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28 novembre 2024
Opinions
Texte Collectif
L’AVENTURE MILITAIRE NÉOCOLONIALE DE MACKY SALL
Le président nourrit manifestement l’ambition d’engager le Sénégal dans une guerre contre le Niger. Un tel conflit armé confirmerait que le chef de l’Etat a noué un serment d’allégeance aux puissances impérialistes occidentales
Le président Macky Sall nourrit manifestement l’ambition d’engager le Sénégal dans une guerre contre le Niger. Ce conflit armé, s’il venait à se réaliser avec l’appui du Sénégal, confirmerait que le chef de l’Etat a noué un serment d’allégeance aux puissances impérialistes occidentales guidées par leurs intérêts économiques et non au peuple sénégalais, source de sa légitimité.
La ligne va-t-en guerre du Sénégal démontre toute l’impréparation intellectuelle de nos dirigeants aux mutations contemporaines complexes de la société internationale.
Il est étonnant de constater la soudaine solidarité du président Macky Sall à l’Union de droit sous-régionale que constitue la CEDEAO alors même que durant ses deux mandats il s’est politiquement organisé pour torpiller le droit communautaire.
Que n’avait-t-il dit quand la même CEDEAO, à travers sa Cour de justice, prit à rebours ses desseins politiciens en jugeant que les détentions de Khalifa Ababacar Sall et Karim Wade étaient arbitraires et contraires aux règles élémentaires de procédure pénale ? L’Etat du Sénégal avait alors déclaré que les décisions de la Cour de justice de la CEDEAO, qui a également contredit l’Etat du Sénégal à propos de la loi sur le parrainage, n’avaient qu’une vertu « pédagogique », confirmant les turpitudes du Droit sous le magistère du président sortant.
Que n’a-t-il fait, durant ses deux mandats, pour enfin ratifier la déclaration facultative de reconnaissance de la compétence de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples permettant à tout Sénégalais de porter devant la même juridiction une violation de ses droits fondamentaux ? Les exemples attestant que le président Macky Sall, pendant 12 ans, n’a pas contribué à l’édification des solidarités de proximité avec les organisations régionales sont légion. Prétexter le respect d’une décision commune de la CEDEAO pour engager nos forces militaires relève donc de la ficelle rhétorique
Qu’a-t-il fait, le Commandeur en chef, pourrétablirl’ordre constitutionnel après les coups d’Etat au Mali, au Burkina Faso et en Guinée ? Les fractures idéologiques sont béantes au sein de l’espace communautaire ouest-africain. Il ne s’agit plus seulement de mener une guerre sur le territoire du Niger mais de combattre, en même temps, les armées des États africains solidaires du Niger. La guerre en Ukraine renseigne surles insuffisances du Blitzkrieg surtout en terrain inconnu. L’enlisement de la guerre contre le terrorisme menée en Afghanistan le confirme. Le Sénégal est-il prêt à soutenir l’effort que requiert une guerre longue, coûteuse et qui plus est se fera en territoire étranger ? Au demeurant, il serait plus démocratique d’aviser le peuple sénégalais sur les sacrifices qu’il devra faire pour supporter l’effort de guerre et le lourd tribut en termes de vies humaines propre à toute aventure militaire.
Quels intérêts pousseraient le chef de l’Etat à faire renouer le continent, au nom d’intérêts qui ne sont pas ceux des peuples, avec les démons d’un conflit armé international ? Depuis la guerre entre l’Ethiopie et l’Erythrée, entre 1998 et 2000, l’Afrique n’avait pas connu de conflit interétatique. L’histoire politique des Etats africains est emmaillée de conflits armés internes. L’Afrique a fait taire les guerres entre souverainetés au profit des guerres asymétriques pour la souveraineté. L’agenda militaire est aujourd’hui tourné vers la guerre contre l’irrédentisme, les groupes rebelles et les conflits claniques à la suite d’opérations électorales dont les querelles ethniques ont été les principales adjuvantes (Côte d’Ivoire, Kenya, Soudan, République démocratique du Congo…). Depuis les indépendances, les Etats d’Afrique se sont réconciliés avec eux-mêmes, acceptant, au prix de l’inexistence d’Etats-nations, de rendre intangibles les frontières héritées arbitrairement de la Conférence de Berlin. Aux guerres entre nations artificiellement séparées ou regroupées par la vacuité des frontières, se rajouterait un conflit ouvert entre Etats africains.
Que n’a-t-il compris de l’histoire, le président Macky Sall, en encourageant les guerres de frontières ? Au fond, le Sénégal ne gagne rien à entretenir une guerre dont les enjeux géostratégiques sont éloignés des préoccupations des peuples africains. L’Afrique, terre culturelle de dialogue et d’altérité, risque de se muer en terreau d’une guerre d’influence entre puissances étrangères dans laquelle les réminiscences de l’affrontement idéologique entre l’Est et l’Ouest opposeraient les protagonistes du conflit nigérien. Le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Nigéria, « bras armés » des puissances occidentales déchireraient le pacte de coexistence pacifique avec le Niger, le Burkina Faso, la Guinée et le Mali qui risquent de tomber dans le giron des milices privées russes incarnées par Wagner. C’est dire que le président Macky Sall aura définitivement échoué à participer à l’aventure de décolonisation déjà entamée par les peuples en avance sur leurs dirigeants. Les peuples en Afrique, au prix du sacrifice de leur vie, ont dignement entamé la marche vers la rupture avec l’ordre colonial que leurs dirigeants ont eu la lâcheté de perpétuer aux lendemains des indépendances. L’Etat colonial continue d’imprimer son autorité aux Etats africains. Il a simplement pris les atours des institutions africaines actuelles supposées souveraines (magistrature, administration…). Non pourvues d’une légitimité légale-rationnelle, les juntes militaires bénéficient d’un soutien populaire (Niger, Burkina Faso, Mali…) qui renseigne sur le divorce des institutions légales africaines avec leur base affective populaire. Le soutien aux juntes oblige à promouvoir une diplomatie plus réaliste qui serait basée sur un dialogue constructif et dont la finalité est l’élaboration d’une véritable refondation des institutions et pratiques de gouvernance. Plutôt que d’engager une guerre, la CEDEAO gagnerait à trouver des solutions permettant de sortir du cycle des coups d’Etat. Les maux à éviter sont nombreux : l’évitement de la gestion clanique et familiale du pouvoir, l’ancrage de la bonne gouvernance, le respect des droits fondamentaux, l’indépendance de la justice, l’organisation d’élections inclusives etc. L’actualité récente au Gabon démontre que la voie de la démocratie, de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance est la seule pour prévenir les coups d’Etat.
La politique étrangère du pouvoir actuel se résume à la soumission insensée aux puissances étrangères qui lui dictent son agenda diplomatique et dorénavant militaire.
Que n’a-t-il compris des conditions de l’engagement de sanctions coercitives militaires au regard de l’onction nécessaire des organes de l’ONU et de l’UA (Conseil de sécurité et Conseil de paix et de sécurité) ? Le déploiement des forces armées, fut-il sous la bannière communautaire, ne relève pas d’une décision unilatérale prise dans l’entre-soi de présidents habitués aux coups d’Etat institutionnels.
Il est fort heureux, pour le président Macky Sall, que les guerres ne soient pas déclarées pour des coups d’Etat institutionnels.
LES SIGNATAIRES
1. Souleymane GOMIS, Professeur titulaire, Département Sociologie, UCAD
2. Moussa SENE ABSA, cinéaste
3. Abdoul Aziz DIOUF, Professeur titulaire, droit privé, UCAD
4. François Joseph CABRAL, Professeur titulaire, FASEG, UCAD
5. Mouhamed Abdallah LY, Directeur de recherche assimilé, Sciences du langage, IFAN
21. Youssou Mbargane GUISSE, Professeur-chercheur en Sciences sociales
22. Hamid AHMED, Ancien Ministre du commerce du Niger, actuel SG du parti Doubara
23. Mahaman Laouan GAYA, Ancien Ministre de l’urbanisme de l’habitat et du domaine foncier public du Niger, ancien SG de l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africain (APPO)
24. Maky Madiba SYLLA, Cinéaste et artiste musicien
25. Ibra SENE, Associate Professorof History Chair, Global & International Studies Program, The collegeof Wooster, Ohio, USA
89. Amadou CAMARA, Consultant international en diplomatie-Protocole et Usages diplomatiques, république de Guinée 90. Ndèye Marième Ly NIANG, Directrice d'une entreprise sociale et solidaire, Paris
91. Ibra POUYE, Journaliste, Paris
92. Yaya DIATTA, Doctorant en Politique et Planification Linguistique, Université de Wisconsin–Madison
166. Thiamba GUEYE, Docteur en droit, Avocat au barreau des Hauts-de-Seine
167. Ibrahima GUEYE, Docteur en droit, Avocat en France
168. Idrissa WADE, Project Manager
169. Ndéné MBODJI, Maître de conférences titulaire, FLSH, UCAD
Par Diomansi BOMBOTÉ
DÉCÈS DE SALIF KEITA « DOMINGO » : LA PANTHERE NOIRE S’EST ENVOLEE VERS LES ETOILES
«Ojovem preto é um téchnico prodigioso » (en portugais brésilien, le jeune Noir est un technicien prodigieux), s’est écrié au sujet de Salif Keita, le Roi des rois du football, Edson Arantes do Nascimento, dit Pelé,
«Ojovem preto é um téchnico prodigioso » (en portugais brésilien, le jeune Noir est un technicien prodigieux), s’est écrié au sujet de Salif Keita, le Roi des rois du football, Edson Arantes do Nascimento, dit Pelé, à l’issue d’un match de gala ayant opposé le Santos Futebol Clube (dans l'État de São Paulo) de Pelé à une entente St-Etienne-Olympique de Marseille, le 31 mars 1971, au stade Yves-du-Manoir de Colombes (Banlieue de Paris), une rencontre organisée au profit de l’Association pour le développement de la recherche sur le cancer.
Ce jour-là, les observateurs affirmèrent que le jeune malien de 25 ans a volé la vedette à Pelé en réalisant un match d’anthologie. Salif était alors au summum de sa carrière de footballeur. Un an auparavant, il venait d’obtenir le 1e Ballon d’or, une variante africaine du Ballon d’or de l’hebdomadaire français France Football, destiné à consacrer le meilleur joueur en Europe jusqu’en 2007, date à partir de laquelle le Ballon d’or récompense le meilleur joueur au monde sans distinction de championnat ni de nationalité. Pour mémoire, George Weah, actuel président du Liberia demeure le seul africain à obtenir le Ballon d’or en 1995. La saison 1970-1971 est considérée comme étant l’âge d’or du jeune prodige malien, avec 42 buts inscrits derrière Josip Skoblar (Olympique de MarseilleOM), un footballeur croate et international yougoslave, détenteur du record inégalé de buts marqués en une saison avec 44 réalisations.
