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23 novembre 2024
Opinions
DIOM WOURO BA
LE DRAME DE L’ÉMIGRATION IRRÉGULIÈRE : LES RAVAGES DE F.V.V.A.
Il est essentiel de disposer de statistiques fiables sur le rapport entre les migrants qui réussissent la traversée en Europe et en Amérique, d’une part, et, d’autre part, ceux qui perdent la vie en route ou sont refoulés dès leur arrivée.
F.V.V.A. est le sigle utilisé pour Femmes, Voitures, Villas, Argent, le titre d’un film réalisé par Moustapha Alassane, sorti en 1972. Dans cette production vieille de plus d’un demi siècle, le cinéaste nigérien alertait déjà sur la proportion de plus en plus inquiétante que prenaient le goût du lucre et de la jouissance ainsi que la quête effrénée de biens matériels dans les sociétés africaines modernes.
Les signes extérieurs répertoriés alors comme facteurs de réussite sociale restent d’actualité, renforcés par de nouveaux besoins tout aussi exigeants : le téléphone portable qu’il faut changer à la vitesse vertigineuse des progrès technologiques ; les mèches naturelles qui coûtent une fortune ; des vacances à Dubaï ; le bâtré (distribution ostentatoire de billets de banque) à l’occasion de cérémonies ; etc.
La mise en exergue de cette réalité sociologique vise à rappeler une dimension majeure de la pression qui pèse sur notre jeunesse, les nouveaux rêves concoctés par une société qui place la barre chaque jour un peu plus haut. L’aspiration aux nouveaux canons du bien-être et la volonté de prouver qu’on est à la hauteur, ont fini de transformer nos jeunes en aventuriers intrépides de la mer et du désert. Tels les lemmings des toundras, ils s’engagent dans des voyages qui, pour bon nombre d’entre eux, sont sans retour. Interrogez les survivants de ces tragédies, certains répondront sans ambages qu’ils ne regrettent rien et qu’ils repartiraient à la première occasion.
Quelles lecture et solutions face à ce drame qui vide notre pays d’une partie de ses forces vives ?
Il est essentiel de disposer de statistiques fiables sur le rapport entre les migrants qui réussissent la traversée et la pénétration en Europe et en Amérique, d’une part, et, d’autre part, ceux qui perdent la vie en route ou sont refoulés dès leur arrivée. Les médias s’appesantissent généralement sur les accidents et les « échecs ». Or, bien souvent, les candidats au départ ont des amis, des parents ou encore des voisins qui ont tenté l’aventure et sont arrivés à destination, sans trop de dommages. Mieux, ils sont des témoins oculaires de leurs réalisations au pays : les transferts d’argent ; la maison construite ; la voiture achetée ; en un mot, l’amélioration des conditions de vie des familles, la « réussite » tant espérée. Il va sans dire que pour cette catégorie de candidats, toute communication consistant à réduire l’émigration irrégulière à l’échec, voire à la mort, ne peut susciter que scepticisme.
Les statistiques en question devraient donner une idée de ce que deviennent ceux qui parviennent à « échapper ». Un aspect indissolublement lié à la question suivante : comment expliquer la relative porosité des frontières européennes et américaines concernées, si l’on sait que ce sont des centaines, voire des milliers, de migrants qui parviennent à passer entre les mailles des filets, en dépit des moyens technologiques énormes dont disposent les pays cibles (drones, satellites, …) ? La vérité est que la plupart de ces migrants, presque sans droit, en raison de leur vulnérabilité administrative, servent bien souvent de main d’œuvre bon marché à des chefs d’entreprise véreux. Dans des pays ayant des services de renseignement généralement compétents, il est difficile d’envisager que tout ce travail au noir puisse se faire à l’insu de l’Etat et de ses démembrements. Ce ne serait guère une vue de l’esprit de penser qu’une certaine administration décide de fermer les yeux pour booster la production locale. L’existence de réseaux de trafic humain est un secret de Polichinelle. Plus d’une fois, des films documentaires de grandes chaînes de télévision du Nord ont mis à nu l’emploi clandestin de milliers de migrants africains et asiatiques.
Ce qui précède exige de nos Etats une diplomatie efficace en matière de mobilité internationale de nos concitoyens. L’absence d’approche holistique du problème a fait que jusque-là toutes les solutions proposées ont échoué. Nul ne peut dénier aux pays cibles le droit et le devoir d’élaborer leurs propres politiques migratoires. De la même manière, ces pays auraient tort de penser que des barbelés et des contingents de policiers suffiraient à arrêter le phénomène. C’est dire que toutes les parties ont intérêt à jouer franc jeu, dans le cadre d’un partenariat mutuellement bénéfique : prise en compte des besoins respectifs ; mécanismes d’attribution de visas et de titres de séjour plus souples et respectueux de la dignité humaine ; mutualisation des moyens pour la surveillance des zones de départ.
Toutefois, il faut souligner que les solutions déterminantes ne peuvent être qu’endogènes et sont d’ordre économique et culturel. En effet, sans une économie dynamique, génératrice de richesses et d’emplois valorisants, il sera impossible d’empêcher les laissés-pour-compte de tenter leur chance ailleurs. Cela a été dit et répété : la pauvreté, le chômage, la déstructuration de secteurs d’activités telles que la pêche et l’agriculture, le pillage foncier, la faiblesse du tissu industriel, le taux élevé d’abandon et d’échec dans nos écoles, l’inadéquation entre la plupart des programmes de formation et les besoins du marché de l’emploi, le manque de vision et la corruption ont installé le pays tout entier dans la précarité. Une situation qui va de mal en pis, faisant disparaître les lueurs d’espoir et, avec elles, les rêves d’un avenir meilleur à domicile. Dès lors, certains ne voient qu’une issue : partir à tout prix, avec tous les risques que cela comporte. Au moment où nous écrivons ces lignes nous apprenons la découverte, au large des Mamelles, d’une pirogue en dérive, avec à son bord près de deux cents (200) corps en état de décomposition avancée.
Pour inverser cette tendance, il est urgent d’investir massivement dans l’éducation et la formation afin de doter nos jeunes de métiers pertinents dans les différents secteurs d’activités du pays. Cela doit aller de pair avec la création d’un environnement propice à la performance individuelle et collective dans des domaines tels que l’agriculture, l’élevage, la pêche, l’industrie, l’artisanat, le tourisme et les services.
Quant au volet culturel, il constitue le défi le plus important et le plus difficile à relever, car il s’agit de déconstruire un système de valeurs profondément ancré dans notre conscience collective : le culte de l’argent et des biens matériels ainsi que la fascination pour l’Occident, perçu comme un eldorado, en constituent les principaux piliers. Pour changer la donne, il faut entamer sans délai le travail titanesque de réinvention d’une autre culture, pas à pas, grâce à un système éducatif reformaté et impliquant tous les pans et outils existants : la famille, l’école réformée, les médias, le mouvement associatif et bien d’autres mécanismes. La finalité de cette entreprise est de donner un nouveau contenu aux notions de réussite et de richesse, d’exhorter à plus de sobriété et de restaurer l’espoir que l’on peut vivre heureux en restant au Sénégal. Un certain nombre de pays asiatiques ont réussi le pari de la fixation volontaire de leurs citoyens, grâce à des politiques de développement génératrices de bien-être pour le plus grand nombre.
En attendant, le plus urgent est d’arrêter l’hécatombe. Pour ce faire, l’Etat doit agir sans faiblesse, en alliant sensibilisation et sanction sévère des passeurs mais aussi des candidats. Réduire ces derniers à de simples victimes relève d’une démagogie destructrice.
Il va sans dire que le combat à mener a besoin d’un portage populaire : c’est la communauté tout entière qui doit se mobiliser pour mettre un terme à la tragédie qui frappe quotidiennement des dizaines de familles tout en vidant le pays d’une force de travail inestimable.
Par Zaynab SANGARÈ
SENEGAL, UN PEUPLE ABANDONNE PAR SES ELITES FACE A LA TRAGEDIE DE L'IMMIGRATION CLANDESTINE
Au Sénégal, une crise silencieuse et dévastatrice se joue au large des côtes atlantiques. Depuis plusieurs mois, l’immigration clandestine, motivée par le désespoir économique et social, prend des proportions dramatiques.
iGFM - (Dakar) Au Sénégal, une crise silencieuse et dévastatrice se joue au large des côtes atlantiques. Depuis plusieurs mois, l’immigration clandestine, motivée par le désespoir économique et social, prend des proportions dramatiques.
Les jeunes, souvent sans emploi, sans perspectives, et confrontés à une précarité croissante, se jettent à corps perdu dans des embarcations de fortune pour tenter de rejoindre l’Europe. Pourtant, dans ce contexte tragique, les réponses des élites politiques, de la société civile, des activistes, et même de la majorité des journalistes, se font attendre. Ce silence coupable les rend complices d’une catastrophe humanitaire qui ébranle les fondements mêmes du pays.
En ce 23 septembre 2024, une énième tragédie a frappé les côtes sénégalaises. Une pirogue surchargée, transportant des dizaines de migrants, a chaviré au large des Mamelles de Dakar. Les premiers secours ont découvert une scène macabre : des corps sans vie, des jeunes et des enfants, arrachés à la vie dans leur quête désespérée pour rejoindre l'Europe. Le bilan est encore incertain, mais déjà, le drame s’inscrit dans une série de naufrages qui ont endeuillé le Sénégal tout au long de l'année.
Pourtant, pendant que les familles pleurent leurs disparus, le gouvernement et la classe politique semblent avoir la tête ailleurs. Alors que les corps des victimes sont encore repêchés, les politiciens, eux, se concentrent sur les manœuvres électorales en vue des élections législatives du 17 novembre prochain. Les débats sont focalisés sur les stratégies de campagne, les alliances politiques et les calculs partisans, tandis que la mer continue d’engloutir ceux qu’ils devraient protéger.
Ce fossé entre les préoccupations de l’élite et les réalités du peuple sénégalais est criant. Le Sénégal, pris dans une crise migratoire qui coûte des vies, semble laissé à lui-même. Les acteurs politiques, pourtant élus pour représenter et défendre les citoyens, semblent avoir tourné le dos à cette tragédie nationale. Ce silence et cette inaction sont autant de preuves de la complicité tacite des élites face à une situation qui continue de se détériorer.
