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27 novembre 2024
Opinions
par Pape Samba Kane
POUR 417 FRANCS PAR SÉNÉGALAIS, S'ÉVITER UNE CRISE POLITIQUE COÛTEUSE
EXCLUSIF SENEPLUS - Un bras de fer entre l'exécutif et le législatif, dans cette période de transition politique coûterait en argent plus que ce que risque de nous coûter HCCT et CESE réunis, d'ici leur disparition inéluctable
Lundi 2 septembre, toute la journée et une partie de la soirée, les députés sénégalais, réunis en plénière, nous ont offert un spectacle, du genre dont ils ont le secret ; quoique, cette fois-ci, le script, resté granguignolesque, n'a pas connu les rebondissements tragicomiques traditionnels depuis que les dernières législatives avaient apporté un certain équilibres des forces dans la chambre. Est-ce parce les opposants d'aujourd'hui (le Benno) sont moins énervés que ceux d'hier (Yewwi, maintenant maître de l'exécutif) ? Je suspends cette question pour une autre fois, un prochain papier (leb na ko ba beneen, comme dirait l'inoubliable Thione Seck).
Cependant, le calme revenu après le show retransmis en direct par au moins quatre chaînes de télévision, quelques petits calculs, une petite comptabilité pour le dire mieux, nous ont conduit à la conclusion suivante : "Tout ça, pour ça ? ..."
On va s'expliquer après un petit détour sur ce qui a été présenté aux Sénégalais comme une affaire politique majeure, un enjeux de gouvernance décisif, le respect urgent d'une promesse électorale ; et aussi, un tournant vital pour l'avenir des députés de la présente législature. Il y a du vrai dans tout ce qui précède, mais un brin dramatisé par la classe politique, comme un appât fabriqué de toute pièce pour distraire le Sénégalais lambda ; appât sur lequel, cependant, la presse a été la première à se jeter. Tout le monde est resté le nez dans la boue de l'actualité, personne, à ma connaissance, n'a levé la tête pour prospecter ce que vraiment vont nous coûter ces institutions "budgétivore" pour la courte échéance qu'il leur reste avant de disparaître. De toute façon ! Comparativement à ce que pourrait nous coûter une crise politique entre exécutif et législatif, pendant que le premier prend à peine ses marques.
Il semble que les deux institutions coûtent aux contribuables sénégalais 15 milliards. Cette somme, il est vrai, isolée, est sidérante pour les fauchés que nous sommes généralement, nous, la majorité écrasante des Sénégalais. Surtout si on retient - si et seulement si on retenait, que "ces institutions sont inutiles".
C'est revenu dans l'argumentation de tous les intervenants favorables au projet de loi constitutionnelle portant dissolution des HCCT et CESE : avec de pareilles sommes, on construirait des hôpitaux, des abris provisoires, les hémodialysés du pays verraient leur calvaire prendre fin., etc., etc. ! Ce n'est pas tout à fait faux !
À les entendre également, si on ne les suivait pas, nous irions encore, pauvres contribuables, casquer, pendant un an, 15 milliards de francs, pendant cinq ans 75 milliards. Or, rien n'est moins vrai. Nous allons y venir, retournons aux enjeux supposés déterminants pour l'avenir politique de notre pays autour de cette affaire.
Un enjeu majeur nicherait dans l'issue de cette plénière. Si la loi n'était pas votée, le chef de l'Etat dissoudrait cette Assemblée "en rupture avec la volonté populaire" pour paraphraser le président Bassirou Diomaye Faye - au lendemain du retoquage de son projet de loi. Il tenait à remplir un engagement électoral, en engageant ce bras de fer finalement trop politiquement coûteux pour lui - il est en Chine pour une visite d'Etat, et parallèlement un sommet Chine-Afrique, quand tous ses interlocuteurs apprennent que sa première initiative de haute politique a échoué.
Laissons ça pour parler du coût de cette initiative en politique intérieure, coût en adversités agressives, en contentieux politiques évitables - et à impérativement éviter, sous quelque forme, si le souhait de tous est seulement que ce pays marche, que sa démocratie se renforce et que ce gouvernement travaille dans les meilleures conditions pour assurer la réussite de ses missions.
Un bras de fer entre l'exécutif et le législatif, dans cette période de transition politique, comme suggéré plus haut, coûterait en argent (puisque c'est ce qui semble intéresser certains) plus que ce que risque de nous coûter HCCT et CESE réunis, d'ici leur disparition inéluctable, dans six mois au maximum - parce le président va dissoudre l'Assemblée nationale de toute façon, dans quelques semaines ; et cela ne devrait pas prendre six mois, entre cette décision, et l'installation d'une nouvelle législature qui lui serait favorable pour dérouler toute politique qu'il voudrait.
En chiffres, cela veut dire, considérant les 18 millions de Sénégalais - pour schématiser - comme les " contribuables" en question, que chacun d'entre nous cotiserait seulement 416,8 francs CFA pour entretenir ces institutions d'ici là.
Voici donc que ces dernières, qui sont des recommandations des Assises nationales et du CNRI, pour quinze milliards par an, auront coûté chaque année, à chaque Sénégalais (15 M ÷ 18 millions =) 833,3francs CFA. Dans six mois, elles nous coûteraient la moitié, 416 virgule machin de francs, avant de disparaître. Et " bon débarras", pour ceux qui n'en voulaient pas, et qui en ont le droit.
Chaque Sénégalais appréciera maintenant - tout cela étant clair -, sa préférence pour les deux schémas suivants :
1)- pour un coût de 417 francs par Sénégalais - attendre tranquillement que Diomaye Faye, dans quelques semaines, dissolve l’Assemblée nationale, organise des élections législatives dans les trois mois suivants, comme la loi l'y contraint, installe la nouvelle législature, qui devrait, nous l'avons dit, lui être favorable (c'est de tradition !), pour alors tenir sa promesse électorale en dégageant ces institutions.
- Soit dit en passant, je sais que ce n'est pas si simple. Il faudra bien contourner la contradiction entre la loi constitutionnelle, qui veut que l'élection se tienne dans les 90 jours suivant la dissolution, et le code électoral qui fixe 150 jours pour le bouclage du processus des parrainages, nécessaire pour une organisation, dans les règles, des législatives ; sans parler de la loi de finance rectificative, pas encore votée, ni du budget 2025 que seule une Assemblée dûment installée permet. Bref, ces messieurs du pouvoir ont vraiment d’autres chats à fouetter que de se tuer à nous faire économiser 417 francs chacun pour les six mois à venir, à ce coût ! - Justement, "attendre tranquillement" signifie, pendant ce temps, quand personne ne se sent politiquement acculé ou " humilié", "méprisé" même, ont déploré des élus de Benno lundi, discuter. Discuter avec la classe politique sénégalaise, qui ne se réduit pas à Benno (mais Benno tient l’Assemblée), douée pour au moins une chose : trouver des compromis. Cela permettra de contourner ces obstacles, sommes toutes pas plus compliqués que ceux qui se dressaient devant une bonne tenue de l'élection présidentielle du 24 mars dernier, et qui ont été contournés, par suite de discussions politiques entre la prison du Cap et quelque hôtel. Preuve, s’il en est, qu’en politique, tout peut se régler par la discussion.
2) - chacun restant sur ses positions - persister dans la confrontation politique, dont le deuxième round - cette session extraordinaire de l’Assemblée nationale pour le vote d'une motion de censure contre le Premier ministre - se joue ce vendredi 6 septembre, et qui viendra s'ajouter à l'imbroglio déjà bien inextricable que nous avons entrevue. Que la motion passe ou ne passe pas, un camp se sentira humilié et se braquera sûrement pour la suite des événements.
Du coup, le nécessaire, absolument nécessaire dialogue pour, après l'inévitable dissolution de la représentation nationale, organiser des législatives apaisée, s'en trouvera sinon compromis, en tout cas compliqué.
Le risque, c'est des élections retardées, une démocratie sans parlement au moins un certain temps, des tensions politiques toujours plus ou moins dangereuses pour un régime en place, un président obligé de gouverner par décret.
Et ça, croyez-moi cher compatriote, ça nous coûterait bien plus cher que 417 francs chacun pour prix d’un sursis en faveur des deux institutions en question.
Alors, que tous ceux qui parmi nous en ont la possibilité, en respectant pour chacun le rang que les Sénégalais lui ont donné, veuillent bien pousser le président de la République et les députés de Benno, à passer ce cap pas si terrible que ça, s'il est abordé par chacun avec la volonté de convaincre et non de vaincre.
par Thierno Alassane Sall
FAUTE DE VISION, LE POUVOIR OPTE POUR LA DIVISION
Jamais un pouvoir n’aura, en seulement cinq mois, cherché autant la confrontation avec les contre-pouvoirs, ignorant que ses véritables adversaires sont le sous-développement, la pauvreté et le désespoir, qui poussent des jeunes à prendre la mer
Les Sénégalais ont donné à Diomaye Faye, en lui conférant une majorité nette dès le premier tour, les moyens d’ouvrir une nouvelle ère démocratique. Les premières déclarations du président Diomaye Faye semblaient conformes à cette demande populaire d’un dialogue national pour refonder nos institutions, approfondir la démocratie, bâtir une économie au service de tous.