D’autres sommités ont eu à magnifier le talent hors du commun du plus célèbre footballeur du Mali à ce jour. L’un des plus grands connaisseurs du football, Mawade Wade, « Ma » pour le monde du football sénégalais, un entraîneur aux idées d’avant-garde dans les années 1960, partisan d’un jeu offensif et créatif, esprit lucide et courageux, militant panafricain actif, était fasciné par la pureté de la technique de Salif. Il disait que Salif était, avec Pelé, les seuls capables d’une double détente en l’air, une prouesse qui illustre merveilleusement la souplesse féline du prodige de Wolofobugu. « Si Salif était brésilien, il aurait été l’égal de Pelé » maintenait mordicus son emblématique entraîneur de St Etienne, Albert Batteux !
Allure féline ! Tant et si bien, qu’à Saint-Etienne, à cause de sa gestuelle digne de virtuoses de la chorégraphie, sa conduite de la balle attachée à ses pieds par un fil invisible, ses dribbles arabesques inimitables tout en chatoiements, sa vitesse fulgurante, sa précision de tireur d’élite aussi bien dans les passes décisives que pour affoler les meilleurs gardiens de but, on l’appela « La panthère noire », appellation qui finit par convaincre les dirigeants de l’Association sportive de Saint-Etienne(ASSE) d’en faire l’emblème de leur club.
La classe éclaboussante de Salif était unanime. En 1996, il reçoit l’Ordre du Mérite de la FIFA, la plus haute récompense de cette organisation. Il reste à ce jour, le seul joueur africain à avoir reçu un tel hommage. En dehors des coupes nationales glanées au Mali et en Europe (France, Espagne, Portugal), Salif n’a certes pas eu la chance de soulever d’autres trophées de renommée internationale ! Et alors ! Cela ne saurait suffire pour oblitérer l’immensité de son génie qui le place au niveau des plus grandes gloires du football international comme Pelé du Brésil, Johan Cruijff des Pays Bas, Eusébio da Silva Ferreira, portugais d’origine mozambicaine, Diego Maradona de l’Argentine et bien d’autres. Avec ses petits yeux enfouis dans leur orbite, sa silhouette fluette qui a fini par être trahie par le poids des ans, Salif avait un regard dérobé. D’aucuns seraient tentés de le trouver timide ! Certes ! L’homme n’était pas exubérant. Son instinct de protection donnait l’impression qu’il scrutait sans cesse le sol évitant ostensiblement les regards. D’une sensibilité à fleur de peau, il fuyait les contacts encombrants et apparaissait comme un écorché vif.
Réservé, toujours sur ses gardes, il semblait en permanence, à tort ou à raison, s’attendre à être agressé. Il avait peur de prendre des coups qui sont souvent la rançon du succès. Et il en prenait quand même. Mais comment être au sommet et prétendre échapper à l’envie, voire à la jalousie de quelques malintentionnés d’ici et d’ailleurs ?
Certains n’hésitaient pas à le qualifier imprudemment de sournois. Et pourtant, quelle délicatesse, quelle chaleur humaine quand il acceptait de se laisser apprivoiser ! Un vrai boute-en-train au sourire soyeux, un sourire qui peut se transformer soudain en un éclat de rire puisé du fond de la gorge.
Salif était l’illustration de la nonchalance. Quel tricheur lors des séances d’entrainement ! Les bras ballants, maugréant sans cesse, du haut de son 1,76 m, il paraissait s’ennuyer, accablé par les exigences imposées par la préparation physique du sport de haut niveau. « Personnellement, confiait-il volontiers, je n’ai jamais aimé les entraînements ». Mais, une fois sur le terrain, émoustillé, comme s’échappant d’une hibernation cryogénique, il devenait impossible de l’arrêter
Salif avait pour le Mali un attachement obsessionnel. Son intime fidèle parmi ses plus fidèles amis, Karim Balo, confesse que lorsque la nouvelle de l’arrivée en janvier 2013 des djihadistes à Konna, dans la région de Mopti, a commencé à se répandre, Salif était soudain si ulcéré qu’il ne pouvait pas retenir ses larmes. Cet amateur du tô et surtout de la sauce d’arachide, en bon malinké, respirait le Mali par ses pores. Toutefois, il n’a jamais cherché à descendre dans l’arène politicienne. « Je suis très politique, disait-il en 2005, mais je n’en fais pas » (Tiré du quotidien sportif français, l’Équipe du 03 mars). Cela ne l’empêcha pas d’être ministre délégué auprès de son ami, Zoumana Sacko, Premier ministre de la transition version ATT en 1991. Affable et respectueux des autres, Salif détestait la violence dans la vie courante et sur le terrain, qu’elle soit exercée sur lui et sur ses partenaires ou sur ses adversaires. De même, l’homme n’affectionnait pas les pratiques occultes. Il lui arrivait d’éviter de serrer les mains par crainte qu’on lui jette un mauvais sort.
Que serait Salif sans son génie protecteur, Ousmane Traoré, dit « Ousmane-bléni », un magicien dans le maniement du ballon qui l’avait toujours couvé sur le terrain en lui servant des passes-caviar décisives ? Salif a étrenné à 16 ans sa toute première sélection en équipe nationale, en novembre 1963 lors des Jeux des nouvelles forces émergentes ou Games of the New Emerging Forces (GANEFO), une compétition multisports calquée sur le modèle des jeux Olympiques destinée aux « nations émergentes » sous l’inspiration du Président Soekarno, premier président de la république d’Indonésie, figure de proue du mouvement des non-alignés
Lors de la rencontre avec le pays hôte, au stade de Jakarta, au sortir des vestiaires, devant la clameur de près de 90 000 spectateurs surexcités, on raconte que Salif fit quelques pas en arrière comme pour s’échapper. Ousmane Traoré (28 ans), d’un geste autoritaire, lui intima l’ordre d’avancer. Les deux avaient leurs destins liés au Real de Bamako. En plus de Salif, les dirigeants de l’ASSE voulaient également Ousmane Traoré qui, estimant qu’il était « vieux », déclina l’offre..
Salif n’aimait pas perdre. À la finale de la première coupe des pionniers, son équipe de Wolofobugu fut battue in extremis par 1-0 (pénalty) par Bagadadji. Il a fallu toute l’ingéniosité d’un responsable politique pour que Salif acceptât la défaite, tellement il était effondré. Pour Gaoussou Keita, son frère de deux ans de plus, entre autres traits dominants de Bafoufou, sobriquet pour Basalifou donné par la tante maternelle Founé Traoré, était son aversion pour le mensonge, synonyme pour lui de trahison.
Salif a toujours joui d’une grande popularité, non seulement au Mali, mais bien au-delà des frontières nationales. Il y a plusieurs années, le Burkina fit frapper un timbre postal à son effigie. À Cergy Pontoise, dans le nord-ouest de la région Île-de-France, et à Saint-Étienne, un stade lui est dédié. Il va sans dire que Salif Keita, parti désormais jouer avec les étoiles, sera immortalisé par la Nation reconnaissante. « Fleur-tou » à Wolofobugu, à peine quelques centaines de mètres carrés, au milieu d’une trentaine d’arbres, qui berça les premiers pas de ce surdoué, pourrait s’appeler désormais « Place Salif Keita ».
par Hamidou Anne
PASTEF N'AVAIT PAS SA PLACE DANS NOTRE DÉMOCRATIE
Le Sénégal ne peut tolérer un mouvement qui se dit politique alors qu’il n’est qu’un appareil insurrectionnel dont le champ lexical ne s’extirpe jamais de la mort, de la sédition et de la haine. Comment ce fascisme décomplexé a-t-il pu prospérer ?
L’histoire retiendra du président Abdoulaye Wade, entre autres, la grande loi sur la parité. Du président Macky Sall, je retiendrai plusieurs choses dont deux me semblent importantes : la loi sur le parrainage qui modernise notre démocratie et le décret portant dissolution du parti Pastef, qui enlève l’épine institutionnelle fasciste de la compétition électorale. A part le MFDC, durant ses quarante dernières années, la plus grande menace pour la paix civile, la démocratie et la liberté au Sénégal était représentée par un parti qui a décidé de diviser les Sénégalais selon des critères ethniques, moraux voire religieux, d’élargir les fractures dans le corps national et de promouvoir la guerre civile.
En politique, il s’agit d’une compétition des réponses aux questions que les citoyens se posent. Le débat est consubstantiel à la matière politique et doit demeurer dans le cadre de la loi et de la civilité. Sauf qu’on ne peut pas demander à des fascistes de se conformer aux lois de la République. Car partout, leur objectif ultime est de faire en sorte que la République, qui garantit la justice, les libertés et l’égalité, s’effondre pour laisser libre cours à la violence la plus sauvage. En me penchant depuis 2018 sur ce parti, depuis la déclaration de son leader, qui appelait au retour de la peine de mort et à l’application de la torture dans les commissariats, j’avais décelé son Adn fasciste, ses méthodes violentes, son discours arrimé à la haine et son imaginaire issu des univers séparatistes et islamistes qui se joignent pour créer un cocktail dangereux pour l’État de droit. Le parti dissous, par ses méthodes, rappelle pour qui s’intéresse à l’histoire des idées fascistes, aux squadristi, la fameuse milice des «chemises noires» dans les années vingt, qui ont installé Mussolini au pouvoir grâce à la Marche sur Rome de 1922. La Caravane de la liberté de juin 2023, entre Ziguinchor et Dakar, était une perpétuation, certes involontaire, de cette tradition fasciste.
Quand il existait encore, le Pastef s’était illustré par sa haine de la démocratie plurielle, son intolérance au débat et par l’attitude factieuse de ses dirigeants qui n’hésitent jamais à invoquer la figure du martyr religieux conformément à l’idéologie totalitaire que promeuvent beaucoup de ses cadres-dirigeants ; ceux-là issus des groupuscules salafistes ou fréristes incubés à l’université et qui dans Pastef concevaient l’activité politique comme relevant d’un prosélytisme islamiste. Chez Pastef, la haine des institutions est allée jusqu’à l’attaque de bâtiments publics et même la profanation de l’Assemblée nationale le 12 septembre 2022. Les auteurs de ces forfaits, qui se disent «Patriotes» nourris au complotisme, chauffés par une puissante machine de propagande et manipulés par des leaders sans scrupule qui ont fait du mensonge à grande échelle une seconde nature politique m’ont rappelé les «Proud Boys», groupuscule fasciste pro-Trump, dont les membres ont envahi le Capitole en janvier 2021.
Dissoudre Pastef, c’est mettre un terme à la profanation des institutions républicaines, permettre une respiration démocratique et ramener le débat public dans le rythme de la confrontation des idées et non dans la concurrence morbide. Le Sénégal ne peut tolérer un mouvement qui se dit politique alors qu’il n’est qu’un appareil insurrectionnel dont le champ lexical ne s’extirpe jamais de la mort, de la sédition et de la haine.
Ce parti dissous avait normalisé dans notre espace public l’insulte et la violence factieuse, importé les pratiques de l’extrémisme religieux et recouru sans cesse au discours et aux appels incessants à l’insurrection. Intellectuels, journalistes, hommes politiques, autorités religieuses et coutumières, simples citoyens, nul n’était épargné par la furie de la meute qui utilisait internet, notamment pour commettre ses sinistres forfaits.
