’ancien gouverneur général de l’Afrique Equatoriale française Félix-Eboué. Guy, professeur de philosophie, est mort tragiquement à 35 ans à la suite d'une chute du cinquième étage de son appartement de Paris et le plus jeune, Philippe, est décédé lors d’un accident de voiture avec sa petite amie allemande à Dakar alors qu’il était âgé de 23 ans. Francis, âgé de 71 ans, vit à Paris. La chambre de Philippe a été scrupuleusement gardée en l’état par sa mère.
On devine enfin son goût pour l’art à travers des tableaux, des bibelots, des statues africaines ou encore une tapisserie de la Manufacture des arts décoratifs de Thiès
Le Musée Senghor accueille parfois des scolaires ou quelques particuliers, mais le reste du temps, ce sanctuaire figé dans le temps semble bien silencieux.
Informations pratiques :
Musée Senghor, 6 rue Leo Frobenius, Dakar – Fann
Ouvert du lundi au samedi, de 10h à 12h et de 15h à 17h.
Tarifs : 2000 Fcfa pour les adultes, 1000 Fcfa pour les étudiants et hommes de tenue et 500 Fcfa pour les enfants de – de 10 ans.
ISMAÏLA MADIOR FALL JUSTIFIE «L’INCOMPÉTENCE» DES «7 SAGES»
La décision du conseil constitutionnel ne pouvait être autre qu’une non incompétence de statuer sur le parrainage, selon le ministre de la Justice
La décision du conseil constitutionnel ne pouvait être autre qu’une non incompétence de statuer sur le parrainage. L’avis est du Garde du sceaux, ministre de la justice, Ismaïla Madior Fall. En présidant la rencontre de validation de la lettre de politique sectorielle de son département hier, mardi 15 mai, il a estimé que la constitution ne permet pas au conseil constitutionnel de vérifier la conformité d’une loi constitutionnelle.
Le conseil constitutionnel qui s’est déclaré «incompétent» suite à la saisine de leaders de l’opposition récusant la loi sur le parrainage est normal selon le Garde des sceaux, ministre de la justice Ismaïla Madior Fall. Interpellé hier, mardi 15 mai, le Garde des sceaux, se disant s’exprimer en qualité de simple professeur de droit a estimé qu’ «au Sénégal, la constitution est la loi organique ne permettent pas au conseil constitutionnel de vérifier la conformité d’une loi constitutionnelle par rapport à la constitution». La cause est dit-il, « cette loi et la constitution sont au même niveau ». Se voulant plus précis, Ismaïla Madior Fall indique que « la hié- rarchie des normes fait que le conseil constitutionnel sénégalais, le conseil constitutionnel français et beaucoup de juridictions constitutionnelles dans le monde, n’acceptent pas de vérifier la conformité des lois qui révisent la constitution». Par contre estimet-il, l’appréciation du conseil constitutionnel est possible quand il s’agit de vérifier la conformité d’une loi ordinaire, d’une loi organique ou d’un engagement international.
PAS ASSEZ DE CHARGES POUR LES NOTAIRES
Le ministre de la justice, Ismaïla Madior Fall n’a pas manqué de revenir sur les problèmes notés à la chambre des notaires. Ce qu’il y’a selon le Garde des sceaux est que « pendant longtemps, il n’y avait pas de concours pour intégrer la profession des notaires. Un concours a eu lieu pour la première fois en 2014 sur proposition du président Macky Sall. 22 notaires stagiaires ont été recrutés ». Ces nouvelles recrues ont fini leur stage mais ont trouvé qu’il y’avait des notaires qui n’avaient pas fait le concours, mais qui ont fait un stage et au terme duquel, ils ont été nommés notaires sans charge, indique-t-il. La difficulté est donc informe-t-il, une cinquantaine de notaires qui ont fini leurs stages sont des salariés qui veulent avoir des charges. Le problème est qu’aussi, qu’il n’y a pas assez de charges pour tous les notaires. Deux options s’offrent maintenant à la tutelle.
De l’avis d’Ismaïla Madior Fall, ce qu’il y’a lieu de faire est de «sélectionner de façon discrétionnaire et méritocratique les gens à qui on donne des charges soit, on trouve une formule qui consiste à organiser un examen ou une évaluation qui permettra de façon objective de déterminer ceux qui devront avoir la charge». Pour ce faire, le Garde des sceaux annonce que le dialogue est engagé avec la chambre des notaires. « Nous allons rencontrer la chambre des notaires et arrêter avec eux la formule démocratique et méritocratique. Il s’agira aussi d’annualiser l’accès à la fonction de notaire. On s’inscrit aussi dans une perspective d’augmentation des charges ».
