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2 avril 2025
LEOPOLD SENGHOR
RETOUR SUR LA MORT D'OMAR BLONDIN DIOP
Intellectuel brillant sorti de Normale sup’, Omar Blondin Diop fut une figure emblématique du mouvement contestataire post-soixante-huitard qui défia le président Léopold Sédar Senghor
Intellectuel brillant sorti de Normale sup’, le Sénégalais Omar Blondin Diop fut une figure emblématique du mouvement contestataire post-soixante-huitard qui défia le président Léopold Sédar Senghor. Quarante ans après sa disparition controversée dans une prison sénégalaise, sa famille vient de lui rendre hommage à Dakar et entend faire rouvrir l'enquête sur les circonstances de son décès.
Quatre décennies après sa mort tragique dans des circonstances jamais élucidées, sa photo trône aujourd’hui dans la salle du musée historique de l’île de Gorée, qui fut à l’époque, lorsque le Fort d’Estrées servait de prison civile pour les détenus récalcitrants, sa cellule mortuaire. Omar Blondin Diop avait 26 ans lorsque l’administration pénitentiaire sénégalaise annonça son suicide par pendaison dans la nuit du 10 au 11 mai 1973.
Le parcours de ce jeune Normalien subversif promis à un brillant avenir éclaire un pan méconnu de l’histoire sénégalaise post-indépendance. Au lendemain de l’ébullition soixante-huitarde, qui lui avait fait côtoyer Daniel Cohn-Bendit à Nanterre, Omar Blondin Diop joua une part active dans les années de braise qui allaient voir de jeunes intellectuels sénégalais idéalistes, pétris d’influences panafricanistes et maoïstes, affronter – en recourant parfois à l’action violente – le régime francophile du président-poète Léopold Sédar Senghor.
Porte-parole de la famille, le Dr Dialo Diop, médecin biologiste aujourd’hui âgé de 62 ans, a partagé la cause de son frère aîné, subissant comme lui l’incarcération et la torture. Il revient sur le parcours tumultueux de cet « esprit libre » dont la mort prématurée entraînera la libération de tous les prisonniers politiques alors détenus au Sénégal.
Pourquoi avoir attendu le quarantième anniversaire de la mort de votre frère aîné pour lui rendre cet hommage ?
Dr Dialo Diop : La Charte du Mandé, qui date du XIIIe siècle, affirme que « les mensonges qui ont vécu 40 ans doivent être considérés comme des vérités ». Le mensonge d’État portant sur la mort tragique de notre frère Omar ne pouvait devenir une vérité définitive, d’où ce devoir de soulever la question avant l’échéance fatidique. Cela s’est fait dans le cadre d’un forum de témoignages qui s’est tenu sur le campus de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad), à Dakar, à la veille de la date anniversaire de sa mort. Le lendemain, une plaque commémorative a été inaugurée dans son ancienne cellule, sur l’île de Gorée.
De quel mensonge parlez-vous ?
Celui qui a consisté à faire passer les violences physique qu’il a subies pour un suicide. C’est cela que nous qualifions de mensonge d’État. Placé au quartier disciplinaire, Omar avait droit à une promenade quotidienne de quinze minutes. Ce jour-là, le gardien lui a demandé de rentrer avant la fin de ce quart d’heure, ce qu’il a refusé. Trois « matons » lui sont tombés dessus et un coup de matraque l’a touché à la région bulbaire. La main courante rédigée ce jour-là par l’infirmier, chef de poste de l’île de Gorée, préconisait l’évacuation immédiate d’Omar vers le pavillon spécial de l’hôpital Le Dantec. Mais les personnels pénitentiaires ont paniqué et organisé la mise en scène de sa pendaison avec un drap. La version officielle prétend qu’il était drogué et que son sevrage forcé l’a amené à mettre fin à ses jours dans sa cellule.
Qu’est-ce qui lui était reproché ?
La condamnation d’Omar est liée à la mienne. Le 15 janvier 1971, avec plusieurs camarades, nous avions incendié le Centre culturel français de Dakar et le ministère des Travaux publics. Nous protestions contre les travaux d’aménagement de la capitale en prévision de ce que nous appelions « la tournée du suzerain Pompidou auprès de ses vassaux africains ». Le 3 février, jour de l’arrivée du président français, nous avons par ailleurs tenté de lancer des cocktails Molotov sur le cortège officiel. Nous appartenions à un groupe anti-hiérarchique et antiautoritaire qui se réclamait à la fois des Black Panthers et des Tupamaros uruguayens. Nous étions complètement immatures politiquement : j’avais 19 ans et le plus âgé du groupe en avait 25. Nous en avons payé le prix. J’ai été condamné aux travaux forcés à perpétuité. En prison, j’ai été torturé à l’électricité sur les instructions d’un assistant technique français de la police, ancien d’Algérie.
En quoi cette condamnation fut-elle à l’origine de celle d’Omar ?
Scandalisés par la disproportion du verdict, lui et ses camarades ont tenté d’organiser notre évasion. Depuis le Mali, ils ont pris contact avec moi, mais je les en ai dissuadés. C’était un risque inutile, la prison étant une passoire. Je leur ai donc suggéré de m’envoyer de l’argent pour l’opération et de nous attendre en Guinée. Mais à la veille d’une visite officielle de Léopold Sédar Senghor, le régime malien a procédé à l’arrestation de tous les réfugiés politiques sénégalais en exil à Bamako. Dans la poche d’Omar, ils ont trouvé ma lettre, ce qui lui a été fatal. Lui et ses camarades ont été extradés vers le Sénégal. Condamné à 3 ans de prison en mars 1972, Omar a pris ma place à Gorée ; quant à moi, j’ai été déporté à Kedougou, où étaient déjà détenus l’ancien premier ministre Mamadou Dia et son ministre Valdiodio Ndiaye.
Quels fondements idéologiques vous ont fait opter pour l’action violente face au président Senghor ?
Ceux du panafricanisme. Nous étions au début des années 1970 et une bonne partie du continent était toujours sous la botte du colonialisme direct ou de régimes fantoches liés à l’ancienne métropole. Or, de la Guinée Bissau à l’Angola en passant par le Mozambique, le gouvernement sénégalais soutenait la tutelle coloniale au détriment des mouvements de libération. Avec d’autres régimes du pré-carré français, le Sénégal a soutenu le renversement de Modibo Keïta au Mali, l’isolement de Sekou Touré en Guinée, l’assassinat d’Olympio au Togo, la guerre contre l’UPC au Cameroun, tout en prônant le dialogue avec le régime sud-africain ou en s’opposant aux sanctions contre la Rhodésie.
Les circonstances de sa mort ont-elles fait l’objet d’une plainte à l’époque ?
Mon père a porté plainte pour homicide auprès du doyen des juges d’instruction. Le magistrat a pu consulter la main courante faisant état de la demande d’évacuation d’Omar et il a inculpé trois policiers. Dans la semaine qui a suivi, il a été relevé de ses fonctions et son remplaçant s’est empressé de rendre un non-lieu général. Finalement, c’est notre père qui sera la seule personne condamnée dans cette affaire, pour propagation de fausses nouvelles.
Nous venons de saisir la justice sénégalaise d’une demande de réouverture du dossier pour faits nouveaux. Le combat que nous menons est un combat de principe contre l’impunité, qui est une incitation à la récidive. Il est de notre devoir de faire la lumière sur ce drame. Nous le devons à nos parents aujourd’hui disparus et à la mémoire de notre frère.
Article datant de mai 2013
par Aboubacar Demba Cissokho
QUAND OMAR BLONDIN DIOP MOURAIT EN DÉTENTION
Au vu de son engagement et de ses prises de position, il était devenu le symbole d’une génération de refus d’une politique néocoloniale, un acteur majeur de l’agitation politique et syndicale alors en cours depuis 1968
Le 11 mai 1973, survenait, à Gorée, la mort en détention d’Omar Blondin Diop, jeune opposant à la politique ‘’pro-occidentale’’ et ‘’antipopulaire’’ du pouvoir de Léopold Sédar Senghor, et porteur d’un idéal révolutionnaire, d’idées d’égalité entre tous. Il avait 26 ans.
Le 14 mai 1973, le quotidien gouvernemental Le Soleil, reprenant le communiqué de l’administration pénitentiaire, écrit : « La commission de surveillance des prisons (…) a constaté que le détenu Oumar Blondin Diop s’était donné la mort par pendaison dans sa chambre, aux environs de deux heures du matin ».
Diop est mort dans sa cellule, à la prison centrale de Gorée où il avait été interné, depuis sa condamnation, le 23 mars 1972, à trois ans de réclusion, pour « atteinte à la sûreté de l’Etat »,par un Tribunal spécial. Le journal Le Soleil relayait la version officielle du suicide, alors qu’une partie de l’opinion nationale et internationale penchait plutôt pour la thèse de l’assassinat d’un jeune homme engagé dans le combat pour la libération de l’Afrique.
« Omar Blondin Diop a été assassiné »
Au cours d’un forum de témoignages sur ‘’Omar Blondin Diop : 40 ans après’’, organisé le 10 mai 2013 à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), le Dr Dialo Diop, homme politique et frère cadet du défunt, avait soutenu que la version officielle servie par les autorités gouvernementales sénégalaises ne correspondait pas à la vérité.
« Ce n’est pas exactement la vérité. Blondin Diop ne s’est jamais suicidé. Nous croyons fortement à la thèse de l’assassinat. Toute mort en détention doit être considérée comme un crime jusqu’à la preuve du contraire », avait-il dit au cours de cette rencontre organisée à la veille de la commémoration des quarante ans de la disparition de Blondin Diop, et qui avait réuni plusieurs intellectuels, des députés et des membres du gouvernement.
