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28 novembre 2024
Opinions
par Mamadou Abdoulaye Sow
POUR UNE MODIFICATION DE LA LOI DE 2016 RELATIVE AUX SERVICES DE RENSEIGNEMENT
L’absence de dispositions juridiques encadrant les activités des services de renseignement constitue, « sur le plan de la protection des droits et libertés fondamentaux, une faille importante dans notre État de droit »
Dans un pays démocratique, « les fonctionnaires du secret ne sont pas des individus incontrôlables sans foi ni loi, faisant ce que bon leur semble au nom de la raison d’État »[1]. Ces propos d’Éric Denécé sont à méditer par tous les personnels des services de renseignement.
Jusqu’en 2016, les services de renseignement sénégalais étaient hors-la-loi. En effet, il n’existait aucune loi spécifique définissant le cadre juridique légal des activités de renseignement. C’est le 5 décembre 2016 que le législateur a adopté une loi relative aux services de renseignement, promulguée le 14 décembre 2016 sous le numéro 2016-33.
Selon l’exposé des motifs de cette loi, la non-réglementation de la mission régalienne des services de renseignement était de nature à créer une situation qui « peut entraîner des abus et devenir dès lors un danger aussi bien pour les personnels des services de renseignement que pour les citoyens dont les libertés individuelles consacrées par la Constitution doivent être respectées ». Le même exposé des motifs précise : « le renseignement doit jouer un rôle d’avant-garde dans le dispositif national de sécurité, surtout pour …la défense de la démocratie, de la liberté des peuples et des droits de l’homme ».
Enfin, le dispositif de la loi commence par rappeler, dans une disposition préliminaire, l’importance du « respect du droit international des droits de l’homme, des lois nationales et des libertés fondamentales reconnus aux citoyens pour la protection des intérêts supérieurs de la Nation » lorsque la communauté du renseignement mène ses activités de renseignement.
Eu égard aux récents incidents intervenus à la cité Keur Gorgui entre un opposant politique et un agent des services de renseignement de la gendarmerie, d’une part, et les forces de défense et de sécurité, d’autre part, on s’interroge sur les conditions de mise en œuvre de la loi n° 2016-33 du 14 décembre 2016 relativement à la protection du droit au respect de la vie privée ? On se pose les deux questions suivantes :
1° la loi relative aux services de renseignement constitue-t-elle un cadre légal protecteur du droit au respect de la vie privée ?
2° ladite loi assure-t-elle aux citoyens que « certaines techniques de renseignement mises en œuvre (ne sont pas) aux limites de la légalité voire en contradiction avec la loi pénale, sans (qu’ils) disposent de garanties réelles pour la préservation de leur vie privée … » [2] ?
C’est l’occasion ici de rappeler que la loi pénale punit les abus d’autorité contre les particuliers. En effet, l’article 164 du Code pénal dispose : « Tout fonctionnaire de l'ordre administratif ou judiciaire, tout officier de justice ou de police, tout commandant ou agent de la force publique qui, agissant en sa dite qualité, se sera introduit dans le domicile d'un citoyen contre le gré de celui-ci, hors les cas prévus par la loi, et sans les formalités qu'elle a prescrites, sera puni d'un emprisonnement de six mois à deux ans, et d'une amende de 25.000 à 150.000 francs, sans préjudice de l'application du second alinéa de l'article 106 [3].
Tout individu qui se sera introduit à l'aide de menaces ou de violences dans le domicile d'un citoyen sera puni d'un emprisonnement de deux mois à un an et d'une amende de 25 000 à 1 00 000 francs »
L’actuelle loi relative aux services de renseignement ne nous parait pas « d’une clarté et d’une précision suffisantes pour fournir aux individus une protection adéquate contre les risques d’abus de l’exécutif dans le recours aux techniques de renseignement [4]».
A ce propos, nous avions publié le 23 février 2023 une contribution, sous le titre « La nécessité d’un contrôle externe des activités des services de renseignement qui ne sont plus hors-la-loi depuis 2016, dans laquelle nous exposions les lacunes du cadre général juridique du renseignement fixé par la loi du 14 décembre 2016 à savoir notamment :
l’incomplétude du cadre légal sur le plan de la protection des droits et libertés fondamentaux des citoyens, par rapport à la violation de la vie privée ;
le silence de la loi sur le contentieux de la mise en œuvre des techniques de renseignement ;
l’absence d’un dispositif de contrôle externe de la légalité de l’ensemble des techniques de renseignement autorisées par le législateur.
L’absence de dispositions juridiques encadrant les activités des services de renseignement constitue, « sur le plan de la protection des droits et libertés fondamentaux, une faille importante dans notre État de droit »
Le corpus juridique actuel encadrant les activités des services de renseignement ne donne pas des garanties suffisantes en matière de protection des libertés individuelles. Le législateur aurait dû prévoir par une norme écrite les atteintes à la vie privée [5]. En effet, il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie l’article 67 de la Constitution et, à cet effet, il doit notamment « prémunir les sujets de droit …contre le risque d'arbitraire »[6].
« La loi doit être d’une clarté et d’une précision suffisantes pour fournir aux individus une protection adéquate contre les risques d’abus de l’exécutif dans le recours aux techniques de renseignement [7]».
Le silence de la loi sur le contentieux de la mise en œuvre des techniques de renseignement
Une particularité de la loi de 2016, c’est son silence sur les recours que les citoyens sont en droit d’exercer lorsqu’ils font l’objet de mise en œuvre de techniques de renseignement. Or, l’absence de disposition sur le contentieux tranche avec le vœu exprimé par le législateur de mener les activités de renseignement « dans le respect du droit international des droits de l’homme, des lois nationales et des libertés fondamentales reconnues aux citoyens » [8].
L’absence d’un mécanisme de contrôle externe de légalité et de proportionnalité de certaines techniques de renseignement
Le contrôle de légalité des moyens employés et de leur proportionnalité est prévu à l’article 9 de la loi de 2016 qui dispose : « Pour l’exécution des missions qui leur sont assignées, les services de renseignement apprécient la consistance des moyens opérationnels à mettre en œuvre. Ils s’assurent cependant de la légalité des moyens employés et de leur proportionnalité à la gravité de chaque menace. ». La question se pose de savoir qui est l’autorité publique chargée du contrôle de légalité des moyens employés et de leur proportionnalité.
Une réflexion devrait être engagée sur la mise en place d’une Commission nationale de contrôle des renseignements sur le modèle de la Commission de Protection des Données à Caractère Personnel dite « Commission des Données personnelles » [9] et qui serait chargée du contrôle externe de légalité et de proportionnalité de certains procédés de renseignement.
« Faute de cadre juridique complet et homogène (les agents des services de renseignement sont…) susceptibles de voir leur responsabilité pénale engagée au titre d’infractions d’atteinte à la vie privée dès lors qu’ils (recourent), dans le cadre de leurs missions, à des méthodes attentatoires aux libertés individuelles et non encadrées par le législateur »[10].
Rappelons que l’article 27 de la loi relative aux services de renseignement dispose que « les infractions commises par les personnels des services de renseignement dans l’exercice de leurs fonctions relèvent de leur responsabilité pénale personnelle ».
« Le régime général de protection pénale prévue par l’article (106) du Code pénal [11], permettant de couvrir les agents publics commettant des actes illégaux commandés par l’autorité légitime, « n’offre qu’une protection très parcellaire qui ne résisterait guère à un contentieux » »[12].
En résumé, des modifications sont à apporter à la loi n° 2016-33 du 14 décembre 2016 relative aux services de renseignement pour assurer tant la protection des droits et libertés constitutionnels des citoyens que l’efficacité de l’activité de renseignement.
Mamadou Abdoulaye Sow est Inspecteur principal du Trésor à la retraire.
[1] Éric Denécé, « L’éthique dans les activités de renseignement », Revue d’administration publique, 2011/4, n° 140, pp. 702-722.
[2] Philippe Bas, président de la commission des lois cité dans le rapport d'activité 2019-2020 de la Délégation parlementaire au renseignement par M. Christian CAMBON, Sénateur, p.34. Nous mettons en gras.
[3] Le second alinéa de l’article 106 dispose : « Si néanmoins il justifie qu'il a agi par ordre de ses supérieurs pour des objets du ressort de ceux-ci, sur lesquels il leur était dû l'obéissance hiérarchique, il sera exempt de la peine, laquelle sera, dans ce cas, appliquée seulement aux supérieurs qui auront donné l'ordre ».
[4] « Avis du Défenseur des droits n° 15-04 », Paris, le 2 avril 2015.Nous soulignons.
[5] Au Bénin, l’article 4 de la loi de 2018 indique très clairement que « l'autorité publique ne peut y porter atteinte que dans les seuls cas de nécessité d'intérêt public prévus par la loi et dans les limites fixées par celle-ci. ».
[6] Décision n° 2006-540 du 27 juillet 2006 du Conseil constitutionnel français.
[7]Le Défenseur des droits de la République française, « Avis du Défenseur des droits n° 15-04 », Paris, le 2 avril 2015. Nous souligons.
[8] Au Bénin, « tout citoyen qui soupçonne qu'il serait l’objet de mise en œuvre de technique de renseignement peut saisir la Commission nationale de contrôle des renseignements qui devra procéder à des investigations. ». « La Cour d'appel est compétente pour connaître, en premier ressort, du contentieux concernant la mise en œuvre des techniques de renseignement » et « la Cour suprême est compétente en dernier ressort » (articles 31 et 32 de la loi de 2018 précitée).
[9] Créée par la loi n° 2008-12 du 25 janvier 2008 sur la protection des données à caractère personnel.
[10] Rapport d'activité 2019-2020 de la Délégation parlementaire au renseignement précité, p.34.
[11] L’article 106 du Code pénal dispose : « Lorsqu'un fonctionnaire public, un agent, un préposé ou un membre du Gouvernement, aura ordonné ou fait quelque acte arbitraire, ou attentatoire soit à la liberté individuelle, soit aux droits civiques d'un ou de plusieurs citoyens, soit à la Constitution, il sera condamné à la peine de la dégradation civique.
