SenePlus | La Une | l'actualité, sport, politique et plus au Sénégal
2 avril 2025
LEOPOLD SENGHOR
L'ÉTAT VERSE-T-IL PLUS D'UN MILLIARD AUX HÉRITIERS DE SENGHOR ?
Un journal en ligne affirme que les héritiers de l'ancien président percevraient par an, plus d'un milliard FCFA au titre des droits d'auteur de l’hymne national du Sénégal. Qu'en est-il exactement ?
Africa Check |
Assane Diagne |
Publication 14/09/2019
« Plus d’un milliard c’est le montant perçu chaque année par les héritiers de feu Léopold Senghor, auteur de l’hymne national du Sénégal (…). Et ce jusqu’à soixante-dix ans après la disparition du Président », rapporte senedirect.net dans un article publié le 5 avril dernier.
« Pour rappel, cette somme concerne seulement les textes dont Senghor est l’auteur puisque la musique est d’Herber Pepper », précise l’article.
Nous avons enquêté pour savoir si les héritiers du premier président du Sénégal, décédé en 2001, perçoivent effectivement les revenus indiqués au titre du droit d’auteurs pour le texte de l’hymne national sénégalais.
Quelle est la source de cette information ?
L’article de senedirect.net est en réalité une reprise d’un article publié en 2011 par le site d’informations xibar.net. Il y est indiqué que c’est le Bureau sénégalais du droit d’auteur (BSDA) qui verse cette somme de plus d’un milliard de francs CFA aux héritiers de Senghor.
« Interpellée, la directrice (du BSDA) Abibatou Siby confirme : ‘‘ce sont les héritiers du président Senghor qui perçoivent le montant et cela avec les droits post-mortem jusqu’à 70 ans’’ », est-il écrit.
L’article ajoute : « Un exemple assez illustratif, la télévision nationale ouvre et ferme ses émissions avec l’hymne national et verse à chaque fois des redevances. Faites un calcul sur le nombre de fois que ces vers sont utilisés pendant les cérémonies officielles et autres, voilà ce qui explique la fortune empochée par les Senghor pour seulement cette œuvre ».
Le service de communication du ministère de la Culture et de la Communication nous a systématiquement renvoyés vers la SODAV «qui est l’organe exclusif en charge de réguler la question des droits d’auteur».
Le directeur de la Fondation Senghor, Raphaël Ndiaye, a dit ne pas disposer « d’informations suffisantes pour répondre » à notre question. « Rapprochez-vous de la famille (de Senghor) ou de la SODAV », nous a-t-il suggéré, tout comme Malick Ba, le conseiller juridique de la RTS, contrôlée par l’Etat.
« Aberrant et impossible »
« Je peux vous dire que c’est aberrant parce qu’en calculant les droits d’auteur (que nous versons) par an, nous ne faisons même pas un milliard. On ne peut donc pas verser un milliard par an aux héritiers de Léopold Sédar Senghor, ce n’est pas possible », a réagi le directeur juridique et des droits voisins de la SODAV, Youssou Soumaré.
« Je peux vous assurer qu’aujourd’hui, en versant tous les droits confondus, on ne fait même pas un milliard par an », a-t-il insisté.
Africa Check a demandé à M. Soumaré quelle somme exacte est donc versée aux héritiers de l’auteur des paroles de l’hymne national sénégalais.
Il nous a répondu : « Les droits d’auteur ont un caractère salarial, c’est donc un peu compliqué de devoir donner des informations concernant cela. Nous sommes désolés (…), nous avons une certaine limite, un droit de réserve, par rapport à certains éléments ».
Youssou Soumaré a toutefois précisé que le paiement ne fait pas annuellement mais plutôt par semestre. A titre d’exemple, il a dit que le dernier paiement concerne le premier semestre 2015 (six mois) pour montant total de 114,9 millions de francs.
La RTS verse une redevance globale
L’article de xibar.net repris textuellement par senedirect.net, explique en substance que cette somme de plus d’un milliard est atteinte grâce, notamment, au fait que la RTS paye une redevance à chaque fois qu’elle diffuse l’hymne national ; et également à chaque fois qu’il est joué lors d’une cérémonie « officielle et autres », les organisateurs versent une redevance.
« La RTS paye des droits d’auteur, au même titre que les autres radiodiffuseurs », a relevé Youssou Soumaré à Africa Check.
Soulignant un « contrat un peu à part » entre la SODAV et la RTS du fait de la « mission de service public et d’intérêt général » de cette dernière, M. Soumaré a précisé que « la RTS paye les droits sur la base d’un forfait annuel de 25 millions de francs CFA pour l’exploitation de toutes les œuvres du répertoire de la SODAV ».
« C’est un répertoire pluridisciplinaire, il y a de la musique, il y a des œuvres littéraires, il y a des œuvres lyriques, etc. Donc dire qu’un montant est versé aux héritiers de Senghor uniquement pour l’hymne national, ça ne se passe pas comme ça. La redevance de la RTS est une redevance globale », a-t-il expliqué.
S’agissant de la diffusion de l’hymne national lors des cérémonies, le directeur juridique et des droits voisins de la SODAV a confirmé que cela est soumis à un paiement des droits d’auteur. Il a indiqué, à cet égard, que « le caractère officiel ou non (d’une cérémonie) n’est pas un critère déterminant » pour le payement d’une redevance.
« En principe le paiement des droits est une exigence, dès qu’il y a communication au public, sauf en cas de communication dans le cercle familial ou au cours d’un service religieux », a relevé M. Soumaré.
Il a expliqué ensuite que « la Société de gestion collective peut tenir compte de certains critères pour revoir à la baisse les taux applicables au cas où l’Etat est impliqué (dans une cérémonie) en tenant en compte de la mission d’intérêt général ou du caractère social de la manifestation ».
Conclusion : le montant est exagéré
La somme exacte versée aux ayants-droit de Léopold Sédar Senghor, auteur de l’hymne national sénégalais, n’a pas été dévoilée, parce que revêtant « un caractère salarial » donc confidentiel.
Mais le directeur juridique et des droits voisins de la Sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins (SODAV), Youssou Soumaré, a assuré à Africa Check que les redevances versées pour tous les droits confondus n’atteignent même pas un milliard par an.
Le Sénégal ne verse pas plus d’un milliard chaque année aux héritiers de Senghor pour les droits d’auteur des paroles de l’hymne national. La somme est donc exagérée.
par Souleymane Bachir Diagne
L’OR ET LA BOUE
EXCLUSIF SENEPLUS - On peut avoir sur tout penseur des différences - Les argumenter, c’est le mode de fonctionnement qui est le mien. La condition en est de ne pas prêter à quelqu’un des propos qui ne sont pas les siens
Il y a près de vingt-cinq ans, les responsables d’une exposition consacrée au “laboratoire” sous toutes ses formes me demandaient d’écrire une contribution pour le catalogue qui allait accompagner l’événement. Je saisis l’occasion et la liberté qui m’était laissée par les commanditaires d’écrire sur ce que je voulais pour proposer un hommage au travail du professeur Cheikh Anta Diop dans le laboratoire de carbone 14 qu’il a rendu célèbre. Ce texte, que j’ai écrit en anglais, s’intitule « A Laboratory to transmute lead into gold. The legend of the center of low nuclear energies of the Institut Fondamental d’Afrique Noire ». Ce qui se traduit ainsi : « Un laboratoire pour transmuer le plomb en or. La légende du centre des basses énergies de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire. »
Le texte jouait d’une comparaison avec l’ancêtre des laboratoires scientifiques que sont les cabinets des alchimistes qui cherchaient le moyen de transformer le métal le plus vil en or pur. Cette comparaison exprimait le propos suivant : d’un laboratoire fondé sous l’autorité de deux directeurs de l’IFAN, le professeur C.A.Diop avait su faire un trésor. Alors qu’on l’avait empêché d’accéder à l’université en utilisant tous les moyens en commençant par la mention qui avait sanctionné sa thèse, et alors qu’on l’avait exilé dans ce laboratoire, il avait transformé ce bannissement en triomphe et fait de son laboratoire de l’or. On me permettra de me citer en me traduisant en français : « il y a un signe qui ne trompe pas et qui distingue les grands hommes, c’est la capacité de transformer l’exil en royaume. Diop a montré cette capacité. » C’est cette phrase qui est le cœur du texte que j’ai donné pour le catalogue et elle explique le titre d’une contribution qui est un hommage à un homme qui m’a accueilli de manière touchante lorsque mon oncle Pathé Diagne m’a amené le saluer quand je suis rentré au Sénégal. Ce texte, écrit donc il y a plus de vingt ans, je l’avais perdu de vue et n’en avais plus copie lorsqu’il y a quelques mois des collègues de Cape Town en Afrique du Sud m’ont dit vouloir le republier. J’ai donné mon autorisation et leur revue Chimurenga a publié mon vieil hommage. Mon titre originel était long, la revue a opté pour un nouveau titre : « In the den of the Alchemist ». Traduction : « Dans le cabinet de l’alchimiste ».
C’est dans ce texte que Boubacar Boris Diop a découpé de ci de là de quoi fabriquer une attaque qu’il m’attribue contre Cheikh Anta Diop. Ce texte qu’il cite, prenant la pose du défenseur de la statue du commandeur contre une attaque venue de « Bachir Diagne» à qui il est demandé de « permettre », est en fait un éloge et un hommage du même « Bachir Diagne » à celui qui a fait du laboratoire de carbone 14 le symbole qu’il est devenu, et ce texte date de plus de vingt ans ! Le propos que l’auteur présente comme une interview récente n’est pas une interview et n’est pas récent : c’est la reprise, des décennies plus tard, d’un article dont seul le titre a été changé.
Comment effectue-t-on un tel retournement et transmute-t-on donc, pour rester dans le vocabulaire de la chimie, un texte d’éloge et d’hommage à une personnalité en une attaque contre cette même personnalité ? Vous prenez une phrase qui dit exactement ceci en anglais : « Diop a transformé un laboratoire tout à fait ordinaire pour datation de carbone 14 tel qu’il avait créé par Théodore Monod avant d’être complètement terminé par Vincent Monteil en un lieu de légende, un véritable cabinet d’alchimiste », et vous la transformez en ceci : Bachir Diagne dit que ce n’est pas Cheikh Anta Diop qui a créé le laboratoire de carbone 14, mais Monod et Monteil ! Etrange manipulation alchimique qui ne cherche plus l’or mais à faire boue de tout.
La question est : pourquoi ? Pourquoi faire passer un vieil article de plus de vingt ans pour une récente interview ? Transformer un hommage en attaque ? Trafiquer une phrase qui dit que le vrai créateur du laboratoire ce ne sont pas les directeurs qui ont présidé à sa naissance mais l’homme qui en a fait un « lieu de légende » pour lui faire dire le contraire ? Le seul manque de familiarité avec l’anglais n’explique pas la démarche méthodique, préméditée et ultimement sinistre de fabrication de « citations » en oubliant qu’il suffira simplement aux lecteurs de se référer eux-mêmes au texte du journal Chimurenga pour vérifier la vraie nature du propos qui a été tenu. Mes amis qui n’ont jamais pensé un seul instant que les affirmations qui m’étaient prêtées dans « l’interview » qui n’en est pas une pouvaient être miennes m’ont proposé de traduire mon texte en français. Mais à quoi bon ?
