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28 novembre 2024
Opinions
par Ibrahima Silla
LES ACCUSATIONS INFONDÉES ET DÉLIRANTES D’UNE ATTEINTE À LA NEUTRALITÉ AXIOLOGIQUE
En se prononçant sur les problèmes politiques de son temps, voire en s’engageant politiquement, le scientifique ne sort pas de la science. La neutralité axiologique n’est pas le « non-engagement du savant » mais la « non-imposition des valeurs »
La vérité ne provoque un malaise que chez ceux qui n’arrivent pas, par intérêt, ignorance ou lâcheté, à comprendre que l’expression lucide, mesurée et objective d’une situation reste en démocratie le meilleur moyen d’affronter les problèmes. Le philosophe américain Sidney Hook fait observer à ce titre l’intérêt de : « La liberté de personnes, professionnellement qualifiées, de chercher, de découvrir, de publier et de rechercher la vérité telle qu’ils la perçoivent dans le champ de leur compétence. Elle n’est sujette à aucun contrôle ou à aucune autorité officielle, à l’exception du contrôle et de l’autorité des méthodes rationnelles par lesquelles on atteint ces vérités ou des conclusions dans ces disciplines » (Hook).
Le monde ne s’arrête pas à l’université. Il ne revient à personne, et encore moins à un insignifiant conseiller du président de la République de fixer les limites du droit d’intervenir ou pas dans les débats publics à des universitaires libres, majeurs et bien informés des problèmes politiques de leur pays.
Nous espérons qu’il n’a pas perdu toute sa tête, comme semble le déplorer son ancien professeur Alioune Tine ; qu’il lui reste quelques neurones pour entendre et comprendre les « piqures de rappel » qui suivent, même si ceux qui ont perdu la tête étaient dispensés de cette invitation à l’éveil des consciences qu’appelle de ses vœux Felwine Sarr dans son article intitulé : « Nous tenir éveillés ». Ceux qui ont perdu la tête au contact du pouvoir ne peuvent pas avoir la capacité d’être à la hauteur de cet appel pour l’analyser avec pertinence, sans passion et sans singeries.
Ces lignes défendent un principe sacré : la liberté de tout universitaire de s’intéresser aux questions politiques et de s’exprimer en toute liberté ; non pas seulement au nom des libertés académiques, mais aussi et surtout au nom du droit sacro-saint de la liberté de choix de ses sujets de réflexion, de recherche, de critique, d’expression, et de désenchantement du réel, notamment politique. Aussi voudrais-je lui rappeler quelques vérités sur la problématique de l’implication ou de la distanciation du chercheur et des usages extra-académiques des savoirs.
Une bonne maîtrise de la littérature en science politique aurait dû le dissuader de s’aventurer dans de tels propos alambiqués. Voir derrière chaque vérité sur le ou la politique un cocktail molotov est une déduction simpliste indigne d’un ancien de sciences po et même d’un intellectuel tout court. Autrement, toutes ces vérités sur la réalité de la politique contenues dans les nombreux ouvrages des politistes lui auraient brûlé les mains en explosant comme des cocktails molotov. L’ouvrage classique en science politique de Daniel Gaxie, Le Cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique, en est une parfaite illustration. Sort-il de la science politique en démontrant ce « cens caché » ? Que dire des nombreux ouvrages de Pierre Bourdieu, autre auteur classique de la discipline ?
Le rappel de ces auteurs et de ceux qui vont suivre est seulement destiné à lui montrer qu’il ne maîtrise pas la problématique de la « neutralité axiologique ». Autrement, il n’aurait pas été nécessaire d’encombrer ce texte de noms d’auteurs et de citations. Tout intellectuel digne de ce nom n’a pas besoin de ces références théoriques et de ces auteurs pour s’investir comme bon lui semble dans la défense des causes justes. Il est donc important d’apporter ces clarifications pour qu’il ne continue plus de se tromper et de tromper. Ne pas corriger ces erreurs, c’est courir le risque de le voir en précipiter d’autres.
Cette divagation en hors-piste de ce conseiller qui sait parfaitement « qu’un conseiller ça ouvre sa gueule pour défendre l’indéfendable ou ça démissionne », nous donne la certitude qu’il a été un mauvais lecteur des auteurs qu’il convoque à l’emporte-pièce sans fondamentalement saisir la profondeur de leurs analyses. Il touche à la problématique des usages extra-académiques de la recherche en sciences sociales et nous offre une bonne opportunité de clore le délire sur cet imaginaire de la « neutralité axiologique » en abordant la dialectique de l’implication et de la distanciation du scientifique par rapport à l’objet politique. Car, la neutralité axiologique n’est pas ce que l’on croit. Elle n’est pas une injonction à s’inscrire dans la renonciation ou l’implication. La neutralité axiologique ce n’est pas le « non-engagement du savant » mais bien la « non-imposition des valeurs ». Nous y reviendrons…
Les scientifiques ont de bonnes raisons de renoncer à s’impliquer dans les débats politiques extra-académiques, non pas au nom de la neutralité axiologique qu’ils pourraient trahir, mais à cause des effets pervers caractéristiques du rapport de la science fondamentale au contact des réalités du champ politique. Le risque de complicité, de connivence et de complaisance politique dans leurs accointances avec la politique. Une telle axiologie de la proximité et de l’implication « fétichisée » ne doit pourtant pas être négligée. Il constitue même la principale source d’inquiétude axiologique que de voir la science renoncer à la vérité au nom de l’intérêt partisan ou du calcul militant. L’enjeu est donc bien là, dans le défi de servir la politique scientifiquement sans trahir la neutralité axiologique méthodologiquement.
Nous partageons l’idée du sociologue français Bourdieu que le scientifique peut s’engager en tant que scientifique en vertu de ce qu’il sait. Il a son mot à dire sans avoir à craindre la polémique caractéristique de cet univers politique. Ce n’est pas pour rien qu’on recourt, en l’étudiant, au vocabulaire sportif : compétition, arène, lutte, etc. L’utilité politique de l’implication axiologique au nom de l’inquiétude axiologique née des mauvais actes qu’ils posent, nous donnent suffisamment de raisons citoyennes d’investir le registre du politique à travers un militantisme scientifique.
Le caractère polémique de l’objet politique rendant certes difficile « l’indispensable neutralité axiologique » fait de la science politique comme de la sociologie des « sciences qui dérangent » (Bourdieu). Pourtant le plus gênant ne se trouve pas dans la présomption d’une impossibilité intellectuelle de satisfaire aux principes de la neutralité axiologique que dans sa mauvaise interprétation. Car, la neutralité axiologique n’est pas ce que l’on croit. En invoquant le principe désormais sacro-saint de la neutralité axiologique exigé de toute démarche scientifique, que « la politique n’a pas sa place dans une salle de cours », Max Weber invite à distinguer les jugements de valeur des jugements de fait. Pourtant, ce n’est pas comprendre ce que Weber a voulu dire de la neutralité axiologique que de croire que celle-ci se présentait comme l’expression de son allergie viscérale envers tout engagement du savant. Le concept de neutralité axiologique ne signifie pas le « non-engagement du savant » mais la « non-imposition des valeurs ». Pour Max Weber, l’idée qu’il pût exister des chercheurs capables de « neutralité » était tout simplement aberrante. Le rapport de leurs disciplines (sociologie, science politique, droit, économie, gestion etc. entre autres) avec la politique peut les contraindre à « sortir de leur tour d’ivoire » et à « rendre compte » en intervenant dans l’espace public pour défendre les acquis de la recherche, la fonction critique et les idéaux de la science (Noiriel et Offenstadt).
S’impliquer donc sans trahir les valeurs attachées à leur métier est une possibilité et non un obstacle épistémologique insurmontable. Isabelle Kalinowski nous rappelle à ce titre : « Il n’existe pas d’analyse scientifique proprement « objective » de la vie culturelle ou des « phénomènes sociaux », indépendante de points de vue particuliers ou « partiaux » en fonction desquels ces phénomènes sont choisis comme objet de recherche, analysés et organisés dans un exposé – que ce soit de façon explicite, consciente ou inconsciente » (Kalinosvki). Toute compréhension dépend donc nécessairement de l’adoption d’un point de vue sur l’objet, c’est-à-dire, de la position occupée dans le champ scientifique et des dispositions qui y sont importées (Mauger).
Yves Surel complète la liste des arguments en faisant observer que : « l’usage ordinaire et simpliste qui est parfois fait de cette notion (la neutralité axiologique) tient d’un objectivisme naïf, qui ferait de la science la source de vérités distinctes des croyances et affects relevant de la subjectivité. Cette position est non seulement un contresens à l’égard des écrits de Max Weber, mais elle représente également une posture inatteignable et non désirable. » On est engagé même implicitement. Ce qui fait dire à Maurice Duverger que : « Certains collègues qui se disent totalement neutres ou objectifs, ce sont soit des naïfs, soit des menteurs. »
L’engagement du savant à servir politiquement la vérité découverte ne diminue pas ou n’invalide point cette vérité acquise sur des bases scientifiques solides. Ce qui amène Gérard Mauger à défendre l’idée selon laquelle : « Le confinement du sociologue dans un champ autonome – « entre pairs », « entre soi » - neutralise la portée virtuelle de son travail : d’où son nécessaire investissement « public » dans les luttes symboliques et politiques » (Mauger). Car, nous dit Durkheim : « Nos recherches ne méritent pas une heure de peine si elles ne devaient avoir qu’un intérêt spéculatif ». L’accent est mis ici sur la réflexion rationnelle concernant les conditions d’un fonctionnement social au profit de tous et donc sur les maux et les désordres à combattre et sur les moyens de faire advenir une vie collective équilibrée. Retrouvant ainsi le sens que lui donnaient les anciens : la recherche du meilleur régime.
Un autre de nos référentiels théoriques en science politique, Pierre Favre, nous a enseigné que débarrassée de toute neutralité, la recherche politologique doit être guidée par « l’inquiétude axiologique » et réfléchir aux grandes questions – la justice, la délibération, la démocratie tout simplement – qu’elle a, par frilosité ou par principe, laissées en marge de la discipline » (Favre). Pour lui : « En tant que science sociale, la science politique cherche à rendre compte scientifiquement de faits sociaux produits par des hommes situés dans temps, vivant en société et qui agissent en vue de maîtriser leur avenir. (Favre).
