L'émouvant témoignage de Tanor sur Senghor : "Il n'est ni du passé, ni un homme dépassé…"
PAR NOS REPORTERS FRÉDÉRIC ATAYODI, FODÉ MANGA ET BOUBACAR BADJI
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SENGHOR, NIASSE, MAKHTAR MBOW ET MOI
EXCLUSIF SENEPLUS : Comment Senghor m'a dégoté dans mon lycée à Banjul ? - Pourquoi Amadou Makhtar Mbow m'a choisi pour diriger les oeuvres représentatives mondiales à l'Unesco - Sedat Jobe parle de ses connexions au Sénégal
Frederic Atayodi, Fodé Manga et Boubacar Badji de SenePlus |
Publication 12/12/2016
Jeune lycéen à Banjul, c’est un jour des années 1960 que le président Senghor, au détour d’un voyage dans un lycée gambien, identifia le jeune Momodou Lamin Sedat Jobe. C’est lors de l’échange de quelques civilités exprimées à la classe que, la réponse du jeune Sedat avait vraisemblablement marqué feu le président Senghor.
C’est ainsi qu’il instruit son chef de protocole de prendre contact avec le jeune Sedat qui, plus tard rejoindra Dakar sur la demande de Senghor.
Par l’entremise donc du président Senghor, le futur cadre francophile Sedat , se lira d’amitié avec les proches de Senghor tel Moustapha Niasse, Djibo Kâ, Amadou Makhtar Mbow, etc.
La suite de l’histoire dans la vidéo. Regarder.
PAR FRÉDÉRIC ATAYODI ET BOUBACAR BADJI DE SENEPLUS
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SÉDAR SENGHOR VS. CHEIKH ANTA
Les péchés mignons du poète et les paradigmes éternels du scientifique : intellectuels de haut niveau, le 1er président du Sénégal et le fondateur de la 1ère école africaine d'égyptologie ne boxaient pas dans la même catégorie, selon Dialo Diop du RND
FRÉDÉRIC ATAYODI ET BOUBACAR BADJI DE SENEPLUS |
Publication 31/10/2016
Feu Léopold Sédar Senghor et Cheikh Anta Diop, deux fils d'Afrique et du Sénégal, comptent parmi les plus grands ambassadeurs du continent à travers le monde, à des niveaux différents, assurément. Leur rayonnement intellectuel faisant, leur carrure et leur personnalité aidant, les noms de ces deux intellectuels restent à jamais gravés dans les annales de l'histoire.
Seulement, un disciple de Cheikh Anta Diop, le Dr. Dialo Diop, secrétaire général du Rassemblement nationale démocratique (RND) fondé par le parrain de l'université de Dakar, tient à préciser que les deux personnalités ne boxaient pas dans la même catégorie. Étant entendu que leurs héritages respectifs ne s'équivalent pas. Le legs du poète président, c'est de la poésie tandis que le scientifique et égyptologue lui, laisse pour la postérité des paradigmes dont la mise en oeuvre devrait permettre le décollage effectif de l'Afrique. C'est la position exprimée par le chef de file du RND.
FRÉDÉRIC ATAYODI, FODÉ MANGA ET BOUBACAR BADJI DE SENEPLUS
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NIASSE, TANOR, DJIBO KÂ ET SENGHOR
Qui porte le mieux l'héritage de Léopold ? Comment Tanor a résisté à la phagocytose de Wade ? Pourquoi tant de suspicion sur la transparence des élections en Afrique ? Pourquoi la politique occupe tant nos médias ? Réponse du Pr. Ousmane Sène
FRÉDÉRIC ATAYODI ET FODÉ MANGA |
Publication 25/10/2016
Le Pr. Ousmane Sène, directeur du Centre ouest-africaine de recherche (CROA), communément appelé WARC, -West African Research Center- , est l'invité de SenePlus.
Dans cet entretien, le chercheur nous dévoile la face cachée de Senghor. Face la moins connue et laquelle traduit, pourtant, le niveau d'encrage du poète président dans sa culture Sérère et africaine et qui mériterait d'être connue par tous.
Par ailleurs, le chercheur analyse le jeu politique dans les pays africains, au Sénégal en particulier. Un jeu politique que les acteurs ont manifestement transformé en "Je" politique, selon que les situations les arrangent ou non.
Jetant une pierre dans le jardin des médias, les chaines de TV, en l'occurrence. l'universitaire critique les acteurs de saturer les téléspectateurs de débats politiques au détriment d'autres sujets plus intéressants et de surtout tout centrer sur Dakar.
Où est l'autre Sénégal dans nos médias ? - Celui de la campagne agricole - celui des pêcheurs de Saint-Louis - celui de la Casamance naturelle - celui des activités touristiques…
Dakar, 22 sept (APS) - Le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, le professeur Mary Teuw Niane a estimé, jeudi à Dakar, que le Sénégal n'a pas assez de bacheliers et d'étudiants, contrairement à une opinion couramment répandue.
"J'entends dire qu'il y a trop de bacheliers. Ce n'est pas vrai. Nous n'avons pas assez de bacheliers. Nous n'avons pas assez d'étudiants", a-t-il dit.
Invité de la rédaction de l'APS, Mary Teuw Niane a indiqué qu'en en 2015, le Sénégal avait 45.000 bacheliers et 54.700 bacheliers cette année compte non tenu des admis attendus en octobre.
"Si nous voulons être émergent, nous sommes sur la voie, il nous faut entre 2022-2025 doubler voire tripler le nombre d'étudiants particulièrement le nombre d'étudiants dans les filières scientifiques, techniques et de métiers", a-t-il fait savoir.
Selon lui, "c'est un défi pour le système d'enseignement supérieur et le système éducatif en général".
PAR IBRAHIMA FALL DE SENEPLUS
CHRISTIAN VALANTIN
PORTRAIT SENEPLUS – Ancien responsable du Parti socialiste, chef puis directeur de cabinet de Senghor, député pendant 32 ans… Et il parle de Macky
IBRAHIMA FALL DE SENEPLUS |
Publication 01/05/2016
Christian Valantin avait disparu de la scène publique sénégalaise en 2001, un an après l’Alternance. Et au bout de 32 ans à l’Assemblée nationale. SenePlus l’a retrouvé en pleine promotion de son livreTrente ans de vie politique avec Léopold Sédar Senghor. La verve intacte.
Retrouvailles
L'histoire commence par une erreur d'aiguillage. Une matinée ensoleillée, mais frisquette. Au cœur de rues animées, mais muettes. L'homme voûté que l'on aperçoit au loin en train de scruter la vitrine d'une boutique d'œuvres d'art, a l'air d'un senior qui ploie sous l'âge. Mais observé de plus près, il semble trop jeune pour être celui avec qui nous avons rendez-vous ce jour du mois de février dernier, sur l'Île de Saint-Louis. Il fait à peine 60 ans. Christian Valantin, lui, en a 87.
Malgré tout, le doute subsiste. L'on s'avance vers l'inconnu. Le dévisage secrètement et, afin d'être définitivement fixé, compose le numéro de notre hôte. Une voix raillée répond, demande notre position et indique la sienne. Au même moment, l'inconnu discute à l'intérieur du magasin. On rebrousse chemin. Slalome entre deux-trois rues et tombe sur la silhouette familière d'un monsieur longeant le trottoir d'un pas lent. Échine droite, visage paré de lunettes à montures fines, sourcils fournis, Christian Valantin se dresse devant nous. Élégant sous son costume marron foncé, ses mocassins assortis, et sa chemise ciel à "col Mao".
Il avait disparu de la scène publique sénégalaise en 2001. À la suite des législatives qui parachevèrent l'Alternance survenue un an plus tôt, point final de 40 ans de règne PS. On le retrouve en pleine promotion de son livre Trente ans de vie politique avec Léopold Sédar Senghor. "Un texte unique sur Senghor, l'homme politique", avertit sa maison d'édition, Belin. En dehors des mèches blanches qui recouvrent complètement sa tête, sa démarche hésitante et son visage couturé de rides, il n'a pas vraiment changé.
Avec agilité, il s'installe à l'avant de la voiture. Et, après les salutations, indique au collègue au volant la destination : hôtel "Résidence". "Je voulais vous recevoir chez moi, mais il y a des travaux, se désole-t-il. On sera plus tranquilles là où on va." Lorsque l'on emprunte un sens interdit, il s'empresse de relever la contravention. Mais au lieu de pester contre le conducteur indélicat, il lui accorde des circonstances atténuantes en s'en prenant aux autorités municipales locales : "Il n'y a aucun panneau de signalisation. Je ne sais pas ce que font les maires ici."
De Barthélémy à Christian
Ce genre de coup de gueule est souvent le propre des "anciens combattants" pour qui tout était mieux avant. Mais chez Valantin il traduit un attachement viscéral à l'ordre et à la discipline. Le professeur Abdoulaye Élimane Kane, ancien ministre et membre du bureau politique du PS, témoigne : "Christian avait une bonne connaissance des textes du parti et bien que très conciliant sur beaucoup de questions il ne manquait jamais, de rappeler l'orthodoxie et les dispositions pertinentes lorsque, cela s'imposait." Dans son livre sur Senghor, le concerné rappelle que ses "arrière-grands-parents et grands-parents faisaient partie de cette société politique qui exposait ses idées avec clarté, franchise et courtoisie. Parvenus à de hautes fonctions politiques, ils n'hésitaient pas à dénoncer les injustices du système colonial". Une affaire de famille, donc.
Christian Valantin est né le 13 avril 1929 à Saint-Louis. Deux siècles auparavant, son arrière-grand-père, Barthélémy Valantin, ouvrait la voie à la fratrie en arrivant le premier dans l'ancienne capitale de l'ex-AOF. Son grand-père, Barthélémy-Durand était député du Sénégal en 1948 et en même temps "faisait office, à l'époque, de maire de Saint-Louis", sa ville natale. Celui qui se définit comme un "métis culturel", "sénégalais en même temps que français", a longtemps essayé de retracer ses origines du côté de son père, Marc-Édouard, également né à Saint-Louis, en remontant le chemin de son bisaïeul. Mais ses recherches dans le Sud-Ouest de la France n'ont rien donné. Ni à La Rochelle, où "des contacts" l'avaient orienté, ni à Rochefort où il a certes retrouvé un Valentin, "mais avec un 'e'". "Je n'en sais pas plus, abdique-t-il. Par contre, j'en sais davantage du côté de ma mère."
Et pour cause. Suite au décès en 1940 de leur maman, Madeleine Valantin née Guillabert (à Saint-Louis également), quatre ans après celui de leur père, lui (11 ans) et son frère cadet, Henri-Louis (8 ans), seront élevés par leur grand-mère maternelle, Suzanne Guillabert. Un nom très réputé à Saint-Louis. Qu'il n'est plus besoin de présenter. Les frères Valantin ont donc passé leur enfance au 10 de la rue Blanchot. Là où, bien plus tard, l'ainé fera une rencontre décisive, qui allait bouleverser sa vie.
Déjeuner décisif
1955. Ministre du gouvernement français, Senghor déjeune chez les Guillabert. À l'étudiant en droit qui rêve de devenir avocat (il le deviendra plus tard), il propose de faire "Colo". Plus qu'un conseil, c'était une prescription. Senghor : "Nous aurons besoin des cadres qui sont actuellement en fin d'études ; deviens administrateur et dans dix ans tu seras gouverneur du Sénégal." Objection de Valantin : "Avant dix ans, le Sénégal sera indépendant." Réplique du poète-président : "Avant d'être indépendant, il nous faudra quelques années d'apprentissage par l'autonomie interne."