Cependant, les actes posés vont exactement dans le sens de l’exacerbation des tensions dans un pays qui s’est retrouvé, à plusieurs reprises, au bord du gouffre. Au point où l’invraisemblable est advenu dans l’escalade d’un conflit, qui, il faut bien le dire, est né du mépris assumé du Premier ministre à l’égard de la représentation nationale : une motion de censure annoncée par le groupe BBY.
Cette situation, il faut le souligner, a prospéré en raison de l’incapacité du président de la République à assumer la plus élémentaire de ses charges : suggérer à - puisque l’on ne saurait dire instruire - son Premier ministre de se conformer à la Constitution sans chercher des alibis dans l’absence de dispositions dans le Règlement intérieur de l’Assemblée, une loi de moindre portée.
Jamais un pouvoir n’aura, en seulement cinq mois, cherché autant la confrontation avec les contre-pouvoirs (la presse, l’opposition), ignorant que ses véritables adversaires sont le sous-développement, la pauvreté et le désespoir, qui poussent des jeunes à prendre la mer dans un exode incessant.
La prochaine escalade ? La dissolution de l’Assemblée nationale, pour désorganiser les élections législatives qui s’annoncent comme les plus chaotiques de notre histoire. En effet, comment organiser en 60 jours, ou 90 jours maximum le parrainage, son contrôle, la période de contentieux et la campagne électorale, avec, de surcroît, un effet de surprise si ce n’est dans le chaos et la confiscation de la démocratie ? Quelle crise justifie une si dangereuse précipitation ? Justement, le rejet du projet de suppression du HCCT et du CESE, ainsi que la motion de censure, offrent un prétexte bien opportun.
Le président Diomaye Faye, dans le rôle qu’il s’est assigné dans le duo de bad cop - good cop, va nous jouer la petite musique des regrets, tout en poursuivant le plan que le Pastef a concocté pour asseoir, à tout prix, un pouvoir total.
Le peuple avait cru à un projet sur toutes les lèvres, avant de s’apercevoir que le nouveau régime n’avait pas de vision pour mener le pays. En attendant de prodiguer le remède miracle promis, le bon professeur Diomaye et son "Boss" appliquent la vieille solution : diviser pour mieux régner.
par Abdou GUÈYE
LA PROMESSE DE RENÉGOCIATION DES CONTRATS PÉTROLIERS EST-ELLE RÉALISTE ?
En Afrique, l’exploitation des ressources extractives connait des évolutions dans les perceptions ces dernières années. En 1950, l’Afrique a été dominée et exploitée. En 1960, le continent marque une phase afro-optimiste.
En Afrique, l’exploitation des ressources extractives connait des évolutions dans les perceptions ces dernières années. En 1950, l’Afrique a été dominée et exploitée. En 1960, le continent marque une phase afro-optimiste. De 1990 à 2000, l’Afrique a été animée par le phénomène de la malédiction des ressources naturelles (MRN), qui a été analysé par plusieurs auteurs scientifiques dont Rosser en 2006. De 2000 à 2020, le continent est marqué par un boom extractif. Certains pays comme le Sénégal ont voulu associer les activités extractives et l’émergence dans les programmes de développement (cas du Plan Sénégal Émergent). Depuis 2020, un autre problème se pose à cause des conséquences du changement climatique. Il s’agit de l’incertitude sur la transition énergétique et la volonté manifeste de certains pays africains concernant la souveraineté nationale notamment énergétique et industrielle. En février 2024, le Sénégal adopte un nouveau régime. Bien avant ce nouveau régime, les contrats extractifs ont été critiqués par les acteurs politiques de l’opposition notamment Messieurs Ousmane SONKO et Thierno Alassane SALL, à travers la publication d’ouvrages.
Cette contribution rappelle tout d’abord les dates phares où le sujet sur les contrats pétroliers a encore attiré l’attention de ce nouveau régime. Le 13 juillet 2024, lors de sa sortie face à la presse durant les 100 premiers jours au pouvoir, le Président de la République a souligné que les contrats pétroliers seraient sans doute renégociés. Le 24 juillet 2024, le Directeur de Cabinet du Ministre des Énergies, du Pétrole et des Mines (MEPM) invite les autres parties prenantes notamment au monde universitaire de produire des réflexions scientifiques sur les enjeux de la renégociation des contrats pétroliers tout en restant optimistes. Le 20 août 2024, une commission d’examen des contrats dans le secteur stratégique, constituée de cadres de l’administration, a été installée par le Premier Ministre. C’est dans ce contexte que nous apportons notre contribution pour analyser les éléments clés susceptibles de faire l’objet de renégociation dans les contrats pétroliers. Cette analyse s’articule autour de trois points.
1. Que faudrait-il renégocier ?
2. A qui profite l’exploitation des hydrocarbures offshore ?
3. Que représentent l’environnement et ses richesses dans la négociation des contrats ?
L’objectif de cette contribution est de participer au débat public scientifique en tant que chercheur dans le domaine de l’environnement et des industries extractives mais aussi en tant que citoyen sénégalais. Les réponses aux questions ainsi formulées sont développées dans les lignes suivantes.
Que faudrait-il renégocier ?
Par rapport à la première question formulée, nous l’analyserons sous l’angle de la répartition des parts (profit oil) et les pourcentages relatifs à la déduction des coûts (cost stop & cost oil) pour permettre à l’État de saisir les niches qui peuvent faire point de discussion lors d’une éventuelle renégociation des contrats. A cet effet, une analyse comparative sera effectuée en premier lieu sur les contrats relatifs à l’exploitation des gisements offshore de Grand Tortue Ahméyim (GTA) et de Sangomar, d’une part, elle cible les pourcentages élevés sur la déduction des coûts pétroliers et ses risques pour le Sénégal, d’autre part.
En comparant les projets GTA et Sangomar en cours, sur la répartition des parts entre l’État et les contractants, il ressort une différence très remarquable sur les parts de l’État : profit oil. Ce qui permet de dire que le contrat hérité par Woodside Energy, concernant l’exploitation du gisement de Sangomar, est moins avantageux pour l’État si on le compare à celui hérité par BP et ses partenaires dans le cadre du projet de GTA.
Cette différence peut faire l’objet de revue dans une perspective de renégociation. Là où l’État devrait profiter de 20 % des parts dans le contrat de Sangomar dans un contexte où la production journalière atteindrait 100 000 barils/jour (cf. article 22 dudit contrat de RSSD), celui du gisement de GTA lui permettra d’atteindre 50 % des parts si la production journalière tournerait autour de 60 000 à 90 000 barils ou gaz équivalent (cf. article 22 dudit contrat). Ainsi, nous profitons de l’occasion pour rappeler que les signatures des deux contrats de recherche et de partage de production portant sur les blocs de Rufisque Offshore, Sangomar Offshore et Sangomar Offshore Profond (RSSD) et sur le bloc de Saint-Louis Offshore Profond datent respectivement du 15 juillet 2004 et du 17 janvier 2012. Le premier contrat a déjà fait 20 ans. C’était sous tutelle de l’ancien Ministre des Énergies et des Mines, Monsieur Madické NIANG. Le second fait aussi 12 ans, sous tutelle de l’ancien Ministre d’État, Ministre de la Coopération internationale, des Transports aériens et des Infrastructures de l’Énergie, Monsieur Karim WADE, tous signés durant le régime du Président Abdoulaye WADE sur l’intervalle 2000-2012. Remplacé par le Président Macky SALL en mars 2012, ce dernier a joué un rôle important dans la recherche et la promotion du bassin sédimentaire sénégalais. Ces efforts ont abouti à des découvertes importantes en hydrocarbures mais le Président sortant n’a pas eu l’occasion de fêter la production du premier baril sénégalais. Suite à ces importantes découvertes de 2014 à 2017, une politique de gouvernance des ressources naturelles a été lancée pour renforcer le cadre institutionnel, politique, règlementaire et stratégique du secteur pétro-gazier durant la période 2016-2023. Ces initiatives ont été soutenues par le projet d’Assistance technique de la Banque mondiale piloté par GESPETROGAZ, bras technique du COS-PETROGAZ et du Ministère en Charge des Hydrocarbures.
Le deuxième point de renégociation doit être orienté sur le cost stop et le cost oil. Dans le cadre d’une éventuelle renégociation des contrats, les termes de l’article 22.1 du contrat relatif à l’exploitation du gisement pétrolier de Sangomar pourraient être revus. En effet, l’État doit faire de telle sorte que le cost stop et le cost oil ne dépassent pas les 60 % quelle que soit la localisation de la zone d’exploitation. Les propos concernant cette idée seront développés dans la deuxième partie de la contribution. Nous rappelons que les projets en cours (GTA et Sangomar) se situent dans la zone offshore profonde, c’est à dire là où les profondeurs d’eau se situent entre 500 mètres et 3000 mètres (art.2 du nouveau code pétroler). Ce qui permet de rappeler que les profondeurs d’eau occupées par le projet Sangomar varient de 700 à 1400 mètres et celles occupées par le projet GTA sont de l’ordre 33 mètres, 120 mètres et 2850 mètres selon les différentes installations. Les éléments de réflexion de la première question nous invitent à aborder la seconde question.