QUAND SENGHOR METTAIT FIN AU MAI 68 SÉNÉGALAIS
Le pays est touché par des mouvements estudiantins similaires à ceux de Paris - Ces contestations, violemment réprimées, se solderont par des accords entre le gouvernement, le patronat et les travailleurs, sans que les étudiants y soient conviés
Jeune Afrique |
Matthieu Kairouz |
Publication 05/05/2018
En mai 1968 le Sénégal est touché par des mouvements estudiantins similaires à ceux de Paris, dont la virulence conduit le président Senghor à se réfugier dans une base militaire française. Ces journées de contestation, violemment réprimées, se solderont par des accords entre le gouvernement, le patronat et les travailleurs, sans que les étudiants y soient conviés.
En ce mois de mai 1968 à Dakar, une rumeur court dans l’université : le président-poète Léopold Sédar Senghor se déplacerait dans les rues de la capitale, dissimulé dans une ambulance banalisée afin de se rendre compte personnellement de l’atmosphère qui y règne… En effet, le Sénégal est traversé par des troubles depuis que les étudiants de Dakar ont décidé d’occuper l’université le 27 mai.
L’Université de Dakar, vivier contestataire
Créée en 1957, l’Université de Dakar est la toute première de l’empire colonial français. En 1968, elle accueille 23 nationalités différentes dont 27 % de Français, 32% de Sénégalais, 38 % d’Africains francophones et 3 % d’autres nationalités. Pétris d’idéologies de gauche, sympathisants voire militants de partis clandestins tel que le Parti africain de l’indépendance, les étudiants de Dakar sont déterminés à lutter pour une indépendance dont le processus n’est à leurs yeux pas encore arrivé à son terme.
Le point de départ de la grogne étudiante est d’abord économique. Les étudiants contestent la récente réforme de fractionnement et de diminution des bourses. Mais très vite, la contestation s’oriente vers une dénonciation virulente de l’ex-puissance coloniale. En effet, huit années après l’indépendance, la présence française est toujours importante tant au sein de l’université que dans les administrations sénégalaises.
Le feu aux poudres
Très vite, les autorités universitaires demandent à l’Union des étudiants sénégalais (syndicat étudiant) de rédiger pour le 29 mai à 8 heures une déclaration certifiant que la grève et l’occupation étudiante ne visent en aucun cas à renverser le gouvernement de Senghor. Les étudiants donnent une fin de non recevoir à cette injonction. Dans la matinée du 29 mai les gardes mobiles, qui avaient déjà encerclé le campus universitaire, donnent l’assaut à coup de grenades lacrymogènes. Les quelques cocktails molotov lancés par des étudiants ne feront pas le poids… On dénombrera officiellement 1 mort et 69 blessés parmi les insurgés.
Les directives de Senghor sont expéditives : tous les étudiants sénégalais sont internés dans le camp militaire d’Archinard et les autres nationalités sont rapatriées dans leur pays d’origine.
De la révolte estudiantine à la paralysie du pays
La brutalité de la répression sur le campus de l’Université provoque l’émoi du peuple sénégalais. Le 30 mai, l’Union nationale des travailleurs sénégalais déclenche une grève générale et illimitée dans tout le pays. Le soir même, le père de la négritude s’adresse à la nation. Il délivre un discours ferme, proclame l’état d’urgence, fustige des « puissances rouges » sans les nommer, accuse les étudiants sénégalais d’imiter leurs camarades du Quartier latin, confie le maintien de l’ordre aux soldats et appelle à l’aide l’armée française qui se charge de verrouiller les points stratégiques dakarois.
Le lendemain matin, la tension est à son comble dans la capitale. Plus d’une centaine de syndicalistes sont arrêtés à la bourse du travail alors que la manifestation prévue ne s’est pas encore élancée. Barricades, jets de pierres et cocktails molotov font leur apparition ; 4 à 5000 personnes participent à l’émeute (pour une ville de 500 000 habitants à l’époque, le chiffre est significatif). Les manifestants tentent de marcher vers la présidence, brisant quelques vitrines et incendiant des voitures sur leur passage. Encore une fois la répression est violente, des grenades lacrymogènes sont lâchées depuis des hélicoptères et on compte deux morts et des centaines de blessés.
Après d’intenses journées de crise, Senghor ouvre des négociations
Prudent, Senghor a quitté le Palais de la République et élu domicile dans la base militaire française de Ouakam. La volte-face du président est rapide. Le 1er juin il se résout à entamer des négociations qui se soldent par la libération de tous les prisonniers le 9 juin. En fin tacticien, il divise le mouvement en « leurrant les travailleurs et en matant les étudiants ». Le 13 juin 1968 des accords tri-partites sont signés entre le gouvernement, le patronat et les syndicats. Ces engagements sociaux revalorisent notamment le salaire minimum de 15 % et abaissent le train de vie des membres du gouvernement.