Un désespoir profond : le terreau fertile de l’émigration clandestine
Le Sénégal, pays souvent vanté pour sa stabilité politique en Afrique de l’Ouest, se retrouve aujourd’hui pris dans un engrenage social et économique dévastateur. Les jeunes, qui constituent plus de 60% de la population, sont au cœur de cette crise. Le manque d'opportunités, la dégradation des conditions de vie, et l'échec des politiques publiques en matière d'emploi et d'inclusion sociale nourrissent un sentiment de désespoir généralisé. Entre mars et septembre 2024, plusieurs milliers de Sénégalais ont tenté la traversée périlleuse vers l’Europe, via les côtes marocaines, mauritaniennes, ou directement les îles Canaries.
À Dakar, dans des quartiers populaires comme Parcelles Assainies, Ouakam ou encore Pikine, les récits de jeunes disparus en mer deviennent monnaie courante. Au-delà de la capitale, les localités côtières comme Mbour, Saint-Louis, et Joal sont des points de départ privilégiés pour les pirogues clandestines. « C’est une question de survie », confie un jeune pêcheur de Joal. « Ici, les perspectives sont nulles. Partir est notre seul espoir. »
En avril 2024, un reportage révélait déjà l’ampleur du désespoir des jeunes Sénégalais. La majorité d'entre eux affirmaient que le gouvernement n’avait pas tenu ses promesses, malgré les récentes élections et les espoirs de renouveau qu’elles avaient suscités. « Quatre mois suffisent pour voir la direction que prend le pays », affirmait un groupe de jeunes interrogés. Leurs discours, empreints de déception, montraient clairement une perte de confiance vis-à-vis des autorités.
La montée des drames maritimes : un cycle infernal
Les tragédies s'accumulent. Le 16 août 2024, une pirogue chavire à Keur Marieme Mbengue, transportant à son bord des bébés et des femmes enceintes. Le 20 août, 196 migrants, après six jours en mer, débarquent aux Îles Canaries. Les récits des survivants sont glaçants : des conditions de navigation déplorables, un manque cruel de nourriture et d’eau, et des situations sanitaires effroyables.
Le 11 septembre 2024, une autre catastrophe frappe les côtes sénégalaises. Un bateau transportant plus de 125 personnes fait naufrage au large de Mbour. Les chances de retrouver des survivants sont quasi nulles. Le président Bassirou Diomaye Faye s’est rendu sur place, mais sa réponse se limitait à l’annonce d’une traque des passeurs via un numéro vert. Une initiative largement perçue comme insuffisante par les familles des victimes, qui réclament des actions plus concrètes et des mesures d’accompagnement pour les jeunes tentés par l’émigration.
Cette même semaine, une autre pirogue remplie de corps sans vie a été découverte au large des Mamelles de Dakar. Ce sont des histoires comme celle-ci qui ponctuent l’actualité au Sénégal, alors que les départs se multiplient, au nez et à la barbe des autorités.
La marine nationale : seule au front
Face à cette hémorragie humaine, la marine nationale sénégalaise est en première ligne. Entre mars et septembre 2024, elle a intercepté 4 198 migrants à bord de 29 pirogues. Parmi eux, des mineurs, des femmes enceintes, et des familles entières fuyant le désespoir. L’opération «Jokko Rek», lancée par les autorités, a permis d’interpeller 690 migrants lors de grands événements nationaux comme le Magal de Touba.
Les forces navales sénégalaises multiplient les patrouilles dans les eaux troubles de l’Atlantique, mais malgré ces efforts, elles ne peuvent pas stopper l’afflux incessant de migrants. Chaque pirogue interceptée est immédiatement remplacée par une autre, gonflée par l’espoir d’une vie meilleure en Europe. En septembre 2024, deux embarcations transportant au total 421 personnes, dont 20 enfants, ont été interceptées au large de Mbour. Des opérations de ce genre se répètent à un rythme alarmant, mettant en lumière l’ampleur du phénomène.
Malgré les moyens déployés par la marine nationale, la lutte contre l’immigration clandestine ressemble de plus en plus à une bataille perdue d’avance. Les moyens sont insuffisants, et la réponse des autorités reste trop limitée pour freiner un tel exode. Le soutien à la marine, en termes de matériel et de logistique, devient une priorité urgente. La situation exige une réponse nationale coordonnée, incluant des mesures préventives pour offrir aux jeunes des alternatives crédibles à l'émigration.
Silence assourdissant des élites et médias : une complicité tacite
Dans cette tragédie nationale, le silence des élites politiques, des activistes, de la société civile et des journalistes est profondément troublant. Les politiciens, habituellement bruyants sur des sujets de moindre importance, semblent ignorer la gravité de la situation. À l'Assemblée nationale, les débats se concentrent sur des questions politiciennes, tandis que des familles pleurent leurs enfants disparus dans les vagues.
Les journalistes, eux, semblent davantage préoccupés par l’actualité politique et les rivalités entre factions. Les reportages sur les naufrages de pirogues, bien que réguliers, ne parviennent pas à créer le choc nécessaire pour pousser à une mobilisation nationale. Le rôle des activistes, souvent prompts à s'indigner face à l'injustice, se fait étrangement discret. Le peuple sénégalais, dans ses quartiers populaires, ressent ce silence comme une trahison.
Un appel à l'action : renforcer les moyens et offrir des alternatives
Il est clair que les solutions répressives seules ne suffiront pas. La traque des passeurs est certes nécessaire, mais elle doit s’accompagner de mesures d’ordre économique et social pour empêcher les jeunes de se jeter à l’eau. L'État doit investir massivement dans l'éducation, la formation professionnelle, et la création d'emplois pour les jeunes. L’ouverture de perspectives viables dans les régions les plus touchées par l’immigration est une priorité pour éviter que cette vague de départs ne devienne incontrôlable.
Le renforcement des moyens de la marine nationale est également crucial. Les patrouilles doivent être mieux équipées, et une coopération renforcée avec les pays voisins, comme la Mauritanie et le Maroc, est indispensable pour lutter contre les réseaux de passeurs qui prospèrent sur la misère des populations. Mais surtout, il faut une prise de conscience nationale. Le silence des élites et des médias doit cesser. Il est temps pour les dirigeants, les activistes, les journalistes, et la société civile de prendre leurs responsabilités et de s’unir pour sauver ce qui peut encore l’être.
Une nation à un tournant
Le Sénégal est à un tournant historique. La crise migratoire qui secoue ses côtes est un signal d'alarme qu’il ne peut plus ignorer. Les jeunes, qui devraient être le futur du pays, se noient dans des eaux inhospitalières où ils se retrouvent coincés dans des camps de détention en Europe. Leur sacrifice ne peut plus rester sans réponse. La nation entière doit se lever pour offrir à sa jeunesse une alternative au désespoir, pour que les pirogues ne soient plus synonymes de mort, mais que l’avenir au Sénégal devienne une promesse de vie meilleure.
Par Abdou Khadre GAYE
REE BA TAS
Une fresque à mourir de rire ou de pleur, l’actualité commentée par les passagers d’un car rapide
Une fresque à mourir de rire ou de pleur, L’actualité commentée par les passagers d’un car rapide
Dans un car de transport en commun, l’autre jour, j’ai surpris une conversation devenue récurrente : les passagers s’entretenaient sur les dérives du nouveau pouvoir. Rien n’a été oublié : ni le bavardage assommant de Sonko, ni la complaisance de Diomaye envers son Pm, ni l’amateurisme, ni la duplicité, ni l’arrogance… Un jeune passager qui réclamait avec force son «ex-patriotisme» s’esclaffa : «Sonko ak porojem, dangay ree ba tas !», c’est-àdire : «Sonko et son projet, c’est à mourir de rire !» Il ajouta, en se mordant les lèvres : «Dafa jaar sunu kaw, wallaay !» (Il nous a roulés dans la farine, hélas !) Les éclats de rire, alors, comme une bouffée d’air pur, déchargeant les poitrines de l’amertume, soulageant les cœurs des déceptions et rancœurs, emplirent le véhicule bringuebalant, en une musique à nulle autre pareille. Je me contentai d’un sourire minuscule, semblable à une grimace : j’étais rempli du mal de mon pays, de la souffrance de mon Peuple. Je pensai aux jeunes fuyant le terroir, comme des rats quittant un navire menacé de naufrage, aux chefs de famille croulant sous le poids de leur impossible charge, aux malades agonisants dans les hôpitaux délaissés, aux étudiants désespérés, aux enfants de la rue pieds nus sur le chaud goudron, aux marchands ambulants indésirables, à l’insécurité ambiante, au laisser-aller, au laisser-faire, au je-m’en-foutisme…
Le car traînaillait sur les routes embouteillées de la capitale. La conversation battait son plein : on rit du «Projet fantôme» partout évoqué, toujours invisible, on rit des postures incroyables du «Pm et son Pr». On rit des invites au civisme, à la citoyenneté et au respect des institutions de ceux-là qui ont appelé à la casse et à la désobéissance civile, non sans faire le tour de chapelet des reniements, au moyen de Var bien croustillants. On rit du népotisme du ministre de la Santé se vantant de ne considérer que les Cv des militants de son parti. On rit des déclarations burlesques et autres trébuchements langagiers, à l’image de la ministre de l’Intégration africaine et des affaires étrangères qui «mange du pain» en montrant «comment l’intégration africaine et les affaires étrangères se marient». On rit de «la chèvre de Rouba» appelant d’un bêlement pathétique le châtiment sur Macky et son bilan dont elle est comptable, à plusieurs titres…
Lorsque le nom de Cheikh Omar Diagne fut évoqué, on arrêta de se marrer : ce fut une explosion de colère contre le traqueur de signes maçonniques, grand fabulateur et insulteur des chefs de confrérie. Et l’on traita de tous les noms d’oiseaux «le promoteur de la mosquée du palais de la République», adepte de la loi du talion, qui appelait les manifestants à «tuer les policiers», «comme ceux-ci les tuent», et qui ne supporte pas de croiser dans la rue «certains citoyens». La colère se dissipa, cédant la place au rire, lorsqu’une dame demanda sur un ton enjoué : «Waaw mane : bii nawet nawetu kan la ?»