A qui profite l’exploitation des hydrocarbures offshore ?
L’industrie extractive est une arène multi-acteurs où chaque partie tire les intérêts de son côté en se basant sur son expertise et son expérience. Si la question à qui profite est posée, c’est pour analyser l’équilibre d’intérêts des différentes parties prenantes. En 2004, le rapport d’Évaluation des Industries Extractives, commissionné par le Groupe de la Banque Mondiale (GBM), paru le 16 juin dans le Financial Times britannique précise en ces termes : « Non seulement les industries pétrolières, gazières et minières n’ont pas aidé les populations les plus pauvres des pays en voie de développement, mais elles ont appauvri davantage……Cela signifie-t-il que les industries extractives ne peuvent jamais jouer un rôle positif dans l’économie d’une nation ? Non, cela signifie simplement que le seul cas d’un rôle positif que nous ayons pu trouver, concerne des pays dont le régime démocratique s’était à ce point développé que même les plus pauvres pouvaient en tirer certains bénéfices (ex: Botswana). Mais tant que les éléments fondamentaux constitutifs d’une bonne gouvernance: presse libre, système judiciaire opérationnel, respect des droits de l’homme, élections libres et justes- ne sont pas mis en place, le développement de ces industries ne fera qu’aggraver la situation des plus pauvres ».
La problématique posée permet de comprendre davantage les logiques des principaux acteurs (État & Compagnie pétrolière) sur la négociation des contrats et ses contours. Ainsi, pour répondre à la question principale notée ci-dessus, nous nous permettons de rappeler le principe du contrat de recherche de partage de production (CRPP) en sus de faire référence à l’ouvrage scientifique de Claude Raffestin sur la géographie du pouvoir publié en 1980 dans cette réflexion pour mieux aborder la question à qui profite ? Concernant le principe de CRPP, il n’est rien d’autre qu’un partage de ressources entre l’État et le ou les contractant(s). Nous avons l’impression que dans les négociations des contrats pétroliers offshore, l’État ne prend pas en compte la considération de ses richesses écologiques du milieu réceptif des projets. Les recherches démontrent que l’exploitation des énergies fossiles va entrainer sans doute des impacts négatifs sur l’écosystème et sur la vie des communautés (Kloff S., 2011). Pourquoi donc accepter que le contractant ait toujours le droit de recevoir chaque année civile, en vue du recouvrement de ses coûts pétroliers, une partie maximale de la production totale commerciale ? Qu’est-ce qui explique que les négociations doivent essentiellement se tourner sur les ressources pétro-gazières et non sur les autres ressources stratégiques du milieu récepteur ? Face à ces interrogations, nous pensons que cette pratique ancienne doit être repensée et renégociée pour que les intérêts dans les contrats soient justes et équilibrés entre les deux parties (État & les compagnies pétrolières). Ces problèmes dégagés dans cette partie invitent à aborder la réflexion sur les préoccupations environnementales et sociales dans les contrats pétroliers.
Que représentent l’environnement et ses richesses dans la négociation des contrats ?
Avant de répondre à cette question, nous rappelons que les eaux côtières de l’écorégion marine ouest-africaine sont parmi les plus poissonneuses au monde, grâce aux alizés qui poussent les eaux de surface pauvres en nutriments au large et ramènent des eaux riches en nutriments des profondeurs de l'océan Atlantique en surface (Kloff S. et al., 2005). Ce phénomène est appelé upwelling ; il provoque une explosion de la croissance algale qui forme la base d'une chaîne alimentaire extrêmement productive en Mauritanie, au Sénégal, en Guinée Bissau, etc. (Wolff, et al., 1993 ; PRCM, 2000 ; Samb and Demarcq, 1989).
Vu la richesse écologique du milieu récepteur des projets pétroliers offshore, les pertes et dommages ont-ils été pris en compte dans la négociation de base des contrats ? Cette question permet de pousser la réflexion sur le point ci-après pour comprendre à qui profite réellement l’exploitation des hydrocarbures offshore entre l’État, le ou les opérateurs et la population, voire les communautés ?
Avant le démarrage des projets pétroliers offshore, des études d’impact environnemental et social ont été réalisées par les promoteurs de ces projets. Ces études ont été souvent critiquées par des experts et des consultants sur la négligence de la prise en compte de certains risques environnementaux et sociaux, voire économiques au plan local.
Après une dizaine d’années d’activités d’exploration, de développement et de production des projets pétroliers offshore, la situation des communautés s’aggrave de plus en plus. Certains en ont eu ras le bol et menacent de perturber les activités industrielles des compagnies. D’autres se désespèrent compte-tenu du non accès à leur zone traditionnelle de pêche et du manque de revenus à cause des zones d’exclusion et de la migration des espèces halieutiques dans les périmètres de sécurité. Ce phénomène frappe plus les communautés qui se situent sur la Langue de Barbarie, dans la région de Saint-Louis. Cela renvoie à une préoccupation majeure sur le modèle de développement adopté par les compagnies dans le cadre de l’exploitation des gisements offshore. A l’État actuel des projets pétroliers, le problème est plus centré sur les aspects socioéconomiques que ceux environnementaux. Cela souligne que la négociation ou la renégociation des contrats ne doit pas se limiter uniquement sur les compétences basées sur le droit, la fiscalité, l’économie, ou la géologie ; d’autres compétences basées sur l’environnement, la sociologie, etc., doivent être considérées sur la table de négociation si on veut vraiment réussir l’équilibre des intérêts entre les deux parties (État et contractants) dans les contrats pétroliers.
Pour conclure, la renégociation des contrats dans les projets extractifs n’est pas un phénomène nouveau et c’est toujours possible quand un nouveau régime s’installe. En guise d’exemple, le Libéria peut être cité comme un cas d’école. Selon Raja Kaul et Antoine Heuty, le gouvernement de la Présidente Ellen Johnson Sirleaf a effectué une renégociation des contrats extractifs entre 2006 et 2008. De même, Paul Seagel, souligne que le Liberia disposait de 102 contrats extractifs, avant l’arrivée du nouveau régime. Une fois l’installation du gouvernement, les 52 ont été acceptés, les 36 annulés et les 14 renégociés. Par rapport à la situation actuelle du Sénégal, les contrats signés dans le secteur extractif peuvent aussi faire l’objet de révision. C’est vrai qu’il existe des clauses de stabilisation, de renégociation, de confidentialité et de transparence dans ces contrats. Mais au-delà de l’aspect juridique, les deux parties peuvent se retrouver autour d’une table de négociation pour discuter sur l’équilibre des intérêts. Nous précisons que les compagnies en activité ont hérité les contrats des projets en cours d’exploitation. Ce qui explique que ces compagnies n’ont pas payé le prix du risque sur la recherche. Elles sont intervenues après les découvertes et tous les coûts pétroliers seront supportées par la vente des ressources du sous-sol de l’État d’où l’intérêt de revoir les termes de renégociation des contrats de façon juste et équitable.
lettres d'amérique, Par Rama YADE
LE PARADOXE AFRICAIN
Alors que le continent abrite 30% des minerais stratégiques du monde, et donc de toutes les ressources nécessaires pour être une réponse puissante à la crise énergétique mondiale et aux impératifs de la transition verte
Il y a un paradoxe africain : alors que le continent abrite 30% des minerais stratégiques du monde, et donc de toutes les ressources nécessaires pour être une réponse puissante à la crise énergétique mondiale et aux impératifs de la transition verte, les pays africains ne parviennent toujours pas à en tirer le meilleur profit pour leurs intérêts stratégiques vitaux. Or, à condition qu’ils soient adossés à un nouveau modèle de développement, les minerais stratégiques offrent une occasion historique d’en finir avec la soi-disant malédiction des ressources naturelles en Afrique.
La fable de la malédiction des ressources naturelles
De la Norvège aux Emirats Arabes Unis, de nombreux pays offrent des exemples réussis de croissance économique et de développement grâce aux ressources naturelles. Troisième plus grand producteur de gaz au monde et onzième plus grand producteur de pétrole, la Norvège est la deuxième économie mondiale en termes de Produit intérieur brut par habitant (après le Luxembourg et devant l’Irlande et à la Suisse), selon les chiffres du Fmi d’avril 2023, soit plus de 2, 5 fois le niveau de vie de la France. Quant aux Emirats Arabes Unis, neuvième producteur mondial de pétrole et quinzième de gaz naturel, le poids de leur économie a quintuplé en vingt ans. Ce pays mise désormais sur l’économie du savoir, devenu assez riche pour s’engager dans une ère post-pétrole, plus diversifiée, voire décarbonée.
En Afrique aussi, le cas du Botswana dément les sombres anticipations appliquées systématiquement au continent. Ces dernières années, ce pays -qui figure parmi les plus importants producteurs mondiaux de diamant, mais également un des moins corrompus- a imposé une stratégie inclusive dans le secteur extractif, investissant ses revenus dans la santé et l’éducation, mais surtout dans un fonds souverain au service des besoins des générations futures. Le Botswana a aussi mis en place toute une série de mécanismes et d’institutions pour prévenir et punir les cas de corruption, prouvant ainsi que le succès dans les affaires et la lutte contre la corruption sont parfaitement compatibles.
