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28 novembre 2024
Opinions
par El Hadji Cheikh Diop
DE LANGUE À LANGUE : NOTE DE LECTURE SUR UNE ONTOLOGIE DE LA TRADUCTION
Publié en 2022 aux éditions Albin Michel, le texte de Souleymane Bachir Diagne aurait bien pu être dirigé contre cet ésotérisme des expériences subjectivées. Mais l’essai est opposé à une chose autre, clairement nommée : "une ethnologie de la différence"
Écrire sur la traduction est un exercice délicat dans un contexte où les solipsismes individuels et collectifs gagnent en épaisseur et en consistance. En proclamant l’inaccessibilité d’expériences dont les authentiques clés d’interprétation resteraient entre les seules mains des individus et groupes les ayant vécues, les discours solipsistes contemporains font passer les expériences particulières du monde au statut d’intraduisibles. Publié en 2022 aux éditions Albin Michel, le texte de Souleymane Bachir Diagne aurait bien pu être dirigé contre cet ésotérisme des expériences subjectivées. Mais l’essai est opposé à une chose autre, clairement nommée : « une ethnologie de la différence ».
A celle-ci Bachir oppose en effet un « principe de charité » qui est au cœur du travail de traduction. A l’égard des langues, cette charité procède par « mise en rapport ». La traduction apparait ainsi, sous la plume de Bachir, davantage comme un processus relationnel que comme un troisième terme qui viendrait s’ingérer dans les rapports entre deux langues. Le sous-titre de la conclusion (« la langue des langues ») peut donc tromper : la traduction gagne certes sa propre positivité, mais comme relation. Elle est « mise en rapport », créatrice de réciprocité entre langues, mais peut également « manifester » des rapports d’inégalité à l’instar de ceux caractérisant l’espace colonial.
A travers cinq chapitres qui se lisent de façon très fluide, Bachir dénoue magistralement les décisions savantes qui voudraient ériger des barbelés de l’intraduisibilité entre les langues, les cultures. C’est alors tout naturellement « contre l’effet de l’instinct de tribu » que le commentateur de Bergson fait apparaître la nécessité de la traduction comme « rencontre dans une humanité partagée ». La dimension téléologique d’un tel choix paraît assumée, tant l’humanisme qui le fonde transparait de façon explicite au fil des pages.
Logique et langues
C’est le philosophe américain Willard O. Quine que Bachir mobilise dans cette entreprise dès le premier chapitre, pour fragiliser les bases de « l’ethnologie de la différence » et ouvrir la discussion sur le « statut anthropologique de la logique ». Double fragilisation, au moins pour un moment ! Car ni le particulariste de creuset ni l’universaliste de surplomb ne se trouvent rassurés. Ce sera au moment de traiter d’une philosophie de la grammaire qui serait propre à chaque langue que Bachir va se montrer lui-même plus décisif sur le statut de la logique.
A la faveur d’une réflexion sur une querelle emblématique ayant marqué l’histoire de la philosophie islamique, l’auteur revient sur l’opposition entre l’idée d’une logique qui serait propre à chaque langue et l’idée d’une logique inhérente au raisonnement humain de façon générale. Un détour fort utile est l’exemple que constitue l’arabe de ne pas être une langue « à copule » au même titre que le grec.
Quand on attribue, en langue grecque, un prédicat à un sujet, le rôle que joue la copule « est » en grec dans l’exemple « Socrate est philosophe » se voit en quelque sorte rempli en arabe par le pronom personnel « lui », de telle sorte que cette proposition devienne en arabe : « Socrate, lui, philosophe ». C’était en tout cas la traduction préférée par des philosophes arabes comme Matta qui, en procédant de la sorte, transformèrent en une « relation logique entre deux termes » ce qui se présentait en grec sous la forme d’un prédicat intrinsèque (philosophe) à un sujet (Socrate) : « Ainsi (…) la relation qu’établit le pronom personnel indique-t-elle que l’individu "Socrate" appartient à la classe de ceux qui possèdent la propriété "philosophe" ».[i]
Il nous est pourtant permis de douter de la portée ontologique d’une telle transformation. La classification, qui est un mécanisme cognitif pour regrouper et distribuer des choses discrètes dans divers ensembles, est nécessairement fondée sur la similitude des prédicats imputés à celles-ci. En arabe comme en grec, l’opération que décrit Bachir aboutit nécessairement à une classification dès lors que l’on songe à regrouper diverses entités dénommées « philosophe » dans un même ensemble ; la transformation de l’inhérence du prédicat en relation ne menant guère à un assemblage relationnel en tant que tel. Alors que l’opération classificatoire prend appui sur la similitude des attributs intrinsèques, un assemblage relationnel se fonderait plutôt sur la compatibilité des positions, à l’instar des termes de parenté qui en fournissent un bon exemple d’objectivation sociologique.
Et ici, nous nous trouvons bien en face d’une opération classificatoire, car ce qui permet de parler d’une classe des philosophes, ce sont bien les traits intrinsèques similaires que ces derniers sont réputés partager et auxquels sont assujetties les relations entre philosophes. Autrement dit, au sein de la classe, la prévalence des termes sur les relations reste inchangée dans le mouvement de traduction que cite Bachir. La différence serait, au plus, dans la nature intrinsèque ou extrinsèque de la relation sujet-prédicat, et non dans l’opération d’assemblage ou de répartition des existants qui semble pourtant plus décisive tant pour le raisonnement logique que pour les jugements ontologiques.
Il est toutefois important de noter que même s’il estime que traduire d’une langue « à copule » à une autre qui ne l’est pas n’est pas « indifférent », Bachir s’oppose à l’idée que « les philosophies sont (…) des systèmes de pensée séparés, constitués par des langues et des philosophies grammaticales radicalement différentes ».[ii] Cela dit, d’où vient même cette nécessité de faire un détour par les rapports logiques entre termes et relations contenus dans la grammaire, comme si cette dernière donnait à la langue son unité ? L’argument que nous défendons ici, c’est que même en répudiant un relativisme logique qui serait favorisé par les langues, l’auteur se sert du même postulat implicite quant à ce qui fait l’unité d’une langue. En effet, l’un des réquisits de l’amplification de la traduction chez Bachir est de retrouver l’unité de la langue à partir des structures linguistiques qui surplombent les différences culturelles dans les usages d’une langue.
Conséquences analytiques
Gilles Deleuze et Félix Guattari sont allés jusqu’à affirmer une unité politique de la langue est politique.[iii] Ce choix a au moins le mérite de ne contenir aucune pétition de principe. En outre, elle suggère que les représentations du monde partagées au sein d’une communauté politique ne sont pas simplement des facteurs supplémentaires qui influent sur la langue, mais bien des éléments constitutifs de celle-ci. La question fondamentale ici est : comment, dans une analyse qui donne à la traduction une grande amplitude, les continuités et les scansions "politiques" de la langue en viennent-elles à être occultées par une structure abstraite qui, bien que donnant à la langue son unité, en est aussi déduite ? Qu’une telle structure soit syntaxique, phonologique ou lexicale, elle jouit du même privilège de surplomber les différences qui naitraient d’usages culturels dominants ou politiques d’une langue. Dans l’analyse de Bachir, le niveau syntaxique semble bien jouer ce rôle.
Traduire, c’est comparer. Comparer suppose l’existence préalable des choses à comparer. Traduire crée ou maintient donc le caractère discret des choses qu’elle met en rapport. Il n’est d’ailleurs possible de parler d’hybridation qu’au sujet de choses qu’on tient pour séparées ou différentes. De plus, la conséquence de donner une représentation explicite ou une positivité à la traduction (qui n’a pourtant de forme d’expression ou de positivité que dans les langues particulières), c’est de recourir à des termes (langues) dont l’unité parait d’abord syntaxique.
Amplifier la traduction comme relation comparative a dès lors pour conséquence d’amplifier l’unité à partir de laquelle on procède à la découpe des termes à « mettre en rapport ». Une pragmatique de la langue aurait pu par contre envisager la traduction entre usages sociaux différents d’une même langue ou entre discours ontologiques mettant différemment l’accent sur des possibilités logiques universelles. Le concept de schème chez Kant et Bergson, repris ensuite par Piaget, pourrait bien renvoyer à la nature de ces représentations logiques socialement acquises[iv] qu’il s’agirait d’exposer dans le cadre d’une pragmatique de la langue. Cela nous mène vers une question qui prend une allure foucaldienne : quels sont les bords extérieurs de la traduction ?
Le dehors de la traduction
A la question de savoir ce qu’il y a en dehors de la traduction, la lecture de l’essai de Bachir nous renvoie à des choix conscients, réflexifs : l’hospitalité, la charité, l’éthique, la (lutte contre la) domination et les inégalités... En bref, en dehors de la traduction, il y a l’humain conscient, logique, rationnel, charitable, égalitaire. Sans doute ! Mais la première limite de cette échelle d’analyse, c’est que c’est à peine qu’elle est en mesure de rendre compte des pratiques sociales de traduction qui affleurent très peu la conscience et sont incorporées par les agents sociaux sous forme d’automatismes (ou de schèmes pratiques voire d’habitus dans une certaine mesure).
Pourrait-on expliquer la relative stabilité du système de traduction des patronymes maliens et sénégalais, en imaginant seulement des choix conscients ou des délibérations individuelles qui réouvriraient à chaque fois le registre des interprétations collectives ? Comment saisir la relation de la traduction aux rapports économiques ou politiques, aux savoirs formels relativement autonomes, à toutes ces choses situées en dehors d’elle et qui font d’elle une pratique positive supra-individuelle, avec ses modalités dominantes et ses règles de transformation ? Comment la traduction arrive-t-elle à s’autonomiser, à ne plus avoir besoin d’un dehors politique ou économique, à n’être plus que « technique » référée à elle-même ?
L’humanité envisagée comme horizon de la traduction permet sans doute de rendre compte de choix individuels remarquables, à l’instar de certains actes posés par les interprètes indigènes dans l’espace colonial. Usant de la différenciation latourienne entre médiateurs et intermédiaires, Bachir nous dit que ces interprètes sont bien dans le premier lot, car ils ne se contentent pas seulement d’être les véhicules passifs des mots qu’ils rendent dans la langue du colon ou dans la leur. Ils en transforment parfois le sens de façon délibérée, mais en prenant en compte de la totalité de la situation. Acte de sincérité même ! Mais l’on voit toujours mal comment un tel niveau d’analyse permettrait en même temps de rendre compte de la spécificité historique des modalités de la traduction ainsi que des mécanismes qui en sous-tendent la transformation.