(Je demande : à qui donc appartient cet hivernage ?) Une autre, d’une voix encore plus enjouée : «Jël Brt ak Ter, jël salaire, jël caisse noire, naan nawet bi du sunu nawet !» (Tu ne peux pas t’approprier le Brt, le Tet et les budgets, et ne pas être responsable des dégâts causés par l’hivernage !).
Sourd aux rigolades, je pensai à la ruine morale qui règne dans mon pays et qui s’est si tristement manifestée à l’occasion du Gamou 2024, transformant maintes manifestations religieuses en soirée de gala ou en concert de vulgarités, dont les vagues nauséabondes éclaboussent, aujourd’hui encore, notre quotidien, via les réseaux sociaux. Je pensai à la régression culturelle, intellectuelle et spirituelle qui frappe mon Peuple, ainsi qu’à l’image du Sénégal perdant de l’éclat et partout chahutée, surtout par les activistes africains, ex-soutiens du parti Pastef. Je pensai à l’épée de Damoclès sur la presse et les dignitaires de l’ancien régime. Je pensai aux interdictions illégales de sortie du territoire, aux emprisonnements répétitifs pour délits d’opinion, touchant notamment : Bah Diakhaté, imam Ndao, commissaire Keïta...
On évoqua la marche interdite de Massalikoul Djinane à Colobane, la colère de la communauté mouride et les larmes de Akassa Samb qui a tant défendu le Pros. On évoqua l’ire de Serigne Moustapha Sy contre Sonko, non sans rappeler la fameuse lettre ouverte de Abbé André Latyr Ndiaye intitulée : «Conseils à un jeune politicien nouvellement promu à un haut poste de responsabilité», où l’on peut lire à l’adresse du Pm : «Changez votre rhétorique de guerre sinon elle risque de vous perdre !» On évoqua le «protocole du Cap Manuel», épiloguant sur la transaction et le complot sur le dos du Peuple.
On évoqua l’éclipse de Idy, l’effacement de Khalifa, la Nouvelle Responsabilité de Amadou Ba si timide, Decroix et Kama si accommodants… On évoqua la mollesse de Karim qui veut contrôler le Pds depuis Dubaï et gagner sans descendre sur le terrain…
Et la pugnacité de Bougane et Bocoum, l’intelligence politique de Barth’, le courage de Anta Babacar…
«Mimi a raison : qui dit nouvelle responsabilité doit aussi dire ancienne responsabilité !», «Le problème est qu’elle accuse en se dédouanant ! Or elle est comptable des dérives qu’elle dénonce ! Et celui qu’elle pointe du doigt est le chef de l’opposition !», «Le chef de l’opposition est trop timide !», «Il n’est pas timide, il est poli !», «Il n’est pas poli, il est trop poli. Et trop poli = timide !», «Bougane lui est un vrai «gatsagatseur» ! Il est la copie conforme de Sonko ! Il ne laisse rien passer !», «C’est peut-être pourquoi les pastéfiens le craignent tant !», «L’épine dans le pied de Barth’, c’est l’affaire Ndiaga Diouf, hélas !», «Mais il sait se battre, Barth’, contrairement à Karim !», «Karim n’a pas le courage de son père !», «Moi, j’ai la nostalgie de Macky et Marième !», «Dites : où donc se cache El Hadj Diouf ?», «Il est encore sous le choc de la défaite ! Il a le vertige ! Il voit trouble !», «C’est toute l’opposition traditionnelle qui est groggy, d’où sa grande frilosité !», «Sonko est un puncheur !Il estle Cassius Clay du ring politique sénégalais !», «Ce pays a besoin d’un bâtisseur, pas d’un boxeur !», «Ah ! Un sphinx renaît toujours de ses cendres ! Les vieilles marmites cuisinent les meilleurs plats !», «En tout cas, le Pm doit laisser tranquille les voiles des collégiennes, les traques politiciennes et s’occuper de l’huile, du riz et du sucre !», «S’il n’arrête pas de frapper sur tout ce qui bouge, il finira par se mettre KO lui même, tout comme ce lutteur qui s’est assommé avec son propre canari d’eau bénite !», «J’aime Diomaye : il est poli, posé, poupin ! Il s’habille tellement bien ! Ses épouses sont tellement belles ! Il a l’air tellement vulnérable avec un regard innocent, zieutant si adorablement à droite, à gauche, en haut, en bas !», «Et patati !
Et patata ! Et tralala ! Diomaye est un trompeur !Il est plus dangereux que Sonko ! Tout le monde a vu son jeu avec l’Assemblée !»… «Dites : que pensez-vous des élections législatives à venir ?», «Sonko gagnera : le vent du changement balayera tout sur son passage !», «Mais le vent du changement a changé de cap :l’opposition l’emportera largement !», «En attendant, l’Atel a du pain sur la planche !», «Surtout que, surtout que -mais buma kenn yoole nak (que personne ne me dénonce)-, surtout que la chasse aux sorcières a commencé en même temps que les opérations électorales. N’est-ce pas bizarre ?», «Très bizarre !»…
Un jeune dit au revoir au groupe en imitant le salut militaire de Coura Macky et son anglais approximatif, un autre en déclarant : «Sonko ! Sonko ! Bayyi leen doomu jambur, bu leen ko lekk !» (Toujours Sonko ! Laissez-le tranquille, ne le mangez pas !) Réponse : «Dunu ko lekk, danu koy daggat daggatee ! Danu koy firiir !» (On ne le mangera pas, on le tranchera seulement ! On le fera griller à l’huile chaude !) Un troisième s’en alla, en criant : «J’emporte l’urne, il n’y aura pas d’élection !»...
Choc retentissant, sursaut collectif, cris stridents : un jakartaman et sa moto, heurtés par un taxi, se roulaient sur l’asphalte cuisant du soleil de midi…
Le débat changea de cours. On commenta l’accident. On parla de sécurité routière… Lorsque le car de transport en commun se gara sur ma demande, la discussion portait sur le dernier rapport du Fmi et sur les nuages lourds de menaces dans le ciel sénégalais… Je songeais : «Si nos acteurs politiques pouvaient de temps en temps voyager dans les cars rapides…»
Par Madiambal DIAGNE
SONKO-DIOMAYE, LA STRATÉGIE DU CHAOS
Le gouvernement travaille à rendre difficile, voire impossible la participation de l’opposition aux législatives. Il y a de bonnes raisons d’avoir peur pour l’avenir de ce pays et pour son système démocratique
Les élections législatives du 30 juillet 2017 avaient été les plus chaotiques de tous les scrutins de la longue histoire électorale du Sénégal. Les services du ministère de l’Intérieur, dirigé alors par un certain Abdoulaye Daouda Diallo, étaient débordés par l’ampleur de la tâche. En effet, 47 listes avaient été en compétition. On peut cependant dire que les organisateurs du scrutin avaient eu toute la latitude de préparer ces élections législatives de 2017, dans une certaine sérénité, conformément aux conditions régulières prévues par la loi électorale. Mieux, le scrutin, qui avait été fixé dans un premier temps au 2 juillet 2017, a été repoussé au 30 juillet 2017. En effet, suite à une concertation avec la classe politique, le président Macky Sall avait pris un décret, du 18 janvier 2017, pour fixer la nouvelle date, afin d’éviter que la campagne électorale ne se déroulât au courant de la période de Ramadan. C’est dire que le gouvernement avait eu plus de sept mois pour organiser lesdites élections.
La fatale catastrophe du 17 novembre 2024
C’est en tirant les leçons du scrutin de 2017 qu’il avait été décidé de mettre en place le système de parrainage, un filtre devenu désormais nécessaire pour les élections nationales. De ce fait, seules huit listes avaient pu être en compétition pour les élections législatives suivantes, du 31 juillet 2022. Force est de dire que c’est écrit sur le destin des élections législatives anticipées du 17 novembre prochain qu’elles seront catastrophiques, et pour cause !
Le système du parrainage est supprimé et on note déjà la floraison de listes de candidats. Qui ne se rappelle pas qu’à la présidentielle de 2024, le système du parrainage avait empêché plus de 200 candidatures ? Et on voit déjà des centaines de listes de candidatures s’annoncer pour les élections législatives à venir. Dans quelles conditions se déroulera alors le scrutin ? Quelles seront les aptitudes et compétences des nouvelles autorités gouvernementales et administratives pour tirer leur épingle du jeu ? Elles sont, pour la plupart, novices dans l’organisation matérielle d’un scrutin national. Le nouveau ministre de l’Intérieur, le Général Jean-Baptiste Tine, ne pourra pas compter sur des collaborateurs expérimentés ; ils se retrouvent tous à devoir organiser le premier scrutin de leur carrière. Il s’y ajoute qu’ils vont manquer cruellement de temps pour satisfaire aux diligences nécessaires. Pour les préparatifs de ce scrutin, les délais sont comprimés, dans une bien courte période de deux mois.
En outre, le Sénégal ne dispose pas de la logistique nécessaire pour fabriquer par exemple des centaines de millions d’imprimés électoraux nécessaires pour satisfaire des centaines de listes en compétition. Il faudrait tirer au moins sept millions de bulletins pour chaque liste. L’ensemble des imprimeurs de la place, même réquisitionnés par l’Etat, ne sont guère outillés pour réaliser un tel travail, dans un temps impossible, encore que les stocks de papier n’existent pas sur le marché. Faudrait-il passer des commandes, en urgence, de papier d’imprimerie et autres matériels électoraux et, ou faire réaliser certains travaux à l’étranger ? Dans quelles conditions ? Et, le cas échéant, rien ne garantirait des livraisons dans les délais. Encore une fois, en 2017, des imprimés et autres matériels électoraux avaient été livrés de justesse et même pas en quantité suffisante ! Il s’avère alors nécessaire d’engager des concertations avec les acteurs politiques, si tant est que le gouvernement souhaiterait tenir le scrutin dans des conditions acceptables. Peut-être aussi que les délais serrés pour le dépôt des candidatures empêcheront des listes en veux tu en voilà !