Si néanmoins il justifie qu'il a agi par ordre de ses supérieurs pour des objets du ressort de ceux-ci, sur lesquels il leur était dû l'obéissance hiérarchique, il sera exempt de la peine, laquelle sera, dans ce cas, appliquée seulement aux supérieurs qui auront donné l'ordre ».
[12] Expression de Jean-Jacques Urvoas , alors président de la Délégation parlementaire, cité dans le rapport d'activité 2019-2020 précité, p.34.
PAR Mamadou Oumar Ndiaye
LE CHANT DU CYGNE DE L’ARTISTE MACKY SALL
Une longue nuit noire, assurément, s’abat sur notre jadis si belle démocratie. Nul ne sait quand et, surtout, dans quel état notre pays en sortira
Ousmane Sonko, leader incontestable de l’opposition et désormais ex-probable futur président de la République du Sénégal, a donc passé hier sa première nuit en prison. Comme si cela ne suffisait pas, son parti, le Pastef, qui donnait des insomnies et des cauchemars à l’actuel régime en place ainsi qu’à son chef, le président de la République Macky Sall, a été dissous. Gageons que, comme l’œil de Caïn, leur ombre continuera de troubler le sommeil et d’agiter les nuits de celui qui présidera aux destinées de ce pays pendant sept mois encore. S’il ne se renie pas entretemps bien sûr et ne prend pas prétexte d’une éventuelle situation chaotique du Sénégal pour vouloir jouer les prolongations au-delà de février-mars prochain.
Quoi qu’il en soit, nous avons connu hier la fin provisoire d’un suspense qui n’en était pas un en vérité puisque c’était un secret de Polichinelle depuis des mois que le régime avait l’intention d’emprisonner sous n’importe quel prétexte Ousmane Sonko et de dissoudre son parti. Des responsables politiques et des chroniqueurs connus pour leur proximité avec la présidence de la République ne cessaient de réclamer ces deux mesures et tout le monde savait qu’ils ne pouvaient le faire sans avoir l’onction du Chefsuprême. C’est donc dire que les deux coups de canif portés hier à la démocratie sénégalaise, à savoir le placement sous mandat de dépôt du chef de l’opposition et la dissolution de son parti, n’ont même pas eu le mérite de la surprise. Les Anglais disent qu’il faut savoir être imprévisible mais hélas, les gens du pouvoir en place, eux, sont terriblement prévisibles. Leurs décisions, ils les font annoncer longtemps à l’avance par des condottieres à leur solde. Mais en réalité, même s’ils n’avaient pas annoncé leur opération de ces derniers jours contre Pastef et son chef, tout le monde savait que les actes qu’ils posaient depuis des mois convergeaient vers cela. On les voyait venir avec leurs gros sabots ! De l’histoire des « Farces spéciales », pardon « Forces spéciales » à celle des « Forces occultes » qui a fait pschiitt et s’est dégonflée comme un ballon de baudruche au niveau de l’opinion nationale et internationale avec la découverte du rôle peu glorieux joué par des « nervis » en passant par les plaisanteries du « Commando » et autres « Cocktails Molotov », sans parler de ces « terroristes » allés jusqu’au Burkina Faso acheter des lunettes de visée mais incapables de trouver le moindre fusil sur lequel les monter !, l’on savait que toutes ces histoires de complots à la noix déboucheraient, à la manière des cours d’eau affluents, sur l’embouchure de Pastef et d’Ousmane Sonko. C’est dire que l’inénarrable procureur de la République ne nous apprend pas grandchose ! Surtout qu’il se murmurait dans les allées du pouvoir que l’arme fatale qui servirait à abattre l’homme classé troisième à la dernière présidentielle, c’était le crime d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Mais ne déflorons pas le film du maître des poursuites !
Selon le procureur de la République, donc, l’Etat voyait venir et suivait de près les déclarations, conspirations et actes préparatoires ou effectifs attentatoires à la sûreté de l’Etat. Un Etat qui savait tout, voyait tout depuis 2021 mais aurait laissé sciemment les choses se dérouler pour prendre sur le fait le dangereux « terroriste » Sonko et son parti afin de mieux les confondre et emprisonner le premier tout en dissolvant le second ! Autrement dit, et à suivre le raisonnement du procureur de la République, l’Etat, qui aurait pu intervenir pour, par exemple, éviter les 16 morts de juin dernier s’est gardé de le faire pour attendre le jour de la Achoura 2023, un vendredi sacré pour les Musulmans, et alors même que les Sénégalais n’avaient pas fini de faire le deuil des 23 personnes mortes dans un tragique accident de la Route à Ngueune Sarr et de 16 autres jeunes gens dans le chavirement de leur pirogue à Ouakam, pour enfin passer à l’action contre l’ennemi public numéro un du régime, Ousmane Sonko. Ce en prenant prétexte du « vol » du téléphone portable d’une gendarmette dont le véhicule serait comme par hasard tombé en panne devant le domicile du leader de Pastef en ce vendredi de toutes les opportunités ! C’est un peu comme si un policier ou un gendarme avait été averti d’un meurtre qui allait être commis sur un citoyen par quelqu’un dont l’identité lui a été communiquée et qui, plutôt que d’agir pour empêcher cet assassinat, le laisse commettre et se justifie ensuite en disant : « je voulais savoir la manière dont l’assassin allait agir pour mieux le confondre avec des preuves irréfutables après son crime ! » Sauf que le pauvre citoyen, lui, est passé de vie à trépas. Tant pis pour les quelque 40 personnes mortes dans des manifestations depuis l’éclatement de l’affaire Adji Sarr/Sonko.
En Afrique, la prison est l’antichambre du pouvoir !
Jamais deux sans trois, l’adage s’est confirmé avec cet emprisonnement d’Ousmane Sonko puisque le leader de Pastef est le troisième candidat idéalement placé pour barrer la route à l’actuel président de la République — ou du candidat qu’il aura choisi — à être envoyé sans autre forme de procès par notre glorieuse justice en prison. Cette fois-ci avec la complicité d’une partie de l’opposition qui, en acceptant de participer au dialogue deal du président de la République, a permis à Macky Sall de mieux isoler Ousmane Sonko pour l’abattre. Mais attention, Abdoulaye Wade aussi avait été embastillé par le président Abdou Diouf…auquel il avait fini par succéder. Nelson Mandela a fait un quart de siècle en prison et en était sorti pour devenir président de la République etsuccéder aux tenants de l’apartheid qui l’y avaient jeté. Il me semble aussi que le Tchadien Félix Malloum avait été sorti de prison pour être transporté directement à la présidence de la République ! Le capitaine Thomas Sankara lui-même, emprisonné parle régime du commandant Jean Baptiste Ouédraogo alors qu’il était Premier ministre, avait été libéré par les fameux para commandos de Po dirigés par un certain… capitaine Blaise Compaoré avant d’être placé à la tête du Faso. Ce même si, bien plus tard, ce même Compaoré avait fini par faire assassiner le très charismatique Thomas Sankara, devenu un héros de la jeunesse africaine au même titre aujourd’hui qu’un certain… Ousmane Sonko ! Comme quoi, en Afrique, la prison est souvent l’antichambre du pouvoir. De la même manière, le pouvoir conduit très souvent à la prison si ce n’est à l’échafaud.
Une chose est sûre : jamais, depuis 1960 et les événements dits de Saint-Louis, un parti politique n’avait été dissous au Sénégal. Par la suite, jamais le président Senghor n’a eu recours à cette mesure extrême. De même, ses successeurs Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, bien que confrontés à de très fortes oppositions, n’ont jamais dissous un parti. Certes, les Moustarchidines l’avaient été mais ce n’était pas un parti politique. Il a donc fallu attendre 2023 pour qu’un président de la République né après notre accession à l’indépendance en 1960 dissolve un parti politique sous des prétextes sinon ridicules du moins largement tirés par les cheveux ! Mais bon, c’est bien connu que quiconque veut noyer son chien l’accuse de rage.
En attendant, la belle vitrine démocratique sénégalaise de jadis est bien craquelée avec tous les coups de boutoir qui lui sont portés, l’emprisonnement d’Ousmane Sonko et la dissolution de son parti n’en étant que les derniers en date. Surtout quand on sait que quelque 600 personnes, coupables du délit ou des crimes d’être contre le régime en place, surpeuplent actuellement nos prisons… Une longue nuit noire, assurément, s’abat sur notre jadis si belle démocratie. Nul ne sait quand et, surtout, dans quel état notre pays en sortira. Toutes ces choses constituent le chant du cygne du président Macky Sall. Le chant du cygne, pour ceux qui ne le sauraient pas c’est, dans le domaine de l’art, la dernière œuvre d’un poète ou d’un artiste…Et autiste, pardon artiste, Macky Sall l’est effectivement en matière de gouvernance !
par l'éditorialiste de seneplus, demba ndiaye
SOIXANTE-DEUX
EXCLUSIF SENEPLUS - L’homme de la deuxième alternance vient de nous faire faire un épouvantable bond en arrière de 62 ans en décrétant la dissolution d'un parti reconnu. Il reste qu'on ne dissout pas une idée
Mon pays, le Sénégal, vient de faire un bond en arrière de 62 ans. En effet, c’est en 1961 que le président Senghor avait dissous le parti africain de l’Indépendance (PAI).
Il ne s’agit pas d’un acte mineur, mais à bien des égards, un séisme de magnitude 62. Soixante-deux ! C’est l’âge responsable, l’âge d’une indépendance qui depuis, bon an mal an, nous promettait des avancées, à l’image de Paris en l’an 2000 comme le rêvait Senghor ; l’âge durant lequel notre pays a acquis le faux label (on le sait aujourd’hui) d’une République exceptionnelle dans un crique englué, défiguré par des bruits de bottes et des partis uniques aux régimes quasi éternels. Nous nous sommes même payés le luxe de snober la décennie 90 avec ses conférences nationales pour entrer dans le cercle des démocraties.
Nous donnâmes l’exemple que les partis uniques et leurs régimes sans fin n’étaient pas une fatalité, mais des faits et des actes d’hommes accidentels dans l’histoire chaotique d’une Afrique bégayante : les alternances politiques étaient possibles. À défaut d’alternatives.