Traduire les images
Les « translations de l’art africain classique » sont une occasion pour Bachir de mettre en relief l’impact qu’ont eu sur le cours du modernisme artistique les objets d’art africain dont il dit que « leur vivacité a signifié qu’ils ont trouvé à se loger dans de nouveaux langages, devenant ainsi des médiateurs et faisant de leurs traducteurs aussi des médiateurs ».[v] C’est pourquoi l’auteur ramène au premier plan le langage des formes que parlent ces objets, bien avant la fonction rituelle à laquelle il est commun de les réduire.
Il est vrai qu’on ne saurait accorder une fonction unique à ces images, comme si elles perdraient de leur plénitude sans les contextes ayant vu leur naissance. Cependant, en plus des traits formels, il y a toujours un dispositif par lequel l’objet arrive à signifier, le musée étant lui-même un de ces dispositifs. De plus, les traits formels, parce que limités dans leur combinatoire, n’ouvrent que des possibilités de langage, mais ne parlent aucun langage direct.
On pourrait se servir comme exemple la manière dont la figuration des fondateurs de cercles soufis et des rois-héros nationaux au Sénégal correspond schématiquement à la différence panofskienne entre la fonction commémorative et la fonction glorifiante des images (portraits). S’il est commun de représenter le héros (comme Lat Dior) de profil, le guide-fondateur est souvent représenté sous une vue de face. Que certaines images des fondateurs de cercles soufis soient photographiques n’a pas beaucoup d’importance ici, dans la mesure où même dans la photographie, la façon dont on traite le champ, sa profondeur, sa mise en relief et son animation fait l’objet de choix figuratifs.
Les images de Lat Dior, bien moins présentes dans les maisons sénégalaises que les portraits des fondateurs de cercles soufis, sont souvent chargées de détails contextuels. Lat Dior est non seulement souvent représenté de profil, mais parfois aussi accompagné de son cheval, avec un aide à côté et bien des objets qui enrichissent la scène figurée. Les choix formels permettent ainsi de contenir les relations (les interactions) dans l’image.
Or, la relative neutralité du fond de l’image la plus utilisée de Cheikh Ahmadou Bamba, qui est de surcroît représenté sous une vue de face, ouvre la possibilité d’une relation (d’une interaction) entre l’observateur et l’image. Là où l’image de Lat Dior peut remplir une fonction commémorative, celle du fondateur du mouridisme ouvre, de par le face-à-face intersubjectif qu’elle permet, la possibilité d’une vénération. La fonction glorifiante d’une telle image est, en outre, renforcée par une idéalisation du modèle, facilitée dans ce cas par le turban maure du cheikh qui couvre la moitié du visage, réduisant ainsi le nombre de traits à imiter et laissant peu de place à un décalage important entre les diverses reproductions.
Cela dit, il arrive bien que les figurations de fondateurs de cercles soufis ou de rois-héros nationaux donnent à voir des fonctions différentes de celles qu’elles remplissent de façon habituelle. Dans les cercles soufis par exemple, le recours à l’image commémorative n’est pas rare, mais sert surtout de medium pour établir des prescriptions normatives quant aux rapports entre le guide religieux et le disciple, à l’importance de la patience dans le cheminement du soufi etc. Cependant, la distribution sociale de ces images commémoratives des fondateurs de cercles soufis parait très limitée.
La différence dans la façon de figurer fondateurs de cercles soufis et rois-héros nationaux est tout à fait envisageable à partir de la différence des régimes d’existence post-mortem dans lesquels se trouvent les deux types de personnages. Car si les rois-héros nationaux sont littéralement des figures historiques, les fondateurs de cercles soufis sont, en général, des êtres dont la présence continue à être actualisée grâce, entre autres, à ces images dont les traits formels leur permettent d’entrer dans le dispositif relationnel extérieur à la toile ou à la photo. La question fondamentale consiste donc moins à se demander si l’objet d’art ou l’image de manière générale garde une « vivacité » sans le dispositif qui l’a vu naitre, que de savoir la variabilité logique et réelle de la relation entre l’objet et un dispositif auquel il est forcément inséré.
Ainsi est-il peu certain que le transfert du célèbre portrait de Cheikh Ahmadou Bamba dans un musée d’ici ou d’ailleurs puisse conserver cette fonction dite « glorifiante » sans le dispositif et les codes d’interprétation qui permettent à l’observateur d’établir la relation intersubjective avec l’image. De l’autre côté, avec des relations contenues dans le cadre, l’image de Lat Dior garderait plus ou moins sa fonction commémorative dans un mouvement de translation similaire. Dans un cas, le pouvoir de l’image est relatif (au sens que ce qualificatif a dans "pronom relatif") ; dans l’autre, le pouvoir de l’image lui est intrinsèque.
Il faut enfin reconnaître que Bachir ne soutient guère l’idée que toutes les traductions se valent, mais c’est une question que nous étions bien amené à nous poser au cours de la lecture. La conclusion y apporte une réponse ferme, notamment lorsque l’auteur oppose les traductions violentes aux traductions hospitalières, « qui ont le souci de la fidélité par véritable souci de connaissance de l’autre ».[vi] Nous espérons que la présente traduction aura reflété ce souci, malgré le fait qu’elle amplifie quelques traits de l’ouvrage et en contracte bien d’autres.
[i] Diagne, Souleymane B. De langue à langue. L’hospitalité de la traduction (Albin Michel, 2022), 121-22.
[iii] Deleuze, Gilles, et Félix Guattari. Mille Plateaux (Éditions de Minuit, 1980), 109.
[iv] Il est important de souligner que le fait de relever le caractère acquis des représentations logiques ne veut pas dire que celles-ci puissent être exclusives à un groupe social. Au contraire, un « acquis » est à entendre comme un « nécessaire » de la cognition humaine.
EXCLUSIF SENEPLUS - Dans quelle démocratie élimine-t-on du jeu le parti le plus représentatif ? Les évènements récents en Casamance sont inacceptables. Pour nos sociétés, un désir de rupture avec un pacte colonial et ratifié par l’État postcolonial
Le président de la République du Sénégal avait promis de réduire son opposition politique à sa plus simple expression. Le ministre de l’Intérieur, en publiant le 31 juillet 2023 un décret signé par sa main et dissolvant le Pastef ; et le doyen des juges en mettant le leader de cette formation politique en prison, viennent au nom de la République d’accomplir formellement ce dessein. En agissant ainsi, le gouvernement du Sénégal a porté un grand coup à la démocratie sénégalaise. Fille d’une longue et lente construction faite de soubresauts, d’épreuves et de luttes, les beaux jours de la démocratie sénégalaise, dans sa réalité substantielle, auront vécu. Pas qu’elle fut sans défaut ; elle avait ses limites et ses dimensions à parfaire, mais l’essentiel était préservé, c’est-à-dire, le refus de l’arbitraire le plus absolu et la possibilité pour les citoyennes et citoyens de coconstruire le destin collectif de la nation. L’horizon demeurait ouvert avec ses chantiers en perspective. Nous allions aux urnes, votions en paix et choisissions nos représentants. Les dernières interdictions de partis politiques dans notre histoire politique datent des années 1960 ; celle du Parti Africain de l’Indépendance (PAI) en 1960 sous le régime de Senghor ; celles du Bloc des Masses Sénégalaises (BMS) en 1963 et du Front National Sénégalais (FNS) de Cheikh Anta Diop en 1964, dans une époque et un contexte politique différents. Depuis, nous avions fait du chemin pensions-nous ; multipartisme limité à trois courants en 1976, à quatre en 1978, intégral sous l’ère de Abdou Diouf ; environ 339 partis politiques enregistrés au total dont 151 durant cette dernière décennie ; une vie syndicale et associative, une liberté d’expression que l’on nous enviait dans la sous-région.
Le Sénégal a connu sous Senghor, Diouf et Wade des joutes politiques dures. Celles-ci furent verbales et parfois émaillées de violences. Maître Wade fut même accusé du meurtre d’un juge, président du Conseil constitutionnel, Maître Babacar Sèye. Son parti politique ne fut pas pour autant dissous et interdit. Depuis l’ère senghorienne, nous ne connaissions plus cette forme de déni démocratique. Le sentiment qui nous habite est celui d’un retour à contretemps d’une histoire passée et d’une véritable régression démocratique.
Le parti qui vient d’être interdit est celui dont le message recueille l’adhésion de la majorité de la jeunesse sénégalaise (70 % de la population) des classes laborieuses et d’une masse silencieuse qui aspire à un profond changement de mode de gouvernance. C’est un fait simple, visible, indubitable ; une évidence que la bonne foi ne peut nier, que l’on adhère ou pas à la vision politique du Pastef, il suffit d’ouvrir les yeux. Dans quelle démocratie élimine-t-on formellement du jeu le parti le plus représentatif du moment ? Que fait-on de l’aspiration de centaines de milliers de personnes à une expression politique républicaine et à la participation aux décisions qui configurent leur destin ? Lui intime-t-on l’ordre de rentrer chez elle sagement, à cette aspiration ? Si elle ne peut s’exprimer démocratiquement, comment s’exprimera-t-elle ?
Depuis quelques temps, il ne reste de notre démocratie que l’élégance du terme et ses reflets de naguère. Elle est devenue une catégorie que l’on a inexorablement vidée de son sens véritable. La démocratie, plus qu’un régime politique est un état de la communauté politique. Est démocratique, une société fondée sur la Justice. Celle-ci est devenue sous nos cieux l’instrument d’une répression politique dirigée contre les opposants ou tout simplement contre ceux qui ont une position critique. L’appareil judiciaire a ces derniers temps abusé d’une rhétorique autour de la sûreté de l’État, du respect des Institutions, du maintien de l’ordre public, pour organiser la répression systématique des opposants, leur intimidation et leur emprisonnement ; ainsi que la mise sous silence des voix dissidentes et des esprits épris de justice. Il n’est nullement besoin de revenir sur les arguments kafkaïens parfois convoqués et les situations ubuesques créées pour arriver à cette fin. Dans ce pays, un opposant a été séquestré et son quartier barricadé par les forces de police pendant 55 jours sans aucune base légale ; ses partisans traqués, pourchassés et arrêtés sous nos regards médusés. C’est sous ce ciel que nous nous agitons. Les derniers évènements que nous avons vécus, nous ont appris que la vérité des faits et leur massivité, ne suffisaient hélas pas à tous nous édifier sur la texture de notre nouvelle réalité. Encore faut-il vouloir (pouvoir) les regarder en face, ces faits ; avoir le courage de les admettre, leur accorder le poids qui leur sied, être en mesure de dépasser ses propres biais et ses aveuglements ; entendre ce qu’ils nous disent, et pas seulement à l’oreille, mais à nos corps et à nos tripes, lorsqu’ils nous réveillent au milieu de la nuit.