Le gouvernement travaille à provoquer le boycott du scrutin par l’opposition
Il faut bien le dire, le gouvernement travaille à rendre difficile, voire impossible la participation de l’opposition au scrutin. Le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko ont dissimulé toutes les informations et tous les actes préparatoires du scrutin, alors qu’il vient de se révéler qu’ils travaillaient sur la tenue du scrutin depuis le 10 juillet 2024, date à laquelle le Conseil constitutionnel, sollicité par le président de la République, leur avait donné un avis relativement à la tenue des élections anticipées. Cet avis se trouve, jusqu’à la semaine dernière, caché au grand public. Cette démarche, qui consacre ce que le journal Walfadjri a appelé, dans son édition de ce samedi 21 septembre 2024, un «délit d’initié», manque de fair-play et dénote d’une absence de scrupule. Le camp politique au pouvoir a pris une bonne avance sur ses concurrents potentiels.
Le président Faye a imposé ainsi aux autres acteurs de confectionner des listes de candidatures dans un délai de dix jours ; alors que tout porte à croire que le parti Pastef au pouvoir avait déjà pris les devants pour faire en catimini ses investitures et préparer les dossiers administratifs de ses éventuels candidats. Un rush des candidats de l’opposition pour chercher des documents administratifs dans les services des greffes et de l’état-civil s’opère dans des conditions inadéquates. Les formations politiques de l’opposition étaient dans l’ignorance totale et ces délais étriqués ne leur laissent pas de temps pour discuter d’alliances électorales. Tout est donc organisé à la défaveur des acteurs de l’opposition ou à leur détriment. Il y a alors une rupture manifeste de l’égalité des candidats et cette situation devrait interpeller le juge électoral, le Conseil constitutionnel.
Plus grave, de nombreux responsables politiques de l’opposition font l’objet de harcèlements, d’ostracisme, d’actes d’intimidation et de menaces publiques, jusqu’à des convocations et des arrestations, dans le but évident de les empêcher de se consacrer à préparer leur participation au scrutin. De toute façon, cette démarche, on ne peut plus déloyale, a été annoncée et assumée publiquement par des responsables du pouvoir, Ousmane Sonko au premier chef. L’opposition, regroupée dans le cadre de l’Alliance pour la transparence des élections législatives (Atel), montée au plus pressé, va-t-elle céder à ces provocations pour se résoudre à refuser de participer au scrutin ? Ce serait une erreur fatale. Ousmane Sonko qui, de plus en plus, appréhende l’issue de ce scrutin, serait fort heureux de voir l’opposition boycotter ces élections législatives. Il n’aura aucun scrupule à les tenir, avec quelques faire-valoir, et remporter une confortable majorité qu’il aura de la peine à obtenir, en cas d’une participation effective de listes de l’opposition qui se seront assez mobilisées.
L’impopularité du président Faye et de son Premier ministre est perceptible. Ils sont rattrapés par leur gestion difficile du pouvoir. L’incompétence du gouvernement et les déclarations polémiques et irresponsables installent un désamour assez prématuré, après seulement six mois de pouvoir du tandem Diomaye-Sonko. Des votes sanctions sont également redoutés dans le camp de Pastef, et la Coalition Diomaye Président a fini de voler en éclats. Le risque est réel pour leur régime d’essuyer une déconvenue électorale et qu’ils se retrouvent obligés de vivre une forme de «cohabitation avec l’opposition». La perspective les inquiète grandement et cela risque de constituer une pesante menace pour les élections législatives du 17 novembre 2024. Vont-ils se résoudre à annuler le scrutin pour s’épargner une défaite ? C’est un truisme que de dire que Ousmane Sonko en est bien capable. La porte sera alors grande ouverte au chaos.
La dictature arrive à grands pas
Il y a de bonnes raisons d’avoir peur pour l’avenir de ce pays, et pour son système démocratique. Ousmane Sonko est un autocrate dans l’âme et ne souffre de contradiction ou d’opposition. Au grand dam de la stabilité du pays, il a ainsi entraîné le président Bassirou Diomaye Faye dans une spirale de la violence politique, par la rhétorique et les actes de manipulation des institutions. Le souci de ménager le confort personnel de Ousmane Sonko, qui a refusé de satisfaire à l’exigence constitutionnelle de procéder à une Déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale, a provoqué un chamboulement institutionnel jamais connu. C’est ainsi que les querelles, qu’il a engagées inopportunément avec les députés de l’opposition, ont eu pour conséquences des représailles disloquant les institutions publiques.
Le Premier ministre a poussé le chef de l’Etat à fouler aux pieds sa dignité de président de la République. Bassirou Diomaye Faye a osé avouer, dans un message à la Nation du 12 septembre 2024, visiblement enregistré dans une situation de contrainte psychologique, avoir délibérément floué l’Assemblée nationale. Il a trompé la Représentation nationale en lui faisant croire que le Premier ministre fera sa Déclaration de politique générale le 13 septembre 2024. Puisqu’un crime n’est jamais parfait, Ousseynou Ly, le conseiller en communication du Président Faye, révélera que l’adresse à la Nation avait été enregistrée des jours auparavant. On s’en doutait déjà ! Mon Dieu, le chef de l’Etat a-t-il pris la mesure d’un tel acte pour son image et son honorabilité ? Véritablement, Ousmane Sonko a obtenu ce qu’il voulait, à savoir le scalp de l’Assemblée nationale, celui du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et celui du Haut-conseil des collectivités territoriales (Hcct). Pour autant, qu’est-ce que cela a pu coûter à Bassirou Diomaye Faye et à la respectabilité de l’institution présidentielle ? Il faut le dire, l’acte qu’il a osé n’est point de l’audace ou de la ruse politique, c’est de la forfaiture, une désacralisation de la signature du président de la République.
L’ultime foulée de la cavalcade a été donc cette dissolution dolosive de l’Assemblée nationale, dans un contexte crucial pour la mise en œuvre de diligences indispensables à la bonne marche de l’Etat. Le gouvernement n’en a cure de n’avoir pas corrigé le budget 2024 par une Loi de finances rectificative ou encore qu’il prenne avec légèreté le pari d’aller à l’année 2025 sans un budget de l’Etat, adopté dans les formes régulières. Les conséquences seront dramatiques pour les finances publiques et l’économie du pays. (Voir notre chronique du 9 septembre 2024). Il restera que le comble des catastrophes qui guettent le Sénégal sera que, si pour une raison ou pour une autre, les élections législatives n’arrivaient pas à se tenir à la date prévue, le Sénégal vivra alors sans une Assemblée nationale et sans aucune institution, autre que le gouvernement. Aucun contrôle de l’action gouvernementale ne sera assuré et dans ces conditions, le président de la République s’autorisera allègrement à prendre des actes réglementaires pour des questions relevant du domaine de la loi. Il l’a d’ailleurs commencé, depuis la dissolution de l’Assemblée nationale.
Il a fixé, par décret, les délais de dépôt des listes de candidatures, alors qu’une telle formalité relève du domaine législatif. Il a mis de côté le Code électoral. On dira que son prédécesseur Macky Sall s’était aventuré à vouloir fixer par décret des questions d’ordre législatif, mais le Conseil constitutionnel n’avait pas manqué de retoquer sa copie. Assurément, on a de bonnes raisons de croire que le président Faye, qui se ravale à un simple rôle d’homme lige du Premier ministre Sonko, ne se gênera pas pour «légiférer», restreindre par exemple les libertés publiques et prendre des «oukazes», au gré de l’humeur et des caprices de son Premier ministre. Peut-être même qu’il poussera le bouchon jusqu’à prendre un acte pour lui transférer les attributions présidentielles. Prenons garde, ce n’est pas une simple vue de l’esprit ! Désormais, aucune indécence n’est de trop au Sénégal. Voilà que des citoyens, en l’absence de poursuite pénale et de notification en bonne et due forme, se sont vu empêcher de voyager, d’aller et de venir, parce que le Premier ministre l’aura décidé ! On remarquera que même les procédures judiciaires contre d’autres citoyens sont annoncées en primeur par des responsables politiques de Pastef, sans aucun égard pour l’institution judiciaire et les règles et principes d’indépendance des magistrats ! Le pays vit déjà un profond recul démocratique, car jamais il n’est resté sans un Parlement, et les acteurs politiques ont toujours réussi à établir des consensus pour la sauvegarde des institutions et le processus démocratique. Diomaye et Sonko, à l’instar de tous les autocrates d’ailleurs, n’ont aucun respect pour leur opposition.
Par Ismaila NDIAYE
VERS UNE MEILLEURE GESTION DES COMMUNAUTES RELIGIEUSES DANS L’ÉTAT
L’article du Dr. Pierre-Marie Niang lance un débat essentiel sur la gestion des affaires religieuses au Sénégal, pays caractérisé par une riche diversité religieuse où l’islam, le christianisme et les religions traditionnelles coexistent
L’article du Dr. Pierre-Marie Niang lance un débat essentiel sur la gestion des affaires religieuses au Sénégal, pays caractérisé par une riche diversité religieuse où l’islam, le christianisme et les religions traditionnelles coexistent, bien que dans des proportions différentes. En défendant le principe d’«équitabilité», l’auteur met en avant la nécessité d’une stricte égalité entre les confessions dans la représentation étatique. Toutefois, cette réflexion mérite d’être approfondie pour éviter que le concept d’équitabilité ne se transforme en un «égalitarisme» injuste.
Il est reconnu que les communautés religieuses au Sénégal ont historiquement bénéficié d’un traitement différencié de la part de l’État, tant avant qu’après l’indépendance. Certaines, bien organisées, ont su s’intégrer dans le système étatique, profitant de divers soutiens et d’une coopération fructueuse avec l’État. D’autres, en revanche, ont subi des tentatives de marginalisation, des volontés de dislocation, une surveillance accrue et même des sabotages pendant la période coloniale et d’une moindre mesure dans celle post-coloniale, freinant leurs efforts pour mieux s’organiser et accroître leur influence. Enfin, une petite minorité de cultes, souvent ésotériques ou classés comme religions traditionnelles africaines, n’a pas exprimé de revendications pour un encadrement étatique, leurs pratiques restant essentiellement privées et communautaires.
Dans cette perspective, il devient impératif pour un État soucieux de réconcilier ses citoyens avec leur culture, leur foi et leurs pratiques cultuelles, de mettre en place des mesures fortes visant à une véritable équité. Cela implique d’accorder aux communautés musulmanes, victimes d’un traitement inapproprié dès la naissance de la République, un accompagnement proportionnel à leur poids démographique et historique, sans pour autant dépasser les limites d’une juste égalité.