Une demande gigantesque en minerais stratégiques
La course aux minerais stratégiques a été relancée avec la crise énergétique, plaçant l’Afrique en pole position. Ces métaux sont en effet indispensables pour les véhicules électriques, les batteries au lithium, les téléphones portables, les scanners médicaux ou encore le matériel militaire, autant de secteurs stratégiques pour la transition énergique et la sécurité nationale de nombreuses puissances. Or, cette course risque de se faire au détriment des économies africaines, déjà privées des financements promis mais non honorés par la Communauté internationale en matière de lutte contre le changement climatique. La Banque africaine de développement (Bad) a estimé à 2800 milliards de dollars les besoins financiers de l’Afrique pour couvrir ses objectifs de lutte contre le réchauffement climatique entre 2020 et 2030. Or, le continent reçoit moins de 10% des fonds dédiés à cet effet, alors qu’il n’est à l’origine que de 3% des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle internationale. Voilà désormais les pays africains soumis à des logiques d’extraction prédatrice qui leur font perdre non seulement ces ressources, mais également les emplois qui vont avec.
Une stratégie d’investissement plus responsable dans les minerais stratégiques constituerait non seulement une contribution majeure au développement de l’Afrique, mais aussi une solution durable aux défis de la transition énergétique pour le monde entier.
La pression souverainiste des opinions africaines
Alors que les jeunes générations expriment un fort désir de contrôler le destin de leurs pays sur les plans politique (au point d’applaudir les putschistes sahéliens), culturel (avec la restitution des œuvres d’art historiquement spoliées), économique (avec la remise en cause du F Cfa), la maîtrise du sol africain est un élément de plus en plus central des campagnes électorales et des transitions politiques, qu’elles soient démocratiques ou autoritaires. Dans ce contexte, il n’est pas certain que les stratégies prédatrices, y compris chinoises, l’emporteront sur le long terme.
Sous la pression des opinions africaines, il ne fait aucun doute que les partenaires de l’Afrique devront se repositionner, en passant à un modèle de développement plus inclusif s’ils veulent avoir un avantage compétitif sur ce marché très concurrentiel qui oppose non seulement les puissances globales, mais également les moyennes puissances du Moyen-Orient à l’Asie du Sud-Est. Les effets de la pandémie du Covid-19 sur les chaînes d’approvisionnement et l’impact de la guerre en Ukraine, qui ont accéléré cette nouvelle ruée vers l’Afrique, ne sauraient être une raison suffisante pour ignorer les besoins spécifiques de l’Afrique : les Africains, eux aussi, devraient pouvoir profiter des téléphones portables dernier cri d’Apple, conduire les voitures électriques de Tesla, et bénéficier de scanners médicaux de qualité lorsqu’ils sont malades. Tous ces produits sont fabriqués à partir de minéraux stratégiques qu’ils fournissent, mais dont ils ne bénéficient pas.
Les attentes des investisseurs internationaux
Mais il leur revient également de prendre leurs responsabilités en mettant en place des cadres réglementaires transparents et efficaces, en formant des ingénieurs capables de négocier des contrats miniers, en définissant une feuille de route répondant à leurs besoins de développement et en élaborant une stratégie de transformation industrielle avec l’appui des organisations régionales et de la récente Zone de libre-échange africaine qui pourrait jouer un rôle crucial dans la création de marchés locaux plus adaptés aux investissements internationaux.
Précisément, alors que la demande mondiale en minerais stratégiques n’a jamais été aussi élevée et que les industries vertes sont plus que jamais essentielles à la lutte contre le réchauffement climatique, ces investissements demeurent largement insuffisants. Lorsqu’ils existent, très peu sont menés à bien. Les raisons de ce sous-investissement chronique tiennent à plusieurs facteurs explicités par un récent rapport d’Atlantic Council et son auteure Aubrey Hruby, notamment la mauvaise perception des risques inhérents à l’investissement en Afrique et la sous-mobilisation du secteur privé.
Enfin, aucune de ces recommandations ne saurait aboutir sans stabilité. Or, dans des zones comme la région des Grands Lacs où la République démocratique du Congo, pays aussi grand que l’Europe de l’Ouest, est déchirée par des guerres civiles et régionales depuis plus de trente ans, il ne saurait y avoir d’investissements sans paix. C’est pourquoi la pacification des Grands Lacs doit être à l’avant-garde des efforts diplomatiques et des politiques énergétiques en Afrique.
Rama Yade est Directrice Afrique Atlantic Council.
Par Kaccoor Bi - Le Temoin
J'IRAI CRACHER SUR VOS TOMBES
Au tribunal de l’histoire de ce charmant pays que des individus ont complètement charcuté, ces individus, donc, seront un jour appelés à s’expliquer sur les actes immoraux qu’ils ont posés durant les douze ans de leur ténébreuse gouvernance
Avez-vous lu « J'irai cracher sur vos tombes » de l’écrivain français Boris Vian ? Si vous n’avez pas eu l’opportunité de le faire, rien de grave ! Ce roman noir publié en 1949 avait été considéré en son temps comme pornographique et immoral. Il avait été interdit et son auteur, condamné pour outrage aux bonnes mœurs. Fin de l’histoire…
Au tribunal de l’histoire de ce charmant pays que des individus ont complètement charcuté, ces individus, donc, seront un jour appelés à s’expliquer sur les actes immoraux qu’ils ont posés durant les douze ans de leur ténébreuse gouvernance. Vous pensez sérieusement que la situation que traverse ce pays depuis quelques temps avec son lot de meurtres, de violences gratuites et d’agressions ne doit rien à leur règne ? Détrompez-vous.
Revenons sur quelques séquences. Vous vous rappelez quand la dame des rêves de l’ex-Chef parcourait les coins malfamés de Dakar, échangeant de vieux matelas contre du neuf ? Quelle belle photographie de la déchéance humaine ! Ou encore lorsque des gueux la pourchassaient à la sortie des mosquées et qu’elle fonctionnait comme un distributeur automatique de billets de banque. Les mêmes spectacles étaient visibles ailleurs dans le pays. Le même décor également avec ce que la grande romancière Aminata Sow Fall appelait avec pudeur les « déchets humains». Une dégénérescence qui a atteint son point culminant entre mars 2021 et février 2024. C’est durant cette période que tout a vacillé pour plonger ce pays dans un dérèglement sociétal total.
Le fameux « tog muy doxx », les détournements de deniers publics et la corruption ont jalonné le règne du Chef dont la funeste ambition était bel et bien un troisième mandat. Pendant qu’il caressait ce rêve malsain, ses sbires, composés de ministres, députés, directeurs de sociétés nationales parcouraient les coins les plus pauvres du pays pour entretenir une clientèle politique à coups de billets de banque à travers des bourses dites familiales et autres libéralités. Juste cinq mois qu’ils ont quitté la tête de ce pays et, déjà, tout s’écroule comme un édifice vermoulu. Des gens qui ne foutaient rien et vivaient comme des princes sont retombés de leur piédestal. Nous ne parlons bien sûr pas des milliardaires du défunt régime qui, eux, ont assuré leurs arrières jusqu’à la nuit des temps.
Parcourez le pays et vous verrez leurs entreprises déstabilisatrices sur la société sénégalaise où ils ont réussi à imposer la primauté de l’Avoir sur tout. Les conséquences, c’est ce que nous vivons aujourd’hui avec ces innombrables crimes et agressions qui ont tous comme mobile l’argent. Preuve que les responsables de cette situation doivent être condamnés pour outrage aux bonnes mœurs en attendant de les pendre haut et court.
Par Ciré Clédor Ly
APPEL À UNE RUPTURE RADICALE POUR LA SOUVERAINETÉ DU PEUPLE SÉNÉGALAIS
La création, refondation ou suppression des structures ne peuvent être que conjoncturelle, eu égard à une vision politique et une nécessité contextuelle qui intègrent et prennent en considération l'état des finances publiques et la gouvernance
J'ai suivi et assisté avec surprise et consternation le rejet du projet de loi présenté à l’Assemblée Nationale ainsi que les arguments de la partie majoritaire qui cristallise une position et garantit un système qui va à l'encontre des intérêts et aspirations du peuple sénégalais.
La création, refondation ou suppression des structures ne peuvent être que conjoncturelle, eu égard à une vision politique et une nécessité contextuelle qui intègrent et prennent en considération l'état des finances publiques et la gouvernance.
Une alternance politique ne change pas la forme républicaine d'un État, encore moins le comportement du citoyen républicain dont les actes devraient refléter les pensées doctrinales et philosophiques qui servent de guide pour la prise de décisions majeures dans le jeu de l'équilibre des pouvoirs entre les institutions démocratiques.
L'empiriocriticisme pris dans le sens de son articulation à la science politique, ainsi que le subjectivisme, ne cadrent pas avec la posture Républicaine. Tt hier, avec le vote à mains levées, les visages à découvert, tous les masques sont tombés.