L’homme qui conduisit cette deuxième alternance est aussi celui qui, l’Histoire le retiendra, vient de nous faire faire un épouvantable bond en arrière de 62 ans en décrétant la dissolution du Pastef, un parti politique reconnu, et qui fait partie de ceux (sinon le seul) qui se conforment aux textes régissant les partis : bilan financier annuel, information, etc. Il serait intéressant d’ailleurs, pour la transparence et la vérité, que le ministère de l’intérieur communique sur les partis qui respectent les textes. Parce que leur non-respect peut être un motif de dissolution.
Il y a aussi des faits qui entrent mal dans le registre des coïncidences : arrestation vendredi de son président ; son inculpation le lundi suivant et, la dissolution de son parti le même jour, moins de deux heures après son placement sous mandat de dépôt. Difficile de croire que cette célérité relève du hasard, encore moins de notre administration qu’on n’a pas connue si prompte dans ses tâches et ses actes.
C’est aussi une coïncidence si cet emprisonnement et cette dissolution n’ont aucun rapport avec l’élection présidentielle prévue dans sept mois. Honni qui mal y pense… Évidemment, notre pays va encore alimenter les conversations dans les grands-places, facs, marchés et autres réseaux sociaux. Depuis juin, nous étions sous les projecteurs inquisiteurs et éclairants du monde entier, pour de mauvaises raisons. Nous n’avons pas fini d’occuper la première place du podium des Républiques décadentes.
On glosera de l’exceptionnelle décadence d’une démocratie qui se prétendait le premier d’une classe de cancres. Certains verront leurs certitudes fortifiées : « la démocratie n’est pas faite pour les Nègres, ces grands garçons qui ont besoin d’hommes forts pour les dresser avec la trique, la cravache et le cachot pour ceux qui s’obstinent à vouloir sortir des clous jalonnés par le bien-aimé monarque éclairé ». Les amis faux-culs d’hier éprouveront une secrète joie que le petit prétentieux qui leur faisait de l’ombre leur laisse la voie libre.
Mais on le sait depuis que les hommes ont acquis des convictions, dont celle plus tenace et qui balise leur vie : on ne dissout pas une idée. On n’efface pas de la mémoire des peuples l’espoir qu’une autre vie est possible.
Une nouvelle période pleine d’incertitudes s’ouvre pour le pays. Et on aurait tort de croire que cette nouvelle période coulera comme un long fleuve tranquille. C’est une période pleine d’incertitudes, grosse de tous les possibles. Et je l’avoue : j’ai de moins en moins envie de vivre dans un tel pays.
par Ciré Clédor Ly
L’ÉTAT DU SÉNÉGAL DANS L’ESCALADE
La communication du procureur de la République est à la fois un réquisitoire écrit et un jugement de condamnation sans appel. Le style de rédaction et le discours portent gravement atteinte à la présomption d’innocence, au procès équitable
Lorsque les barrières qui retenaient prisonnier mon client Ousmane Sonko, par ailleurs leader de parti qui cristallise les aspirations de tout un peuple et au-delà une vision africaine, il y’avait plusieurs interrogations auxquelles une seule réponse devait s’imposer à tous.
L’Etat a toujours été cohérent dans sa logique qui est celle d’empêcher le leader de l’opposition de pouvoir un jour devenir président de la République du Sénégal pour mettre en œuvre son programme qui se résume à la reddition des comptes, la bonne gouvernance, l’éradication des compradors, l’indépendance économique et la rupture définitive avec l’asservissement et le capital mondial.
Les plus naïfs s’attendaient à un apaisement et en la normalité qui seraient de permettre à tous les aspirants à la fonction présidentielle de participer aux élections de 2024, le peuple souverain devant faire son choix. C’était mal analyser les événements et connaître la détermination du système qui est en conflit avec la démocratie et l’Etat de droit.
Les plus rationnels s’attendaient à l’exécution de la fausse contumace, puisque Ousmane Sonko n’a jamais été un fugitif d’autant que les forces de défense et de sécurité l’avaient kidnappé en rase campagne, alors qu’il avait quitté Ziguinchor pour se rendre à Dakar et que la Chambre Criminelle n’avait pas encore rendu son jugement.
Cependant, l’Etat a toujours versé dans l’irrationnel et c’est pourquoi cela ne devrait pas surprendre lorsqu’il ne peut se satisfaire d’un simple délit, alors que tout un arsenal juridique est à sa disposition pour détruire à la fois l’homme et son parti et que la confusion des pouvoirs le lui permettait.
Ce qui est surprenant, c’est l’insolence du procédé, à savoir l’intervention d’un élément que l’on dit être du corps des forces de défense et de sécurité comme provocateur, pour accuser tout un symbole de vol d’un portable dont la valeur monétaire est dérisoire et partant de là, viser un cumul d’infractions qui ne relèvent pas des faits.
Celà pue le complot à mille lieux, un complot encore mal cogité, mal exécuté, indigeste et le monde n’est pas dupe.
La communication du procureur de la République est à la fois un réquisitoire écrit et un jugement de condamnation sans Appel.
Le style de rédaction et le discours portent gravement atteinte à la présomption d’innocence, au procès équitable et, de mémoire, avec mes 40 ans d’exercice de la profession d’avocat, je n’ai aucun souvenir du respect par l’Etat du Sénégal des décisions le condamnant pour violation des droits de l’homme.
Le fardeau porté par le procureur de la République est très lourd de conséquences, mais le président de la République qui a toujours été le seul maître à bord peut encore tout arrêter alors qu’il est temps, car, si le procureur de la République a l’opportunité des poursuites, sa plume est serve.
Il est à rappeler que le procureur de la République n’incarne pas le pouvoir judiciaire qui doit toujours être jaloux de son indépendance et marquer ses distances avec les autres pouvoirs.
Aucun réquisitoire ne peut dévêtir un juge de son indépendance et le pouvoir doit arrêter le pouvoir. Il est temps que le pouvoir judiciaire marque et réaffirme de son empreinte son indépendance.
L’arrestation d’Ousmane Sonko qui a fait savoir qu’il n’acquiesçait au jugement, a anéanti de plein droit ce dernier et lui restitue l’ensemble de ses droits civiques.
Le Sénégal qui a une position géostratégique très enviable est une plateforme dont l’équilibre doit être à tout prix préservé, de sorte que la situation interpelle une réaction rapide et sans complaisance de l’ensemble de la communauté internationale, la CEDEAO et l’Union Africaine au premier rang.
La libération immédiate de Ousmane Sonko, de tous les membres du directoire de son parti, de toutes les personnes poursuivies pour des infractions politiques, est une exigence sociale.
Ciré Clédor Ly est membre du collectif de la défense d'Ousmane Sonko.
Texte Collectif
ILLUSTRATIONS DU PARTENARIAT EUROPE-AFRIQUE
L’Europe est et restera un partenaire de long terme de l’Afrique - le récent renouvellement de l’accord avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, qui existe depuis 1975, n’est qu’une démonstration supplémentaire de notre engagement
Chaque jour, nous travaillons à rendre le partenariat entre l’Europe et l’Afrique plus fort et plus proche des peuples africains et européens. Notre engagement quotidien démontre que la relation entre nos deux continents est faite de liens humains, culturels, géographiques et économiques sans équivalent, et non d’incantations, de promesses et d’affirmations. Lors du 6ème Sommet Union européenne (UE) - Union africaine (UA) de février 2022, plus de 80 dirigeants d’Afrique et d’Europe se sont réunis à Bruxelles pour adopter un agenda ambitieux et soutenir un partenariat de paix, de sécurité, de solidarité et de prospérité fondé sur l’égalité, le respect et la compréhension mutuels.
L’Europe et l’Afrique ont besoin l’une de l’autre pour apporter une réponse solide et durable aux défis mondiaux et communs, qu’il s’agisse du changement climatique, de la paix et de la sécurité ou du développement économique, qui nous concernent tous. Le partenariat entre l’Union européenne et l’Union africaine, ancré dans le dialogue et le multilatéralisme, est axé sur la recherche de solutions et tourné vers l’avenir.
L’Europe et l’Afrique sont ensemble parties prenantes d’un système international multilatéral fondé sur des règles de droit. L’UE et ses États membres ont été parmi les premiers à exprimer leur soutien total à l’intégration de l’UA au sein du G20 ; l’UE soutient l’Afrique dans ses ambitions de devenir un acteur mondial de premier plan. Ensemble, l’UA et l’UE peuvent être les piliers de la défense d’un monde fondé sur des règles de droit, où la souveraineté et l’intégrité territoriale sont préservées.
L’Union européenne est profondément attachée à la sécurité et à la prospérité de ses voisins, car c’est une condition de notre sécurité et de notre prospérité, et car nous nous efforçons d’être un partenaire fiable et prévisible. En ces temps d’insécurité alimentaire mondiale croissante, comme souligné par le Secrétaire Général des Nations Unies au Sommet sur les systèmes alimentaires qui s’est tenu à Rome le 24 Juillet dernier, l’UE reste fidèle à son engagement de faciliter l’exportation de céréales et d’autres produits agricoles en provenance d’Ukraine. Nous tenons à souligner que dès le départ, l’UE a exempté les denrées alimentaires et les intrants agricoles (y compris les engrais) des sanctions qu’elle a imposées à la Fédération de Russie. En complément de l’initiative sur les céréales de la mer Noire, l’UE a mis en place les corridors de solidarité UE-Ukraine grâce auxquels près de 61 millions de tonnes de céréales ont pu quitter l’Ukraine par voie terrestre. Bien que l’on dise souvent que seul un faible pourcentage des produits agricoles exportés d’Ukraine est parvenu directement aux consommateurs africains, les effets économiques combinés de l’initiative sur les céréales de la mer Noire et des corridors de solidarité ont entraîné une baisse de 23 % de l’indice des prix des céréales sur le marché mondial.
Au-delà de la nécessité immédiate d’atténuer la volatilité des prix des denrées alimentaires sur le marché mondial, l’Union européenne aura mobilisé d’ici 2024 près de 7 milliards d’euros pour améliorer la sécurité alimentaire en Afrique ; dont plus de 3 milliards d’euros ont déjà été déboursés. Ce montant comprend notamment les contributions de l’UE au Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et la croissance du FMI. D’autres initiatives, telles que l’Alliance pour un cacao durable (UE, Côte d’Ivoire et Ghana), renforcent la résilience des systèmes alimentaires et la durabilité des chaînes de valeur agricoles.