À la lecture du texte du Dr. Niang, deux points méritent d’être clarifiés. Premièrement, l’affirmation selon laquelle la création ou nomination de structures ou personnes chargées des affaires religieuses serait une nouveauté est inexacte. Il convient de rappeler que le professeur Cheikh Tahirou Doucouré avait été nommé ministre chargé des affaires religieuses par le Président Senghor, jouant un rôle crucial dans les relations entre l’État et les chefs religieux. Par la suite, les présidents Abdoulaye Wade et Macky Sall ont également nommé des ministres conseillers chargés des affaires religieuses, tels que Mouhammadou Bamba Ndiaye, Imam Mbaye Niang et le Professeur Abdoul Aziz Kébé. Il faut d’ailleurs saluer l’audace du Président Macky Sall, qui a initié la création d’un bureau dédié aux affaires religieuses et à l’insertion des diplômés arabophones, aujourd’hui transformé en direction avec des prérogatives élargies.
Deuxièmement, l’allusion à des motivations opportunistes derrière cette décision, visant à «contenter d’éventuels bailleurs non-occidentaux», avant de s’attaquer à ceux-là est sans fondement. Ces bailleurs non-occidentaux dont il parle, financent eux-mêmes les plus grands pays occidentaux avant que des fonds modestes ne soient dirigés vers nos pays. Cette question échappe d’ailleurs au cadre de cet article et ne pourrait y être abordée dans sa profondeur. Il est rassurant de constater que les revendications comme celles du Dr. Niang ne sont ouvertement soutenues par aucune autorité reconnue des communautés religieuses non musulmanes du Sénégal. Celles-ci, pleinement conscientes des efforts d’accompagnement fournis par l’État depuis l’époque pré-indépendance jusqu’à aujourd’hui.
Ainsi, la création d’une direction des affaires religieuses, dirigée par un cadre musulman bilingue, notamment arabophone, serait une initiative opportune et symboliquement forte. Elle représenterait la reconnaissance, au sein de l’État, d’une partie importante de la population sénégalaise éduquée dans une langue qui était celle de l’administration avant la colonisation. La création d’un tel cadre marquerait une forme de réparation historique pour la communauté arabophone du pays et contribuerait à une justice plus inclusive. En intégrant les compétences des citoyens sénégalais arabophones dans l’administration, le Sénégal pourrait rétablir un meilleur équilibre entre les composantes de la nation, tout en ouvrant de nouvelles perspectives d’intégration pour tous les citoyens, quelles que soient leurs langues ou croyances.
Par ailleurs, bien que l’Église catholique dispose déjà d’une organisation solide, il serait pertinent de créer une sous-direction spécifique aux affaires chrétiennes. Cela permettrait de maintenir un lien étroit avec l’administration des affaires religieuses, principalement orientée vers l’islam, tout en assurant une gestion équilibrée et harmonieuse des diverses confessions, dans le respect des particularités de chaque culte et pour le bien de la cohésion nationale.
Ismaila NDIAYE
Citoyen Sénégalais,
Par Vieux SAVANÉ
DU BRUIT ET DE LA FUREUR
Avec un taux d'alphabétisation de 37,1%, la rupture doit se faire par l'action, pas par des paroles de compassion comme les pouvoirs précédents. Vu les urgences, le retour du débat sur le voile lors de la réunion sur la rentrée scolaire est surprenant
«Sous un soleil de plomb, au rond-point 26 des Parcelles Assainies, une scène familière se déroule chaque jour : des mendiants de tous âges envahissent les lieux, transformant l’espace en un théâtre de misère humaine. Des enfants, défiant l’insécurité, s’avancent vers les voitures immobilisées par les embouteillages, espérant quelques pièces… » (in Sudquotidien. Samedi 21 Septembre 2024
S’il est vrai que cette description rend compte d’un spectacle affligeant qui ne semble plus émouvoir grand monde tant il participe de la normalité, il serait pourtant salutaire de s’y appesantir à la veille de la rentrée des classes 2024- 2025. Continuer de voir des enfants talibés déguenillés déambuler ainsi dans les rues, le regard intelligent pétrifié par la violence d'un vécu réduit à tendre la sébile, se retrouver à dormir dans la rue, victimes de violences physiques, psychologiques et soumis à toutes sortes de perversions, est en effet un problème national. Et cela mérite à coup sûr une mobilisation nationale afin de lui trouver une solution définitive.
Dans une ville comme Dakar où se concentrent tout le mal être et les rêves de réussite sociale, on compte ainsi près de 54 837 enfants talibés, dont 30 000 sont engagés quotidiennement dans la mendicité forcée. Sur cet aspect, l’Etat a incontestablement failli à son devoir puisque la loi établit que la scolarité est obligatoire pour tous les enfants des deux sexes âgés de 6 ans à 16 ans. Et parmi ceux et celles qui ont eu la chance d’être scolarisés un nombre assez important le sont dans des conditions peu amènes, leur apprentissage se déroulant dans des abris provisoires qui durent et s’éternisent.
C’est pourquoi, aux autorités qui se retrouvent aux manettes il n’est pas attendu l’expression, même sincère et douloureuse, d’une indignation face aux « statistiques en termes d’abris provisoires, d’écoles sans électricité ». Avec un taux d’alphabétisation affligeant estimé à 37,1% la rupture doit plutôt s’effectuer, non point par le biais de paroles de compassion à l’instar de l’ensemble des pouvoirs qui ont exprimé le même sentiment mais dans l’action concrète, pour appliquer une disposition constitutionnelle qui rend l’école obligatoire.
Il s’y ajoute que de cette catégorie, seuls 11, 3% atteindront le lycée et à peine 37% d’entre eux obtiendront le baccalauréat, ce fameux sésame ouvrant la possibilité à des études supérieures. Même si l’on sait qu’à l’université beaucoup y vont pour bénéficier de la bourse, sans aucune illusion relativement à l’obtention d’un parchemin. Avec tous les diplômés-chômeurs qu’ils côtoient, ils savent que cela n’ouvre pas nécessairement une perspective d’emploi.
Entre les écoles ceintes par des marchés et des cantines, les classes pléthoriques, le déficit d’enseignants et de tablesbancs, le taux d’échec très élevé aux examens et concours, l’inadéquation formation/emploi, les maux qui continuent de gangrener l’école sénégalaise méritent décidément que soient mises en œuvre des actions vigoureuses.
Diversion
Face à toutes les urgences auxquelles est confrontée l’école, on est en droit de s’interroger sur l’étrange retour de la question du port du voile lors de la réunion interministérielle sur la rentrée scolaire 2024-2025 de jeudi dernier. Le Premier ministre Ousmane Sonko y a en effet appelé à « assurer les conditions d’une éducation inclusive, garantissant le libre accès de tous les enfants à l’école, sans distinction aucune, notamment portant sur le port vestimentaire ». Aussi, a-t-il invité le ministre de l’Education nationale à « soumettre, au plus tard le 27 septembre 2024, un arrêté invitant les établissements scolaires à conformer leurs règlements intérieurs aux dispositions de la Constitution.» A se demander d’ailleurs comment il sera rédigé, d’autant que la Constitution stipule que « la République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale.
Diversion, simple coup d’épée dans l’eau, un os à ronger, une fixation qui tarde à révéler ses motivations profondes ? A l’évidence, tel que posé c’est un faux débat susceptible toutefois de provoquer des remous pour peu que l’on ne se recentre pas sur la réalité des faits. En effet, l’intérêt fondamental de l’école catholique (voir communiqué du Conseil national du Laïcat Sénégal) n’est pas de s’opposer à ce que des personnes qui le souhaitent puissent porter un foulard sur la tête. C 'est précisément de ne pas admettre qu' une jeune élève puisse refuser d'être la voisine de table-banc d'un garçon, de lui serrer la main ou tout simplement de se mettre en rang à ses côtes sous prétexte de convictions personnelles. Lieu de brassage ethnique, social, religieux, culturel, l'école doit-on le rappeler l’école est un creuset du vivre-ensemble. Et en cela, elle refuse toute discrimination et prône l'égalité de chance entre les hommes et les femmes de toutes origines. Que l'on sache, aucune école catholique n'a exprimé l'idée d'être en dehors de la juridiction constitutionnelle qui régit ce pays, ne serait-ce que parce que tout le monde y est soumis. Et au premier chef le président de la République, le Premier ministre et son gouvernement. Lors de cette réunion interministérielle, il a été aussi fait mention des tenues scolaires, comme si cela se posait au moment où comme on peut le constater c’est le cas dans nombre d’établissements scolaires privés et/ou public.
Nostalgie de l'excellence
64 ans après les indépendances sourdent une impatience de reconnaissance et d’estime de soi et de son pays autour de la réussite et des valeurs centrées sur l'effort, la morale et l'éthique. C'est cela que traduisait la marée humaine noyée sous les drapeaux du Sénégal fièrement déployées et agitées lorsque l'équipe nationale du Sénégal a été championne d'Afrique en 2022. Ce que l'on attend de nos gouvernants c’est qu’ils fassent montre d'humilité et surtout de la conscience de faire leur part dans cette œuvre commune colossale consistant à redresser un pays qui a mal à sa jeunesse. Lorsqu'on s'occupe vraiment de sortir de la pauvreté et de la précarité une frange importante de 18 millions de Sénégalais, on ne saurait avoir le temps de s'enliser dans des batailles périphériques qui ne vont pas changer la face du pays. L’emploi, la santé, la sécurité alimentaire, l’égalité hommes/femmes, la promotion des sciences et des techniques, le développement d’une culture de la paix, la reddition des comptes sont entre autres, les grands défis qu’il convient de relever et qui doivent mobiliser toutes les énergies. Loin de toute stratégie du bruit et de la fureur qui ne peut servir de politique pour qui a cœur de prendre à bras le corps les véritables problèmes et de leur apporter des solutions. L'espérance qui a soufflé lors de la dernière présidentielle raconte, faut-il le souligner, une nostalgie de l'excellence qu’il serait dommage de piétiner en s’enlisant dans des gesticulations et des coups de menton inutiles.
par Jean Pierre Corréa
ÉLOGE À GASTON MADEIRA, PARTI AVEC ÉLÉGANCE, SANS EMBÊTER PERSONNE
La vie à tes côtés, avait fini par avoir bon goût… Ton goût pour faire, ton goût pour aimer, ton goût pour l’autre… Qu’écrire d’autre sur ton tombeau comme épitaphe que : « C’était un mec sympa… Un bonheur de garçon »
Conversation avec mon frère qui m’appelait tendrement tonton, avec cette empathie qui lui servait d’ADN.