« Il y avait un rapport d’autopsie qui a cautionné la thèse du suicide, mais il y avait surtout un contre-rapport d’autopsie fait par le père de Blondin Diop qui était médecin pour démonter le certificat (de genre) de mort par suicide. Le moment est venu pour dire la vérité aux Sénégalais », a insisté Dialo Diop.
Le ministre d’Etat Amath Dansokho était allé plus loin. « C’est tellement clair comme de l’eau de roche dans ma tête : Omar Blondin Diop a été assassiné. Il a été tué parce que les autorités de l’époque étaient convaincues que par son intelligence il pouvait faire partir le système », avait-il déclaré.M. Dansokho, un leader historique de la gauche sénégalaise, avait plaidé pour la réhabilitation du défunt intellectuel. « Un devoir de mémoire s’impose. Il faut une initiative allant dans le sens d’une reconnaissance nationale. Des établissements, des rues et pourquoi pas des universités, doivent porter le nom d’Omar Blondin Diop », avait-il estimé.
Omar Blondin Diop, au vu de son engagement et de ses prises de position politiques, était devenu le symbole d’une génération de refus d’une politique néocoloniale, un acteur majeur de l’agitation politique et syndicale alors en cours depuis 1968. La thèse officielle selon laquelle le jeune gauchiste s’est donné la mort « par pendaison », est contestée par le père de la victime, le médecin Ibrahima Blondin Diop, qui avait porté plainte à l’époque pour « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort et pour non-assistance à personne en danger ».
« Il faut que la vérité se rétablisse au nom de la lutte contre l’impunité. Blondin Diop a été victime de l’opacité d’un système. C’est une figure intellectuelle et politique qui mérite d’être réhabilitée », avait pour sa part dit l’historien Babacar Diop dit Buuba Diop, enseignant à l’UCAD, au cours du forum de témoignages sur ‘’Omar Blondin Diop : 40 ans après’’.
Exclu de l’Ecole normale supérieure pour « activités subversives »
Dans son essai intitulé Sénégal notre pirogue (Présence Africaine, 2007), Roland Colin, directeur de cabinet du président du Conseil Mamadou Dia (1957-62), raconte qu’Omar Blondin Diop avait reçu, en détention, la visite de Jean Collin, ministre de l’Intérieur, avec lequel il eut une altercation. « Le ministre de l’Intérieur, a-t-on su en fin de compte, aurait donné l’ordre au gardien de le châtier. Le lendemain, il fut retrouvé pendu dans sa cellule », écrit Roland Colin.
Le juge d’instruction Moustapha Touré, qui avait inculpé les trois gardes de la prison de Gorée pour meurtre, fut relevé de ses fonctions et dessaisi du dossier. « Mohamed (un autre des frères Blondin Diop) a été le premier à dire qu’il n’y avait pas de suicide et que son frère avait été battu à mort. Oumar Blondin gémissait, soupirait, d’après les déclarations de son frère », soutient Moustapha Touré. Alors que des voix soutenaient qu’Omar Blondin Diop a été inhumé en catimini au cimetière des Abattoirs sur la Corniche-Ouest, le ministre de l’Information Daouda Sow signalait, lors d’une conférence de presse, que le défunt a été « enterré samedi (12 mai) en présence de son père et de ses parents proches ». En éludant toute polémique sur le lieu de la sépulture, resté incertain sans doute pour empêcher toute vénération de l’icône disparue.
Issu de la moyenne classe sénégalaise d’après indépendance, Omar Blondin Diop est né le 18 septembre 1946 à Niamey, au Niger. Admis à l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud, il était une figure en vue de la contestation étudiante de mai 1968 à Paris, en tant qu’adjoint de Daniel Cohn-Bendit, animateur du ‘’Mouvement du 22 mars’’, une organisation étudiante antiautoritaire et d’inspiration libertaire, fondée dans la nuit du vendredi 22 mars 1968 à la faculté de Nanterre.
Ce mouvement regroupait des anarchistes, des situationnistes, des trotskistes, entre autres. Daniel Cohn-Bendit en était la personnalité la plus médiatisée. Ses membres considéraient que ce ne sont pas les organisations qui doivent diriger les luttes, mais la lutte qui doit se doter de sa propre organisation autonome par rapport aux partis et aux syndicats. Omar Blondin Diop prend une part active à la campagne électorale du trotskiste Alain Krivine, responsable de la Ligue communiste, et participe aussi aux événements de Mai-68 en France. Pour « activités subversives », il est exclu de l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud et expulsé de France, en 1969.
« Travailler à promouvoir le processus révolutionnaire »
À Paris, le jeune activiste politique avait rencontré Jean-Luc Godard pour qui il joue son propre rôle dans La Chinoise, en 1967. Dans ce film, cinq jeunes gens passent leurs vacances d’été dans un appartement qu’on leur a prêté : Véronique, étudiante en philosophie, Guillaume, acteur, Kirilov, peintre venu de l’ex-Union soviétique, Yvonne, paysanne, Henri, scientifique proche du Parti communiste français.
Ensemble, ils essaient de vivre en appliquant les principes de Mao Zedong. Leurs journées dans cette retraite sont une succession de cours et de débats sur le marxisme-léninisme et la Révolution culturelle. Véronique projette alors d’assassiner un dignitaire soviétique de passage à Paris. Pendant l’hivernage 1969, Landing Savané et Omar Blondin Diop rentrent à Dakar pour « travailler à promouvoir le processus révolutionnaire », rappelle une note publiée en septembre 2011 sur le site Internet de And Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme (AJ/PADS). Le premier a terminé ses études et travaille à la Direction de la statistique comme chef de division, le second a décidé de suspendre les siennes. Avec leurs amis, ils avaient créé le Mouvement des jeunesses marxistes léninistes (MJML), en 1970.
Le ministre de l’Information, Daouda Sow, signalait, lors d’une conférence de presse, le 15 mai 1973, que le président Senghor était intervenu « personnellement » et « avec insistance auprès du président de la République française (Georges Pompidou) », pour faire lever la mesure d’exclusion et d’expulsion qui frappait Omar Blondin Diop.
« Malgré la réticence des autorités françaises, le chef de l’Etat devait avoir satisfaction », expliquait M. Sow, précisant qu’Omar Blondin Diop avait pu retourner en septembre 1971 en France, « comme boursier du Sénégal », et réintégrer l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud. Dans ses activités, le MJML, son mouvement, essayait de s’implanter en milieu paysan dans les régions périphériques et dans le bassin arachidier ainsi que dans certaines grandes zones ouvrières (Thiès, Taïba, Richard-Toll, notamment). C’est ainsi qu’il réussit à faire échouer la campagne d’explication de la politique de jeunesse de l’Union progressiste sénégalaise (UPS).
‘’Les suicidésdu président Senghor’’
Plusieurs ruptures interviennent au sein du mouvement maoïste, en 1972. Il y a notamment celle entre le groupe animé par Omar Blondin Diop, tenant des orientations qualifiées de « gauchistes », et celui de Landing Savané, partisan d’une « ligne de masse maoïste authentique basée sur une action politique, moins spectaculaire mais plus féconde, de liaison avec les masses ouvrières et paysannes », relève le site Internet d’AJ/PADS (septembre 2011). Landing Savané forme le groupe Reenu-Rew. Les frères Blondin Diop, eux, quittent le MJML pour créer le Comité d’initiative pour une action révolutionnaire permanente (CIARP).
Dans un article critique titré ‘’Les suicidésdu président Senghor’’, l’hebdomadaire socialiste L’Unité, (n°65, 18-24 mai 1973), note que le Sénégal est « un grand pays qui garde depuis 10 ans en prison Mamadou Dia », ancien président du Conseil (1957-62). Le journal ajoute : « Léopold Sédar Senghor est un ancien élève de l’Ecole normale supérieure, un poète de la négritude, un ami personnel de Georges Pompidou et un chaud partisan de la coopération avec la France. Mais on meurt dans ses prisons, comme en Espagne. Et ceci nous importe plus que cela ».
En 1971, plusieurs militants et sympathisants maoïstes avaient été arrêtés à l’occasion des grèves scolaires et universitaires. Des étudiants furent exclus de l’Université de Dakar pour faits de grève et résistance violente aux autorités. Le pouvoir exclut aussi de jeunes militants de gauche comme Marie Angélique Sagna, Amadou Top, Abdoulaye Bathily, Mamadou Diop ‘’Decroix’’. Il décide de l’intégration forcée dans l’armée des garçons exclus.
A propos des conséquences politiques de la mort d’Omar Blondin Diop, le linguiste et intellectuel de gauche Pathé Diagne soutient qu’elles seront « très importantes, mais fort peu connues », soulignant l’émoi que l’événement tragique « jeta sur l’opinion internationale fortement remuée par ses amis de l’extérieur ».
Dans son essai intitulé Léopold S. Senghor ou la négritude servante. De la francophonie au Festival panafricain d’Alger. Trente ans après (L’Harmattan, 2006), Diagne relève que « cette mort amena à mobiliser Cheikh Anta Diop et Abdoulaye Ly, par le biais de Amath Bâ, ancien président de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France), pour voir, avec les partisans de Mamadou Dia, comment obliger Senghor à démocratiser le régime ». « C’est là l’origine du Rassemblement national démocratique », le dernier parti politique fondé en 1976 par le savant sénégalais Cheikh Anta Diop, qui était un ami intime d’Ibrahima Blondin Diop, père d’Omar Blondin.
« La lutte continue »
43 ans après la mort d’Omar Blondin Diop, sa famille n’entend pas renoncer à l’établissement de la vérité sur les circonstances exactes de sa disparition. « La lutte continue, parce que, c’est le plus élémentaire des devoirs que nous avons vis-à-vis de notre frère et de notre famille dans son ensemble. Pour nos parents, cette mort brutale et imprévue en prison a eu des conséquences dévastatrices sur eux », a indiqué Dialo Diop, précisant que trois ans après la commémoration du quarantième anniversaire, « d’un point de vue judiciaire, la procédure en est au même point ».