La réalité nue est que nous vivons sous un régime qui piétine allègrement le droit auquel il est censé être soumis ; un régime qui ne respecte pas ceux des citoyens qui s’opposent à lui. Un État qui se dresse contre sa société, la violente et utilise la puissance publique pour préserver les intérêts d’une classe et ceux de ses propres clientèles. Sa Justice politique s’est octroyée un monopole de la qualification des faits, hors de tout contrôle du sens et de leur véracité. Elle peut décider sans avoir à s’en expliquer qu’un emoji, un article d’opinion, ou une phrase sortie de son contexte de performativité, est une menace à la sureté de l’État et déclencher ainsi l’appareil répressif et coercitif. L’État a ainsi créé des citoyens de différentes catégories. Ceux qui peuvent ouvertement et impunément appeler au meurtre sur les plateaux de télé et ceux qui pour un émoticône, un mot de travers, un post Facebook, une opinion critique, se retrouvent en prison ou en exil. Il suffit d’appartenir, ou de se faire identifier comme appartenant au bon ou au mauvais camp, pour que les jugements de cour vous fassent ange ou démon.
La question de fond qui se pose pour nos sociétés est celle d’un désir profond de justice sociale, d’équité, de rupture avec un pacte issu du temps colonial et ratifié par l’État postcolonial africain, qui consiste en une iniquité structurelle dans le partage du bien-être et des possibilités d’une vie décente. Pour cela, une gouvernance véritablement démocratique est le prérequis. Ce n’est pas seulement un désir de changement qui souffle au Sénégal et en Afrique de l’Ouest en général, mais un désir de révolution politique, sociale et économique ; c’est-à-dire de changement radical de paradigme du vivre-ensemble, des termes du contrat social, des conditions du partage de la prospérité et des fondements de notre communauté politique.
C’est cette aspiration que l’État néo-patrimonial et ses clientèles souhaitent briser parce que remettant en cause les privilèges de leur rente de situation. Le postulat d’un État tourné vers le bien-être du plus grand nombre échoue sous nos cieux sur la banquise de ses pratiques. L’État postcolonial est un appareil de commande et de contrôle qui prélève les ressources communes de la nation, les redistribue prioritairement à ses clientèles et laisse des miettes aux citoyens. Pour se préserver, il utilise la puissance publique et les institutions censées garantir la paix et l’équilibre contre les individus et concourt ainsi à produire de l’a-citoyenneté. Sa démarche consiste, durant ces jours pluvieux que nous vivons, à nous habituer à la petite oppression quotidienne, qui petit à petit enfle et devient grande. Des arrestations de militants, de journalistes, de voix critiques et leur emprisonnement. Un processus vertigineux de normalisation d’un État de non-droit et d’iniquité, dont le corollaire est l’accroissement de notre tolérance à l’arbitraire. Une fabrique progressive du consentement à l’oppression en repoussant chaque jour les limites de l’acceptable et en élimant notre capacité d’indignation.
Pour cela, il s’agit de miser sur la capacité d’accommodement naturelle des individus à toute situation, qui est un réflexe de survie ; mais aussi sur la peur, parfois la lâcheté, et surtout chez ceux qui n’adhèrent pas à un tel état de fait, sur un sentiment d’impuissance devant les évènements. Tout ceci nous obligeant à consentir et à nous associer à la ruine morale en cours, en faisant de nous les spectateurs passifs de l’injustice. Silence, on réprime, on emprisonne, on force à l’exil ! Surtout ne dites rien et détournez le regard. Les civilisations pourrissent par le cœur. Aucun combat pour le futur ne saurait faire l’impasse sur l’oppression présente.
C’est à cette nuit qu’il nous faut refuser de consentir. D’abord comprendre ce qui nous arrive. Un monde même affreux, lorsqu’on l’éclaire on le domine. Mener inlassablement la bataille du sens. Refuser les opérations de brouillage de celui-ci. La ruse de l’oppression est de nous amener au déni de sa réalité ; car il ne faut pas s’y méprendre, ce n’est pas seulement une formation politique et ses membres qui sont visés, mais l’idée que collectivement nous nous faisons de la liberté, de la dignité et de la justice ainsi que notre idéal d’une communauté juste qui sont sous assaut. Au préalable, nos corps furent vulnérabilisés afin de les rendre plus facilement capturables pour tenter d’y éteindre la flamme de l’esprit et la conscience de notre inaliénable dignité.
Il nous faut continuer à nommer les choses, leur abjection, et nous dresser lorsqu’apparait leur visage inacceptable. En attendant, garder l’espoir en lieu sûr et raviver la lumière qui nous anime. Cette saison que nous traversons prendra fin. Maintenir allumé le point d’or de notre courage et de notre refus de la nuit. La bataille qu’il faudra mener quand cette saison sèche de la démocratie sera passée, est celle de la refondation de nos institutions. Elle est impérieuse. Repérer ce qui les a rendus corruptibles et y remédier radicalement.
Récemment le traitement particulier d’une région du pays, la Casamance, doit nous alerter. Voici une région qui fut pendant des semaines sous embargo, ses voies de communication obstruées (bateau arrêté, routes nationales fermées à certaines heures, trafic des bus Dakar Dem Dikk réduit) parce qu’elle est acquise au leader du Pastef. Pendant presque 40 ans, une rébellion s’y est faite jour, avec comme revendication, l’indépendance. L’un des ressorts de cette demande fut le manque de reconnaissance ressenti par une frange de sa population, comme pleinement appartenant à la communauté nationale sénégalaise. A cette demande de reconnaissance, nous devons collectivement répondre en consolidant le sentiment et la réalité de l’appartenance symbolique, effective, affective et pratique de la Casamance à la communauté nationale. Ces actes ont pour effet de cisailler à nouveau le pacte national et républicain et de raviver une plaie qui a du mal à cicatriser. Les évènements récents en Casamance de jeunes encore tués par balles, et le tribut particulier que paye cette région du pays à cette crise, sont inacceptables. La responsabilité du régime actuel est de ne pas nous entrainer dans une aventure dont nous mettrons des décennies à nous relever.
par Ibrahima Silla
SÉNÉGAL : UNE DÉMOCRATIE EN CAPTIVITÉ
Nous sommes à la fois les victimes et les bourreaux de nos misérables conditions politiques et démocratiques. Nous ne sommes plus dans un État de droit, mais dans un État éloigné de la fausse image qu’on présentait jusqu’ici aux yeux du monde
Nombreux sont ceux que rien – ni l’origine sociale, ni le parcours et encore moins le profil ou l’attitude – ne prédestinent à un sort carcéral. C’est malheureusement le cas de nombre de ces militants politiques, activistes, journalistes, chroniqueurs, fonctionnaires, jeunes méconnus ou connus, dont le respect, la courtoisie, le sérieux, l’excellence, le talent, la tenue et la retenue ancrés dans une admirable élégance existentielle font d’eux des citoyens d’exception aux yeux de tous ceux qui les ont connus, reconnus ou côtoyés. Leur seul « tort » étant de résister, comme la Constitution le permet, à un régime tyrannique périmé non recyclable adossé à un système « irrécupérable » briseur de destins nationaux prometteurs. Au rythme de ces rafales d’emprisonnements, de l’amour de mettre en cellules et de poser des menottes sur les droits et libertés les plus élémentaires, on n’est pas à l’abri de voir la prison devenir une nouvelle double nationalité dans ce pays, sans possibilité de faire valoir une quelconque immunité.
Personne n’est, a priori, vouée à souffrir d’un destin carcéral ; même ceux qui s’y retrouvent avant la naissance, prisonnier du ventre d’une mère détenue. Le comble de la méchanceté à subir avant le berceau. On emprisonne ainsi lâchement des fœtus. Quelle cruauté ! Mais encore, on emprisonne l’excellence et on glorifie la médiocrité tous âges confondus. Il suffit de s’arrêter sur le profil et l’itinéraire de ceux qui sont choisis par la populace pour nous diriger pour se rendre compte à quel point nous sommes à la fois les victimes et les bourreaux de nos misérables conditions politiques et démocratiques. Tel est le paradoxe de notre pays et du régime en place qui, s’il se pense suffisamment fort, ne devrait pas avoir peur des opinions et expressions verbales citoyennes quelles qu’elles soient. Ils ont fait du Sénégal une « démocratie illibérale », cherchant, dans une panique injustifiée, à déguiser une liberté d’expression en appels à l’insurrection, pour mieux propager les arrestations qui s’abattent sur d’honnêtes et vertueux citoyens telle une épidémie.
La prison est devenue de fait une machine à broyer des opposants, c’est-à-dire des citoyens ayant commis le « crime » d’avoir une autre vision idéologico-politique et un autre projet de société, devenus les « cibles privilégiées » du pouvoir. Donnez-leur un opposant, et ils vous monteront une affaire pour aller le cueillir. Peu importe que le travail soit bien fait ou non. L’essentiel est d’obtenir le résultat voulu par le chef. Cette loi des séries est un classique de notre vie politique. De Mamadou dia, à Valdiodio Ndiaye, en passant par Omar Blondin Diop, Abdoulaye Wade, Sonko et les centaines d’autres que je ne pourrais pas citer ici. La liste est top longue. Vivement le jour où on leur consacrera une journée nationale commémorative pour se rappeler des œuvres de salubrité politique qu’ils ont entreprises au Sénégal. Eux qui ont décidé de devenir opposants contre l’injustice après tout ce qu’une telle décision implique dans notre pays qui n’a plus rien de démocratique.
Ici, le mauvais ce n’est presque jamais celui qu’on condamne, mais celui à qui, l’on déroule le tapis rouge ; celui-là qui viole les principes républicains et démocratiques d’un État de droit. Rien d’étonnant, puisque nous ne sommes plus dans un État de droit, mais dans un État éloignée de la fausse image qu’on présentait jusqu’ici aux yeux du monde. Désormais, nous sommes la risée du continent. Nous ne figurons même pas dans la catégorie des « poids plume » des régimes démocratiques et notre licence nous est de fait retirée pour défaut et insuffisance de résultats conséquents. Une démocratie en captivité, voilà ce que nous sommes devenus. Une démocratie en captivité et en route vers le peloton d’exécution si nous n'y prenons pas garde.