La prédiction du jeune homme de 26 ans se réalise, le Sénégal devient indépendant en 1960. Mais en fin de compte, les craintes de l'ancien ministre français s'avéreront fondées. Christian Valantin l'admet en arborant un sourire malicieux : "L'histoire lui a donné raison. La situation actuelle des pays africains montre que nous n'étions pas prêts pour l'indépendance." Il suivit quand même la direction indiquée par le premier Président du Sénégal. Reçu au concours d'entrée à l'ENFOM (École nationale de la France d'outre-Mer), ses camarades de promo avaient pour noms Babacar Bâ, Cheikh Hamidou Kane, Amady Aly Dieng, Kane Diallo Modibo, Henri Senghor… et des ressortissants d'autres colonies, bref ces cadres dont parlait Senghor. Lesquels devaient permettre aux jeunes États africains d'assumer pleinement leur accession à la souveraineté internationale.
Comme pour le récompenser de l'avoir écouté, Senghor fit de lui son chef de cabinet après son élection à la présidence de la Fédération du Mali, le 4 avril 1959. Le nouveau breveté de l'ENFOM avait juste 30 ans. C'était son premier poste administratif. Le point de départ d'une riche carrière au cœur de l'État : il devient, à l'éclatement du Mali, directeur de cabinet du ministre du Plan et du Développement, Karim Gaye (septembre 1960), puis gouverneur de la région de Thiès (1961), directeur général de l'OCA (Office de commercialisation agricole, 1963) et directeur de cabinet de Senghor (1965), en remplacement d'Abdou Diouf, qui cumulait cette fonction avec celle de secrétaire général de la présidence.
Virage politique
Avril 1967. Senghor, qui le jugeait "particulièrement préparé à faire de la politique", lui propose d'être candidat aux législatives du 25 février 1968. Il accepte le challenge en se présentant à Thiénaba, dans le département de Thiès. Un choix loin d'être fortuit. Il confesse : "Mes fonctions de gouverneur (de Thiès) m'avaient permis de nouer des relations d'amitié avec nombre de personnes qui pouvaient m'aider à m'implanter politiquement, notamment Serigne Ibrahima Seck dit Serigne Thiénaba, qui m'apporta un soutien indéfectible. Il en fut de même avec Serigne Cheikh Tidiane Sy, aujourd'hui khalife général des Tidianes, qui ne manquait jamais de parler à des auditoires importants du cousin que j'étais pour lui." Il sera élu en 1968 et régulièrement réélu jusqu'en 2000. Trente-deux ans à l'Assemblée nationale où il a régulièrement siégé aux commissions des Finances et des Lois.
Cette longévité, Christian Valantin la doit certes à ses qualités intellectuelles, mais aussi à ses qualités humaines, son attachement à sa base politique. Un jour, raconte un ancien responsable socialiste, pour faire revenir à de meilleurs sentiments un vieux militant socialiste de Ngoundiane (un village de la région de Thiès) fâché contre lui, Valantin n'hésita pas à bouder pendant plusieurs heures une plénière à l'Assemblée nationale. C'était en 1997. Le téléphone du député socialiste sonne, on lui apprend qu'un de ses électeurs lui a tourné le dos. Il quitte ses collègues illico pour aller éteindre l'incendie. Arrivé à Ngoundiane vers midi, il pique directement aux champs où le militant en colère vaquait à ses occupations. Il passe la journée avec lui, le raccompagne à la fin de la journée installé avec lui sur sa charrette tirée par un âne, déjeune avec lui dans sa concession autour d'un bol de lakh avant de prendre congé peu après 18 heures, certain que le rabibochage est réussi. Rentré à Dakar dans la soirée, il retrouve ses collègues à l'Assemblée nationale et la plénière qui tirait en longueur.
"Désenghorisation" ?
Malgré ce riche pedigree l'ancien directeur de cabinet de Senghor n'a jamais occupé de fonction ministérielle sous Abdou Diouf. Dommage collatéral de la "désenghorisation" dont on accusait, à tort ou à raison, l'ancien chef de l'État de se livrer après son accession au pouvoir en 1981 ? L'air fort irrité par cette question, Valantin proteste. "Ce n'est pas cela. J'ai toujours préféré être parlementaire. Abdou Diouf, on entretient les meilleurs rapports." Il est l'auteur de nombre de ses discours. L'avait alerté, en 1999, sur une possible défaite à la présidentielle de 2000. L'avait applaudi lorsqu'il coupait l'herbe sous les pieds à ses proches qui, sentant souffler le vent de l'Alternance, envisageaient de "voler la victoire d'Abdoulaye Wade". Et, à son élection à la tête de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), en 2003, il travaillera à ses côtés jusqu'à sa retraite en 2008.
Depuis, Christian Valantin partage sa vie entre la France et le Sénégal. Passant quatre mois ici et huit mois là. L'hôtel "Résidence" est pour lui un passage obligé lorsqu'il séjourne à Saint-Louis. L'endroit est posé à l'angle de la rue Blaise Diagne au quartier Nord. Il est propre, sobrement décoré avec goût et généreusement offert à la lumière du jour. Le calme qui y règne n'est troublé que par des notes de musique en sourdine venant du bar et par un monsieur posté au premier étage du bâtiment qui, à deux reprises, fait des grands signes d'impatience à notre interlocuteur. Nous discutons depuis plus d'une heure. Finalement, Christian Valantin s'excuse : "Pourrait-on se revoir à Dakar ? J'y serai à partir de lundi. Je devais rencontrer ce monsieur depuis 11 heures et là, il fait presque midi."
Rendez-vous est alors pris le vendredi suivant à l'hôtel Farid de la rue Vincens. On le redécouvre plus détendu. Normal, pourrait-on dire. Son "livre se comporte très bien en librairie". "Nous avons écoulé plus de 200 exemplaires en quelques jours", jubile-t-il en commandant à boire et en me proposant "quelque chose". Un café pour moi et un jus d'orange pour lui. "J'ai soif", se plaint-il en s'emparant de son verre qu'il vide au tiers d'une traite avant de replonger dans les souvenirs compilés dans son livre : comment et pourquoi Senghor est entré en politique. L'impact de sa pensée philosophique sur sa pratique politique. Comment, malgré l'humiliation ayant précipité sa démission de la SFIO, il a réussi à manœuvrer pour remporter les législatives de 1951, sous la bannière de son propre parti, le BDS, et au nez et à la barbe de Lamine Guèye. La marche vers l'indépendance. L'éclatement de la Fédération du Mali. Les prémices de la crise de 1962. Sa gestion et son dénouement. L'ascension d'Abdou Diouf. Le départ de Senghor du pouvoir…
"Qui suis-je pour oser ?"
Ces pans importants de l'histoire du Sénégal sont étalés sur près de 200 pages pour rafraîchir les mémoires de ceux qui auraient "tendance ces temps-ci à oublier un peu Senghor". "Il était nécessaire de le rappeler à l'attention de ses concitoyens et du monde entier", insiste l'auteur. Mais Trente ans de vie politique avec Léopold Sédar Senghor a failli ne jamais voir jour. Valantin a beaucoup hésité avant de décider de le mettre au monde. "Qui suis-je pour oser ?" s'est-il longtemps interrogé avant de se lancer.
Auteur de la préface du livre, le philosophe Souleymane Bachir Diagne réussit à chasser ses doutes. Avec un argument-massue : "Ceux qui, comme moi, ont le bonheur d'avoir souvent entendu Christian Valantin parler de celui qui fut son mentor pendant des décennies, lui répondront simplement que la sienne, parmi toutes ces voix de biographes, est celle de quelqu'un qui fut de l'équipe Senghor, qui le connut au point où, ainsi qu'il le rapporte, il pouvait 'lire sa pensée' dans les situations qu'ils vivaient ensemble, déchiffrer sur le visage de son 'patron' quels sentiments l'habitaient. Je fais partie des amis de Christian Valantin qui ont souvent fait valoir devant son hésitation qu'il avait, en vérité, le devoir d'ajouter à ce qui s'est écrit sur Senghor, ce qu'il pouvait en dire depuis sa position unique de témoin privilégié." Imparable !
D'autant que l'ouvrage se veut un viatique pour la jeunesse : "J'ai écrit ce livre pour les jeunes. Parce que j'ai constaté, je constate- et je ne suis pas le seul d'ailleurs- que les jeunes Sénégalais ne connaissent pas leur histoire."
"Belle plume"
Le livre sur Senghor est un document d'histoire et en même temps un récit autobiographique. L'auteur "témoigne non seulement des événements qui ont secoué la jeune République mais aussi, et peut-être surtout, du poids des engagements philosophiques de Senghor dans sa pratique politique". Et par intermittence, sans jamais s'écarter de son sujet principal, Senghor, il dévoile des séquences entières de sa propre vie et de son parcours de haut fonctionnaire de l'administration sénégalaise. Au plan de la forme, il allie rigueur factuelle, profondeur d'analyse et style dépouillé, preuve qu'il n'a pas contribué pour rien à l'élaboration de certains discours de l'un des théoriciens de la Négritude et été par hasard l'un des "nègres" du Président Abdou Diouf.
En effet, Christian Valantin est un esthète de la langue. Ndioro Ndiaye, ancienne ministre socialiste, rapporte que le discours d'Abdou Diouf lors de la venue du pape Jean-Paul 2 à Dakar, en 1992, une visite qui avait suscité beaucoup de réticences de la part de certains chefs religieux musulmans, fait partie de ses chefs d'œuvres. Abdoulaye Élimane Kane ajoute : "Belle plume et maitrise parfaite du Français, il est souvent volontaire pour présenter un texte, ou bien lorsqu'on le sollicite, s'en acquitte à la satisfaction générale. Très sollicité, il arrive souvent à nos rencontres hebdomadaires épuisé mais souriant. Je l'ai vu, à plusieurs reprises, vaincu par la fatigue, tomber dans les bras de Morphée, en réunion de Bureau politique. Mais personne ne lui en tient rigueur, personne ne lui dit rien : ça dure quelques minutes et il se réveille tout seul. Et parfois il recommence. Mais une fois remis d'aplomb il nous gratifie souvent de l'une de ses belles interventions toujours respectueuses des bonnes liaisons entre la consonne terminale d'un mot et la voyelle initiale du mot suivant. Un régal !"
"Une seule fois", concède le professeur Kane, sa plume a été publiquement contestée : "Chargés tous les deux de faire un projet de communiqué lors de la campagne présidentielle de 2000, nous y avons travaillé ensemble avec conscience et dévouement. À notre grande surprise dès la fin de la lecture du texte quelqu'un s'est écrié : 'ça manque de souffle'. Bien que peu convaincu de la pertinence de cette remarque j'ai aussitôt rétorqué : 'Dans ce cas ça ne peut être imputé qu'à moi car étant sujet à des crises d'asthme, j'ai le souffle court'. Les protestations de mon camarade d'infortune bien que très audibles furent noyées dans un gigantesque éclat de rire auquel il prit une part conséquente."
Cette aisance avec la langue, il le doit à sa grand-mère maternelle, Suzanne Guillabert. "Elle nous disait : 'Lorsque vous parlez le Français, parlez-le bien ; lorsque vous parlez le Wolof, parlez-le bien'", rapporte Christian Valantin qui, s'extasie un de ses parents saint-louisiens, "s'exprime parfaitement aussi dans la langue dite de Kocc Barma". "Il parle le Wolof mieux que la plupart des Sénégalais que je connais, renchérit un de ses anciens collègues à l'Assemblée nationale. Ce qui était un atout pour le responsable politique en zone rurale qu'il était."