Il n'y a cependant pas de crise des institutions, et le blocage qui participe au jeu normal démocratique est cependant manifestement puéril, anti-républicain et sans gain politique durable.
Il appartient à ceux qui sont détenteurs de la légitimité populaire d'accélérer la refonte des lois et des institutions, pour la réalisation des aspirations du peuple sénégalais pressé de se débarrasser des vestiges du passé qui reflètent la survivance d'un système encore tenu par des compradores et qui ont une extraordinaire capacité de nuisance, de déstabilisation acquise par la prédation des biens communs, l'enrichissement illicite, la concussion, les délits d'initié, la corruption, l'escroquerie foncière, les fraudes douanières, fiscales et autres infractions occultes non encore couvertes par la prescription.
Le ministère de la Justice a le devoir de rechercher et de mettre la justice à contribution rapide et sans délai dans l'objectif de la seule reddition des comptes, avec le respect biblique des règles de procédures, des droits de la défense et de la séparation des pouvoirs.
La rupture doit être résolue et radicale
Les Sénégalais ainsi que les panafricains distants des blocs impérialistes et hégémonistes, encore patients, restent toujours déterminés à accompagner le nouveau pouvoir politique et judiciaire, au prix de leur sang, pour l'exercice d'une souveraineté sans compromis ni compromissions.
Mais le temps dans la rupture radicale reste le plus grand ennemi et le meilleur allié des valets de l'impérialisme et de leurs agents restés nombreux dans des postes stratégiques de l'Etat.
PAR Idrissa Doucouré
LA REVOLUTION DE L’ADMINISTRATION PUBLIQUE
Imaginez un Sénégal où chaque citoyen, du villageois au citadin, se sent écouté et servi par une administration efficace et transparente. Ce rêve, longtemps perçu comme une utopie, pourrait devenir réalité ...
Imaginez un Sénégal où chaque citoyen, du villageois au citadin, se sent écouté et servi par une administration efficace et transparente. Ce rêve, longtemps perçu comme une utopie, pourrait devenir réalité grâce à des réformes audacieuses des politiques publiques.
Le gouvernement sénégalais a lancé des concertations nationales pour réformer le service public, impliquant tous les acteurs concernés. Ces discussions marquent le début d’une transformation profonde visant à aligner notre administration sur les standards internationaux de performance et de transparence. La réforme du secteur public est cruciale pour le succès des politiques de la troisième alternance. Le ministre Olivier Boucal souligne que « la qualité de l’administration publique est un atout clé pour notre compétitivité et notre attractivité, notamment pour attirer des investissements générateurs d’emplois. »
Un obstacle majeur est l’état d’esprit des fonctionnaires. Trop souvent, l’administration rime avec bureaucratie, corruption et favoritisme. Il est essentiel de comprendre les causes profondes de ces problèmes pour esquisser des solutions. De nombreux fonctionnaires, bien que correctement payés, sont démotivés. Ce n’est pas seulement une question de revenus, mais d’état d’esprit. Ils se comportent comme des enfants gâtés de la République, sans contrôle ni sanction. Chaque fonctionnaire doit comprendre que son travail est crucial pour le développement du pays.
Pour inspirer ce changement, le Sénégal pourrait revisiter l’exemple du Japon, où les fonctionnaires sont formés dès leur entrée à adopter un état d’esprit de service public, axé sur la satisfaction des citoyens. Des programmes de formation continue pourraient cultiver cet état d’esprit au Sénégal.
La planification des actions publiques doit adopter une approche ascendante, impliquant les communautés locales dès les premières étapes. Cela renforce leur sentiment d’appartenance et de responsabilité. Des mécanismes de consultation et de participation citoyenne robustes, ainsi qu’une décentralisation effective, sont nécessaires.
Les autorités devraient envisager la création d’une cellule interministérielle pour la participation citoyenne. L’engagement associatif et la participation au débat public sont essentiels pour vivifier la démocratie. Cette démarche pourrait dynamiser les relations entre les communautés et les collectivités territoriales, facilitant la co-construction de solutions efficaces et adaptées. La relation entre le pouvoir central et les exécutifs locaux, tels que les villes et les communes, est cruciale. En Norvège par exemple , les communautés sont des partenaires à part entière dans la gouvernance locale. Le Sénégal pourrait s’inspirer de ce modèle pour repenser ses relations locales.
En Angleterre, le contrôle des actions administratives combine contrôle à priori et à postériori, équilibrant prévention des erreurs et réactivité. Le Sénégal pourrait adopter une approche similaire pour instaurer un système de contrôle efficace et équilibré.
Pour une administration performante et au service des Sénégalais, il est essentiel de repenser les relations entre le pouvoir central, les exécutifs locaux et les communautés. Les réformes doivent être guidées par la transparence, la participation et la responsabilité. En adoptant une approche équilibrée du contrôle, en favorisant une planification ascendante et en renforçant les partenariats locaux, nous pouvons construire une administration plus efficace et proche des citoyens. C’est un défi ambitieux, mais réalisable avec une volonté politique forte et une coopération active de tous les acteurs. Œuvrons ensemble pour une administration qui incarne les valeurs de service public et répond aux aspirations de tous les Sénégalais.
Par Abdoul Aly KANE
LE SENEGAL TIRAILLE ENTRE L’AES ET LA CEDEAO
Selon les théoriciens néo-libéraux, grands défenseurs de l’ordre occidental établi, l’Afrique du 21ème siècle serait au cœur du développement économique mondial, prenant la suite des pays asiatiques...
Selon les théoriciens néo-libéraux, grands défenseurs de l’ordre occidental établi, l’Afrique du 21ème siècle serait au cœur du développement économique mondial, prenant la suite des pays asiatiques, centres de la fabrique des produits industriels du monde durant le 20ème siècle.
Ce grand mensonge a été accompagnée d’une littérature économique abondante de théoriciens occidentaux du développement à usage d’endormissement, dont nos dirigeants se sont inspirés pour bâtir à la va vite, des programmes économiques du style « Plan Sénégal Emergent).
Aujourd’hui, ce narratif ne tient plus, ainsi que les concepts qui l’accompagnent considérés comme des atouts (« Dividende démographique », « croissance à 2 chiffres » « émergence économique » , « classe moyenne » etc..).
La réalité est que l’Afrique demeure encore figée dans un rôle de pourvoyeur à faible coût de matières brutes transformées hors du continent et de réceptacle des produits industriels et agricoles fabriqués ailleurs.
A la place, l’Afrique parle d’elle-même de transformation industrielle de ses ressources naturelles, de transformation structurelle de l’économie, de développement économique endogène et d’intégration économique régionale.
Les discours des dirigeants du monde sur l’Afrique deviennent plus clairs.
« Nous sommes là pour nos intérêts » dit de façon explicite le Président Macron.
Dans la ligne de la préservation des intérêts français nés du partage de Berlin, le Général Lecointre, ancien chef d’état-major des armées de la France, a fait une déclaration qui résonne encore :
« le destin de la France se joue entre la Méditerranée et l’Afrique. On va essayer de convaincre les européens d’intervenir collectivement. Nous ne devons pas laisser un continent s’enfoncer dans le chaos et la guerre civile, avec la destruction des appareils d’état et de gouvernements.
L’Europe se transformera en entité politique, et ira défendre ses intérêts y compris au moyen de l’engagement de ses armées ».
Ces propos sont en droite ligne d’une conception des rapports entre la France et l’Afrique, faisant de l’ancienne puissance coloniale, le propriétaire légitime des ressources naturelles du continent, ce que les indépendances formelles avaient fini par faire oublier.
La guerre entre la Russie et l’Ukraine a joué un rôle de déclencheur dans ce passage d’un poker menteur à la clarification des positions sur l’Afrique.
La déclaration du Président russe d’affaiblir la France en soutenant les régimes souverainistes de son pré-carré, en réaction aux sanctions et au soutien de celle-ci à l’Ukraine, a fait dériver le conflit européen vers le continent.
Un pas de plus a été franchi avec la récente déclaration de diplomates de l’ambassade de l’Ukraine au Sénégal suggérant « un soutien clair à l’attaque perpétrée dans le Nord Mali, par des rebelles Touaregs et des membres du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) contre les Forces Armées du Mali (FAMa) », et ce sans aucune condamnation du camp occidental, aura suffi pour acter le transfert du champ de bataille européen en Afrique.
Rappelons que cette situation n’est pas inédite, car en 2022, l’ambassade de ce pays avait déjà fait appel aux jeunes d’Afrique pour leur enrôlement dans l’armée ukrainienne à partir de notre territoire. Cela avait conduit le ministre des Affaires étrangères du Sénégal de l’époque, Mme Aissata Tall Sall, à émettre une note de protestation en direction des autorités consulaires de ce pays.
On peut en conclure qu’il y a indiscutablement dans ces propos et actes, une volonté manifeste d’opposer le Sénégal au Mali considéré comme l’allié de la Russie.
La guerre entre les pays de l’AES et les rebelles « touaregs, djihadistes terroristes » connait un regain d’intensité en cette année 2024.
C’est dans ce contexte de guerre qu’il faut apprécier les différends entre la CEDEAO et les pays de l’AES.