Qu’écrire d’autre sur ton tombeau comme épitaphe que : « C’était un mec sympa… Un bonheur de garçon ». Epitaphe…Epitaphe… C’est drôle, jamais la sonorité d’un mot n’avait aussi bien contenu son sens… Epitaphe…, Tu as beaucoup voyagé,
D’un coin à l’autre,
Tu allais où on t’envoyait. Ouvert à la vie, en appétit de joies.
Partout, tu t’es fait des amis,
Partout tu as laissé des souvenirs. Le souvenir d’une personne singulière… Absolument précieuse…
La vie à tes côtés, avait fini par avoir bon goût… Ton goût pour faire, ton goût pour aimer, ton goût pour l’autre…
Au moment où tu décides que seul le bonheur étonne… Et puis … Taff !!! Epitaphe !!! ».
Mais aujourd’hui, c’est un autre voyage,
Qui t’emmène loin de nous,
Dans un autre pays.
Ce pays d’où personne ne revient,
Parce que c’est l’aboutissement de tous nos voyages
De toutes nos courses et de nos recherches.
Tu es parti vers ce pays mystérieux.
Nous espérons t’y retrouver un jour,
Au terme de notre propre voyage.
Quand nous parviendrons
Nous aussi à cette maison où
Tu nous attends pour fêter
Ensemble le monde nouveau.
La mort n’est rien… Tu es seulement passé dans la pièce à côté.
Toi, tu auras des étoiles, comme personne n’en a, et quand, je regarderai le ciel, la nuit, puisque tu habiteras l’une d’elles, Alors ce sera toi, comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras, toi, des étoiles qui savent rire. Comme tu aimais sourire.
A tout à l’heure Gass…
Tonton Jean Pierre.
par Abdoul Aziz Diop
TOUS D’ACCORD AVEC LE FMI ?
EXCLUSIF SENEPLUS - Que vaut, aujourd’hui encore, la levée de boucliers, bien connue, contre l’institution internationale ? Ce changement d'attitude interroge sur la cohérence des positions politiques, notamment celles du nouveau régime
À la fin de la mission, effectuée du 5 au 12 septembre 2024, par une équipe du Fonds monétaire international (FMI) qu’il dirigea, Edward Gemayel, fit une déclaration qui porte, pour l’essentiel, sur « la croissance plus lente que prévue [de l’économie sénégalaise] au cours du premier semestre de 2024, les perspectives macroéconomiques difficiles pour le reste de l'année 2024, [la nécessité] de mesures supplémentaires pour atteindre l'objectif de déficit de l'UEMOA à 3 % du PIB en 2025 », etc.
Pour leur part, « les autorités [sénégalaises] ont réaffirmé leur engagement en faveur des réformes qui sous-tendent le programme appuyé par le FMI [et] renouvelé leur engagement pour la transparence, la bonne gouvernance et la responsabilité publique », conclut Edward Gemayel.
Sans le moindre recul critique, la presse, tous médias confondus, et les responsables politiques de l’opposition reprirent à leur compte toute la déclaration disponible sur le site du Fonds.
Edward Gemayel peut alors se frotter les mains pour mission accomplie sans que les critiques longtemps faites au FMI ne soient ressassées par l’intelligentsia sénégalaise plus bavarde dans les joutes de politique politicienne au cours des dix dernières années, correspondant aux années d’opposition « radicale » des Patriotes africains du Sénégal pour la transparence, l’éthique et la fraternité (Pastef).
Mais que vaut, aujourd’hui encore, la levée de boucliers, bien connue, contre l’institution internationale ?
Un peu d’histoire pas si ancienne que ça
Francis Fukuyama voulait « la fin de l'histoire » ; il ne l'obtint pas. Nicolas Sarkozy, osé, voulait, le 26 juillet 2007 à Dakar, « le commencement de l'histoire » ; il ne l'a pas obtenu après le discours que l’on sait.
A sept reprises, la propension, qu'ont les dirigeants des huit - maintenant sept - pays les plus industrialisés du monde, à vouloir, par tous les moyens, maintenir, au profit de quelques-uns seulement de leurs concitoyens, tous les peuples du monde - au nombre desquels figurent d'abord ceux d'Afrique - dans la misère, dans le meilleur des cas dans la pénurie et la dépendance, a été à l'origine du lancement d'une vaste consultation altermondialiste sur les actions, les campagnes et les luttes à mener.
Toute la littérature sur les rapports entre le Nord riche et le Sud pauvre le montre : la misère et la dépendance dans les Pays les moins avancés (PMA) s'expliquent moins par l'absence de programmes que par le choc des fondamentaux. Ces derniers se déclinent en fondamentaux sociaux et fondamentaux économiques. Les premiers (droit à l'éducation et à l'accès aux biens culturels, droit au travail, droit à la santé et à un environnement sain, droit de savoir lire et écrire, etc.), consacrés par la loi fondamentale de chaque pays, achoppent sur les seconds (taux de croissance, équilibre de la balance commerciale, taux d'investissement, service de la dette extérieure, etc.) dont dépend l'équilibre comptable de la balance des paiements de chaque pays. Les causes sont multiples. Nous en évoquons deux à titre d'exemple.
Premièrement, les PMA sont emprisonnés dans une série de cercles vicieux auxquels ils ne peuvent échapper seuls. Parallèlement à des facteurs internes, existent des obstacles externes provenant de la structure des exportations. Dans ces pays, la structure des exportations se caractérise par la spécialisation. La majeure partie des recettes provient de deux ou trois produits. Ces produits ne peuvent être vendus qu'aux prix qu'acceptent de payer les pays riches avec lesquels ils commercent. Les termes de l'échange se dégradent continuellement. Deuxièmement, l'accès aux marchés extérieurs est toujours difficile. Son importance est soulignée unanimement par les dirigeants des pays en voie de développement, par les experts indépendants et par ceux des organismes internationaux tels que le FMI et la Banque mondiale.
En 1984 déjà, Krueger estimait dans la revue du FMI et de la Banque mondiale, que « de toute évidence, c'est essentiellement en donnant libre accès à leurs marchés que les pays développés contribueront à améliorer les perspectives de croissance des pays en développement ». Or, constatait Platteau une année plus tard, « les barrières freinant la pénétration des produits étrangers ont été nettement moins abaissées pour les biens provenant des pays en développement que pour ceux provenant d'autres pays riches ».
Selon l'économiste sénégalais Makhtar Diouf, « le libre-échange présente au départ, entre autres, des inconvénients pour les producteurs africains, dans l'agriculture comme dans l'industrie :
(1) Les produits agricoles européens qui sont subventionnés (ce qui permet de les vendre moins cher) vont inonder les marchés africains ; les produits africains similaires (comme la volaille, les œufs par exemple) ne pourront pas résister à la concurrence. Il faut dire que le terrain a été préparé par les programmes d'ajustement de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international qui ont supprimé les subventions en Afrique.
(2) Les embryons d'industrie qui existent dans les pays africains pour ne satisfaire que le marché local (allumettes, piles électriques par exemple) vont être étouffés par la concurrence européenne, surtout avec cette préférence marquée des Africains pour tout ce qui est importé ; ce qui va se traduire par des fermetures d'usines avec le cortège bien connu de nouveaux chômeurs. Pour ne rien dire des énormes pertes de recettes douanières pour les États».
Le professeur Makhtar Diouf dit « Oui pour un nouvel ordre économique international ! Mais, oui aussi pour un nouvel ordre économique interne !». « La lutte contre la pauvreté ne peut reposer que sur une politique saine de développement. Ce qui malheureusement est loin d'être le cas dans des pays comme le Sénégal, avec une politique autocratique et véritablement "je-m'en-foutiste" de gaspillage et de dilapidation des maigres ressources financières, comme s'il s'agissait d'un héritage familial », écrit-il. Fera-t-il entendre raison à ses deux nouveaux « amis » politiques Diomaye et Sonko en cas de dérapages avérés ?
Comparaison est raison
« Les services du FMI achèvent leur visite…» Tel est l’intitulé de toutes les déclarations des responsables - Edward Gemayel pour le Sénégal - des équipes envoyées dans la zone UEMOA dont les critères de convergence servent de boussole au Fonds.
Lesdites déclarations font naturellement état des disparités dans la zone. Pour six pays de l’UEMOA (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Niger et Sénégal), le graphique des spécificités (voir en illustration de l’article) rend bien compte de la comparaison qui est raison dès lors que l’Union monétaire et économique a bien vocation à parler d’une seule voix pour le compte de tous les pays membres. Une seule équipe du FMI suffirait alors pour entendre raison, au siège de la Commission de l’UEMOA, face aux représentants des différents pays au sein d’un groupe resserré d’excellents négociateurs.
Le graphique des spécificités, réalisé à partir des six déclarations qui ont clôturé les six visites des six équipes du FMI, fait ressortir un ralentissement de l’économie sénégalaise qui interroge le nouvel attelage gouvernemental mis en place par le Premier ministre Ousmane Sonko. Pour le reste, parler d’une seule voix, en invoquant un passé encore récent, relève du simple bon sens, aussi bien pour les pays concernés que pour le FMI. À moins que nous soyons, et ce depuis peu, tous d’accord avec l’institution internationale quoi qu’elle dise et quoi qu’elle fasse.
QUELS DEFIS POUR L’ECONOMIE MONDIALE EN 2025 ?
Isabelle Bensidoun et Jézabel Couppey-Soubeyran, décryptent pour The Conversation les principaux défis que devra relever l’économie mondiale en 2025.
Comme tous les ans, le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) livre son analyse annuelle de l’économie mondiale dans l’ouvrage éponyme publié aux Éditions La Découverte (collection Repères), les deux coordinatrices de l’ouvrage, Isabelle Bensidoun et Jézabel Couppey-Soubeyran, décryptent pour The Conversation les principaux défis que devra relever l’économie mondiale en 2025.