"Discret", "secret"
Mais si ses qualités intellectuelles, sa loyauté envers ses supérieurs hiérarchiques, son engagement politique, son attachement à Saint-Louis et son humanisme sont connus, loués, Christian Valantin reste un personnage énigmatique. "Discret" pour les uns ; "secret" pour les autres. "Cette figure quasi historique du régime socialiste m'a toujours semblé fuyante, évanescente mais toujours là, confie un ancien directeur général du journal Le Soleil. Sans doute, sa trajectoire dans l'appareil d'État s'explique, au moins en partie, par le paradoxe d'une telle permanence politique."
Divorcé de la mère de son unique enfant, Marc-Antoine, un médecin, il ne s'est pas remarié. Il n'a pas souhaité s'épancher sur le sujet. Sur beaucoup d'autres questions ayant rythmé la marche du Sénégal, non plus. "Je ne souhaite pas réveiller de vieux démons", botte-t-il en touche à propos, notamment, de l'identité des responsables socialistes qui tentaient de "voler la victoire d'Abdoulaye Wade" en 2000, des commanditaires de l'assassinat de Me Babacar Sèye ("je ne sais pas grand-chose de cette affaire"), des chefs religieux qui étaient opposés à la venue du pape Jean-Paul 2 en 1992…
"Macky doit faire attention"
La rencontre avec Christian Valantin s'est déroulée moins de deux semaines après l'annonce par Macky Sall de sa décision de renoncer à réduire son mandat de 7 ans à 5 ans et de la tenue du référendum le 20 mars. Lorsque nous l'interpellons sur le rétropédalage du chef de l'État, il marque une pause. Nous fixe du regard et, comme pour éviter les oreilles indiscrètes, murmure qu'"il (Macky) n'était pas tenu de suivre l'avis du Conseil constitutionnel". Va-t-il pour autant, à l'instar de beaucoup de Sénégalais déçus de ce dénouement, rejeter le projet de réformes de la Constitution qui incluait la réduction du mandat présidentiel, sans effet rétroactif ? "Je vais voter, c'est sûr. Mais je suis pour le moment indécis", lance-t-il.
Toutefois il salue les initiatives du président de la République en matière de lutte contre la corruption. Il dit : "Il doit poursuivre dans ce registre et faire beaucoup attention à son entourage." Invité à être plus précis, il esquive avec un rire amusé et en croisant les jambes et les bras dans un mouvement coordonné de repli. Et pour annihiler toute velléité de relance, il change de sujet. Nous questionne sur SenePlus et nous souhaite "bon courage" en espérant nous revoir "bientôt, dans huit mois". Un laps de temps si court qu'on ne devrait pas le confondre à ce moment-là. Même de très loin.
(SenePlus.Com, Dakar) – Guide du mouridisme, l’une des plus grandes confréries musulmanes du Sénégal, Serigne Fallou Mbacké a toujours été un grand supporter de Léopold Senghor, premier président de la République du Sénégal, un chrétien.
Dans un pays composé à majorité de musulmans, cette alliance était "étrange" aux yeux d’un journaliste français qui voulait en savoir plus. Dans un entretien accordé à ce dernier, le Khalife de Touba (1945-1963), considérant que "la politique ne se mêle pas à la relighion", indique que Senghor lui semblait le plus à même de mener le Sénégal vers un futur radieux.
Venu inaugurer la grande mosquée de Touba, le 7 juin 1963, édifice à la réalisation de laquelle il avait grandement contribué, Senghor tint un discours dont le thème principal était la laïcité. Mais à Serigne Fallou, "il s’adressa d’abord en ami, ‘vous m’avez adopté comme votre fils’, et rendit ‘un hommage public à cette vieille amitié’. Senghor rappelait au Khalife que ‘voilà dix-huit ans, un jour de novembre’, il était venu lui dire ses intentions politiques et qu’il avait reçu son soutien. ‘Depuis, vous ne m’avez jamais abandonné.’ Ce soutien ajoutera à la légitimité électorale de Senghor".
Surtout, ce soutien pèsera d’un poids considérable dans la nette victoire (67,8%) de Senghor devant Lamine Guèye, un musulman, aux législatives de juin 1951. Les deux hommes ne seront séparés que par la mort. Serigne Fallou s’étant éteint le 6 août 1968.
Voir la vidéo de l'entretien avec le deuxième Khalife de Touba.
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SENGHOR RACONTÉ PAR CHRISTIAN VALANTIN
EXCLUSIF SENEPLUS - Bonnes feuilles du livre "Trente ans de vie politique avec Léopold Sédar Senghor" - Préface de Souleymane Bachir Diagne
IBRAHIMA FALL DE SENEPLUS |
Publication 08/03/2016
Saint-Louis, 1955. Ministre dans le gouvernement français, Léopold Senghor est de passage dans la capitale de l’AOF. Il déjeune chez Louis Guillabert. Au jeune Christian Valantin, petit-fils du chef de la maison, qui lui fait part de son intention de devenir avocat, il conseille de faire "colo". Ainsi il pourra devenir, dix ans plus tard, gouverneur du Sénégal. "Avant dix ans, le Sénégal sera indépendant", répond Valantin. "Avant d’être indépendant, il nous faudra quelques années d’apprentissage par l’autonomie interne", réplique Senghor. Le Sénégal accéda à l’indépendance cinq ans après, en 1960.
L’élève eut donc raison sur le maître, mais suivit son conseil. Les deux hommes étaient partis pour un long compagnonnage. Brevet de l’ENFOM (École nationale de la France d’outre-mer) en poche, Christian Valantin fut nommé chef de cabinet par Senghor, qui venait d’être élu président de l’Assemblée fédérale du Mali, le 4 avril 1959. Il sera par la suite tour à tour gouverneur de Thiès, directeur de l’OCA (Office de commercialisation agricole), directeur de cabinet de Senghor avant d’être élu député en février 1968. Il sera réélu jusqu’en 2000. Trente-deux ans de vie parlementaire. Sous la bannière socialiste.
C’est cet homme qui vient, à 87 ans, de publier Trente ans de vie politique avec Léopold Sédar Senghor, 196 pages d’histoire, d’analyse et de réflexion où il est question de la culture, de la négritude, des droits de l’homme, de la démocratie, du métissage, de l’Unité africaine, de la francophonie, de la civilisation de l’universel…
Le livre commence par une interrogation de l’auteur sur sa légitimité à évoquer Senghor : "Qui suis-je pour oser aborder, à mon tour, un tel sujet, alors que d’autres, sans doute plus autorisés, l’ont fait avec justesse et talent ?" Question à laquelle Souleymane Bachir Diagne répond dans la préface portant sa signature : "Ceux qui, comme moi, ont le bonheur d’avoir souvent entendu Christian Valantin parler de celui qui fut son mentor pendant des décennies, lui répondront simplement que la sienne, parmi toutes ces voix de biographes, est celle de quelqu’un qui fut de l’équipe Senghor, qui le connut au point où, ainsi qu’il le rapporte, il pouvait 'lire sa pensée' dans les situations qu’ils vivaient ensemble, déchiffrer sur le visage de son 'patron' quels sentiments l’habitaient."
L’équation de sa légitimité résolue, surgit celle de l’opportunité de parler de Senghor aujourd'hui, en 2016. Christian Valantin que SenePlus a rencontré à Saint-Louis puis à Dakar, s’employant à faire la promotion de son livre, ne vise qu’un but : "permettre à la jeunesse sénégalaise de connaître l’histoire de son pays".
Nous vous proposons ci-dessous les bonnes feuilles de ce document d’histoire, qui allie rigueur factuelle, profondeur d’analyse et qualité d’écriture. Des ingrédients sans lesquels toute ligne sur Senghor serait presqu'un affront à l’homme de culture, "tombé en politique". Celui que Souleymane Bachir Diagne classe parmi les personnalités "qui ont dominé de toute leur stature le XXe siècle, en particulier l’ère des décolonisations et des premiers pas des jeunes nations africaines devenues indépendantes".
"C’était au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Senghor venait d’être nommé professeur à l’École nationale de la France d’outre-mer (ENFOM), à la chaire précédemment occupée par Maurice Delafosse, ethnologue africaniste. Il avait obtenu une bourse du Centre national de la recherche scientifique pour mener, au Sénégal, une enquête sur la poésie populaire sérère.
Lorsqu’arrivèrent les élections de novembre 1945, Lamine Guèye, avocat et homme politique, lui demande, au nom de la ‘Fédération socialiste’ du Sénégal, de faire acte de candidature. Senghor raconte : ‘J’ai hésité pendant un mois. Je sentais en effet que cela allait être la fin de ma carrière universitaire et, peut-être, de ma carrière poétique’ ; il avait ‘peur de tomber dans la politique’. Cependant, au-delà des pressions familiales et amicales, il trouva une raison objective d’accepter : la misère dans laquelle les années de guerre et de sécheresse avaient plongé les paysans sénégalais.
Il a pris le soin de laisser à la postérité ses discours les plus essentiels, ses interventions les plus explicatives, ses messages les plus importants, tous concentrés dans cinq tomes, au titre évocateur, Liberté. Ce seul mot dit bien l’attitude de Senghor tant dans sa pensée que dans son action : c’est en homme libre qu’il pense et agit. En Africain aussi : la négritude fut le fil conducteur de sa vie personnelle, poétique, intellectuelle et politique. La conciliation fut le modus operandi qu’il choisit, pour rapprocher les contraires et aboutir au consensus. La symbiose, non la seule rencontre mais le mélange des civilisations et des cultures, notamment noires et blanches, fut son utopie suprême.
Dans deux livres, La Poésie de l’action et Ce que je crois, il coucha sur le papier la synthèse de sa vie et de sa pensée. Pour montrer la justesse de ses objectifs, il fit appel aux plus grands africanistes et penseurs, donnant à ses dires et à ses écrits la force d’une vérité.
"Qui suis-je pour oser… ?"
"Qui suis-je pour oser aborder, à mon tour, un tel sujet, alors que d’autres, sans doute plus autorisés, l’ont fait avec justesse et talent ? Je réponds. Encore lycéen mais déjà passionné par la politique comme tant de mes camarades, je devins, avec ceux-ci, dans les dernières années de la décennie 1940, un admirateur de Senghor. Je le suis resté et, à la fin de mes études universitaires, en 1958, il m’appela pour faire partie de son équipe.
Je terminai ma carrière administrative dix ans plus tard, non sans avoir exercé, grâce à lui, plusieurs fonctions aussi captivantes et passionnantes les unes que les autres, en cette période où le Sénégal, en accédant à l’indépendance, tournait le dos à presque cent ans de domination coloniale. Constatant que j’avais le goût de la politique, Senghor m’incita à devenir député ; c’est à Thiès, dont il fut le maire, et surtout dans le département qui l’environne que je fus élu jusqu’en 2000. À soixante et onze ans, après trente-deux ans de vie politique et parlementaire, le moment était venu de m’en retirer.