Concernant la CEDEAO, 50 ans d’existence auront largement suffi pour constater son échec à bâtir une économie régionale intégrée, un de ses objectifs majeurs.
À l’examen des flux commerciaux entre États membres (12 15%, contre 60% entre l’Europe et la CEDEAO) l’intégration économique sous-régionale est restée au stade de velléité.
Aujourd’hui, l’organisation communautaire est confrontée au défi sécuritaire dans son espace.
Par le passé, elle est militairement intervenue dans des pays membres en proie à des crises politiques ou en guerre civile (ECOMOG au Libéria, en Sierra Leone, en Guinée Bissau, en Gambie, en Côte d’Ivoire).
Là, il s’agit de faire face à la menace terroriste contre laquelle l’ancienne puissance tutélaire avait mené des opérations (Serval et Barkane) qui n’avaient pas abouti à l’éradication de la menace.
Dès lors, on peut comprendre que les populations des pays agressés aient érigé le besoin de sécurité en priorité absolue, avec comme conséquence le soutien aux coups d’états militaires, quitte à mettre en second plan les principes de conquête du pouvoir par la voie démocratique.
Ces coups d’états au Mali, au Burkina et au Niger ont été populaires, parce que considérés par les populations comme l’ultime recours contre les forces terroristes.
Fallait-il manifester de la tolérance envers ces régimes ayant pris le pouvoir par des méthodes aux antipodes de la démocratie (coups d’états), mais bénéficiant du soutien des peuples, ou alors les sommer de rentrer dans les casernes et de restaurer l’ordre démocratique existant, même si ceux-ci se sont montrés impuissants à vaincre le terrorisme ?
La CEDEAO a choisi la seconde option, et ce faisant, s’est mise à dos la jeunesse, principale composante des populations d’Afrique ; celle-ci s’est sentie laissée à elle-même, n’ayant par conséquent d’autre alternative que de se souder aux seules forces en mesure de défendre l’intégrité territoriale et la sécurité de ses populations.
À cet effet, la CEDEAO a ordonné le 10 août 2023, le déploiement de sa « force en attente » pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger sans pour autant apporter de solutions sur la question sécuritaire, ce qui a constitué une grave erreur.
Aujourd’hui, après le déploiement d’une panoplie de sanctions contre les « golpistes », la CEDEAO revient pour demander le retour de ces pays en son sein, alors que ces derniers ont entretemps, créé l’Alliance des Etats du Sahel.
La problématique de l’utilité de la « vieille dame » se pose désormais dans les termes suivants :
A quoi sert une organisation communautaire qui ne vous assiste pas lorsque votre existence est menacée, et au contraire vous inflige des sanctions économiques et financières ?
La demande de retour des pays dissidents est-elle liée à un changement profond de l’organisation sur l’économie et la sécurité ?
Quid de l’ECO ?
Quid de l’intégration économique régionale qu’elle était censée réaliser depuis 1975, via la création d’un espace économique homogène ?
Concernant l’intégration économique, la réorientation de flux commerciaux en direction des membres de la CEDEAO est la principale condition de sa faisabilité.
Ces questions exigent des réformes à mener sans tarder, et des actes forts pour convaincre.
Il s’agit d’œuvrer en urgence pour faire de l’organisation le fer de lance d’un développement économique sous-régional endogène, mais également la principale force de sécurité en Afrique.
Au plan économique, de larges concertations d’opérateurs privés, de responsables étatiques et d’institutions financières régionales et internationales doivent être lancées.
Cela devra être précédé par l’organisation d’états généraux du commerce intra régional afin d’identifier les opportunités de renforcement des flux commerciaux en question.
La question sécuritaire demande, quant à elle, des réflexions approfondies sur la problématique de la mutualisation des moyens de défense, à l’instar de ceux mis en œuvre entre les pays de l’AES.
Le Sénégal n’est pas (pas encore) dans la ligne de feu du terrorisme, bien qu’il doive redoubler de vigilance ; d’aucuns affirment d’ailleurs que son statut de nouveau pays pétrolier le prédispose à entrer dans le cercle des pays africains nantis en ressources naturelles, alors qu’il n’aurait aucune légitimité à en bénéficier.
Ce type de déclarations sont un appel à peine voilé aux forces obscures qui font le malheur des populations africaines au Nigéria, dans les pays de l’AES, en Libye et partout ailleurs dans le monde.
Conclusions
Les peuples des pays de l’AES plaident pour l’entrée du Sénégal dans cette organisation, suite au changement de régime ayant porté au pouvoir des adeptes du souverainisme panafricain.
Des réponses claires ont été données à cette question par le Président Bassirou Diomaye Faye et son Premier Ministre Ousmane Sonko, sur lesquelles il ne nous semble pas utile de revenir.
En réalité la question se pose dans les termes suivants :
Faut-il casser la CEDEAO parce qu’elle serait prise en otage par des chefs d’états non adeptes de la rupture avec une France impérialiste, pour créer (ou rejoindre) une nouvelle organisation ?
Une 3ème voie ne devrait toutefois pas être exclue, à savoir rester dans la CEDEAO pour en changer le logiciel de fonctionnement au profit d’une véritable intégration régionale et d’une sécurité renforcée pour la défense de l’intégrité territoriale et la sécurité des populations.
Quelle que soit l’option qui sera retenue à brève échéance, l’alliance sécuritaire entre pays d’Afrique de l’Ouest ne devrait pas induire ipso facto la réalisation d’une intégration économique sous-régionale.
Cette intégration économique devra être examinée en fonction de dynamiques de croissance et de développement, sous-tendues par des entreprises nationales (grandes moyennes et petites) ouvertes sur le marché sous-régional afin de générer des flux commerciaux et financiers, des partenariats aptes à réorienter le commerce extérieur centré l’Europe vers la sous-région.
Au plan sécuritaire, les sanctions de tous ordres visant à isoler les pays de l’AES du reste de l’Afrique de l’Ouest sous le prétexte de non-respect des principes démocratiques d’accès au pouvoir, doivent être levées, car l’heure est à l’union contre la menace terroriste.
par Mahamadou Lamine Sagna
ENTRE L’AUBE ET LE CRÉPUSCULE D’AMADOU ÉLIMANE KANE OU UNE EXPLORATION EN PROFONDEUR DE LA CONDITION HUMAINE
EXCLUSIF SENEPLUS - Chaque page de cette œuvre nous transporte dans un univers dense et complexe. C'est un vibrant hommage à l’intelligence humaine, à sa capacité à ne pas se confondre avec le totalitarisme
Pour le sociologue que je suis, il y a des moments où la lecture de romans permet d’explorer des dimensions complexes de l’existence et de déchiffrer certains codes sociaux implicites. En d’autres termes, il y a des romans qui nous aident à mieux comprendre les sociétés humaines en dévoilant les nuances de la vie sociale, les dynamiques sociales ayant lieu parfois dans des structures invisibles aux chercheurs en science sociale. Certaines œuvres littéraires deviennent ainsi des miroirs subtils des réalités sociales. Elles offrent des perspectives nouvelles dans la compréhension des interactions sociales dans les systèmes de pouvoir. Il en est ainsi de l’excellent livre d’Amadou Elimane Kane.
Chères lectrices et chers lecteurs, c'est avec un immense plaisir que je vous présente cette critique d'un magnifique roman. Entre l'aube et le crépuscule, la nouvelle œuvre d'Amadou Elimane Kane, nous emporte dans un voyage initiatique en deux parties, où un univers imaginaire se mêle habilement à une réalité transformée pour les besoins de la fiction.
Dans la première partie, l'histoire se concentre sur Salamata, une jeune femme passionnée par les récits de son père, qu'elle perpétue en fondant sa propre famille. En parallèle de son quotidien et de son histoire familiale, les récits des reines d’Afrique, qu'elle transmet à ses enfants, offrent des moments privilégiés d'éducation, reflétant ainsi les enseignements qu'elle-même a reçus. Ces récits constituent des fils conducteurs entre les générations, témoignant de la transmission culturelle et de l'importance des racines dans la construction de l'identité et du lien familial.
Dans ce premier épisode, Salamata occupe une place singulière, nous plongeant au cœur des émotions les plus profondes de la nature humaine. À travers son regard, nous partageons ses douleurs, ses joies, ses espoirs et ses craintes. Avec émerveillement, nous découvrons la richesse de la culture africaine et la profondeur de ses traditions. Nous sommes transportés dans un univers où le passé et le présent s'entrelacent pour tisser la trame même de l’existence. Cette immersion dans l'intimité de Salamata nous permet de saisir la vitalité de son héritage culturel et la puissance de sa connexion avec les traditions ancestrales, offrant ainsi une exploration captivante de l'humanité et de son rapport au monde qui l'entoure.
Ainsi, je retiens ce passage saisissant du prologue, le moment où Salamata est en train d'accoucher, celle-ci ressent une diminution progressive de la douleur physique et se plonge dans ses pensées et ses souvenirs. Elle se remémore les histoires que son père lui racontait dans son enfance, notamment celles des princesses Yannega, Zingha, Pokou, Ndatté Yalla, et Ndjombött Mbodj, des femmes puissantes de l'histoire africaine. Ces récits lui procurent du réconfort et de la force alors qu'elle endure les douleurs de l’enfantement.