Ce parti ne s’était pas arrêté là : il avait mis à exécution ses menaces par des actions violentes ayant provoqué des pertes en vies humaines et des destructions de biens publics et privés en mars 2021 et en juin 2023. Pour rappel, Alioune Tine, sympathisant du parti dissous ou banal rentier, avait annoncé la couleur en menaçant notre pays de la «guerre civile» en cas de tenue d’un procès sur l’affaire Sweet Beauté. Le vice-président du groupe Yewwi au parlement avait appelé en février 2023 à la «guerre» contre l’État du Sénégal.
Un parti qui normalise l’usage de cocktails Molotov contre les symboles de l’État, les infrastructures vitales comme les moyens de transport, les usines d’eau et d’électricité et les populations civiles dont le seul tort est de monter dans un bus pour rejoindre leurs familles, ne peut pas exister en démocratie. Dans l’école de ce parti, le premier module de formation des militants est vraisemblablement les insultes aux généraux, magistrats et autorités dépositaires de la force publique. Parce que nous avons choisi la démocratie qui a accouché de deux alternances paisibles, on ne saurait accepter que la politique devienne le règne de la violence verbale et physique gratuite. On ne peut accepter que l’infâmie soit acceptée comme norme dans la pratique politique.
Des universitaires, gens de médias, avocats et autres crieurs publics, au demeurant respectables pour certains, ont fustigé le décret portant dissolution du Pastef et appelé à son retrait au nom de «l’ordre constitutionnel et de la pluralité». N’ont-ils pas suivi les appels répétés à l’insurrection, l’appel au meurtre du chef de l’État, les menaces vis-à-vis des juges et les injures à l’armée ? Ont-ils oublié les refus de comparaître devant les tribunaux qui ont tous été soutenus par ce parti ? N’ont-ils pas visionné les images du véhicule d’un leader politique qui fonce sur des gendarmes préposés à la sécurité à Mbacké ? Je convie ces démocrates en pantoufles, pétitionnaires à la petite semaine, à un exercice : voir ou revoir la vidéo du meeting de Keur Massar du parti dissous du 22 janvier dernier. Les discours guerriers, les invocations sacrificielles, les injures publiques, le recours au registre du djihad, le festival d’offenses aux institutions républicaines durant cette manifestation font froid dans le dos. Comment ce fascisme décomplexé, qui se manifeste par une haine viscérale du Sénégal, a-t-il pu prospérer au cœur de notre démocratie ? Comment expliquer cette attraction de certains parmi nos plus brillants compatriotes, qui se disent démocrates, progressistes et certains républicains, pour le fascisme dont le projet totalitaire, outre ses aspects misogynes, extrémistes et ethnicistes, est l’effondrement de la République ?
Le plus grave : personne parmi les pétitionnaires n’a dénoncé le communiqué du 1er juin du parti dissous ainsi que son appel du 2 juin qui demandent à l’Armée de perpétrer un coup d’État de façon explicite. En étant la seule organisation politique à publier de tels appels, qui ont été suivis de manifestations insurrectionnelles ayant provoqué plusieurs morts, le parti ne laissait pas le choix à l’État du Sénégal, qui était obligé de procéder à sa dissolution pour être en conformité avec la Constitution. Mon ami Massamba Diouf le rappelle de manière éloquente dans une tribune sur Seneweb le 9 août dernier : «Les leçons de l’histoire de notre jeune État sont, à ce propos, les suivantes : dans ce pays on ne prend pas le pouvoir par le coup de force partisan contre l’ordre institutionnel et la séparation des pouvoirs ; on ne force pas le résultat d’une élection par l’assassinat des juges ; on n’accède pas au pouvoir par la stratégie de la défiance et de la terreur. Adhérer aux principes constitutionnels, respecter les lois de la République, accepter de se soumettre à la justice, gagner des élections, voici aujourd’hui encore et, nous l’espérons, pour toujours les seules voies pour parvenir à la tête du Sénégal. Et c’est une bonne nouvelle».
En France, face à la menace des ligues fascistes, qui ont organisé la marche le 6 février 1934 contre la démocratie et les institutions républicaines ayant provoqué une vingtaine de morts, les autorités avaient réagi. En 1936, le gouvernement de Léon Blum a procédé par décret à la dissolution des ligues fascistes qui constituaient dans ce pays, comme c’était le cas avec le Pastef au Sénégal, une menace pour la démocratie et l’État de droit.
Le dissensus, dans le cadre des lois, est la sève de la démocratie. C’est à la suite de la confrontation des idées que le peuple tranche par les urnes. Un parti qui refuse de se conformer à notre tradition démocratique et à l’organisation de la société politique sénégalaise n’a pas sa place dans notre espace public quel que soit son nombre d’élus ou de militants et quel que soit la longueur de son arc de soutien. Depuis 2021, nous savons désormais sur qui nous ne pouvons compter parmi nos penseurs et leaders publics quand la République est menacée. Cela nous engage, nous républicains, démocrates et patriotes à bâtir des consensus forts autour de la République. Notre prochain grand défi est de ramener ces masses séduites par le discours démagogique dans le giron de la République. Les partis qui se conforment à nos lois, les intellectuels encartés ou non, tous les démocrates et républicains soucieux du Sénégal doivent être au cœur d’un travail de production d’idées et de rêves afin d’inventer un nouvel imaginaire de progrès social qui garantit l’ancrage de cette belle idée qu’est la République au cœur du paysage politique et social.
Par Amadou Lamine SALL
ELLE EST MORTE MA MAMAN !
La mort s’est trompée en croyant m’avoir pris ma mère ce lundi 04 septembre 2023, Jour de la grande fête religieuse du Magal de Touba au Sénégal !
A ma famille, à mes proches, à mes amis, à la poésie, à ceux qui ont perdu leur maman chérie, j’annonce la mort de ma mère. J’annonce la perte de mon unique trésor, de mon unique jardin, de mon unique banque, de mon unique poème, de mon unique livre, de mon unique foi. La mort ne m’a rien demandé en venant visiter celle qui a fait de moi ce que je suis devenu. Elle sait que je lui aurais donné ma vie à la place de celle qu’elle est venue prendre ce matin et dans mes bras. Il est des dettes que l’on ne peut rembourser que par sa propre vie. Neuf mois de loyer dans le ventre d’une mère sans rien payer, sans compter tout le reste qui suit et qui n’a pas de prix ! Mais ce ne sont pas nous qui décidons !
La mort s’est trompée en croyant m’avoir pris ma mère ce lundi 04 septembre 2023, Jour de la grande fête religieuse du Magal de Touba au Sénégal ! Ceux qui nous ont donné la vie ne devraient jamais mourir sous nos yeux. Mais l’étrange alchimie du temps en décide souvent bien autrement. Mon espérance s’est fragmentée, la beauté des fleurs ne sera plus la même. Le grand pétale s’est éteint. Ma foi s’est lézardée mais elle seule vaincra la douleur etles doutes. Il y faudra du temps. Je m’agrippe pour l’instant au vent, au vide, au néant. Je flotte. J’ai perdu le plus beau, le plus reposant des refuges : ma maman, la belle bergère peule de Pal !
Elle était ma muse ! Mon jardin tant chanté, tant arrosé vient de se faner. Pourquoi ? Pourquoi la mort se croit-elle toujours tout permis ? Pardonnez-moi Seigneur de blasphémer, tant la douleur est incisive ! J’ai perdu et tout perdu ! Mon cœur s’éteint comme une lampe morte. Seigneur, accueille la ! Accueille-la donc Toi-Même. Place ma mère dans Ton Patrimoine le plus chéri, dans Ton Jardin le plus jaloux qui n’accueille que ceux que Ton Cœur a choisis parce que Toi Seul sais. Elle T’aimait ma mère. Elle avait choisi ton prophète Mohamed comme chant de jour et chant de nuit, comme chapelet, comme tapis de prière, comme bague à son doigt, comme galet de prière quand le poids de l’âge se passait des ablutions
« Salue donc le prophète Mohamed qui est venu me tenir compagnie, avant que tu ne viennes t’assoir à mes côtés », me disait elle quand j’entrais dans sa chambre qui faisait face à la mienne dans ma maison que je partageais avec elle depuis plus de 40 ans. J’étais allé la chercher à la maison paternelle de Kaolack pour venir vivre avec moi, à Dakar, sous ma propre et entière servitude. Je la voulais proche, heureuse et toujours comblée. Elle ne m’avait pas seulement donné la vie. Elle m’avait également donné le monde. Un monde lié aux vertus de mon sang, de ma culture, du respect des autres, de la découverte des autres, de la rencontre avec les autres, de leur écoute, de l’amour.
«N’aie pas peur. Ne t’inquiète pas si demain les Blancs t’appréciaient plus que tes propres compatriotes. C’est inscrit dans la légende de notre sang. Nous sommes hors frontière. Tu seras hors des frontières », me confia-telle un jour. J’avoue avoir pris du temps pour comprendre, savoir. Quand une poétesse peule parle, le lait se pare de signes !
Oui, maman, tu m’as donné la vie et tu m’as donné au monde comme tu dis ! Tu me manqueras. Tu me manqueras beaucoup. Mais je sais que tu seras là. Toujours. Maintenant que tu es partie, que je ne te verrais plus au petit matin en ouvrant ma porte qui donne sur ta porte, laisse-moi te dire combien je t’ai aimée et surtout combien j’ai hâte de te rejoindre là où tu reposes. Oui, j’ai hâte de venir dormir à tes côtés, comme jadis, comme toujours quand je reviens des longs voyages. Maman, je suis si fatigué moi aussi. Si fatigué et désenchanté.
J’avais à peine 10 ans maman, quand papa nous a quittés. Tu as tenu. L’école primaire. Le lycée. L’université. Le monde. Tu as tenu. Tu as assurée et toute seule le pain, l’eau, le sel, les cartables, les cahiers, les encouragements, les veilles, les prières, la tendresse infinie. J’ai 72ans. Tu me quittes à deux pas de tes 101 ans. Tu as tenu. Tu as tenu à rester là, à veiller sur moi. Merci. Merci pour tout.
La mort souveraine, conquérante, sans permission, est parvenue à t’arracher à ma tendresse. Dieu qui ne sait pas tout - mesure-t-IL le poids de ma douleur ? - a laissé faire. Puisqu’IL a laissé faire, nous nous agenouillons devant Sa Volonté. Nous nous remettons à Lui et à Sa Miséricorde et ses Promesses. Merci. Merci maman. À bientôt. Juste comme toi, préparer le chemin
Dakar, ce lundi saint, mais si tuméfié du 04 septembre 2023.
Amadou Lamine SAL
Par Mamadou Oumar NDIAYE
LE CREPUSCULE DES PRÉSIDENTS CRAPULES
Ces adhésions populaires aux coups d’État sont la preuve, s’il en était besoin, que la démocratie telle qu’elle a fonctionné jusqu’ici de ce côté-ci du continent a bel et bien été un échec. Et le Sénégal ne constitue pas une exception, hélas
Quel dommage que le Gabon ne se situe pas en Afrique de l’Ouest et, de ce fait, n’appartienne pas à la Cedeao. Dommage car on aurait vu le président de la République, Macky Sall, s’agiter pour envoyer des soldats de l’armée nationale y rétablir l’ordre constitutionnel c’est-à-dire remettre le président Aly Bongo Ondimba au pouvoir ! Vraiment dommage.