Devenir opposant dans ces contrées « hors-la-démocratie », c’est courir le risque de finir en prison, à moins de se faire tout petit et de pleurnicher les genoux, la dignité et l’honneur à terre devant un khalife influent pour être sauvé de la détention. Pleurer devant le peuple tel ce Khalifa ne vous sauvera point. Est-ce normal ? Bien sûr que non. Mais la peur de se retrouver avec des adversaires forts conduit à tous les excès, abus et dérives. Est-il acceptable de laisser un président profiter de sa situation pour disposer comme il l’entend de la liberté ou non de ses opposants et de les éliminer de la compétition électorale ? Négatif. En démocratie, on n’empêche pas les opposants de combattre en première ligne. Les combattre en les mettant derrière des grilles est l’expression d’une absence de courage, cette qualité des hommes d’honneur. Le drame de ce type de présidents est qu’ils pensent, parce qu’ils sont au pouvoir, que tout leur appartient : la vie, le destin, la liberté, la dignité, le peuple, l’honneur des gens, le bien public, l’intérêt national, la Constitution, la souveraineté nationale, la justice, le droit, le calendrier électoral, l’Assemblée nationale, les députés, etc.
L’élection sera le vaccin qui mettra un terme à cette « folie arrestatoire » attentatoire à la garantie des libertés publiques fondamentales. Il ne leur reste désormais qu’à réactiver la peine de mort pour anéantir tous les opposants, après avoir cherché à les neutraliser par le droit, le parrainage, les histoires de mœurs et les technologies numériques. Ces grèves de la faim sont de fait des « peines de mort » destinés à mutiler toute résistance. Comment comprendre qu’un être psychologiquement équilibré, doté de raison et d’un minimum d’humanité puisse trouver du plaisir à envoyer dans ces sales prisons, déjà archicombles, des opposants, c’est-à-dire des citoyens qui ont commis ce « crime de lèse-majesté » d’avoir une vision politique ou idéologique différente sur ce que devrait être la société et qui partagent avec lui la scène politique, avec donc potentiellement la possibilité de le remplacer ? Prendre les corps, broyer les âmes, ruiner la santé dans l’étau de la persécution arbitraire, du mensonge, de l’intimidation et de l’humiliation, est-ce bien raisonnable ?
On découvre avec ces gens-là ce que les hommes sont capables d’inventer en mal, par méchanceté, par peur, par faiblesse, par cynisme pour de l’argent, pour des postes, pour des privilèges et pour le pouvoir : l’arrestation sans crime et l’instruction sans objet. L’on traque derrière la banalité des mots la gravité des motifs d’inculpation. Changer les mots, c’est changer les choses. On tombe ainsi dans les gros mots pour espérer ouvrir de grands dossiers et entreprendre de grands procès : atteinte à la sûreté de l’État, appel à l’insurrection ou discrédit sur les institutions, comme si par leurs attitudes antirépublicaines, antidémocratiques et injustes, ils ne portaient pas déjà atteinte eux-mêmes à la continuité rassurante de l’État et la sacralité des institutions aussi bien visibles qu’invisibles telle que la sincérité, la probité, l’honnêteté, l’intégrité. Comme le disait Albert Camus : « On ne prostitue pas impunément les mots. Après le carnaval des procès, viendra le temps de l’élection, puis éventuellement celui des transes collectives ou hystéries populaires. Au peuple, et non à eux, de choisir ce que sera notre destin national.
Aussi, dois-je dire à tous ces détenus victimes de la méchanceté d’un homme : tenez-bon ! Nul ne peut assassiner votre destin. Leur méchanceté ne rendra pas vos combats et vos paroles inutiles. Bien au contraire. L’histoire nous enseigne, Falla, que les fleurs du bien résisteront et triompheront toujours des épines du mal. Tu as pris le parti d’être une fleur en leur laissant le soin d’incarner l’épine dorsale du mal. Croyez-moi ! Dieu, le « maître des horloges », a le chronomètre en mains. Le moment venu, Il remettra tout le monde à sa place. Les secondes de doute deviendront ainsi des minutes de conviction et les minutes de conviction des heures de gloire. Le compte à rebours a commencé en attendant les règlements de compte. La chasse à la 1ère sorcière et aux grands sorciers politiques, médiatiques, religieux, judiciaires, et autres honorables faux types, pourrait être ouverte avec l’arrivée d’une nouvelle majorité.
Aux dignes fils et fiers patriotes de ce pays, vous qui refusez de suivre le troupeau, sachant bien ce que disait Alexandre Soljenitsyne : « à mouton docile, loup glouton », la patrie reconnaissante, les pages de notre historiographie politique vous réserveront de belles pages et de grands développements à la hauteur de vos qualités et identités respectives, respectables et exceptionnellement remarquables. Le temps dure pour rendre les choses transparentes. Nul n’est censé ignorer cette loi comme nous l’enseigne le Livre de la Vie.
Courage donc dans ce « contre-la-montre » que vous remporterez en dépit et contre ces assauts de l’arbitraire érigé en système acharné et arcbouté au mal. Car, il faut beaucoup de courage pour dire non dans ce banquet des acquiescements opportunistes dévorant par leur complicité gloutonne toute protestation politique, citoyenne et patriotique. Le mal lui ne requiert aucun courage. La lâcheté lui suffit. Aussi, prêts à servir et s’asservir au mal, nuisent-ils au bien à la portée des légitimes intentions et ambitions. L’énorme force utilisée pour détruire les opposants et les esprits libres aurait pu utilement leur servir à libérer des énergies productives indispensables à nos existences essentielles.
La philosophie et la pédagogie qu’il y a derrière l’idée de justice voudraient que la vertu triomphe du vice. Ce n’est pas ce que je vois dans ce pays où la vertu est punie et le vice primé. La démocratie destinée à laver les sociétés de ces impuretés fonctionnelles et égocentriques semble avoir été profondément souillée par le règne de l’injustice. Comment s’en étonner, quand on sait à quel point les actes les plus ignobles sont ici source de prospérité et non des raisons d’être châtiés par le tribunal de la raison et de la vraie justice ; celle qui ne se contente pas d’être effrayante que pour les opposants et les citoyens libres de toute forme d’intimidation et de persécution. La justice ne saurait être le « bras armé » de la cruauté du politicien sans foi ni loi.
Il me sera toujours difficile et pénible de comprendre comment se fait-il que individus bien formés, très bien informés des faits, capables de penser et de juger librement et rigoureusement acceptent tout d’un homme dont ils savent à quel point il est viscéralement accroché à la volonté de neutraliser et donc nuire au bien et de servir le mal ? Comment se fait-il qu’ils puissent accepter de suivre cet homme dans ses caprices et dérives les plus absurdes ? Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libres de toute accusation de complicité et d’aliénation. Le destin sociétal doit être la priorité sur le destin individuel.
D’où l’augmentation de mon degré d’incompréhension sur le devenir répressif de notre société aujourd’hui ; de cette « boulimie arrestatoire » propre aux régimes totalitaires, devrais-je dire, qu’ils font d’ailleurs si mal qu’il nous faudrait penser à ouvrir des « masters en arrestatologie » dans nos universités pour leur rappeler qu’il y a des heures, des lieux, des règles et donc toute une procédure à respecter. C’est tout un chapitre à consacrer aux futures assises de la justice pour rappeler qu’une simple convocation suffit plus que toutes ces manœuvres zélées, idiotes et folkloriques. La justice ce n’est pas du cinéma. Les désirs doivent être soumis à la raison et la justice au droit.
La justice ce n’est pas du cirque. La justice c’est tout un circuit et une procédure. Et les arrestations ne devraient pas être aussi aisées. Aucune arrestation ne devrait être considérée comme un butin de guerre ou une « pièce à conviction » motivés par un désir crapuleux, capricieux et vicieux de conservation du pouvoir et encore moins comme une démonstration immédiate et extravagante de culpabilité. Autrement, le Sénégal deviendrait une sorte « d’archipel du goulag sous les tropiques » nous rappelant la Vétchéka, cette « sentinelle de la Révolution russe » qui se chargea de cette tâche ingrate d’infliger la répression sans jugement, notamment en concentrant entre ses mains la filature, l’arrestation, l’instruction, la représentation du ministère public, le jugement et l’exécution de la décision. Et comme l’écrit Alexandre Soljenitsyne : « C’était l’Archipel du Goulag qui commençait ainsi sa croissance maligne, et bientôt il allait envoyer des métastases dans tout le pays. » Ce pays n’a aujourd’hui rien à envier au goulag stalinien.
Les Wolofs n’ont pas tort de dire que : « Prison diommoul kéna » (qu’on peut traduire par : nul n’est prédestiné à ne pas séjourner en prison quel que soit son statut, son profil et ses qualités). Des saints, des cheikhs, d’éminents savants ou universitaires, des ministres, des personnalités exceptionnelles en qualité et en représentativité s’y sont retrouvées le plus souvent injustement. Ce n’est pas pour autant une raison d’en vanter les vertus, l’esthétique ou d’en faire l’apologie. La prison c’est l’enfer… Mais on peut cependant tirer toute une philosophie et une pédagogie de cette obsession des autocraties finissantes à vouloir surveiller et punir à tout-va, humilier et déshonorer au-delà du raisonnable, sans toujours se rappeler les finalités et principes essentiels au fondement des raisons politiques et des rationalités juridiques qui préservent de participer à de « sales affaires », tel ce « dialogue national » entre autres, qui ne conduisent qu’à de pitoyables subordinations.
La prison serait-elle, comme certains le laissent entendre, le tremplin pour espérer réussir en politique ? Ceux qui y sont envoyés méritaient-ils d’y aller ? La révolution passive doit-elle forcément mener à l’enfermement et à la privation de liberté ? Se présentant ainsi comme une sorte de rite d’initiation requérant des qualités guerrières prouvant son aptitude à endurer même les pires injustices. Cette conception erronée de l’engagement politique et du militantisme n’est que l’expression de nos imperfections démocratiques et de nos abus autocratiques. Dans ce contexte, nul n’est à l’abri de voir du jour au lendemain, sa virginité pénale écorchée par un casier judiciaire qui vous expédie arbitrairement dans une cage, surtout si vous n’êtes pas aux yeux du pouvoir tyrannique dans la bonne case partisane. On ne construit pas une société juste avec des jaloux, des envieux, des méchants, des profiteurs zélés et zélateurs.
Oui. C’est vrai. On se passerait bien de la prison, et surtout pour des délits d’opinions. Le mûrissement citoyen et patriotique ne devrait pas en démocratie nous contraindre à côtoyer toutes sortes de moisissures et de supplices immérités dans ces lieux de privation de liberté connus pour leur insalubrité maladive. Il n’est donc aucunement question de faire ici l’éloge de la prison et l’apologie de l’humiliation. La prison ce n’est point du pain bénit. Mais, comme le dirait l’autre : « A l’impossible nul n’est tenu ». Hier comme aujourd’hui encore, les prisons du monde regorgent d’innocentes victimes du système judiciaire coupable et capable du pire. Pensons tout simplement à Serigne Touba, Mamadou Dia, Mandela, Wade et à tous les autres. Ici et ailleurs. La liste est trop longue pour citer tous ceux qui ont subi et subissent encore les forçats de l’arbitraire et de la démesure.