Selon Dialo Diop, « malgré plusieurs échanges de correspondances avec le garde des Sceaux de l’époque, Mme Aminata Touré, et puis son successeur, Me Sidiki Kaba – qui, tous deux, ont répondu aussi bien à mon courrier personnel qu’aux correspondances par ministère d’avocat – la décision n’est toujours pas prise d’ordonner au procureur de la République de rouvrir ce dossier ». « Or, plus le temps passe, plus non seulement les acteurs directs, mais aussi les témoins de ce drame disparaissent les uns après les autres », ajoute-t-il, relevant qu’au moment de la commémoration des 40 ans, l’un des assassins présumés d’Omar, le garde pénitentiaire Néré Faye, aujourd’hui décédé, avait accordé une interview au journal dakarois Le Quotidien, le jour même de l’apposition de la plaque commémorative à l’ancienne prison de Gorée devenue musée historique.
La peur des senghoristes
Dans cet entretien, rappelle Dialo Diop, « il (Néré Faye) persistait, signait, récidivait dans la propagation des mensonges d’Etat sur cette affaire. Il en rajoutait même. C’est d’ailleurs suite à cette interview que nous avons décidé d’engager une procédure – non pas en révision, puisqu’il n’y a même pas eu de procès – mais de réouverture du dossier ».
A propos des réticences des pouvoirs publics à répondre positivement à la demande de la famille de rouvrir le dossier sur la mort d’Omar Blondin Diop, il a dit qu’on ne peut émettre que des hypothèses. « Mais on est obligés de constater qu’il a fallu quarante ans et deux présidents ayant succédé à Senghor avant que le troisième nous accorde l’apposition de cette plaque mémorielle (à Gorée) », a-t-il indiqué. « Même si le président Macky Sall, par l’intermédiaire de son ministre de l’Enseignement supérieur, nous a accordé cette autorisation, c’est après moult tergiversations, et en particulier quand ils ont été rassurés sur le contenu de l’inscription qui allait figurer sur la plaque », a poursuivi Dialo Diop, pour qui, « les senghoristes veillent avec vigilance et fermeté à ce que l’image de leur mentor, Léopold Sédar Senghor, ne soit pas écornée ».
« Ils veillent à ce que d’éventuelles révélations sur l’assassinat d’Omar ne viennent finir de salir la soi-disant belle mémoire de Senghor dans ce pays. Croyez-moi, elle est loin d’être aussi immaculée qu’on veut nous le faire croire », a conclu Dialo Diop, par ailleurs secrétaire général du Rassemblement national démocratique (RND), dernier parti politique fondé par l’historien et homme politique sénégalais Cheikh Anta Diop (1923-1986).
Héritage en plusieurs lieux
Le sociologue Alioune ‘’Paloma’’ Sall, évoquant les souvenirs de son compagnonnage avec Omar Blondin Diop, les a analysés sous l’angle de l’échec de l’extrême gauche à transformer la société. « L’extrême gauche a été victime de l’air du temps, des changements qui affectent la scène politique mondiale, etc. Mais elle a été aussi victime, je dirai, de l’idéalisme et de la sincérité de ses animateurs », dont Omar Blondin Diop, a souligné Sall, qui a passé les 400 derniers jours de liberté avec lui. « Nous n’avions absolument pas une volonté de pouvoir. Et on s’est interdit de nous poser la question de savoir comment nous allions nous structurer et exister comme force politique », nous a-t-il déclaré lors d’un entretien exclusif le 6 mai dernier à Dakar.
Interpellé sur l’héritage d’Omar Blondin Diop, il poursuit : « Si on devait trouver aujourd’hui des héritiers à Omar Blondin Diop – je pense qu’il serait effaré qu’on puisse penser en ces termes-là, parce que ce n’était pas du tout un homme de pouvoir – on ne les trouverait pas dans un seul lieu, puisque Omar était un être multidimensionnel : il pouvait passer beaucoup de temps à discuter de musique et de l’économie politique du bruit ou d’autre chose. Et la minute d’après, se mettre à disserter sur Hegel dans le texte, parce qu’il lisait l’allemand, etc. Et, la minute suivante, se comporter comme un vrai comédien, faire rire des enfants ».
« Ce n’était pas du tout un personnage figé, résume Alioune »Paloma » Sall, fondateur à Johannesburg de l’Institut des futurs africains et spécialiste de la prospective à l’échelle du continent. Je le vois mal figé quelque part. Je ne sais pas ce qu’il serait devenu, mais je pense que les multiples facettes de sa personnalité auraient pu en faire un être à l’aise dans plusieurs milieux. Contestataire, sans doute. Et je pense qu’il le serait resté, parce qu’il aimait ça. »
UN DOCUMENT INÉDIT DE SENGHOR
Le poète raconte dans un rapport son internement au sein des camps de troupes coloniales de 1940 à 1942
Le Monde Afrique |
Benoît Hopquin |
Publication 10/05/2019
Un jour de l'été 2010, aux Archives nationales, Raffael Scheck tombe sur ce qu'il ne sait pas encore être une pépite, de celles qu'espèrent un jour dénicher les historiens qui remuent, creusent et tamisent les montagnes de documents. Le chercheur, citoyen allemand à l'humeur vagabonde, ayant vécu en Israël et en Suisse avant de poser son sac aux Etats-Unis, à l'Université Colby (Maine), travaille alors sur les camps de prisonniers coloniaux entre 1940 et 1945. Il prolonge ainsi ses recherches sur le sort des tirailleurs sénégalais pendant la campagne de France, en mai-juin 1940, et leur massacre par l'armée allemande, largement oblitéré dans l'histoire de la période et sujet de son livre Une saison noire (Taillandier, 2007).
Impeccable francophone, Raffael Scheck est en train de passer au crible les fonds de la mission Scapini, un service diplomatique qui inspectait les stalags. Il y découvre le rapport dactylographié de sept pages émanant d'un anonyme qui vient de sortir d'un internement dans les camps de troupes coloniales de Poitiers et de Saint-Médard-en-Jalles (Gironde).
L'homme parle à la première personne. Il est instruit, ce qui est d'autant plus précieux, pour les autorités de l'époque, que les tirailleurs sont souvent illettrés. Le responsable qui recueille le témoignage signale que le témoin est "professeur agrégé dans un lycée de Paris". Un agrégé d'origine sénégalaise ? Il n'y en a guère à l'époque. A vrai dire, il n'y en a même qu'un : Léopold Sédar Senghor (1906-2001). Après presque un an de vérifications, Raffael Scheck est aujourd'hui persuadé d'avoir déniché un texte inédit du poète, académicien et futur président du Sénégal.
L'enfant de Joal est alors installé en France métropolitaine. Il a déjà lancé et enterré, avec le Martiniquais Aimé Césaire (1913-2008), le Guyanais Léon-Gontran Damas (1912-1978) et quelques autres, l'éphémère revue L'Etudiant noir, où éclôt le concept de "négritude", c'est-à-dire l'idée d'un destin commun, de valeurs culturelles partagées liées au fait d'être noir.
Cette idée prend toute sa valeur quand la guerre est déclarée : bien que naturalisé français, Senghor se trouve enrôlé comme simple fantassin dans un régiment d'infanterie coloniale. Il est fait prisonnier par les Allemands le 20 juin 1940 à La Charité-sur-Loire. Plus tard, il racontera comment il faillit être exécuté en raison de sa couleur de peau, avec des tirailleurs, ne devant sa survie qu'à l'intervention d'un officier français qui en avait appelé à l'honneur militaire de son homologue allemand. Senghor est ensuite envoyé dans plusieurs camps temporaires avant d'être interné à Poitiers, où démarre le récit.
Le document inédit raconte le quotidien du prisonnier, le vécu des soldats noirs enfermés. Dénuées de qualité littéraire, ces lignes arides, parfois télégraphiques, n'en sont pas moins précieuses pour appréhender l'oeuvre de Senghor. Jusqu'à la guerre, le Sénégalais est en effet un poète qui se cherche. Il tâtonne dans l'obscurité, tourne en rond, déprime tandis que son ami Aimé Césaire a déjà écrit son Cahier d'un retour au pays natal (1938), et Léon-Gontran Damas, Pigments (1937). Pour lui, la lumière viendra de l'expérience des camps. L'intellectuel y côtoie et défend contre l'arbitraire ses voisins muets, infériorisés. Il tire de leur sacrifice un magnifique recueil, Hosties noires, écrit pendant la guerre. "Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main/ chaude sous la glace et la mort/ Qui pourra vous chanter si ce n'est votre frère d'armes, votre frère de sang ?" Il rêve : "Notre noblesse nouvelle est non de dominer notre peuple, mais d'être son rythme et son coeur/ Non de paître les terres, mais comme le grain de millet de pourrir dans la terre/ Non d'être la tête du peuple, mais bien sa bouche et sa trompette." Il sera finalement les deux, la tête, comme chef d'Etat, et sa bouche, comme poète.
Dans les camps, Senghor s'est enfin trouvé. Or, "il y a des liens étroits entre ce rapport de captivité et quelques poèmes de Senghor dans Hosties noires", estime Raffael Scheck. Au-delà de son intérêt historique, ce témoignage d'une oeuvre en gestation fait la valeur du document.
Article publié le 16 juin 2011
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L'ENGAGEMENT POLITIQUE SOUS SENGHOR
Eugénie Aw revient sur son parcours de militante maoïste, son immersion dans le monde ouvrier et le travail d'alphabétisation politique qu'elle menait auprès des masses au début des années 1970 au Sénégal
Eugénie Aw revient sur son parcours de militante maoïste, son immersion dans le monde ouvrier et le travail d'alphabétisation politique qu'elle menait auprès des masses au début des années 1970 au Sénégal. Son histoire familiale n'est pas pour rien dans cet engagement.