Ce qu’ils peuvent donc se foutre de la gueule des gens, ces damnés putschistes. Alors même que les Macky Sall, Alassane Ouattara, Faure Gnassingbé et autres chefs d’Etat obligés de la France, poussés par cette dernière et sous la conduite, plus étonnant, de Bola Tinubu, leur homologue du Nigeria, crient au monde entier « retenez-nous ou nous allons faire la guerre aux putschistes nigériens », multiplient les gesticulations, font entendre les bruits de bottes et les cliquetis des armes sans véritablement oser attaquer le général Tiani et ses troupes, voilà donc que d’autres militaires prennent le pouvoir. Au Gabon cette fois-ci. Au petit-matin de mercredi, ils ont renversé le président Aly Bongo Ondimba à peine une heure après l’annonce de la réélection « triomphale » de l’héritier d’Oumar Bongo Ondimba à l’élection présidentielle de dimanche dernier. Avec 64 % des suffrages valablement exprimés — du moins d’après l’inénarrable commission électorale nationale autonome de son pays —, le fils Bongo aurait obtenu l’onction de son bon peuple pour effectuer un troisième mandat après avoir déjà passé 14 ans au pouvoir suite à son père qui a dirigé l’émirat pétrolier d’Afrique centrale d’une main de fer pendant 42 longues années, excusez du peu ! Des résultats proclamés au beau milieu de la nuit, pendant que les honnêtes Gabonais dormaient, après proclamation de l’état d’urgence, coupure de l’Internet, suspension du signal de France 24 et RFI, sans compter l’interdiction faite aux journalistes étrangers et aux observateurs électoraux de venir couvrir ou assister au déroulement du scrutin !
Le but de la manœuvre c’était bien sûr, et comme on l’a vu, de proclamer la victoire « triomphale » d’Aly Bongo Ondimba. Et les chars de l’armée avaient été sortis pour le cas où, c’est-à-dire mater quiconque contesterait ce brillant résultat ! Seulement voilà, tout ne s’est pas déroulé comme prévu et les militaires, notamment ceux du corps d’élite de la garde présidentielle, plutôt que de tirer sur le bon peuple, ont préféré déposer le président frauduleusement réélu et installer un des leurs à sa place ! Naturellement, ce sont des scènes de liesse populaire qui ont accompagné cet énième coup d’Etat militaire survenu en Afrique francophone ces deux dernières années.
Comme au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Niger et maintenant au Gabon, les peuples de ces pays sont descendus en masse dans les rues pour acclamer les tombeurs de leurs présidents « bien aimés ». Et comme à chaque fois, l’Union Africaine, la Cedeao (pour ce qui est des coups survenus en Afrique de l’Ouest) mais aussi la France et l’Union européenne ont condamné fermement tandis que les Etats-Unis se montraient plus réservés dans leurs désapprobations.
Mais encore une fois, ce qui est le plus remarquable c’est l’adhésion des populations à ces pronunciamientos. On aurait pu penser que ces coups mortels portés à la démocratie rencontreraient leur résistance mais c’est le contraire qui se produit, les militaires renversant les chefs d’Etat « démocratiquement élus » étant perçus comme des justiciers venus libérer leurs peuples de l’emprise de chefs d’Etat kleptomanes, corrompus et prédateurs. Des chefs d’Etat ayant fini de brader les ressources de leurs pays aux multinationales occidentales mais aussi aux « investisseurs » chinois, turcs, israéliens, marocains, émiratis et autres. Au Niger du « légitime » Mohamed Bazoum, le très stratégique ministère des Mines et du Pétrole— qui signait les plus gros contrats du pays, ceux donnant lieu à la plus grande corruption et concernant le pétrole et l’uranium notamment — avait à sa tête le fils du prédécesseur du président renversé le 26 juillet dernier, Mahamadou Issoufou. Lequel n’a donc pas voulu lâcher le magot en cédant le pouvoir.
Les élections, ça se gagne avant le jour du scrutin !
Dans tous ces pays, les présidents « démocratiquement élus » et leurs familles sont richissimes et les populations, misérables. Des pays qui n’ont de « démocraties » que le nom et où les élections sont truquées non pas à travers le bon vieux système du bourrage des urnes mais plutôt par le biais de mécanismes beaucoup plus sophistiqués permettant de les gagner en amont bien avant qu’elles se tiennent! Ainsi, des années ou des mois avant la tenue des scrutins, les opposants les plus susceptibles de remporter les élections sont jetés en prison sous les accusations les plus grotesques et fallacieuses — vol de bébés pour Hama Amadou au Niger, escroquerie et spoliation immobilière pour Moïse Katumbi en République démocratique du Congo, atteinte à la sûreté de l’Etat pour Rached Ghanouchi en Tunisie, braquage de banque pour Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire etc. On m’a même raconté, mais j’ai du mal à le croire, que dans l’une de ces démocraties, un leader de l’opposition a été embastillé pour vol de portable après avoir été accusé de « viol »…
Bien entendu, aucun de ces exemples ne concerne notre glorieux pays et notre grande démocratie ! Dans certaines de ces « démocraties », ce sont les chefs d’Etat qui sélectionnent les candidats qui devront les affronter par le biais de Conseils constitutionnels à leur botte—au Gabon, la présidente du Conseil constitutionnel n’était autre jusqu’au coup d’Etat de cette semaine que l’ancienne maîtresse du père d’Aly Bongo Ondimba !—, les commissions électorales « autonomes » ou « indépendantes » à leur solde faisant le reste et proclamant des résultats préfabriqués. Ne parlons pas des rôles joués parles administrations territoriales, sous la férule de ministres de l’Intérieur ultra-partisans, pour terroriser les populations, surtout rurales, et les convaincre de faire les bons choix.
Encore une fois, dans ces « démocraties » des présidents kleptomanes et prédateurs font main basse sur les ressources de leurs pays tout en enrichissant au passage une caste de courtisans, laudateurs et zélateurs. Les populations, elles, sont réduites à végéter dans la pauvreté. Et vous voulez qu’elles se retrouvent dans ces « démocraties »- là ainsi que dans les institutions croupion mises en place par ces présidents prédateurs pour donner plus de respectabilité à leurs pouvoirs mais aussi caser des obligés ? Des présidents qui n’hésitent pas à tripatouiller les Constitutions de leurs pays pour se maintenir éternellement au pouvoir. Et qui, tous, usent de juges aplatis et aux ordres — on n’ose pas parler de corrompus ! — pour emprisonner leurs opposants et même de simples jeunes gens idéalistes sous les accusations les plus ubuesques parfois juste pour avoir « liké » une publication ! Des dirigeants qui sortent des chars contre leurs propres populations et qui, parfois, font fermer par leurs forces de l’ordre des permanences de partis politiques légalement constitués. Le plus étonnant, pour ne pas dire paradoxal, c’est que ces pratiques liberticides n’ont souvent pas cours dans les pays de la sous-région ouest-africaine où les militaires ont pris le pouvoir. Cherchez l’erreur…
Toutes ces entorses, toutes ces pratiques liberticides, toutes ces fraudes électorales, toutes ces gloutonneries de présidents voleurs et de leurs castes insatiables ont fini par dégoûter les populations de la démocratie de la même manière que leurs devancières s’écriaient, dans les années 70 et 80, devant les piètres performances de leurs dirigeants, « mais quand donc prendront fin nos indépendances » ? Aujourd’hui, il est de bon ton pour les Ouest Africains, et singulièrement pour les pauvres jeunesses, de souhaiter à haute voix la survenue de coups d’Etat militaires dans leurs pays. N’ayons pas peur de le dire : beaucoup de ces militaires qui prennent le pouvoir en renversant des présidents prétendument « démocratiquement élus » seront plus utiles à leurs pays que les voleurs qui les dirigeaient jusque récemment. Ce même si ne nous illusionnons pas : certains d’entre eux vont également s’enrichir à leur tour. Mais au moins ne se couvriront-ils pas des nobles oripeaux de la démocratie pour dépouiller leurs peuples ! Encore une fois, ces adhésions populaires aux coups d’Etat qui surviennent ces temps-ci sont la preuve, s’il en était besoin, que la démocratie telle qu’elle a fonctionné jusqu’ici de ce côté-ci du continent a bel et bien été un échec. Et le Sénégal ne constitue pas une exception, hélas. Bien au contraire !
Par Abdoulaye THIAM
POLITIQUE DE RELEVE !
La Fédération sénégalaise de football va désormais profiter des matches de l’équipe nationale A pour trouver des sparring-partners pour sa sélection A’. Prions pour que ce vœu pieux devienne une réalité. Pour plusieurs raisons.
Mayacine Mar, Directeur technique national de football a lâché une phrase pleine de sens lors de la conférence de presse du sélectionneur national, Aliou Cissé lors de la publication de la liste des Lions devant affronter les «Fennecs » dans ce qu’il est convenu d’appeler le «duel des champions », le 12 septembre prochain au stade Abdoulaye Wade de Diamniadio.
À l’en croire, la Fédération sénégalaise de football va désormais profiter des matches de l’équipe nationale A pour trouver des sparring-partners pour sa sélection A’. Prions pour que ce vœu pieux devienne une réalité. Pour plusieurs raisons.
D’abord, il permettra à des sélectionneurs comme Malick Daff, Pape Bouna Thiaw, Serigne Saliou Dia, payés à la pige de vivre davantage de leur métier qu’ils servent avec amour et patriotisme à leur Nation au même titre que Aliou Cissé, qui lui est payé par l’Etat du Sénégal (tiers payeur) d’un contrat paraphé par la Fédération sénégalaise de football. Ce qui constitue une incongruité bien de chez nous. Même s’il faut d’emblée reconnaître que l’instance fédérale n’a pas les moyens de ses ambitions pour prétendre payer à coup de millions un sélectionneur national. Fut-il un smicard !
Mais au-delà de l’aspect pécuniaire, cette nouvelle politique de la Fédération sénégalaise de football trouve son intérêt du fait qu’il permettra de préparer une bonne relève avec de jeunes espoirs qui auront davantage de matches pour viser l’équipe national A. En Europe, pratiquement tous les matches des sélections seniors sont précédés de matches des espoirs. Les Bleuets jouent avant les Bleus par exemple. Il en est ainsi partout. Ce qui permet à Didier Deschamps d’avoir une vision plus claire. Le Fédération française de football aussi.
Last but not least, de telles compétitions pourraient aussi et surtout nous servir pour «nationaliser», nos binationaux. Ce qui évitera aux responsables administratifs de la Fédération sénégalaise de football une pression inutile qui perturbe souvent la quiétude du groupe.
Le cas Ismaila Jackob en est une parfaitement illustration. En pleine coupe du monde de football, Me Augustin Senghor et son staff se sont déployés comme des diables pour résoudre un problème administratif du joueur sans lequel il n’allait pas être cette révélation qu’il a été lors du Mondial qatari. Quel talent !