En arrivant en prison, chers amis et amies en détention, j’imagine que vous ne vous êtes certainement pas demandé chacun pris individuellement : « qu’est-ce que je fais ici ? » ; « Je ne suis pas du coin ». On sait toujours par qui et pourquoi on en arrive là, à la faveur des accointances inappropriées entre le politique et le judiciaire. Une telle lucidité est des plus grands réconforts qui soulage le sentiment de dépit, de révolte et haine qui pourrait naître en ceux privés de liberté. En enfermant les corps, ils oublient que la résistance est d’abord et avant tout dans l’esprit et surtout dans le cœur et non pas exclusivement dans le corps à corps. Elle se manifestera, comme le permet la constitution, dans les urnes et s’il le faut dans la rue.
Mal à l’aise dans un premier temps, on finit par prendre son mal en patience en prison. « La prison est l’université du révolutionnaire (…) Les heures s’étirent, la cervelle s’éclaircit » écrit Régis Debray dans son ouvrage intitulé D’un siècle l’autre. En effet, certains, mentalement solides et psychologiquement armés, s’en sortiront métamorphosés ; des livres saints qu’ils survolaient et entrevoyaient à peine, ne pensant jamais les connaître de bout en bout, ils s’en délecteront et sortiront ce cet enfer, plus cultivés, plus matures et plus patriotiques que jamais. Ils s’enrichiront du Livre et des livres, du Texte et des textes, de l’isolement et de la solitude, de soi et d’autrui. D’autres, sans avoir été condamnés à mort, seront brisés à vie. Entre cette résurrection et cet engloutissement, il y a mille et une autres possibilités de ne pas sombrer ; de rebondir vaillamment et valeureusement. Viendront d’autres dignes patriotes pour mettre un terme à cet horrible système pire que le sida, le cancer et la covid réunis. Ils commenceront là où Sonko se sera éventuellement affaissé après Omar Blondin Diop, Mamadou Dia, Cheikh Anta Diop, Maître Babacar Niang et tous les autres. Mais pour l’instant, point d’affaissement et surtout pas d’affolement. Tout est encore possible. L’histoire des tyrans et apprentis dictateurs n’enseigne pas le fatalisme mais l’optimisme.
En attendant, ils peuvent continuer, motivés par une férocité indigne et indécente, à cueillir de nobles et fiers patriotes, avant de nous voir un jour venir nous recueillir, sans avoir besoin d’un mandat de perquisition ni des « franchises universitaires », sur ce qu’ils pensaient être immortels et infinis : la dépouille de leur pouvoir, victime de cette prison de la méchanceté qui empoisonne leur cœur incapable d’envisager une amnestie générale sans délai ni condition. On ne retire aucune gloire de la cruauté contre son peuple. Je suis sûr que vous commencez à vous en rendre compte ; peut-être un peu trop tardivement. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. Il suffit seulement d’en être encore capable.
par l'édiorialiste de seneplus, René Lake
RÉIMAGINER L'INTERDÉPENDANCE À L'ÈRE POST-CAPITALISTE
EXCLUSIF SENEPLUS - "Faire-Pays" selon Chamoiseau, c'est redéfinir notre appartenance à un lieu, une culture et une histoire. C'est embrasser l'interdépendance tout en célébrant nos racines uniques
Les notions d'identité, de nation et d'appartenance ont longtemps été façonnées par le prisme du nationalisme, des revendications d'autonomie et des aspirations à l'indépendance. Toutefois, le monde d'aujourd'hui, un monde d'interdépendance et de connexions globales, exige de nous une reconfiguration radicale de ces conceptions.
Dans la série "Faire-Pays", Patrick Chamoiseau évoque une vision qui, selon lui, dépasse les "nationalismes des années 50" et les "revendications d’autonomie-indépendance restées inefficientes". Il envisage un remaniement de notre rapport à la notion de pays non pas dans des "exclusives nationalistes ou des indivisibilités républicaines", mais dans une "intensification tous azimuts de nos systèmes relationnels". Il plaide pour une ouverture totale : une mobilité accrue, un multilinguisme babélique, un abandon des normes centrées, et la création de partenariats trans-mondiaux.
Pour Chamoiseau, la clé réside dans l'intensification des relations – la création de ponts plutôt que de murs, l'ouverture vers l'extérieur plutôt que l'enfermement. Tout cela, dit-il, suppose une "entrée en responsabilisation post-capitaliste" pour tous.
La richesse d'une présence collective ne peut se réaliser que si elle est "riche de ses sources, de ses racines, de ses alliances géographiques et historiques multiples". Plutôt que de se fondre dans un mélange globalisé, il s'agit de puiser dans nos propres histoires, d'innover à partir de nos traditions et de nos cultures. Parallèlement à cette idée, il est essentiel d'aller de l'avant, de projeter cette présence collective innovante dans les défis changeants de notre époque. En d'autres termes, il ne s'agit pas simplement de préserver le passé, mais de l'utiliser comme tremplin pour aborder l'avenir.
Cette vision se cristallise également autour d'un désir de "démocratie économique nouvelle, résolument sociale, culturelle, écologique et solidaire". Une intention holistique qui valorise non seulement l'économie, mais aussi le social, la culture, l'environnement et la solidarité. C'est un appel à stimuler notre créativité collective, à imaginer de nouvelles façons de vivre, de travailler et de coexister.
Mais l'exploration de Chamoiseau va au-delà des solutions et des innovations. Il touche également à la profonde mélancolie qui peut émaner d'une telle réflexion. En évoquant les figures emblématiques de Frantz Fanon, Aimé Césaire et Édouard Glissant, il rappelle le drame de vivre "jour après jour dans la splendeur des paysages, mais sans jamais dépasser l'effrayante condition du pays". Ces penseurs, bien que profondément ancrés dans leurs paysages caribéens, étaient toujours aux prises avec la quête d'une véritable autonomie, d'une véritable indépendance.
En conclusion, "Faire-Pays" selon Chamoiseau, c'est redéfinir notre appartenance à un lieu, une culture et une histoire. C'est embrasser l'interdépendance tout en célébrant nos racines uniques. C'est, en fin de compte, une invitation à imaginer un monde où l'identité est fluide, ouverte et résolument tournée vers l'avenir.
Non au cartel des putschistes ! (Par Thierno Monénembo)
Si ces mauvais plaisantins de Niamey réussissent leur coup, s’ils destituent le président Bazoum, s’ils le tuent, s’ils le jettent en exil ou en prison, c’en serait fini de la démocratie en Afrique. Ce serait la mort de la chose instituée, la réactualisation des coups de force, la porte ouverte aux médiocraties : les politiciens véreux, les caporaux avides de diamant et de gloire, etc.
Cette évidence doit sauter aux yeux de nos élites les mieux averties autant qu’à ceux de la Communauté Internationale. C’est au Niger et maintenant que se joue l’avenir démocratique de l’Afrique. Son président légitime revêt depuis le 26 juillet une dimension hautement symbolique. Bazoum dans les mains de Tchiani, c’est Mandela à Robben Island, c’est Allende au palais de la Moneda ! La Cedeao est en droit, la Cedeao est en devoir d’agir le plus vite et par tous les moyens pour le libérer des mains de ses ravisseurs et le rétablir dans ses droits.
Nous avons soutenu ici en nous bouchant le nez, les coups d’Etat au Mali, en Guinée et au Burkina parce que dans une certaine mesure, ils se justifiaient. IBK et Kaboré ne maîtrisaient plus rien. Sous leur égide, le Mali et le Burkina partaient en lambeaux. Dans l’un comme dans l’autre pays, le djihadisme se répandait avec la facilité d’une épidémie et pour ce qui est du premier tout au moins, l’impopularité du pouvoir menaçait de saper les fondements du pays.
D’ailleurs, si Assimi Goïta a joui un certain temps d’un semblant de légitimité, c’est bien parce qu’il a bénéficié alors du soutien des forces sociales et religieuses organisées au sein du Mouvement du 5 Juin. Quant à la Guinée, nul n’ignore que sans les errements d’Alpha Condé (son idée d’un troisième mandat ne fut pas simplement un parjure, ce fut une véritable folie !), la Guinée n’aurait pas connu le règne catastrophique des militaires.
En revanche, rien mais alors rien ne justifie l’énorme bourde qui vient de se produire à Niamey. L’alternance dans ce pays s’est déroulée de manière exemplaire. Après ses deux mandats réglementaires, le président Mahamadou Issoufou s’est retiré comme le lui ordonnait la Constitution, laissant à la postérité un bilan que l’Histoire lui reconnaîtra. Alors qu’il est menacé de partout (toutes ses frontières se trouvent infestées de foyers de djihadistes), le Niger est de tous les pays sahéliens, celui qui a contenu, le mieux, l’expansion des terroristes. Mais ce n’est pas tout : le président Bazoum a hérité aussi une économie en bonne santé et il s’est bien gardé de dilapider le legs de son prédécesseur. Contrairement aux affirmations fallacieuses de ses tortionnaires, le bilan sécuritaire s’est légèrement amélioré et selon la Banque mondiale, l’économie a fortement rebondi en 2022.
Tchiani a pris le pouvoir uniquement pour des raisons personnelles, probablement pour échapper à une destitution. Il nous parle de « dégradation continuelle » de la sécurité mais à qui la faute si les terroristes gagnent à tous les coups : aux civils ou aux militaires ? Des troupes vaincues au front peuvent-elles gagner la bataille économique et sociale ? Non, les Africains savent ce que pouvoir militaire veut dire : il est synonyme de corruption et de répression, il n’a rien d’autre à donner même pas le gîte le couvert.
Ce putsch est une provocation et l’arrogance dont fait montre le quarteron de colonels qui sévit à Bamako, Conakry, Ouagadougou et Niamey, un pied de nez à la Communauté Internationale. Laisser faire ces dangereux usurpateurs reviendrait à légitimer pour de bon le pouvoir kaki. La Cedeao doit prendre ses responsabilités. Elle doit tout faire pour que les générations futures ne la condamnent pas pour non-assistance à démocratie en danger.
Par Thierno Monénembo
Guinée 360
par Assane GUÈYE
CARTE BLANCHE SANS FUMÉE BLANCHE
Le choix d’un candidat par une entité politique relève d’une cuisine interne. Celle de la majorité mijote plus longtemps que prévu. On aurait dit qu’il y a un cheveu dans la soupe. L’impression de blocage est déjà là.