Comme convenu lors du 6ème Sommet UE-UA, pour renforcer les infrastructures de qualité, près de 150 milliards d’euros d’investissements seront mobilisés d’ici 2027 en Afrique dans le cadre de la stratégie "Global Gateway Investment". Ces investissements portent déjà leurs fruits ce qui permet à l’Union européenne de concrétiser les engagements pris lors du sommet. Au Kenya, un soutien est apporté à l’installation de la fibre optique et au développement d’un système de bus rapide à Nairobi. Au Burkina Faso, l’UE est le principal partenaire des projets d’électrification rurale et renouvelable, notamment le projet Yelen, qui bénéficie à 110 000 ménages. Les investissements dans la santé (l’initiative phare MAV+ de Global Gateway sur la fabrication et l’accès aux vaccins avec plus d’un milliard d’euros d’investissements au Rwanda, en Afrique du Sud, au Sénégal et au Ghana) et le numérique (investissement de 820 millions d’euros dans la transformation numérique du Nigéria) n’en sont que deux autres exemples. Tout ceci, sans prendre en compte les apports individuels des Etats membres de l’UE.
Les résultats concrets et tangibles sont là. Ils confirment que l’Union européenne est le premier partenaire de l’Afrique à tous les niveaux, qu’il s’agisse du commerce, des investissements ou du développement. L’Europe est et restera un partenaire de long terme de l’Afrique - le récent renouvellement de l’accord avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, qui existe depuis 1975, n’est qu’une démonstration supplémentaire de notre engagement.
En ce qui concerne la paix et la sécurité, l’UE a maintenu son appui aux opérations africaines de soutien à la paix, notamment celles conduites par l’UA, en dépit des multiples crises qui sévissent dans le monde. Là encore, les engagements pris lors du dernier sommet UE-UA se traduisent par des actions concrètes. Pour la période 2022-2024, 600 millions d’euros sont alloués à ces missions par l’intermédiaire de la Facilité européenne de paix (FEP), en complément de l’appui apporté au titre d’autres instruments de développement. Le soutien de l’UE à la Mission de Transition de l’Union Africaine en Somalie (AMISOM/ATMIS), qui s’élève à 2,7 milliards d’euros depuis 2007, en est un exemple. Les onze missions de formation et d’assistance sur le continent sont un autre témoignage du soutien de l’UE aux objectifs de paix et de sécurité des partenaires africains. L’Afrique bénéficie et continuera de bénéficier d’un soutien décisif, par l’intermédiaire de la FEP, pour ces opérations. L’engagement total de l’Equipe Europe en appui aux initiatives de prévention des conflits, de médiation, de paix et de sécurité au niveau national et régional s’élèvera à 1,5 milliard d’euros entre 2021 et 2027.
Alors que d’autres cherchent à diviser, l’UE, dans son partenariat avec l’Afrique, cherche à obtenir des résultats et à favoriser la coopération. Les engagements pris par certains pays ne résistent pas à l’épreuve du temps. En contrepoint, l’UE et ses États membres ont toujours investi en Afrique et facilité l’accès en franchise de droits des exportations africaines vers l’UE.
Preuve tangible de notre volonté de nous engager dans un partenariat qui profite concrètement à l’Afrique, 33 des pays africains les moins développés ont bénéficié du régime douanier le plus favorable au monde, supprimant les droits de douane et les quotas pour toutes les importations de marchandises - à l’exception des armes et des munitions. À ce jour, l’UE est de loin le principal partenaire commercial du continent africain, avec un volume total de 268 milliards d’euros en 2021 et 90 % des exportations africaines entrant dans l’Union européenne en franchise de droits. L’UE se réjouit du potentiel de la Zone de Libre Echange continentale africaine (ZLECAF), qu’elle soutient depuis le début, dans le cadre d’une approche "Equipe Europe", par de l’expertise, du renforcement capacitaire et des échanges sur les leçons tirées de notre expérience.
L’UE a sa part de responsabilité dans le réchauffement climatique et investit massivement pour réduire les émissions en Europe. Elle se tient également aux côtés des pays qui sont victimes ou souffrent des conséquences du réchauffement climatique et qui ont besoin d’être soutenus dans leur transition climatique. Nous soutenons l’initiative de la Grande Muraille Verte de l’UA pour l’adaptation climatique à hauteur de 700 millions d’euros et sommes à l’origine de la décision d’allouer 100 milliards de dollars en Droits de tirage spéciaux (ou contributions équivalentes) aux pays les plus vulnérables, notamment en Afrique. Le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial qui s’est tenu à Paris à la fin du mois de juin et auquel ont participé 25 chefs d’État africains ainsi que les dirigeants de l’UA et de l’UE, a effectivement contribué à atteindre cet objectif et ouvert la voie au prochain Sommet africain sur le climat qui se tiendra au Kenya en septembre. Grâce au cadre commun du G20 et du Club de Paris, un accord a notamment été conclu sur le traitement de la dette de la Zambie, une étape historique pour ce pays et le peuple zambien.
Dans toutes ces évolutions, l’Europe tient ses promesses. Le financement global de la coopération au développement par l’Equipe Europe a augmenté de près de 30 % en 2022 dans le monde entier, et l’aide de l’UE à l’Afrique a augmenté de 11 % pour la période 2021-2027, par rapport à la période 2014-2020.
Alors que nous travaillons à l’organisation de la prochaine réunion ministérielle entre l’Union africaine et l’Union européenne, lors de laquelle nous ferons le point sur nos réalisations communes, nous souhaitons réaffirmer notre détermination et notre engagement permanents à renforcer notre partenariat solidaire avec l’Afrique, en vue de contribuer ensemble à la paix, à la sécurité et à la prospérité dans le monde.
Signé : Les Ambassadeurs de l’Union européenne et de ses États membres auprès de la République du Sénégal.
Par Bill Gates
POUR UN AVENIR PROMETTEUR, INVESTISSEZ DANS LA JEUNESSE AFRICAINE
Le mois dernier, pour la première fois depuis cinq ans, je me suis rendu au Nigéria, et partout où je suis allé, peut-être même plus que lors de mes voyages précédents, j’ai ressenti l’immense énergie et le potentiel illimité de sa génération montante.
Le mois dernier, pour la première fois depuis cinq ans, je me suis rendu au Nigéria, et partout où je suis allé, peut-être même plus que lors de mes voyages précédents, j’ai ressenti l’immense énergie et le potentiel illimité de sa génération montante. J’ai rencontré de jeunes scientifiques et chercheurs qui travaillent sur des solutions novatrices à certains des défis les plus difficiles auxquels le pays fait face en matière de santé et de développement. J’ai également écouté de jeunes entrepreneurs parler de l’utilisation des nouvelles technologies numériques pour améliorer les soins de santé et la littératie financière.
Le Nigéria a l’une des plus larges populations de jeunes au monde, et 19 des 20 pays les plus jeunes, en termes d’âge moyen, sont en Afrique. Cela représente un nombre important de compétences potentielles et de passion pour aider à résoudre de vastes problèmes. En fait, la population jeune et talentueuse de l’Afrique, en pleine croissance, est l’atout le plus puissant du continent pour l’avenir, et lorsque j’ai rencontré les dirigeants du Nigéria, j’ai à nouveau souligné tout ce qu’ils pourraient accomplir s’ils investissaient dans la santé et les opportunités pour les jeunes.
Réaliser des investissements stratégiques dans le but de libérer le vaste potentiel des jeunes Africains est aujourd’hui particulièrement important. Un ensemble sans précédent d’événements mondiaux, dont notamment la pandémie de COVID-19, la guerre en Ukraine, les crises sécuritaires et les effets du changement climatique, a eu pour effet de bloquer la croissance dans le domaine de la santé, du développement agricole et d’autres secteurs clés. Les progrès ne sont pas matérialisés aussi rapidement que les Africains le souhaitent et le nécessitent. Du fait de ces crises qui se chevauchent, le coût du maintien de la dette au Nigéria et dans de nombreux autres pays augmente plus rapidement que les revenus, et les priorités urgentes dépassent les ressources disponibles, de sorte que chaque centime disponible doit compter.
Quelle est la meilleure façon de concrétiser cela ? Voici trois leçons clés que j’ai apprises de mes conversations tenues au fil des ans avec nos partenaires africains et d’autres experts ; leçons qui ont été renforcées lors de mon récent voyage.
Se concentrer sur les problèmes les plus importants.
Les problèmes à résoudre ne manquent pas, mais certains devraient être traités en priorité. À titre d’exemple, sans santé, il ne peut y avoir d’opportunité. Les femmes ne devraient pas avoir à s’inquiéter de savoir si elles survivront à la grossesse et si leurs bébés survivront à l’enfance. Les gens devraient pouvoir s’attendre à ce que, lorsqu’ils se rendent dans une clinique de santé, celle-ci disposera de suffisamment de personnel et de fournitures pour assurer les soins. Tout le monde devrait avoir accès à des aliments sains, y compris des aliments de base enrichis en nutriments essentiels. Et les agriculteurs devraient disposer de tous les outils dont ils ont besoin pour s’adapter aux effets du changement climatique et ainsi produire la nourriture dont les Africains ont besoin.
C’est pourquoi notre fondation soutient des partenaires à travers l’Afrique qui s’efforcent à rendre les naissances plus sûres, à fournir des vaccins vitaux aux enfants, à accroître la productivité agricole et à rendre les aliments plus nutritifs. Les jeunes dépendent de ces éléments de base pour atteindre leur plein potentiel, et les pays en ont besoin pour se développer et prospérer.
Prioriser les interventions les plus efficaces.
Tout au long de ma visite, j’ai rencontré des Nigérians impressionnants qui travaillent sur des innovations qui peuvent offrir des résultats spectaculaires à un coût relativement faible. Ils m’ont rappelé que le progrès ne dépend pas uniquement de combien d’argent est dépensé. Il s’agit également de s’assurer qu’il est bien dépensé.