Restent deux points qui ne sont pas dans la publication de Chimurenga mais dans mes propos consacrés à la traduction et aux langues africaines. Des points sur lesquels je reviens souvent. Avant de les aborder, une remarque. Quand quelqu’un dit qu’il se permet « deux coups de griffe » pour annoncer un désaccord, c’est parce que son respect pour l’œuvre dans sa totalité, et pour la personne lui commandent ce langage. C’est un langage de précaution pour dire qu’on se permet respectueusement une critique et voilà que cela est encore transformé alchimiquement en une ironie désinvolte et irrespectueuse. Sur ce chapitre on peut me faire toutes sortes de critiques mais je ne crois pas avoir la réputation d’être irrespectueux.
Le premier point est donc qu’alors qu’ils partagent tous les deux la même ferveur panafricaniste d’un nécessaire remembrement de l’Afrique, Ngugi Wa Thiong’o insiste pour dire que ce remembrement se fera dans le pluralisme linguistique, l’unité se réalisant par la traduction, quand Cheikh Anta Diop insiste sur la nécessité du choix d’une langue d’unification. Les deux positions se défendent dans une discussion honnête et celle qui considère une langue comme instrument d’unification est en effet la définition du jacobinisme. Je penche pour ma part pour le remembrement sur la base du pluralisme linguistique et d’une philosophie de la traduction. Penser ainsi est commettre un blasphème? Avons-nous donc affaire à une religion ?
Le deuxième point concerne la traduction justement. Pourquoi dire que la traduction de la théorie de la relativité dans toute langue, en wolof en particulier n’est pas aussi compliquée que la complexité et le caractère abstrait de la théorie le laisserait supposer ? Autrement dit pourquoi est-il plus compliqué de traduire de la poésie que des sciences logico-mathématiques ? La raison pour laquelle la difficulté de traduire est fonction directe du contenu empirique de ce qu’on traduit est qu’un formalisme logique est sa propre langue et se traduit tout seul. Quand vous traduisez une démonstration vous ne traduisez pas le langage des signes dans lequel cette démonstration se conduit mais le métalangage, autrement dit le commentaire en langue naturelle qui accompagne la procédure. Vous traduirez « on en déduit que », « si je pose… », « alors il vient… » et non pas le déroulement de l’argument qui se passe dans un système de signes universels. Une démonstration formelle conduite en langue ourdoue au tableau sera comprise par tous ceux qui assistent à celle-ci sans connaître cette langue pourvu qu’ils comprennent les procédures formelles écrites au tableau. Pourquoi donc dire que plus la théorie est abstraite et réalisée dans la langue formulaire, moins il est compliqué de la traduire ? Parce que c’est vrai. Faut-il donc s’interdire de conclure à ce que l’on tient pour vrai sur la traduction des systèmes formels ? Derechef, avons-nous affaire à une religion ?
On peut avoir sur tout sujet et sur tout penseur des différences. Les exprimer comme telles, argumenter et contre argumenter, c’est le mode de fonctionnement du monde académique qui est le mien. L’honnêteté en est la condition, qui est d’abord de ne pas prêter à quelqu’un des propos qui ne sont pas les siens. « Bachir tu permets ? », m’a-t-il été demandé. Ma réponse est : « je vous en prie » !
Pauvres Césaire et Senghor ! Le bilan de 60 ans d’indépendance africaine fait mentir l’optimisme de la Négritude, au risque de donner à penser que nos sociétés restent malades de tares ancestrales que nous ne nous avouons pas
24 heures au Bénin |
Roger Gbegnonvi |
Publication 26/08/2019
Dahoméen vieilli à l’ombre des écoles, vous posez aux jeunes pousses béninoises dotées du baccalauréat la question : « Qu’est-ce que la Négritude ? » L’on vous répond : soit « je ne sais pas », soit « né… quoi ? » Car en 2019, élèves et étudiants béninois ignoreraient jusqu’au nom du mouvement créé par Césaire et Senghor à Paris autour de 1930 pour marteler que les Noirs de par le monde ne sont pas des parias. Hors-jeu, la Négritude ?
En 1960, à l’aube des indépendances africaines, cette Négritude fut le bonheur des élèves et étudiants, aujourd’hui parents et grands-parents. Avec Senghor nous chantions : « Femme nue, femme noire / Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté ! / J’ai grandi à ton ombre. » Avec Césaire nous admirions « nos vieilles sociétés. / C’étaient des sociétés communautaire, jamais de tous pour quelques-uns. / C’étaient des sociétés pas seulement anté-capitalistes, […] mais aussi anti-capitalistes. / C’étaient des sociétés démocratiques, toujours. / C’étaient des sociétés coopératives, des sociétés fraternelles. »
Rêve ou réalité ou lyrisme à foison ? Car Césaire précise : « Je fais l’apologie systématique des société détruites par l’impérialisme. » Dont acte. Car le bilan de 60 ans d’indépendance ne plaide pas pour l’anticapitalisme ou pour la démocratie au regard de Bokassa, Idi Amin Dada, Mobutu et consorts. Ni pour la fraternité au regard de nos conflits ethniques : le génocide sur les Tutsis effleura le génocide sur les Juifs. Ni pour « la femme noire » au regard de sa dépigmentation voulue pour ‘‘faire la Blanche’’. Et nos enfants et petits-enfants grandissent noirs à l’ombre de femmes occupées à se décolorer à coup d’onguents, de comprimés, de pilules et d’injections pour se débarrasser de la mélanine. Car en 1952, Frantz Fanon, psychiatre et petit-fils d’esclaves, a écrit : « Le Noir veut être comme le Blanc. Pour le Noir, il n’y a qu’un destin. Et il est blanc. Il y a de cela longtemps, le Noir a admis la supériorité indiscutable du Blanc… » Au point de traiter comme maladie honteuse la couleur noire de sa peau ? Les enfants grandis en voyant Maman se dépigmenter se dépigmenteront. Pauvres Césaire et Senghor ! Car le bilan de 60 ans d’indépendance africaine fait mentir l’optimisme de la Négritude, au risque de donner à penser que nos sociétés restent malades de tares ancestrales que nous ne nous avouons pas pour n’avoir pas à les corriger, que nous cachons sous un tollé d’ « apologie systématique » face au Blanc, tout en œuvrant, dit Fanon, pour que « tous nos efforts tendent à réaliser une existence blanche ». Et nous ne nous avouons pas non plus le terrible fiasco de cette singerie.
La Négritude à la Césaire et à la Senghor fut une école de pensée pour traverser, à peu près debout, les souffrances de la colonisation après les souffrances de l’esclavage. Cette école est révolue. Nous devons en ouvrir une autre pour une conscience nouvelle. Il faut réinventer la Négritude. Une autre Négritude. Dynamique. Créatrice. La tâche s’en impose à nous. Et nous ne l’accomplirons pas en nous proclamant marxistes-léninistes, car aucun membre de notre intelligentsia n’a été dans l’étude et dans l’abnégation au chevet de notre prolétariat ou de notre paysannerie en quête pour eux d’un sort meilleur. Et nous ne l’accomplirons pas en nous affichant chrétiens catholiques ou réformés, car nos ancêtres n’ont pas participé aux luttes sanglantes qui ont départagé les tenants de l’Evêque de Rome et les tenants du moine allemand Martin Luther. La tâche à faire, nous l’accomplirons en nous arrimant à Aimé Césaire : « car il n’est point vrai que l’œuvre de l’homme est finie / que nous n’avons rien à faire au monde / que nous parasitons le monde / mais l’œuvre de l’homme vient seulement de commencer / et il reste à l’homme à conquérir toute interdiction immobilisée au coin de sa ferveur. » Oui. Réflexion et action. Foi et ferveur.
QUE RESTE-T-IL DE SAVOIGNE, UTOPIE VILLAGEOISE DU SÉNÉGAL DE SENGHOR ?
Situé à une trentaine de kilomètres de Saint-Louis, Savoigne a été un lieu d’expérience en matière de politique de développement dans les années 1960
Ceux, et ils sont rares, qui ont entendu parler du village de 2 000 habitants, situé à une trentaine de kilomètres au Nord de Saint-Louis, l’associent à l’usine de conditionnement de tomates qui en jouxte l’entrée. Savoigne, qui a fêté le 11 novembre ses 51 ans, est pourtant bien plus que cela : le résultat de la politique de développement national et d’animation rurale lancée par le président sénégalais Léopold Sédar Senghor après l’indépendance du pays en août 1960.
L’armée sénégalaise au service du développement
La promotion de l’agriculture, la lutte contre l’exode rural et la mobilisation de la jeunesse – les moins de 25 ans représentent 60 % de la population totale au Sénégal dans les années 1960 – constituent les maîtres mots du projet de développement sénégalais.
C’est dans ce cadre que l’armée nationale, incarnée en particulier par son chef d’état-major, le général Jean Alfred Diallo, propose en 1964 la création d’un village pilote dans la région de Saint-Louis. L’objectif initial est de prodiguer à une centaine de jeunes pionniers une triple formation agricole, intellectuelle et militaire.
Sur le papier, le projet est ambitieux : un chantier-école est installé dans la région de Savoigne, encadré et supervisé par l’armée. Après deux années, le chantier doit se transformer en un village coopératif dans le cadre de l’animation rurale, pierre angulaire du plan de développement des autorités sénégalaises de l’époque. Les pionniers sont censés acquérir quelques parcelles de terres qu’ils s’engagent à cultiver et à faire prospérer.
En octobre 1964, un appel est lancé dans le journal Dakar Matin, proche du pouvoir « senghorien ». Les jeunes hommes célibataires âgés entre 16 et 20 ans sont appelés à venir s’engager pour le chantier de Savoigne. « Devenir un citoyen utile capable d’assurer son destin individuel », telle est la maxime que ne cessent de répéter les promoteurs du projet. 150 pionniers sont alors recrutés, principalement dans la région de Podor, au nord du pays, frappée depuis le début des années 1960 par une grande sécheresse. Les jeunes recrues débarquent à Savoigne le 11 novembre 1964, où 500 hectares de terrains attendent d’être cultivés.
La vie au camp
Une discipline de caserne règne sur le camp. Un lieutenant de l’armée sénégalaise fait office de commandant de la compagnie, secondé par deux adjudant-chefs. Le chantier-école est divisé en trois sections de cinquante recrues dirigées par trois sergents.
Malick Bâ, ancien pionnier vivant maintenant à l’entrée du village, se rappelle de l’emploi du temps réglé comme une horloge. Les recrues sont réveillées au clairon à 6 heures du matin pour arroser les cultures. S’en suit un footing et quelques exercices entre 7 heures et 8 heures du matin, avant de se rassembler sur la place centrale du camp pour un appel sous le drapeau.
Le petit-déjeuner rapidement avalé, les jeunes sont répartis pour la journée à diverses tâches (cultures, travaux publics, intendance) jusqu’à la fin de l’après-midi. La journée se termine par des cours d’alphabétisation jusqu’à la nuit tombée.
Les week-ends sont chômés à tour de rôle par les sections de pionniers. C’est le temps des permissions, les jeunes peuvent enfin quitter leur uniforme militaire pour des vêtements civils et rejoindre Saint-Louis pour la journée. Des photos récupérées à Savoigne montrent les pionniers en tenue citadine, chemise ouverte, lunettes de soleil et jeunes filles au bras.
« Compter sur ses propres forces » : mise au travail des pionniers
Les travaux engagés à Savoigne se répartissent entre les chantiers de travaux publics (routes, bâtiments administratifs, puits) et les chantiers agricoles. La plus grosse construction des pionniers est sans nul doute la réalisation d’un pont traversant la rivière Lampsar et pouvant supporter plus de quinze tonnes de charge. Malgré la mort d’une recrue qui se noya pendant la réalisation des travaux, l’ouvrage est inauguré en grande pompe par le président Senghor en personne, en juillet 1965.