Après avoir été mêlé au plus près à la nouvelle politique institutionnelle, administrative, économique, financière, culturelle, parlementaire du Sénégal, j’ai pu, autant que faire se peut, voir comment Senghor articulait ses idées à ses actes, quels résultats il obtenait, quel regard il portait sur le pouvoir qu’il détenait. Ce fut passionnant, une grande leçon d’humilité, de rigueur et de pragmatisme, de fermeté, de sollicitude accompagnée d’un sens aigu des responsabilités. Un esprit de décision. (…)
La négritude, la Culture, l’Unité africaine, la francophonie, la Civilisation de l’Universel seront les mots-clés de ce récit dans lequel se concentrent à la fois la pensée visionnaire, l’action de Senghor et le témoignage que les diverses fonctions que j’ai occupées pendant quarante-deux ans me permettent de livrer.
Rencontre avec la négritude
"Dans Ce que je crois, son dernier livre, Senghor raconte qu’il voulait être prêtre. Le père Lalouse, directeur du collège séminaire, en qui il reconnaissait une grande compétence d’enseignant, voulait faire de ses élèves sénégalais des ‘Français à peau noire’ adoptant ainsi, sans y voir à mal, la politique coloniale d’assimilation. Ce que lui reprochait respectueusement mais clairement Senghor qui, à force de s’insurger et de revendiquer, portait implicitement la parole des séminaristes. Le père Lalouse, de guerre lasse, le convoqua pour lui dire que le sacerdoce n’était pas sa vocation, car un prêtre doit en tout premier lieu savoir obéir. Senghor pouvant d’autant moins s’incliner devant les erreurs de jugement du père-directeur que, d’autre part, ce dernier, par des paroles blessantes, stigmatisait le mode de vie en brousse. La susceptibilité du jeune Senghor s’en trouvait atteinte. (…) Senghor découvrait, sans le savoir, la négritude. Le mot n’existait pas encore. Finalement, il quitta le collège pour rejoindre l’école secondaire ‘officielle’ devenue depuis le lycée Lamine Guèye. Ce choix révèle son caractère déjà affirmé. Il ne transigeait pas et c’est alors qu’il se sentit ‘Nègre’ : le jeune Léopold ‘gardait des expériences de son enfance le sentiment d’appartenir à une grande civilisation’.
Il fut question de l’envoyer en France. Ce que ne voulait pas son père, préférant le destiner à un travail qu’il connaissait et qui lui avait procuré quelques satisfactions : un métier de traitant. Sa tante Hélène, épouse d’un autre Senghor, frère de son père, devina sans doute que ce travail n’était pas fait pour son neveu. Instruite à Saint-Louis chez les sœurs de Saint Joseph de Cluny où elle se lia d’amitié avec une de mes tantes, elle entreprit de convaincre son beau-frère de le laisser partir en France et d’y poursuivre ses études. Elle y réussit. Senghor lui en fut éternellement reconnaissant.
(…)
Justification de la négritude
"C’est dans la philosophie de Bergson que Senghor trouva la justification de la négritude. En effet, dans sa thèse, Bergson montre que, depuis la Renaissance, ‘les valeurs de la civilisation européenne, reposant essentiellement sur la raison discursive et les faits sur la logique et la matière, devaient être dépassées par l’intuition, pour avoir une vision en profondeur du réel’. Ce fut la ‘révolution de 1889’ qui, révélant une autre manière de penser, donna, par un retournement dialectique, à la philosophie une direction radicalement opposée à celle qui prévalait jusqu’alors. Le réel, c’est la vie qui est mouvement de la pensée, de l’action. Senghor fait donc mouvement pour rester dans le réel ; il fait sien le vitalisme de Bergson et imprimera la marque du bergsonisme à sa pensée comme à son action politique. Son acharnement à promouvoir la fédéralisme et le confédéralisme procède de ces idées pour faire progresser son action politique en Afrique et à l’extérieur.
Senghor accorde à l’art nègre une importance capitale. Par rapport à l’esthétique gréco-latine, il exprime un symbole, non une imitation ; il est explicatif, non descriptif ; il participe du vitalisme : c’est le rythme qui exprime, par le symbole, la force vitale à laquelle Senghor, éduqué par son Tokor dans l’animisme de ces ancêtres, manifeste sa confiance. ‘L’Être est force au sens ontologique du mot’. C’est cette force qui, finalement, le fait ‘tomber en politique’ et le fait accéder jusqu’au sommet, alors que personne, ne pariait sur sa capacité à y parvenir.
(…)
Moralement atteint
"Senghor fut élu à l’occasion des élections aux deux Constituantes de 1945 à 1946, député français du Sénégal sur la liste SFIO de Lamine Guèye. Bien vite, il se rendit compte que sa présence au sein de la fédération socialiste de l’Afrique occidentale française (AOF) était devenu difficile, sinon impossible : des violations de règles du parti, des accusations infondées de trahison, de multiples problèmes de procédure, l’incompétence du congrès fédéral extraordinaire pour juger du ‘cas Senghor’, lettres restées sans réponse, vexations diverses. Finalement, l’aveu fait à Senghor par certains camarades socialistes SFIO révèle le fond du problème : le comité directeur donne sa préférence à Lamine Guèye en qui il voit la tête de proue de la politique africaine de la France.
Cet épisode, qui relate la relation du député avec la SFIO de 1948, a été détaillé par Senghor lui-même dans sa lettre de démission à Guy Mollet. Il découvre les dessous du fonctionnement d’un parti, ses fourberies, ses comportements, ses comportements antidémocratiques. On le sent très humilié et très déçu par le comportement de ses camarades de parti, finalement par l’impuissance de la direction du Parti à régler son différend avec Lamine Guèye.
Il en tire la conclusion : ‘Devant une telle mauvaise volonté, il ne nous reste plus qu’à partir.’ Il revient donc de ses illusions. Lui en restait-il vraiment ? Il sera cependant moralement atteint sans renoncer pour autant à ses convictions socialistes ni aux amitiés qu’il avait pu nouer pendant ces quelques années passées à la SFIO. Malgré tout, il démissionne et crée son parti.
Senghor créa son parti, le BDS, avec lequel il gagna les élections législatives du 17 juin 1951. De plus, à la surprise générale, il remporta les deux sièges de député, privant Lamine Guèye du sien. Comment Senghor, intellectuel dans l’âme, rêvant d’une chaire au Collège de France, pressé par ses propres parents à accepter l’offre de Lamine Guèye, comment s’était-il transformé en leader politique ? Comment, lâché à Paris par le Comité directeur de la SFIO, entra-t-il en dissidence et créa-t-il son propre parti ? Comment Senghor put-il, avec une formation politique de trois ans seulement, bouleverser à ce point la donne politique au Sénégal, et ce avec une administration coloniale dévouée à son concurrent ? Il y a de quoi répondre à ces questions.
(…)
"Senghor me conseilla…"
"Bachelier, je m’inscrivis à l’Institut de droit de Dakar qui préfigurait la future faculté de droit de l’université de Dakar. J’y décrochai ma première année de licence en droit. Puis ce fut le grand saut vers la France. Paris était ma destination. Je devais y poursuivre mes études de droit et préparer, au lycée Henri IV, mon entrée à l’ENFOM. Mon adaptation à la vie parisienne ne se faisait pas dans les meilleures conditions. Ma santé en fut affectée et je fus contraint de faire une cure de repos à la montagne pour soigner une primo-infection. Je m’inscrivis en même temps à la faculté de droit de Toulouse où je terminais ma licence pour devenir avocat. Je ne le suis pas devenu, du moins pas immédiatement.
Senghor, qui était ministre dans le gouvernement d’Edgar Faure, de passage à Saint-Louis, vint déjeuner à la maison. Me demandant ce que je voulais faire, je lui dis mon intention d’être avocat. Sans vouloir me contrarier, il me conseilla de faire ‘Colo’, pour le plus grand plaisir de ma grand-mère et, pour me convaincre, me fit entrevoir la perspective d’atteindre les plus hautes fonctions territoriales, les TOM, devant connaître dans les années à venir d’importantes transformations institutionnelles. Il précisa : ‘Nous aurons besoin des cadres qui sont actuellement en fin d’études ; deviens administrateur et dans dix ans tu seras gouverneur du Sénégal’. Mais, je lui répondis : ‘Avant dix ans, le Sénégal sera indépendant’. ‘Avant d’être indépendant, me répliqua-t-il, il nous faudra quelques années d’apprentissage par l’autonomie interne.’ C’était l’avis de sept territoires sur huit de l’AOF (la Guinée exceptée). Nous étions en 1955, un an avant le vote de la loi-cadre et cinq ans avant l’indépendance.
Senghor avait-il raison ? Politiquement non : le congrès du Parti du regroupement africain (PRA), réuni à Cotonou du 25 au 27 juillet 1958, optant pour l’indépendance immédiate, le mit en minorité. Raisonnablement oui : l’avenir lui donna raison.
(…)
Face à Lamine Guèye
"Au Sénégal, Senghor cherchait à rassembler les forces vives de la nation pour construire un pays nouveau. Les victoires électorales de 1951, 1952, 1956 donnèrent au BDS et à Senghor une légitimité reconnue par tous. C’est ainsi qu’après la victoire aux législatives du 2 janvier 1956, Senghor répondit à de jeunes intellectuels sénégalais pour les remercier d’avoir adhéré au BDS. S’en suivit, au cours du mois de juin 1956, une série de d’adhésion au BDS de personnalités importantes et la fusion de trois formations politiques autour d’un parti dominant, le sien. Seule la SFIO, tout en participant durant le mois de juillet 1956 aux travaux de la commission de la fusion, donna un accord de principe, qu’elle remit finalement en cause. Cette situation créa des scissions au sein de la SFIO et du MPS-RDA. Le mouvement autonome de Casamance (MAC) se détacha de la SFIO ainsi qu’un groupe dit des Socialistes Unitaires. Un groupe de MPS-RDA dissident fit de même. La commission de fusion ainsi recomposée adopta les conclusions de la commission qui, le 12 août 1956, furent signées par les cinq partis. Le congrès constitutif du parti unifié prévu le mois de février 1957 porta le nom de Bloc populaire sénégalais (BPS-Parti unifié des masses sénégalaises) ; Senghor en était le directeur politique.
Le premier test électoral du BPS aura lieu le 18 novembre 1956 à l’occasion des élections municipales dont le régime a été profondément modifié. Deux listes sont en concurrence : le BPS et l’Action démocratique et socialiste de Lamine Guèye, dont la référence à la SFIO fut abandonnée, du moins en apparence. Le BPS de Senghor remporta ces élections sauf à Dakar, à Saint-Louis et à Louga. Lamine Guèye, vainqueur à Dakar et à Saint-Louis, confirma sa représentativité dans les deux plus grandes communes du Sénégal. Ceci expliqua sans doute son refus de fusionner avec le BDS en juin 1956 ; il attendait de savoir comment se dérouleraient les élections municipales.
Réconciliation avec Lamine Guèye
"Les élections du 31 mars 1957 eurent lieu immédiatement après la promulgation des décrets d’application de la loi-cadre qui consacrait entre la France et ses ex-colonies un rapport d’autonomie interne. Le rapport de force confirmant la domination du BPS et la place de seconde formation politique de l’Action démocratique et socialiste, le paysage politique du Sénégal va s’en trouver modifié. En effet, le regroupement des partis politiques n’était pas achevé : il manquait le parti de Lamine Guèye. Le BPS forma le premier gouvernement autonome de la loi-cadre.