Que dire aussi de la valorisation du football local ? C’est une sempiternelle question qui revient à chaque publication de la liste des Lions aussi bien dans les rencontres amicales voire officielles que lors des compétitions (CAN ou Coupe du monde).
Ces matches qui seront arrimés aux matches des Lions leur offriront une très grosse visibilité et leur offriront une légitimité pour frapper à la porte de la tanière.
Par Dr Cheikh GUEYE
TOUBA : METROPOLE MOURIDE, SYMBOLE ET GARDIENNE DE NOTRE SOUVERAINETE NATIONALE
Le réseau urbain sénégalais est principalement d’origine coloniale. Il connaît aujourd’hui une nouvelle dynamique décolonialeliée à l’émergence de formes d’urbanisation récentes, qui ont bouleversé la logique du semis de centres hérités des époques antérieures. Plusieurs villes abritant ou ayant vu la naissance de confréries religieuses musulmanes et une floraison de petites villes issues de la croissance des villages-centres des collectivités locales créées par l’État à partir de 1972, sont les principaux ressorts de cette dynamique.
Touba, exemple le plus achevé de ces villes religieuses, constitue le cœur du pays mouride, le centre de sa « toile d’araignée », fruit de la spatialisation de la confrérie. Une croissance urbaine rapide et spectaculaire le singularise dans le réseau urbain sénégalais qui s’est mis en place à l’époque coloniale pour l’administration territoriale et l’évacuation des produits de traite. Cette dynamique urbaine particulière, soutenue depuis une trentaine d’années, se traduit par l’émergence d’une nouvelle grande agglomération à l’intérieur du pays. Touba, ville soutenue par un groupe, en l’occurrence la confrérie mouride, symbolise surtout la réalisation du rêve-prédiction de son fondateur Cheikh Ahmadou Bamba. La ville s’individualise ainsi par la logique de sa fondation. Elle constitue malgré son développement plus récent la composante majeure de la territorialisation de la confrérie qui a abouti à la formation d’un espace où priment l’idéologie mouride et ses imaginaires spatiales souvent différentes des représentations émises par l’Etat post colonial. Mais la territorialisation de l’idéologie de libération que constitue la Mouridiyya, a également une composante rurale antérieure et concomitante qui a permis de concevoir des structures d’encadrement, de les tester et de les consolider. Touba est pour le mouridisme qui a toujours été décrite comme une confrérie rurale, le lieu d’unicité symbolique et sacré, sans lequel la conquête du profane périphérique, de zones vides d’hommes comme d’espaces d’autres sociétés, ne pouvait se faire. Touba et le reste du territoire mouride sont deux éléments d’un même mouvement qui se veut à la fois porté par la mystique et épousant le monde matériel. La construction du territoire mouride a la particularité de s’appuyer sur des déterminants idéologiques et économiques, et comporte un versant sacralisant qui semble remis en question au fur et à mesure que l’on s’éloigne du berceau de la confrérie. L’urbanisation de Touba représente autant une accumulation du sacré et du symbolisme qu’une idéalisation de la ville par la verticalité de sa grande mosquée . Cette dernière devient ainsi l’équivalent du totem ou de la colline qui exprime un point d’unicité pour l’horizontalité polarisé. Touba n’a de sens que par rapport au reste du territoire qu’il domine. Omniprésence du rêve, celui du fondateur, de ses descendants, et des disciples qui s’identifient profondément à son sol et à sa puissance sacrale. La cité idéale se nourrit de l’idéalisation de la cité.
L’importance de la population toubienne (estimation de 2.000 000 d’habitants) est un autre reflet de l’importance symbolique de la ville et de la puissance de la représentation idéaliste dont elle est l’objet. Elle est le résultat d’une véritable explosion démographique induite essentiellement par une forte migration qui a fait affluer à Touba des milliers de disciples venus de toutes les régions du Sénégal mais surtout des zones qui constituaient le territoire mouride. Tous les déterminants de cette immigration sont sous-tendus par le fort sentiment identitaire développé par les Mourides à l’égard de leur capitale. Les appels répétés au peuplement lancés par les khalifes successifs conjugués aux facilités foncières consenties par les autorités maraboutiques sont les éléments qui ont déclenché le processus. La migration souvent qualifiée « d’exode religieux » se poursuit et s’accélère sous l’effet d’accumulation et de plus en plus pour des raisons sociales et économiques face à la crise agricole, à la saturation de Dakar, et peut-être au dynamisme bancal des autres villes secondaires.
La ville de Touba a connu, depuis 1958, de forts taux de croissance qui rompent avec ceux exprimant la faible dynamique qui a longtemps marqué les villes secondaires sénégalaises. Entre 1958 et 1988, la population toubienne est passée de 2 127 habitants à 125 127 habitants. Cet accroissement fulgurant a surpris chercheurs et décideurs : on tablait en 1974 sur une population toubienne de 39 000 habitants pour 1990. Même les prévisions anciennes du Plan National d’Aménagement du Territoire (PNAT, 1992) ne plaçaient Touba au second rang des villes sénégalaises qu’en 2021. Aujourd’hui, en attendant les résultats du Recensement de la population et de l’habitat de 2023 pour lequel, l’ANSD a fait un effort d’ouverture pour améliorer les statistiques concernant Touba, la population est estimée autour de 2 millions d’habitants. Cette croissance brutale est liée à trois facteurs concomitants :
Le premier est sans doute la construction de la grande mosquée qui a été achevée dans cette période, avec l’appui de centaines d’ouvriers et de manœuvres mourides, travaillant plus ou moins bénévolement. Cette participation à la construction revêtait une signification symbolique certaine, et explique l’installation à Touba de certains d’entre eux. De même, l’ambiance générale d’euphorie et de réconciliation dans laquelle la confrérie a baigné, et le succès populaire du magal, qui, du fait du quasi achèvement de la mosquée attirait de plus en plus de pèlerins et de curieux, doit être prise en compte. Le premier lotissement de Touba est le deuxième facteur important du doublement de la population toubienne entre 1958 et 1960. Le troisième facteur est la naissance en 1956 du marché Ocass et son développement à partir de 1958 ; il devint ainsi un important marché rural, attirant très vite des flux de Mourides du vieux bassin arachidier, venus écouler leurs produits ou en quête de diversification de leurs activités.
Cette croissance exceptionnelle exprime un autre tournant décisif, l’accession au khalifat de Serigne Abdoul Ahad qui voit l’explosion urbaine de Touba, après ses appels insistants au peuplement. Dans cet ordre d’idée, la mise en place d’infrastructures a également joué un rôle important. Leur construction, ont rendu la ville « vivable », et attiré de manière permanente ou saisonnière les populations du pays toubien. Serigne Abdoul Ahad est sous ce rapport l’initiateur du peuplement massif de la ville dans sa configuration actuelle.
Qui sont les Toubiens ? Une analyse sociologique révèle une diversification des origines, une complexification des trajectoires migratoires, et la confirmation de la densification, du rajeunissement et de la féminisation progressive des ménages qui marquent le passage d’une émigration à dominante individuelle à un regroupement familial plus systématique. Touba constitue désormais un refuge spirituel, économique voire politique pour tous les Mourides qui ont connu au Sénégal et à travers le monde une dispersion croissante qui pose pour eux la nécessité de l’existence d’un espace d’identification forte . Mais Touba est devenu également un enjeu important pour le reste des Sénégalais qui y sont de plus en plus nombreux, et bouleverse les flux de populations et de biens à l’échelle du pays.
Jusqu’où ira l’hétérogéneisation de ses composantes démographiques et sociologiques ? Le reflux des Mourides dans la ville sainte implique des changements de comportement, de mode de vie, de manière de se voir entre eux. Des évolutions de l’articulation entre les rapports d’ordre, de castes et de parenté, les rapports confrériques et les inégalités socio-économiques sont observées De nouvelles formes de sociabilité voient le jour à Touba et semblent induire un nouveau modèle de citadinité ainsi que des formes spécifiques de rapports sociaux.
Touba, moteur de notre souveraineté et de la dignité nationale
Touba incarne la souveraineté nationale, l’audace et la capacité de faire par nous-même et pour nous-même dans une vision décomplexée. Ses principes de fonctionnement qui débordent de la cité de Bamba et rejaillissent sur tout le territoire national et même dans les villes d’installation des mourides. Il reflète le projet de société et de vie de CheikhoulKhadim, celui qui associe le spirituel et le matériel, la recherche de l’agrément divin par le travail rédempteur et la bienfaisance envers ses semblables.
Touba est la ville du volontarisme urbain, du gigantisme, et cultive le beau et le fort pour ressembler à l’image idéale que la confrérie veut se donner. La « himma », l’ambition démesurée pour l’agrément d’Allah, en est la motrice. C’est à la fois une ville rêvée, un lieu de retour produit par les mourides, une ville postcoloniale qui a le paradoxe d’avoir été fabriquée et peuplée par des ruraux (90% de la population provenaient directement du milieu rural dans les années 90, mais les origines se diversifient depuis lors). Touba est également une nécropole (l’une des villes d’enterrement les plus importantes au monde), pôle d’équilibre territorial, économique (activités économiques, flux de biens, financiers, communicationnels, numériques etc.), démographique national.
Mais Touba représente également le laboratoire d’une décentralisation souple, intelligemment négociée, et qui valorise les ressources locales. Le statut spécial lui permet de préserver son caractère émetteur de normes et de valeurs positives pour la société sénégalaise. Globalement Touba démontre l’efficacité de modes de gouvernance qui nous sont propres et auxquels les populations se reconnaissent et qu’elles soutiennent. L’efficacité de la gestion urbaine alimente la confiance et le désir de ville, la confiance en l’autorité et le désir de contribuer au développement du projet (urbain, sociétal ou national) étant les biens manquants de la gouvernance à l’échelle du Sénégal et de la sous-région ouest africaine. A Touba, le sentiment de fierté d’appartenir à un projet est fouetté par la parole, la posture et le comportement du khalife général Cheikh MouhamadoulMountakha qui incarne à la fois, capacité de veille, empathie, générosité, bienfaisance, leadership prospectif, force de conviction et capacité d’achèvement (delivery) des chantiers de la confrérie. Mais au-delà, il est devenu un « père de la nation » attendu sur toutes les questions et à tout moment malgré son âge avancé.
Touba est une mémoire organisée où les symboles sacrés de la confrérie et de la nation se concentrent pour mieux s’enfermer et se pérenniser. Cette mise à l’abri de la mémoire a précédé les autres formes de concentration qui caractérisent et définissent la ville : celle du bâti, des réseaux, des populations, des activités, des échanges. Touba est de ce point de vue un modèle alternatif, les valeurs fondatrices ayant précédé les autres fonctions urbaines.Il symbolise la résistance au colonialisme, la dignité et l’authenticité d’une nation bâtie entre les valeurs religieuses et négro-africaines. Mamadou Dia le confirme dans ses mémoires : « Touba est donc bien pour nous le lieu ou a triomphé l’esprit de résistance et la dignité sénégalaise. À qui serait tenté de l’oublier, Touba rappelle que l’estime, même celle des adversaires, se mérite.Elle ne vient pas récompenser la servilité ou l’acquiescement systématique. Elle reconnaît la valeur de qui s’affirme, dans l’opposition s’il le faut ».