Au niveau agricole, les résultats sont notables. Dans une zone entourée de nombreux marigots, Savoigne offre un endroit propice pour tout un ensemble de cultures. C’est plus de 11 km de digues qui sont érigées pour préparer le terrain aux cultures et à la production de plusieurs tonnes annuelles de riz paddy, tomates, pommes de terre et autres fruits (ananas et bananes principalement).
Au titre des accords de coopération entre la France et le Sénégal signés après l’indépendance, Erwan le Menn, ingénieur agronome breton, est envoyé à Savoigne pour former les pionniers aux techniques agricoles.
Du chantier-école au village autonome
Selon les termes du contrat passé avec l’armée, le camp doit normalement être transformé en village autonome le 11 novembre 1966. En théorie, les terres doivent être remises aux pionniers qui se sont engagés à se sédentariser à Savoigne.
Cependant, après deux années d’expérience, les autorités sénégalaises jugent le passage de témoin encore prématuré. Les habitations ne sont pas terminées, la formation agricole reste rudimentaire et de nombreux pionniers sont jugés encore trop jeunes pour être livrés à eux-mêmes.
Le 7 novembre 1966, soit une semaine avant la libération théorique du chantier, le commandant du camp prévient les recrues que l’encadrement militaire et le chantier sont prolongés d’un an. Les pionniers se sentent trahis. Après consultation de l’ensemble des jeunes, soixante se déclarent volontaires pour continuer l’expérience, quarante sollicitent des délais pour consulter leurs parents, et le reste du camp se déclare hostile à cette mesure, réclamant l’autonomie effective du village, sans plus de délais.
Au lendemain de cette décision, un mouvement de fronde s’organise. Les pionniers refusent de se rendre au travail, et dans la nuit du 7 au 8 novembre 1966, plusieurs parcelles de cultures sont mises à sac. Près d’une cinquantaine de pionniers sur 150 quittent finalement le village.
Ceux qui restent, à l’image d’Alioune Diaye ou de Seydou Dia, actuel chef du village, bien que déçus d’avoir été trompés par les autorités, gardent l’espoir de recevoir les parcelles promises pour continuer leurs cultures.
La fin d’une utopie ?
Décrite par les autorités comme une réussite mais décriée par certains pionniers déçus, l’expérience de Savoigne demeure originale à plus d’un titre. Du côté des autorités sénégalaises, elle symbolise à l’échelle locale la ligne de conduite de la politique de développement du pays, tournée avant tout vers la lutte contre l’exode rural et la dynamisation des terroirs. Du côté des pionniers, Savoigne constitue une étape de vie pour cette centaine de jeunes qui partagèrent leur quotidien pendant près de trois années.
Mais l’expérience ne s’arrête pas là. Au lendemain de la transformation du chantier en village autonome, les pionniers décident de se constituer en association pour garder contact entre eux et faire vivre la mémoire du village. En 2014, pour les 50 ans de la création du village, des dizaines d’anciens, vivant pour certains dans plusieurs autres pays d’Afrique de l’Ouest, ont fait le déplacement jusqu’à Savoigne.
Romain Tiquet est Historien
Article datant de novembre 2015
PAR Seydou KA
PENSER L'AFRIQUE NOIRE
Dans cet ouvrage posthume d’Alassane Ndaw qui vient de paraître chez L’Harmattan Sénégal, l’auteur développe l’idée que la philosophie africaine se décline moins comme un fait attesté que comme un programme à réaliser - NOTE DE LECTURE
Dans « Penser l’Afrique noire », l’ouvrage posthume d’Alassane Ndaw qui vient de paraître chez L’Harmattan Sénégal, l’auteur développe l’idée que la philosophie africaine se décline moins comme un fait attesté que comme un programme à réaliser.
Comme dans la vieille tradition hippocratique, l’élève s’est effacé autant que se peut devant la figure paternelle du maître. Ce samedi 6 juillet, devant un parterre de philosophes et d’universitaires présents dans la grande salle de L’Harmattan à Dakar pour la présentation du tome 3 de son ouvrage intitulé « L’heur de philosopher la nuit et le jour. Quand philosopher c’est vivre », Djibril Samb a peu parlé de son livre, préférant axer son intervention sur l’ouvrage posthume d’Alassane Ndaw, son ancien maître. Cet ouvrage intitulé « Penser l’Afrique noire » (L’Harmattan Sénégal, 2019, 292 p.) a été présenté lors de la même cérémonie.
Ce livre est à la fois un hommage et l’aveu d’une mission que l’élève (Djibril Samb) a reçue de son défunt maître (Alassane Ndaw). En effet, comme il le précise dans la préface, c’est en 2010 que le « doyen » lui confia l’édition d’un recueil de ses textes et lui demanda expressément de rédiger, à cet effet, outre une introduction, une préface. « Qui suis-je pour préfacer Alassane Ndaw », s’était écrié l’élève ? Dès lors que Ndaw lui assura qu’il avait toute la liberté de conduire ce travail éditorial et qu’il ne manifesta « la moindre impatience », il était convenu qu’il n’y aurait « aucune contrainte de temps » pour mener ce travail. A vrai dire, confie rétrospectivement Samb, le doyen Ndaw avait « un soupçon de préscience » que cet ouvrage serait posthume. Lui-même (Samb) craignait de ne « jamais pouvoir réaliser ce projet » à cause d’une santé précaire. A l’arrivée, l’élève s’est brillamment acquitté de cette tâche, notamment à travers un substantiel Prologue qui sert de fil conducteur à l’ouvrage et donne une cohérence d’ensemble aux textes qui abordent des thématiques différentes.
Une puissante synthèse entre tradition et modernité
Pour ce projet éditorial, Djibril Samb n’a pas varié dans sa méthode, appliquant le summum de la rigueur : vérifier systématiquement toutes les citations à la source et faire les recherches les plus étendues sur l’auteur afin d’établir une biographie « rigoureusement contrôlée » de celui qui fut le premier philosophe de l’Afrique occidentale française (Aof). L’élève n’hésite pas aussi à remettre certaines choses à l’endroit comme, nous le verrons, à propos de la revendication « indue » de Ndaw pour son appartenance au courant de l’ethnophilosophie. L’ouvrage, « Penser l’Afrique noire », se présente donc comme un ensemble de quatorze textes déjà publiés ou inédits, auxquels s’ajoutent un quinzième constituant l’Épilogue qui fut à l’origine une préface de Ndaw au livre d’art d’Olivier Föllimi, « Hommage à l’Afrique » (Paris, Éditions de la Martinière, 2010, 336 p.). Voilà pour ce qui est de la forme.
Pour le fond, l’ouvrage constitue « une puissante synthèse entre tradition et modernité, entre pensée africaine et philosophie occidentale, en vue d’aboutir à la définition d’une personnalité culturelle capable, en surmontant tout déchirement, de se remembrer ». Autrement dit, créer l’herméneutique (théorie de la lecture, de l’explication et de l’interprétation des textes) en la faisant, c’est-à-dire expliciter et interpréter les traditions culturelles africaines en assumant son double héritage africain et occidental.
Aux négateurs de la philosophie africaine -tout comme à ses partisans-, Ndaw répond que le problème de l’existence d’une philosophie africaine est une question philosophique, « car il faudrait résoudre d’abord le problème de la définition et de l’identité du philosophique » (p. 215). Ainsi, à l’heure des premiers traités de philosophie africaine (Biyogo a rédigé le sien, Djibril Samb est en train de faire de même), l’ouvrage d’Alassane Ndaw apporte une contribution essentielle au débat. Du reste, le débat sur la philosophie africaine, et notamment sur la question de son existence, « en a jeté les fondements », nous expliquait Djibril Samb dans un entretien au « Soleil ». « Les remises en cause de son existence sont, paradoxalement, de la matière fécondante. L’un des charmes de la philosophie africaine, c’est justement sa propension à se placer devant un miroir pour se regarder, avant de se demander si elle ne serait pas plutôt autre chose qu’elle-même ».
C’est donc avec autorité que Ndaw vient, à titre posthume, apporter sa pierre à l’édifice. En effet, à la suite du Belge Franz Grahay, critiquant le livre du Père Tempels (« La philosophie bantoue »), une vive controverse, à propos de l’expression « philosophie africaine », s’engagea entre spécialistes africains.
Rappelons brièvement les positions. Les contempteurs de cette expression (Samuel Hountondji, Marcien Towa) déclarent que la reconstruction d’une vision du monde collective et inconsciente, d’une sagesse informulée, sous-jacente aux coutumes d’une ethnie, à son organisation, à ses coutumes et à ses légendes, voire aux structures de ses langues, ne mérite pas le nom de philosophie. D’autres (notamment Senghor) contestent le caractère étroit d’une philosophie qui se définit exclusivement à travers des concepts abstraits. S’appuyant sur Roger Garaudy, le poète sénégalais défend la thèse selon laquelle la philosophie se fait « à la fois regard jeté sur les devanciers et vue sur les valeurs spirituelles du présent et sur la vie qui se poursuit (Ndaw, p. 217).
Une revendication « indue » à l’ethnophilosophie
Dans ce débat, Ndaw est classé parmi les ethnophilosophes et critiqué comme tel – lui-même ne dédaigne pas une telle classification et semble la revendiquer. Or, souligne Djibril Samb, dans son ouvrage majeur, « La pensée africaine. Recherches sur les fondements de la pensée négro-africaine », Alassane Ndaw « se détourne résolument de l’ethnophilosophie telle qu’elle est communément entendue », c’est-à-dire une tentative d’exhumer une philosophie « déjà là, disséminée dans la conscience collective ».
Sur les raisons de cette revendication « apparemment indue », Samb avance deux pistes d’explication : le contexte polémique d’élaboration de celle-ci et le poids de l’urgence des prises de position sommaires et la « sommation idéologique » de la négritude senghorienne à la recherche d’une onction philosophique authentique.
Dans tous les cas, pour Alassane Ndaw, la philosophie africaine contemporaine ne devrait pas s’épuiser à restituer ou à reconnaître le passé. Sans cesser d’être rétrospective, elle doit être principalement prospective. Toutefois, met en garde l’auteur, dans cette attitude prospective, le philosophe africain évitera de confondre idéologie et philosophie en s’alignant sur un militantisme politique ou une dogmatique religieuse. « Il devra, au contraire, innover chaque fois que l’objet particulier de ses recherches le requiert. » C’est pourquoi, souligne Djibril Samb dans le Prologue, la philosophie africaine n’est pas une donnée « mais une promesse ». Il s’agit d’un travail « d’interprétation et de valorisation, d’élucidation et de déchiffrement des significations des créations spirituelles – ce qui est autre chose qu’établir une sorte d’encyclopédie ».
« Ndaw ne recherche pas un passé mort pour l’ériger en ‘’philosophie’’, mais plutôt un passé vivant pour en faire un objet de confrontation, une épreuve dans son expérience philosophique personnelle » (p. 14). L’approche révèle un caractère plutôt programmatique. « Il n’existe pas ‘’quelque chose’’ qui serait la philosophie africaine. Il est cependant sûrement ‘’quelque chose’’ qui peut être soumis à un déchiffrement de son sens, à une lecture philosophique » (p.15). Ce ‘’quelque chose’’ c’est la culture africaine. Mais il ne peut en être fait « ni lecture philosophique, ni déchiffrement de sens avant la création préalable d’une herméneutique ». C’est donc bien à tort, estime Djibril Samb, qu’un Marcien Towa a pu reprocher à Ndaw, à l’instar de l’ethnophilosophie, de « dilater le concept de philosophie au point de superposer sa compréhension avec celle de culture ».