Par exemple, l’un des problèmes persistant au Nigéria est le taux élevé d’anémie chez les femmes enceintes. Ce problème peut provoquer une hémorragie pendant l’accouchement ou nuire au développement du cerveau des bébés. La recherche démontre que donner aux femmes enceintes un apport en fer par perfusion intraveineuse ; une action qui ne prend que quelques minutes et qui dure toute une grossesse, pourrait sauver des milliers de vies et protéger l’avenir de millions d’enfants. À Lagos, j’ai rencontré le professeur Bosede Afolabi, partenaire de notre fondation, alors qu’elle administrait ce traitement efficace ; et nous avons discuté des efforts visant à former davantage d’agents de santé à cette pratique dans l’ensemble du Nigéria.
L’amélioration des conditions d’accouchement est l’une des 12 interventions à fort impact et à faible coût que Bjorn Lomborg, un chercheur danois, souligne dans son captivant nouveau livre, « Best Things First ». M. Lomborg note également le potentiel de transformation de la productivité agricole. Ila constaté que dépenser 5,5 milliards de dollars supplémentaires par an en R&D agricole, produirait des bénéfices annuels de 184 milliards de dollars en réduisant la malnutrition, en aidant les agriculteurs à s’adapter au changement climatique et en abaissant les coûts alimentaires. Cela représente un rendement incroyable de 33 $ pour chaque dollar investi.
À Lagos, j’ai rencontré plusieurs scientifiques qui tiennent cette promesse, par le biais de solutions qui comprennent une variété de manioc à haut rendement, des outils numériques pour aider les agriculteurs du Nigéria et de la Tanzanie à gérer les conditions changeantes du sol, un produit pour protéger contre les aflatoxines mortelles et un engrais qui peut augmenter jusqu’à 45 % la productivité des cultures de soja à une fraction du coût des engrais traditionnels.
Amener des produits vitaux à tous ceux qui en ont besoin.
De façon similaire au professeur Afolabi et son travail sur un apport en fer par perfusion intraveineuse, ces agronomes ne se contentaient pas de créer des produits innovants ; ils menaient également une réflexion créative sur comment distribuer leurs produits et informer les agriculteurs à leur sujet, partout en Afrique. Cette volonté de mettre l’accent sur vouloir atteindre tout le monde est essentielle pour réduire les dramatiques écarts de résultats en matière de santé entre les zones rurales et urbaines, les riches et les pauvres, les hommes et les femmes.
Ces innovations incroyables et bien d’autres en cours de développement ont le potentiel de sauver beaucoup de vies et d’en améliorer encore plus, mais seulement si les développeurs et les concepteurs y travaillent de manière intentionnelle.
Il y a tellement de candidats intéressant pour les ressources d’un pays. Mais les interventions à fort impact qui touchent tout le monde devraient figurer en tête de liste des priorités. Je suis convaincu que les jeunes Africains ne seront pas seulement les bénéficiaires de ces efforts, ils les dirigeront. Tout au long de cette visite, j’ai été continuellement frappé par l’enthousiasme des jeunes Nigérians à vouloir faire une différence, et par les façons créatives dont ils exploitent la science et les technologies innovantes pour accélérer les progrès et améliorer les conditions de vie en Afrique. Les problèmes sont persistants, mais il en est de même des gens qui les résolvent.
Bill Gates est coprésident de la Fondation Bill & Melinda Gates.
PAR Gilles Yabi
LES ANNÉES PAGAILLE EN AFRIQUE DE L'OUEST
Ce à quoi nous assistons dans la région, c’est bien à un retour de la loi du plus fort. C’est la voie ouverte à à tous les abus. C’est aussi la voie ouverte à la course à l’enrichissement rapide, les périodes d’exception étant incertaines
Un coup de massue pour le Niger, pour le Sahel, pour l’Afrique de l’Ouest, pour le continent. Les nouvelles d’abord parcellaires et incertaines de Niamey me sont parvenues alors que je participais à Dar es Salaam à un événement sur le capital humain réunissant en plus de nombreux experts et délégués, une dizaine de chefs d’État ou de gouvernement, des vice-présidents et des ministres. Un sommet organisé par la Banque mondiale et le pays hôte, la Tanzanie, qui avait pour mantra « Investir dans les personnes ». Malheureusement, il a coïncidé à un jour près avec le sommet Afrique-Russie qui a mobilisé nombre de chefs d’État et d’attention médiatique.
Le président Mohamed Bazoum ne participait pas au sommet de Dar es Salaam, mais il y aurait eu toute sa place, ayant fait du développement du capital humain, et en particulier de l’éducation des filles, une priorité de son mandat. Il avait une conscience claire de la situation sécuritaire fragile de son pays et n’a jamais négligé les questions de sécurité et de défense, ancien ministre de l’Intérieur et des Affaires étrangères qu’il fut sous le président Mahamadou Issoufou. Mais Mohamed Bazoum connaissait aussi l’ampleur des faiblesses structurelles de son pays, même en comparaison avec les trois quarts des pays africains. Les indicateurs d’éducation, aussi bien en termes d’accès que de qualité des apprentissages, ou les indicateurs de nutrition, classent le Niger tout en bas des classements des pays africains.
HYPERPRÉSIDENTIALISME : ROMPRE AVEC L'HÉRITAGE COLONIAL
Sans une remise en question de l’omnipotence du président induit par l’hyper présidentialisme importé (hérité) et la promotion d’une gouvernance démocratique, nul espoir d’une véritable alternative politique
Nous venons d’échapper au Sénégal in extremis (espérons-le définitivement !!!) au syndrome de Bâsi. Cette maladie politique qui touche, selon le Professeur Djibril Samb, «certains chefs d’État africains, qui n’ayant pourtant exercé le pouvoir, au plus que quelques années, se découvrent subitement irremplaçables, comme s’il leur échappait qu’une telle disposition d’esprit, même feinte, apparaitrait saugrenue au regard du jugement le plus condescendant. » (in L’Afrique dans le temps du Monde, L’Harmattan, 2010 ).
Mais à peine sortis des convulsions politiques du troisième mandat, nous revoilà confrontés de nouveau à une énième tentative de réviser la Constitution du Sénégal en son article 87. Une révision qui vise à conférer de nouveaux pouvoirs au président pour dissoudre le Parlement, faisant ainsi courir de graves risques de dystrophie de notre système politique. De quelle légitimité, le cas échéant, un président en fin de mandat peut-il se draper pour dissoudre le Parlement ? C’est dans les tumultes de cette brûlante actualité qu’est publié l’ouvrage de Mamadou Sy Albert : « Comment sortir des crises du présidentialisme importé ? » (Ed. Moukat. Edition, 2023).
En effet, après plus de 60 ans d’indépendance formelle, le présidentialisme hérité, mettant en selle un père de la nation, gardien de la Constitution, clé de voûte de toutes les institutions, est la forme dominante de gouvernance politique en Afrique. Ce système a-t-il fait avancer les pays africains, en particulier notre pays, le Sénégal, dans la voie de la souveraineté recouvrée, du bien-être des populations, du progrès économique, de la stabilité politique et de la paix sociale ?
Le présidentialisme importé, un héritage politique du pouvoir colonial
L’exercice du pouvoir colonial consistait à dominer militairement le pays, à mettre de l’ordre, de la discipline, à assimiler les populations autochtones et à exploiter les ressources au profit de l’économie capitaliste coloniale. A cette fin, l’administration, l’école et l’armée servaient de leviers pour asseoir cette politique. La société était divisée : d’un côté les citoyens assimilés, qui habitent les agglomérations urbaines et de l’autre les indigènes, dans des zones rurales, pauvres, démunies et difficiles d’accès.
Le Pr. Abdoulaye Ly, dans sa brochure sur le présidentialisme néocolonial, publiée en 1983 aux Editions XAMLE, soutient fort justement la thèse de la filiation entre le système colonial et les nouveaux pouvoirs africains : « De l’asservissement par un pouvoir capitaliste mis en place dans le marché d’Outre-Mer conquis et soumis à un régime sous contrôle de l’État« dépendant » dominant l’espace national, rétrocédé par le même système au bénéfice d’un régime néocolonial à sa dévotion, il existe une continuité dans la soumission aux lois qui dominent le système mondial ».
Pourtant l’ambition proclamée de cet État africain post indépendance est de « bâtir une nation souveraine, en renforçant l’unité et la cohésion nationales, avec un État-Nation mis en place comme instrument au service des intérêts de la Nation souveraine ».
Mais ce nationalisme affiché est vivement contesté par A Ly (1983) car selon lui, « ce n’est qu’un protonationalisme ». L’indépendance formelle n’est en réalité qu’un transfert de compétences, une forme de délégation de pouvoir dans la continuité du système colonial. Il n’y a pas eu de rupture entre les deux périodes. Les nouvelles institutions n’ont rien à voir avec les aspirations des populations C’est pourquoi, explique-t-il, ce nouvel État « sera le lieu où va se cristalliser la nécessité de reproduire le capital à l’échelle internationale ; le lieu de diffusion des rapports marchands et capitalistes, nécessaires à la réalisation de la division internationale du travail ; le lieu par où transitera la violence nécessaire pour qu’elle se réalise, parce qu’il est l’élément et le moyen qui rendent possible une telle politique ».
Les Etats-nations, nouvellement indépendants, constituent en vérité, la périphérie, la partie dominée d’un ensemble qu’est l’économie mondiale capitaliste (Samir Amin).
Dans ce cadre, Mamadou Sy Albert relève : « sous le règne du pouvoir colonial et du présidentialisme importé, on assistera à une gouvernance non inclusive, souvent autoritariste et violente » (ibid.)
Donc le prolongement du modèle de gouvernance coloniale s’observe, en effet, dès l’aube des indépendances. Au Sénégal, c’est notamment à travers les tensions nées de la dissolution de la Fédération du Mali qui a accentué le processus de balkanisation de l’Afrique ; c’est aussi dans une approche fortement autoritaire que le transfert de la capitale de Saint-Louis à Dakar a été imposée, sans compter la violente répression de la grève des travailleurs en 1959.