Voir des intellectuels instrumentalisés par le pouvoir pour l’énonciation de ses « vérités officielles » n’est pas une nouveauté en politique, même dans les plus grandes démocraties. En effet, tout pouvoir entretient son « régime de vérités » et une préoccupation obsessionnelle de vouloir en maîtriser la diffusion. C’est ce qui explique le recours à ce qu’Armand Farrachi appelle le « lexique de l’optimisme officiel ». Mais il est clair qu’il y a peu de chances de convertir toute une communauté intellectuelle à la cause d’un pouvoir, même s’il n’est pas rare de voir quelques individualités faire le jeu du pouvoir et chercher à valider des contre-vérités autant scientifiques que politiques. Et comme le dit Michel Foucault : « Chaque société a son régime de vérité, sa « politique générale » de la vérité : c’est-à-dire des types de discours qu’elle accueille et fait fonctionner comme vrais ; les mécanismes et les instances qui permettent de distinguer les énoncés vrais ou faux, la manière dont on sanctionne les uns et les autres ; les techniques et les procédures qui sont valorisées pour l’obtention de la vérité ; le statut de ceux qui ont la charge de dire ce qui fonctionne comme vrai » (Foucault). Une « vérité officielle » trouve toujours une bouche qui parle pour elle, tels ces « répondeurs automatiques » embarqués dans la robotique du déni des évidences.
Rien d’étonnant à cet égard. L’histoire regorge d’exemples montrant des intellectuels s’investir dans les processus d’endoctrinement idéologique et des alliances politico-universitaires pour servir de « caution scientifique » aux pires tragédies comme le nazisme, le stalinisme, le totalitarisme, le fondamentalisme, le racisme, le colonialisme, les impérialismes, etc. On pourrait aussi souligner le rôle joué, de manière très volontariste, par les savants, universitaires et intellectuels dans la promotion des théories libérales, socialistes, communistes, panafricanistes, internationalistes, mondialistes, écologiques, féministes, etc.
La robotique du déni contraint au containement des vérités embarrassantes pour que le pouvoir continue de faire vivre le « régime de vérité » qu’il met en place en s’obstinant à exclure le surgissement d’une vérité capable de révéler ses trucages par les « automates du mensonge ». C’est le lieu de rappeler que le rôle des sciences sociales telle qu’elle est envisagée par ses pères fondateurs est d’expliquer (Durkheim) et d’aider à comprendre (Weber). Dans une telle optique de la sociologie compréhensive ou explicative, individualiste ou holistique, du constructivisme ou de la configuration, il ne s’agit pas forcément de porter des jugements de valeur, ni de discriminer ou définir le juste et l’injuste, le bon et le néfaste, le bien et le mal. Il convient de tenter de comprendre les actions, c’est à dire les logiques de leurs actions ou leurs motivations.
Dans cette optique, l’intervention du sociologue, du politiste, du juriste, du philosophe, de l’historien ou de l’économiste ne fait pas de lui un homme politique. Et en devenant même un homme politique, sa vocation d’homme de science et donc de savant n’est pas du coup remise en cause. La vocation de l’activité politique et donc de l’homme d’action ne porte pas forcément atteinte à celle de l’homme de science. Il n’y a pas « frontière sacrée » qui interdirait toute possibilité de conciliation des vocations. C’est un tel constat qui a conduit le sociologue français Pierre Bourdieu à reconnaître qu’il aimerait mieux évidemment, que les intellectuels aient tous et toujours, été à la hauteur de l’immense responsabilité historique qui leur incombe et qu’ils aient toujours engagé dans leurs actions non seulement leur autorité morale mais aussi leur compétence intellectuelle. Ainsi soutient-il : « Je souhaite que les écrivains, les artistes, les philosophes et les savants puissent se faire entendre directement dans tous les domaines de la vie publique où ils sont compétents. Je crois que tout le monde aurait beaucoup à gagner à ce que la logique de la vie intellectuelle, celle de l’argumentation et de la réfutation, s’étende à la vie publique. (...) Il serait bon que les « créateurs » puissent remplir leur fonction de service public et parfois de salut public. (Bourdieu).
Une telle conception des usages des savoirs et connaissances scientifiques conforte l’idée selon laquelle les notions de « désintéressement » et de « responsabilité » constituent les fondements de l’ethos des professions intellectuelles et artistiques, qui servent à justifier leur autonomie. Les appréhender requiert une double approche : d’un côté, l’histoire sociale des concepts et de leurs usages, de l’autre, la sociologie des pratiques qui s’en réclament. (Sapiro 2013). La conviction des défenseurs d’une axiologie de l’implication – et non de la renonciation – des scientifiques est qu’ils doivent prendre la parole, plutôt que de se taire et donc de privilégier la renonciation par désintérêt, indifférence ou peur d’ajouter des polémiques à la confusion.
Le nombre de manifestes publiés depuis 2012 est assez révélateur de la situation politique désastreuse du pays. Ce régime a battu le record mondial de manifestes dénonçant ses manquements, dysfonctionnements, abus et dérives. Le devoir des milieux universitaires et académiques est de rendre à nouveau possible la discussion scientifique et de la publier dans l’espace public, seule voie pour retisser un lien de confiance entre le savoir et les citoyens, lui-même indispensable à la survie de nos démocraties. La stratégie de l’omerta n’est pas la bonne. Celle de la robotique du mensonge, non plus. Notre conviction est au contraire que le sort de la démocratie dépendra très largement des forces de résistance du monde savant et de sa capacité à se faire entendre dans les débats politiques cruciaux (Stiegler).
Comment pourraient-ils se dérober à cette mission de service et de salut public quand ce qu’on enseigne dans les universités comme savoirs scientifiques est aux antipodes de ce qui se fait dans la conduite des affaires publiques. La théorie est à distinguer de la pratique. Mais s’il y a des sciences dans l’État, c’est parce qu’il y a une science de l’État. Et les universitaires sont porteurs de cette science et des savoirs qui lui sont affiliés qu’ils transmettent aux apprenants pour leur permettre de remplir avec satisfaction et professionnalisme leurs futures fonctions dans le public ou dans le privé.
Dans cette perspective, la question n’est pas de savoir si les universitaires ont le droit de parler ou pas de politique. La question ne se pose pas. Leur véritable statut de producteur de connaissances et de savoirs autant sur le politique, le juridique, l’économique ou autre ne fait l’objet d’aucun doute. Ils ont la compétence et le devoir de parler de politique et même d’en faire, non pas seulement de l’écrire et de le contenir dans un « entre soi » académique et scientifique par revues, colloques, séminaires et articles interposés, mais aussi à travers une implication publique effective salvatrice, sans voir leurs convictions être phagocytées par l’agenda des hommes politiques.
PAR Omar Arouna
PATRICE TALON, UN PUTSCHISTE CONSTITUTIONNEL QUI DÉNONCE LE COUP D’ÉTAT AU NIGER
Si les coups d'État militaires, comme celui du Niger, sont manifestes et palpables, les "coups d'État constitutionnels" plus subtils, comme celui du Bénin, sont insidieusement corrosifs
Le 26 juillet 2023, alors que les nations africaines s'efforcent d'instaurer une gouvernance démocratique par le biais d'élections transparentes, le paysage est bouleversé. Le président du Niger, Mohamed Bazoum, a été arrêté, marquant le début du cinquième coup d'État militaire de la nation depuis son indépendance de la France en 1960. Cet événement, un affront à l'esprit de la démocratie, a reçu une condamnation mondiale, avec des piliers internationaux tels que les États-Unis, la France et la CEDEAO, entre autres, élevant leurs voix contre cet assaut, augmentant ainsi la crise nigérienne de 2023.
Cependant, les eaux de la politique internationale se sont encore embrouillées lorsque le président béninois Patrice Talon a élevé la voix contre le coup d'État au Niger, plaidant de toute urgence pour le rétablissement de l'ordre constitutionnel nigérien et le retour au pouvoir du président Mohammed Bazoum "par tous les moyens necessaires, y compris par la force militaire". Pour ceux qui connaissent le milieu politique de l'Afrique de l'Ouest, la position de Talon était teintée d'ironie, un peu comme dans l'expression “c'est l'hôpital qui se fout de la charité”.
L'examen de la gouvernance de Talon depuis 2016 dévoile des manœuvres jugées contraires aux principes démocratiques. John Campbell, dans son blog sur le site du Council of Foreign Relations, a souligné en avril 2021 la manière dont Talon a, au cours de son mandat, systématiquement ébréché le cadre démocratique du Bénin. Il est accusé de supprimer l'opposition, de réquisitionner le système judiciaire et de restreindre la liberté des médias. En outre, l'analyse du Washington Post de Tyson Roberts met en évidence la mise en place par Talon de codes électoraux restrictifs et la suppression manifeste des opposants politiques. Ces actions ont abouti à la victoire prétendument éclatante de Talon lors des élections de 2021, où il a obtenu un score stupéfiant de 86 % des voix.
Qualifiées de "coups d'État constitutionnels", ces tactiques diluent habilement la démocratie sous couvert de légalité. Fait troublant, il ne s'agit pas de stratégies isolées. Plusieurs dirigeants africains, dont M. Talon, ont adopté cette approche pour consolider secrètement leur pouvoir, tout en veillant à ce que l'aide internationale ne soit pas entravée.
Si les coups d'État militaires, comme celui du Niger, sont manifestes et palpables, les "coups d'État constitutionnels" plus subtils, comme celui du Bénin, sont insidieusement corrosifs. Ne s'attaquer qu'aux manifestations apparentes sans comprendre la cause profonde n'est pas la solution. C'est pourquoi, alors que des personnalités comme Talon condamnent les coups d'État militaires, il est impératif que la communauté internationale procède à une évaluation critique de son propre bilan.
En effet, la complexité de la situation est illustrée par les événements survenus au Bénin avant l'incident du Niger. Ainsi, en mars 2021, des personnalités politiques de premier plan telles que Mme Reckya Madougou et Joël Aïvo ont été arrêtées sans justification claire. L'arrestation de l’ex-Garde des sceaux, ancienne ministre de la Justice, Reckya Madougou et celle du professeur et constitutionnaliste Joel Aivo, laissent particulièrement perplexe, compte tenu des distinctions qui ont été décernées à la première, notamment le "Woman of Courage Award" par le Département d'État américain et des mérites de l’universitaire. Qui plus est, le Groupe de Travail sur la détention arbitraire de l’ONU a déclaré l’arrestation de Madougou arbitraire et a appelé depuis dix mois à sa libération. De tels événements, juxtaposés aux élections législatives du Bénin en janvier 2023 et aux aspirations présumées de Talon à un troisième mandat, brossent un tableau sombre de l'avenir politique du Bénin.