Le choix d’un candidat par une entité politique relève d’une cuisine interne. Celle de la majorité mijote plus longtemps que prévu. On aurait dit qu’il y a un cheveu dans la soupe. L’impression de blocage est déjà là. Le bal des prétendants est plus débridé et empoussiéré qu’on ne l’imaginait. Le chef incontesté s’est retiré de son propre chef. À la minute qui suit, chacun a cru être prédestiné à un grand avenir. Quoi qu’on dise, l’explosion des concurrents est un spectacle de division. Ceux qui veulent voir le verre à moitié plein considèrent qu’il s’agit d’un problème de riche. Mais en réalité, la pénurie de véritables caciques explique l’inflation des ambitions démesurées après le repli de sagesse du président. La valse-hésitation à désigner de façon limpide et à la bonne heure un successeur digne de ce nom a jeté le trouble dans les rangs.
Le grand soir n’était donc qu’un gros canular
L’autre fait troublant est l’absence sidérale de figures féminines dans ce parterre. Il ne faut être simpliste en parlant de misogynie. Il s’agit simplement d’un ostracisme auquel les femmes elles-mêmes ne sont pas étrangères. Depuis le départ d’une certaine Mimi, aucune dame de fer ne s’est véritablement illustrée. Autre illustration du coq-à-l’âne dans la majorité, le Premier ministre, dans cette parenthèse pas enchantée, est logé à la même enseigne que des collaborateurs ministres ou directeurs généraux. Le ras des pâquerettes est une forme de banalisation. Et ce n’est sûrement pas de la tension féconde mais un mauvais service rendu à la cohésion gouvernementale. Ce qui arrive n’est en fin de compte pas surprenant. Les ultimes foulées sont souvent les plus désordonnées quand on est aux affaires. On s’engouffre dans un long tunnel qui est incompatible avec la sérénité. Il peut faire effondrer les plans les plus minutieux. Mais dans ce fatras, le Parti socialiste, l’Afp et les ex-communistes constituent des symboles de pusillanimité. Ils s’acheminent tout droit dans les poubelles de l’histoire à force de se diluer. La rançon de l’aplatissement n’est rien d’autre que l’encéphalogramme plat. Le grand soir n’était donc qu’un gros canular.
Ainsi donc, la carte blanche n’est pas synonyme de rapidité d’exécution. Elle a accouché d’une grande lenteur. La fumée blanche tarde aussi parce qu’il faut des précautions pour le calumet de la paix après le prononcé du verdict. Pour l’heureux élu, ce ne sera un cadeau ni de tout repos. Il battra campagne pour défendre les actifs et passifs d’un certain bilan. Même avec des infrastructures en forme de perles sur le collier, les boulets et les boulettes marquent plus les esprits.
L’émigration clandestine, preuve irréfutable de l’échec
Les Sénégalais tirent le diable par la queue. Le retour par vagues successives des pirogues de la mort est l’échec de tous et de chacun. Ce sont nos cœurs de pierre et des pirogues médiocres qui ont fait de nos propres frères des gueux oubliés du long voyage de la vie. La jeunesse ne chavire pas de bonheur même si elle commet l’erreur fatale du jusqu’au-boutisme. Les oreilles n’entendent plus rien. Elles ne sont plus que des ornements. Le 5ème président va affronter des tempêtes et des crises de toutes sortes. Les digues n’en finissent pas de rompre. D’où qu’il pourra venir, le futur locataire du palais sera obligatoirement un homme de solutions pragmatiques dans un pays aux problèmes interminables.
N’est donc pas président qui veut. C’est un costume de bonne coupe et de bon tissu. Il n’est non plus fait pour les physiques disgracieux. Qu’il vienne du pouvoir ou d’une autre galaxie, le Sénégal attend toujours à sa tête un type génial aux idées flamboyantes, un leader charismatique qui pèse ici et dans le monde. Seulement, le spectacle tous azimuts est pour le moment assez lamentable. Sur la scène, il y a de moins en moins de génie. À l’Apr et à Benno, on marche à tâtons. La majorité n’a pas le monopole de la turpitude. Partout, la qualité baisse drastiquement et piteusement.
Par Abdoul Aly KANE
LE SENEGAL A LA CROISEE DES CRISES
Le Sénégal est au confluent de diverses crises sur toile de fond d’une crise politique interne telle que le pays n’en a jamais connue par le passé.
Le Sénégal est au confluent de diverses crises sur toile de fond d’une crise politique interne telle que le pays n’en a jamais connue par le passé. Ces crises sont géopolitique, sociale, économique et financière car consécutives au conflit entre la Russie et l’Ukraine, à l’inflation européenne et aux tendances centrifuges de pays manifestant une volonté de s’extraire d’un ordre mondial dominé par les USA et l’Europe principalement.
Cette bataille pour un ordre nouveau pousse les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), avec à leur tête la Russie, à vouloir prendre durablement pied en Afrique via l’aide militaire aux pays attaqués par le terrorisme que la France, partenaire traditionnel, n’a pu éradiquer.
Le coup d’Etat survenu au Niger, aire d’influence aux allures de chasse gardée de la France, a été perçu par celle-ci comme portant atteinte à ses intérêts. La CEDEAO, soutenue par la France, a pris position pour l’envoi d’une force militaire destinée à la restauration de l’ordre constitutionnel.
Il est utile de rappeler que l’idée de la création de la CEDEAO est née d’une initiative des présidents de l’époque du Nigéria, Yakubu Gowon, et du Togo Gnassingbé Eyadéma (Ironie de l’histoire, des militaires !), qui proposent dès 1972 la création d’une zone d’intégration économique régionale.
En effet, le traité de Lagos conclu en 1975 et considéré comme l’acte de naissance de la CEDEAO cantonnait l’organisation à un rôle purement économique, l’objectif étant de promouvoir la coopération économique entre les Etats membres.
Dans l’actuelle crise du Niger, des pays frontaliers se sont rangés du côté du nouveau régime arguant qu’une attaque contre Niamey pourrait provoquer un effet domino à la libyenne. Ces pays, c’est le Mali, le Burkina Faso, l’Algérie et la Guinée qui, elle, n’est pas frontalière).
La Russie et les USA, membres du Conseil de sécurité de l’ONU, ont indiqué leur préférence pour une solution diplomatique.
En réaction, la jeunesse africaine, qui dans sa grande majorité soutient les militaires putschistes, opère une dichotomie entre les pays favorables à l’option militaire, en particulier le Sénégal et la Côte d’Ivoire (qui seraient inféodés à la France), les pays ayant décidé de rompre avec le néo colonialisme, dont le Niger, le Mali, le Burkina Faso (présentés comme porteurs d’espoirs d’une rupture avec le néo-colonialisme), et les autres pays opposés à l’intervention militaire.
Il est évident que l’analyse est un peu sommaire si l’on se reporte aux discours des nouveaux dirigeants nigériens sur les raisons d’ordre sécuritaire du coup d’Etat qui diffèrent de la rhétorique des dirigeants du Burkina et du Mali remettant nettement en question les rapports de type néo-colonial avec la France.
C’est dire qu’en dernière instance, c’est la jeunesse africaine qui imprime l’orientation souverainiste des régimes issus de coups de force, faute d’espérer des changements de la part de régimes civils s’éternisant anormalement au pouvoir grâce à des tripatouillages des textes fondamentaux savoureusement appelés « coups d’Etats constitutionnels ».
La France a raté le tournant du co-développement avec ses anciennes colonies !
La France politique ou « Françafrique » n’est plus en odeur de sainteté auprès de la jeunesse africaine. Pis, elle est de plus en plus décriée par les citoyens français eux-mêmes. Ce qui est appelé « sentiment anti-français » est impropre à caractériser le phénomène. Cette appellation serait davantage un raccourci utilisé pour éluder les vraies raisons d’une remise en question d’une relation vieille de plusieurs siècles, dont le moment du bilan d’étape est arrivé.
En réalité, la France a raté le tournant du co-développement avec ses anciennes colonies.
L’intégration dans une même zone monétaire ne s’est pas traduite par une délocalisation industrielle qu’elle a préféré effectuer dans les pays asiatiques considérés comme plus compétitifs particulièrement en termes de taux de change monétaires et de coûts salariaux entre autres.
Les dirigeants occidentaux s’en sont tenus aux théories du commerce international de Ricardo, Samuelson Hecksher et Ohlin prescrivant à nos pays une spécialisation économique sectorielle là où la dotation en facteurs de production était la plus favorable par rapport à la concurrence.
Dans les faits, cela a conduit vendre sans transformation industrielle les ressources naturelles brutes du continent et à laisser la valeur ajoutée se fabriquer ailleurs.
En soustrayant la politique de développement en vigueur jusqu’au milieu des années 80 du pilotage du ministère de la Coopération pour en déléguer la responsabilité aux multinationales et aux institutions financières internationales, l’Etat français a cessé de s’intéresser au développement économique de l’Afrique francophone.
L’intégration économique de la France à l’Europe a accentué la rupture d’avec des pays africains en proie à des déficits budgétaires chroniques, orientés vers la Banque Mondiale et le FMI pour équilibrer les trésoreries quitte à sacrifier des secteurs jugés improductifs comme l’éducation et la santé.
L’irruption du terrorisme consécutif au désastre libyen est venue parachever la destruction de ce qui restait de la relation. Il est d’ailleurs symptomatique que les pays qui restent toujours fidèles à la relation soient ceux qui n’ont pas ou peu été exposés au « djihadisme », comme le Sénégal et, dans une moindre mesure, la Côte d’Ivoire mais aussi le Bénin et le Togo.
Pour poursuivre la relation avec ses anciennes colonies, la France gagnerait à proposer d’autres types de partenariats favorisant le développement industriel compétitif, le transfert de technologies, la formation du capital humain, la lutte sécuritaire entre autres.
C’est dans ce contexte international et sous-régional chargé d’incertitudes que s’installe la crise politique au Sénégal. Nul besoin d’en développer tous les aspects. Seuls deux faits majeurs en constituent les lignes de force. Il s’agit de la non candidature du président Macky Sall pour un nouveau mandat et l’incarcération d’Ousmane Sonko suivie de la dissolution de son parti le PASTEF.
Ousmane SONKO a entamé une grève de la faim et d’autres militants de son parti emprisonnés l’accompagnent dans cette forme de lutte. Des informations contradictoires sur son état actuel de santé sont distillées dans la presse et les réseaux sociaux. Une fatale détérioration n’étant pas exclue dans ce type d’épreuve, l’alerte sonnée par les « droits de l’hommistes » doit être prise au sérieux.
Le régime actuel aurait tout à perdre en laissant Sonko poursuivre cette forme de lutte assimilable à un bras de fer au goût de roulette russe pour une victoire finale personnelle contre la force d’Etat.