Une promesse plutôt qu’une donnée
En réaffirmant son double attachement à la tradition philosophique occidentale et à un contenu matériel (la culture africaine), Ndaw reste « sur le même terrain que la tendance critique qui ne dit pas autre chose ». Paradoxalement, en reprochant à Tempels d’avoir « repensé » la philosophie bantu « dans le cadre du thomisme » et d’avoir ainsi échoué à la cerner dans son originalité, Ndaw « se révèle », à travers cette critique même, « tempelsien en ce sens précis, mais capital, qu’il admet moins sa construction théorique – compromise par un outillage inadéquat – que son inspiration fondatrice », souligne Djibril Samb. Aux yeux de Ndaw, l’enjeu programmatique majeur de la philosophie africaine consiste précisément à essayer « de donner un fondement conceptuel à la vision de la réalité propre aux peuples d’Afrique » en s’appuyant sur une réflexion en quelque sorte analogue à l’ontologie, qui prendrait la « force » comme concept moteur dans une perspective herméneutique.
Selon Djibril Samb, bien loin de décerner une attestation d’existence à la philosophie africaine, à l’instar de Senghor, Alassane Ndaw s’efforce plutôt de montrer que le terme philosophie ne peut s’appliquer rigoureusement aux doctrines africaines. Autrement dit, la philosophie africaine n’est pas « déjà là », enfouie dans la culture et la civilisation africaines ; elle est « comme une promesse, comme un possible, qui ne peut cependant advenir d’elle-même dans la mesure où la médiation d’une « instauration thétique » est absolument nécessaire pour passer de « l’intuition du monde au concept philosophique ».
par l'éditorialiste de seneplus, ousseynou bèye
MOMAR, POURQUOI TANT DE FAUSSE CANDEUR ?
EXCLUSIF SENEPLUS - C’est au nom d’un panafricanisme chloroformé, qui fait fi de ces antagonismes réels que tu voudrais nous embarquer dans une solidarité automatique avec « l’Africain » Aliou Sall
Ousseynou Bèye de SenePlus |
Publication 03/07/2019
Pour donner suite à notre réaction à une lettre ouverte qu’il avait adressée à « un frère panafricaniste », El Hadj Momar Samb, secrétaire général du RTA/S, a commis une longueRéponse à Ousseynou Bèye « dans le seul but de participer à la clarification du débat sur une question d’actualité ». La question d’actualité, c’est celle du pétrole qui pollue ces derniers temps l’atmosphère, doublée de ce qu’il appelle « une soi-disant lutte contre la corruption. »
Clarification obligeant, nous allons devoir, à notre corps défendant, reprendre la plume, en espérant que ce sera pour la dernière fois. Et nous risquons d’être aussi long que notre ami.
Mais, Momar, si tu veux bien, on va d’abord évacuer la question « qui n’apparaît nulle part dans (ton) propos » (« la défense d’Aliou Sall ») et celle qui n’en serait pas « la raison essentielle » (le panafricanisme). Et là, je vais être obligé de te reprendre (à nouveau) lorsque tu affirmes : «… L’affaire est annoncée (par BBC) le vendredi et dès le lendemain la machine est mise en branle pour mobiliser les Africains contre un autre Africain, sans douter le moins du monde, sans mettre en branle notre réflexe panafricaniste. C’est tout de même curieux !... »
Tout ton raisonnement s’articule ainsi : prenons la défense de notre compatriote, « l’Africain » (qui s’appelle ici Aliou Sall), face à l’assaut de l’ennemi étranger (en l’occurrence BBC), et cela, par « réflexe panafricaniste » ! (je reprends tes mots). C’est clair, Momar, pour toi il faut défendre Aliou Sall, au nom du panafricanisme.
Fallait-il laisser passer cet empressement à défendre un accusé (qui, je te le concède volontiers, doit bénéficier de la présomption d’innocence), sans chercher à savoir s’il est ou non coupable ? Fallait-il passer l’éponge sur cette vision étriquée du « panafricanisme » qui, encore une fois, met tous les originaires du continent… dans un même sac ? Non, Momar, ce n’est pas ton modeste serviteur qui « érige deux camps » parmi les Africains ou les panafricanistes. Cette lourde réalité-là, c’est le résultat de l’Histoire. Les Africains, pas plus que les Européens, les Asiatiques ou les Américains ne forment un bloc monolithique. Tu le sais bien : les clivages au sein des communautés, des sociétés, est un effet de leur cheminement historique, à travers les conquêtes, l’esclavage, les colonisations, les guerres civiles pour le pouvoir, etc.
Les envahisseurs étrangers se sont toujours appuyés sur leurs suppôts internes. Je suis désolé : Patrice Lumbuma et Maurice Mpolo n’étaient pas du même camp que Désiré Mobutu et Moïse Tschombé ; et il existe bel et bien un panafricanisme « Antaiste » qui montre la voie de la libération, de l’unité et du développement de l’Afrique, et un autre, « Senghorien » qui se soucie avant tout de « Pardonner à la France…» ! Il en est ainsi, que tu le veuilles ou non, et cela n’a rien à voir avec une simple vue de l’esprit d’un militant que tu crédites aimablement d’une certaine expérience syndicale et politique.
Le propos est donc clair : c’est au nom d’un panafricanisme chloroformé, qui fait fi de ces antagonismes réels que tu voudrais nous embarquer dans une solidarité… automatique avec « lecompatriote », « l’Africain ». Telle est la trame de ton propos, et face à cette entreprise d’embrigadement forcé, nous nous insurgeons pour dire : Non !
Le cadre du débat étant bien rétabli, venons-en à tes questions « éclatées ».
1ere question : « En quoi le rachat des actions de Timis par Cosmos, ensuite par BP a-t-il pu faire perdre de l'argent au Sénégal ? »
Mais, pourquoi, à ton tour, ne commences-tu pas par le commencement ? Ces actions en question auraient-elles appartenu de tout temps au revendeur Timis ? Leurs conditions d’acquisition par ce dernier ne seraient-elles pas un sujet intéressant de discussion ? A moins qu’il ne s’agisse là d’une question sur laquelle on voudrait « fermer les yeux » ? Et pourtant nous sommes ici au cœur du problème qui nous préoccupe, à savoir si cette transaction est oui ou non un bradage des intérêts du peuple sénégalais ! Ce qui choque, c’est bel et bien le modus operandi savamment et illégalement mis en place par M Frank Timis (qui serait un délinquant, un repris de justice) qui a bien spolié l’Etat sénégalais de ses ressources. Faut-il te rafraichir la mémoire sur ce stratagème consistant à mettre dans sa poche le fils de… ou le frère de… ? Le procédé, déjà utilisé ailleurs en Afrique, comme chacun sait, est toujours d’une redoutable efficacité.
Sans doute vas-tu me reprocher d’être « hors sujet » mais ne trouves-tu pas intéressant que l’on se mette à parler au même moment de Plan Gabon Emergent, Plan Congo Emergent,… Plan Sénégal Emergent ? La leçon à en tirer : les politiques et décisions qui engagent l’Afrique sont hélas, souvent prises ailleurs qu’en Afrique, avec des perspectives diamétralement opposées aux intérêts de notre continent.
Imagine un instant, que le (re)vendeur ait été non pas Timis, mais l’Etat sénégalais, agissant au nom et pour le compte du peuple sénégalais : où seraient alors passés les gains générés ? Certainement pas dans les poches de Frank Timis et de ses complices… sénégalais !
Puisque tu en parles, tu dois savoir que l’homme d’affaires roumain a récolté un bon paquet de 250 millions de dollars (soit près de 140 milliards de francs CFA) dans cette affaire, et cela rien que pour les 30 pour cent d’actions qui lui revenaient encore et sans compter les royalties étalées sur plusieurs décennies. Nous apprenons tout cela, non pas grâce à un gouvernement soucieux du principe de redevabilité vis-à-vis de ses mandants, notamment via son site officiel mais bien par les récents aveux du groupe BP, après le tollé suscité par le documentaire de… BBC ! Au grand dam, il faut bien le dire, de M. Aliou Sall et de ses sympathisants !
2eme question : « En quoi de supposées redevances lors de la cession de parts entre les acheteurs Cosmos, BP et le cédant Timis auraient-elles fait perdre de l'argent au Sénégal ? »
Question surréaliste, mais il faudra bien y répondre, clarification oblige.
Avant de passer aux aspects financiers - car tout n’est quand même pas une affaire d’argent dans le sujet qui nous occupe – permets moi une remarque préjudicielle : pourquoi devrions-nous accepter sagement que des négociants venus de nulle part se relaient nos biens jusqu’à ce que le dernier offrant vienne nous soumettre à son diktat ? Faut-il sous le fallacieux prétexte que nous ne perdrions pas de l’argent laisser piétiner notre souveraineté nationale ? Cette assertion selon laquelle on n’y perdrait pas de l’argent est du reste fausse, et nous allons essayer de le démontrer.
D’abord, il ne s’agit pas de «supposées redevances », mais bien, selon les dernières révélations de La Lettre du Continent, de royalties en espèces sonnantes et trébuchantes, indexées sur le prix du pétrole, sur quelques décennie. Il est vrai que ce n’est pas dans ta besace, Momar, qu’elles vont trébucher, ces pièces sonnantes, mais les intéressés, eux, pas naïfs pour un sou, ne douteront pas de la réalité palpitante de ces redevances.
Tu le sais : à l’occasion de cette transaction l’Etat sénégalais a dû renoncer à son droit de préemption. Droit qui lui aurait permis de s’imposer comme acquéreur… de ses propres biens, pour pouvoir ensuite en disposer selon ses intérêts. J’ose espérer que tu conviendras bien avec moi que c’est là bien évidemment une très, très grosse perte pour le Sénégal ?
Et tu dois aussi savoir que l’Etat sénégalais aurait dû au moins encaisser ses impôts et taxes, comme dans toute transaction faite dans la transparence. Ce qu’il s’est interdit de faire... Pourquoi ? Et qu’on ne vienne pas nous dire que ces opérations seraient exemptes d’impôts parce que réalisées dans la phase d’exploration ! Qu’est-ce-que Timis a exploré ? Nous avons affaire à un spéculateur, expert en la matière, qui s’est enrichi, certes en courant des risques (bien calculés), mais qui n’a pas foré le plus petit trou, comme dirait Mody Niang, le redoutable chroniqueur.
Pourtant le chef de l’Etat, dépositaire du mandat populaire, maître de la décision, a été prévenu par les inspecteurs de l’IGE, dans leur fameux rapport, rédigé… sept ans auparavant, n’est-ce-pas, Momar ? Ce rapport qui aurait fait… sept longues années, sans finir de parcourir les couloirs de la présidence de la République en vue d’atterrir auprès de son auguste destinataire. Et dire que la trouvaille du « Fast-track » a été justifiée par le fait que les courriers officiels mettaient huit longues journées pour traverser l’Avenue Léopold Sédar Senghor ! Cette lenteur administrative a précisément servi d’alibi pour supprimer la Primature.
3eme question : « En quoi les salaires et primes d'un compatriote quand il travaillait pour Timis auraient-ils fait perdre de l'argent au Sénégal ? »
On pourrait se demander ce que viennent faire dans cette « polémique » les salaires et primes d’un « compatriote » « qu’on ne défend pas » et qui, sous ta plume, perd jusqu’à son identité. Le pauvre !