Le constat est clair : qu'un coup d'État soit drapé de treillis militaires ou enveloppé dans le manteau de la légalité, il reste une cicatrice sur le visage de la démocratie. Il est temps que la communauté internationale aille au-delà des condamnations superficielles et se penche sur les complexités plus profondes qui façonnent l'avenir de la gouvernance démocratique en Afrique.
par Ciré Clédor Ly
UN APPEL PRESSANT POUR LA LIBÉRATION IMMÉDIATE D’OUSMANE SONKO
EXCLUSIF SENEPLUS - Taux de glycémie élevé, début d'insuffisance rénale... Son état s'est encore aggravé hier nuit, le plongeant dans une léthargie profonde toute la journée du 22 août. L'arbitraire a atteint ses limites
L’état de santé du président Ousmane Sonko s’est fortement détérioré hier nuit, au point que ni ses avocats ni son médecin personnel n’ont été autorisés à le voir.
Il convient de rappeler que nous parlons du leader le plus en vue de l’opposition sénégalaise, qui court un risque manifeste pour sa vie. Il avait été évacué de la prison de Sebikhotane, suite à une perte de connaissance, pour être interné au pavillon Teranga de l’hôpital principal.
Malgré la dégradation continue de son état, des instructions auraient été émises pour le sortir de l’hôpital et le ramener en prison. Ses avocats ont fermement contesté cette décision, en s'appuyant sur le droit à la santé, l'obligation d'assistance à personne en danger et la responsabilité inhérente à la mise en danger de la vie d'autrui. Notamment, certaines de ses affections comme un taux de glycémie élevé et le début d'une insuffisance rénale n'avaient pas été traitées. C'est dans ce contexte que le président Sonko a de nouveau sombré dans le coma et a été transféré en urgence en réanimation.
Lorsqu'il a repris conscience, il m'a informé qu'il ressentait une paralysie de toute la partie gauche de son corps. Il souffrait également des nombreuses injections reçues pour des perfusions urgentes.
Son état s'est encore aggravé hier nuit, le plongeant dans une léthargie profonde toute la journée du 22 août.
Hier, en le quittant, j'étais très inquiet. J'ai alors alerté l'opinion publique, soulignant l'urgence de sa libération - d'autant plus qu'il est un candidat sérieux à l’élection présidentielle dans 7 mois.
Les épreuves qu'il a subies, le risque imminent pour sa vie face à l'indifférence de ceux qui détiennent le pouvoir, seront gravés dans l'histoire. Lorsque leur règne prendra fin, qu'ils ne se cachent pas derrière l'État de droit ou d'autres préceptes fondamentaux.
J'appelle les autorités à vérifier l'état de santé du président Sonko et à le libérer. Sa vie est en jeu.
La situation de Cheikh Bara Ndiaye et Hannibal Djimme, eux aussi en réanimation depuis plusieurs jours, est également préoccupante.
Bassirou Diomaye Faye, Amy Dia Fadilou Keita et Maimouna Diéye entre autres, n'ont-ils pas aussi le droit d’être jugés dans des délais raisonnables ou libérés conformément aux exigences du pacte international relatif aux droits civils et politiques?
L'arbitraire a atteint ses limites.
Maître Ciré Clédor Ly est avocat, membre du collectif de la défense du président Ousmane Sonko.
Par Assane SAADA
DES IDIOTS DE LA RÉPUBLIQUE
Il n’est plus quand des enfants folâtraient sous l’œil vigilant des adultes qui, à l’observation des jeux, leur dispensaient un enseignement lié à la vie. L’application de cette connaissance aux interrelations entre des créatures.
Il n’est plus quand des enfants folâtraient sous l’œil vigilant des adultes qui, à l’observation des jeux, leur dispensaient un enseignement lié à la vie. L’application de cette connaissance aux interrelations entre des créatures. Les attitudes à adopter selon les perspectives où ils pourraient se placer. Aujourd’hui, des galopins qui se jettent les uns sur les autres, batifolent dans des médias, sont d’un autre âge. De grands garnements bercés par leurs burlesques. Face aux défis du temps présent, des inquiétudes des populations, quel plaisir ne prennent-ils pas à jouer aux idiots de la République ? Dans l’ébriété de leur égo infiniment supérieur, ivres de leur orgueil si démesuré, inconscients même de leur obsolescence, les voici qui passent du temps à baver des simagrées prolifératrices du venin de lassitude, voire de l’abstention. Ne vivent-ils pas dans un mirage qu’ils tranchent du capable ? Des revers ne dissipant plus de vaines fantasmagories. Ceux qui les écoutent se lassent et se tracassent. Souffrent du ridicule et se demandent dans quel miroir ces balourds se sont regardés qui leur reflète un simulacre de président ? Mais ces frustes poursuivent leurs rondes médiatiques sans lesquelles ils ne sont pas. Communiquant par extravagance.
Dans leur grandeur d’être hallucinés, l’illusion de leur salut, ils ne disent rien de ce qui les flageole. Profitant des médias pour mousser des enchères afin d’être des VIP des banquets d’un deal pré et ou post électoral. Conformément aux usages du milieu, il faut crier pour que les transactions se passent au mieux. Toutefois, habitués à barboter dans de petites mares, ils n’ont aucun code d’honneur. Contrairement aux caïds qu’ils voudraient paraître. Incapables de défricher, ils jouissent à semer dans la jachère. Recyclés par un jeu politicien où plus rien n’est épuré. Depuis que la raison n’est plus le fondement de la République. Pourtant, le philosophe, journaliste et essayiste Alain (Émile-Auguste Chartier) avait prévenu à travers une conférence populaire : « C’est par la Raison que celui qui s’abaisse sera élevé » (voir Le culte de la raison comme fondement de la République). Seulement, des acteurs du jeu politicien ne doutent plus de leurs désirs et vivent à déclamer des sentences, à proclamer des prétentions, à affirmer des dogmes… Ils vitupèrent pour être dans ce vent qui finit par les souffler. En attendant, leur bonheur coure vers une défiance qu’ils dénient aux autres. Des âmes raisonnables qui rament à contre-courant. Selon Alain, répéter le vrai après d’autres n’est pas user de sa raison. « Autrement la Raison nous conduira, non pas à affirmer, mais à douter ».
La force qui triomphe…
Douter ! Que vous êtes accablés, vilipendés, calomniés, insultés… Des flagorneurs, des boutefeux sont faits prophètes. Leurs hâbleries ont la cote de leur langue acérée, leurs menteries, leurs gasconnades... Le dialogue des violences ayant supplanté les débats d’idées, les controverses de programmes, de méthodes, de modes de conquête et de conservation d’un pouvoir. Chaque fantôme, chaque épouvantail, chaque leader, gère un élevage de fanatiques. Une horde qui répète plus qu’il ne saisit. Le pays en pâti. « À partir du moment où les citoyens approuvent, les yeux fermés, tous les discours et tous les actes d’un homme ou d’un groupe d’hommes, à partir du moment où l’électeur laisse rentrer le dogme dans la politique et se résigne à croire sans comprendre, la République n’existe plus que de nom ».
Dans ce dialogue des violences où le Sénégal s’est enfermé, plus personne n’est raisonnable. C’est sans égard, sans pitié... Un enchevêtrement d’intrigues, d’imbroglios, de tumultes... Des accommodements font long feu. La vérité n’est plus un enjeu. Que l’autre soit épouvanté, sa frayeur si grande qu’il en perd ses sens devient le jeu favori. Alors faut-il fourbir des armes pour exister. L’oubli ayant enseveli le passage de l’ange de l’avertissement. Mais, parce que « les morts ne sont mort », Alain ne dit-il pas : « La force ne triomphe pas du droit, car la lutte n’est pas possible entre la matière et l’idée. Le droit et la force ne sont pas du même ordre, et ne se rencontrent pas. La force ne peut triompher que de la force. Seulement la force qui triomphe c’est la force organisée, coordonnée. » Pourquoi lire dans un café pour connaître l’issue d’une furie ? La meute, qui pille et vole, est corrompue par le besoin. Ballotée par des borborygmes de son ventre, elle oscille, parfois, entre pitance et rapine. Faute d’un emploi décent. Un peu repue, elle traîne des pieds, décroche de cette foule qui lynche, s’étiole et languit face au peuple martyr dont le silence permet de traverser le bruit et la fureur. Au demeurant, ce n’est pas encore un triomphe de la raison. L’ignoble s’incruste en rappel. « Dire le vrai ce n’est pas encore avoir raison. Il faut aussi savoir pourquoi on dit cela et non autre chose ».
par Yoro Dia
FELWINE SARR S'ÉLOIGNE DE LA CONFRÉRIE DES ÉVEILLÉS
Felwine Sarr est dans la politique. Si l’on suit sa logique, les hommes politiques doivent être au-dessus des lois. Les gladiateurs ayant rangé l’épée des cocktails Molotov dans le fourreau, les nervis intellectuels entrent en scène
Le bon sens intellectuel réduit à sa plus simple expression
Je me réjouis du texte de Felwine Sarr même si je ne partage pas du tout l’idéologie politique qu’il défend en avançant masqué derrière une posture d’universitaire. Les sorties de Felwine montrent que dans la division du travail politique, l’ex-Pastef reconnait la défaite des gladiateurs avec leurs cocktails Molotov et lance dans la bataille ses nervis intellectuels.
Dommage qu’un si grand esprit comme Felwine ait dégénéré en nervi intellectuel ; mais les idées sont toujours préférables au cocktails Molotov. Balancer un cocktail Molotov sur un bus rempli n’est pas une idée, c’est un crime. En tout cas la presse a sauvé son honneur et l’honneur de notre democratie en condamnant unanimement ce crime barbare. J’espère que Felwine Sarr retrouvera sa capacité d’indignation pour condamner l’attentat de Yarakh.
Donc les gladiateurs ayant rangé l’épée des cocktails Molotov dans le fourreau, les nervis intellectuels entrent en scène. Le texte de Felwine comme les précédents a deux failles intellectuelles : il est fondamentalement partisan et il est excessif. Tout ce qui est excessif est insignifiant, nous apprend Talleyrand connu pour sa grande retenue et sa grande réserve, deux qualités qui font défaut à Felwine depuis qu’il est devenu un nervi intellectuel.
Dans son classique Le Savant et le Politique, Max Weber nous dit de façon fort sage qu’en « prenant une position politique, on cesse d’être savant » parce qu’en le faisant, on s’éloigne de ce qu’il appelle la « neutralité axiologique » qui doit être consubstantielle à la démarche de l’intellectuel ou du savant. Felwine Sarr n’est plus dans la science, il est dans la politique. Malheureusement en entrant sur le terrain glissant de la politique, il s’éloigne de la « confrérie des éveillés » sur le plan de la science. Et pour qu’il demeure éveillé dans la politique comme il l’est en économie, il a besoin, lui comme Sonko, d’avoir plus de culture politique pour éviter ses jugements rapides et lapidaires sur notre democratie. Lui comme Sonko devraient lire en urgence le classique de Christine Desouches, le PDS, une opposition légale en Afrique, pour comprendre comment Wade a fait évoluer notre democratie avec une opposition légale en devenant de fait le deuxième poumon de l’exception sénégalaise à côté de Senghor qui n’a jamais cédé aux sirènes du parti unique. Les affirmations du Professeur Sarr révèlent son ressentiment mais surtout son inculture politique. Chaque semaine il use de « cette liberté d’expression qu’on nous enviait tant » pour le citer et j’ajoute qu’on nous envie encore. Il y a quelques jours il a usé avec ses collègues agrégés de cette liberté d’expression qu’il conjugue à l’imparfait comme le font souvent des pétitionnaires. La pensée et la parole sont libres au Sénégal avec ses 339 partis politiques, ses dizaines de journaux, de radios, télés et ses centaines de sites internet, mais aucune démocratie ne peut tolérer que balancer des cocktails Molotov sur des bus, des biens publics ou privés soit une forme ou une liberté d’expression.