Elle décrit ce qu'est la clandestinité à l'époque, ce qu'elle implique pour les militants comme sacrifices, les risques encourus.
La vague d'arrestation de 1975 à la suite de la saisie du journal XAREBI (La lutte), les interrogatoires des prisonniers, le procès qui suit et ce qu'il dévoile, permettent de mettre au jour une réalité peu connue de la vie politique sénégalaise des années 1970.
par l'éditorialiste de seneplus, alymana bathily
DU BON USAGE DU PREMIER MINISTRE
EXCLUSIF SENEPLUS - Macky est un solitaire qui ne doit se sentir à l’aise avec aucun Premier ministre, pas même avec un homme aussi effacé que Dionne - Ce n’est certainement pas un bon augure pour ce quinquennat
Alymana Bathily de SenePlus |
Publication 29/04/2019
Comment comprendre la suppression du poste de Premier ministre annoncée par le président de la République après sa réélection avec 58% des suffrages alors qu’il n’en avait soufflé mot de toute la campagne électorale ?
En fait depuis l’indépendance, tous les présidents de la République, à l’exception notable du président Abdoulaye Wade, ont tour à tout supprimé et recréé ce poste. Pour différentes motivations et avec des objectifs politiques propres à chacun d’entre eux.
Remontons à la source, à la fondation même du poste tel que nous le connaissons aujourd’hui.
La Constitution adoptée à l’indépendance du Sénégal en 1960, établissait le partage du pouvoir exécutif entre un président de la République « gardien de la Constitution. (qui) assure la continuité de la République et le fonctionnement régulier de ses institutions... garant de l’indépendance nationale, (qui) préside le Conseil des Ministre » et un Premier ministre qui « détermine et conduit la politique de la Nation ; il dirige l’action du gouvernement. Il est responsable de la défense nationale. Il dispose de l’Administration et de la force armée … »
C’est cette dyarchie de l’Exécutif précisément qui est la source de ce qu’on a souvent présenté sous le terme de « conflit Dia/Senghor » pour en escamoter le véritable sens.
Il s’agit en réalité, on le sait maintenant, de témoins de première main[1], d’un coup d’état, perpétré le 12 Décembre 1962, non pas par M. Mamadou Dia, comme on a voulu nous le faire croire d’emblée, mais bien par le président de la République d’alors, M. Léopold Sédar Senghor contre le Premier ministre (ou plutôt le président du Conseil, selon l’appellation de l’époque).
Il faut s’arrêter sur cet événement. Non seulement parce qu’il est fondateur du régime qui est celui dont le président Macky Sall a hérité, mais aussi parce qu’il annonce l’instrumentalisation que les présidents de la République successifs feront de l’institution du Premier ministre.
Il est d’ailleurs révélateur que sous Senghor, on forgera le terme « Primature » qui n’existait ni en France ni ailleurs dans la monde. (inventé par le grammairien-poète-président lui même ?), comme pour désigner les mots ayant un sens, autre chose que l’institution du Premier ministre telle qu’on la connait partout dans le monde.
Toujours est-il qu’après avoir fait condamner le président du Conseil, Mamadou Dia à la prison à vie (et ses coaccusés à 20 ans d’emprisonnement), le président Senghor fera adopter une nouvelle Constitution par référendum le 3 mars 1963 par… 99.5% des voix.
Le Premier ministre ne figure plus au nombre des institutions de la République.
Le président de la République exerce seul le pouvoir exécutif.
L’hyper présidentialisme est dès lors installé.
Le président « Buur ak Bummi », comme disent les wolofs.
De fait, le président Senghor régnera seul, jusqu’en 1970.
Il faudra le soulèvement et les grèves des élèves, étudiants et travailleurs en 1968, faisant suite à la « crise de l’économie arachidière », à la « récession industrielle consécutive à la balkanisation de l’AOF » et aux revendications pour « la sénégalisation des entreprises et de la main d’œuvre [2]» pour que le président Senghor réinstaure le Premier ministre et y nomme Abdou Diouf.
Et quand il démissionne en 1980, c’est à son Premier ministre, M. Abdou Diouf qu’il laisse sa place, en vertu d’un article 35 introduit à cette fin dans la Constitution. Celui-ci conserve d’abord le poste en nommant son ami d’enfance, M. Habib Thiam. Après un règne de deux ans, s’étant légitimé en quelque sorte par le suffrage universel, en se faisant élire en 1983 avec 80% des suffrages, il nomme M. Moustapha Niasse au poste le 1er janvier 1983 avec pour unique mission de le supprimer. Une réforme constitutionnelle est adoptée à cet effet par l’Assemblée Nationale dès le 29 avril 1983. Le poste de Premier ministre est effectivement supprimé.
Il ne sera introduit qu’en 1991, sous la pression du FMI, de la Banque Mondiale et de la France dans un contexte de crise économique et sociale aggravée par les tensions politiques créées par les élections présidentielles et législatives de février 1988, puis par le conflit avec la Mauritanie de 1989 à 1991.
M. Habib Thiam sera nommé au poste une deuxième fois avant d’être remplacé par M. Mamadou Lamine Loum en 1998. Le président Abdoulaye Wade lui maintiendra le poste de Premier ministre pendant les douze années de sa présidence. Il en fera même un usage immodéré. Il en usera six : de Moustapha Niasse à Souleymane Ndéné Ndiaye. Sans laisser beaucoup de marge de manœuvre à quiconque d’entre eux. Le Premier Ministre ne devant être, selon l’expression de M. Idrissa Seck, que le « jardinier des rêves » du président.
Le président Macky Sall dans ce domaine comme dans d’autres se coulera d’abord dans les habits de son prédécesseur. Il se séparera rapidement de deux Premiers ministres, Abdoul Mbaye et Aminata Touré. Il semblera par contre avoir trouvé son homme lige en Boun Abdallah Dionne, personnage lisse et obséquieux, à la manière dont Abdou Diouf l’était avec le président Senghor. Qui s’est en outre investi plus que tout autre dans la campagne pour la réélection du président. Si bien que la question demeure : pourquoi donc le président Macky Sall supprime-t-il le poste de Premier ministre maintenant qu’il s’est fait élire pour son deuxième (et dernier ?) mandat ?
C’est que le régime fondé par Léopold Sédar Senghor relève du césarisme, c'est-à-dire d’une forme de monarchisme qui donne au président de la République un pouvoir absolu. Plus que dans le présidentialisme du type de la Vème République française que le constitutionaliste sénégalais a recopié en partie seulement. Ce régime-ci entretient à dessein la confusion des pouvoirs au profit du président, précisément pour assurer sa toute puissance.
Au Sénégal, depuis Senghor, le Premier ministre n’est qu’un accessoire institutionnel que le président de la République utilise à sa guise. Ou s’en passe. Selon le caractère et la psychologie du président.
Le président Senghor était véritablement hanté par le spectre de Mamadou Dia. Si bien qu’il ne voulait surtout pas d’un Premier ministre. Ce n’est que contraint et forcé (notamment par les Français) qu’il a dû en nommer un en la personne d’Abdou Diouf. Ce dernier l’a tellement rassuré par son effacement et son apparente docilité qu’il l’a maintenu au poste pendant sept ans avant d’en faire son successeur.
Quant au président Abdou Diouf, accédant au pouvoir, par un « coup d’état légal » en fait, il s’est senti longtemps vulnérable et comme illégitime. C’est pourquoi, il avait besoin au début d’un « alter ego » qui pourrait aussi éventuellement servir de fusible. Qui mieux que son meilleur ami comme Premier ministre pour cela ? Mais ayant perdu tout complexe après son élection au suffrage universel, s’étant constitué une garde rapprochée avec Jean Collin, il supprimera le poste. Il ne le rétablira lui aussi, comme nous l’avons vu, que sur la très forte pression des « institutions financières internationales » et de la France.
Abdoulaye Wade lui, n’avait aucun complexe de ce genre en arrivant au pouvoir. Animé au contraire d’une foi de prophète, avec un égo démesuré, il était persuadé qu’il allait tout seul régler les problèmes du Sénégal et de toute l’Afrique. Avec tout juste des commissionnaires et fondés de pouvoir. C’est pourquoi il ne fera pas de fixation particulière sur le poste de Premier ministre, sauf que celui-ci n’était jamais que délégué à son service politique particulier.
Quid de Macky Sall ?
Psychologiquement le quatrième président de la République du Sénégal arrive au pouvoir dans les mêmes dispositions qu’Abdou Diouf à ses débuts. Il a donc aussi besoin de Premiers Ministres au cours de son premier mandat. Mais une fois réélu, légitimé à ses propres yeux, il se révèle tel qu’en lui-même. Il éprouve le besoin de se libérer, de s’assumer tout seul.
L’homme est un grand timide, un solitaire qui ne doit se sentir à l’aise avec aucun Premier ministre, pas même certainement avec un homme aussi effacé que Boun Abdallah Dionne. D’où sa décision de supprimer le poste de Premier Ministre. A quelles fins ?
Croit-il vraiment pouvoir réaliser ainsi les grandes réformes indispensables à son PSE, en mode « fast track », selon son nouveau slogan ?
Veut-il seulement réaliser quelques initiatives phares et à « haute valeur politique ajoutée » comme le « désencombrement de Dakar », la mendicité des enfants ? Histoire de solder son contentieux avec le peuple sénégalais et éviter que son successeur ne lui réserve le sort qu’il a lui fait à Karim Wade et à Khalifa Sall ? A moins qu’il ne pense ainsi se faire une seconde virginité politique qui crédibilisera une pétition pour un troisième mandat !