Cet événement eut un important retentissement salué dans un grand meeting, le 17 juin 1957, par la réconciliation entre Senghor et Lamine Guèye ; la fusion entre le BPS et le Parti socialiste d’action sociale (PSAS) pouvait se réaliser après acceptation de leurs instances respectives ; ils fusionnèrent dans un seul parti qui fut nommé, sur proposition de Lamine Guèye, l’Union progressiste sénégalaise (UPS) : il conduisit le Sénégal à l’indépendance et le géra pendant de longues années. Ce fut la fin d’une décennie de guerre implacable entre Senghor et Lamine Guèye et entre leurs partis. La volonté de deux grands hommes d’agir démocratiquement a permis de mettre fin à ce combat politique impitoyable.
Il leur fallut une force de caractère peu commune et une générosité sans faille pour aboutir à ce résultat. Pour Lamine Guèye, il fallut surmonter ses profondes désillusions après la dissidence de Senghor, sa cinglante défaite aux législatives du 17 juin 1951 et aux élections qui suivirent. Certes, les municipales de 1956 qui le virent gagner à Dakar et à Saint-Louis lui mirent du baume au cœur, mais elles lui donnèrent surtout une représentativité certaine. Senghor en tint compte par la suite : il proposa à l’UPS que Lamine Guèye devienne, le 2 avril 1959, le président de l’Assemblée nationale après l’indépendance. Cela ne se fit pas sans mal, les ex-BDS revendiquant pour un des leurs, cet honneur qui semblait leur revenir naturellement. Mais Senghor, en homme d’État, soucieux de l’unité de la nation, imposa sa volonté. Il dépassa ainsi son statut de chef de parti pour faire valoir désormais celui qui allait être le sien à la tête de la future République.
À partir de ce moment Senghor, devint un autre. C’est cet autre qui agira lors de la crise de 1962.
(…)
Crise de 1962
"Après l’éclatement de la Fédération du Mali, l’Assemblée législative du Sénégal, érigée en Assemblée constituante avait adopté, le 25 août 1960, une constitution, promulguée le 29 août ; elle fut inspirée par Senghor, élu président de la République du Sénégal le 5 septembre 1960. La construction institutionnelle répondait dans la forme aux normes constitutionnelles standard, mais elle n’avait jamais été confrontée à des situations attestant du rôle qui théoriquement était le sien On pouvait penser qu’elle prenait appui sur les qualités supposées du détenteur du pouvoir, tant il est vrai qu’une Constitution ne prouve sa solidité qu’en fonction de la force morale et politique de celui qui en est le ‘Gardien’. La personnalité de Senghor mettait-elle la République à l’abri des dérives ? L’État en création se révélera-t-il assez solide pour éviter des accidents pouvant le mettre en péril ? Des réponses à ces questions dépendaient la crédibilité de l’État de droit qu’on voulait instituer et l’avenir du pays.
Tout avait bien commencé. Mamadou Dia, à la tête du gouvernement autonome, avait, avec le P. Louis Joseph Lebret, lancé des réformes importantes et justifiées : le premier plan de développement était en cours d’élaboration. Mais les options prises sur le plan économique, les mesures d’austérité et d’assainissement des mœurs sociales n’étaient pas du goût de tout le monde. Les manifestations de rue se succédèrent. Au début de l’année 1962, le climat politique commençait à se dégrader dans le parti majoritaire traversé par des luttes de clans pour se transformer, au fil des mois, en crise institutionnelle qui faisait ressortir des divergences entre les deux têtes de l’exécutif gouvernemental. On voyait venir cette crise depuis quelque temps : réunions et remaniement ministériel ne laissaient aucun doute sur sa fatale issue. La confiance s’était évanouie, les paroles qui s’échangeaient n’avaient plus rien d’amical ni même de courtois, deux camps s’affrontaient, la raison laissait place à l’émotion.
Cet épisode, que j’ai personnellement vécu, ne présageait rien de bon.
Je gouvernais en ce temps la région de Thiès et Thiès était proche de Dakar, 70 kilomètres exactement, ce qui me permettait de me rendre facilement dans la capitale et d’y rencontrer des personnes particulièrement informées. Un soir avant de rentrer à Thiès je décide d’aller voir chez lui Ibrahima Sarr, ministre de la Fonction publique et du Travail. On se rencontrait souvent, car il était un responsable politique influent dans la région. Syndicaliste, héros légendaire de la grande grève des cheminots de 1947, il conservait de solides amitiés à la cité Ballabey de Thiès. Pour le gouverneur que j’étais, c’était précieux. De plus, il était saint-louisien et le meilleur ami de mon oncle, André Guillabert. Il me reçut comme un oncle reçoit son neveu. Je le sentis préoccupé ; effectivement il ne décolérait pas contre Senghor qui avait laissé le ministre de l’Intérieur embarquer sans management le vieux président honoraire de l’Assemblée territoriale dans un fourgon de la police pour le ramener à Kaolack, au vu et au su de tous, comme pour l’humilier. Ibrahima Seydou Ndao se trouvait à Dakar, invité par le président Senghor, pour y recevoir des soins à l’hôpital principal où normalement il occupait une chambre spécialement aménagée pour sa paralysie survenue à la suite d’u très grave accident de la route plusieurs années auparavant, lors d’une tournée politique. Malgré son état, Ibrahima Seydou Ndao était resté un responsable politique important dans tout le Sénégal et notamment dans la région du Sine Saloum. Senghor lui devait d’avoir créé le BDS. Il avait été pendant presque dix ans président de l’Assemblée territoriale du Sénégal. Valdiodio Ndiaye, originaire du Saloum, fils d’une des grandes familles, celle du Bour Saloum, qui avait régné sur cette partie de la région, n’était pas sans ambitions, légitimes au demeurant. Il voulait être le patron incontesté de la région et éliminer le vieux président qui ne se laissait pas faire. Le ministre de l’Intérieur avait alors décidé de rapatrier le vieil homme de force à Kaolack, dans un fourgon cellulaire. Ibrahima Sarr, qui vouait une piété quasi filiale à Ibrahima Seydou Ndao, était furieux et reprochait à Senghor d’avoir, contrairement aux coutumes du pays, laissé faire alors que ce dernier était son invité. Sous le coup de la colère, il décidé de rallier le camp de Mamadou Dia, alors qu’il n’avait pas pris position jusque-là.
Senghor ne réagit pas. Ce qui lui valut de la part de l’opinion publique une forte et persistante accusation de faiblesse, voire de lâcheté. Je pus me rendre compte, cependant, que le président Senghor était d’une vigilance extrême devant ce qui se passait ; il attendait son heure. Au sein de son cabinet, il était aidé par Michel Aurillac, son conseiller juridique, et par le lieutenant-colonel Pierre, directeur de la gendarmerie du Sénégal dont le rôle fut particulièrement déterminant au moment de l’éclatement de la Fédération du mali. Quant à Mamadou Dia, il n’avait plus à ses côtés celui qui, depuis le 15 septembre 1958, était devenu, outre son directeur de cabinet, son confident, son ami plus que fidèle : Roland Colin, qui savait mieux exprimer les idées et l’opinion de son 'patron' comme il aimait l’appeler. Le 9 septembre, en effet, atteint par une tuberculose ancienne qui s’était réveillée, il fut rapatrié en France, la mort dans l’âme, conscient de la gravité d’une situation sénégalaise qui ne cessait de se dégrader. Je suis de ceux qui pensent, et je ne suis pas le seul, que la présence de Roland Colin auprès de son ‘patron’ aurait pu favoriser une autre issue à cette crise. C’est l’avis de Michel Aurillac, avec qui Colin entretenait les meilleures relations, et même celui de Senghor.
(…)
"En 1962, Mamadou Dia, dont la politique d’austérité et de redressement économique mécontentait jusque dans l’opinion publique, ne trouvait pas, non sans l’avoir cherché, le soutien de l’Assemblée. Il prit alors des décisions qui conduisirent à sa perte : le 17 décembre, il fit arrêter quatre députés et ordonna aux forces de police et de gendarmerie d’occuper l’Assemblée nationale, c’est-à-dire empêcher le fonctionnement régulier des institutions.
Juridiquement ce fut une tentative de coup d’État mais on peut se poser la question de savoir si Mamadou Dia en avait besoin, lui qui avait pratiquement tous les pouvoirs. Ce fut en tout cas une erreur politique majeure qui, en ressemblant à un coup d’État, se paya comptant, comme toute faute politique. Mamadou Dia commit alors, pour se défendre et éviter la Haute Cour de justice, deux erreurs : la première fut la différence de perception que Senghor et lui avaient de son statut, la seconde fut sa sous-estimation de la capacité de réaction du président de la République.
Primauté du parti
"Mamadou Dia considérait qu’il tenait de l’UPS son mandat de président du Conseil, Senghor, lui, estimait tenir le sien, non de l’UPS, mais de la Constitution dont il était le gardien et assurait le respect. Désignés, certes, par le parti majoritaire, ce sont les députés, qui validaient on invalidaient ce choix. Se référer à la primauté du parti pour justifier son action et lui demander d’arbitrer le différend était un détournement de sens. Le 23 juillet 1960, lors du Congrès de l’UPS-PFA, deux ans avant la crise de 1962, Senghor, alors secrétaire général de l’UPS, avait prononcé ces paroles : ‘le rôle du parti est de conception, de direction et de contrôle. C’est dire sa primauté sur les autres organismes- politiques, économiques, sociaux, culturels- dont le rôle est essentiellement d’étude, d’élaboration et de gestion. Ceux-ci mettent en forme et en pratique la doctrine et le programme du parti’. Le 23 juillet 1963, cette fois-ci sept mois jour pour jour après la crise, répondant à ceux qui faisaient de la primauté du parti un dogme intangible, Senghor précisait, cinglant, «la primauté du parti ne peut jamais être invoquée contre la Constitution». Il était ici cohérent non seulement avec lui-même, mais encore avec les règles de toute institution démocratique et avec celles de l’UPS.
La dérive de la primauté du parti semait la confusion. Une tendance tenace, persistante pendant de longues années, s’était ancrée dans les esprits : ce que la parti décidait devait automatiquement être entériné par les institutions de la République ; l’UPS, malgré les reproches qu’on pouvait lui faire, n’était pas un parti bolchevique ; dans ses différentes instances, il investissait ses candidats aux élections et personne, pas même Senghor, n’y trouvait à redire. Mais les militants de l’UPS avait pris la mauvaise habitude de croire que le choix du parti s’imposait aux institutions, contre la loi suprême, au besoin. Ce fonctionnement est ce qu’on appelle une dictature.
De surcroît, une lecture du texte révélait que ‘le mandat impératif (étant) nul’, l’Assemblée n’était pas obligée de tenir compte des avis d’une formation partisane, fût-elle majoritaire. Le 17 décembre 1962, les députés empêchés de se réunir à l’Assemblée nationale votèrent au domicile du Président de l’Assemblée une motion de censure à l’unanimité des 47 présents, faisant ainsi savoir qu’ils retiraient leur confiance à Mamadou Dia et à son gouvernement. Dans un tel cas, surtout quand on a le droit avec soi, on n’hésite pas. La démocratie était sauve. Combien de fois Senghor n’a-t-il pas dit aussi, répété et écrit que dans l’expression ‘socialisme démocratique’, l’adjectif est le plus important que le substantif ? Pourtant, un événement au centre duquel il s’était trouvé aurait dû alerter Mamadou Dia : l’éclatement, le 20 août 1960, de la fédération Sénégal-Soudan du mali. Pendant que le Sénégal vivait une démocratie parlementaire, le Soudan avait adopté un mode totalitaire. C’est sur cette dichotomie que l’éclatement a eu lieu.