Ah ! Jusqu’à présent Felwine n’a pas encore condamné l’incendie de l’université et surtout de sa bibliothèque car comme dit le penseur allemand Henrich Heine « Là où l’on brule des livres, on finit par bruler des hommes ». Par conséquent quand on ne condamne pas ceux qui brule des livres, on ne condamne pas ceux qui brule des humains. Donc le silence assourdissant de Felwine et d’une certaine société civile se comprend. « Nous allions aux urnes, votions en paix et choisissions nos représentants », dit Felwine. L’emploi de l’imparfait est loin d’être fortuit car il conjugue notre democratie au passé alors qu’avec le printemps des coups d’État qui souffle en Afrique de l’Ouest, le Sénégal reste plus que jamais l’exception démocratique.
Dans six mois, nous irons aux urnes, voterons en paix et choisirons nos représentants contrairement aux affirmations du gourou de Felwine qui affirme que ce sera lui ou le chaos. Notre democratie ne se conjugue pas à l’imparfait mais au présent et au futur. L’horizon de notre democratie n’a jamais été aussi ouvert parce qu’au Sénégal l’élection est un mécanisme de remise en jeu du pouvoir pas un simple mécanisme de relegitimation du pouvoir comme c’est le cas ailleurs. Et la présidentielle de 2024 sera l’une des plus ouvertes avec pour la première fois un président sortant qui ne se représente pas.
« Dans quelle democratie, élimine-t-on formellement du jeu parti le plus représentatif du moment », se demande Felwine. Il est de bon aloi de lui rappeler que dans une democratie, la représentativité se mesure par les élections, et ceci qui infirme sa thèse. En plus aux Etats-Unis, Trump, même s’il est un des favoris de la prochaine présidentielle, est en train de faire face à la justice pour plusieurs affaires et personne n’a entendu Felwine s’indigner. Je suis même convaincu que Felwine ; enseignant en Caroline Du Nord, n’oserait jamais défendre un homme politique ou un universitaire accusé de viol aux États-Unis. Si l’on suit la logique de Felwine, les hommes politiques doivent être au-dessus des lois et être des zones de non droit. Ainsi Sonko peut appeler au meurtre du chef de l’Etat et demander aux jeunes de le traiter comme Samuel Doe, insulter les magistrats, menacer les juges en toute impunité tout simplement parce qu’il est représenté.
« La Democratie c’est la justice », nous dit Felwine. Quelle contradiction. Adji Sarr n’a-t-elle pas droit à la justice parce qu’elle est frappée de la double peine de la précarité sociale et de n’être la fille de personne. Mame Mbaye Niang n’a-t-il pas le droit de défendre son honneur tout simplement parce qu’il est ministre ? Les ministres ne sauraient être au-dessus des lois mais aussi en dessous tout comme les opposants. L’idéologie et l’instinct partisan rendent aveugles intellectuellement et font qu’on voit les choses telles qu’on voudrait qu’elles soient. C’est pourquoi Felwine nous dit que « le parti qui vient d’être interdit est celui dont le message recueille l’adhésion de la majorité de la jeunesse, des classes laborieuses et de la masse silencieuse ». Là on est plus proche de la propagande soviétique, ou celle de Enver Hoxha que de la science. On a envie de lui demander sur quoi il se fonde. Son gourou qui avait fait le pari de vouloir se soustraire à la justice, de défier l’Etat est aux arrêts depuis bientôt un mois et les jeunes savourent les vacances, et la masse silencieuse redécouvre les vertus de l’ordre, de la liberté et de la quiétude que garantit l’Etat.
Henry Kissinger nous apprend dans son livre Diplomatie : « Quand un universitaire se trompe c’est juste une hypothèse qui n’a pas marché mais pour un homme d’Etat, c’est une catastrophe pour le présent et pour l’avenir. On voit ainsi rapidement la différence entre un intellectuel qui s’égare en politique et les hommes d’Etat qui ont sur leurs épaules la responsabilité de veiller à la stabilité d’un pays. Pour Martin Heidegger parier sur les nazis n’était qu’une hypothèse de travail qui ne l’empêchera pas de continuer à faire d’autres hypothèses après la chute des nazis, en revanche le jugement de l’histoire a été implacable pour les responsables de la République de Weimar qui par faiblesse ont permis aux nazis de prendre le pouvoir. Il faut le répéter, Felwine peut commettre la même erreur que Heidegger mais l’Etat du Sénégal ne commettra pas la même erreur que la République de Weimar et cela quelles que soient les manipulations d’une certaine société civile dégénérée et l’activisme de nervis intellectuels.
Le problème de Felwine est au fond simple. Il avait tout misé sur l’hypothèse d’un éventuel troisième mandat comme son gourou dont c’était aussi l’alibi, le bouclier, l’assurance vie mais avec le contre-pied digne de Messi du président, ils sont à quatre appuis politiquement et intellectuellement. L’honnêteté intellectuelle et scientifique commence par l’humilité de reconnaitre qu’on s’est trompé et que son hypothèse de travail n’a pas fonctionné. S’éveiller au relativisme, à la nuance et à l’autocritique est un bon réflexe pour rester éveillé aussi bien dans la science que dans la politique. Le retour au débat d’idées marque la fin de l’intermède de la « banalité du mal » que Pastef voulait imposer avec des cocktails Molotov.
par Tamsir Anne
EN ATTENDANT LA DÉLIVRANCE
EXCLUSIF SENEPLUS - Adulé hier, à tort ou à raison, le Sénégal était jadis doté d'un haut coefficient de confiance, dividende de sa relative stabilité politique. Il faudra certainement encore des années pour rétablir une réputation rudement malmenée
A quelques mois du grand test que constituent les élections dans tout régime démocratique, l'incertitude est la formule la plus appropriée pour dépeindre l'atmosphère générale qui règne dans notre pays. Incertitude voire angoisse aigue quant à l'avenir du pays, incertitude sur l'éventuelle participation ou non du chef de facto de l'opposition sénégalaise, mais aussi l'incertitude continue de planer également sur le choix du candidat qui devrait rempiler pour le régime sortant. Tout semble fait à dessein pour maintenir les esprits dans un état d'extrême tension et dans l'expectative !
La sagesse populaire qui ne manque jamais de cohérence et de plausibilité parle même d'envoûtement mystique (xabtal) de toutes les forces qui seraient tentées de résister à cette léthargie généralisée, souvent prélude d'éruptions sociales spontanées et incontrôlées. En des termes plus désenchantés le pays semble ne pas encore s'être remis du choc de Juin 2023.
L'ampleur des violences avec son lot de morts et de destructions aveugles de biens publics et privés, les arrestations tous azimuts voire la dissolution pure et simple d'organisations politiques qui s'en sont suivies ont transformé du jour au lendemain le visage du Sénégal. C'est tout comme au sortir d'un mauvais rêve on se serait retrouvé dans un tout autre pays... Mais nous sommes-nous réellement encore réveillés ?
En tous cas les clignotants sont au rouge et les signaux d'alarme venant de partout sont tout à fait audibles. La fracture sociale est bien là qui continue de diviser le pays en camps opposés qui se toisent, se défient et se guettent. Le silence lourd des régulateurs sociaux traditionnels les plus en vue ne contribue pas non plus à rassurer ni les cœurs ni les esprits. Que dire des pertes en termes économiques, le Sénégal est passé de pays stable et sûr pour les investissements à un pays entré dans une grande zone de turbulences politiques dont les lendemains sont incertains.
Adulé hier, à tort ou à raison, le Sénégal était jadis (les temps ont bien changé) doté d'un haut coefficient de confiance, dividende de sa relative stabilité au plan politique. Il faudra certainement encore des années pour rétablir une réputation rudement malmenée. A ce tableau sombre vient s'ajouter un contexte géostratégique marqué par une insécurité endémique dans les pays de la sous-région et une menace de guerre dans l'espace CEDEAO dont personne ne pourrait mesurer les conséquences désastreuses. L'Ukraine est là pour nous apprendre qu'il est plus facile de commencer une guerre que de la terminer, surtout dans une région dont les ressources sont objet de toutes les convoitises.
Un autre pilier de notre société qui a été rudiment mis a épreuve est l'institution judiciaire. Plus d'un citoyen sénégalais considère en effet aujourd'hui, à tort ou à raison, que la justice est l'instrument du pouvoir politique qui l'utilise au gré de ses intérêts du moment. Certes les rapports entre le système politique et juridique sont dans leur nature même complexes, le système politique pouvant toujours trouver des moyens d'utiliser la justice à des fins politiques. Les voies légales définies dans l'organisation de l'état ne manquent pas et la politique peut toujours user ou abuser de son pouvoir de légiférer pour influer sur le fonctionnement de la justice. Comme cela a été le cas récemment avec les lois issues du dialogue national qui devraient permettre de rétablir l'éligibilité des acteurs politiques épinglés et condamnés par cette même justice.
Le défi pour le Sénégal à venir, quel que soit le prochain président de la République, reste le même qu'aujourd'hui : renforcer réellement et consolider l'indépendance de la justice, indépendance sans laquelle la démocratie reste une formule vide de sens. La justice doit être en mesure de contrôler et de réguler le jeu politique selon les normes et codes qui lui sont propres, en toute impartialité.
En attendant de mettre fin un jour à venir à la juridification à outrance des conflits politiques, à l'utilisation parasitaire du pouvoir politique en le réduisant à une simple fonction de redistribution des ressources et de récompense de loyalités de toutes sortes il urge de prendre des mesures immédiates et fortes afin d'éviter l'irréparable.
La première de ces mesures devrait être la libération de monsieur Ousmane Sonko, ne serait ce que pour sauver sa vie et prévenir le pays d'une situation d'impasse aux conséquences imprévisibles. Successivement les personnes arrêtées pour délit d'opinion devraient être libérées et une concertation franche entamée avec tous les acteurs politiques et la société civile pour préserver la cohésion et l'intégrité du Sénégal.