Ou s’agit il seulement de « l’égo trip » d’un homme complexé, malgré sa carrière politique fulgurante, qui a longtemps avalé des couleuvres et qui maintenant qu’il a tout gagné et n’a plus rien à perdre, veut se la jouer en homme fort ?
Le président Macky Sall aggrave ainsi en tous cas l’hyper présidentialisme qui caractérise le système politique sénégalais et qui constitue l’une des raisons des graves difficultés de développement auxquelles le Sénégal est encore confronté.
Ce n’est certainement pas un bon augure pour ce quinquennat !
[1] [1]Ousmane Camara, Mémoires d'un juge africain. Itinéraire d'un homme libre, Paris, Karthala, 2010, 312 p. (ISBN9782811103897), p. 122r
Il y’a aussi le témoignage du Général Jean Alfred Diallo ; « Mamadou Dia n’a jamais fait un coup d’état contre Senghor … l’histoire du coup d’état, c’est de la pure fabulation ».Ref : Wikipedia.
[2] Abdoulaye Bathily : Mai 68 à Dakar, éditions Chaka, Paris, 1992
PAR MOHAMED DIA
MAMADOU DIA, L’HOMME AU GRAND CŒUR
Si Sankara et Lumumba parmi tant d’autres panafricanistes ont été assassinés avec l’aide des colonisateurs, le président Dia lui a été liquidé par ses propres frères et sœurs
Anti-impérialiste, le président Dia était contre l’ordre qui était établi par d’autres dans le but de nous dominer. Sénateur puis Député avant de devenir président du Conseil de 1957 à 1962. Il sera emprisonné de 1962 à 1974 pour tentative de coup d’Etat que le Général Alfred Diallo niera trois décennies plus tard. Si Sankara et Lumumba parmi tant d’autres panafricanistes ont été assassinés avec l’aide de leurs pays colonisateurs, le président Dia lui a été liquidé par ses propres frères et sœurs sénégalais.
Président Dia
Durant ses premiers pas en tant que fonctionnaire, le président Dia fut sanctionné pour ne pas se conformer à l’habillement à l’Européenne qui leur était imposé. Il jeta le casque colonial dont le port était obligatoire pour tout fonctionnaire, au large du fleuve Sénégal. Dauphin du président Senghor, le président Dia disait qu’il se considérait comme baye fall du président Senghor prêt à tout pour lui. En voulant développer le Sénégal, il était conscient qu’il fallait des transformations structurelles et le président Dia était prêt pour les mettre en œuvre pour le décollage de l’économie sénégalaise. Il avait un plan, un modèle économique, qui n’arrangeait pas les Français pour leurs intérêts ni les politiciens qui ne remboursaient pas leurs dettes ni les marabouts qui ne voulaient pas être de simples citoyens. Le plan n’arrangeait que le Sénégal. L’égoïsme et les intérêts personnels primeront et le Sénégal perdra un de ses plus illustres fils. Ils ont sacrifié le président Dia. Le président Senghor fut convaincu par les malfrats que le président Dia, son ami de longue date préparait un coup d’état. Le président Dia sera illégalement destitué avant d’être condamné à perpétuité avec d’autres ministres. La prison de Kédougou sera leur nouvelle résidence pendant douze années. Les conditions de détention feront perdre au président Dia la vue, n’étant pas autorisé à se soigner.
Président Senghor
Le président Senghor arrangeait la France, car étant très francophone et soumis à la France et il l’a fait savoir durant son fameux discours de 1957 quand il disait que « quand les enfants ont grandi, du moins en Afrique noire, ils quittent la case des parents et construisent à côté une case, leur case, mais dans le même carré. Le carré France, croyez-nous, nous ne voulons pas le quitter. Nous y avons grandi et il y fait bon vivre. Nous voulons simplement, Monsieur le Ministre, mes chers collègues, y bâtir nos propres cases, qui élargiront et fortifieront en même temps le carré familial, ou plutôt l’hexagone France ». Le président Senghor était peu sûr de soi et cela s’est fait sentir avant l’arrestation du président Dia. Le PAI de Majemout Diop disparaitra en 1960, car il était accusé d’être à l’origine des troubles lors des élections municipales de la même année. Le parti de Cheikh Anta Diop est aussi interdit de toute activité en 1962. La même année, le président Dia est arrêté. Ne faisant plus confiance à son entourage, le président Senghor fait voter une nouvelle constitution le 3 mars 1963 qui fait de lui chef de l’Etat et du gouvernement. Il va plus loin et fait voter une autre loi constitutionnelle le 20 juin 1967 lui donnant le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale quand il veut. De quoi le président Senghor avait peur ? Son conseiller Michel Aurillac, l’un des plus grands défenseurs des intérêts français, a joué un grand rôle dans la destitution du président Dia. Il fera savoir au président Senghor que l’armée française viendra à sa rescousse si jamais l’armée sénégalaise s’inclinait du côté du président Dia.
La consolidation de l’indépendance
Une fois l’indépendance acquise, le président Dia savait qu’il fallait devenir une nation souveraine. C’est ainsi qu’il entamera les négociations pour une monnaie régionale. Il savait qu’il était impossible de développer le Sénégal avec le FCFA. D’ailleurs, c’est l’une des principales raisons de notre pauvreté malgré les milliards de notre budget, de l’aide publique au développement et des milliards du FMI et de la Banque mondiale. La monnaie est signe de souveraineté nationale selon le président Dia et elle permet d’avoir une autonomie économique totale. Pour être une nation indépendante, il faut être en mesure d’assurer son auto-suffisance alimentaire et sa sécurité nationale. C’est ainsi que le président Dia commence à négocier avec la France pour une décolonisation achevée, concernant entre autres à une indépendance économique, politique et militaire.
Quel pays indépendant ne choisit pas ses partenaires économiques ? Le Sénégal n’était pas libre de choisir ses partenaires économiques, la France était tout le temps impliquée dans notre politique économique. Le président Dia a voulu opter pour une liberté totale. Étant séduit par la politique de non-alignement, le président Dia nouera des partenariats avec les pays de l’Est et les pays arabes. La France fera tout son possible pour que le partenariat avec les pays arabes ne se développe pas en détournant les étudiants sénégalais dans d’autres pays autres que les pays arabes. Le président Dia avait en tête de son programme de développement le privé national. Sans un privé national en bonne santé, il est impossible de créer une croissance inclusive. C’est ainsi qu’il présentera un projet de loi à l’Assemblée nationale pour la création de chambres de commerce pour les différents secteurs de notre économie nationale. Il favorisera nos artisans pour les équipements des bureaux du gouvernement…
Le pouvoir de pardonner
Le président Dia, en tant que fervent musulman avait compris le verset descendu à cause d’Abu Bakr : Surate 24 Verset 22 : (..) Qu’ils pardonnent et absolvent. N’aimez-vous pas qu’Allah vous pardonne ? Le président Senghor se sentait un peu coupable de l’incarcération du président Dia. On dit souvent que la prise de conscience est le premier pas de la sagesse. Certes, Senghor demanda à plusieurs reprises au président Dia de renoncer à la politique contre sa libération, mais ce dernier lui fit savoir que la politique était un devoir et que nul ne pouvait renoncer à son devoir. Quand le président Senghor apprit que le président Dia était quasiment aveugle, sa libération devint imminente. Après douze ans de détentions dans de conditions très difficiles et la perte de sa vue, le président Dia a su pardonner au président Senghor et demanda même une audience pour le rencontrer. Senghor restait figer devant le président Dia et ce dernier lui demanda : « Tu ne m’embrasses plus Senghor » ?
Et si c'était vous, seriez-vous capable de pardonner ?
VIDEO
LA NÉGRITUDE SELON SENGHOR
L’ancien président de la République évoque à travers une interview au journaliste français Jean Antoine, sa vision de la Négritude, après 16 ans d’errance en France
Dans cette vidéo, l’ancien président de la République du Sénégal, Léopold Sedar Senghor, accorde une interview au journaliste français Jean Antoine pour évoquer sa vision de la Négritude, après 16 ans d’errance en France. Extraits.
PAR L'ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS, SERIGNE SALIOU GUÈYE
AMADOU CLEDOR SALL, UN HOMME DE FORTES CONVICTIONS
EXCLUSIF SENEPLUS - Il aura marqué la vie politique par les différents postes qu’il a eu à occuper dans la sphère de l’Etat - Retour sur les grands moments de sa vie
Personnalité emblématique ayant marqué la vie politique sénégalaise pendant les années 60, Amadou Clédor Sall, l’un des derniers congénères de Léopold Sédar Senghor, s’est éteint dans la nuit du 29 au 30 mars 2015. Il aura marqué les esprits en laissant l’empreinte d’un homme pétri de convictions humanistes. Retour sur les grands moments de la vie d’Amadou Clédor Sall.
Il aura marqué la vie politique par les différents postes de responsabilité qu’il a eu à occuper dans la sphère de l’Etat. Il était l’un des plus fidèles compagnons du président Léopold Sédar Senghor qui se distinguait par sa capacité d’écoute, son sens du dialogue et son courage dans l’exécution de sa mission. Ces qualités et vertus ont beaucoup contribué à sa responsabilisation aux postes de gouverneur, de ministre, de député et de maire qu’il a eu à occuper en 22 ans.