Mais parlons-en donc : crois-tu, encore une fois, camarade, que tout s’apprécie en termes d’argent ? Ce compatriote sans nom, aurait-il seulement dû toucher le plus petit franc CFA dans cette affaire, quand on sait qu’il était un fonctionnaire de l’Etat, payé par celui-ci pour défendre ses intérêts ? Etait-il en mesure de s’acquitter de cette tâche régalienne dans ces conditions ? Aurait-il même été dans cette situation privilégiée s’il n’avait pas été le frère de… ?
Avant de passer au point suivant, nous sommes en droit de nous demander si Momar a cherché à savoir si le quidam en question est passé aux guichets du Trésor public pour y laisser les taxes sur salaires qui revenaient à l’Etat sénégalais ? Le cas non échéant, voilà ce que l’Etat du Sénégal aurait perdu encore dans l’affaire.
Il y a tout de même lieu, nous semble-t-il, de se demander encore : comment se fait-il que ces questions de toute évidence n’aient pas effleuré l’esprit de Momar ? Ce n’est pas bizarre, tout ça ? Veux-tu alors, à ton tour, constater ma grande affliction devant tant de … candeur ? Mais comme il ne s’agit que d’ « une soi-disant corruption »… Sans vouloir défendre qui que ce soit…
4eme question que Momar n’a pas posée mais que lui nous rajoutons volontiers à sa liste d’interrogations : Au cas où le virement de 250.000 dollars à la société de M. Aliou Sall était avéré, alors que cette somme serait censée couvrir des impôts et taxes sur quelque transaction, en quoi le Sénégal aurait-il perdu de l’argent ?
Je te laisse répondre à cette dernière question que tu n’as pas posée.
Nous espérons seulement, là encore, ne pas être encore hors-sujet, au risque de voir la plume du maître biffer rageusement notre copie. Et si malgré tout nous étions au cœur des véritables interrogations ?
Ah ! Oui, Momar nous indique même par où nous aurions dû commencer notre propos pour lui porter la contradiction, lorsque nous lui manifestons notre accord sur sa mise en garde (« éviter d’être les tirailleurs de BBC »). Pour notre part, ce qui ne nous rassure pas, c’est que tu prennes quand même quelques libertés dans les citations que tu fais, en les coupant de manière à les tronquer ; car nous n’avons pas manqué de préciser : « … Pour autant, devrons-nous être les complices de cette reconquête silencieuse et sournoise du néocolonialisme ? Nous faire les porte-voix d’un nationalisme de mauvais aloi ? ». L’envahisseur étranger (le colonisateur, le néo-colonisateur) s’est toujours servi d’un « cheval de Troie » pour accomplir son œuvre de domination. Voilà pourquoi ton pathétique appel à l’union nationale face au péril étranger ne pourrait être pertinent que dans la mesure où le grain serait séparé de l’ivraie.
Et nous refusons de fermer les yeux sur cette entreprise de reconquête néocoloniale qui se mène au grand galop sous nos cieux, au vu et au su de tout le monde. Et cet accaparement de nos ressources nationales n’est qu’une étape (décisive cependant, si l’on n’y prend garde) de cette vaste entreprise. Oui, Momar, nous sommes en danger ! Nous en sommes bien conscient. Par contre, nous sommes plutôt inquiet quand nous constatons que des gens aussi intelligents et expérimentés que toi, ne voient ce danger se former qu’avec… la vidéo de BBC ! Le danger est autrement plus réel que dans cette coïncidence de dates anecdotique entre la sortie de cette vidéo et la tenue des assises du Dialogue National. Car tu ne peux ignorer que cette sortie aurait pu intervenir avant la dernière élection présidentielle de mars 2019. Le ver était déjà dans le fruit.
Pourquoi une telle cécité ?
En un mot : dénoncer la campagne de BBC ne devrait pas dispenser le patriote conséquent de combattre Frank Timis et ses complices, ainsi que tous leurs acolytes, sans distinction.
Au juste, tu as oublié de répondre à « mes questions simples » : « y a-t-il ou non scandale sur le pétrole présentement dans notre pays ? Tout au moins, y a-t-il ou non des raisons de s’inquiéter à ce propos ? Ou tout simplement encore, y a-t-il, oui ou non de quoi se poser des questions ? ». Tu t’es contenté de les « éclater » - avec l’aide de ton expert, DG d’une société de la place, que tu as bien voulu appeler à la rescousse... Un simple oubli. J’en suis persuadé.
EXCLUSIF SENEPLUS - Il s'agit de défendre l’Afrique contre ceux qui pour des intérêts de multinationales veulent nous diviser et armer certains d’entre nous contre d’autres Sénégalais au nom d’une soi-disant lutte contre la corruption
L’unité nationale, seul remède face au danger qui guette le Sénégal !
Ousseynou Beye, éditorialiste de « SenePlus » a réagi à la lettre que j’ai adressée à un frère panafricaniste. Je voudrais ici lui apporter la réplique dans le seul but de participer à la clarification du débat sur une question d’actualité.
Désolé Ousseynou, mais tu passes complètement à côté des questions que je soulève pour nous amener sur le terrain de « défense d’Aliou Sall » qui n’apparaît nulle part dans mon propos. C’est une manière de dresser des camps pour tirer sur le camp « ennemi », en convoquant des questions qui ne sont pas abordées. A quoi bon ? Ce faisant Ousseynou, tu noies le débat.
Même attitude quand tu glisses sur le panafricanisme comme raison essentielle de mon texte pour faire tout un discours là-dessus, en érigeant encore deux camps, te classant dans l’un, faisant face à l’autre dans lequel tu veux me confiner. Pourquoi ? Qu’est-ce que cela éclaire dans le propos qui nous occupe ?
Ousseynou le fait exprès en occultant l’idée centrale de mon papier : « Alerte face au mot d’ordre de BBC dont le montage est une honteuse tentative de manipulation.
Pour O.Beye, « Momar Samb ignore ou méconnait toutes les alertes, toutes les indignations, toutes les investigations, toutes les analyses qui se sont faites jour depuis…. sept longues années »,
Non Ousseynou, Momar n’ignore pas toute la polémique suscitée par la découverte du pétrole et du gaz, toute la campagne menée par l’opposition sur la question. C’était légitime et compréhensible tant que c’est entre nous sénégalais, entre nous africains. Débats, controverses, polémiques, etc. pour nous-mêmes, entre nous-mêmes, par nous-mêmes. Les experts ont écrit et parlé, ceux qui comme moi ne savaient pas ont appris. L’affaire semblait avoir été clarifiée. Mieux les points de vue de l’opposition ont été écrasés, lors d’un débat organisé dans la campagne électorale, par la société civile entre les représentants de l’opposition et le porteur des couleurs de Bennoo Bokk Yaakaar (BBY), en l’occurrence Amadou Fall Kane, vice-président du Cos-Pétrogaz qui a démontré devant ses adversaires politiques, la fausseté des accusations avancées jusqu’ici. Mais cela restait encore entre nous. Ensuite, à la présidentielle du 24 février dernier, le peuple souverain a choisi le candidat de BBY, Macky Sall accusé de tous les péchés d’Israël, écrasant encore une fois, dans les urnes les positions des candidats porteurs de ces accusations sur le pétrole et le gaz. Et c’était toujours entre nous, par nous, sans que l’on puisse y déceler une main étrangère.
Mais voilà que, après tout cela, la BBC nous sort un reportage qui appelle ouvertement à la révolte du peuple sénégalais contre ses gouvernants qui auraient volé son pétrole. Avoue quand même, Ousseynou, que nous entrons là dans quelque chose de nouveau. Ici, la main étrangère est bien visible. Pour quelle raison BBC a-t-elle agi de la sorte, pour quels intérêts, ceux du peuple sénégalais, pour nous aider ? J’en doute vraiment ! Toi, non ?
Que cela se fasse, quelques jours seulement après le lancement du dialogue national auquel l’essentiel des forces vives de notre pays a participé ne te trouble pas ?
Que dans le reportage, ceux qui portent la charge de l’accusation soient exclusivement des opposants au dialogue ne te touche pas ?
Que l’évènement survienne dans un contexte où le Sénégal venait de porter à l’Onu la revendication de la restitution des archipels Chagos à l’Ile Maurice, contre la couronne britannique, ne te soucie pas ?
Mais enfin Ousseynou, tremble au moins de ce que la mémoire des crimes perpétrés contre les peuples de Libye, du Congo, du Nigéria, du Soudan, du Rwanda puisse mordre quelque part ta vigilance et te faire douter, un instant, un instant seulement de la bonne foi de BBC !
Il me semble Ousseynou, qu’il est d’abord bon et de probité intellectuelle de reconnaître que l’appel à réagir du groupe « Aar linu bokk » que m’a envoyé un camarade dans notre mailing-list panafricaniste méritait d’être interrogé. La pétition lancée dès le lendemain de la publication du reportage de BBC est un fait indéniable. Elle ne l’a pas été un autre jour, pendant les sept (7) ans que tu évoques. Reconnaissons d’abord ça, Ousseynou ! Que cela ne t’ait rien fait m’abasourdit sérieusement !
Laisse-moi m’étonner davantage qu’un éditorialiste animateur d’un organe de presse puisse, sans sourciller, laisser passer sous son nez expérimenté un tel élément de communication qui pue la manipulation et le mensonge avec un montage qui viole toute la déontologie du journalisme. C’est d’une énormité, d’une telle légèreté éthique catastrophique pour tes lecteurs.
Tu laisses sciemment de côté mes arguments de rejet du reportage et d’alerte de mon correspondant et des lecteurs, pour aller construire sur des questions du panafricanisme, etc. Je n’ai pas traité du panafricanisme ni de ses orientations. Je me suis adressé à un frère panafricaniste avec qui je croyais partager les mêmes principes de défense intransigeante de notre africanité historiquement agressée, violentée par les puissances occidentales. Je l’avoue. Devant le reportage de BBC ma mémoire a eu mal !
Malgré tout, tu t’interroges sur mon cri d’alarme « à quoi peut bien rimer cette tragique et pathétique mise en garde aux accents guerriers : ‘’Africains, soyons prudents, vigilants et regardons, vérifions, enquêtons nous-mêmes !’’ »
« Cette tragique et pathétique mise en garde » rime avec la pathétique et tragique histoire des peuples africains esclavagisés, colonisés, enrôlés comme « tirailleurs sénégalais » pour combattre d’autres africains.
« Cette tragique et pathétique mise en garde » rime avec la pathétique et tragique histoire du peuple nigérian qui a vécu les affres de la guerre civile du Biafra à cause du pétrole, avec plus d’un million de morts (plus que le Rwanda).
« Cette tragique et pathétique mise en garde » rime avec la pathétique et tragique histoire du peuple congolais transformés en Zoulous et Cobras, s’entretuant à cause des intérêts de multinationales comme Elf, faisant plus de Quatre cent mille (400.000) morts.
Je ne me lasserai de le répéter…
« Cette tragique et pathétique mise en garde » rime avec la pathétique et tragique histoire des peuples de la Libye plongée dans un chaos qui continue de ravager le continent, surtout dans le sahel, etc.
Il ne s’agit pas d’être pour un panafricanisme contre un autre, pour le panafricanisme de Cheikh Anta contre celui de Léopold Senghor. Mais ici et maintenant de défendre l’Afrique contre ceux qui pour des intérêts de multinationales veulent déstabiliser notre pays, nous diviser et armer certains d’entre nous contre d’autres sénégalais au nom d’une soi-disant lutte contre la corruption.