A ce prix, nous pourrons panser nos blessures et plus important encore préserver la paix sociale qui n'a pas de prix. Et le premier critère pour jauger d'une démocratie c'est avant tout l'exclusion de la violence physique du jeu politique. Le grand avantage d'une démocratie est qu'il donne la possibilité de changer de régime sans effusion de sang par la seule expression souveraine et libre du suffrage populaire. Nous devons de même garder à l'esprit que les conflits politiques dans une démocratie, pour être légitimes, ne doivent en aucun cas avoir pour objectif la destruction voire l'anéantissement de l'adversaire comme cela semble être présentement le cas dans notre pays. Le consensus, par voie exclusive de dialogue, d'argumentation rationnelle doit être toujours recherché car en dernière instance les décisions qui émanent de la politique engagent l'ensemble de la collectivité.
En attendant l'énorme travail qui se trouve encore devant nous, travail de renforcer et fortifier nos institutions, de réformer notre système éducatif, de redéfinir, renforcer et préserver notre identité nationale ayons une fois encore le sens de l'urgence.
Dr. Tamsir Anne, Senior IT-Consultant, auteur-chercheur.
par Sergueï LAVROV
VERS UN ORDRE MONDIAL JUSTE
À la veille du sommet des Brics, j’aimerais partager avec nos chers lecteurs mes réflexions sur les perspectives de coopération dans le cadre de ce groupe dans le contexte géopolitique actuel.
À la veille du sommet des Brics, j’aimerais partager avec nos chers lecteurs mes réflexions sur les perspectives de coopération dans le cadre de ce groupe dans le contexte géopolitique actuel.
Le monde d’aujourd’hui connaît des changements tectoniques. La possibilité de domination d’un pays ou même d’un petit groupe d’États disparaît. Le modèle de développement international fondé sur l’exploitation des ressources de la majorité mondiale au profit du bien-être du "milliard d’or" est désespérément dépassé. Il ne reflète pas les aspirations du monde entier.
Un ordre mondial multipolaire plus juste est en train de naître sous nos yeux. De nouveaux centres de croissance économique et de prise de décision politique d’importance mondiale en Eurasie, dans la région Asie-Pacifique, au Moyen-Orient, en Afrique et en Amérique latine sont guidées avant tout par leurs propres intérêts et placent la souveraineté nationale au centre de leurs préoccupation, et c’est dans cet esprit qu’elles réalisent des progrès impressionnants dans des domaines divers et variés.
Les tentatives de l’Occident collectif d’inverser cette tendance pour préserver sa propre hégémonie ont un effet complètement contraire. La communauté mondiale en a assez du chantage et de la pression de la part des élites occidentales et de leurs pratiques coloniales et racistes. C’est pourquoi, par exemple, non seulement la Russie, mais aussi un certain nombre d’autres pays réduisent constamment leur dépendance au dollar américain, passant à des systèmes de paiement alternatifs et à des règlements en monnaies nationales. Dans ce contexte, les paroles sages de Nelson Mandela me viennent à l’esprit : "Lorsque l’eau commence à bouillir, il est absurde d’arrêter de la chauffer." Et c’est effectivement le cas.
La Russie, État de nature civilisatrice et première puissance eurasienne et euro-pacifique, continue ses efforts de démocratisation de la vie internationale et de formation d’une architecture de relations interétatiques fondée sur les valeurs d’une sécurité égale et indivisible, de la diversité culturelle et civilisationnelle, et offrant des chances égales de développement à tous les membres de la communauté mondiale, sans exception. L’architecture des relations interétatiques serait fondée sur les valeurs d’une sécurité égale et indivisible, de la diversité culturelle et civilisationnelle et offrirait des chances égales de développement à tous les membres de la communauté mondiale, sans exception. Comme l’a souligné le Président Vladimir Poutine dans son discours à l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie le 21 février 2023 : "Dans le monde moderne, il ne devrait pas y avoir de répartition entre les soi-disant "pays civilisés" et tous les autres... Il devrait y avoir un partenariat honnête qui, en principe, refuse toute exclusivité, en particulier l’exclusivité agressive." À notre avis, tout cela est conforme à la philosophie de l’Ubuntu, qui promeut la cohésion entre les nations et les peuples.
Dans ce contexte, la Russie s’est toujours prononcée en faveur du renforcement de la position du continent africain dans l’ordre mondial multipolaire. Nous poursuivrons notre soutien à nos amis africains dans leurs efforts pour jouer un rôle de plus en plus important dans la résolution des problèmes fondamentaux de notre époque. Cela s’applique aussi pleinement au processus de réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, dans le cadre duquel, selon notre conviction profonde, les intérêts légitimes des pays en développement, y compris l’Afrique, doivent être garantis avant tout.
La diplomatie multilatérale ne reste pas à l’écart des tendances mondiales. Les activités d’une association telle que les Brics symbolisent une véritable multipolarité et sont un exemple de communication interétatique honnête. Au sein de cette association, des États ayant des systèmes politiques différents, des plateformes de valeurs distinctes et des politiques étrangères indépendantes coopèrent avec succès dans divers domaines. Je pense qu’il n’est pas exagéré de constater que les Brics sont une sorte de "grille" de coopération au-dessus des lignes traditionnelles Nord-Sud et Ouest-Est.
Effectivement, nous avons des choses à présenter à notre public. Grâce à des efforts conjoints, les Brics sont parvenus à créer une culture du dialogue fondée sur les principes de l’égalité, du respect du choix de notre propre voie de développement et de la prise en compte des intérêts de chacun. Cela nous aide à trouver un terrain d’entente et des "solutions", même sur les problèmes les plus complexes.
La place et l’importance des Brics aujourd’hui et leur potentiel d’influence sur la formation de l’agenda mondial sont déterminés par des facteurs objectifs. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La population des pays des Brics représente plus de 40% de la population mondiale et leur territoire représente plus d’un quart de la masse continentale de la planète. Selon les prévisions des experts, en 2023, le groupe des Brics représentera environ 31,5% du PIB mondial (en termes de parité de pouvoir d’achat), tandis que la part du G7 a chuté à 30% sur cet indicateur.
Aujourd’hui, le partenariat stratégique des Brics prend de l’ampleur. L’association elle-même propose au monde des initiatives créatives et tournées vers l’avenir, visant à atteindre les objectifs de développement durable, à garantir la sécurité alimentaire et énergétique, la croissance saine de l’économie mondiale, la résolution des conflits et la lutte contre le changement climatique, y compris à travers le prisme d’une transition énergétique juste.
Un système étendu de mécanismes a été créé pour réaliser ces objectifs. La stratégie de partenariat économique jusqu’en 2025 est en cours de mise en œuvre et définit les points de référence de la coopération à moyen terme. La plateforme de recherche énergétique des Brics, lancée à l’initiative de la Russie, fonctionne. Le Centre des Brics pour la recherche et le développement de vaccins a été lancé pour promouvoir des réponses efficaces aux défis posés au bien-être épidémique de nos pays. Des initiatives sur l’élimination des "refuges" pour les personnes corrompus et les actifs criminels, sur le commerce et l’investissement dans le but d’un développement durable, et sur le renforcement de la coopération dans le domaine des chaînes d’approvisionnement, ont été approuvées. La stratégie des Brics en matière de sécurité alimentaire a été adoptée.
Parmi les priorités inconditionnelles figurent le renforcement du potentiel de la Nouvelle banque de développement et du Fonds de réserve de change des Brics, l’amélioration des mécanismes de paiement et le renforcement du rôle des monnaies nationales dans les règlements mutuels. Il est prévu que ces aspects fassent l’objet d’une attention particulière lors du sommet des Brics à Johannesburg.
Nous ne cherchons pas à remplacer les mécanismes multilatéraux existants, et encore moins à devenir un nouvel "hégémon collectif". Au contraire, les membres des Brics ont toujours privilégié la création de conditions favorables au développement de tous les États, ce qui exclut la logique de bloc de la guerre froide et des jeux géopolitiques à somme nulle. Les Brics s’efforcent de proposer des solutions inclusives fondées sur une approche collective.
Dans ce contexte, nous nous efforçons constamment de développer la coopération entre l’association et les pays de la majorité mondiale. En particulier, le renforcement de la coopération avec les pays africains est devenu l’une des priorités de la présidence sud-africaine. Nous partageons entièrement cette approche. Nous sommes prêts à contribuer à la croissance économique du continent et à y renforcer la sécurité, y compris ses composantes alimentaires et énergétiques. Les résultats du deuxième sommet Russie-Afrique qui s’est tenu les 27 et 28 juillet 2023 à Saint-Pétersbourg en sont la preuve irréfutable.
Dans ce contexte, il est naturel que notre association compte de nombreuses personnes partageant les mêmes idées dans le monde entier. Les Brics sont considérés comme une force positive qui serait susceptible de renforcer la solidarité des pays du Sud et de l’Est et de devenir l’un des piliers d’un nouvel ordre mondial polycentrique plus équitable.
Les Brics sont prêts à répondre à cette demande. C’est pourquoi nous avons lancé le processus d’élargissement. Il est symbolique qu’il ait pris un tel rythme l’année de la présidence de l’Afrique du Sud, un pays qui a été admis au sein des Brics à la suite d’une décision politique consensuelle.
Je suis persuadé que le 15e sommet qui marquera son anniversaire deviendra un nouveau jalon dans nos relations de partenariat stratégique et définira les priorités majeures pour les années à venir. Nous apprécions vivement les efforts de la présidence sud-africaine dans ce contexte, notamment l’intensification des activités visant à améliorer l’ensemble des mécanismes de fonctionnement de l’association et à approfondir le dialogue avec d’autres pays.
par la COALITION SÉNÉGALAISE DES DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS
POUR LA LIBÉRATION DE SONKO ET LA PRÉSERVATION DE LA DÉMOCRATIE ET DE L’ÉTAT DE DROIT
EXCLUSIF SENEPLUS - Nous exhortons le président Macky Sall à agir afin de restaurer la paix, l’unité et la concorde nationale dans un espace sous-régional marqué par des conflits et le recul de la démocratie
LA COALITION SÉNÉGALAISE DES DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS |
Publication 21/08/2023
Depuis le 28 juillet 2023, M. Ousmane Sonko, le président du parti les Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l’Éthique et la Fraternité (PASTEF), est dans les liens de la détention.
Les motifs de son interpellation puis de son incarcération ont évolué dans le temps. Il est d’abord accusé de « vol de téléphone portable », puis suivent d’autres chefs d’inculpation très graves : « appel à l’insurrection », « association de malfaiteurs », « atteinte à la sûreté de l’État », « association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste », « complot contre l’autorité de l’État » et « actes visant à compromettre la sécurité publique et à créer des troubles politiques graves ».