Par ailleurs, l’espace urbain se subdivise selon des logiques que sous-tendent des représentations différentes liées aux divers acteurs, à leurs ambitions pour ou dans la ville, à leurs moyens de se l’approprier, et à la pratique quotidienne de celle-ci. Les quartiers-villages ou communautés, de tailles et de poids charismatiques inégaux, ainsi que les maillages gestionnaires qui leur sont internes, accumulent du pouvoir par la ville et font en quelque sorte de celle-ci une « condition matérielle de la puissance » .
Le principe d’anticipation par les lotissements massifs a permis de souder l’espace urbain et de valoriser dans le sens du symbole, des villages-satellites en les intégrant grâce à des vagues de lotissements successifs. À la structure multicentrée qui en est issue, s’est superposé un schéma radioconcentrique qui s’appuie sur le centre principal. Le schéma du centre principal est reproduit dans les centres périphériques et ceux-ci ont également leur propre périphérie. Mariage contradictoire entre une organisation idéale autour des symboles sacrés et de pouvoir, et une autre qui valorise le périphérique en le phagocytant. Le tissu bâti toubien se différencie ainsi essentiellement entre les centres issus de quartiers et les espaces péricentraux. Il se reproduit souvent à l’identique dans ces derniers en faisant cohabiter plusieurs types d’habitat. Les contrastes entre morceaux du tissu urbain sont ainsi peu marqués. La tendance est à l’homogénéisation par la durcification et la densification.
Si Touba était d’abord une utopie, la société maraboutique qui s’est constituée avec l’avènement du mouridisme en a fait une réalité incontournable. L’espace n’est pas seulement le signe d’une réalité sociale, il en est une composante et une modalité d’organisation. L’urbanisation de Touba est au-delà du rêve de ville de Cheikh Ahmadou Bamba, une appropriation et une transformation de l’espace qui reflètent un besoin de sens, une demande affective ou de recentrage du sacré et du symbolique, ressentis à un moment ou à un autre par tous les segments de la confrérie mouride, après plusieurs années de dissémination. Comme projet, elle constitue pour les successeurs de Cheikh Ahmadou Bamba, un instrument de remobilisation pour assurer la pérennité de la doctrine et de l’engagement après la mort du fondateur. Le sol urbain est mis au service du prosélytisme. L’urbanisation représente la somme des actions menées par les khalifes généraux qui ont cherché à entrer dans l’histoire à travers la construction de la ville, et la consolidation de son symbolisme.
Un statut spécial pour une meilleure gestion du projet urbain de Touba
Touba est déjà une ville spéciale et a toujours eu ce statut de fait. En tant que « métropole de l’intérieur du pays » mais dont l’autorité suprême est le khalife général et point de convergence de millions de sénégalais pour le magal qui est l’un des cinq plus grands rassemblements au monde, Touba a plus que besoin pour aujourd’hui et demain, de trouver sa vraie place dans l’architecture de l’acte 3 de la décentralisation. Sa croissance sur tous les plans, les énormes potentialités dont la ville est porteuse, les nouveaux enjeux (de santé, d’infrastructures, de sécurité, de justice, etc.), et une vision prospective et ambitieuse, appellent une réflexion approfondie pour reconnaître à Touba de manière plus formelle sa spécificité et son statut de Commune spéciale pour une plus grande cohérence territoriale et institutionnelle. Un statut à même de prendre pleinement en compte et de sublimer toutes les spécificités religieuses, sociologiques, démographiques, économiques, administratives, etc. Il lui permettra également d’avoir accès aux instruments institutionnels et organisationnels modernes permettant de rationaliser, de façon optimale, sa gouvernance locale, dans le cadre de l’unité intangible de la nation sénégalaise et de la souveraineté de l’Etat et de la République, que doit renforcer (et nullement affaiblir) la prise en compte des différentes diversités. Comme cela s’est déjà fait et continue de se faire en France, en Italie, au Canada et dans beaucoup de pays du monde.
L’intérêt d’un statut particulier pour Touba réside également dans la nécessité d’annihiler les effets négatifs du flou qui persiste depuis trop longtemps. En effet, Touba est devenu contrairement aux principes et valeurs qui l’ont fondés un lieu où le crime organisé tente de se déployer, où les faux médicaments si dangereux pour la santé des Toubiens et de tous les sénégalais pullulent et ont pignon sur rue, où la vente d’armes et de munitions est monnaie courante, où les grands bandits qui braquent les boutiques et volent le bétail se réfugient, où les trafiquants de permis, cartes grises et voitures volées ou illégalement importés s’en donnent à cœur joie. Touba a besoin d’un statut spécial pour à la fois se protéger et protéger l’espace national de l’insécurité. Il a besoin d’un statut spécial pour développer de manière optimale son potentiel pour les besoins du projet de cité idéale de CheikhoulKhadim et pour être un levier du développement du Sénégal.
Touba est la capitale des mourides et un point fort de conservation et de perpétuation de notre identité religieuse et culturelle nationale. Elle constitue un lieu-barrière face aux idéologies extrémistes qui menacent nos nations dans un contexte de globalisation signifiant un peu partout une remise en question des ressources d’enracinement et de sagesse propre, et une transmission déficitaire des valeurs auprès des nouvelles générations.
Par ailleurs, Touba est également spécial par rapport à la plupart des autres grandes villes du Sénégal qui sont des chefs-lieux de région bénéficiant ainsi des investissements à hauteur de leur statut et de leur poids administratif. C’est surtout en rapport avec l’approfondissement de la décentralisation qu’il faut penser et mettre en oeuvre un statut spécial pour permettre à Touba d’avoir une gestion à la hauteur de son poids religieux, démographique, socio-économique et religieux, et à son potentiel comme un des moteurs de l’économie nationale. C’était le sens de la promesse du Président de la République en 2012.
Touba démontre la capacité d’adaptation des mourides
Par sa naissance rurale et son ancrage dans ce milieu, la confrérie a développé des formes cohésives d’encadrement, avant de démontrer sa capacité d’adaptation en produisant des réseaux de solidarité et de mobilisation au moment de son implantation dans les villes sénégalaises et à l’étranger. Avec l’urbanisation de Touba, le corps maraboutique applique à plusieurs niveaux, des stratégies en rapport avec de nouvelles réalités, de nouvelles ambitions et de nouveaux moyens.
De la force du lien de chaque acteur ou groupe d’acteurs avec la fondation ou l’expansion de la confrérie dépend traditionnellement son pouvoir charismatique qui est constitué par l’équilibre de ses positions multiples, religieuses, économiques, politiques, sociales, et surtout son rapport à la mémoire symbolique. À ces positions s’ajoute son niveau d’intégration dans la société urbaine de Touba qui devient un des paramètres importants du charisme, autant que son expression. Le prestige à Touba est une des positions qui influent sur la personnalité charismatique, et la gestion urbaine constitue une autre fonction maraboutique Mais ce nouveau défi nécessite des ajustements et des mutations desquels dépend l’efficacité de la gestion d’une société urbaine de plus en plus complexe. Les premiers acteurs de la production urbaine sont les khalifes. Et c’est à partir du second khalifat qu’une véritable conscience de ville et une prise en charge de sa construction se font jour.
Touba émerge ainsi dans un semis urbain marqué par l’hypertrophie de Dakar et la relative stagnation des villes secondaires, et dans laquelle le rôle de création urbaine par l’État est demeuré largement prépondérant. Il constitue désormais la première ville de l’intérieur et un point de rupture de charge et un passage vers le reste du pays avec notamment l’autoroute « ila Touba ». L’armature urbaine sénégalaise, essentiellement tournée vers la côte, s’enrichit ainsi au centre du pays d’une autre grande ville qui rééquilibre l’influence du Triangle Dakar-Thiès-Mbour en formation.
Mais cette ville n’est en réalité que la projection spatiale urbaine de la confrérie mouride, de son organisation sociale, de ses mutations et de sa vision du monde. Le pouvoir politique, le dynamisme économique et la capacité d’adaptation des Mourides ont profondément marqué la société sénégalaise contemporaine. La confrérie mouride née dans le dernier quart du 19ème siècle est d’inspiration soufi comme les autres confréries musulmanes du Sénégal qui ont joué un rôle de substitution et d’encadrement dans le contexte de déstructuration de la société wolof. Les Mourides représentent une hiérarchie sociale structurée par des croyances et des règles construites autant à l’époque de Cheikh Ahmadou Bamba qu’après sa disparition. La recomposition des pratiques socio-religieuses se fait au rythme de la reterritorialisation qui est une donnée permanente. La relation fondamentale qui lie le marabout mouride à son disciple (Jebëlou, jaayanté) a ainsi été largement décrite dans la littérature et ses implications sociales, économiques et politiques analysées sous l’angle de disciplines diverses et durant tout le siècle. L’intérêt porté à la confrérie par la recherche n’a fait que s’accentuer depuis 60 ans. Des thèmes divers continuent à être étudiés par des géographes, des historiens, des sociologues, des anthropologues, des politologues dans de nouveaux cadres où l’originalité de la confrérie se manifeste. Ainsi, après l’analyse de la dissémination des Mourides en milieu rural et des structures de fonctionnement et de production qu’ils y ont inventées , les mécanismes d’adaptation au milieu urbain sénégalais , les relations entre l’État et la confrérie , une autre génération de recherches qui concernent surtout les migrants internationaux mourides s’est développée depuis 1981 et autour des années 90 . Beaucoup d’études ont ainsi été consacrées à la confrérie. Mais, peu d’entre elles se sont intéressées à sa capitale. Pourtant, pendant tout ce temps, le groupe confrérique s’était fortement mobilisé pour son projet urbain et s’est transformé en le réalisant. A partir des années 60 et surtout dans les années 80, Touba a cependant commencé à étonner et a attiré l’intérêt de certains milieux universitaires. Plusieurs travaux, dont celui commandité par l’État , et les nombreux mémoires universitaires ont postulé l’originalité de cette ville religieuse dans le réseau urbain et tenté d’appréhender sa génèse.
Le rêve urbain se traduit ainsi en ville-chantier vivace où l’effort immobilier constant change perpétuellement les paysages sur lesquels règne désormais en maître le parpaing. La durcification se généralise et la verticalisation amorcée devient une nouvelle référence. Mais l’effort immobilier est également un révélateur pertinent de la personnalité du nouveau Mouride, celui-là qui a comme point d’ancrage et lieu identitaire Touba tout en étant « internationalisé », tourné vers le monde. C’est par lui que le modèle toubien se reproduit dans un contexte national paradoxalement contraignant et avec des ressorts singuliers. Le nouvel homme toubienidentitairementtranslocalisé produit une nouvelle société urbaine porteuse d’un fort sentiment d’appartenance, de constructions mentales concernant le sol toubien, d’un mode de vie particulier, d’une autre vision du monde. Dans l’espace urbain du quartier et du sous-quartier, les relations avec les marabouts s’affranchissent de la soumission et deviennent de plus en plus des relations de voisinage simples, tandis que l’attachement à la ville globale est de plus en plus fort. Ainsi, l’espace urbain en se métamorphosant rétroagit sur l’organisation confrérique, ses valeurs, ses pratiques. Par ailleurs, l’analyse de la conquête du sol par les Toubiens a permis une lisibilité plus grande des sinuosités de la société urbaine, et offre une possibilité de relecture du devenir de la ville et de la confrérie face à la liberté produite par la spéculation et par la vie citadine.