Néanmoins, le bicéphalisme politique, une exception sénégalaise, a mis en scène deux figures historiques de l’indépendance (L. Senghor, président de la République et M. Dia, président du Conseil). Malgré toutes les ambiguïtés qu’elle a charriées en interne et à l’externe, cet attelage a permis de poser les prémisses, non d’une rupture avec le modèle colonial, mais des initiatives progressistes. Ainsi, en disposant de la gestion de la politique nationale et du pouvoir législatif, le président Dia a pu conduire des réformes intéressantes notamment en matière de développement rural en adoptant la fameuse circulaire 32 qui posait les jalons d’un affranchissement des populations rurales et le démantèlement de l’économie de traite dans
le secteur arachidier avec la promotion de coopératives autogérées et de centres d’expansion rurale. Dans le domaine éducatif, il a aussi tenté d’intégrer les daaras dans les dispositifs de la République à travers les écoles franco-arabes.
Cette vision réformiste du président Dia n’a pas pu franchir la ligne de l’État post indépendance en charge de poursuivre le projet d’assujettissement néocolonial. Dès 1963, au lendemain de l’éviction de Dia, note M. Sy Albert, « Senghor décide de procéder à une réforme constitutionnelle et le présidentialisme prend corps. Il contrôle les pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire et le parti-État» (ibid.)
Parti-État au service du capital international
Cette restauration du projet néocolonial se traduit par une reprise en main de tous les pouvoirs par le président. L’État n’est pas pure forme juridique ; il est toujours et partout au service d’intérêts implicites ou explicites que le droit formalise.
L’État présidentialiste tropicalisé au Sénégal est orienté à servir de manière décisive les intérêts du système capitaliste avec l’octroi de fortes subventions au capital. Le Code des investissements de 1962, les mesures d’incitation prises en faveur des entreprises industrielles et commerciales en 1969 et les avantages fiscaux exceptionnels en 1972 en sont une illustration, selon A. Ly (ibid.).
Cette grande générosité n’a pas manqué de choquer certains partenaires économiques, comme la Banque mondiale. A Ly (1983) rapporte que : « le gouvernement sénégalais n’a que très partiellement suivi les avis émanant, entre autres, de ses conseillers intérieurs (Conseil Economique et social) et extérieur (Banque Mondiale), concluait au caractère exagérément libéral de la politique d’incitation fiscale en faveur du capital financier. »
Cette politique de l’État interventionniste dans la production et les échanges n’est qu’une simple continuation des fonctions économiques de l’administration coloniale, elle-même, déjà état d’exception de l’État capitaliste, qu’il remplissait directement en plus de ses fonctions de domination politique et sociale. (Cf. J S CANALE. De la colonisation aux indépendances, 1972, Ed. Sociales).
La petite bourgeoisie de formation coloniale (la nouvelle classe politique africaine !!! ), selon A. Ly, arrive au pouvoir politique en héritant des structures, du personnel et des méthodes de l’État colonial. Etant coupée du pouvoir économique, elle entre en relation avec celui-ci et s’y investit par le truchement de l’Etat.
L’État offre alors la possibilité de contrôler les ressources, de tirer directement les rentes des activités commerciales basées sur les matières premières locales et permet d’octroyer des marchés notamment dans les infrastructures publiques et les équipements militaires.
Présidentialisme pyramidal
L’essence du présidentialisme tropicalisé (ou importé, selon M. A. Sy) est d’organiser l’exploitation des richesses nationales, la dépendance économique au système capitaliste, induisant forcément la domination politique des populations par la répression et par des institutions de contrôle et d’encadrement. Ces dernières peuvent revêtir des formes diverses qui évoluent en fonction des coups de boutoir des forces populaires obligeant à des réformes.
En réalité, le système du présidentialisme est comme une pyramide. Les satrapes au sommet (la classe politique) se donnent les moyens de contrôler à leur service les populations et les ressources (foncières, minières, minérales, pétrolières et gazières...). Cette classe politique perchée en haut de la pyramide a pour vocation, selon A Ly (1983), de « bloquer les contradictions nées de l’exploitation et de la domination néo coloniale. En d’autres termes, leur fonction est d’assurer la sécurité et la stabilité du système, la recherche de la soumission des populations subjuguées par l’État et le régime présidentialiste interposés.»
Le présidentialisme est l’instrument de la fusion des différents intérêts qui dominent le régime néocolonial à travers la gérance de l’État par la bourgeoisie bureaucratique, sous la houlette de l’impérialisme. « La caractéristique fondamentale des rapports du présidentialisme avec l’extérieur est en effet, poursuit-il, la dépendance tant au plan économique et financier qu’au plan politique. Dans son fonctionnement interne, la dépendance et la domination sont intimement liées et la dernière n’est en réalité qu’une manifestation et une modalité de la première. » ( A. Ly, ibid)
De quelques caractéristiques du présidentialisme importé
La principale caractéristique de ce dispositif politique porte sur l’hyper concentration du pouvoir autour de la personne du président. « Le présidentialisme produit par son mode d’organisation et de fonctionnement, l’inféodation de tous les leviers institutionnels et non institutionnels de la gouvernance, au pouvoir décisionnel illimité de fait du président de la République en exercice, d’où conclut-il, l’usage abusif et permanent des forces de sécurité et de défense » (Albert, ibid.).
Cette prépondérance du président n’est pas sans conséquence sur l’équilibre des pouvoirs. Elle entraîne inexorablement une dictature personnelle qui s’appuie sur un personnel nommé par voie discrétionnaire et par suite le règne de l’arbitraire. Au Sénégal, l’on a connu le saupoudrage des paysans au DDT, des tribunaux d’exception, des ukases interdisant l’entrée de certains ouvrages dits révolutionnaires, des condamnations pour faute d’orthographe (Siggi, Ceddo) des tortures dans les commissariats, sans compter les arrestations massives préventives à la veille d’événements politiques dits sensibles...).
Ce projet politique monopolistique pèse lourdement sur tous les autres pouvoirs et tend naturellement à la « paternalisation » des rapports institutionnels. Finalement, le président « devient, souligne l’auteur, un monstre capable de briser des carrières, des vies humaines, et des familles politiques » (Albert P 52).
C’est précisément le modèle de la présidence Bâsi, exposé par le Pr Djibril Samb : « les chefs d’État africains, même s’ils sont parvenus, par voie électorale au pouvoir, ils cherchent à capturer l’appareil d’Etat, à vassaliser toutes les institutions, à concentrer tous les pouvoirs entre leurs mains et celles de leurs familles, avant d’instituer une espèce de « royauté barbare » d’extraction tyrannique fondée sur le règne personnel ».
Ce système de gouvernance a très peu l’assentiment des citoyens qui le considèrent comme un corps étranger, très peu orienté à servir leurs intérêts. C’est d’ailleurs le diagnostic qu’établissent les Assises Nationales tenues en 2008 : « L’État reste encore une entité abstraite, extérieure à la société et vis-à-vis de laquelle on ne saurait avoir d’obligations. C’est parce qu’après l’indépendance, l’État qui a succédé à la formation coloniale a repris tout de l’État colonial : la forme, les pratiques, les usages et la culture administrative. » (Assises nationales, Ed L’Harmattan).
Crises du présidentialisme
Les crises sont consubstantielles au système présidentialiste importé. Il est source de multiplication des formes d’irrédentisme religieux, ethnique, régional voire de séparatisme en Casamance ou au Cameroun.
Une succession de coups d’État militaire qui, dans certains pays, débouchent sur le présidentialisme militaire, parfois applaudi aux premières heures de son avènement comme une libération avant de révéler les tares propres à ce système politique.
Un mode de gouvernance politique qui favorise et maintient un clivage social mettant face à face une poignée de privilégiés au sommet de la pyramide et une population démunie en bas de celle-ci. Il ne panse pas les béances de la colonisation entre une économie dite informelle au service des populations, principal lieu de création d’emplois et l’économie dite moderne au profit d’intérêts extérieurs et de compradores ; un système éducatif à caractère dual qui marginalise l’éducation traditionnelle et religieuse des daaras, excluant ainsi de nombreux jeunes de l’école de la République.
Malgré l’autoritarisme que ce système hérité (importé) manifeste et la crainte qu’il suscite, il n’a jamais emporté ni la reconnaissance ni l’adhésion de la majorité des populations. Le cœur de celles-ci est resté en faveur des structures traditionnelles et religieuses dans lesquelles elles s’identifient. Le défaut d’adhésion des citoyens se vérifie dans l’importance du taux de non-participation électorale ou le rapport encore distancié avec les institutions administratives d’état civil ou de fiscalité voire de justice.
De la résistance populaire passive, l’insubordination prend parfois une forme plus active, dans certaines couches sociales, notamment en milieu urbain, mettant en avant la revendication de droits économiques et sociaux et de libertés politiques, exigeant des réformes démocratiques. « Ces crises, note M. Sy Albert, se traduisent par des conflits ouverts et/ ou latents, par
des dysfonctionnements, par des défaillances structurelles de l’exercice du pouvoir » (Albert, ibid.).
Après la crise de 1962 et celle de 1963 (40 morts), le mouvement populaire de contestation ouverte du régime politique Parti-État en Mai 68 a ouvert une nouvelle ère politique. De l’ouverture démocratique en 1974 aux événements de 1988 et ceux de 2011 (contre la dévolution monarchique du pouvoir) à l’alternance de 2000 puis celle de 2012, les citoyens n’ont cessé d’exprimer leur défiance au système politique en place.
Défiance au système présidentialiste
A vrai dire, c’est sous l’éclairage des Assises Nationales (2008) que la perspective du rejet actif du système apparait non plus simplement comme une revendication d’une minorité de révolutionnaires d’avant-garde mais une exigence citoyenne, largement partagée. « On ne compte plus, informe M. Sy Albert (ibid.), le nombre de marches des populations des jeunes, des commerçants, des paysans interpellant directement le président de la République. Il en est de même des cris de détresse des populations réclamant l’accès à l’eau potable, à l’électricité, aux soins de santé publique et à l’éducation de base ».
Les manifestations d’insoumission citoyenne aux institutions de la République se multiplient dans toutes les couches sociales, y compris au cœur de l’appareil d’État (syndicalisme et implication politique de fonctionnaires des régies financières, démissions fracassantes de gendarmes et de magistrats ; révolte foncière à Ngor mettant directement en cause la gendarmerie nationale ! ).