Son parti Pastef a été dissous par décret alors qu’il participe, depuis sa création, à la vie politique et bénéficie d’une large représentation au niveau de l’Assemblée nationale et dirige des dizaines de collectivités territoriales.
Au moins trois personnes ont été tuées à la suite des manifestations de protestation contre son arrestation qui ont éclaté à travers le pays. Des arrestations massives de militants et sympathisants du parti, dont des élus, ont eu lieu et la plupart des personnes interpellées sont inculpées pour de graves chefs d’infractions et placées en détention.
M. Ousmane Sonko observe une grève de la faim depuis le 31 juillet 2023. Sa santé s’est gravement détériorée et il a été admis aux urgences hospitalières le dimanche 6 août 2023.
Nous signataires du présent appel, hommes et femmes, à titre individuel ou au nom de collectifs ou d’associations ; citoyens du Sénégal, de différents pays d’Afrique et du monde entier :
Soucieux de la préservation de l’État de droit et préoccupés par la dégradation du climat politique et social et des menaces qui pèsent sur la concorde civile au Sénégal,
Attachés à la paix, à la stabilité et à la préservation des acquis démocratiques du pays,
Profondément attachés au respect et à la protection du droit à la vie garanti par la Constitution du Sénégal et les traités internationaux des droits humains ;
Appelons monsieur Macky Sall, président de la République du Sénégal à, d’une part, donner les instructions nécessaires à son ministre de la Justice afin que les chefs de Parquet mettent en œuvre une procédure d’urgence pour obtenir :
– la mise en liberté d’office d’Ousmane Sonko afin de préserver sa vie et respecter ses droits civiques ;
– la mise en liberté provisoire des autres personnes détenues pour avoir exprimé librement leurs opinions et mené des activités politiques conformément aux droits garantis par la Constitution ;
– D’autre part, retirer le décret de dissolution de Pastef pour un retour à un ordre constitutionnel garantissant le pluralisme intégral.
Nous exhortons le président Macky Sall à faire mettre en œuvre ces mesures afin de restaurer la paix, l’unité et la concorde nationale dans un espace sous-régional marqué par des conflits et le recul de la démocratie.
Les signataires :
Pr Sérigne Diop, Professeur des universités, ancien ministre de la Justice du Sénégal
Pr Alioune Sall, Professeur titulaire des universités, ancien Juge International
Me Mamadou Ismaïla Konaté, Avocat aux Barreaux de Paris et du Mali, ancien ministre de la Justice de la république du Mali
Me Robert Dossou, Ancien Président de la Cour Constitutionnelle du Bénin
Me Reed Brody, Avocat au Barreau de New York, Commission Internationale des Juristes (CIJ)
Me William Bourdon, Avocat au Barreau de Paris
Me Vincent Brengarth, Avocat au Barreau de Paris
Me Patrick Kabou, Avocat au Barreau de Paris
Me Abdoulaye Tine, Avocat au Barreau de Paris
Me Salieu Taal, Avocat au Barreau de Gambie.
Me Mamadou Traoré, Avocat, ancien Bâtonnier du Burkina Faso
Me Bénéwende Stanislas Sankara, Avocat, Ancien Ministre du Burkina Faso
Me Cheikh Sadibou Fall, Avocat au Barreau du Québec, Canada
Procureur Alioune Ndao, Ancien Procureur de la Cour de Répression de l’enrichissement illicite
Madame Aminata Touré, Ancienne Première Ministre du Sénégal
Pr Mary Teuw Niang, Mathématicien, ancien ministre de l’Enseignement supérieur du Sénégal
Demba Ali Jawo, Ancien ministre, République de Gambie
Amadou Scattred Janneh, Ancien ministre, République de Gambie
Issa Ndiaye, Ancien Ministre de l’éducation du Mali
Honorable Michel Gbagbo, Député de Yopougon, Côte d’Ivoire
Manu Pineda, Député au Parlement Européen, Espagne
Inigo Martinez, Député au Parlement Basque, Espagne
José Luis Centella, Président du Parti Communiste d’Espagne
Bert de Belder, Responsable des relations internationales du Parti du Travail de Belgique (PTB)
Jon Rodriguez Forrest, Responsable des relations internationales, Gauche Unie d’Espagne
Maite Mola, Responsable des relations internationales du Parti de la Gauche Européenne (PGE)
Guy Labertit, Ancien Délégué Afrique du Parti Socialiste, France
Brigitte Kafui Adjamagbo Johnson, Secrétaire Générale de la Convention des Peuples Africains (CDPA), Togo
Augusta Epanya, UPC – MANDEM, Cameroun
Henda Diogéne Senny, Président de la Ligue Panafricaine (UMOJA), Rep Congo
Dr Félix Atchadé, Membre du Comité Central du PIT/Sénégal
Dr Mohamed Ly, Membre du Comité Central du PIT/Senegal
Athanase Boudo, Ancien Député, Ancien Ambassadeur, Burkina Faso
Pr Daouda Ngom, Faculté des Sciences et techniques, UCAD
Pr Cheikh Thiaw, Université du Sine Saloum El Hadji Ibrahima Niasse
Dr Khalia Haydara, FLSH, UCAD
Dr Jeanne Diouma Diouf, FLSH, UCAD
Dr Papa Abdou Fall, FLSH, UCAD
Dr Mory Thiam, FLSH, UCAD
Dr Oumar Dia, FLSH, UCAD
Dr Babacar Faye, FLSH, UCAD
par Abdourahmane Sarr
MACKY ET DIONNE SOUVERAINISTES REJOIGNENT SONKO
EXCLUSIF SENEPLUS - Notre développement ne dépend pas des ressources naturelles. La présidentielle ne devrait avoir que trois candidats. La démocratie a besoin de pardonner à Sonko, ses adversaires ont rejoint son appel à la souveraineté collectiviste
C’est avec un très grand plaisir que nous écrivons cette contribution que nous considérons comme un épilogue de nos nombreuses contributions sur la nécessité de comprendre la vision consciente ou inconsciente de ceux qui nous dirigent ou aspirent à nous diriger. Nous remercions donc le Premier ministre Dionne pour cette opportunité par son livre « Le Lion, le Papillon, et l’Abeille », car nous avons le sentiment de n’avoir pas écrit en vain si ceux qui ont incarné le Sénégal des 12 dernières années nous rejoignent sur la bipolarité des voies du développement de notre pays. Dans la souveraineté ou non, la décentralisation ou non, le choix est bipolaire entre l'État et les citoyens dans la quête du développement.
En effet, nous disions en 2019 à la veille de la présidentielle (La démocratie sénégalaise debout) que « la bipolarisation Macky-Sonko devait aussi consacrer le parachèvement de notre démocratie et de notre marche vers le développement car il n’y a que deux voies vers celui-ci, à nos yeux, en termes de vision. Il s’agit du leadership d’état par la socialisation de l’approche à travers l’état et son partenariat avec le capital étranger ou national, ou la responsabilisation des Sénégalais, de leurs communautés locales, et du secteur privé national, les exceptions pour se prévaloir d’un pragmatisme dans les deux approches ne changeant pas leurs essences. La première est socialisante et collectiviste et la deuxième est libérale. Est-ce que nous voulons prendre notre destin individuel et collectif local pour aller au développement, ou nous voulons donner à l'État le leadership de nous mener au développement ? Est-ce que nous voulons principalement compter sur notre secteur privé national aussi petit qu’il soit en mettant les conditions de son essor en place, ou nous préférons compter sur le capital étranger en partenariat avec l'État pour aller au développement ? Comment financer ces options ? ...Certains doivent objectivement rallier Macky Sall car ils ont la même vision que lui, et d’autres à Ousmane Sonko qui est le seul à avoir une vision différente de ce que nous avons fait ces 60 dernières années, notamment du point de la souveraineté économique. Ousmane Sonko a cependant assigné un rôle important à l’état dans sa vision du développement, mais nous l’exhortons à nouveau qu’il faudrait utiliser cet état pour responsabiliser les Sénégalais et le secteur privé national et par notre autonomie monétaire sénégalaise ou l’UEMOA seulement. Sinon, son offre ne sera pas différente de celle de Macky Sall et de tous les autres candidats qui nous ont exposé leur vision », disions-nous.
A la lecture du livre du Premier ministre Dionne, préfacé par le président Macky Sall, la paire Macky-Dionne, désormais souverainiste, confirme la bipolarité des voies du développement et assume son socio-libéralisme dans ce cadre, rejoignant dans sa vision du monde, celle d’origine de Sonko emprisonné. Le président Macky Sall nous dit que « l’Afrique se retrouve au carrefour de plusieurs mondes : des mondes qui déclinent plusieurs perspectives de la relation entre l’individu et la société….l’originalité de la démarche de Dionne est de penser le futur des économies africaines à partir de l’observation du comportement des sociétés animales ».
Il nous faut noter ici, en ce qui concerne la préface du président Macky Sall, qu’il y a des sociétés animales et non une société animale et que le choix entre l’individu et la société n’est pas nécessairement à l’échelle nationale car le choix de la société locale dans un ensemble national est un choix pour l’individu responsable dans sa communauté locale et non la société nationale d’abord. La double communauté est d’abord locale et nationale avant d’être sous-régionale. Il nous dit également que Boun Dionne a « donné une cohérence quotidienne à son projet politique, le Plan Sénégal Emergent ». En effet, Boun Dionne qui nous dit avoir « testé certaines recettes » quand il était aux responsabilités semble s’être chargé de la synthèse des contradictions idéologiques et doctrinales autour du président Macky Sall (Macky Sall, libéral, socialiste, ou souverainiste ?). Le PSE dans la première déclaration de politique générale n’était pas souverainiste, avait choisi la société sur l’individu par un état développeur, et comptait sur la transformation structurelle par le choix de secteurs exportateurs sans la maîtrise de son environnement national ouvert sur le monde (la vision du PSE est-elle adaptée au contexte).
Dans sa deuxième déclaration de politique générale, Boun Dionne a encore choisi la société sur l’individu, mais un état redistributeur « un Sénégal de tous, un Sénégal pour tous » plutôt qu’« un Sénégal de tous, un Sénégal par tous » qui n’exclut pas d’investir en l’individu, et avait ainsi abandonné son état développeur sous-financé dans un programme avec le FMI (la nouvelle vision du PM remplace celle du PSE). La formule « pour tous » est redistributive, la seconde « par tous » aurait été responsabilisante pour les sénégalais et leurs communautés de base. Ousmane Sonko dans son livre « Solutions » avait également fait le choix de la société sur l’individu (Ousmane Sonko et le Socialisme congénital Sénégalais), choix que nous avions critiqué l’invitant à travers une décentralisation autonomisante et responsabilisante de faire confiance davantage à l’individu ou à sa collectivité locale. Il s’en est suivi son livre « Les territoires du développement » et son adhésion publique à l’idée d’une inclusion financière locale et une économie sociale et solidaire locale (Ousmane Sonko : dilemme entre libéralisme et collectivisme).