1952 à 1957 : Conseiller à l’Assemblée territoriale de Mauritanie et au Grand Conseil de l’AOF
Amadou Clédor Sall est né le 21 octobre 1915 à Rufisque. Sorti de la prestigieuse école William Ponty, il devient tour à tour instituteur, inspecteur de l’enseignement et administrateur civil. Sa trajectoire politique a commencé lorsqu’il a été élu conseiller et vice-président de l’Assemblée territoriale de Mauritanie de 1952 à 1957 avec ses camarades de parti (l’Union progressiste mauritanienne) en l’occurrence Sidi El Mokhtar Ndiaye, Ahmed Saloum Ould Haïba, Maurice Compagnet et Amadou Diadié Samba Diom. Au sein du Grand conseil de l’Afrique occidentale française (AOF), Amadou Clédor Sall occupa alors le poste de Secrétaire et Rapporteur de la Commission des affaires sociales et fut par ailleurs désigné de siéger à la Commission fédérale des bourses. Ainsi en 1955-1956, 825 bourses ont été accordées pour l’enseignement supérieur aux étudiants ressortissants des huit territoires de l’AOF. La même année, Clédor dirigea un petit groupe d’élus qui alla en France visiter les étudiants africains et prendre contact avec les autorités académiques métropolitaines. Sur place, il constatait une inadaptation quantitative de la répartition des diplômés à celle des emplois, déplorait que le nombre des étudiants en droit aille croissant au détriment des sciences et de la médecine. 55 ans après les indépendances, cette constatation de Clédor relative à la désarticulation formation/emploi reste d’actualité dans nos universités et écoles de formation.
C’est au sein de ce Grand Conseil dirigé par Boissier-Palun que Léopold Sédar Senghor, membre de ladite entité, apprécia le travail remarquable que son compatriote Clédor abattait au sein de sa commission. Il décida de rentrer au Sénégal en 1957 nonobstant le poste de ministre qui lui fut proposé dans le premier Conseil de gouvernement mauritanien de huit membres formé par le vice-président Mokhtar Ould Dada. Il fut l’un des premiers administrateurs avec Alioune Diagne Mbor, Diarga Cissé à être envoyé en France pour effectuer un stage de perfectionnement. En 1962, il remplaça Abdou Diouf au poste de Gouverneur de la région de Sine Saloum. Comme un coup du hasard, Clédor Sall a terminé ses études en septembre 1935, période pendant laquelle le président Abdou Diouf est venu au monde. Il a partagé aussi avec Abdou Diouf le même immeuble à Fass (non loin de l’actuelle demeure d’Ahmed Khalifa Niass) avant de se retrouver avec lui en 1968 dans un même gouvernement.
Homme de consensus et de dialogue
En fin d’année 1963, il est nommé gouverneur de Dakar. Mais il était en quelque sorte gouverneur-maire puisque dès 1964, c’est le gouverneur de région qui exerce, par un statut spécial, sous l’autorité du président de la République et du ministre de l’Intérieur, l’ensemble des attributions confiées auparavant au maire. Mais si on en est arrivé à ce statut du gouverneur étendu aux autres régions du Sénégal, c’est parce que Clédor a été l’un des premiers à avoir eu le courage de dénoncer le mode de gestion du personnel municipal par les « maires-administrateurs » et les effets du clientélisme. « Le personnel de la mairie comme dans nombre de communes et notamment les manœuvres de la voirie sont recrutés sur des bases politiques », dénonçait-il. En outre, il a fustigé les pratiques des « maires-administrateurs » contradictoires aux règles de gestions telles que la réembauche d’agents municipaux licenciés pour faute lourde.
Tout le temps qu’il était resté gouverneur, il était confronté à nombreuses opérations de déguerpissement puisqu’il fallait donner un visage nouveau à la capitale défiguré par des occupations illégales. Mais en tant que bâtisseur du lien social, pétri d’humanité, il n’utilisait jamais la force publique pour mener à bien ces opérations car il privilégiait toujours la concertation avec les populations autochtones concernées.
Quand il s’est agi, sur instruction de la hiérarchie étatique, de déménager les habitants des quartiers Gibraltar et Al Minkou pour construire les allées Centenaires, il a su négocier et trouver des solutions avec les occupants autochtones. Et certains ont acquis des habitations décentes à Guédiawaye grâce à son entregent et cela avec un accompagnement financier consistant. Concernant le déguerpissement de la Médina envisagé par le président Senghor, Clédor y joua un rôle de premier plan lorsque les occupants réticents lébous s’opposèrent audit projet.
A l’approche du festival mondial des Arts nègres de Dakar de 1966, le Président Senghor avait voulu raser les cantines de Sandaga pour embellir la capitale. Mais puisqu’une telle initiative s’avérait difficile et grosse de dangers, il fallait beaucoup de diplomatie pour réussir une mission aussi délicate. Sur ce, l’alors gouverneur de Dakar fit appel à Ameth Diène, responsable socialiste lébou, pour trouver les solutions idoines. Ce dernier lui recommanda de s’en référer au khalife général des mourides Serigne Fallou Mbacké. En compagnie d’El Hadji Ndiaga Guèye de Touba Sandaga, ils se rendirent à la capitale du mouridisme pour rencontrer le khalife qui, mis au parfum, intercéda en conseillant au président Senghor de renoncer à un tel projet. Et c’est cette intervention califale qui sauva les cantines de Sandaga de disparition.
La capacité d’écoute de Clédor Sall, son sens de la négociation, son ouverture, son humanisme lui ont toujours permis de venir à bout de situations complexes et difficiles à résoudre. Cela n’est point une faiblesse mais une qualité puisque quand il fallait sévir pour les intérêts de la République, il ne tergiversait point.
Un ministre de l’Intérieur intrépide
En 1968, année de turbulences en France avec la grève des étudiants et des ouvriers en mai-juin qui eut des ramifications à Dakar, le gouverneur Amadou Clédor Sall joua un rôle prépondérant pour le rétablissement de l’ordre et la pacification du climat social en ébullition. Le monde des travailleurs et des étudiants sénégalais plongèrent le pays dans un cycle de perturbations difficilement maîtrisables. Et c’est là qu’il étala tout son savoir-faire en matière de sécurité. Il prit langue avec les grévistes, entama des négociations et adopta des mesures strictes et nécessaires pour le rétablissement de l’ordre dans la capitale. Et son travail fut récompensé au léger remaniement du 6 juin 1968 avec une nomination au poste du ministre de l’Intérieur en remplacement d’Amadou Cissé Dia qui fit les frais de ses relations exécrables avec le colonel Jean Alfred Diallo, l’alors chef d’Etat-major des armées.
Il faut préciser que le ministre de l’Intérieur était très proche de Senghor, lequel sollicitait constamment son opinion sur la marche de la République. C’est pourquoi, il était reçu quotidiennement en audience au palais de la République à 18 heures. Et le fait que le président le raccompagnait systématiquement et ostensiblement aux portes du palais laissait croire à un certain moment qu’il était le futur Premier ministre dont Senghor avait besoin après les événements de mai-juin 68. Abdou Diouf relate dans ses mémoires que même la préférence du chef d’état-major des armées Jean Alfred Diallo pour le poste de Premier ministre qui aiguisait plusieurs appétits allait à Clédor Sall.
Un jalonneur important du code de la famille
Le 10 avril 1971, il fut nommé ministre de la Justice et Garde des Sceaux dans le troisième gouvernement du Premier ministre Abdou Diouf jusqu’en février 1974. Et là, il joua un rôle capital consensualiste pour le vote du code de la famille qui était combattu par certaines forces coutumières et religieuses. Pour lui, la famille, qui est considérée comme la cellule de base de la société, doit être placée au cœur de l’édification de la nation avec pour socle, le principe de laïcité. Donc il fallait concilier le respect des principes proclamés par la Constitution, celui des règles religieuses considérées comme intangibles pour les croyants et celui de certaines valeurs traditionnelles pour asseoir un code consensuel. Et c’est ainsi que le 12 juin 1972, le code de la famille fut adopté par l’Assemblée nationale au terme du vote de la loi n°72-61.
A partir du 16 février 1974, il occupa le ministère des Forces armées jusqu’au 1er janvier 1981, date du départ volontaire de Léopold Sédar Senghor du pouvoir. Et là aussi, à sa demande, le nouveau président Abdou Diouf ne l’a pas reconduit dans le gouvernement du Premier ministre Habib Thiam. Il prenait de l’âge et ensuite il ne voulait pas gêner Abdou Diouf qui avait pris l’option de rajeunir son gouvernement.
Un responsable politique pétri de convictions
Quand, ministre de l’Intérieur, on lui a demandé de militer à la base pour intégrer l’Union progressiste sénégalaise, il a refusé parce que le contexte post-mai/juin 68 ne s’y prêtait pas. C’est après avoir quitté l’Intérieur pour la Justice qu’il a commencé à militer à la base. Devant les tendances qui minaient la coordination de Grand-Dakar, il a déployé ses talents de rassembleur et pacificateur. Et c’est ce qui lui permit plus tard d’occuper ladite instance. Il a aussi pesé de tout son poids pour qu’Adja Arame Diène accéde à la présidente de l’Union régionale de Dakar en remplacement d’Adja Ndoumbé Ndiaye atteinte par l’âge.
En 1979, il remplaça à la tête de mairie de Dakar Lamine Diack relevé par Senghor sur décret. Le jour de son sacre à la tête de la municipalité de Dakar, le tout nouveau maire de Dakar chanta les mérites de Lamine Diack qui, malgré la situation qui lui était défavorable, était présent dans la salle. Et c’est au congrès de 1984, avec les renouvellements des instances du parti socialiste, sous l’influence de Jean Collin, théoricien de la désenghorisation, qu’Abdou Diouf décida d’expurger tous les amis de Senghor dont Amadou Clédor Sall, Alioune Badara Mbengue, Amadou Cissé Dia, Magatte Lô, Assane Seck pour ne citer que ceux-là. Mais, ces derniers auréolés de gloire sortirent par la grande porte en cessant volontairement toute activité au sein du PS. L’édile Clédor fut alors remplacé par Mamadou Diop à la tête de la mairie de Dakar.
C’est cet homme d’une dimension exceptionnelle et au parcours exemplaire, pour reprendre les mots de son ami Baro Diène, cet homme droit et juste, cet homme debout pétri de tolérance, d’humanité et de fortes convictions qui entretenait des rapports saints avec tous les politiques, les guides religieux et la société civile, qui nous a quittés il y a quatre ans.