Pour qui concerne les élections de février 2024, les choses semblent relever du domaine de l’aléatoire. Le président Macky Sall étant détenteur d’une carte blanche pour choisir le meilleur profil devant défendre les couleurs de la majorité présidentielle, le « Habemus candidatus » tarde à retentir.
Il s’en suit dans son camp des déclarations ça et là, plus velléitaires qu’assumées, démontrant l’impréparation de la succession.
Quel que soit le profil proposé, le candidat de Benno Bokk Yaakaar aura des difficultés à se couler dans l’habit de postulant à la magistrature suprême. Il n’aura pas l’avantage qu’a eu le Président actuel de parcourir le Sénégal pour se faire connaître, et peut-être même aura perdu les élections législatives dans son fief. Le Président Sall, non candidat, sera certainement obligé de battre campagne pour son profit.
De surcroît, même non candidat, Ousmane Sonko aura de l’influence sur ces consultations électorales difficilement mesurable pour l’instant.
Un remake du bras de fer Margaret Thatcher/Bobby Sands
Il est clair que Sonko est déjà entré dans l’histoire comme l’opposant le plus radical que le Sénégal a jamais connu. Ses militants le parent d’une infaillibilité dans sa vision et ses jugements, d’un courage hors normes, d’une intégrité morale absolue, et d’une endurance sans égale. De plus, il passe pour détenir LA solution pour défaire le « système » actuel au profit de la jeunesse.
Le duel actuel Macky Sall/Sonko en grève de la faim depuis 15 jours rappelle curieusement celui entre la dame de fer Margaret Thatcher contre Bobby Sands dans les années 80.
Thatcher a occupé le poste de Premier ministre du Royaume-Uni pendant trois mandats entre 1979 et 1990, soient 11 ans de crises économique, politique, sociale et culturelle qu’a traversées le Royaume-Uni. Les réformes impopulaires qu’elle a appliquées sans transiger et les guerres avec l’IRA mais aussi avec l’Argentine, lui avaient valu le surnom de « Dame de fer ». Son célèbre bras de fer mortel avec Bobby Sands avait fini de mettre en relief cette intransigeance
Bobby Sands, militant républicain et membre de l’Armée républicaine irlandaise provisoire (IRA), emprisonné pour sa participation à des activités qualifiées de « terroristes » en faveur de l’indépendance de l’Irlande du Nord, avait entamé une grève de la faim pour protester contre le statut de « prisonnier criminel » qui lui était attribué et exigeait d’être reconnu, avec ses partisans, comme prisonnier politique.
Face au refus de Margaret Thatcher, les grévistes de la faim ont été confrontés à de graves problèmes de santé et plusieurs d’entre eux sont morts en raison de complications sanitaires.
Malgré les efforts diplomatiques pour résoudre la situation, Bobby Sands est décédé le 5 mai 1981 après 66 jours de grève de la faim. Sa mort, suivie de celle d’une dizaine de ses compagnons fût perçue à travers le monde comme un symbole d’inhumanité de la part de Mme Thatcher.
« M. Sands était un criminel condamné. Il a fait le choix de s’ôter la vie. C’est un choix que l’organisation à laquelle il appartenait n’a pas laissé à beaucoup de ses victimes », affirmera Margaret THATCHER en guise d’épitaphe (source : Les Echos du 09 avril 2013).
Gageons que le surnom de « Dame de fer » est davantage resté collé à Mme Thatcher du fait de son intransigeance l’ayant conduite à « laisser mourir en prison après 66 jours de grève de la faim Bobby Sands qui venait d’être élu député à la Chambre des Communes du Royaume Uni ».
Concernant SONKO, nous avons une crainte. C’est le penchant secret de Sonko à mettre au défi l’autre en combat singulier n’excluant pas d’aller plus loin dans la détermination au péril de sa propre vie et non de celle des autres, et de le vaincre par la domination de sa propre peur. Les péripéties des diverses arrestations de Sonko ont montré qu’il avait la capacité de dominer sa peur devant une menace subite d’atteinte à son intégrité physique. Lorsque les policiers de la BOP explosaient la vitre de sa voiture dans le tunnel de Soumbédioune, aucune réaction faciale n’avait été notée sur lui, pas même un battement de cils. Comment combattre un tel individu par la menace sans envisager l’extrême ? Quel est le prix que l’on est prêt à payer pour cela ? Nous terminerons par ce que l’on a fait dire dans la presse au général Moussa Fall : « Selon le chef de la gendarmerie sénégalaise, l’offre traditionnelle de sécurité des forces de défense se trouve compromise avec des populations plus exigeantes vis-à-vis de leurs dirigeants. Les demandes de sécurité des populations imposent désormais un changement des paradigmes » aurait expliqué le Haut commandant de la gendarmerie nationale. Il est malheureusement le fondement des conflits auxquels les gendarmeries et forces de sécurité à statut militaire sont appelées à apporter des réponses justes, légales mais surtout proportionnées » (Pressafrik)
Pour finir, en notre qualité de citoyen libre de ses opinions, nous pensons qu’il faut en revenir au calme qui passe par l’élargissement de Sonko et sa participation à la prochaine élection présidentielle comme tous les autres candidats potentiels ou déclarés et notamment ceux d’entre eux qui viennent d’être réhabilités c’est-à-dire Karim Wade et Khalifa Sall.
Par Amadou LAMINE SALL
PARDONNEZ MONSIEUR LE PRÉSIDENT, PARDONNEZ ET PARTEZ PLUS GRAND ENCORE
Le seul territoire qui nous reste pour vivre ensemble et où Dieu vient prier, est celui du cœur. Du bon et soyeux cœur ! Tout le reste est dérisoire, vanité, roc et granite
Le seul territoire qui nous reste pour vivre ensemble et où Dieu vient prier, est celui du cœur. Du bon et soyeux cœur ! Tout le reste est dérisoire, vanité, roc et granite ! Monsieur le Président, sortez votre cœur du bouclier, montrez-le ! Moi, je l’ai rencontré. Il m’a ému. Nous savons que le pouvoir s’accommode peu du cœur, voire des sentiments. Même chez les poètes. Je pense à cet immense poète qui, homme, d’État inoubliable, fonda notre République. Il fut intraitable. Un État est une montagne. Elle exige magnificence, autorité, bravoure, vigilance et justice !
« C’est bien la lame qui fend les têtes plutôt que le fourreau ». Puisse mon Président, le Mecquois, devenir le fourreau et non la lame. C’est ma prière pour un Sénégal de paix et d’amour, malgré les épreuves, les ruses, les bravades, les empressements, les convoitises, les incompétences, les jalousies, les vilénies, les pactes avec le Diable. Monsieur le Président, soyez meilleur que nous tous ! Pardonnez ! Parce que vous êtes croyant, Médine et la tombe du prophète où vous vous êtes assis en prière tant de fois, vous le demandent. Vous avez déjà gagné. Maintenant, pardonnez ! Il y a un temps pour le pardon ! Révélez l’éclat de votre âme !
Je vous lis dans Jeune Afrique, le numéro du mois d’août 2023, où vous faites la une, sous la plume de Marwane Ben Yahmed qui vous demande pourquoi finalement ce choix de dire enfin que vous partez. Vous n’aviez pas pensé que « Quand un Président ne dit rien, on n’entend plus que lui ? » A Ben Yahmed, vous répondez ceci : « … je ne voulais pas être l’otage de petits politiciens qui ont fait « de mon 3ème mandat » leur fonds de commerce […] C’était ce qu’il y’avait de mieux à faire, pour le pays, pour sa stabilité et pour moi-même ». Bravo et quelle grandeur malgré ce que chacun est libre de penser ! Mais il reste encore à faire pour mieux finir cette fin de mandat. L’Histoire n’a pas encore fermé son livre sur Macky Sall. Une belle, très belle page reste à écrire et par vous seul, Monsieur le Président !
Au nom des vénérables, si regrettés, si chers et si bien-aimés Coumba Thimbo et Amadou Abdoul Sall pour lesquels des moineaux bleus chantent au Paradis, et au nom de ce que vous avez de plus beau, de plus précieux et de plus cher au monde que tout : vos enfants et leur maman, la Sénégalaise aux yeux de henné - Senghor parlait de sa Normande aux yeux perspardonnez ! Pardonnez à tous ! Libérez ceux que l’on nomme à tort ou à raison des prisonniers politiques ! Videz leur prison ! Laissez-le retrouver leur famille. Entrez dans l’histoire du cœur, les deux pieds joints ! Refondez une nouvelle humanité. Vous le pouvez !
Vous avez beaucoup travaillé. Beaucoup. Il ne vous reste pas à réaliser le plus difficile, mais le plus facile : pardonnez, s’élever au-dessus, bien au-dessus de tous les autres ! Vous le pouvez ! Faites-le sans plus tarder Lamtoro ! Cela ne vous coûtera que la surprise et l’étonnement de vos adversaires ! Quant à votre peuple, ce peuple qui, douze années durant a veillé sur vous, il n’oubliera pas votre geste de sublimation ! Libérez-les tous, qui qu’ils soient et d’où qu’ils viennent et laissez-les comme un collier rompu, ramasser les perles dans les yeux du peuple Sénégalais qui seul tient le fil qui redonne son nom au collier !
La République a démontré avec vous jusqu’où elle était sublimée, vêtue, protégée, grandie. D’autres diront qu’elle fut plutôt une femme séquestrée, abusée, asservie. C’est ce que l’on appelle la liberté d’être différent et de penser différemment ! La République, quant à elle, sait qui est son meilleur époux ! Chacune, chacun de nous, seul, chez soi la nuit, recroquevillé dans ses os, corps périssable dans un coin de lit, prête l’oreille à sa propre conscience et entend son cœur battre, coupable ou non coupable. On n’échappe pas la nuit, au lit, à sa propre vérité. Certains se lèvent le matin, légers et sans masque, d’autres remettent le masque et sortent affronter de nouveau le jour et son fardeau de mensonges et de ruses ! Que chacun s’assume !
Un nouveau soleil doit se lever sur le Sénégal ! Une lumière, Monsieurle Président, que l’on attend que vous allumiez avant de nous quitter, car il y a dans ce pays tant de lampes allumées et qui n’éclairent plus rien. Cette lumière attendue est votre pardon, un pardon qui réconcilie tout un peuple, un pardon qui unit tous les cœurs d’un peuple qui mérite le vivre-ensemble, minaret et cloche entonnant le même chant de paix et d’amour ! Le pardon est une prière d’avance exaucée par Allah et récompensant le croyant ! Le pardon est une élévation divine. Ne pardonne pas qui veut ! Un cœur de moineau peut se cacher derrière un cœur de roc qu’une tige de mil et d’eau trahit toujours et il est des cœurs de roc qu’un moineau vient combler de brindilles pour faire son nid ! Et tout devient soyeux ! L’amour seul a puissance de métamorphose !