Le Premier ministre Dionne qui a finalement glissé dans le souverainiste après avoir quitté la Primature, prône le protectionnisme transitoire d’import-substitution dans la ZLECAF. Cependant, il n’est pas arrivé à régler la contrainte du financement de son socio-libéralisme souverain car ses positions sur la monnaie sont encore à mettre en cohérence avec sa nouvelle vision souverainiste (Leadership sénégalais : cafouillage au sommet). Les biens et services publics communs qu’il assigne à son État lion (infrastructure, éducation, santé, assainissement, sécurité, corriger les externalités), ne sont pas des biens et services publics d’un état développeur comme il l’appelle, ils sont les biens et services publics normaux d’un état libéral financé par des citoyens responsabilisés. Les citoyens papillons éduqués, formés, en bonne santé, donc agiles et financièrement inclus gages d’une démocratie économique découvrent les voies de leurs développements individuels et collectifs dans un environnement de liberté économique souverain. Organisés comme des abeilles dans leur diversité, ils doivent être dans des communautés locales libres et pas nécessairement dans une société d’un état unitaire confédéré, d’où l’importance de la fédération pour la liberté et la responsabilité aux échelles locales et pas seulement nationales et sous régionales.
Les Etats-Unis, donnés en exemple, sont un État libéral fédéré avec un souverain et sa monnaie qui ne dirige pas le développement à cette échelle. Les pays émergent d’Asie sont des États unitaires mais tous souverains sur le plan monétaire à l’échelle nationale et ont dirigé le développement. Le Sénégal est un État à la souveraineté monétaire externalisée, ce qui rend le socio-libéralisme souverain de Boun Dionne en réalité non-souverain car sa contrainte de financement le mettra à la merci du financement extérieur en devises et du capital étranger raison pour laquelle il milite pour une annulation de la dette extérieure par une rente perpétuelle à taux zéro pour la reconstituer par des choix conjoints. Ceci est impossible pour la dette soutenable du Sénégal. Il a donné à son État confédéré une monnaie dans le chapitre sur le souverainisme mais l’a retirée dans la conclusion du livre. Il semble avoir choisi la monnaie CEDEAO dans le corps du livre, monnaie qui sera nécessairement à parité fixe et consacrera le libéralisme internationalisé socialisant avec le patrimoine africain qui appartiendra aux étrangers (Présidentielle 2024 : DPG au FMI à reformuler). Son État unitaire sous financé à la souveraineté monétaire externalisée co-construira son développement et partagera sa souveraineté comme l’explique le livre car ses actifs et leurs revenus appartiendront significativement aux étrangers (Consensus de Dakar, pas le choix de la jeunesse africaine).
La ZLECAF sans souverain et sans monnaie flexible, dans un État fédéré libéral sera le lit de la nouvelle domination de l’Afrique après la traite négrière, la colonisation, et l’ajustement structurel des crises d’endettement. La disparition redoutée de l'État africain défaillant trouvera sa matérialisation dans la ZLECAF prônée, si les regroupements régionaux n’ont pas de souverain avec une monnaie et des États fédérés libéraux. Si Boun Dionne veut mener une politique industrielle et commerciale stratégique comme la Corée ou avoir les leviers de la Norvège, il lui faut un État souverain avec une autonomie monétaire. La balkanisation décriée n’est pas un handicap, c’est l’incohérence des instruments dont on dispose quand on est balkanisé qui freine le développement. Les petits États Balkans nous ont tous dépassés avec leur autonomie monétaire. Ils entrent désormais dans l’union européenne libérale sans souverain ou exécutif fédéral, mais dans l’euro et les institutions libérales qu’il nécessite. En ce qui nous concerne, nous n’avons pas eu de projet libéral sans souverain à l’échelle sous-régionale et sommes restés pauvres balkanisés sans autonomie monétaire responsablement gérée. Voilà le sens d’une UEMOA balkanisée libérale en pôles régionaux ou un SENEXIT sans la mauvaise gestion du Ghana cité.
Nous réitérons notre appel au libéralisme patriotique progressiste que nous prônons. Il ne s’agit pas de libertarisme ou de néolibéralisme souvent invoqués pour épouser le collectivisme et choisir la société sur l’individu, le rôle d’encadrement de l'État n’étant pas en cause. Il s’agit d’avoir confiance aux africains, leurs PME, et en leur communauté de base pour éviter de leur imposer des superstructures collectivistes sans les instruments de leur souveraineté. Pour ce faire, nous devons aussi faire la synthèse des contributions de plusieurs de nos illustres penseurs, mais pour les dépasser car ils étaient tous marxistes et collectivistes. Un de ces illustres penseurs marxistes est Samir Amin dont nous venons de commémorer la disparition, et qui a soutenu qu’il fallait partir de Marx et non s’arrêter à lui. Il a proposé la déconnexion pour que nous puissions maîtriser le processus d’accumulation nationale de la richesse. Il avait raison, mais dans la méthode c’est le leadership de l’État en qui il avait confiance. Cheikh Anta Diop a théorisé l’État fédéral africain, mais dans la méthode il était également collectiviste et avait confiance en l’état développeur. A leur époque, dans une Afrique essentiellement rurale aux ressources humaines formées limitées, la superstructure socialisante de l'État était peut-être tout ce qu’ils pouvaient entrevoir face à l’impérialisme. L’Afrique à présent s’urbanise avec son repeuplement et le retour à la ruralité n’est pas notre avenir bien qu’il faille développer notre agriculture en partageant avec nos populations le fruit de la mise à disposition de leurs terres. De ce point de vue, nous préférons la formule « les ressources naturelles appartiennent aux collectivités locales mais aussi au monde » car il ne s’agit pas de les laisser en jachère si on n’a pas les moyens de les exploiter. Ce ne serait pas responsable, et les exploiter ne nécessite pas de se fédérer dans un collectivisme inutile si nous n’avons pas la discipline collectiviste, ni de faire du troc avec ces richesses pour financer des biens communs, ce qui serait une perte de souveraineté.
Si nous n’avons pas réussi à bâtir le panafricanisme par le haut, il nous faut dépasser la partie collectiviste de la vision de nos anciens et bâtir une Afrique par le bas qui peut être collectiviste. Être marxiste en partant de Marx, mais aussi libéral par la déconnexion (Eco et Libéralisme : relever de défi d’Abdoulaye Wade). La nouvelle gauche, progressiste, doit faire le choix de l’individu, le choix de la liberté s’il abhorre le terme libéralisme. C’est pourquoi nous disons liberté, patriotisme, progrès. Comme Boun Dionne le dit dans son livre, « La souveraineté, c’est la liberté, comprenons cette liberté comme une faculté intrinsèque à gouverner et agir par soi-même », j’y ajoute jusque dans nos communautés de base. Il ne s’agit pas de chercher le pouvoir et la force des grands ensembles par le haut, mais la somme des faiblesses. Amadou Makhtar Mbow l’a recommandé à son 100e anniversaire car il reconnaissait que nous avons échoué par le haut. Par ailleurs, notre développement ne dépend pas de nos ressources naturelles qui peuvent bien rester dans le sous-sol et/ou s’exploiter dans nos communautés locales en partenariat avec des investisseurs étrangers. La richesse ce n’est pas celle du sous-sol, et le financement de notre développement ne proviendra pas nécessairement de l’exploitation de ressources naturelles. Ce ne sont pas les ressources naturelles qui ont fait la Norvège ou les pays développés ou émergents, et les ressources du fonds souverain norvégien sont essentiellement investies à l’extérieur.
Nous recommandons la lecture du livre de Boun Dionne à la lumière de ces analyses, pour que le lecteur ou l’aspirant à nous diriger se détermine sur la bipolarité doctrinale sans verser dans le pragmatisme qui va de soi puisque nous ne parlons pas d’extrême, mais d’orientation. De ce dernier point de vue, nous avons trouvé des convergences entre Boun Dionne et Boubacar Camara par exemple, notamment sur le rôle des ressources naturelles dans le financement des secteurs sociaux et les biens communs, l’industrialisation souhaitée, et la fédération avec des voisins proches. Il y a des convergences entre le désir d’industrialisation dans des pôles régionaux de Mamadou Lamine Diallo et la volonté d’une politique industrielle et commerciale stratégique de Boun Dionne (sa vraie vision et celle du Maire de Sandiara, et non celle redistributive de Macky Sall).
L’élection présidentielle de 2024 ne devrait avoir que trois candidats. Le porte-drapeau des collectivistes socialisants sans souveraineté véritable et les souverainistes véritables avec une autonomie monétaire, et enfin un arbitre pour une alternative libérale si toutefois les souverainistes sont également collectivistes. C’est de ce dernier point de vue que la démocratie sénégalaise a besoin de pardonner à Ousmane Sonko et de le libérer et lui-même doit arrêter sa grève de la faim car ses adversaires ont rejoint son appel à la souveraineté collectiviste. Ayant choisi le souverainisme, le Premier ministre Boun Dionne fait désormais également l’objet de notre Offre Publique d’Adhésion (OPA) amicale (Abdourahmane Sarr 2024, par responsabilité, si possible, et si nécessaire !) s’il est choisi par le président Macky. Nous lui disons cependant que le dilemme du prisonnier avec lequel il a conclu son livre a comme solution optimale, la non « collaboration », l’individualisme et non le collectivisme. Dans un jeu répété où la solution collectiviste est systématiquement non gagnante, la bonne décision est de choisir l’individualisme. Dans le cas d’espèce, il s’agit du souverainisme libéral et non collectiviste avec une autonomie monétaire mais dans un État décentralisé et fédéral à toutes les échelles. A l’échelle locale, le collectivisme peut fonctionner car la collectivité locale est en fait un individu.
Librement.
par Mouhamed Abdallah Ly
LA GAUCHE PLURIELLE SUR LE DOS DE LA GAUCHE RÉELLE
La « gauche », ce n’est ni un instrument de la signalétique publicitaire ni un totem. Être de gauche, c’est prendre parti, en théorie et surtout en actes, contre l’oppression, l’exploitation, la soumission aux intérêts des puissances impérialistes, etc.