Amadou Clédor Sall en sept dates
1952 : Conseiller à l’Assemblée territoriale de Mauritanie et au Grand Conseil de l’AOF
A la proposition du président Senghor de le libérer s’il renonçait à la politique, Mamadou Dia répondait « Je préfère vivre libre en prison plutôt que d’être prisonnier dehors ». Au son de nos archives exclusives, écoutez la voix de Mamadou Dia, premier président du Conseil du Sénégal, de 1957 à 1962, dont l’idéal nationaliste ne souffrait aucun compromis avec la France.
Avec la participation de Roland Colin, ancien directeur de cabinet de Mamadou Dia, Mamadou Diouf, historien de la vie politique et intellectuelle sénégalaise, Professeur à l’Université de Colombia et le politiste Etienne Smith.
MAMADOU DIA, HISTOIRE D'UNE ARCHIVE INÉDITE
Dix ans après la mort de l'ancien président du Conseil (1957 à 1962), son ancien directeur de cabinet, Roland Colin, choisit de confier l’intégralité de ses douze heures d’entretiens enregistrés à Dakar entre 1975 et 1978, à RFI
RFI |
Valérie Nivelon Maxime Grember |
Publication 25/01/2019
C’est une archive sonore inédite où le premier président du Conseil du Sénégal revient sans aucune concession ni amertume sur la crise de 1962 et ses années de prison, suite à son arrestation ordonnée par son mentor Léopold Sédar Senghor, premier président de la République sénégalaise. Mais le témoignage de Mamadou Dia ne se résume pas à l’événement de 1962, aussi tragique soit-il. Sa dimension autobiographique revisite toute l’histoire de la lutte anticoloniale depuis les années 1930. Celle d’un instituteur africain et musulman, dont l’idéal nationaliste ne souffrait aucun compromis avec la France. À la proposition de Senghor de le libérer contre son engagement à renoncer à la politique, Dia a répondu qu’il préférait « vivre libre en prison plutôt que d’être prisonnier dehors ».
Avant de découvrir La voix Mamadou Dia, la série documentaire en trois épisodes diffusée en exclusivité dans La marche du monde sur RFIà partir du dimanche 17 mars à 11h10 TU, Roland Colin revient sur l’histoire de cette archive sonore et sur la dimension biographique du récit de Dia.
RFI : Dans quelles circonstances avez-vous réalisé ces entretiens ?
Roland Colin : J’ai retrouvé Mamadou Dia à Dakar en 1974, juste après sa sortie de prison et je lui ai dit que son témoignage était fondamental, que son histoire devait désormais être intégrée à la grande Histoire et qu’il devait reprendre la parole pour que tout le monde puisse entendre ce qu’il avait à dire.
Il a été très heureux de cette proposition, mais comme il était devenu presque aveugle et qu’il ne pouvait plus écrire, il a accepté de témoigner oralement et de revenir sur son parcours, de son enfance jusqu’à son emprisonnement en 1962.
C’est dans ce contexte que son récit autobiographique a été enregistré. Le travail de mémorisation a été fait par étape. Nous nous sommes vus une quinzaine de fois chez lui à Dakar entre 1975 et 1978. Ce travail lui a permis d’écrire son livre autobiographique : Afrique, le prix de la liberté (aux éditions L’Harmattan).
J’ai soigneusement gardé ces enregistrements et j’ai décidé aujourd’hui, à 90 ans, d’en faire don à RFI pour l’émission de Valérie Nivelon, La marche du monde. Il est important que ces archives puissent être connues de tous, car elles nous donnent à entendre la voix de Mamadou Dia, acteur de l’indépendance du Sénégal, mais aussi figure incontournable de la décolonisation en AOF (Afrique-Occidentale française) et en Algérie.
Quand entrez-vous au cabinet de et Mamadou Dia et quelle fonction occupez-vous ?
La loi-cadre Deffere du 23 janvier 1956 permet de créer pour la première fois un gouvernement sénégalais, et c’est le parti de Léopold Sédar Senghor qui occupe la position de responsabilité. Léopold Sédar Senghor nomme Mamadou Dia à la tête du gouvernement.
A la demande de Léopold Sédar Senghor, j’entre au cabinet de Mamadou Dia en juillet 1957, que je connaissais et pour qui j’avais de l’estime. Mamadou Dia me confie plusieurs missions importantes ; travailler à la fédération des Etats d’Afrique occidentale, suivre le transfert de la capitale de Saint-Louis à Dakar et l’accompagner dans la mise en place de sa politique de développement économique ; l’animation rurale.
Peut-on établir des comparaisons dans les parcours et les origines de Senghor et Dia ?
Mamadou Dia vient d’une classe pauvre. Il n’appartient pas au milieu de la bourgeoisie urbaine, à l’inverse de Léopold Sédar Senghor, dont le père était bien ancré dans le milieu des affaires.
Léopold Sédar Senghor a été extrait de son milieu dès l’âge de 7 ans. Il a été envoyé à l’école où on lui a appris le français et le wolof, alors que sa langue maternelle était le sérère. Il a découvert la religion et la culture française, tout en étant travaillé par l’aiguillon de la culture première perdue et qu’il appelait son royaume d’enfance. Dès lors, il va être obsédé par le retour à cette culture perdue ; la négritude, selon lui, qui sera vue comme une reconquête de soi. Il arrive à Paris en 1928 et il y restera jusqu’en 1945.
Quand il revient au Sénégal, il entend parler de Mamadou Dia, qui était un jeune instituteur et qui faisait un travail formidable avec les paysans sénégalais. Il rencontre un garçon en pleine possession de sa négritude première et sera dès lors fasciné par la négritude de Dia, qui venait de créer, avec un groupe d’amis, le cercle de l’authenticité, véritable creuset de la négritude accomplie.
De son côté, Dia considérait que la religion ne pouvait être un facteur discriminant pour s’intéresser aux autres, ce qui explique pourquoi il a accueilli Senghor (chrétien) avec beaucoup d’ouverture.
Dans quelle mesure la religion apparaît comme une clé de compréhension de la personnalité et de l’éthique politique de Mamadou Dia ?
Son témoignage nous permet de comprendre l’importance qu’a joué son père dans sa vie. Cet « homme digne et extraordinaire », comme il le qualifiait, était agent de police rurale et il incarnait à ses yeux la rectitude et la loi. Sa mort accidentelle va profondément le marquer et renforcer sa foi.
Par la voie d’un islam soufi que lui a transmis son père, la religion était de l’ordre du personnel et il était révulsé de voir l’utilisation de l’islam par les marabouts. Il voulait faire une grande assise nationale sur l’islam et le développement, mais cela n’a pas pu se faire à cause des événements de 1962.
D’où vient son intérêt pour les questions économiques ?
Il devient instituteur, puis comme directeur de l’école régionale de Fatick, il écrit pour des journaux dans lesquels il décrit la misère du monde paysan qu’il connaît bien. Ses articles portent essentiellement sur les questions économiques. Il préconise le regroupement des paysans en coopératives, voie idéale pour leur émancipation. Cette idée marquera par la suite sa pensée politique.
Comment Mamadou Dia est-il entré en politique et a-t-il créé le Bloc démocratique sénégalais (BDS) avec son mentor Léopold Sédar Senghor ?
D’abord réticent à l’action politique, il accepte de se présenter à la demande des habitants de Fatick qui souhaitent le voir candidat au conseil général. Parrainé par Senghor, il se présente sous l’étiquette SFIO.
Ses relations avec Lamine Gueye, leader de la SFIO, se détériorent et avec un groupe de camarades contestataires, dont Léopold Sédar Senghor, il décide de s’impliquer dans la création du BDS.
Pour quelles raisons Mamadou Dia entretient-il des relations privilégiées avec les religieux et avec les syndicalistes pour créer le BDS ?
Le contact avec les religieux et les syndicalistes a permis au BDS de se structurer et de s’étendre, là où la SFIO n’avait pas d’influence.
Mamadou Dia était proche du militant syndicaliste Ibrahima Sar, qui était l’animateur de la grande grève des chemins de fer de 1947. Ibrahima Sar a été ministre du Travail et de la Fonction publique dans le gouvernement de Dia. Il restera fidèle et solidaire à Dia lors des événements de 1962. Il sera emprisonné au même titre que Dia pendant douze ans. Il est mort peu de temps après, suite à une maladie mal soignée pendant son emprisonnement.
En quoi l’année 1958 est-elle un tournant dans la politique sénégalaise ?
L’année 1958 est celle de l’effondrement de la IVe République française. Le général de Gaulle arrive au pouvoir et accepte de faire un pas supplémentaire vers l’autonomie des territoires de l’AOF en proposant un grand référendum sur l’ensemble de l’espace d’influence française, où les pays doivent choisir entre deux options : prendre l’indépendance immédiatement ou se fédérer au sein de la communauté française…
Gros débat, car choisir l’indépendance, c’est émerger sur le plan international sous la forme d’un petit Etat et compromettre les chances réelles d’émancipation sur le plan économique et géopolitique. Le Sénégal, avec d’autres, choisit le statut d’Etat membre de la communauté, en annonçant qu’il transforme son système intérieur de telle sorte à être apte à assumer les responsabilités de l’indépendance. Le Sénégal se donne quatre ans pour transférer son économie.
Comment Mamadou Dia s’y prend-il pour transformer l’économie de son pays ?
Dia avait une formation économique, ce qui était précieux et rare pour un responsable africain de cette époque. Et comme le Sénégal vivait encore dans l’économie de traite colonialiste, il va choisir la voie de l’économie sociale pour transformer l’économie de l’arachide et créer les coopératives paysannes, qui seront de véritables lieux d’apprentissage de la démocratie. Il se fixe comme objectif de réaliser ce travail de formation et de transformation sur quatre ans.