Les discussions avec les étudiants ne s’ouvrent quant à elles que le 6 septembre, et ne se traduisent par aucune retombée positive pour les intéressés. L’absence de réforme en leur faveur a pour effet d’alimenter un vivier de groupes d’extrême-gauche à la tête desquels on retrouve notamment la figure d’Omar Blondin Diop.
VIDEO
LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR À LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE
Le poète-président est à l'honneur, ce mardi 20 mars 2018, à l'occasion de la Journée internationale de la Francophonie.
Voir vidéo.
FLASHBACK SUR LA CRISE DE MAI 68
Omar Gueye retrace avec force détails les péripéties qui ont fait chanceler, à l’époque, le régime du Président Senghor et comment ce dernier s’est employé à désamorcer la crise
Dans son ouvrage intitulé « Mai 1968 au Sénégal, Senghor face aux étudiants et au mouvement syndical », Omar Guèye, professeur au département d’Histoire de l’Université Cheikh Anta Diop, retrace avec force détails les péripéties qui ont fait chanceler, à l’époque, le régime du Président Senghor et comment ce dernier s’est employé à désamorcer la crise.
Un nouveau faisceau d’éclaircissements sur le Mouvement de "Mai 1968" au Sénégal. Omar Guèye, professeur au département d’Histoire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), a réécrit « l’histoire » de cette contestation mondiale qui a mis le Sénégal et son président d’alors, Léopold Sédar Senghor, au-devant de la scène. Qu’est-ce qui peut le justifier ? L’auteur de l’ouvrage du livre intitulé : « Mai 1968 au Sénégal, Senghor face aux étudiants et au mouvement syndical » livre les raisons à travers ces lignes : « Le Sénégal, devenu indépendant en 1960, avait hérité de nombreux privilèges par rapport aux anciens territoires français, tant au plan des infrastructures, de l’éducation et de la précocité de la vie politique moderne ». Mais, l’exacerbation de cette crise sociale au Sénégal trouve sa racine dans la concentration de l’élite africaine au Sénégal qui était le berceau de la formation des cadres africains. « Replacée dans le contexte général de l’époque du Sénégal était très controversée pour deux raisons principales : d’une part, à cause de la continuation de la présence africaine et, d’autre part, à cause de l’attitude ambiguë de ses élites durant la procédure ayant conduit à l’indépendance. En effet, lors du référendum d’auto-détermination de septembre 1958, le Président Senghor et ses proches collaborateurs ne s’étaient pas clairement prononcés pour l’indépendance », écrit l’historien. La conséquence d’une position, c’est la mobilisation des organisations syndicales et des partis politiques souvent de gauche pour contester « leur hégémonie et plus tard leur mode de gestion du pouvoir qualifié de francophile voire néocolonial.
L’auteur reconstitue le fil des événements déclencheurs d’une contestation partie de l’université avant de gagner les organisations sociales et les formations politiques. Hier comme aujourd’hui, c’est le retard de paiement des allocations d’études qui pousse les étudiants à ruer dans les brancards. « La question des bourses fut donc le point de départ d’un cycle de manifestations qui se déclencha et connut son paroxysme dans la journée du 29 mai 1968, marquée par une intervention policière sur le campus », décrit l’auteur. Cette répression soulève d’autres vagues de contestations. Les élèves des lycées de Dakar, des organisations syndicales comme l’Union nationale des travailleurs du Sénégal (Unts) entrent en action. La contestation gagne d’abord des quartiers comme la Médina, puis d’autres villes de l’intérieur. Face à cette tension, les autorités instaurent alors un état d’urgence. Malgré tout, les organisations syndicales aussi bien estudiantines que syndicales campent sur leur position. Les différentes réunions et les tractations entreprises ne sont pas suivies d’effets. Le 29 mai 1968, les autorités décidèrent officiellement de fermer les lycées et les collèges de Dakar et de Saint-Louis où la grève était observée. La même mesure fut appliquée à l’université de Dakar avec l’évacuation des cités. Le 30 mai 1968 le président Senghor monte au créneau et livre un discours à 20 heures au ton de guerre. « Le président de la République prit la parole à 20 heures pour un long appel à la raison et à la modération…il dénonça une revendication politique dictée par « une nouvelle opposition, fabriquée par l’étranger et téléguidée de l’étranger ».