Senghor détenait un pouvoir qui semble n’avoir pas été pris en compte par Mamadou Dia ; en tant que président de la République, il était, de par la Constitution, chef des armées, et les militaires avaient décidé de lui obéir. Il appliqua le texte constitutionnel qui lui commandait d’assurer, par son arbitrage, en cas de crise grave, le fonctionnement régulier des institutions. Cette disposition ne figurait pas dans la Constitution française de 1946, mais dans celle de 1958. Senghor l’avait-il pris à titre préventif, en l’important dans le texte sénégalais de 1960 ? On peut le penser comme on peut en douter. Toujours est-il qu’un texte constitutionnel doit toujours prévoir des garde-fous.
"Le pouvoir corrompt"
"Le 18 décembre 1962, retrouvant l’Assemblée, 55 députés sur 80 votèrent le transfert des attributions du Président du Conseil au président de la République et l’instauration d’un régime présidentiel. Le président de la République devenait chef du gouvernement. Tout ce que Senghor voulait éviter d’être. Dans cette affaire deux amis se sont perdus. Ne s’étaient-ils pas trop éloignés l’un de l’autre ? Le pouvoir corrompt…
(…)
Si Mamadou Dia avait manifesté quelque autoritarisme pendant qu’il était chef du gouvernement (on l’en a souvent accusé), et il faut admettre que son tempérament l’incitait quelques fois à se montrer peu commode, ces épreuves ont fait de lui un homme qui avait gagné l’estime et le respect d’un grand nombre de personnes. À son retour à la vie normale, en 1974, il alla rencontrer Senghor qui le reçut au Palais. Il prit l’initiative, pour le saluer, de lui donner, l’accolade ; Senghor en fut surpris mais l’accepta. C’était le signe, sinon d’un oubli, au moins d’une marque de celui qui veut effacer toute trace de ce que la politique peut avoir de cruel. La loi d’amnistie que Senghor avait fait voter en 1976 peut-être considérée comme une réponse symbolique au geste fraternel d’un homme sans haine. Pourquoi avoir attendu deux ans après la libération de Mamadou Dia ? Sans doute par prudence. Il voulait s’assurer, vu la situation, qu’il n’avait plus rien à craindre de l’ancien président du Conseil ni de ses compagnons. Senghor dit un jour à Roland Colin qu’il fut profondément ébranlé par la douleur qu’il ressenti d’avoir perdu un ami, mais qu’il se devait de remplir sa mission de chef d’État.
La crise de 1962 provoqua, avec la rupture du tandem Senghor-Dia, la disparition de celui qui était la force (au sens philosophique et bergsonien du terme), indispensable à l’élaboration et à la réalisation du Plan ; Mamadou Dia, dans le même temps, avait lui aussi perdu en Senghor, le versant politique de cette force, tout aussi indispensable à son action.
(…)
L’âme de la République
"La crise de 1962 avait conduit Senghor à rester au pouvoir et à instaurer un régime résidentiel. Mais ‘la trop grande concentration du pouvoir entre les mêmes mains poussait les responsables placés au dessous à se décharger de leurs responsabilités’. D’où la nécessité de déconcentrer le pouvoir : ‘le chef de l’État dont la fonction essentielle est de déterminer la politique de la Nation la fait exécuter par un Premier ministre’. La stratégie qu’il adopta pour le nommer fut un chef-d’œuvre d’exécution en même temps qu’elle posait le problème de sa succession. Tout le pays attendait et les pronostics allaient bon train. Faisant fi des rumeurs, il brouilla les pistes et se paya le luxe de sauter une génération lorsqu’il révéla son choix. En désignant Abdou Diouf, qu’il avait déjà jugé comme secrétaire général de la présidence, fonction de confiance s’il en est, il voulait le tester à une fonction encore plus élevée, celle de Premier ministre. Abdou Diouf était jeune, il avait tout juste trente-cinq ans. C’était important et, sans doute, cet âge fut déterminant. Il n’est pas surprenant que Senghor ait songé de longue date à sa succession : Abdou Diouf m’a raconté qu’un jour où son épouse et lui se trouvaient à une réception au palais, le président s’éloigna discrètement avec Madame Diouf des personnes qui l’entouraient, pour lui faire une confidence : il s’agissait pour elle de prendre soin de son mari à qui il entendait réserver un grand avenir.
Le 31 décembre 1980, quand il remit sa démission à Kéba Mbaye, premier président de la Cour suprême, il l’invita à ‘recevoir, dans le cadre de la Constitution, le serment de Monsieur Abdou Diouf, l’actuel Premier ministre’. En quittant le pouvoir volontairement, Senghor effaçait la baisse de popularité provoquée par une démocratie à parfaire, jointe à l’insuccès relatif de sa politique de développement. Renaissait alors dans l’opinion nationale et internationale le président exemplaire parce que vertueux qui, voulant quitter le pouvoir, avait préparé à son successeur une présidence stable et durable.
(…)
De lui-même, Senghor quitta le pouvoir vingt ans après l’avoir exercé en tant que président de la République et trente-cinq ans après ‘être tombé en politique’.
Le 28 septembre 1948, vers 10 heures du matin, arrivent à l'hôpital Principal de Dakar un homme de petite taille et un autre de taille moyenne. A leur descente de voiture, ils montent à l'étage du service des opérés récents et entrent dans la chambre numéro 4.
Sur le lit, se trouve allongé un grand corps sous le plâtre de la tête aux pieds. Ce corps n'est autre que celui du Président Ibrahima Seydou Ndaw, victime d'un grave accident de la circulation, au chevet de qui viennent se rendre ses deux amis que sont les Présidents Léopold Sédar Senghor et Léon Boissier Palun.
Cette visite avait un double objectif : s'enquérir des nouvelles de l'ami malade et l'informer de la prise de décisions d'importance concernant Senghor. D'abord et en premier lieu l'informer de sa démission de la SFIO, ensuite celles de ne pas se représenter aux prochaines élections des députés, de se retirer définitivement de la scène politique sénégalaise et enfin de rentrer en France pour y continuer sa carrière d'enseignant.
Après l'avoir écouté attentivement, le Président Ibrahima Seydou Ndaw a aussitôt réagi de la façon la plus ferme en lui faisant comprendre qu'il n'entendait pas renoncer au combat qu'ensemble ils avaient décidé de mener contre la politique du Président Lamine Gueye.
Le président Boissier acquiesçait de la tête et le Président Ibrahima Seydou Ndaw de demander à Senghor de reconsidérer sa position et de s'engager dans une logique d'une autre nature : celle de la création d'un parti d'opposition.
Mais Senghor, qui voyait le Président Lamine Gueye inattaquable et imbattable en raison de ses nombreux soutiens auprès des autorités et de l'administration coloniale de l'époque, en plus des quatre (4) communes, entendait persister, affirmant que sa position était irréversible. Il estimait que, face à la puissance de Lamine Gueye, il serait suicidaire de l'affronter compte tenu surtout de la précarité de l'état de santé du Président Ndaw.
Boissier ayant adhéré totalement à l'idée de la création d'un parti d'opposition, le Président Ndaw et lui se sont employé à convaincre Senghor. Ce qui n'à point été facile car il leur aura fallu plusieurs tours d'horloge pour aboutir à un accord.
C'est ainsi que le Président Ibrahima Seydou Ndaw a donné le nom du parti et demandé l'impression dans un premier temps de trois mille cartes de membre. Senghor, toujours sceptique, estimait le nombre de cartes excessif. Le Président Ndaw lui avait répondu par un silence plat et un long regard qu'il eut du mal à contenir.
Aujourd'hui, 25 septembre 2015, après 67 ans d'histoire, le Parti Socialiste (PS) demeure toujours populaire et performant. Un véritable challenge au Sénégal. C'est pourquoi nous voudrions profiter de cette occasion pour rendre grâce à Dieu et rendre une fois de plus à son Père fondateur, le Président Ibrahima Seydou Ndaw, et à ses illustres compagnons, un vibrant hommage tout en revisitant leur passé glorieux.
Devant sa Majesté, le Roi Mohamed VI , le chef de l'Etat, le Président Macky Sall et de nombreux dignitaires religieux, politiques et coutumiers, nous avons assisté à un hommage au goût d'inachevé ; car évoquer l'inauguration de la Grande Mosquée de Dakar par le Président Senghor, en présence du défunt Roi du Maroc, sans rappeler que le Président Mamadou Dia a été à la base de sa construction, relève d'une omission ou d'une erreur grave qui mérite d'être rectifiée à plus d'un titre.
D'aucuns y voient une volonté délibérée d'escamoter la vérité et de porter ainsi préjudice à l'historicité des faits. Il est curieux de constater aujourd'hui que, depuis plus d'un demi-siècle que la grande mosquée de Dakar a été construite, la majorité des Sénégalais ignore que le Président Mamadou Dia en est le concepteur et le réalisateur, avec le soutien actif d'un de ses meilleurs amis, Feu le Roi Mohamed V. C'est ainsi que toutes les réalisations de cet homme d'Etat exceptionnel sont dissimulées au peuple sénégalais.
Ce cadre offrait une occasion merveilleuse de rappeler le caractère exemplaire à tout point de vue de la grande amitié qui liait le Président Mamadou Dia au Roi Mohamed V. Une amitié qu'en dehors du Président Ahmed Sékou Touré, le Roi du Maroc n'entretenait avec aucun autre chef d'Etat africain.
Si c'est Senghor qui a inauguré la Grande Mosquée de Dakar, l'histoire retiendra surtout que c'est le Président Dia qui l'a construite. Faut-il rappeler que c'est le même Mamadou Dia qui a aidé à la reprise des travaux de la Grande Mosquée de Touba en 1957, après un long arrêt, et que c'est encore le même Senghor qui l'a inaugurée pendant que Mamadou Dia était en prison.
Educateur de formation, instituteur émérite, le Président Mamadou Dia est venu à la politique par le biais du Président Ibrahima Seydou Ndaw qui, le premier, a découvert en lui une foudre d'orateur, une plume d'or et un bourreau de travail. C'est ainsi qu'à la création du BDS, il lui a confié la rédaction des documents de bases du parti, son implantation à travers le pays et son secrétariat général provisoire, avant d'être confirmer à ce poste jusqu'en 1959, conformément à la volonté renouvelée de ses camarades de parti.
Vice-président du Conseil du gouvernement du Sénégal avant l'indépendance, il a gouverné le pays avec Ibrahima Seydou Ndaw, à l'époque, comme Président de l'Assemblée Territoriale du Sénégal de 1957 à 1959. De 1959 à 1962, investi de tous les pouvoirs en qualité de Président du Conseil du gouvernement, il a de fait gouverné le Sénégal.
Avant d'avoir été le père de notre indépendance en signant son acte, il a été l'initiateur de nos réformes juridiques, administratives et économiques. Donc le concepteur et le réalisateur de l'Etat du Sénégal.
oursuivant son rôle d'inaugurateur, Senghor est venu après 1963 comme pour le consolider pour ne pas dire fignoler. Son grand talent d'économiste reconnu lui a permis d'initier, avec l'aide du Père Lebret, notre premier plan de développement avec la création de centres d'Expansion Rurale, de centres d'Animation Rurale et des centres de Coopération. Très tôt, il a acquis la notion du développement à la base et par la base.
Après d'avoir jeté les jalons d'une politique d'autosuffisance alimentaire, il a aussitôt, entre autres, créé la SAED et construit l'Ecole Nationale des Cadres Ruraux de Bambey, le centre de formation et de perfectionnement administratif (CFPA) et l'école nationale d'économie appliquée (ENEA).