Il lui faut un outil d’éducation paysanne pour permettre à la population de gérer ce qu’il lui est proposé ; ce sera l’animation rurale. Dia va parler d’une économie démocratiquement contractuelle et d’un socialisme humaniste - et non bureaucratique - selon les références culturelles du peuple. A partir de là, son gouvernement va proposer aux paysans de s’organiser en coopératives paysannes, puis il va choisir de réformer l’administration pour que celle-ci soit une administration de partenariat. Dia va appeler ce système de cogestion et d’autogestion le « socialisme africain humaniste ».
C’est à cette période que vous débutez votre collaboration avec Mamadou Dia ?
Oui. Accordé à cette idée, Mamadou Dia me demande de prendre la tête de son cabinet. Ce seront quatre années passionnantes de mise en place du développement de l’animation rurale. Une étape nécessaire pour passer de l’autonomie à l’indépendance.
Comment se met en place l’animation rurale ?
L’Etat met en place un plan de développement sur quatre ans pour chacune des régions : 750 coopératives sont créées la première année. L’Etat crée une banque de développement et un office de commercialisation, ce qui permet de sortir de l’économie de traite. Sur les 600 000 tonnes d’arachide produites chaque année, 150 000 tonnes le sont par le biais de l’économie sociale. Les protagonistes extérieurs n’y croient pas et pensent que les Noirs sont incapables de se gérer eux-mêmes… Au bout de la première année, tout marche au cordeau.
Lors de la deuxième année, 1 500 coopératives sont créées et 300 000 tonnes d’arachide sont produites. Tout marche normalement et les protagonistes extérieures hostiles au régime commencent à avoir peur et pensent que si l’on passe à 75%, ce sera irréversible… Dès lors, il faut « abattre » Dia avant la troisième année.
Comment les opposants de Mamadou Dia vont-ils s’y prendre pour faire tomber son gouvernement ?
Les opposants forment une coalition comprenant trois composantes : « les firmes de commerces internationaux », « les grands marabouts sénégalais » et « le personnel des administrations ». L’objectif est de faire renverser le gouvernement avant la troisième année en déposant une motion de censure par les députés qui s’opposent à la politique de Dia.
Entre-temps, Senghor avait pris les fonctions de président de la République. Dia était toujours chef de gouvernement et pouvait orienter le gouvernement avec la confiance de Senghor, qui pouvait arbitrer en cas de crise. La gestion de Dia est critiquée. Il reprend contact avec certains dirigeants venant des pays de l’Est, notamment la Yougoslavie dont le principe d’autogestion l’intéresse. Les ennemis de Dia intoxiquent Senghor, car le socialisme de Dia mènera au communisme qu’on lui présente comme une destruction pour l’Afrique. On fait croire à Senghor que Dia est en train de monter un complot contre lui pour transformer le Sénégal en République islamique. Progressivement, Senghor va se laisser envahir par cette idée.
Comment Mamadou Dia décrit les événements de 1962 dans vos entretiens ?
Senghor s’était installé dans un protocole « élyséen », si bien que Dia n’avait plus le même accès à Senghor qu’auparavant pour discuter simplement.
Les députés frondeurs déposent une motion de censure alors qu’ils sont issus du même parti que Dia et Senghor. Ils programment le vote de la motion de censure avant que le Conseil national ne se réunisse. Dia se trouve face à un dilemme politique et moral ; s’il laisse faire, c’est toute la politique menée depuis des années qui s’écroule. Il faut donc convaincre les parlementaires avant que le parti ne se réunisse, ce qu’il ne réussit pas à faire. La motion de censure est votée. En parallèle, la Constitution change et on passe au régime présidentiel. Dia est embarqué par l’armée. La nouvelle est répandue : Dia a tenté un coup d’Etat, la presse est sous contrôle, et on dit que Senghor a sauvé la démocratie d’un coup d’Etat.
Ou étiez-vous à ce moment précis ?
Un mois avant les événements de 1962, j’étais au cabinet de Dia et j’avais encore accès à Senghor avec qui je pouvais discuter, car il avait confiance en moi, mais une tuberculose m’oblige à être évacué en France. J’apprends la nouvelle de l’emprisonnement de Dia à la radio depuis la France.
A quel moment revenez-vous au Sénégal ?
Senghor m’envoie un message et me dit que ma place est au Sénégal, et qu’il me confiera des responsabilités importantes quand je sortirai du sanatorium. Je lui réponds que je ne peux pas remettre les pieds au Sénégal tant que Dia est en prison. Senghor se fâche et interrompt ses relations avec moi. Je retrouve Paris en juin 1963 après huit mois au sanatorium et j’entre à la direction de l’Iram, l’Institut de recherche et d’applications des méthodes de développement. Madagascar et le Niger s’intéressaient aux méthodes de Dia et je leur servais d’interlocuteur.
Entre-temps, Dia est condamné pour coup d’Etat par une cour de justice constituée de parlementaires qui avaient voté la motion de censure, et est envoyé dans un centre de détention proche de la frontière du Mali.
En 1967, je reviens à Dakar pour un congrès international et je rencontre Senghor le lendemain de mon arrivée. Je lui rappelle l’estime que j’ai pour lui et que le tandem qu’il formait avec Dia était fondamental, que c’était une chance pour l’Afrique d’avoir un homme de culture et un économiste à la tête du gouvernement du Sénégal, et qu’ensemble ils doivent faire front commun pour mener le destin du Sénégal. Senghor veut bien envisager des mesures permettant la libération de Dia, mais il veut des garanties et me propose de faire l’intermédiaire pour mettre en œuvre sa libération.
Quel est votre rôle pendant les douze années de prison de Dia ?
Je continue d’écrire régulièrement à Senghor sans réussir à faire avancer les choses et un jour Senghor me fait venir à Dakar. Il me demande de porter le message suivant : « J’ai décidé d’envisager la libération de Dia à condition qu’il fasse l’engagement par écrit de renoncer à faire de la politique ». Je me charge de faire l’intermédiaire et Senghor me permet de rencontrer secrètement Dia en prison.
Je revois Dia en 1972 et lui expose les exigences de Senghor et il me dit qu’il considère la politique non pas comme un droit mais aussi comme un devoir. Il me dicte un texte que je remets à Senghor dans lequel il lui dit préférer « vivre libre en prison plutôt que d’être prisonnier dehors ». La lettre est transmise au cabinet de Senghor, qui estime que Dia fait sa mauvaise tête.
Entre-temps, Dia souhaite que son message soit connu et me demande que sa lettre soit envoyée à Houphouët-Boigny, alors président de Côte d’Ivoire. La réconciliation entre le Sénégal et la Côte d’Ivoire bat son plein ; Senghor fait son voyage de réconciliation à Abidjan et invite Houphouët à Dakar. Houphouët-Boigny appelle l’ambassade du Sénégal et dit qu’il accepte à condition que Dia sorte de prison. Senghor reçoit le message et les négociations se rouvrent pour faire sortir Dia de prison. Un compromis est trouvé. Nous sommes en 1974.
Comment Dia a-t-il supporté ses douze années de détention ?
Ses conditions de vie étaient très dures. Il a tenu le choc moralement et spirituellement en le prenant comme une épreuve humaine et métaphysique. Une mission vis-à-vis de son peuple. Il a beaucoup médité, réfléchi, lu et écrit. Il en est sorti encore grandi.
J’ai beaucoup admiré sa force morale et sa sérénité. Dia a été séparé de ses cinq compagnons avec qui il n’a eu aucun contact pendant ces douze ans. Chacun dans son pavillon. Il a vécu dans une grande solitude et il ne pouvait recevoir de visite qu’une fois par trimestre. Il est sorti de ces longues années d’incarcération avec une volonté de liberté totale.
Dans quel état d’esprit retrouvez-vous Mamadou Dia à sa sortie de prison ? Une réconciliation était-elle envisageable avec Senghor ?
Dia était évidemment heureux de retrouver les siens et la liberté mais il n’était pas habité par un esprit de revanche. Il avait la conviction qu’il avait encore un devoir à accomplir dans la ligne de la démocratie participative.
Avec Senghor, on peut parler de reprise de contact et non d’une réconciliation. Dès que Dia est sorti de prison, il a demandé à être reçu par Senghor. Une fois dans son bureau, il s’est avancé vers lui, a ouvert les bras et lui a dit : « Alors, tu ne m’embrasses pas Léopold ? » S’en est suivi une conversation politique dans laquelle Dia lui a dit qu’il fallait impliquer davantage la société civile pour qu’elle puisse avancer vers la démocratie participative et qu’il souhaitait fonder une internationale africaine pour le développement. Senghor était interloqué par la demande de Dia.
Dia créée cette fondation en 1975 et commence à faire des voyages. Le gouvernement sénégalais lui a mis des bâtons dans les roues. Le projet a fonctionné deux ans. Dia a ensuite repris sa militance politique.
Né en 1928, Roland Colin entre à l'Ecole nationale de la France d'outre-mer en 1948 où il a Léopold Sédar Senghor comme professeur et avec qui il se lie d’amitié. Diplômé de l'Ecole des langues orientales, il commence sa carrière comme administrateur au Soudan français (actuel Mali) en 1952, puis au Sénégal en 1955.
En juillet 1957, à la demande du président Senghor, il est nommé conseiller technique dans le cabinet de Mamadou Dia, président du Conseil de gouvernement du Sénégal, puis chef du gouvernement de la République du Sénégal en 1958.
Suite à l’arrestation de Mamadou Dia en décembre 1962, Roland Colin abandonne toute fonctionne officielle et rentre en France pour entamer une carrière d’anthropologue et d’universitaire, spécialiste du développement des pays africains.