MEDIATION DES RELIGIEUX
Par la même occasion, Senghor dénonce « la conjonction d’une vieille tendance étudiante qui était trotskiste et anarchiste, maintenant maoïste, d’une part, et d’une poignée d’ambitieux déçus dont certains sont au service du capitalisme le plus rétrograde ». En dépit des mesures répressives, le pays baignait dans l’incertitude. Le chef d’Etat d’alors décida de réaménager le gouvernement. Parmi les changements illustratifs de la crise, il y a la suppression du ministère des Forces armées, lequel est rattaché à la Présidence, le ministre de l’Education, Amadou Makhtar Mbow, est remplacé par Assane Seck. En outre, les ministres des Affaires étrangères, Alioune Badara Mbengue et Racine Ndiaye ministre de la Culture, de la Jeunesse et des Sports passent le témoin respectivement à Karim Gaye et à Amadou Makhtar Mbow. La nouveauté dans ces réaménagements, c’est l’entrée de l’ex-gouverneur du Cap-Vert, Amadou Clédor Sall, dans le cabinet au poste du ministère de l’Intérieur, alors que Amadou Cissé Dia, « tout en conservant la suppléance du président de la République devint ministre délégué à la Présidence chargé des Relations avec les Assemblées et des Affaires religieuses. « Le départ de ces personnalités proches du chef de l’Etat pouvait plus ou moins surprendre mais obéissait à une logique de survie de la part du pouvoir qui mettait à côté certains états d’âme. En effet, le président Senghor qui avait apprécié la faible implication de certains responsables du parti pendant la crise avait dû agir en conséquence », raconte l’historien qui précise tout de même que le président Senghor « continua à montrer son attachement vis-à-vis de ses compagnons déchus qui furent mutés à d’autres postes ».
Le pouvoir religieux et le pouvoir temporel ont toujours entretenu des relations. Lors de cette crise, les élus, les notables, les marabouts ont lancé des appels à la fin de la grève. Le Khalife général des Mourides de l’époque, Serigne Fallou Mbacké, s’était exprimé en ces termes : « Disciples mourides, je vous donne l’ordre de ne pas suivre le mot d’ordre de grève illégale et négative. Je vous donne l’ordre de vous rendre à vos tâches quotidiennes de construction. Sachez que le chef de l’Etat est la vigie de la Nation et que ses désirs, que je sais tous dans le sens de l’intérêt de la Nation, sont des ordres que je vous demande d’exécuter ». Comme ce dernier, le marabout Serigne Cheikh Tidiane Sy a adressé des messages de soutien. D’autres guides religieux, El Hadji Modou Awa Balla Mbacké, Khalife de Mame Thierno Birahim Mbacké, de Darou Mousty, El Hadji Ibrahima Niass, chef religieux à Kaolack, en font autant. A la différence des chefs religieux musulmans, l’Eglise n’avait pas fait une déclaration officielle de soutien. « Contrairement aux religieux musulmans, l’Eglise catholique ne fit pas de déclaration officielle de soutien au président Senghor. Au contraire, la position exprimée, lors de l’homélie de la Pentecôte, fut assez critique vis-à-vis du pouvoir. En effet, les Pères dominicains du Centre Lebret apportèrent un soutien de taille aux étudiants pendant les « journées de braise », mentionne le professeur Omar Guèye. Après le passage de la tempête, le président Senghor s’employa à réorganiser son parti. Il prend en charge les questions économiques à l’origine de la crise.
DENOUEMENT DE LA CRISE
Le pouvoir avait décidé de négocier séparément avec les différentes organisations. Les préoccupations des syndicats qui étaient en mouvement par solidarité aux étudiants ont été évacuées d’autant plus que leur implication n’était pas partagée. C’était l’Union régionale de l’Unts du Cap-Vert qui était très engagée. Les négociations qui se sont déroulées les 8 au 12 juin sont suivies par la signature des accords le 13 juin. C’est l’acte de retour à la normale. « Avec ces accords, ce fut un soulagement pour le régime qui obtient une accalmie salvatrice, susceptible d’être mise à profit pour se pencher sur l’ensemble des questions à l’origine de la crise », renseigne le professeur au département d’Histoire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. L’auteur analyse avec précisions les rôles des différents acteurs dans la crise y compris la position de l’armée. Du reste, "Mai 68" est à l’origine de profonds changements au plan politique, social et institutionnel. Dans l’histoire politique sénégalaise, avance l’auteur, "Mai 68" a été le moment d’une remise en cause de la pensée de Senghor, (négritude et socialisme africain), d’une critique du néocolonialisme, d’un débat idéologique alimenté par les différents courants du marxisme et d’une remise en cause des courants politiques traditionnels. « Mai 68 au Sénégal n’eut peut-être pas le même impact sociopolitique que dans d’autres pays, mais les réformes en profondeur survenues dans la société, suite à la crise, n’auraient peut-être pas eu lieu sans le mouvement des étudiants », a conclu le Pr. Omar Guèye dans son ouvrage de 309 pages paru aux Editions Karthala.