Au fil du travail, Salamata puise en elle-même et dans les paroles de son père pour sublimer le déchirement de la naissance de son enfant. Le récit de Salamata nous emmène dans un voyage à travers les émotions humaines les plus profondes, des moments de détresse insoutenable à ceux de joie indicible. La nuit est tombée sur Dagana, et Salamata entreprend de raconter des histoires à ses fils. Elle leur parle cette fois-ci de la reine Kassa du Mali.
Ce passage, qui évoque les empreintes historiques qui nous constituent, nous invite à réfléchir sur l'importance de préserver et de transmettre nos histoires, nos traditions et notre héritage culturel, tout en reconnaissant la valeur inestimable de ces récits dans la construction de notre identité et de notre compréhension du monde qui nous entoure.
De même, par le truchement du personnage de Salamata, l’auteur fait danser la ronde des ancêtres, comme sauvegarde de la mémoire, une sagesse contenue dans l'héritage culturel et historique africain et qui demeure un axe fondateur de la quête de la justice et de la liberté.
Ainsi, en écoutant les récits de Salamata, avec une mise en abîme de sa propre trajectoire, on emporte avec soi une expérience qui transcende les limites des pages imprimées, nous incitant à nous approprier les épisodes d’un monde antérieur, qui a été oublié, mais qui est un ancrage à notre propre réalité, à nos valeurs et à notre destinée.
Mais l’auteur opère ici une subtile articulation littéraire car Pathé, le fis de la Salamata, qui démontre une grande aptitude à l’appropriation des récits, devient le maillon de l’histoire, en prenant le relais de sa mère et en devenant le narrateur principal de la suite du récit.
Dans la deuxième partie du roman, un saut temporel et spatial nous transporte soudainement vers l'émergence de la République des Samba Kounkandé, une construction fictive qui évoque néanmoins, par certains aspects, la réalité contemporaine du Sénégal. Le temps a évolué, et Pathé est devenu écrivain et professeur, ayant également fondé sa propre famille. Nous le découvrons à un moment crucial pour la stabilité morale et sociale du pays. Cette ellipse romanesque place Pathé au premier plan du récit, tout en laissant en toile de fond la voix persistante de Salamata. C'est à travers ses yeux que nous explorons les défis et les enjeux de cette nouvelle ère, alors que le passé et le présent se mêlent pour façonner l'avenir incertain de la nation et de ses habitants.
La mission de Pathé est celle de la recherche de la vérité, au nom d’une justice dénuée de tout intérêt personnel. Il s’agit ici de mener une enquête de manière objective, en déjouant tous les pièges, toutes les menaces et toutes les manipulations pour rétablir une loyauté devenue folle.
Le récit est conduit avec les techniques du roman à enquête, avec des zones d’ombre et des rebondissements, dans une ambiance inquiétante et qui très souvent se dérobe à la raison.
Dans ce passage, l'auteur/narrateur dépeint de manière incisive un pan de la société sénégalaise, exposant le népotisme, la corruption, les déclarations mensongères, et dénonçant l’hérésie d’une justice dévoyée. Cette critique sociale féroce met en lumière la cupidité des dirigeants politiques et la souffrance indignée du peuple qui en découle. Elle s'élève contre la complaisance face à l'oppression et à l'exploitation, ainsi que contre la propension de certains à sacrifier leur dignité pour un gain personnel. C’est également un appel à l’action pour toutes et tous ! Ne pas céder à l'oppression et à l'injustice, en exhortant les individus à ne pas rester silencieux face à une autorité malfaisante qui ne cherche que le bâillonnement des consciences. Amadou Elimane Kane nous propose un réveil littéraire et citoyen qui consiste à lutter, encore et toujours, pour un retour à la mesure gouvernementale et à l’intégrité qui sont synonymes de liberté.
Tel un éclair illuminant soudainement l'obscurité, à la conclusion de l'histoire, la voix de Salamata résonne à nouveau, relatant les siècles de dictatures à travers le monde pour mettre en lumière la décadence humaine qui en découle. Cette narration résonne comme une illustration frappante, soulignant la persistance de l'oppression et de l'injustice à travers les âges, et offrant ainsi une réflexion poignante sur la condition humaine.
À travers les riches références à la culture africaine et à la mémoire collective, Amadou Elimane Kane, profondément ancré dans le panafricanisme par conviction, renforce le sentiment d'identité et de dignité des opprimés. Il affirme avec vigueur que leur histoire et leur héritage sont des sources d’efficacité, d’unité et de résilience. En mettant en valeur ces éléments, il éclaire la voie vers la reconnaissance et la célébration de la richesse culturelle et de la force collective des peuples africains.
Plonger dans les profondeurs du roman Entre l’aube et le crépuscule d'Amadou Elimane Kane est une expérience captivante, une plongée dans les abysses de l'existence humaine. Chaque page de cette œuvre nous transporte dans un univers dense et complexe où les personnages naviguent entre leurs luttes intérieures et les défis extérieurs qui toujours se dressent sur le chemin. Bien plus qu'une simple narration, ce roman nous convie à une exploration profonde de l'âme humaine, nous invitant à sonder les tréfonds de nos émotions et de nos pensées.
Au cœur de cette épopée, les personnages se dévoilent dans toute leur humanité, partageant leurs luttes, leurs espoirs, leurs peurs et leurs victoires, résonnant ainsi avec une universalité frappante. L'un des aspects les plus saisissants de Entre l'aube et crépuscule réside dans son exploration profonde et captivante de la quête humaine pour la vérité, la justice et la liberté. Dans un monde où la corruption, l'injustice et la tyrannie sont la norme, les personnages se dressent courageusement pour défendre leurs convictions. Leurs voix résonnent avec force à travers les pages, puisant dans l'héritage de leurs ancêtres pour nourrir leur combat et inspirer les générations futures.
À travers ces pages, nous sommes transportés dans un univers où la tradition et la modernité se rencontrent, où le passé et le présent s'entrelacent pour former le tissu même de l'existence. Nous découvrons avec émerveillement la richesse de la culture africaine et la profondeur de ses traditions, tout en contemplant les défis contemporains auxquels sont confrontés ses protagonistes.
Chaque mot, chaque phrase de ce roman exprime avec une intensité palpable la recherche incessante de la vérité et de la justice pour mettre à terre toutes les formes de répression mentale. Les passe-droits et la pollution morale qui gangrènent la société sont dépeints avec une évidence déconcertante, mettant en lumière la souffrance du peuple et la voracité des dirigeants politiques. Mais au cœur de cette obscurité persiste une lueur d'espoir, car les personnages refusent de se soumettre à leur sort, appelant à l'action, à la résistance, à la lutte pour un monde meilleur.
Quant à l’écriture, elle se présente ici comme une voix puissante et émouvante, une narration hydrique entre les récits de Salamata, issus du tissu mémoriel africain et un narrateur qui refuse de rester silencieux face à l’infamie et à l’asphyxie d’une société décadente, invoquant la mémoire et l'héritage des ancêtres pour nourrir une quête collective de vérité, de justice et de liberté. Tout comme la parole de Salamata qui revient à la toute fin du récit et qui dénonce les barbaries historiques qui ne sont que graines de violence et de haine de soi.
Entre l’aube et le crépuscule ne se contente pas d'être un simple roman ; c'est un vibrant hommage à l’intelligence humaine, à sa capacité à ne pas se confondre avec le totalitarisme, à opposer sa résistance pour faire jaillir l’équité collective. Il nous exhorte à embrasser nos histoires, nos traditions, nos héritages, et à les défendre avec témérité et détermination.
En refermant ce livre, nous emportons bien plus qu'une simple histoire littéraire ; nous vivons une expérience profondément émouvante et révélatrice qui résonnera en nous bien après avoir tourné la dernière page. Entre l’Aube et le Crépuscule transcende les frontières et les époques, nous invitant à réfléchir sur notre place dans le monde et sur le pouvoir de la résilience humaine, même dans les heures les plus sombres.
Mahamadou Lamine Sagna est Professeur de Sociologie, Directeur d’Africana Studies, WPI, (Worcester Polytechnic Institute), USA.
Amadou Elimane Kane, Entre l’aube et le crépuscule, roman, éditions Africamoude et éditions Lettres de Renaissance ; septembre 2024
par l'éditorialiste de seneplus, félix atchadé
L’AES, ENTRE DÉFIANCE ET STRATÉGIES GÉOPOLITIQUES
EXCLUSIF SENEPLUS - En ciblant principalement la CEDEAO, les membres de l'AES semblent détourner l'attention du véritable contentieux : leur appartenance à l'UEMOA. On peut envisager trois scénarios possibles pour l'avenir de la région et au-delà
Félix Atchadé de SenePlus |
Publication 03/09/2024
L’histoire contemporaine de l’Afrique de l’Ouest est jalonnée de tentatives de regroupements d’États dépassant le statut d’organisation internationale ou de coopération. Les premiers d’entre eux sont nés en plein processus de décolonisation. Ils ont été construits le plus souvent autour de trois États pivots à savoir le Sénégal, le Ghana et la Côte d’Ivoire. De la Fédération du Mali (Sénégal et Soudan français devenu République du Mali) à la Confédération de la Sénégambie en passant par le Conseil de l’Entente, ces entités ont connu des fortunes diverses mais n’ont jamais pu atteindre les objectifs qu’ils s’étaient fixés : mieux intégrer les économies des pays les composant et pesés davantage sur l’ordre du monde.