Les émeutes répétitives (2021 et 2023) et de forte intensité par la violence, la durée et les nouvelles forces sociales impliquées et les cibles visées (édifices publics, commissariat, brigade de gendarmerie, municipalités...) sont un indice d’insubordination politique de larges franges des populations face à des institutions qui ne répondent pas à leurs aspirations.
C’est la légitimité de l’État présidentialiste qui est désormais à l’ordre du jour. Les formes de régulation par la transhumance et l’alternance contrôlée (apaisée, dit-on !) ne peuvent plus assurer sa conservation. Les fissures sont trop béantes : « Ceux d'en haut de la Pyramide ne peuvent plus assurer l’autorégulation du système et ceux d'en-bas ne veulent plus ce système et réclament un nouveau récit véritablement postcolonial. « Les acteurs politiques n’entretiennent plus des relations de confiance avec les populations » (Albert, ibid.)
Exigences de ruptures
« La crise de l’exercice du pouvoir présidentiel demeure une question fondamentale de la gouvernance » (Albert, ibid). C’est dire que le Sénégal est arrivé à un point de retournement pour reprendre le concept de Pierre Rosavallon sur la crise démocratique en France. L’exigence d’écrire un nouveau narratif politique de souveraineté nationale reconquise permettant des ruptures sur la base d’une nouvelle vision politique d’émancipation sociale et culturelle.
De l’État colonial, né avec le. Référendum de 1958, au présidentialisme civil ou militaire des Etats post indépendance, en passant par les programmes d’ajustement structurel (PAS), la dévaluation du F CFA et le multipartisme (décidé au Sommet de la Baule) jusqu’à la nouvelle mode des programmes d’émergence (PSE, pour le Sénégal), plusieurs pays africains ont enduré des séquences de politiques standardisées, normées et imposées par les institutions internationales et appliquées par les dirigeants politiques. La question posée et à résoudre, convoquée par Mamadou Sy Albert, est comment nous affranchir de ce système, qui a traversé deux alternances, en pensant par nous-mêmes et pour nous-mêmes nos politiques de développement et d’émancipation dans une souveraineté politique, économique culturelle et militaire assumée.
Conclusion : refondation des institutions
Rompre avec ce système bien ancré depuis plus de 60 ans, demande de puiser dans nos valeurs positives (par opposition aux contre valeurs de la culture d’accaparement et de patrimonialisation). Il ressort des travaux des Assisses nationales un appel à un renversement de la hiérarchie des valeurs en invoquant plutôt les principes et valeurs comme : (i) appropriation non privative du pouvoir politique, (ii) respect de la parole donnée, (iii) grandeur et dignité, (iv) solidarité, (v) parenté à plaisanterie, (vi) dialogue et palabre, etc.
Faire restituer le pouvoir au peuple, le seul souverain au service exclusif de qui doivent œuvrer les élus, ses serviteurs (les politiciens). Cela requiert :
La refondation des institutions de la République dans le but de les réconcilier avec l’ensemble des citoyens, en rompant avec le modèle colonial de l'hyper présidentialisme depuis le régime de Senghor, ce qui signifie des institutions capables de saisir et de servir avant tout les besoins de citoyens et impliqués, comme acteurs conscients de leur propre épanouissement.
Des solutions structurelles de renforcement des capacités productives et culturelles nationales pour répondre, en sur-priorité, au désœuvrement des jeunes, une véritable bombe sociale qui menace la sécurité nationale ; ce n’est plus une simple question sociale ou économique mais davantage une question de souveraineté nationale et de stabilité politique.
En effet, il est remarquable de noter le poids du nombre des jeunes dans la structure de la population sénégalaise : (i) plus de 4/5 de la population est composée de jeunes de moins de 35 ans, (ii) plus de 300 000 jeunes arrivent annuellement sur le marché du travail et moins du quart trouve une occupation, dans un contexte où l’économie informelle, éprouvée par le Covid, n’a plus le même potentiel d’absorption. Les perspectives tragiques de barça ou barzaq ou la tentation de l’extrémisme terroriste sont simplement insupportables pour notre jeunesse.
Le contexte de la prochaine élection présidentielle offre l’opportunité d’inscrire ces sujets majeurs et décisifs dans l’agenda des programmes des candidats. En effet, sans une remise en question de l’omnipotence du président induit par l’hyper présidentialisme importé (hérité) et la promotion d’une gouvernance démocratique, nul espoir d’une véritable alternative politique ouvrant le champ d’une souveraineté retrouvée et la voie de l’émancipation sociale.
par Yoro Dia
SÉNÉGAL : EXCEPTION DÉMOCRATIQUE, PRINTEMPS DES COUPS D'ÉTAT ET VAGUE POPULISTE
Trump a été soluble dans la democratie américaine et la vague populiste du parti Pastef le sera pour notre démocratie. Notre société ouverte est en face d’ennemis qui ont fomenté un grand complot pour le détruire
Le Sénégal a toujours été une exception démocratique en Afrique et le restera. Exception démocratique quand il demeura un ilot de démocratie et de multipartisme dans l’océan des dictatures et des partis uniques des indépendances bien avant la première vague démocratique issue des conférences nationales et de la conférence de la Baule. Le retour du Printemps des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest dont le pays est à l’abri grâce à l’alternance devenue sa respiration démocratique confirme ce statut d’exception.
Le Sénégal tient son rang et confirme son statut avec la décision du Président Sall de ne pas briguer un 3e mandat. En plus d’une longue expérience démocratique bientôt bicentenaire et qui remonte à la colonisation, les deux poumons de l’exception sénégalaise sont Senghor et Wade. Senghor pour n’avoir jamais répondu à l’appel des sirènes du parti unique qui était la règle sur le continent à l’ère de Bokassa, Idi Amin et autres Sékou Touré. Wade a été l’autre poumon pour avoir opté pour une opposition légale à l’époque des guérillas et autres luttes armées.
De la crise de 1962 opposant les deux têtes de l’Exécutif jusqu’à nos jours, l’Etat du Sénégal sera confronté à plusieurs crises et mutations politiques économiques et sociales mais comme le roseau, il plie souvent mais rompt pas mettant ainsi le pays à l’abri de tout changement anticonstitutionnel.
Avec le traumatisme de la crise de 1962, Senghor qui avait un bon prétexte pour basculer vers le parti unique ne le fera pas, alors que dans d’autres pays, on a pas eu besoin de prétexte pour l’instaurer. Ce régime parlementaire qui avait survécu au Sénégal alors qu’il avait disparu en France avec la Ve République, fut aussi un des marqueurs de l’Exception Sénégalaise.
Donc le Sénégal est une vielle democratie à l’image de la France et des Etats Unis. Trump a été soluble dans la democratie américaine et la vague populiste du parti Pastef le sera pour notre démocratie. Les grandes démocraties sont de temps en temps confrontées à cette forme de réminiscence de l’ere des furies mais elles finissent toujours par les dompter comme l’ont été les gilets jaunes ou l’ouragan Trump si et seulement si l’Etat est solide pour faire face et non pas faible comme la République de Weimar face aux Nazis ou l’Etat Italien face aux fascistes. Comme un être humain la démocratie a besoin de deux poumons (majorité et opposition) pour respirer. Il y a eu exception sénégalaise parce que Wade avait choisi une opposition légale quand les guérillas et les coups d’Etat à étaient à la mode.
Un des fondements de l’exception sénégalaise réside aussi dans notre culture électorale et démocratique plus bientôt bicentenaire donc bien avant les conférences nationales et la conférence de la Baule à la fin des années 1990. La nouveauté aujourd’hui dans notre vielle démocratie habituée à des oppositions légales, est d’avoir une opposition qui a choisi de s’exprimer avec des cocktails Molotov, par les incendies de bibliothèques, d’universités et d’édifices publics en lieu et place du classique débat d’idées.
La récente sortie de l’opposant Sonko sur France 24 disant que pour la Présidentielle de 2024, ce serait Lui ou le « chaos indescriptible » nous rappelle stratégie de Charles Taylor au Liberia qui avait comme discours de campagne « J’ai tué ton père, j’ai tué ta mère, votes pour moi si tu veux la paix ». En résume terroriser les populations pour que ces dernières mettent la pression sur l’Etat pour qu’il recule. Cette forme d’opposition est anachronique pour notre standard démocratique, on s’attendait à avoir un Clinton pour recentrer le débat sur l’économie mais a eu Charles Taylor. Pour la nouvelle opposition, la légalité n’est que le paravent d’un projet totalitaire. Un des cadres de Parti Pastef a reconnu que l’élection de Sonko à la Présidence n’est qu’une étape mais l’objectif ultime est l’instauration de l’islam salafiste, ce qui fait de ce parti un cheval de troie de l’Islam radical qui se propage comme un cancer en Afrique de l’Ouest. Le Sénégal est le dernier rempart mais doit faire face avec un cheval de troie en interne et des relais extérieurs comme Tariq Ramadan et les frères musulmans. Loin d’une dérive totalitaire, notre vielle démocratie est confrontée aux excès et aux faiblesses inhérents à tout système démocratique. Aux Etats Unis, cela a donné Donald Trump, et en France les gilets jaunes.
La seule différence est qu’aux Etats Unis, on pointe Trump du doigt accusateur pour les excès alors qu’au Sénégal on est victime, comme souvent le cas en Afrique, d’idées reçues dont l’avantage selon Flaubert est qu’on pas besoin de les démontrer. Au lieu de dénoncer l’anachronisme d’une opposition insurrectionnelle qui s’exprime avec des cocktails molotovs, par des incendies, et des appels au meurtre d’un Président démocratique élu, notre société civile dégénérée parce que partisane et une certaine presse internationale préfèrent la facilité qui consiste à transformer une victime ( Etat) en coupable. On se concentre sur les conséquences et on oublie les causes. Karl Popper ne savait pas si bien dire en parlant de la « société ouverte et ses ennemis ».
Aujourd’hui notre democratie, notre société ouverte est en face d’ennemis qui ont fomenté un grand complot pour le détruire. Donc il n’y a pas de tentation vers un régime totalitaire mais nous luttons contre une opposition qui a projet totalitaire et insurrectionnel et qui est devenue le cheval de Troie à fois des salafistes et un instrument de revanche des séparatistes qui ont transféré leur combat dans la capitale. Aujourd’hui le Sénégal est à la croisée des chemins. Nous sommes conscients que notre pays est le dernier verrou qui fait face au salafisme jihadiste. En Afrique de l’Ouest le Sénégal qui est un Etat Pivot ( pays stable avec une armée républicaine) est aujourd’hui la cible d’un grand complot. Ce complot qui encourage l’insurrection en interne vise à ternir notre image dans le monde est voué à l’échec.