La réussite de sa politique d'habitat social avec la mise en place de l'Office des Habitations à Loyer Modéré (OHLM) ne souffre d'aucune ambiguïté.
Le Président Dia a été, avec le Président Julius Nyerere, un des précurseurs du développement à partir de la base en Afrique.
Aussi sa contribution au côté de MR Gally, Cheikh Ahmadou Mbacké "Gaïndé Fatma" et d'autres compatriotes de bonne volonté a permis la mise sur pied de la SICAP, dont le rôle dans le domaine de l'habitat social est aussi important que celui de l'OHLM.
Création de Air Afrique
Le Président Mamadou Dia a eu notamment à créer deux (2) institutions bancaires que sont la BNDS et l'USB qui étaient exclusivement réservées, la première au monde rural, la seconde à l'entreprenariat, avec interdiction formelle aux fonctionnaires et aux politiques d'y toucher. Ces deux organismes financiers, conçues pour promouvoir notre développement économique, avaient commencé à faire leurs preuves avant d'être vandalisées par de sinistres prédateurs aussitôt après l'arrestation du Président Dia.
Sa participation dynamique et efficace aux cotés de ses pairs à la création de la première compagnie aérienne africaine (la regrettée Air Afrique) et à la nomination de son premier Directeur Général Sénégalais, Feu Cheikh Fall, a été des plus déterminante dans la réussite de cette audacieuse expérience continentale.
Nous n'avons pas la prétention de revenir ici sur toutes les grandes réalisations du Président Dia, tant elles sont nombreuses et variées, mais il nous fallait en énumérer quelques unes de manière pédagogique pour ceux qui les auraient encore ignorées.
Malheureusement, certaines infrastructures qu'il avait soigneusement mises en place sont les unes mortes sous l'ère malsaine du régime de son successeur, d'autres dévoyées. D'où notre retard sur tous les plans. Nostalgique du régime du Président Dia, on ne peut s'empêcher d y penser chaque fois aujourd'hui que le Président Macky Sall pose un acte fort.
Il est anecdotique de constater que c'est Dia qui construisait et Senghor qui inaugurait les chrysanthèmes. Une belle illustration du compagnonnage politique de nos deux hommes.
C'est ainsi que des falsificateurs de notre histoire sont allés jusqu'à attribuer à Senghor la paternité du BDS (Bloc Démocratique Sénégalais) qui n'est autre que l'ancêtre de l'actuel Parti Socialiste (PS). Ils semblent ignorer qu'à cette époque, celui-ci était peu connu.
Ne maitrisant même pas sa langue maternelle et ne sachant parler aucune langue du pays, il était sans ressource financière. Ils ne savent certainement pas qu'a la même époque, c'est Me Léon Boissier PALUN qui l'hébergeait avec sa femme Ginette Eboué et l'assistait financièrement avec le concours de Mbaye Diagne DEGAYE.
Feu Bacary Diagne, fils aîné de ce dernier, détenait les récépissés des mandats que son père envoyait régulièrement à Senghor. Dans les conditions que voilà, comment pouvait-il créer un parti politique ? C'est la pire des aberrations. Autant, ils ignorent que l'homme était surtout réticent à la création de ce parti, terrorisé par Lamine Gueye qu'il disait sans cesse trop puissant à travers les quatre (4) communes. Ils ne savent pas notamment que, parmi les principaux cofondateurs du BDS, Senghor est sans conteste, celui qui a le moins contribué à sa réussite.
Evidemment, le mythe du diplôme dont il était le seul titulaire à l'époque aidant, Senghor jouissait de beaucoup de considération, d'estime et d'admiration auprès de ses camarades de parti. N'en déplaise à tous ceux qui, au sein du Parti Socialiste (PS), s'obstinent à ne pas regarder la réalité en face et vouer au vrai père fondateur de leur parti et de ses principaux collaborateurs la reconnaissance, l'estime, le respect et la considération qu'ils méritent.
Le Parti Socialiste ne s'en porterait que mieux. Si le BDS était un humain, c'est Ibrahima Seydou Ndaw qui serait la tête, Mamadou Dia les membres supérieurs, Léon Boissier Palun, Abdou Karim Bourgi et Mbaye Diagne Degaye le cœur et les organes vitaux et enfin Senghor les membres inférieurs.
S'il était un immeuble, Ibrahima Seydou Ndaw serait l'ingénieur-architecte, Mamadou Dia le chef de chantier, Léon Boissier Palun, Abdou Karim Bourgi et Mbaye Diagne Degaye les financiers et Senghor le décorateur. De grâce, sifflons la fin de la récréation et cessons de jeter des fleurs fanées aux imposteurs.
Le Président Léon Boissier Palun, ce sénégalais d'adoption, en décidant de rentrer définitivement en France, à la suite d'un profond désaccord avec Senghor, nous a légué deux (2) immeubles situés au Plateau contrairement à certains Sénégalais de souche qui nous ont pillés pour se construire des immeubles et autres villas cossues. Nous ne saurions ne pas évoquer le rôle important joué par Me Boissier Palun dans l'histoire politique du Sénégal.
Ancien Ministre du premier gouvernement du Sénégal sous la Loi Cadre, Boissier a participé brillamment au processus de notre indépendance avant d'être porté à la tête du Conseil Economique et Social. Rappelons que c'est lui qui a payé les frais d'impression des trois mille premières cartes de membres du BDS et le Car Rapide dit "Ndondi" avec lequel le Président Dia a sillonné le pays pour y implanter ce même parti. Avocat de formation, ce grand génie a conçu et réalisé les plans architecturaux de l'Assemblée Nationale et de l'Ancien Palais de Justice du Cap Manuel.
L'idéal serait de rendre solennellement hommage à ces illustres inconnus, dont le seul crime est d'avoir été humbles, modestes et effacés. Ailleurs, il existe des scandales géologiques mais au Sénégal nous vivons de véritables scandales humains à travers l'oubli de ces hommes de référence.
L'imam des années 60
Nous nous en voudrions de ne pas signaler que dans la même situation se trouvent confondus de nombreux hauts dignitaires religieux, musulmans et chrétiens, comme Thierno Souleymane Baal, Tafsir Maba Diakhou Ba, Mgr Yacinthe Thiandoum, l'Abbé Sock, Cheikh Abdoul Aziz Sy Dabakh, Cheikh Bamba Sall, Cheikh Ahmadou Mbacké Gaïndé Fatma, Serigne Mbaye Sy Mansour, Cheikh Abdou Ahad Mbacké et Khaly Omar Fall de Pire, pour ne citer que ceuxlà. Ensemble, travaillons à les faire découvrir par les générations montantes et futures qui y gagneraient à cesser d'importer des valeurs, des modèles et des références.
Les morts ne sont pas morts, disait Birago Diop, comme pour perpétuer la mémoire des grands disparus. Par contre, au Sénégal, on semble vouloir nous faire croire que ces morts sont morts, définitivement morts et enterrés.
Au vu de tout ce qui précède, la reconversion des mentalités tant prônée par le Président Dia est plus que jamais d'actualité. Plus de cinquante années après cette volonté exprimée du Président Dia de restaurer nos valeurs morales en danger, la perversion des mentalités, de la morale et de l'éthique est telle qu'elle menace dangereusement aujourd'hui les fondamentaux même de l'Islam.
Que dire de cet "Imam" des années soixante (60) dont le "wax-waxeet" avait longtemps défrayé la chronique ? Après avoir donné le prénom de son fils au Président Dia, il déclara, après l'arrestation de celui-ci, que le parrain de son fils était le prophète Mouhamadou Rassouloulah (PSL) et non Mamadou Dia. Aujourd'hui que la détérioration de nos valeurs a atteint un niveau jamais égalé, il urge de revenir à nos anciennes pratiques les plus saines et aux hommes vertueux qui les incarnaient.
Quoi de plus grave que la présence parmi les profanateurs de nos valeurs morales, d'individus ostensiblement affublés de l'épais manteau religieux. Ces véritables boursicoteurs politiques, qui n'hésitent pas à transformer leurs Dahiras en partis politiques dans l'intérêt exclusif de leurs familles. Sans scrupule, ni vergogne, ils caracolent en tête du troupeau des transhumants les plus abjects au détriment de la morale et de la discipline de leur confrérie.
C'est pourquoi nous continuons à croire que c'est l'engagement du Président Macky Sall à restaurer ces valeurs travesties, à lutter contre l'injustice et l'impunité, à procéder à la reddition systématique des comptes et à prendre en compte les conclusions des Assises Nationales dans la révision constitutionnelle prochaine qui ont été déterminants dans son élection et non celui de réduire son mandat de sept à cinq ans.
Pour toutes ces raisons, nous devons nous rappeler de ces héros, ces modèles, hélas tombés dans l'oubli le plus total, nous inspirer de leurs valeurs et les inculquer aux prochaines générations. C'est à ce prix seulement que nous pouvons émerger sous un soleil nouveau où il fera bon vivre.
En vérité, il existe au Sénégal d'innombrables personnalités d'envergure incommensurable qu'une certaine politique d'ostracisme, savamment orchestrée, a mises hors du champ visuel du peuple sénégalais en général et de sa jeunesse en particulier en quête de modèles étrangers.
De toutes ces victimes, le cas du Président Ibrahima Seydou Ndaw demeure le plus grave. Parmi les parrains politiques, politico-religieux, et coutumiers du Sine-Saloum, le Président Ibrahima Seydou Ndaw est politiquement le plus important et présente incontestablement le taux d'utilité sociale le plus élevé. Mais il demeure malheureusement le moins pris en considération.
Militant sans étiquette politique pendant de nombreuses années, il s'est dévoué corps et âme et de manière désintéressée à la cause de ses concitoyens. C'est pourquoi sa carrière politique a été des plus fulgurantes. Premier africain premier adjoint au Maire de Kaolack avant l'indépendance, il a été le premier Maire de cette ville après l'indépendance. Il fut également élu premier président de l'Assemblée Territoriale érigée en Assemblée Constituante puis Législative du Sénégal, responsable politique du Sine-Saloum et enfin Premier président honoraire de l'Assemblée Nationale à sa disparition.
Le Président Ibrahima Seydou Ndaw était également le Président de l'Association des commerçants du Sine-Saloum qu'il avait luimême créée pendant l'occupation coloniale. Alors que son parrainage porte sur une école élémentaire en zone inondable et une avenue où son nom est mal écrit, le Président Lamine Gueye, qui n'a aucun lien avec le Sine-Saloum et sa capitale et qui n'y a exercé aucune fonction, s'est vu décerner le titre de parrain du stade omnisport de Kaolack.
Le marabout Cheikh Ibrahima Niasse se voit attribuer le double titre de parrain de l'hôpital de Kaolack et de l'Université du SineSaloum. Ainsi, le lycée de Kaolack revient à Valdiodio Ndiaye, ancien Ministre de l'intérieur du Sénégal, ancien responsable politique régional du Sine-Saloum et ancien Maire de Kaolack. En réalité, toute cette distribution, même parcimonieuse, de titres de parrainage ou d'avantages quelconques ne saurait assurer une élection ou une réélection à un candidat qui ne respecterait pas ses engagements vis-à-vis du peuple.
Or, les faits qui sont d'un entêtement inouï nous rappellent que c'est grâce au soutien du Président Ibrahima Seydou Ndaw que le Président Lamine Gueye a été élu Président du Conseil Général en 1945 ; que le Président Ibrahima Seydou Ndaw a toujours triomphé largement de toutes les élections qu'il a eu à disputer avec le Marabout Cheikh Ibrahima Niasse et Djim Momar Gueye, son rival politique de l'époque.