Que tu dises après tout ce discours « Pour revenir plus précisément à notre sujet », est un aveu clair que tu n’étais pas dans le sujet. Pourquoi ce procédé, pour distraire le lecteur ?
En ajoutant « nous nous contentons de poser ces questions toutes simples : y a-t-il ou non scandale sur le pétrole présentement dans notre pays ? », tu en viens à une démarche intellectuelle qui me plait bien. Chercher à discuter (non à condamner), après avoir tenté de comprendre l’autre dans ce qu’il dit précisément. Mais Ousseynou, la question est top bateau. Laisse-moi l’éclater de manière à simplifier et à rendre lisible et clair chaque aspect qu’elle comporte. Voici mes questions (que j’emprunte à Mamadou Dione, Directeur général du Cosec), entre autres, auxquelles je nous inviterais à répondre l’un l’autre, afin d’établir l’effectivité ou non du scandale présumé.
« 1- En quoi le rachat des actions de Timis par Cosmos, ensuite par BP a-t-il pu faire perdre de l'argent au Sénégal ?
2- En quoi de supposées redevances lors de la cession de parts entre les acheteurs Cosmos, BP et le cédant Timis auraient-elles fait perdre de l'argent au Sénégal ?
3- En quoi les salaires et primes d'un compatriote quand il travaillait pour Timis aurait-il fait perdre de l'argent au Sénégal ?
4- Comment un privé peut-il encaisser des taxes attendues par un État ? »
Mais, après avoir posé ta question, tu retournes encore dans ta fâcheuse manie à discourir sur des questions qui ne sont pas pointées dans mon papier. Pourquoi convoquer les choses sur lesquelles tu dis que les « compatriotes ont fermé les yeux » ?
Que tu dises à la fin des fins, après toutes ces longues digressions, « Tu as raison, camarade, nous ne devrons pas être des « Tirailleurs de BBC… » (ce par quoi tu devais commencer) ne me rassure nullement. Je n’ai pas le sentiment d’un accord vrai de ta part basé sur la compréhension de mon argumentation. Permets-moi d’être un peu plus clair.
Si nous ne devons être les tirailleurs ni de BBC, ni d’aucune autre compagnie étrangère, nous devons nous entendre entre nous, opposition comme majorité. La seule arme que nous avons contre les manœuvres et opérations occultes ou non de faire main basse sur nos ressources, c’est de faire en sorte que le peuple sénégalais soit uni. Seule cette union nationale forte peut nous sauver de l’adversité.
Avec le reportage de BBC, le Sénégal fait face à un média-mensonge, comme le définit si bien Michel Colon, dont l’objectif est la déstabilisation de notre pays qui peut, s’il réussit, plonger le Sénégal dans des difficultés énormes ne permettant pas une exploitation de son pétrole et de son gaz au profit exclusif du peuple. Et ceux qui portent la voix de BBC elle-même porteuse d’intérêts occultes se font les complices des multinationales et se feront demain leurs « tirailleurs » contre leur propre peuple.
Si nous sommes tous mus par le seul souci d’une bonne gouvernance de ces ressources pour l’intérêt de notre peuple, qu’est-ce qui nous empêche de nous asseoir pour discuter entre nous de nos divergences, après avoir « dialogué » à distance ? Qu’est-ce qui empêche que tu prennes part au « Pénc » appelé par le président que le peuple a élu afin de porter ta vision sur la gouvernance de ces ressources, sachant que sans la paix sociale, sans la stabilité des institutions de la république, nous devenons fragiles et vulnérables devant les multinationales qui n’hésiteront devant rien pour approfondir nos divisions et les porter à un niveau tel que nous n’aurions même pas le temps d’exploiter par nous-même et pour nous même ces ressources ? Tout le pays y perdra, les générations d’aujourd’hui et celles à venir. Que l’on soit de l’opposition ou de la majorité, que l’on soit panafricaniste « Senghorien » ou « Antaiste », rien n’y fera !
Je suis affligé de voir comment, des gens comme toi, avec toute l’expérience syndicale et politique acquise, ne peuvent comprendre que nous sommes en danger. Le Sénégal, aujourd’hui, avec la découverte du pétrole et du gaz, devient une proie suscitant la convoitise des puissances d’argent, dans cette jungle qui ne connaît ni foi ni loi.
Face à cela, nous avons deux réponses possibles, pas trois : l’acceptation par toutes les forces vives du pays de ce dialogue national inclusif sans tabou ou son rejet. Ceux qui récusent cette voie, en vérité optent pour la voie de l’insurrection, à soulever la rue pour prendre le pouvoir, au besoin avec le soutien des puissances qui les ont appelés à la révolte. Au départ, ce sera pacifique, mais quand cela se compliquera, ils donneront des armes, après avoir initié toute sortes de provocations, à l’effet de se victimiser et de justifier éventuellement l’intervention étrangère. Alors, ce sera trop tard ! L’histoire politique mondiale nous en donne des exemples avérés (Irak, Surie, etc.) et la situation actuelle du Venezuela l’illustre de manière éclatante !
EXCLUSIF SENEPLUS - Nous ne devrons pas être des «tirailleurs de BBC», ce comparse de la dernière heure - Pour autant, devrons-nous être les complices de cette reconquête silencieuse et sournoise aux forts relents néo-colonialistes ?
Ousseynou Bèye de SenePlus |
Publication 18/06/2019
C’est avec beaucoup de perplexité (pour dire le moins) que nous avons pris connaissance de l’article que notre camarade, ami et frère Momar Samb, Secrétaire Général du parti de la Mouvance présidentielle, le RTAS, a publié ces derniers temps dans la presse, sous le titre : «Non, je refuse d’être un « tirailleur» de BBC !»
Sans le citer, Momar prend le parti de défendre M. Aliou Sall (et son clan) dans l’affaire qui défraie la chronique. Cela relève naturellement de son droit d’opinion et d’expression. Son argumentation repose pour l’essentiel sur le principe du «panafricanisme» puisque, note-t-il sur un ton indigné «… L’affaire est annoncée (par BBC) le vendredi et dès le lendemain la machine est mise en branle pour mobiliser les africains contre un autre africain, sans douter le moins du monde, sans mettre en branle notre réflexe panafricaniste. C’est tout de même curieux !... »
Tout d’abord, au plan factuel, il est sidérant de constater que Momar Samb ignore ou méconnait toutes les alertes, toutes les indignations, toutes les investigations, toutes les analyses qui se sont faites jour depuis…. sept longues années, maintenant, lorsque le journaliste Baba Aïdara a levé un coin du voile sur les nébuleux contrats, conventions et autres décrets signés ou pris dans des conditions tout à fait irrégulières.
Momar, penses-tu sincèrement que… c’est ce fameux «vendredi» que tout a commencé ? Les gens n’ont quand même pas attendu la vidéo de BBC pour «mobiliser des Africains contre d’autres Africains» ? Même s’il est vrai que les tenants du régime n’ont senti le sol se dérober sous leurs pieds quand ils ont jusque-là ignoré les «vociférations» d’une opposition «en mal d’audience».
La conférence de presse du président Wade, les remontrances de l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, les alertes et autres prises de position des nombreux journalistes, syndicalistes et membres de la Société civile (Birahim Seck et compagnie), les interrogations, dénonciations et études d’Ousmane Sonko qui a consacré tout un livre à la question, les innombrables « QuesTekki » de Mamadou Lamine Diallo, les très nombreux exposés médiatisés et fort documentés du sulfureux et controversé lanceur d’alerte Clédor Sène, les persistants et pathétiques aveux-dénégations-autocritiques de l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye, les révélations-confirmations du ministre Thierno Alassane Sall, malgré ses réticences et scrupules du début… Tout cela compte-t-il donc pour rien ? Nous ne pouvons manquer de mentionner ici le professeur Abdoulaye Elimane Kane qui, face à un journaliste de la Radio d’Etat, la RTS, ce dimanche 16 juin, faisant une fois de plus preuve d’une pertinence et d’une indépendance d’esprit remarquables. Honorant ainsi son statut d’intellectuel.
Momar, lui, fait fi de tout cela et ne voit que la vidéo de BBC d’où tout serait parti. Il est vrai que la plupart des intervenants, s’ils ne sont pas de la Société civile (ces «encagoulés»), sont membres de partis de l’opposition. Mais cela leur enlèverait-il leur qualité de citoyens sénégalais ayant voix au chapitre ? Ou alors auraient-ils perdu leur «africanité», chemin faisant, pour cause de lèse-Majesté ?
Au vu de toutes ces prises de position antérieures (rappelons le, durant toutes ces sept années de magistère du président Macky Sall), à quoi peut bien rimer cette tragique et pathétique mise en garde aux accents guerriers : « Africains, soyons prudents, vigilants et regardons, vérifions, enquêtons nous-mêmes ! » ?
Si nous comprenons bien cette façon de voir les choses de Momar (excuses moi de te le dire : tu nous avais habitués à mieux que cela !), les Africains en direction de qui les «panafricanistes» devraient marquer toute leur solidarité, ce sont : lui-même, nous-mêmes, vous le lecteur, le président Macky Sall, son frère Aliou… nous tous habitants de ce vieux continent, berceau de l’humanité, et peut-être de surcroît, nous à la peau noire… Voilà le rempart qui serait notre bouclier, nous mettant tous dans le même… panier !
Une telle conception serait pain béni pour un Omar El Béchir du Soudan, s’il s’avérait, comme tout semble l’indiquer, que ce tyran déchu par son peuple affamé, est aussi le plus grand détourneur de derniers publics et le plus corrompu du siècle.
Pour notre part, nous optons pour le panafricanisme de Nkrumah, pas pour celui de Senghor, chantre d’une « Négritude » hypocrite et ambiguë ; pour le panafricanisme de Cheikh Anta Diop, pas pour celui de Mobutu, théoricien de l’« Authenticité » ; pour le panafricanisme de Lumumba, Ben Bella, Cabral, Nasser, Nyéréré, Sankara, Mandela… pas pour celui de Tschombé, Idy Amin Dada, Bokassa, Moubarak, Omar El Béchir, Paul Biya, Sassou Nguesso …
Pour revenir plus précisément à notre sujet, nous nous contentons de poser ces questions toutes simples : y’a-t-il ou non scandale sur le pétrole présentement dans notre pays ? Tout au moins, y’a-t-il ou non des raisons de s’inquiéter à ce propos ? Ou tout simplement encore : y’a-t-il, oui ou non, de quoi se poser des questions ? Admettons que Momar nous ait indiqué la bonne voie : «Enquêtons par nous-mêmes !» Mais n’est-ce pas ce qu’ont bien fait les éminentes personnalités ci-dessus listées, et bien d’autres encore ?
Après tout cela, chacun peut se faire sa religion sur la question… ou continuer d’enquêter ! Mais pourquoi nous demander de manifester une solidarité «panafricaniste»… automatique ? Ce serait, hélas, pour notre part, au-dessus de notre force. Nous adorons le nationalisme de Mamadou Dia et abhorrons celui de Marine Le Pen.
C’est vrai que beaucoup de nos compatriotes ont fermé les yeux sur la précipitation dont a fait montre notre président de la République qui, dès le lendemain de sa première élection est allé solliciter des subsides à l’Elysée pour pouvoir «payer les salaires des fonctionnaires», n’oubliant pas du même mouvement, d’annuler les accords militaires qui aspiraient à nous rendre un peu de notre souveraineté. On aurait espéré la même promptitude s’agissant de l’accord signé entre l’ancien régime libéral et Pétro-Tim. Il est vrai aussi que bon nombre de nos concitoyens ferment les yeux sur le retour en force de Ecotrans et de Bolloré au port de Dakar, sur le renforcement de Senac et compagnie sur nos routes, autoroutes et stations d’essence, sur l’entrée en force de Auchan, U, Casino et Carrefour dans nos étals de la Médina, de la Gueule Tapée et de nos quartiers de la banlieue, si ce n’est sur l’ensemble du territoire national.