The Conversation France : Malgré la guerre en Ukraine, des conditions financières durcies, la montée des tensions géopolitiques et le ralentissement de la croissance chinoise, l’économie mondiale semble avoir plutôt bien résisté au cours de l’année qui vient de s’écouler ?
Effectivement, en dépit de ce contexte peu favorable, la croissance mondiale en 2024 devrait, comme en 2023, atteindre 3,1 % selon l’OCDE, grâce à la bonne performance des économies émergentes asiatiques, mais aussi des États-Unis où la politique budgétaire a été particulièrement expansionniste et où les ménages ont puisé dans les économies qu’ils avaient accumulées pendant la pandémie jusqu’à faire disparaître en 2023 l’excès d’épargne de 10 % du PIB observé en 2021. Selon Isabelle Bensidoun et Thomas Grjebine, c’est la page du Covid-19 qui se referme, économiquement au moins, comme celle de l’inflation, grâce, pour beaucoup, à l’inversion des chocs d’offre, ceux des prix de l’énergie et des prix alimentaires, qui avaient poussé les prix à la hausse. Mais c’est à de nouveaux défis que l’économie mondiale est confrontée car ces chocs d’offre sont appelés à se multiplier, avec la crise écologique et les tensions géopolitiques. En conséquence, les politiques économiques vont devoir trouver comment se régler au diapason de ces chocs. Car le rôle de stabilisateur dévolu à la politique monétaire pour stabiliser l’activité économique était bien adapté aux chocs de demande mais dans un monde de chocs d’offre la politique budgétaire est plus à même de les amortir, avec un délai de transmission plus court. Un exercice qui risque d’être particulièrement délicat alors que les marges de manœuvre budgétaires sont des plus serrées et que des besoins considérables de financement doivent être mobilisés pour la transition écologique. À cet égard, la perspective est diamétralement opposée de part et d’autre de l’Atlantique, avec des politiques budgétaires particulièrement expansionnistes aux États-Unis, et qui devraient se poursuivre, alors qu’en Europe l’expansion a été bien moins forte et que la parenthèse ouverte par la crise sanitaire (la suspension des règles budgétaires en 2020) s’est refermée avec l’adoption en avril 2024 d’un Pacte de stabilité révisé, guère moins bridant qu’auparavant.
Les Américains semblent plus déterminés que les Européens en matière budgétaire, ce qui leur donne peut-être également un avantage dans la course aux industries de demain ?
Absolument. D’ailleurs, ils sont à l’initiative de ce que la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, a qualifié de politique moderne de l’offre qui redonne un rôle majeur à la puissance publique pour stimuler l’offre par des investissements publics dans les infrastructures, les technologies et les industries d’avenir ou des soutiens aux investissements privés. Et si les Européens se sont également engagés dans cette voie, ils le font en y mettant beaucoup moins de moyens et avec une détermination moins marquée, liée aux dissensions qui existent entre eux, qui se reflète notamment dans leur réaction face aux déversements sur les marchés extérieurs des surcapacités chinoises dans les industries vertes ou dans les mesures de sécurité économique prises pour limiter les dépendances étrangères et promouvoir les capacités nationales. Quoi qu’il en soit, pour la Chine, cette volonté des économies avancées de développer sur leur sol les industries stratégiques change la donne. En conséquence, la stratégie de croissance chinoise d’exporter ses produits en mal de débouchés du fait de l’atonie de sa demande interne ne reçoit plus le même accueil sur les marchés étrangers que par le passé. Car lorsque les ÉtatsUnis et l’Europe convoitent les industries stratégiques où la Chine dispose d’avantages comparatifs développés à coût de subventions massives, continuer d’accueillir ses produits sans réagir risque fort de nuire à cette ambition. Résultat, le protectionnisme s’affirme et les tensions avec la Chine se multiplient.
Quelles sont les conséquences de ce changement de perspective pour la Chine ?
Pour faire aboutir ses ambitions de prospérité intérieure et d’affirmation internationale, Pékin va devoir composer avec ce nouveau paradigme. Comme Michel Aglietta et Camille Macaire le rappellent, la stratégie chinoise, dans son volet intérieur, consiste à assurer l’autosuffisance technologique et à dominer les industries de demain, par un renforcement des efforts de R&D. Mais le vieillissement démographique, les impacts du changement climatique, les fragilités du système financier et la dépendance aux intrants étrangers dans les secteurs technologiques sont des vulnérabilités importantes. Les fragilités financières ont d’ores et déjà commencé à se traduire par des dizaines de faillites de petites banques, qui conduisent les autorités monétaires et financières chinoises à organiser leur absorption par les grands groupes du secteur bien que ces derniers aient déjà énormément grossi au cours des dernières décennies, au risque aujourd’hui, en cas de difficulté, d’entraîner tous les autres dans leur chute. Les chiffres de l’autorité chinoise de régulation financière concernant la capacité du secteur à absorber des pertes et à faire face à des problèmes de liquidité se veulent rassurants pour le moment. Dans le volet extérieur de sa stratégie, qui consiste à se repositionner sur la scène internationale, la Chine pourrait également être mise en difficulté. Alors qu’elle se voit en chef de file des pays du Sud, qu’elle invite à adhérer à son projet des nouvelles routes de la soie, les fractures sont grandes même à l’intérieur des BRICS. Sans compter les fractures de plus en plus irrémédiables avec les États-Unis.
En Europe, l’Allemagne semble à la peine. Qu’en est-il exactement ? Sa « vertu » budgétaire compromet-elle son avenir ?
Le modèle allemand est en effet en souffrance et ce n’est peut-être pas qu’une fatigue passagère, selon Céline Antonin. Les deux crises du Covid-19 et de l’énergie ont mis en lumière des difficultés structurelles. Le modèle allemand reste fondé sur sa puissance industrielle exportatrice, qui a puisé sa compétitivité dans une politique de modération salariale et de positionnement haut de gamme. Mais, depuis quelques années, la perte de parts de marché, la faiblesse de la demande extérieure et le recul marqué de l’investissement en construction confrontent l’Allemagne à de piètres performances. Le modèle allemand souffre de sa dépendance extérieure sur le plan énergétique, que la guerre en Ukraine et la crise énergétique ont largement révélée, mais aussi sur le plan commercial vis-à-vis notamment de la Chine. L’Allemagne entend axer sa politique industrielle sur la transition écologique. Mais la contrainte budgétaire qu’elle s’impose et qu’elle dicte à ses partenaires de la zone euro compromet la réalisation des futurs investissements. Les difficultés allemandes pèsent évidemment sur la zone euro et sur les politiques économiques européennes. Le modèle allemand conserve toutefois des atouts indéniables qui devraient lui permettre de surmonter ses problèmes. Cela étant, la réponse ne pourra pas être uniquement nationale. L’Allemagne va avoir besoin de l’Europe.
S’il est un domaine dans lequel la Chine dispose d’un avantage crucial, c’est bien celui des matières premières critiques, le carburant des industries de demain. Soucieuse de limiter ses dépendances, comment l’Europe peut-elle s’extraire de celle-là ?
La domination de la Chine dans ce secteur, qui s’est établie grâce à la richesse de son sous-sol, son activité de raffinage et sa stratégie internationale, qui a consisté à investir massivement dans plusieurs pays pour sécuriser ses approvisionnements et accroître la dépendance des autres à son égard, met en effet l’Europe au défi. Pour s’extraire de cette dépendance, plusieurs pistes sont envisagées : de la réouverture des mines au recyclage en passant par la diversification des sources d’approvisionnement. Mais toutes n’ont pas la même chance d’aboutir. L’Europe devra, par exemple, se saisir du concept de « mine responsable » – ce label international défini par des industriels et des organisations non gouvernementales – et lui donner corps si elle compte réduire sa dépendance en exploitant son sous-sol. Dans ce contexte, la « sobriété métaux » pourrait bien être une pièce du puzzle à davantage promouvoir. C’est en tout cas ce que préconisent Romain Capliez, Carl Grekou, Emmanuel Hache et Valérie Mignon. Cette sobriété pourrait consister à proposer des véhicules électriques plus légers, à légiférer sur le délit d’obsolescence programmée ou à réduire fortement l’usage du jetable.
Dans un environnement international où le protectionnisme s’affirme, quel avenir pour le système commercial multilatéral ?
Selon Antoine Bouët, Leysa Maty Sall et Jeanne Métivier, le système commercial multilatéral est aujourd’hui sur le fil du rasoir : le programme de Doha pour le développement est en « coma artificiel » ; l’Organe de règlement des différends, qui faisait la fierté de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ne fonctionne plus que très partiellement, et, surtout, beaucoup de mesures prises récemment contreviennent aux règles fondamentales du multilatéralisme. L’augmentation des droits de douane appliqués par les États-Unis aux produits chinois contrevient à la règle de non-discrimination. Les nombreuses aides et subventions chinoises dans le secteur industriel, mises en place sans être systématiquement notifiées à l’OMC, ne respectent pas la règle de transparence. Quant à l’Inflation Reduction Act américain, il fait peu de cas de la clause de traitement national. Le coup fatal pourrait venir des prochaines élections américaines. Si Donald Trump se réinstalle à la Maison Blanche et lance la guerre commerciale qu’il a prévue, c’est 10 % du commerce mondial qui passerait d’un seul coup hors du régime multilatéral, entraînant très vraisemblablement un cycle de décisions protectionnistes. Ces dernières semaines de campagne de la Présidentielle américaine, marquées par la montée en puissance de Kamala Harris, désignée candidate du parti démocrate à la suite du retrait de Joe Biden, éloignent peut-être un peu cette perspective. Mais rien n’est écrit et l’OMC devra de toute façon se réformer pour assurer la survie du multilatéralisme.
THECONVERSATION
ALIOUNE SOUARÉ
M. LE PRÉSIDENT, VOUS N’AVEZ NI LE DROIT DE FIXER LA DATE DE LA DPG NI LE DROIT DE FIXER LA DATE D’OUVERTURE DE LA SESSION EXTRAORDINAIRE !
Le JUB JUBANTI doit être des actes pour se débarrasser des veilles pratiques et promouvoir le respect de la légalité !