Touba face aux défis de l’éducation
La cité de Touba est devenue une métropole qui étend ses tentacules vers tous les points cardinaux. Elle a tellement grandi que ses besoins sont nombreux et complexes et demandent une mobilisation de moyens plus importants de la part de l’Etat, de la commune de Touba et de tous les dahiras qui prennent leurs parts dans les investissements énormes attendus. L’exemple de Touba cakanam qui investit des milliards depuis 6 ans représente une spécificité toubienne. Il a été précédé par des dahiras comme MatlaboulFawzaini, HizbutTarkhiyya qui ont ouvert la voie d’une participation plus importante des dahiras dans l’urbanisation et de la gestion de la cité. Ils tentent de répondre aux principaux défis que sont les infrastructures et équipements d’éducation et de santé, l’accès à l’eau et à l’assainissement, l’hygiène et la gestion des déchets, la sécurité, la gestion des eaux pluviales, la lutte contre le chômage des jeunes et la précarité sociale, etc.
Comme toutes les villes, Touba fait face à la révolution numérique et aux bouleversements économiques et sociétaux que génère la mondialisation. Sa jeunesse est tout aussi exposée aux flux d’informations et d’idées qui passent par les réseaux sociaux et Internet. Et les relations entre marabouts et disciples vont beaucoup changer. Mais la ville de Touba du fait de son identité religieuse et de ses valeurs spirituelles issues des enseignements de CheikhoulKhadim, est un espace de résistance à la mondialisation et constitue une échappatoire par rapport aux tentations de l’alcool, du tabac, de la prostitution, des jeux de hasard, de la musique profane, etc. Touba est la première ville non-fumeur, no-alcohol du monde. Le contexte actuel valide en quelque sorte les choix d’interdiction du visionnaire qu’était Serigne Abdoul Ahad qui aident tous les toubiens à se protéger contre la mondialisation débridée et ses effets dévastateurs sur les croyances et les âmes.
Le complexe Cheikh AhmadoulKhadim (CCAK) dont l’Université est une composante importante mais qui s’adapte aux besoins spécifiques de la cité religieuse en matière d’éducation. Comme vous le savez, depuis bien longtemps, Touba n’a pas été intégré dans la carte éducative et avec l’hémiplégie des indicateurs de mesure des performances du secteur qui ne prend pas assez en compte l’éducation religieuse et coranique des daaras, il constituait une zone grise du système éducatif publique. Par conséquent il vient combler un manque autant du point de la confrérie que de l’Etat du Sénégal qui a la responsabilité d’organiser et de soutenir le secteur. Le complexe de Touba va encore renforcer le rôle de capitale de l’éducation religieuse de la cité.
Au demeurant, l’éducation religieuse a une historicité et un ancrage très profond au Sénégal qui est un pays à plus de 95% de musulmans et à presque 100% de croyants. Les ordres d’enseignement chrétiens sont proportionnellement bien représentés dans l’espace de l’offre éducationnelle avec une image saine et ouverte, malgré quelques insuffisances et leur dynamisme n’est plus à démontrer. A contrario, l'éducation islamique qui est une constante dans les sociétés musulmanes sénégalaises a un déficit de reconnaissance et de structuration. Pourtant l'instruction est une obligation et l'accomplissement du rituel est fortement lié à un ensemble de règles que le musulman doit respecter, en collectivités ou en intimité.
Au Sénégal, l'enseignement arabo islamique a un ancrage historique, sociologique, scientifique, territorial, fort. Il est apparu dès l'islamisation du pays et s'est définitivement installé dans les écoles depuis l'empire du Ghana bien avant le saccage de Kumbi Saleh par les Almoravides en 1076. Car le royaume du Tekrûr qui était partie de l'empire de Ghana a été un territoire où l'islam était dominant sous le règne de WaraDiabe (mort en 1044).
Bien avant la colonisation, l'arabe était la langue de formation des élites et les foyers d'éducation religieuse jouaient un rôle important dans ce sens. Saints et chefs religieux ont, au Sénégal, une forte tradition de fondation qui fait des daara, un instrument utilisé depuis plusieurs siècles pour faciliter le rôle de protecteur, puis d’encadrement, d’enseignement, des marabouts dans la société wolof. Plusieurs villes sont nées de l’initiative de marabouts ayant bénéficié de privilèges accordés par les pouvoirs en place dans la période qui a précédé la colonisation pour créer des centres d’éducation religieuse. Coki fondé entre 1725 et 1733, Pire en 1603, et Ndiaré sont les plus connus avant Mbacké par exemple. Touba est l’héritier de cette tradition de fondations scolastiques en réseau. Les marabouts de renom qui ont par la suite créé les confréries sont tous plus ou moins passés dans ces écoles , devenues les cadres de liens et d’alliances importantes entre familles maraboutiques. La plupart des wird confrériques y ont été initiés. Le daara d’aujourd’hui résulte donc d’héritages provenant d’initiatives d’agents maraboutiques et ont toute leur légitimité dans un enseignement et un système d’éducation avec un contenu sénégalais.
Aujourd'hui, l'enseignement arabo islamique reste encore une réalité incontournable et l'Etat a été obligé de le prendre en considération depuis les indépendances jusqu'à nos jours avec une force, une sincérité et des fortunes diverses. Sous ce rapport, la présidence du Président MackySall a permis de passer un cap. Il faut admettre qu’il y a une compétition entre enseignement "laïc" et enseignement arabo islamique et celle-ci revêt un caractère idéologique et politique qu’il faut désormais dépasser. Le Complexe CAK de Touba se positionne en assumant un enseignement religieux et modernisant.
L’enseignement religieux musulman est une demande profonde d’une partie de la société sénégalaise, mais elle est contrainte dans son fonctionnement et dans ses débouchés. La difficulté d’accueil des arabisants de retour d’études à l’étranger en est l’un des révélateurs. La constitution de ghettos à tous les niveaux de l’enseignement en est la conséquence. Le Complexe de Touba permettra d’absorber au moins une partie des étudiants qui étaient envoyés dans les autres pays musulmans pour approfondir leurs études.
L'exemple des pays comme le Maroc ou l'Algérie peuvent nous servir d'illustration pour montrer que le meilleur moyen de ''contrer'' le radicalisme et l’extrémisme c'est de lui couper l'herbe sous les pieds en offrant un enseignement de l'islam modéré, aux racines locales et soufi, porté par une confrérie comme la Mouridiyya, dénué de toute forme d'idéologie politique.
Un complexe pour décomplexer et assumer le système éducatif mouride
L’Université est l’aboutissement de tout un complexe (Complexe Cheikh AhmadoulKhadim CCAK) qui prépare les étudiants par l’enseignement du Coran et des sciences religieuses ainsi qu’au Baccalauréat arabe. Donc l’arabe sera la langue dominante mais la langue wolof et es langues étrangères occuperont une place importante. Le complexe Cheikh AhmadoulKhadim va décomplexer et déconfiner l’éducation mouride et islamique au Sénégal.
Comme vous le savez, depuis bien longtemps, Touba n’a pas été intégré dans la carte éducative et avec l’hémiplégie des indicateurs de mesure des performances du secteur qui ne prend pas assez en compte l’éducation religieuse et coranique des daaras, il constituait une zone grise du système éducatif publique. Par conséquent il vient combler un manque autant du point de la confrérie que de l’Etat du Sénégal qui a la responsabilité d’organiser et de soutenir le secteur. Le complexe de Touba va encore renforcer le rôle de capitale de l’éducation religieuse de la cité.
Au demeurant, l’éducation religieuse a une historicité et un ancrage très profond au Sénégal qui est un pays à plus de 95% de musulmans et à presque 100% de croyants. Les ordres d’enseignement chrétiens sont proportionnellement bien représentés dans l’espace de l’offre éducationnelle avec une image saine et ouverte, malgré quelques insuffisances et leur dynamisme n’est plus à démontrer. A contrario, l'éducation islamique qui est une constante dans les sociétés musulmanes sénégalaises a un déficit de reconnaissance et de structuration. Pourtant l'instruction est une obligation et l'accomplissement du rituel est fortement lié à un ensemble de règles que le musulman doit respecter, en collectivités ou en intimité.
L’« interdiction » de l’éducation laïque date d’au moins 1945 sous le khalifat de Cheikh Mouhamadou Fadel (SerigneFallou) parce que c’est après cette date que Cheikh Ahmadou Mbacké Gaindé Fatma a établi la première école à Darou Khoudoss, dans sa propre concession pour donner la chance à certains enfants de Touba d’associer l’enseignement en français avec l’éducation en langue arabe. Il s’agissait moins d’une interdiction que d’une forme de rejet de l’enseignement laïque classique et d’un ancrage dans le système éducatif mouride. D’ailleurs, une autre manifestation de ce rejet est la fermeture par SerigneSaliou Mbacké en 1996 de classes construites par l’Etat avec le concours de la Banque mondiale. Ces classes avaient été présentées au khalife général comme un soutien à son système éducatif alors qu’elles voulaient introduire l’enseignement laïque dans la cité religieuse.
Aujourd’hui l’offre est plus diversifiée avec la démultiplication d’écoles coraniques qui intègrent dans leurs curricula l’enseignement laïque et permet en même temps aux élèves de mémoriser le Coran et d’apprendre les sciences religieuses. L’école Al Azhar ouverte par Cheikh MouhamadoulMourtadha il y a des dizaines d’années a également formé des milliers d’élèves dans le modèle franco-arabe et est en train de mettre en place son système supérieur et professionnel (Université Cheikh Ahmadou Bamba) à Touba et dans beaucoup de localités du Sénégal sous le modèle du Waqf et le principe de la gratuité. Il y a également l’école de Darou Marnane qui a été ouverte en dehors du statut spécial et qui répond à la demande d’enseignement en langue française. Beaucoup d’élèves de Touba sont également dans les écoles de Mbacké. Mais fondamentalement, Touba garde le statut de « Capitale des écoles coraniques » avec plus de 2000 daara qui hébergent, nourrissent, blanchissent et éduquent plus de 100 000 enfants. Et cette offre répond à la demande de la plupart des Toubiens qui préfèrent l’éducation religieuse mouride.
Justement une des fonctions de l’éducation mouride est de décomplexer le disciple et de changer la mentalité selon laquelle, on ne peut être intellectuel qu’en langue française. C’est un enseignement rappelé par Cheikh Ahmadou Bamba dans ses œuvres et dans sa vie. Mais désormais les Mourides sont partout au Sénégal et dans le monde et sont formés dans toutes les disciplines et toutes les langues. Par ailleurs, c’est aussi une question de visibilité. Les événements scientifiques organisés pour la préparation du Magal par la commission Culture et Communication et la dahiraRawdouRayahin, l’explosion des médias mourides et des réseaux sociaux pour lesquels les Mourides se positionnent dans la bataille des contenus, montrent beaucoup plus l’exubérance, le dynamisme et le talent des intellectuels mourides. On voit que cette intelligentsia se positionne dans les débats nationaux et internationaux, et s’approprie également le projet éducatif mouride dont ils seront les principaux animateurs. Ils sont aujourd’hui dans les plus grandes universités au monde, tout en étant représentatifs du système éducatif de Touba et des Mourides. Le nombre de publications et de livres des Mourides sur les Mourides a connu une croissance exponentielle et reflète ce que le fondateur de la confrérie disait de l’écriture : karaamatixatuyadii : « mon miracle, ce sont mes écrits ».