Mais comme tout cela est l’œuvre d’un Africain, alors tous les «panafricanistes» devraient tout simplement se mettre au garde-à-vous et chanter ses louanges. Circulez !... Rien à signaler. N’est-ce pas bizarre, cela, tout de même ?
Tu as raison, camarade, nous ne devrons pas être des «Tirailleurs de BBC», ce comparse de la dernière heure. Pour autant, devrons-nous être les complices de cette reconquête silencieuse et sournoise aux forts relents néo-colonialistes ? Nous faire les porte-voix d’un nationalisme de mauvais aloi ? Nous inviterais-tu, au nom d’un certain «panafricanisme», à fermer les yeux sur la confiscation de notre souveraineté nationale et sur le bradage des ressources naturelles de notre pays ?
Non, merci : en ce qui nous concerne, nous ne voulons pas de ce panafricanisme-là qui permet aux multinationales, quelles qu’elles soient, de faire main basse sur nos richesses nationales au profit d’un clan et aux au détriments du peuple.
Le 2 mai 1980, disparaissait, à l’âge de 70 ans, ce professeur de lettres, historien, philosophe et éditeur ayant joué un rôle de premier plan dans l’émancipation de l’Afrique et de ses diasporas à travers la revue et la maison d’édition qu’il a fondées
Le 2 mai 1980, disparaissait, à l’âge de 70 ans, Alioune Diop, professeur de lettres, historien, philosophe et éditeur ayant joué un rôle de premier plan dans l’émancipation de l’Afrique et de ses diasporas à travers la revue et la maison d’édition ‘’Présence Africaine’’ qu’il a fondées à Paris. A l’annonce de sa mort, le président sénégalais Léopold Sédar Senghor saluait en lui « l’un des premiers militants et une sorte de secrétaire permanent du Mouvement de la Négritude ».
Lors des obsèques d’Alioune Diop, le 9 mai 1980 à Saint-Louis, le ministre d’Etat en charge de la Culture, Assane Seck, déclare : « Fortement enraciné dans les traditions de notre peuple et armé de principes moraux étayés sur le culte de l’honneur, du respect de soi et des autres, tels qu’il les voyait pratiquer dans la cellule familiale, le jeune Alioune Diop a affronté le Paris de l’entre-deux-guerres, déjà plein d’équilibre ».
« Aussi, quelque obstacle qu’il ait rencontré, quelque facilité qui l’ait tenté, quelque nostalgie du pays natal qui l’ait tourmenté, choisit-il avec lucidité, guidé par cette lumière intérieure dont sont pétries les grandes âmes, la porte étroite de l’effort soutenu, dans la grisaille des jours difficiles », ajoute le professeur Seck, qui a été plus tard – en 2010 – président du comité d’organisation du centenaire de la naissance d’Alioune Diop.
« Une vie entièrement consacrée aux autres »
L’historien et homme politique Cheikh Anta Diop, de son côté, dédie son livre Civilisation ou barbarie (Présence Africaine, 1981) à Alioune Diop, « en témoignage d’une amitié fraternelle plus forte que le temps » pour un homme qui est « mort sur le champ de la bataille culturelle africaine ».
« Alioune, tu savais ce que tu étais venu faire sur la terre : Une vie entièrement consacrée aux autres, rien pour soi, tout pour autrui, un cœur rempli de bonté et de générosité, une âme pétrie de noblesse, un esprit toujours serein, la simplicité personnifiée ! », écrit Cheikh Anta Diop qui s’interroge alors : « Le démiurge voulait-il nous proposer, en exemple, un idéal de perfection, en t’appelant à l’existence ? ».
« Hélas, il t’a ravi trop tôt à la communauté terrestre à laquelle tu savais, mieux que tout autre, transmettre ce message de vérité humaine qui jaillit du tréfonds de l’être. Mais il ne pourra jamais éteindre ton souvenir dans la mémoire des peuples africains, auxquels tu as consacré ta vie », se désole-t-il.
« Au vrai, résume Makhliy Gassama, ancien ministre de la Culture, Alioune Diop était un homme. Oui un homme dans le sens camusien et sartrien du terme. Il n’est pas facile d’être ‘’un homme de quelque part, un homme parmi les hommes’’, comme dit Sartre. Cette ambition implique l’engagement total dans la société, la lutte quotidienne contre les forces du mal, la quête obstinée d’un bien-être collectif, qui ne s’accomplit pas sans provoquer de redoutables et ignobles adversités ».
Avec « une pensée pieuse » pour Alioune Diop, Gassama souligne que celui-ci a vécu « pour l’Afrique, uniquement pour l’Afrique en s’oubliant ». « On peut dire qu’il est mort d’épuisement pour l’Afrique, à l’âge de 70 ans. »
Né le 10 janvier 1910 à Saint-Louis, Alioune Diop a effectué ses études secondaires au lycée Faidherbe (actuel lycée Cheikh Oumar Foutiyou Tall). Il fréquente ensuite les facultés d’Alger et de Paris, et y obtient une licence de lettres classiques ainsi qu’un diplôme d’études supérieures. Professeur de lycée, puis chargé de cours à l’Ecole coloniale, il est ensuite nommé chef du cabinet du gouverneur général de l’Afrique occidentale française (AOF).
« L’ambition d’un continent »
En 1947, Diop fonde, avec la collaboration de compagnons de lutte (Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, entre autres), la revue ’Présence Africaine’, une « extraordinaire tribune pour l’intelligentsia du continent africain et de la diaspora ; une tribune de haute qualité », selon Makhliy Gassama, président du comité scientifique du colloque qui a été consacré, en mai 2010 à Dakar, à l’œuvre d’Alioune Diop.
Dans son éditorial du premier numéro (novembre-décembre 1947), ‘’Niam n’goura ou les raisons d’être de Présence Africaine’’, Alioune Diop assigne ses objectifs à la revue. Il s’agit, selon lui, de « définir l’originalité africaine et de hâter son insertion dans le monde moderne ».
Alioune Diop réussit à y donner la parole aux colonisés, parce qu’il était « généreux, il était téméraire, rien pour lui, tout pour les autres : il portait en lui l’ambition d’un continent. C’est ainsi que son nom scintillera à jamais dans les pages de l’histoire de la décolonisation », avait indiqué M. Gassama, le 7 janvier 2010, lors de la conférence de presse de lancement des activités du centenaire de l’intellectuel africain, organisées par la Communauté africaine de culture (CAC).
En 1949, la Maison d’édition ’Présence Africaine’ ouvre ses portes. Romanciers, nouvellistes, conteurs, essayistes, poètes et penseurs du monde noir y trouvent un moyen de diffusion de leurs œuvres. Le premier ouvrage publié par les Editions Présence Africaine est La Philosophie Bantoue, du Révérend Père Placide Tempels, en 1949.
En 1954, ‘Présence Africaine’ édite Nations nègres et culture de Cheikh Anta Diop, ouvrage dans lequel l’historien sénégalais prend le contre-pied théorique de ce milieu solidement établi dans l’enceinte même de l’université française. Dans ce livre, l’auteur fait la démonstration que la civilisation de l’Egypte ancienne était négro-africaine. Le Martiniquais Aimé Césaire choisit, pour une deuxième édition de son Discours sur le colonialisme, en 1955, ‘Présence Africaine’.
Alioune Diop est, avec Léopold Sédar Senghor, Jacques Rabemananjara, Cheikh Anta Diop, Richard Wright, Jean Price-Mars, Frantz Fanon, l’un des instigateurs du premier Congrès des écrivains et artistes noirs, qui réunit, en septembre 1956 à la Sorbonne, les intellectuels noirs venus des Antilles françaises et britanniques, des Etats-Unis, des diverses régions d’Afrique (AOF et AEF, Afrique du Sud, Angola, Congo belge, Mozambique…) et de Cuba.
Dans son discours inaugural, Alioune Diop explique qu’il revient aux écrivains et aux artistes de « traduire pour le monde la vitalité morale et artistique de nos compatriotes, et en même temps de communiquer à ceux-ci le sens et la saveur des œuvres étrangères ou des événements mondiaux ».
Un « sage (…) d’une modernité qui bouleverse »
Ce premier congrès a donné naissance à « une arme culturelle redoutable contre le racisme ambiant, un outil qui a forgé des intelligences sur le continent : la Société Africaine de Culture (SAC) devenue la Communauté Africaine de Culture (CAC) », selon Makhily Gassama, qui précise que cette structure a à son actif le deuxième Congrès des écrivains et des artistes (1959 à Rome) et de nombreux autres congrès en Afrique comme le premier Congrès international des africanistes (1962 à Accra) ou le premier Congrès constitutif de l’Association des historiens africains (1972 à Dakar). S’y ajoutent le colloque sur le sous-développement (1959), le séminaire sur ‘’Civilisation noire et conscience historique’’ (1973 à Paris) ou le séminaire préparatoire au colloque ‘’Le journaliste africain comme Homme de culture’’ (1973), des tables-rondes et journées d’études.
Au premier Festival mondial des arts nègres de Dakar (avril 1966), Alioune Diop est parmi les maîtres d’œuvre. Il a la responsabilité du colloque portant sur le thème : ‘’Signification de l’art dans la vie du peuple et pour le peuple’’. Il préside l’association du festival. Il prolonge cette action jusqu’au Festival de Lagos (1977).
Aimé Césaire, lui, relève que la négritude de Diop était à l’opposé du racisme, soulignant que le directeur de ’Présence Africaine’ était « une des plus belles figures du monde noir ». « Son œuvre se confond tout entière avec son action, je devrais dire son apostolat. De l’apôtre, il avait la foi. Cette foi, bien entendu, c’était la foi en l’homme noir et en ce qu’on a appelé la négritude qui était à l’opposé du racisme et du fanatisme », poursuit-il.
Césaire ajoute que « Alioune Diop était un homme de dialogue, qui respectait toute civilisation ». « Il apparaîtra, j’en suis sûr, avec le recul du temps, comme un des guides spirituels de notre époque », souligne le poète martiniquais, tandis que l’écrivain béninois Olympe Bhêly-Quenum qualifie l’homme de « sage (…) d’une modernité qui bouleverse ».
« Nul de ceux qui l’ont connu et discuté avec lui ne saurait en douter », note Bhêly-Quenum, en rappelant cette phrase qu’Alioune Diop aimait répéter : « Chaque civilisation vivante assume sa propre histoire, exerce sa propre maturité, secrète sa propre modernité à partir de ses propres expériences, et de talents particuliers à son propre génie ».
Depuis la mort d’Alioune Diop, en 1980, sa veuve, Christiane Yandé Diop, a pris la relève au sein de la revue et de la Maison d’édition ’Présence Africaine’, poursuivant l’œuvre de celui qui, selon le mot du critique littéraire Mouhamadou Kane, a été « l’initiateur du prodigieux combat pour la culture africaine, le moteur de son épanouissement, le témoin passionné de l’émergence de l’Afrique culturelle ».