Quant à Valdiodio Ndiaye, il est incontestablement un pur produit du Président Ibrahima Seydou Ndaw dont le soutien constant et déterminant ne lui a jamais fait défaut depuis ses études jusqu'à sa nomination au poste de Ministre de l'Intérieur, en passant par sa carrière professionnelle et parlementaire. Il fait partie, avec le Président Kéba Mbaye, Lamine Diakhaté et tant d'autres, des cadres supérieurs sénégalais qu'il a aidé à se forger et qui font aujourd'hui la fierté de notre peuple.
Le Président Ousmane Camara a eu l'honnêteté intellectuelle et le courage d'en témoigner dans son dernier ouvrage : "Mémoires d'un juge africain".
Ce sont là des réalités probablement méconnues de la génération d'après indépendance qui mérite qu'on y revienne pour l'histoire et la morale. Aussi, certains cumuls dans l'attribution des titres de parrainage sont-ils manifestement injustes, donc inacceptables.
Premier titre foncier de Touba
En effet, il existe au Sine-Saloum d'autres personnalités religieuses comme Tafsir Maba Diakhou Ba et l'Imam Abdou Kane qui méritent, elles aussi, d'être célébrées eu égard à leur dimension spirituelle et morale incommensurable. Pour ceux qui ne le sauraient pas, Cheikh Ibrahima Niasse était pour moi un père que j'aimais, qui m'a toujours manifesté son estime et son affection ; son ancienne épouse, Sokhna Yama Sow, peut en témoigner.
Le Président Lamine Gueye, que je fréquentais et qui a connu mon père depuis la SFIO, nourrissait des sentiments de profonde sympathie à mon égard en raison de ma proximité avec le Président Ibrahima Seydou Ndaw et n'hésitait jamais à me le manifester à chaque occasion ; c'est ainsi qu'il m'appelait affectueusement "Toma" : homonyme.
Quant à Valdiodio Ndiaye, de solides liens d'amitié, de fraternité et d'estime nous ont liés à jamais ; c'est ainsi qu'ensemble nous avons eu à partager pendant sa longue détention des moments aussi émouvants qu'exaltants. Mais de par ma tradition et mon éducation, je n'ai jamais pu souffrir que l'on malmène la justice et travestisse la vérité.
Sur le plan religieux, Ibrahima Seydou Ndaw entretenait les meilleures relations avec toutes les cités religieuses du pays. Rappelons que c'est lui qui a effectué toutes les démarches qui ont abouti à la délivrance du premier Titre Foncier de Touba qu'il remettra entre les mains de Cheikh Mamadou Moustapha Mbacké, premier Khalif de Cheikh Ahmadou Bamba en 1927.
L'on sait toute la grande importance que recèle ce document, car en plus des prières et des bénédictions de Serigne Touba, il a largement contribué à la sécurisation et à la valorisation du périmètre foncier de la ville Sainte. Son action et son soutien s'étendaient à toutes les capitales religieuses du pays comme en témoigne son chauffeur Feu El hadji Amadou Gueye Lat-Dara, qui était également un des grands adeptes de Seydi Ababacar Sy.
A la demande de son ami et frère Cheikh Awa Balla Mbacké, il a fait construire le premier forage de Darou Mouhty à un moment où cette collectivité très importante dans le dispositif du mouridisme était confrontée à une pénurie d'eau sans précédent.
Feu Amadou Doudou Sarr, ancien Directeur Général de l'ONCAD, alors membre du mouvement des jeunes du BDS, nous a informés qu'un jour où ce forage est tombé en panne de mécanique et de carburant, il a été dépêché par le marabout auprès du Président Ndaw qui a aussitôt réagi le même jour à la très grande satisfaction des populations, sorties en masse dès qu'elles ont entendu le bruit des moteurs du forage. Le président Ibrahima Seydou Ndaw est connu pour avoir été le parrain de tous les grands hommes politiques sénégalais à l'exception de Blaise Diagne et Ngalandou Diouf.
Après avoir découvert Mamadou Dia par l'intermédiaire de Monsieur Ibrahima Diouf, alors Directeur d'école à Fatick, comme a eu à le reconnaître humblement le président Dia dans son ouvrage "Corbeille d'Afrique", il a été le père fondateur du BDS.
Une bonne partie des militants de l'actuel Parti Socialiste feignent d'ignorer, aujourd'hui, ce détail important parmi d'autres de l'histoire de leur parti.
Ainsi, c'est toujours le Président Ibrahima Seydou Ndaw qui a mis les pieds de Senghor à l'étrier, au moment où, accablé par l'entourage immédiat du Président Lamine Gueye, il s'apprêtait à renoncer définitivement à la politique pour retourner en France. Sa caution, nous ne le répéterons jamais assez, a été déterminante dans l'élection du Président Gueye en 1945.
L'aveu est du Président Lamine Gueye, qui, après avoir été laminé aux élections de 1951, confiait à ses proches que son tombeur n'était ni Senghor, ni Dia, mais Ibrahima Seydou Ndaw. Ainsi leur avait il promit de les infiltrer afin de les diviser. C'est pourquoi le Président Ibrahima Seydou Ndaw s'était vivement opposé à la fusion de leurs deux partis décidée par la France.
Ainsi un an après la réalisation de cette fusion le Président Ibrahima Seydou Ndaw devait quitter le parti avec beaucoup d'amertume après l'avoir créé dix ans auparavant et le Président Dia cinq ans après en été écarté dans des conditions dramatiques. Avec son rêve d'un pouvoir absolu, Senghor était très mal a l'aise au milieu de ses trois anciens compagnons d'infortune qu'étaient les Présidents Ibrahima Seydou Ndaw, Mamadou Dia et Léon Boissier Palun qui après l'avoir adopté ont été également à l'origine de toute sa fortune politique.
Senghor avait la présomption à l'époque pour pouvoir régner en maitre absolu, il lui aurait fallu auparavant écarter du pouvoir ces trois grands leaders .Ce qu'il aura réussi sans coup férir grâce à la duplicité de ses victimes qui croyaient en la réciprocité des sentiments d'estime et de confiance qu'elles nourrissaient à son égard.
Après l'élimination des trois hommes, les uns après les autres, Senghor est resté seul maitre à bord avec le Président Lamine Gueye, son ancien mentor, dont il était, certes redevable tout comme à l'égard des trois autres sinon plus. Ainsi ils se sont confortablement réinstallés l'un à la tête de l'exécutif, l'autre à la tête du parlement pour gouverner le Sénégal
C'est ce qui explique également l'effondrement de la SFIO du Président Lamine Gueye quand il a quitté en 1948 pour fonder le BDS. Ibrahima Seydou Ndaw a, seul parmi tous les hommes politiques de sa génération, eu le grand mérite d'avoir combattu de façon permanente les autorités coloniales de l'époque et certains chefs de canton véreux qui oppressaient nos faibles paysans et d'autres démunis sans défense.
A cette époque, il n'exerçait aucun mandat politique et ne s'était armé que de sa plume, son courage et sa détermination, d'où son surnom de "Jaraaf". De nombreux administrateurs de colonies et agents de l'administration coloniale, dont nous détenons la liste, furent l'objet de sévères sanctions administratives à cette époque. S'ingénier aujourd'hui à effacer ces grandes figures de la mémoire collective nous semble être une gageure aussi vaine que l'ensevelissement d'une ombre.
En l'état actuel des choses, on peut affirmer sans risque de se tromper que nos élèves et étudiants n'ont aucune notion de l'histoire politique nationale car ils n'auraient pas dû ignorer ces Acteurs. Cette carence est indubitablement imputable à nos historiens, à nos médias, à nos communicateurs traditionnels et autres artistes.
"Un historien doit être intègre et impartial"
Au regard de tout ce qui précède, nous ne pouvons qu'être sceptique quant aux résultats de la commission chargée de rédiger notre Histoire, tant certains de ses membres et non des moindres auront du mal à nous convaincre de leur fidélité et de leur neutralité.
Leur comportement à l'occasion de leurs prestations médiatiques et de certains événements politiques et syndicaux nous le fait penser.
Nous ne voulons pas nous ériger en donneur de leçon mais il est tout de même évident qu'un historien, fût-il un agrégé, doit être intègre, impartial, constant et fidèle dans ses convictions après un choix judicieux.
Ses recherches et la publication de leurs résultats ne doivent être guidées que par le souci de la vérité, de la transparence et de l'objectivité. Aussi, ses jugements doivent-ils découler d'une logique sans faille. Ces professeurs sénégalais agrégés d'histoire, qui n'ont appris aux étudiants sénégalais qu'à découvrir et seulement de manière superficielle Blaise Diagne, Ngalandou Diouf, Lamine Gueye, Gasconi, Carpot, et leurs semblables au détriment de nos grandes figures de référence comme celles que nous avons citées plus haut, mériteraient un audit pédagogique et de sévères sanctions.
Aujourd'hui il est aisé de constater que le retard dont souffre le Sénégal est dû dans une large mesure au mythe du diplôme et de la perte de nos valeurs.
Il serait temps, si nous voulons réellement émerger, de faire tomber ce mythe à en juger par les résultats des agrégés qui ont gouverné notre pays, comparés à ceux des non-agrégés. Ni Mamadou Dia, ni Ibrahima Seydou Ndaw n'étaient agrégés de quoi que ce soit mais ils étaient des patriotes convaincus, compétents et d'une intégrité immarcescible.
Ils n'ont ni pillé ni laisser piller le pays ; ils ont été notamment avec le Président Abdou Diouf, les seuls à n'avoir pas accédé au pouvoir par un escalier de cadavres, ou à n'avoir pas gouverné assis sur des cadavres. C'est pourquoi ils ont réussi les prouesses que l'on sait.
Il est dommage de constater que chez certains intellectuels le gros diplôme en général et l'agrégation en particulier, ne sont que des enjoliveurs dont il faut se parer pour tromper, exploiter le peuple et assouvir ses ambitions personnelles, faisant ainsi fi de la morale.
C'est ainsi qu'à l'occasion des événements mémorables de Mai 68, des syndicalistes véreux, obnubilés par l'agrégation et des postes ministériels, ont trahi le mouvement syndical en échange de bourses d'études froufroutantes à l'étranger avec la promesse ferme d'acquérir des postes de responsabilité importants et lucratifs à la fin de leurs études, bien qu'ils s'en défendent aujourd'hui.
Je défie la commission chargée d'écrire l'Histoire du Sénégal de rapporter fidèlement, entre autres, les événements de 1962, de 1963, de Mai 68, de 1993, de 1994, de 1996 et surtout ceux de, de 1963 ainsi que ce charnier maritime qu'est le bateau "Le Joola".
Face au peuple et à l'Histoire, ce sont tous les membres de cette commission nationale et leurs consciences qui sont interpellés car notre avenir dépend, dans une large mesure, du succès de leurs travaux. Leur échec serait un désastre incommensurable, car comme aime le rappeler Alain Foca de RFI : "nul n'a le droit d'effacer une page de l'Histoire d'un peuple, car un peuple sans Histoire est un peuple sans âme".
* Les intertitres sont de la rédaction de l'Enquête+
El Hadji Amadou Lamine Sakho dit Kéba,
Ancien secrétaire particulier de Feu le Président Ibrahima Seydou Ndaw