Les alternances de 2000 et 2012 qui ont fini de prouver la fiabilité de notre système électoral et la qualité de notre administration capable de gérer une transition entre ère socialiste de 40 ans et celle libérale en dix jours en 2000 et 6 jours en 2012. Cette alliance hétéroclite qui va des salafistes au MFDC (mouvement des forces démocratiques de Casamance) cherche à détruire le modèle, l’exception sénégalaise, cette société ouverte qui est l’antithèse de leurs théories dont la principale est que la démocratie ne serait pas soluble dans l’Islam. Le Sénégal prouve le contraire mais aussi déconstruit aussi la thèse culturaliste qui veut qu’en Afrique multipartisme rime avec partis ethniques. Et c’est une torture pour eux que le Sénégal prouve le contraire tous les jours. Autant, le Sénégal a été le pionnier pour aller vers le multipartisme autant il le sera sur comment faire face à la vague populiste qui va souffler sur le continent comme la vague démocratique des années 1990. Le Sénégal, phare de la démocratie en Afrique tiendra son rang et se maintiendra contre vents et marées.
Yoro Dia est politologue, ministre, porte-parole et coordonnateur de la Communication de la présidence.
par Hamidou Anne
SONKO N'EST QUE LE SYMPTÔME D'UNE MALADIE SÉNÉGALAISE
Si le populisme marchait sur deux jambes, elles seraient l’obscurantisme et la précarité. Le leader du Pastef trouve en ces deux aspects un terreau fertile pour renforcer sa position
Il est indéniable que Ousmane Sonko incarne une réalité politique, matérialisée par son ascension fulgurante et les foules qu’il draine de même que la longueur de son arc de soutien qui va de militants engagés à des intellectuels et membres de la Société civile qui, bien que non encartés, le soutiennent envers et contre tout. Le vide laissé dans l’opposition par les appareils politiques classiques et le ralliement de Idrissa Seck à la majorité en 2020, ainsi que la volonté pour des milliers de Sénégalais d’avoir une alternative au régime de Macky Sall, à qui on prêtait des ambitions de briguer un troisième mandat, ont renforcé M. Sonko dans l’espace public.
M. Sonko est populaire au sein de couches précaires et notamment urbaines. Il incarne un espoir pour des milliers de jeunes dont le mal-être et l’absence de perspective génèrent une colère et poussent au ralliement à un discours démagogique rempli de recettes miracles et promettant solution à tout. Malgré la robustesse de la démocratie sénégalaise et les bons chiffres sur la croissance depuis une décennie, il y a un malaise observé chez les jeunes, liés notamment à la question du devenir. Les réalisations matérielles nombreuses ne cachent pas la défiance vis-à-vis des institutions républicaines et des symboles de l’Etat dont ils se disent exclus. Le saccage et les incendies de facultés à l’université de Dakar sont un exemple de l’horreur dont est capable une jeunesse dont les frustrations peuvent être captées et transformées en source de violence par des leaders politiques irresponsables.
Si le populisme marchait sur deux jambes, elles seraient l’obscurantisme et la précarité. Ousmane Sonko trouve en ces deux aspects un terreau fertile pour renforcer sa position et produire un discours politique qui, tout en agrégeant des soutiens massifs, ne recule pas pour autant devant la manipulation et la violence. Le propos guerrier, la critique du «système» et de ses représentants, l’excitation du sentiment antifrançais, la vulgarisation de questions complexes liées notamment aux ressources naturelles, l’outrance et l’outrage et le discrédit de toutes les institutions républicaines, constituent le socle politique de Ousmane Sonko.
Qu’un populiste dont l’imaginaire est issu des courants extrémistes puisse arriver à ce niveau de popularité et obtenir des soutiens de partis républicains et d’intellectuels progressistes sénégalais, devrait nous interroger non pas sur lui mais sur notre pays.
Les idées de M. Sonko ne peuvent prospérer que dans une société moralement et spirituellement effondrée. L’opposition républicaine a soutenu par calcul politicien toutes les dérives verbales et les appels à la violence du parti Pastef. Je n’ai pas vu un seul leader de cette opposition condamner les propos de M. Sonko du 5 juillet 2022, à Bignona, accusant Macky Sall de haïr les diolas (ethnie sénégalaise). Aucun leader de l’opposition n’a non plus dénoncé son appel au meurtre du président de la République lors d’un meeting en banlieue de Dakar le 22 janvier 2023. Aucune réaction non plus n’a été notée quand il a appelé à mobiliser 200 mille jeunes pour «déloger Macky Sall du Palais». Pour rappel, le parti de M. Sonko a appelé dans un communiqué du 1er juin, à l’issue de sa condamnation dans l’affaire Sweet Beauté, au coup d’Etat. Je n’ai pas vu une réaction dénonçant cet acte grave. Quand M. Sonko a traité Mlle Adji Sarr de «guenon victime d’Avc», seul un mouvement de jeunes féministes a dénoncé ces propos inqualifiables. Le reste a fait semblant de n’avoir rien entendu.
De nombreuses digues morales se sont affaissées par opportunisme ou par opposition extrême au sein de la classe politique, de la presse, des syndicats et de la Société civile. Ces corps, arbitres du jeu politique, ont failli car préférant les adhésions politiciennes camouflées à l’exigence de vérité et de responsabilité pour préserver l’intérêt général, la paix et la stabilité. Le personnel politique s’acharne dans chaque camp à défendre ses petits intérêts, mais la Société civile et la presse ne peuvent s’effondrer moralement au point de perdre une crédibilité qui leur permettait d’être à équidistance des appareils politiciens et d’être la voix de la raison dans un contexte de passion et d’excitation politique. Le mélange des genres est préjudiciable au renforcement de la démocratie et de l’‘Etat de Droit.
Le Sénégal est une démocratie dont les citoyens sont attachés à la transmission par les urnes du pouvoir politique. Mais partout les démocraties sont menacées par l’hiver populiste dont les ressorts sont difficiles à combattre, car ils puisent leur source des colères et utilisent le langage du Peuple. Le populisme instrumentalise les peurs et les aspirations du Peuple en convoquant le conspirationnisme et l’indexation de l’autre -ici la France- comme source des malheurs de notre pays.
Le populisme trouve un terreau fertile là où le politique fait face à une défiance croissante et ne parvient pas à satisfaire les préoccupations du plus grand nombre en luttant efficacement contre les inégalités dans la répartition des fruits de la richesse nationale créée. La corruption et la gestion indélicate des deniers publics par ceux qui gouvernent, justifient pour certains l’adhésion aux discours de M. Sonko, qui promet d’emprisonner les corrompus et de faire en sorte que les ressources sénégalaises servent aux Sénégalais.
Les procédés de Ousmane Sonko ont fait recette aux Etats-Unis avec Donald Trump, au Brésil avec Jair Bolsonaro, et peuvent arriver aux mêmes résultats si le combat culturel n’est pas mené pour lui opposer un discours radicalement républicain, afin de débusquer ses impostures et affabulations.
Je ne sais pas si M. Sonko arrivera ou non au pouvoir. Il n’est en vérité qu’un symptôme de quelque chose de plus grave, qui est relatif à un mal sénégalais et auquel il faut s’attaquer. Ce travail dépasse les mandats électoraux et concerne l’avenir du Sénégal désormais producteur d’hydrocarbures et situé dans une zone de tensions sécuritaires multiples. Notre pays ne peut faire face aux défis de l’extrémisme violent, des tentations illibérales, de l’islamisme politique qui monte chez les élites et de la défiance croissante vis-à-vis du politique sans inventer un nouveau pacte républicain. A côté des infrastructures, il nous faut propulser un imaginaire d’espérance dans un pays dont la jeunesse constitue l’écrasante majorité. C’est ainsi qu’on écrit un narratif dans lequel cette jeunesse s’inscrit pour s’éloigner de la manipulation et des aventures dangereuses.
La fenêtre 2021-2023 qui a vu des jeunes mourir sur la base d’instrumentalisation de conflits politiques, doit nourrir une réflexion et faire aboutir à de nouveaux consensus sur la République, la démocratie, la laïcité et le vivre-ensemble. Ce travail nécessitera des coalitions nouvelles, bâties non plus sur des logiques d’hier mais autour de nouveaux paradigmes qui appellent les républicains de toutes les rives à imaginer ensemble un nouveau projet démocratique, social et écologique. Ce projet devra faire de l’école et la culture des urgences, car elles constituent les plus puissants remparts contre le conspirationnisme, l’ignorance et le fanatisme, principaux ferments contre le péril populiste.
D’ici là, des évidences me semblent utiles d’être rappelées. On ne négocie pas avec un fasciste, on le combat. On ne négocie pas avec des gens qui convoquent la menace de la guerre civile s’ils n’arrivent pas à leurs fins politiciennes, on les combat. On ne négocie pas avec des individus qui ont usé des armes du séparatisme et de l’islamisme pour s’en prendre à la République, on les combat. Les politiciens peuvent changer au gré des circonstances, des alliances et des intérêts. Un républicain lui, s’honore en toutes circonstances de combattre le fascisme quoi qu’il lui en coûte. Je me moque de leurs insultes, calomnies et menaces que j’arbore fièrement comme des médailles. Je passe outre les «craintes» et «conseils» d’amis qui invitent à sacrifier mes convictions sur l’autel de calculs au cas où M. Sonko arriverait au pouvoir. A tous ceux-là, je dis ceci : je ne peux pas ne pas haïr ce que Ousmane Sonko et le parti Pastef représentent. Ce qui enrobe et nourrit leur identité politique, je me suis fait une promesse sacrée de le combattre toute ma vie. Seul, sans camp, sans alliés, je m’honorerai encore de défendre la République qui auprès de gens comme moi relève d’une mystique intuitive.
Post-Scriptum : Ici s’achève la troisième saison de «Traverses». Le retour de la chronique est prévu en septembre.