Dans une « résolution finale » qui a sanctionné les « Assises des forces de la Gauche plurielle », tenues les 5 et 6 août 2023 à Dakar, les parties prenantes ont tenu à manifester « leur entière solidarité aux peuples en lutte partout dans le monde ». « Partout dans le monde » ! Pourtant, aucun mot d’empathie, et encore moins de solidarité, n’a été consigné dans ladite résolution à l’intention des sympathisants et militants de Pastef et de leur leader Ousmane Sonko. Ces derniers, ne sont-ils pas engagés en ce moment même dans une lutte des plus âpres contre un régime impopulaire et sanguinaire qui a fait de la soumission à l’ordre impérialiste, de la prédation et de la répression son système privilégié de gouvernance ?
Une semaine avant l’énonciation de cette résolution, Ousmane Sonko a été placé en détention et un décret de dissolution de Pastef signé de la main du président de la République et non moins chef de l’APR a été publié. Mais manifestement la gauche dite « plurielle » n’en a cure ! Et pourtant, une des caractéristiques de marque de toute gauche digne de ce nom est de s’affirmer comme le pôle le plus résolu et le plus conséquent contre les violations, par les pouvoirs despotiques, des libertés démocratiques conquises de haute lutte. Ce qu’au contraire tient à dénoncer notre « gauche plurielle », ce sont d’après les termes de sa résolution, « des tentatives désespérées de l’opposition radicale de déstabiliser le pays, avec l’utilisation de la violence (jusque dans la diaspora), entraînant morts d’hommes et destructions de biens publics et privés, en dépit du dialogue national dont la tenue a abouti à des consensus forts entre la majorité et l’opposition républicaine » !
Ainsi donc, il y aurait au Sénégal une opposition qui serait « républicaine » tandis que l’autre dite « radicale » serait constituée de forces antirépublicaines que l’on ne daigne pas nommer.
D’ailleurs, dans la partie de la résolution consacrée à « l’actualité nationale », les participants « appellent au respect des institutions de la République et des règles de bon fonctionnement de la démocratie, des autorités institutionnelles, religieuses, coutumières, à l’utilisation du dialogue comme instrument de pacification de l’espace politique ». Alors qu’ils ont eu tout le mal du monde à se départir des stigmates d’une diabolisation de la part du Parti socialiste, d’autant plus tenace qu’elle a duré une trentaine d’années (avec des termes comme « athées », « subversifs », « séditieux », « agents téléguidés par les communistes étrangers »), alors que leurs chairs portent encore la mémoire d’une violence d’État qui a pu contraindre bon nombre d’entre eux à l’exil ou à la clandestinité, sans compter des séjours réguliers en prison ainsi que des enrôlements forcés dans l’armée, certaines des personnalités qui sont à l’initiative de la « gauche plurielle » n’ont aucun mot pour la répression et la censure ambiantes. Qui l’eût cru ?
Sous les dehors d’une défense de la République, de notre modèle démocratique, des confréries, de la paix civile, ces personnalités reprochent en somme à Pastef des positions trop « radicales » ! Être radical, à notre sens, ne signifie guère être antirépublicain. Il signifie plutôt opter pour une thérapie de fond et non pour de simples et éternels replâtrages de surface à l’intérieur du même système, tel un médicastre qui affectionne de poser un cautère sur une jambe de bois. Dans ce sens étymologique du terme (« agir sur une cause profonde »), l’alternative de rupture que porte Pastef n’a pas à avoir peur du qualificatif de « radicale ».
Cela dit, un observateur assidu du cours politique qui lirait la résolution pourrait dire : « après tout rien de neuf sous le soleil ! ». En effet, le 15 février 2022 déjà, certaines de ces personnalités avaient publié un texte à travers lequel elles entendaient lancer « un appel solennel et pressant à toutes les forces démocratiques et républicaines, sans exclusive, pour la mise en place d’un front républicain capable de faire barrage à la vague dévastatrice que nous promettent les groupes fascisants de l’opposition radicale ». Le 15 février 2023, un an jour pour jour après cet appel, des partis politiques qui se réclament de la gauche ont cosigné un autre texte dans lequel ils ont appelé à la promotion, sur la base des conclusions des Assises nationales, d’une « nouvelle Gauche plurielle ».
Et voilà donc que les 5 et 6 août 2023, au moment même où l’APR s’est mutée en monstre autoritaire et sanguinaire après avoir étalé son incapacité à satisfaire la demande sociale et à mettre fin au brigandage des ressources publiques, des partis dits de gauche, jusqu’ici à ses basques en dépit de sa trahison de la Charte de gouvernance des Assises nationales et des propositions de réformes de la CNRI, persistent et signent leur entente cordiale opportuniste avec les tenants de l’Etat-Parti néocolonial. Au fond, sur le dos de qui ? A y regarder de plus près, c’est bien sur le dos de la « gauche réelle » que ces formations politiques collaborationnistes comptent s’appuyer pour ne pas quitter la scène.
« Gauche réelle » ai-je dit car comme chacun sait, c’est pendant que les diverses composantes de la « gauche plurielle » succombaient à l’appât d’un pouvoir prédateur, se mourant ainsi dans le gouffre de la capitulation et de la compromission, que se forgeait dans les tranchées des luttes populaires, une alternative à la gauche d’antan. La « gauche réelle » a, en effet, suscité l’adhésion de couches populaires estimant que ceux qui portent à présent leurs revendications pour de meilleures conditions de vie et de travail, ceux-là qui mènent une lutte acharnée contre leur exploitation et leur répression, ce sont les nouvelles forces politiques comme Pastef et les nouveaux mouvements contestataires comme Frapp, Y’en A Marre, Nittu Dëgg, etc. Au demeurant, c’est d’ailleurs parce que Pastef avait fini de montrer qu’il fait partie des nouvelles forces montantes sur notre continent, portées par les jeunesses progressistes, patriotiques, anti-impérialistes et panafricanistes, en lutte pour une alternative de rupture souveraine et populaire, au service des peuples du Sénégal et d’Afrique, que des partis de gauche dont Yoonu Askan Wi/Mouvement pour l’Autonomie Populaire (YAW) ainsi que des dirigeants émérites du PAI historique tel le doyen Alla Kane, avaient décidé d’œuvrer à la jonction-fusion avec Ousmane Sonko et le parti Pastef. Cette fusion réalisée sur la base d’une ligne programmatique progressiste, patriotique, anti-impérialiste et panafricaniste s’est raffermie durant les batailles communes pour le « non » au referendum de 2016, lors des élections législatives de juillet 2017, de la présidentielle de février 2019, des locales et des législatives de 2022. Et c’est fort de cela que « la gauche réelle » est depuis lors de tous les combats politiques, sociaux et citoyens pour l’état de droit véritable ainsi que pour la prise en charge, la défense et la promotion des revendications populaires légitimes.
L’on ne peut que se désoler de devoir rappeler que la « gauche », ce n’est ni un instrument de la signalétique publicitaire ni un totem. Être de gauche, c’est prendre parti, en théorie et surtout en actes, contre l’oppression et l’exploitation, la soumission aux intérêts des puissances impérialistes, le pillage et le bradage des ressources nationales, la pauvreté galopante, les inégalités et les injustices sociales, la corruption et le brigandage financier, l’instrumentalisation de la justice, la gestion autocratique des affaires du pays sous l’égide du présidentialisme néocolonial, etc. Sous ce rapport, les enjeux sont clairs. Au-delà des étiquettes formelles, il s’agit, hic et nunc, de choisir en toute connaissance de cause entre deux camps : d’un côté le camp de la servitude volontaire de soumission aux intérêts de l’impérialisme et de la bourgeoisie néocoloniale à son service, de l’autre le camp de la résistance citoyenne pour l’indépendance nationale et la souveraineté populaire effectives, afin qu’une Afrique riche de tout son potentiel humain et de ses immenses ressources naturelles, une Afrique libre et unie, puisse enfin porter sur ses épaules de géant, le présent et l’avenir de tout un continent. C’est pourquoi, nous invitons tous les militant-e-s dévoué-e-s à la cause du peuple et des masses africaines et qui souhaitent radicalement porter leur aspiration à une gouvernance démocratique, fondée sur l’indépendance réelle et la souveraineté populaire, leur aspiration à un développement endogène solidaire et inclusif au profit prioritaire du plus grand nombre, dans une Afrique libre, unie et prospère, à ne pas lâcher la proie pour l’ombre. La « gauche réelle » demeure plus que jamais la locomotive qui pourra tirer une grande coalition unitaire, représentative et combative, capable de venir à bout d’un pouvoir dictatorial décadent. Elle est à tout le moins mieux indiquée qu’un conglomérat de partis parasitaires et désuets qui n’ont pas su former une relève ni garder l’influence qu’ils ont pu exercer jadis sur les mouvements sociaux et les mobilisations populaires.
Addendum
Je termine cette tribune pratiquement au moment même où j’achève la lecture des mémoires du professeur Abdoulaye Bathily (Passion de liberté, 2022). Cet ouvrage est une précieuse mine d’informations sur les luttes de libération de notre continent, sur les combats pour le tournant démocratique, sur les arcanes diplomatiques des organisations régionales et continentales… Il est aussi un incontournable outil de réflexion sur la contribution de la gauche sénégalaise aux dynamiques politiques qui ont valu au Sénégal deux alternances démocratiques ; sur la maladie infantile qui lui a coûté moult divisions et dispersions, ainsi que sur les faiblesses endémiques qui l’ont empêchée de conquérir le pouvoir et l’ont amenée à devoir, en définitive, se suffire d’un rôle de faiseur de rois, incapable de peser durablement sur les orientations des politiques gouvernementales. On ferme ce livre en mesurant la perte que constitue, pour les jeunes générations, le fait de ne pas pouvoir disposer sur les mêmes questions des mémoires d’un Amath Dansokho et de tant d’autres leaders de la gauche. Ainsi qu’aime à le dire Pr. Abdoulaye Bathily, « on ne peut pas faire son temps et le temps des autres ». C’est pourquoi, au fond, ce que certains doyens de la « gauche plurielle » doivent aux jeunes générations, ce sont surtout des bilans. Ceux qui n’ont jamais capitulé, n'en ont pas moins, eux non plus, une dette envers les jeunes générations : des mémoires, une transmission, des orientations et de la formation dans une osmose intergénérationnelle. Mais on semble loin de ces options de sagesse du côté de la « gauche plurielle ».
En effet, d’après la presse en ligne, le chef de l’APR-BBY aurait reçu ce vendredi 18 août 2023 « ses alliés de la gauche », dont ceux qui sont à l’initiative des assises de la « gauche plurielle ». Durant cette rencontre, les porte-paroles auraient regretté « les violentes manifestations notées au Sénégal depuis mars 2021 » et dénoncé « l’avènement de forces politiques violentes que le Sénégal n’a jamais connues » et qui promouvraient « un chaos total », avant de se concerter sur les critères du choix de leur candidat commun pour l’élection présidentielle de 2024. Bien belle manière pour la « gauche plurielle » parasitaire de continuer à vivre sur le dos de la bête !