Plaque du centenaire d’Alioune Diop
Le 10 janvier 2010, une plaque commémorative du centenaire de la naissance du fondateur de ‘Présence Africaine’ avait été dévoilée à la maison familiale d’Alioune, rue Babacar Sèye à Saint-Louis. Il est inscrit sur la plaque découverte par le maire de Saint-Louis, Cheikh Bamba Dièye, et la veuve de l’homme de culture, Christiane Yandé Diop : « Ici a vécu Alioune Diop (1910-1980), Professeur de Lettres, Fondateur de Présence Africaine ».
La pose de la plaque du centenaire de la naissance d’Alioune Diop marquait le début d’une série d’activités prévues sur trois jours à Saint-Louis. La cérémonie s’était déroulée en présence de plusieurs personnalités, dont l’ancien ministre de la Culture, Makhily Gassama, André Guillabert, maire honoraire de Saint-Louis, Christian Valantin, ancien député socialiste, Kolot Diakhaté, président du comité saint-louisien du centenaire d’Alioune Diop, l’historien Djibril Tamsir Niane.
Au nom de la famille, Alioune Sy, avait dit que la pose d’une plaque commémorative et la célébration du centenaire de la naissance d’Alioune Diop constituent « un grand honneur pour la famille », soulignant que l’intellectuel sénégalais a, « dans toutes ses actions, honoré l’Afrique dans son ensemble ».
« Veiller à ce que cette étincelle ne ternisse jamais »
Le président du comité saint-louisien d’organisation du centenaire, Kolot Diakhaté, avait, de son côté, salué la mémoire du fondateur de Présence Africaine, estimant qu’Alioune Diop est « immortel par son œuvre, ses qualités d’homme, son humilité ». Il avait rappelé le rôle que Diop a joué dans l’organisation du premier Festival mondial des Arts nègres, en avril 1966 à Dakar. « Il était dans la conception de l’événement avant de s’effacer lui-même pour ne pas récolter les lauriers », avait-il dit.
S’adressant à Christiane Yandé Diop, la veuve d’Alioune Diop, Kolot Diakhaté a dit : « Vous n’êtes pas seule et vous ne le serez pas, parce qu’Alioune a été un Noir brillant qui a inspiré le rêve d’autres Noirs du monde. Nous sommes là pour veiller à ce que cette étincelle ne ternisse jamais ».
Pour sa part, le maire de Saint-Louis, Cheikh Bamba Dièye, avait salué l’initiative de la Communauté africaine de culture (CAC), organisatrice du centenaire de la naissance d’Alioune Diop, pour avoir ainsi « honoré la mémoire d’un très grand Saint-Louisien, et réconcilié la ville de Saint-Louis avec son passé ».
« Alioune Diop a marqué son époque par une œuvre au service des peuples noirs. Ni l’âge ni le temps ne sauront l’effacer de notre mémoire », avait ajouté M. Dièye, tandis que Christiane Yandé Diop, émue aux larmes, s’est dit « très heureuse » de revenir à la maison familiale d’Alioune Diop. Paraphrasant l’écrivain Birago Diop, elle avait dit : « Les morts ne sont pas morts, ils sont là ».
Le 11 janvier 2010, entre 9h 30 et 12 heures, il avait été organisé, au Quai des Arts, un hommage solennel de la ville de Saint-Louis, la remise de prix aux lauréats du Concours littéraire. A partir de 12h 30, le public avait suivi la projection du film documentaire Alioune Diop, tel qu’ils l’ont connu. Une table ronde sur la vie et l’œuvre d’Alioune Diop avait eu lieu, le lendemain, de 10 heures à 13 heures à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Cette manifestation avait été présidée par l’historien guinéen Djibril Tamsir Niane.
Propos choisis d’un intellectuel engagé
Le fondateur de Présence Africaine, Alioune Diop (1910-1980) n’avait écrit ni un roman ni un essai philosophique ni un traité doctrinaire, comme le soulignait le philosophe Babacar Sine, mais il avait publié des éditoriaux et prononcé des discours, dont chacun était une occasion d’affirmer avec force son engagement pour l’émergence des peuples noirs.
— EXTRAIT DE L’EDITORIAL DE ’PRESENCE AFRICAINE’, N° 105-106, 1978 : « Le peuple noir est de tous les peuples du Tiers-Monde celui qui a été le plus dépouillé de liberté et de dignité, le plus atteint de ces carences et infirmités spécifiques provoquées par l’action coloniale, le racisme, l’esclavage, et accentuées par la fragilité d’une civilisation orale. Il est illusoire de vouloir guérir ce peuple noir des effets de l’aliénation culturelle et du sous-développement, du moins, pas tant que ce peuple n’ait d’abord repris la vitalité globale et organique de toutes ses facultés. Pas sans qu’il ait au préalable pris conscience et de son existence et récupéré tout le dynamisme de sa créativité et toute sa capacité et toute sa capacité de répondre directement (dans toute la mesure de ses moyens et dans le style de sa personnalité) aux défis du monde moderne (…) L’avenir peut réserver un destin grandiose et exaltant à l’élite qui prendra en main la direction et la gestion de notre civilisation. L’Afrique doit avoir une élite qui joue un rôle privilégié dans le déroulement de l’histoire des civilisations ».
— EXTRAIT DU DISCOURS INAUGURAL AU PREMIER CONGRES DES ECRIVAINS ET ARTISTES NOIRS, PARIS, septembre 1956 : « Ce jour sera marqué d’une pierre blanche. Si depuis la fin de la guerre la rencontre de Bandoeng constitue pour les consciences non européennes l’événement le plus important, je crois pouvoir affirmer que ce premier congrès mondial des hommes de culture noirs représentera pour nos peuples le second événement de cette décade. D’autres congrès avaient eu lieu, au lendemain de l’entre-deux guerre, ils n’avaient l’originalité ni d’être essentiellement culturels, ni de bénéficier du concours remarquable d’un si grand nombre de talents parvenus à maturité, non seulement aux Etats-Unis, aux Antilles et dans la grande et fière République d’Haïti, mais encore dans les pays d’Afrique noire. Les dix dernières années de l’histoire ont été marquées par des changements décisifs pour le destin des peuples non européens, et notamment de ces peuples noirs que l’Histoire semble avoir voulu traiter de façon cavalière, je dirais même résolument disqualifier, si cette histoire, avec un grand H, n’était pas l’interprétation unilatérale de la vie du monde par l‘Occident seul. Il demeure cependant que nos souffrances n’ont rien d’imaginaire. Pendant des siècles, l’événement dominant de notre histoire a été la terrible traite des esclaves. C’est le premier lien entre nous, congressistes qui justifie notre réunion ici. Noirs des Etats-Unis, des Antilles et du continent africain, quelle que soit la distance qui sépare parfois nos univers spirituels nous avons ceci d’incontestablement commun que nous descendons des mêmes ancêtres. La couleur de peau n’est qu’un accident : cette couleur n’en est pas moins responsable d’événements et d’œuvres, d’institutions, de lois éthiques qui ont marqué de façon indélébile nos rapports avec l’homme blanc (…) ».
PAR ABDOULAYE WADE
MBAYE DIACK, UN EXEMPLE POUR LA JEUNESSE
Je l’ai rencontré pour la première fois lors d’une conférence de la LD/MPT - Je fus particulièrement impressionné par son intervention logique et pertinente - Un exemple de probité, de courage frisant la témérité a disparu
C’est un jour de l’époque de Senghor que je l’ai rencontré pour la première fois lors d’une conférence de la LD/MPT, un soir à Soumbédioune.
Je fus particulièrement impressionné par son intervention logique et pertinente. On sentait l’impact sur lui de la rigueur marxiste. Je regrettai déjà qu’il ne fût pas avec moi. Je l’aurais formé avec les autres jeunes et nul doute, pour moi, qu’il aurait été parmi mes plus proches compagnons. J’appris par la suite qu’il enseignait les mathématiques, ce qui me confortait dans mon impression de jeune homme logique et rigoureux.
Je pris contact avec lui mais ne réussis pas, malgré nos longues conversations, à le départir de la gangue marxiste dont on ne pouvait jamais se débarrasser une fois qu’on était pris dans la glu.
Nous conservâmes d’excellentes relations, lui me considérant comme son grand frère et moi, comme mon petit frère. Il fut pour beaucoup dans le rapprochement PDS/LD, Abdoulaye Bathily/Abdoulaye Wade.
En dépit de nos appartenances idéologiques opposées, nous devînmes des amis. A telle enseigne qu’on se demandait pourquoi on était dans deux partis différents. Le mimétisme de transmission automatique des idéologies occidentales lorsque nous revenions d’Europe avait fait beaucoup de mal en nous divisant profondément, en nous haïssant même, bourgeoisie contre capitalisme, alors qu’en réalité nous n’étions ni l’un ni l’autre. Nous étions tout simplement aliénés.
Nous nous retrouvâmes cependant compagnons de lutte pendant des années et partageâmes souvent les geôles du pouvoir. Tout ceci nous rapprochait et nous fit comprendre qu’au fond nous avions les mêmes adversaires.
Lorsque je fus absent du Sénégal pour assez longtemps, Abdoulaye Bathily était le seul à s’opposer à toute prise de décision importante ‘’tant que Wade n’est pas là’’ disait-il. A mon retour je fus reçu par une foule de plus de 2 millions de personnes de l’aéroport à la Permanence du PDS. J’aurais pu prendre le pouvoir si j’étais tant soit peu putschiste. Mais mes convictions libérales m’éloignaient de tout pouvoir qui ne sortît des urnes. Par la suite, nous nous retrouvâmes dans un même gouvernement Diouf grâce aux assurances que je ne cessais de donner à ce dernier que les marxistes sont, il est vrai, durs et rigoureux mais ce sont de vrais patriotes dont ont pouvait craindre des manifestations mais pas des coups d’Etat. Et puis, personne ne pouvait troubler la situation par des manifestations si le PDS n’était pas dans le coup. Comme avait dit un jour Senghor à ses pairs qui, à Niamey, à l’occasion d’un sommet, s’étonnaient qu’il pût s’éloigner aussi longtemps à une époque où, dès qu’un chef d’Etat tournait le dos, les militaires prenaient le pouvoir : ‘’Chez moi, leur a dit Senghor, lorsque je m’absente, c’est Wade qui gère le mécontentement’’.
Aboulaye Bathily, Mbaye Diack et Amath Dansoko se sont retrouvés dans mon gouvernement et nous avons travaillé, du mieux que nous pûmes, pour notre pays, sans surtout chercher à nous enrichir.
Quand suite à des divergences dans la gestion du pouvoir, la LD/MPT a quitté mon gouvernement, Mbaye Diack est resté et a travaillé jusqu’au bout avec moi au Secrétariat Général de la Présidence. Il avait même créé un parti (UFPE), très proche du PDS, membre de la CAP21 et tenu à garder son idéologie.
Losque j’ai perdu le pouvoir, son parti a adhéré au FPDR, front dont je fus le président. Même malade, Mbaye Diack faisait tout pour participer aux réunions du front. Il était particulièrement visible dans la bataille pour la libération de Karim Wade et avait, avec mon épouse, des relations cordiales tissées au cours les batailles d’avant 2000.
Durant tout ce temps Abdoulaye Bathily, Mbaye Diack et moi, avons conservé nos relations d’amitié et de fraternité et j’ai toujours rêvé qu’un jour, un après-Macky nous fasse nous retrouver…
Mbaye Diack est parti. Un grand patriote a disparu en laissant une petite famille. Que celle-ci comprenne qu’elle est maintenant ma famille et que je suis prêt à partager ses soucis. Mbaye Diack, un exemple de probité, de courage frisant la témérité a disparu. Que Dieu l’accueille en son paradis.
Qu’il serve d’exemple et de repère à notre jeunesse