Monsieur le Président, pardonnez, ouvrez les portes et les fenêtres, aérez ce pays, gonflez les poitrines de votre peuple, faites-le de nouveau rêver, danser, travailler! Pardonnez mon humble mais ardente prière, mais je la veux comme « la blessure la plus proche du soleil ».
Par Amadou LAMINE SALL
Poète
Lauréat des Grands Prix de l’Académie française.
Lauréat 2023 du Grand Prix de Poésie Africaine
par Samba Faye
LA CEDEAO AU NIGER : L'AFRIQUE EN ÉTERNEL TERRAIN DES GUERRES PAR PROCURATION
Il serait naïf de considérer une intervention au Niger comme une simple restauration de l’Etat de droit. Nos stratèges n'ont aucun intérêt à enliser la sous-région dans une crise profonde qui finirait par rompre l'exception sénégalaise
Il y a quelques mois (vendredi 9 juin 2023), notre camarade Babacar Diarra de la cellule des cadres de la République des Valeurs s’interrogeait en ces termes « …qui veut mettre fin à l’exception sénégalaise ? ».
C’est un secret de polichinelle que de dire que les relations inter-États les plus feutrées sont teintées de cynisme ! La géopolitique est une soumission des contraintes géographiques aux volontés hégémoniques des Etats …puissants.
Actuellement, pour « sécuriser » son allié Taiwan des « menaces » d’une Chine de plus en plus offensive pour assouvir ses besoins énergétiques (importations de 15 millions de barils par an), les USA ont renforcé les positions de l’US NAVY dans la zone. Dans la foulée, les armées européennes se sont réunies en mai 2023 à Londres pour définir une stratégie commune leur permettant de sécuriser 30% de leurs approvisionnements en énergie venant du Golfe depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. L’Afrique en paye malheureusement le plus lourd tribut.
Le rixe USA vs Chine, s’est manifesté au Soudan. En effet, en 2004, Pékin avait mis son véto contre la résolution 1564 du Conseil de sécurité des nations unies à propos de l’embargo décrété par les Américains sur les armes à destination du Soudan. Plus tard, en août 2006, grâce au soutien chinois le régime de Khartoum résiste aux pressions, par l’entremise de la résolution 1706 prévoyant d’envoyer 17300 casques bleus, pour relever les 7 000 casques blancs de l’Union africaine. Cette crise par puissances interposées débauche sur la scission du pays le 9 juillet 2011 pour priver la Chine d’accès à 80 % des réserves pétrolières appartenant désormais au 193e État de la planète (Sud Soudan).
En Centrafrique (disposant d'uranium, d'or, de diamants et d’une réserve d’environ un milliard de barils de pétrole) la Russie y tire les ficèles depuis les années 1970. Aujourd’hui, Wagner se déploie dans le pays pour « sécuriser » sauf dans les régions pauvres comme le Haut-Mbomou alors que des groupes armés s’y affrontent régulièrement.
Dans cette lutte d’influence, de nouveaux acteurs voient le jour. En Libye, les Emirats Arabes Unis (EAU) et le Qatar, après avoir participé aux cotés de l’OTAN à la chute de la Jamahiriya en 2011, se font face pour le partage du butin. D’un côté, l’axe antirévolutionnaire et anti-islam politique, conduit par les EAU et l’Arabie saoudite en soutien de l’Égypte et du maréchal Khalifa Haftar et de l’autre, le Qatar, allié de la Turquie, qui défend le gouvernement d’union nationale de Fayez al-Sarraj. Ce jeu de vassalisation a déstabilisé l’Egypte avec la victoire des Frères musulmans (à l’époque) et la Tunisie avec la percée d’Ennahda en Tunisie en octobre 2011 soutenus par le Qatar. En réponse à l’avancée du Qatar, les EAU auraient finançaient Nidaa Tounès entre 2013 et 2014.
Les conséquences de ces soubresauts ont pulvérisé le voisin malien. L’appétit grandissant de l’ogre Russe et une France insatiable ont fini de mettre le pays à terre.
Aujourd’hui, dans les chancelleries, la situation du Niger est résumée comme suit : la France perdant de l’influence s’arcboutte sur « son uranium » pour faire face à une Russie à l’affût.
Au vu de tout cela, il serait naïf de penser que le Sénégal est indemne de ces guerres d’influence. En 2011, nous avons vu le président Wade, escorté par l’armée de France, demander à Khadafi « les yeux dans les yeux de quitter le pouvoir ». Il y a aussi ce qu’il advient d’appeler le « protocole de Doha » aboutissant à l’exil au Qatar d’un potentiel candidat à la présidentielle au Sénégal. Quelle était la monnaie d’échange ? Une ouverture sur la façade maritime de l’ouest africain ? On se rappelle que le « Canard Enchainé » dans son numéro 5352 du 7 juin 2023, affirmait que « l’argent du Qatar (principal bailleurs des frères musulmans) inonde le Sénégal …».
Au regard de tout ce qui précède, il serait naïf de considérer une intervention au Niger comme une simple restauration de l’Etat de droit. Nos stratèges n'ont aucun intérêt à enliser la sous-région dans une crise profonde qui finirait par rompre l'exception sénégalaise ...
Dr Samba Faye est enseignant-chercheur en sciences de gestion, porte-parole de la République des Valeurs.
par Ibou Fall
MADIAMBAL, TU PERMETS
La grande arnaque de la société civile ne se soucie que de politicaille. Puisqu’il faut bien vivre de quelque chose après la rengaine du troisième mandat, ces gens s’investissent dans une nouvelle race de concitoyens : les prisonniers politiques
Depuis que tu as vendu quelques bouquins, et que l’Upf t’a supplié à genoux de revenir aux commandes, tu ne te sens plus et as l’air de dédaigner tes chroniques du lundi qui sont devenues trop peu prestigieuses à tes yeux… Tu ne sais pas quels sublimes rendez-vous tu rates.
La nature ayant horreur du vide, tu permets que je te remplace quelque temps ? Parce que l’actualité, je ne sais pas si c’est la chaleur hivernale, est devenue bouillante.
T’inquiète, je serai bref…
Est-il nécessaire de revenir sur la plainte de Adji Raby Sarr qui traîne devant les juges Pierre Goudiaby Atépa pour diffamation ? Pour dire les choses simplement, le président du Club des investisseurs du Sénégal, en théorie, le saint du saint des saints, traite de voleuse et manipulatrice (comprenez un euphémisme qui enjolive menteuse, garce et peut-être pire) une jeune femme vouée aux gémonies par le petit peuple qui adule le gourou Sonko.
Insultée, diffamée, menacée, Madame Adji Raby Sarr, depuis deux ans, aux yeux des rois de l’opinion qui nous gouvernent à partir des réseaux sociaux, n’a aucune identité, encore moins de dignité et, quant à la personnalité, n’en parlons pas.
Jusqu’à ce que la roue de l’Histoire décide de tourner pour elle : Ousmane Sonko est en prison, le parti Pastef dissous et la légende vivante Pierre Goudiaby Atepa attend que le Tribunal décide de son sort sur injonction de cette masseuse en retraite anticipée, qui aurait pu finir bien plus mal.
Je dis ça, je dis rien : retirer ses propos et demander pardon publiquement en rampant, ça ne tue pas, ça écorche juste les genoux et l’amour-propre…
Parlons de choses sérieuses : l’indignation sélective de la Société civile, laquelle, d’après les titres des confrères, se résume à cinq personnes que j’ai la flemme de citer. Ils sont vachement furieux des violations des droits de l’Homme sous nos cieux. Mais non, on ne parle pas de femme violée, mais de casseurs embastillés. Nuance.
C’est l’indicateur suprême qui nous apprend que nos libertés sont en péril. Perso, je commence à croire que je ne suis pas loin d’être pris pour un animal. Pour avoir surnommé le président de la République «Sa Rondeur» depuis douze ans et l’avoir critiqué tout ce temps (il n’est pas le seul : j’ai du mal quand il faut dire du bien des gens), s’il ne m’a pas fait jeter en prison comme un vulgaire malfrat, ça veut dire soit qu’il n’est pas au courant, ou alors qu’il s’est dit qu’il y a des animaux qui ne méritent pas de se salir les mains. Dans les deux cas, ça mérite de se vexer…
Mais quand même, les procureurs de la République qui reçoivent nos éditions, on appelle ça un dépôt légal, auraient pu faire du zèle, non ? Ben non, rien…
Vous voulez mon avis ? Pas grave, je le donne quand même…
La Société civile, ah, la grande arnaque, qui officie avec panache, jusque-là, ne se soucie que de politicaille de coin de rue : le fonds de commerce du troisième mandat devenu sans objet, et puisqu’il faut bien vivre de quelque chose, ces braves gens s’investissent dans une nouvelle race de concitoyens, les prisonniers politiques ! Un jour, ces braves prophètes du laxisme et des petits arrangements coquins plaideront la cause des gardes pénitentiaires qui, n’ayant plus personne à surveiller, perdront leur gagne-pain.
Dans un pays normal, la Société civile sort des corps constitués, elle en est… Mieux, c’est elle. Pourquoi vous pensez au Cese ? Par exemple, le patron des avocats, leur bâtonnier pour dire les choses comme tout le monde, quand il parle au nom des libertés, du droit, de la Justice, il en a la légitimité, le droit et même le devoir. Les patrons des employeurs ou des entrepreneurs, les présidents de syndicat de banquiers ou des assureurs, des industriels, les patrons des syndicats des agriculteurs, des éleveurs et des pêcheurs, des artistes, des sportifs, des employés de la Santé, de l’Education, sont les porte-parole de millions de ces Sénégalais qui construisent notre Nation au jour le jour.
Voilà la Société civile, la vraie, celle qui mérite d’être écoutée. Elle ne prend malheureusement pas ses responsabilités, préférant se terrer dans son confortable anonymat, et céder sa place à un quarteron d’usurpateurs friands des frissons populistes dont il se repait et s’engraisse depuis plusieurs décennies à présent.
Macky Sall, qui annonce sa retraite pour le 2 avril 2024, a du boulot. Il lui faut remettre de l’ordre dans le pays avant de rendre les clés de sa villa de l’avenue Senghor, et surtout chaque acteur à sa place sur la scène publique. Au premier chef, faire le tri des trois cents et quelques récépissés qui autorisent n’importe qui à prétendre nous gouverner est une urgence. Parce que le danger qui nous guette, avec la récente modification des articles du Code électoral, est que nous pouvons élire un braqueur de banque et lui confier les clés du Trésor public.
On me dira toujours que nous sommes au pays de Mamadou Bitiké, cette République qu’un mal de dos a conduite au bord du précipice…