Le célèbre écrivain égyptien, lauréat du prix Nobel de la littérature, Naguib Mahfouz, disait dans un de ses ouvrages «Trilogie du Caire» : «A force de croire aux choses, on s’en fait une vérité plus vraie que la nature». Cette assertion fait penser à la déclaration du Président Diomaye Faye lors de son récent message à la nation sur la dissolution de l’Assemblée nationale. Ainsi, soutient-il, pour les griefs, entre autres, l’usurpation par l’Assemblée nationale de son droit de fixer la date de la Déclaration de politique générale (DPG) du Premier. Pour rappel, la séparation des pouvoirs est un principe sacro-saint consacré dans le préambule de notre Constitution en ces termes : «Notre pays proclame la séparation et l’équilibre des pouvoirs conçus et exercés à travers des procédures démocratiques.»
La théorie classique de la séparation des pouvoirs est historiquement liée à la vie de Montesquieu dans son ouvrage «De l’esprit des lois». Ce dernier, par ses écrits, a beaucoup influencé les systèmes politiques et amené les dirigeants du monde à comprendre les trois fonctions des différents régimes politiques et sur lesquelles repose la théorie classique de la séparation des pouvoirs
la fonction d’édiction des règles générales constitue la fonction législative ;
la fonction d’exécution de ces règles relève de la fonction exécutive ;
la fonction de règlement des litiges constitue la fonction juridictionnelle.
Partant du constat que, dans le régime de la monarchie absolue, ces trois fonctions sont le plus souvent confondues et détenues par une seule et même personne. La théorie de séparation des pouvoirs plaide pour que chacune de ces trois fonctions soit exercée par des organes distincts, indépendants les uns des autres, tant par leur mode de désignation que par leur fonctionnement. Chacun de ces organes devient ainsi l’un des trois pouvoirs, notamment le pouvoir législatif exercé par des assemblées représentatives, le pouvoir exécutif attribué à un chef de l’État et qui est soutenu par un gouvernement et le pouvoir judiciaire, enfin, revient aux juridictions.
La finalité de la théorie de Montesquieu, c’est d’arriver à l’équilibre des différents pouvoirs d’où sa fameuse maxime : «Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.» Cette théorie est bien appropriée et légitimée dans la Déclaration des droits humains et citoyens (DDHC) de 1789 qui inscrit en son article 16 : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.» C’est d’ailleurs cette disposition qui est à l’origine de l’inscription du concept de la séparation des pouvoirs dans tous les préambules des Constitutions des Etats africains d’obédience francophone ! C’est également le lieu de souligner qu’il y a dans la théorie classique deux types de séparation des pouvoirs : la séparation souple et celle dite stricte. On parle de la séparation souple des pouvoirs lorsqu’elle inspire une collaboration entre les différents pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), un droit de dissolution et une responsabilité du gouvernement devant le Parlement. Quant à la séparation stricte des pouvoirs, elle a la particularité de n’autoriser ni le droit de dissolution ni la responsabilité du gouvernement devant le Parlement et n’admet aucune collaboration entre les différents pouvoirs institutionnels. C’est le cas, par exemple, aux Etats-Unis où on parle de «checks and balances», c’est-à-dire, «contrôle et contrepoids».
En France, la théorie de la séparation des pouvoirs a pris une signification particulière que le Conseil constitutionnel a qualifiée, dans une décision rendue le 23 janvier 1987, de «conception française de la séparation des pouvoirs». Celle-ci se distingue de certaines théories, puisqu’elle trouve son origine dans les lois des 16 et 24 août 1790 et le décret du 2 septembre 1795 qui interdisent aux tribunaux de l’ordre judiciaire de connaître des litiges intéressant l’administration.
Par ces textes, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ont été soustraits au contrôle des juridictions judiciaires, au motif que celles-ci ne disposaient pas d’une légitimité suffisante pour juger des actes émanant d’autorités procédant du suffrage universel et agissant au nom de l’intérêt général. L’institution d’une juridiction administrative à compter de l’an VIII (1799) devait partiellement modifier cette situation : depuis cette date, les actes de l’administration ont pu être contestés, mais devant une juridiction, distincte de l’autorité judiciaire. Au sommet de l’ordre administratif se trouve le Conseil d’État, créé en 1799, qui outre ses fonctions juridictionnelles, exerce un rôle de conseil du Gouvernement. La «conception française de la séparation des pouvoirs» est donc associée à l’existence d’une dualité de juridictions dans le système institutionnel.
Bref, pour revenir sur la déclaration du Président Diomaye évoquée plus haut, il convient de faire une lecture littérale de notre Constitution, ainsi que celle de la loi organique n°2002-20 du 15 mai 2002 portant Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. A ce propos, on retient que notre charte fondamentale assure la péréquation des pouvoirs entre les institutions de la République, elle opte pour la séparation souple des pouvoirs et dispose de 103 articles dont les 51 relèvent des pouvoirs exercés par le Président de République, notamment les articles 26 à 52,63, 67 à 80, 82, 84, 86, 87, 89, 90, 92, 95, 96, 101 et 103.
Curieusement, il n’y a aucun parmi ces articles qui mentionne de manière explicite le droit dont le Président Diomaye réclame sur la fixation de la date de la DGP ! Ce n’est pas fortuit de rappeler que la Constitution, par essence, est assujettie aux règles d’application !Cependant, deux articles reviennent couramment dans le débat. II s’agit notamment de l’art. 84 et 97. En effet, l’art. 84 de la Constitution est cité pour justifier le droit dont réclame le Président Diomaye. La disposition indique ceci : «L’inscription, par priorité, à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale d’un projet ou d’une proposition de loi ou d’une déclaration de politique générale, est de droit si le Président de la République ou le Premier ministre en fait la demande». La déduction est que la légistique a son sens dans le texte et le droit évoqué dans cet article qui est exercé par le Président de la République ou le Premier ministre n’a aucun caractère permanent. II est conditionné à une demande préalable et circonscrit à une priorité sur l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale des programmes (projet ou proposition de loi ou déclaration de politique générale).
S’agissant de l’art. 97 de la loi organique n°2002-20 du 15 mai 2002, modifiée par la loi organique n°2024-12 du 30 août 2024 portant Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, il prévoit ceci : «Après sa nomination, le Premier ministre fait sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale. Cette déclaration est suivie d’un débat qui peut, à la demande du Premier ministre, donner lieu à un vote de confiance. En cas de vote de confiance, celle-ci est accordée à la majorité absolue des membres de l’Assemblée nationale. La déclaration de politique générale doit intervenir au plus tard trois mois après l’entrée en fonction du Gouvernement. L’Assemblée nationale doit être informée huit jours au moins avant la date retenue.»
Cet article est le pendant de l’article 55 de la Constitution qu’il reprend dans son intégralité, avec un seul ajout dans son dernier paragraphe qui définit la procédure pour la tenue de la DPG. Cette partie évoque le délai de 8 jours destiné à informer l’Assemblée nationale et ceci a d’ailleurs suscité une vive controverse et avec tout ce qui s’en est suivi. Mais pour l’essentiel dans cette disposition, le raisonnement à fortiori admet la non application de ce délai de 8 jours dès lors que les 3 mois préalablement prévus pour la tenue de la DPG ne sont pas respectés. Ces deux délais sont liés et ne sont pas détachables, le décompte des 8 jours ne peut être adossé au calcul d’une autre activité. Même si, on a récemment connu des péripéties qui ont illégalement amené au choix d’une date pour la DPG.
En définitive, aucun de ces articles susvisés ne donne le droit au Président de la République de fixer la date de la DPG et il n’y a pas de hiérarchie dans les relations entre l’Exécutif et le Législatif ! L’art. 53 de notre Constitution établit la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale. En ce sens, les Premiers ministres ayant exercé la fonction, sans avoir besoin de l’intervention du Président de la République, ont toujours géré leur DPG ! Et maintenant, pour ce qui concerne la session extraordinaire, il faut faire la lecture croisée des alinéas 1 et 4 de l’art. 63 de notre Constitution. Ainsi, ils prévoient :
-Alinéa 1 «l’exception de la date d’ouverture de la première session de l’Assemblée nationale nouvellement élue qui est fixée par le Président de la République, l’Assemblée nationale fixe la date d’ouverture et la durée des sessions ordinaires uniques. Celles-ci sont toutefois régies par les règles ci-après».
Alinéa 4 «l’Assemblée nationale est, en outre, réunie en session extraordinaire sur un ordre du jour déterminé soit à la demande de plus de la moitié des membres de l’Assemblée nationale, adressée au Président de l’Assemblée nationale, soit sur décision du Président de la République, seul, ou sur proposition du Premier ministre».
Dans ces deux alinéas de l’art. 63 de la Constitution, on retient que le premier alinéa désigne les autorités habilitées à fixer la date d’ouverture des sessions. II y a le Président de République lorsqu’il s’agit uniquement de la première session où une nouvelle Assemblée est élue et ne dispose pas encore de bureau. Là, le Président de la République exerce un pouvoir de substitution et assure, en vertu des dispositions de l’art .42 de notre Constitution, sa mission de garant du fonctionnement régulier des institutions. Ce n’est qu’à ce moment où il est autorisé temporairement à fixer la date d’ouverture de la session. Mais pour le reste des sessions (ordinaires comme extraordinaires), c’est l’Assemblée nationale à travers son bureau nouvellement installé qui s’en occupe jusqu’à la fin de la législature. Maintenant, l’alinéa 4 parle des ayants droit qui peuvent déterminer l’ordre du jour de la session extraordinaire : il y a le Président de République et les députés, plus de la moitié.
La conclusion à tirer de cet article 63, c’est qu’il y a une confusion entretenue dans l’application du texte. Le Président de la République s’arroge le droit d’aller au-delà de ses attributions pour fixer en permanence la date d’ouverture des sessions extraordinaires, alors que l’alinéa 1 ne lui en autorise qu’exceptionnellement à l’ouverture de la première session de l’Assemblée nouvellement élue. Ce serait une incohérence par rapport au respect du principe de la séparation des pouvoirs consacré par notre Constitution. Le JUB JUBANTI doit être des actes pour se débarrasser des veilles pratiques et promouvoir le respect de la légalité !