Retour sur le règne d'Omar Bongo, l'un des acteurs majeurs de la Françafrique dont les actes auront défini la trajectoire du Gabon d'aujourd'hui. Alors que son fils et successeur Ali, vient d'être renversé par un putsch militaire
Comment un obscur postier de Brazzaville réussit-il à devenir une importante figure politique africaine et à rester au pouvoir plus de quarante ans ? Les laudateurs d’Omar Bongo se plaisent à souligner sa finesse de jugement et son pragmatisme. Elégante façon de dire que, chez lui, la fin a toujours justifié les moyens. S’il a fini par donner l’impression d’avoir vécu plusieurs vies en une seule, c’est qu’il savait, mieux que ses collègues, rester en phase avec le locataire de l’Elysée et s’adapter sans états d’âme aux nécessités du temps.
Il lui a ainsi semblé normal de changer de religion, de loge maçonnique et — à deux reprises — de nom. Il n’est pas jusqu’au destin qu’il n’ait essayé d’embrouiller sur le tard : lors de son séjour dans un hôpital de Barcelone, on l’a tour à tour donné pour mort et pour vivant ; la date exacte de son décès reste encore sujette à caution. Cette agonie ponctuée de rumeurs et de démentis conclut, sans surprise, un règne particulièrement opaque.
Tous les témoignages évoquent avec émotion un homme plutôt ouvert, spontané, aimable et généreux. Au lieu de se laisser enfermer dans un culte de la personnalité délirant et meurtrier, Bongo avait en effet choisi de jouer la carte de la bonhomie, se donnant volontiers des airs de chef de village un peu bourru mais bienveillant. Cette perception lui a été très utile à notre époque où l’image des chefs d’Etat leur tient parfois lieu de programme de gouvernement. Il est resté fréquentable parce qu’il ne s’est jamais laissé aller à la bestiale cruauté d’un Idi Amin Dada ou d’un Joseph Mobutu. Cela a suffi pour faire oublier que, derrière des apparences débonnaires, il savait se montrer sans pitié, ainsi que l’attestent la violente répression des émeutes postélectorales de 1993 et certains meurtres politiques non élucidés.
De mémorables fâcheries avec Paris ont forgé sa réputation d’enfant terrible du pré carré. Mais, même s’il a pu obtenir le départ de deux ministres — M. Jean-Pierre Cot en 1982 et, plus récemment, M. Jean-Marie Bockel —, Bongo a surtout été l’enfant chéri de la « Françafrique ». Le maître de Libreville, qui n’était pas dupe de son propre jeu, a toujours su jusqu’où ne pas aller trop loin. Le fait de posséder des dossiers sur plusieurs politiciens français ne lui avait pas donné la grosse tête. Il connaissait parfaitement les règles : ceux d’en face ne manquaient pas de moyens de pression sur lui, bien plus définitifs.
En outre, il était, de tous les obligés de Paris, celui qui aurait eu le moins de chances d’exister sans ses parrains de l’Hexagone. MM. Idriss Déby (Tchad), Denis Sassou Nguesso (Congo-Brazzaville) et Blaise Compaoré (Burkina Faso) n’ont pu s’imposer qu’après de rudes batailles politiques et militaires. Il a suffi à Bongo, ancien sous-officier de l’armée de l’air chargé du renseignement, de savoir plaire aux faiseurs de rois pour que son destin fût tout tracé dès son plus jeune âge : une audience avec le général de Gaulle et un dîner chez Jacques Foccart (1) lui ont tenu lieu, selon le mot cruel d’un journaliste français, d’« entretien d’embauche ». L’Elysée l’avait pour ainsi dire nommé directeur de cabinet du fantasque président du Gabon Léon Mba avant d’en faire son successeur dans des conditions que l’on ne peut rappeler sans un sourire amusé : Mba était à l’article de la mort dans un hôpital — parisien, celui-là... — lorsque Foccart lui fit signer une révision constitutionnelle instituant un poste de vice-président taillé sur mesure pour Bongo.
Ainsi fut inventé, à partir de presque rien, l’autocrate qui allait « tenir » son pays pendant de si longues années. Les clauses de cet accord politique sont restées les mêmes : en échange du soutien peu regardant de Paris, qui peut le destituer à tout moment, Bongo met à disposition les richesses du Gabon et en particulier son pétrole et son uranium, ressources stratégiques, indispensables aux yeux du général de Gaulle à l’indépendance de... la France ! Aux Nations unies, le Gabon, comme la plupart des pays de l’ex-empire, apportera systématiquement sa voix à la France.
Pendant la guerre froide, il n’hésite pas, à l’instigation du pouvoir gaulliste, à faire de son pays une base logistique de la sanglante sécession biafraise en 1968. C’est aussi de Libreville que les mercenaires de Bob Denard se sont lancés, en une calamiteuse opération, à l’assaut du Bénin marxiste-léniniste. Dès la chute du mur de Berlin, le monde découvre le nouveau Bongo : un homme de bonne volonté, déployant une activité inlassable pour la résolution des conflits, au Tchad et en Centrafrique notamment. On a cependant vu les limites de l’exercice quand, se faisant passer pour médiateur pendant la guerre civile congolaise de 1997, il aida en sous-main M. Sassou Nguesso — son beau-père et surtout l’homme d’Elf — à renverser le président Pascal Lissouba, le président élu.
Bongo ne s’est pas laissé surprendre par ce qu’on a assez abusivement appelé le printemps démocratique africain. Son régime était de ceux que le discours de La Baule en 1990 (2) venait de condamner à mort. Mais le chef de l’Etat gabonais, qui connaissait bien le discoureur, François Mitterrand, ne s’est jamais senti menacé. Sans doute même a-t-il rigolé en douce de toute cette mise en scène. Son vieux complice n’était sûrement pas le mieux placé pour donner à qui que ce soit des leçons de vertu.
On sait que le président Mba, hostile à l’indépendance de son pays, avait proposé à la France de faire du Gabon un département d’outre-mer. De Gaulle avait très sensément décliné cette offre. Il était plus profitable de traiter avec des pays africains ayant toutes les apparences de la souveraineté tout en étant tenus en laisse. Plusieurs décennies après, on est obligé d’en convenir : le pari du général a été gagnant au-delà de toutes ses espérances. Au regard de cette insolente réussite, les députés français devraient peut-être voter un jour une loi sur les aspects positifs... de la décolonisation !
Il est significatif que la mort de Bongo ait suscité moins d’intérêt en Afrique — où on n’a guère lieu d’être fier de lui — qu’en France. Les médias français ont surtout fait état des importantes sommes d’argent distribuées par Bongo à des politiciens de gauche et de droite (3). Et on ne dit rien du procès Elf (4), qui a révélé comment, dixit Mme Christine Deviers-Joncour, on distribuait les millions « comme des caramels »...
Comment s’étonner dès lors que les énormes richesses d’un tout petit pays — pétrole, manganèse, uranium et bois précieux — ne permettent pas à ses habitants de vivre mieux ? Bongo et les siens ont amassé des fortunes colossales. Au lieu de financer des routes, des dispensaires et des écoles, cet argent a été dilapidé dans des dépenses somptuaires. Ainsi réduit-on à néant les ambitions de tout un peuple. Si des plaintes ont été déposées en décembre 2008, ne faudrait-il pas étendre cette action en justice aux hommes politiques français qui ont très largement bénéficié du même système d’enrichissement illicite ? Cela aiderait à faire reculer, dans une certaine opinion, l’idée qu’il faut imputer la misère des Africains à la paresse, au manque de rigueur et à des traditions rétrogrades. Cela aiderait l’opinion française à accepter l’évidence : la « Françafrique » est un monstre à deux têtes. Les dirigeants africains ne ruinent pas seuls leurs économies. Ils le font en parfaite complicité avec des citoyens de l’Hexagone. Ensemble, ils empêchent les enfants gabonais ou tchadiens de se soigner et de recevoir une bonne éducation.
Que peut bien faire un peuple mécontent de ses dirigeants, sinon se battre pour en mettre d’autres à leur place ? En maintes occasions, les Gabonais s’y sont essayés, par la voie électorale ou de manière moins pacifique. Ils se sont chaque fois heurtés à l’hostilité active de Paris. Cette tradition d’intervention directe remonte d’ailleurs à février 1964, lorsque Mba, renversé, est remis en selle par l’armée française. De même, lorsqu’en 1990 les Librevillois descendent dans la rue, à la suite de la mort d’un opposant, c’est Mitterrand qui envoie ses parachutistes rétablir l’ordre. Pis, quand, en 1998, Bongo est battu à la présidentielle et que des observateurs français, dont plusieurs magistrats, valident, contre espèces sonnantes et trébuchantes, le détournement du suffrage universel.
Il faut cependant être bien naïf pour croire un seul instant que c’est à Libreville que sera signé le fameux « acte de décès » de la « Françafrique », même si cette dernière se sait désormais sous surveillance et objet de tous les sarcasmes, surtout parmi les jeunes Africains. C’est du reste ce qui rend la période de transition si délicate et incertaine. Il suffit d’un rien pour que se libèrent les énergies si longtemps contenues par ceux-là mêmes qui tentent en douceur de conserver le pouvoir et leurs privilèges. »
(1) Conseiller de l’Elysée aux affaires africaines et malgaches de 1960 à 1974, considéré comme un symbole de la « Françafrique ».
(2) Lors du sommet France-Afrique de La Baule, en 1990, le président François Mitterrand annonça que la France ne soutiendrait plus les régimes africains non démocratiques.
(3) Lire par exemple Le Canard enchaîné, Paris, 17 juin 2009.
Ali et ses 40 voleurs de résultats croyaient donc pouvoir récidiver. Aller encore plus haut que le Haut-Ogoué. Il ferme tout, déconnecte tout. Après ce couvre-feu, c’est libre ville pour les Gabonais.
Ali et ses 40 voleurs de résultats croyaient donc pouvoir récidiver. Aller encore plus haut que le Haut-Ogoué. Il ferme tout, déconnecte tout. Après ce couvre-feu, c’est libre ville pour les Gabonais. Ali n’est pas un gars bon. Ce baiser forcé -pas celui de Rubiales- mais de la Constitution lui a été fatal. Des résultats proclamés à des heures de crime… Mais un crime n’est jamais parfait. Et après, Ali appelle à faire du bruit. Le Sénégal pourrait faire une intervention, pas militaire, mais de « soldats » des casseroles pour rétablir le président déchu, déçu. Un message en anglais et on ne sait même pas si l’accent est nigérian ou gabonais. Pierre Péan pourra trancher.