Le 6 juillet 2024 à Niamey, la Confédération de l’Alliance des États du Sahel (AES) regroupant le Burkina, le Mali et le Niger est née. En rupture avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) que les trois pays ont décidés de quitter. Une nouvelle entité, au sort destiné à être ressemblant à celui des ligues qui l’ont précédé ? Les sceptiques répondront par l’affirmative. Cet article n’a pas vocation à se lancer dans de telles spéculations. Il vise à comprendre les dynamiques en jeu et les processus de remodelage de la géopolitique sous-régionale qui vont en découler.
Dans quelle mesure la naissance de l’AES va influencer les relations avec les organisations régionales, CEDEAO et Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Quid des équilibres régionaux ? Quelles seront les implications économiques, stratégiques et politiques en Afrique de l'Ouest, surtout en considérant les contraintes géographiques ?
Nous commencerons par une analyse historique du sujet, puis nous développerons les enjeux contemporains, avant d’esquisser des perspectives. Pour guider notre analyse nous allons nous allons nous appuyer sur deux théories des relations internationales : celle de l’école du néoréalisme et celle des systèmes mondiaux.
La première postule que les États agissent principalement pour maximiser leur sécurité et leur pouvoir dans un système international anarchique, c’est-à-dire dépourvu d’une autorité suprême reconnu par tous. La théorie des systèmes mondiaux d’Immanuel Wallerstein, quant à elle met en exergue le fait que le système mondial est dominé par une économie capitaliste qui divise les pays en centre, semi-périphérie et périphérie. Partant de cela, les relations internationales sont caractérisées par des dynamiques d'exploitation et de dépendance.
Une brève histoire ouest-africaine des alliances
L'Afrique de l'Ouest a connu de nombreuses alliances pour contrer l’impérialisme et mieux associées les forces des États nouvellement indépendant afin de faire face à violence d’un monde injuste caractérisé par des échanges inégaux et la guerre froide.
Le premier de ces regroupements nous reste en souvenir sous la forme du tube Ghana-Guinea-Mali de la star de la musique highlife E.T.Mensah. Le 23 novembre 1958, un an après l’indépendance du Ghana et moins de deux mois après celle de le Guinée, l’union est scellée. Elle prend le nom d’Union Ghana-Guinée. Le 1er mai 1959, pour marquer son ouverture, l'Union est renommée Union des États africains. Quelques mois plus tard, après sa rupture d’avec le Sénégal, le Mali joignit l'Union. L'Union éclata en 1962, lorsque la Guinée s’est rapproché des États-Unis, contre la ligne marxiste de ses partenaires, qui étaient plutôt orientés vers l'Union soviétique. La Fédération du Mali, créée en 1959, a été une union entre le Sénégal et le Soudan français (actuel Mali) visant à former un État fédéral au moment de l'indépendance. Elle s'est dissoute en 1960 en raison de divergences politiques et administratives entre ses principaux dirigeants (Modibo Keïta, Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia) et des manœuvres de l’État colonial français. Pour faire contrepoids à la Fédération du Mali, toujours en 1959, le Conseil de l'Entente à l’initiative de Félix Houphouët Boigny était fondé. Outre la Côte d'Ivoire, le Niger, le Burkina Faso (anciennement Haute-Volta), le Bénin (anciennement Dahomey) et le Togo. Ce regroupement a pour but de à renforcer la coopération économique et politique entre ses membres. S’il est tombé en léthargie, le Conseil de l’Entende n’a jamais été dissous. La Confédération de la Sénégambie, formée en 1982 entre le Sénégal et la Gambie, avait pour objectif d'unifier les politiques économiques et de défense. Cependant, elle a été dissoute en 1989 en raison de tensions politiques, d'un manque de cohésion administrative et surtout des difficultés économiques de l’État sénégalais, qui finançait les institutions confédérales.
La CEDEAO un formidable instrument d’intégration mais miné par les influences extérieures
La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) est une organisation intergouvernementale ouest-africaine créée en 1975 pour promouvoir la coopération et l'intégration économique et monétaire. Son acte fondateur a été entériné par 16 États membres. En 2000, la Mauritanie a quitté l’organisation. Depuis sa création, la CEDEAO a mis en place une zone de libre-échange, un tarif extérieur commun et travaille vers une union douanière complète et une monnaie commune.
Elle a également entrepris des projets d'infrastructure pour améliorer la connectivité régionale, intégrer les réseaux énergétiques et de télécommunications, et garantir la libre circulation des personnes. La CEDEAO a également mis en place des structures pour la prévention et la gestion des conflits, la lutte contre le terrorisme, et le développement socio-économique, notamment dans les domaines de l'agriculture, de la santé et de l'éducation. Elle collabore également avec des organisations internationales pour renforcer la coopération régionale et attirer des investissements étrangers. La CEDEAO joue un rôle crucial dans l'architecture de paix et de sécurité de l'Union africaine (UA), s'inscrivant pleinement dans le cadre de l'Agenda 2063 de l'UA, qui vise à transformer le continent en une puissance mondiale de l'avenir.
Le Protocole Additionnel de la CEDEAO sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance de 2001, vise à renforcer les principes de gouvernance démocratique dans les États membres. Il réaffirme l'importance de la séparation des pouvoirs, de l'indépendance de la justice, et de la nécessité d'élections libres et transparentes pour toute accession au pouvoir. Le protocole met également l'accent sur la neutralité de l'État en matière religieuse et garantit la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Enfin, il établit des mesures contre la corruption et promeut la lutte contre la pauvreté, tout en encourageant la participation active des femmes et des jeunes dans les processus politiques et sociaux.
Depuis quelques années la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) est confrontée à plusieurs défis et tensions internes qui minent son efficacité et sa cohésion. La région est en proie à des crises dues à divers groupes d’insurgés. Certains d’entre eux revendiquent des affiliations à des groupes djihadistes notamment Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et l'État islamique au Grand Sahara (EIGS). L'insécurité chronique dans le Sahel et les attaques fréquentes déstabilisent les États membres et compliquent les efforts de coopération régionale. Les coups d'État militaires récents au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et au Niger ont profondément perturbé la région. Ces événements ont mis à l'épreuve la capacité de la CEDEAO à maintenir la stabilité, la démocratie et à proposer des solutions politiques de sortie de crise. La réponse de l'organisation à ces coups d'État a été variée, allant de la suspension de membres aux sanctions économiques. Elle a été à la base de la crise de l’organisation avec la sortie dans les prochains mois des trois pays formant l’AES.
L'Alliance des États du Sahel (AES)
L'Alliance des États du Sahel (AES) est un projet politique d'intégration régionale qui a vu le jour dans un contexte de crises multiples au Sahel, notamment l'instabilité politique, les défis sécuritaires et les pressions économiques. L'AES regroupe le Mali, le Burkina Faso et le Niger, des États confrontés à des coups d'État militaires récents et à des menaces terroristes persistantes. L'initiative est née de la volonté de ces pays de renforcer leur coopération pour faire face aux défis communs et affirmer leur souveraineté face aux influences extérieures, notamment de la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et des puissances internationales en particulier la France, l’Union européenne et les États-Unis.
L'AES se présente comme un projet confédéraliste, visant à renforcer l'autonomie et la coopération entre ses membres. Les principaux objectifs déclinés dans la charte de création : la sécurité collective (la lutte contre le terrorisme et l'insécurité) par la coordination et la mutualisation des efforts militaires et sécuritaires ; la souveraineté renforcée et l’intégration économique. L'AES aspire à créer un espace économique commun, favorisant la libre circulation des biens, des services et des personnes entre ses membres. Cela inclut la mise en place de projets d'infrastructure transnationaux et le renforcement des échanges commerciaux intrarégionaux. Ces objectifs ne sont pas en réalité différents que ceux que poursuivent la CEDEAO.
Pour envisager l'avenir de l'Alliance des États du Sahel (AES), il est utile d'analyser cette initiative à travers deux grandes théories des relations internationales : la théorie des systèmes mondiaux d'Immanuel Wallerstein et celle de l'école néoréaliste. Ces deux cadres permettent de comprendre les dynamiques structurelles et les rapports de force qui pourraient influencer le devenir de l'AES.
Selon Wallerstein, le monde est divisé en trois zones : le centre, la semi-périphérie et la périphérie. Les pays du centre dominent l'économie mondiale, tandis que les pays de la périphérie sont exploités pour leurs ressources, subissant les effets de la domination économique et politique des pays du centre. Les pays de la semi-périphérie occupent une position intermédiaire, profitant de certaines marges de manœuvre tout en restant sous l'influence des puissances centrales.
Les États membres de l'AES (Mali, Burkina Faso, Niger) se situent clairement dans la périphérie du système mondial, caractérisés par des économies dépendantes des exportations de matières premières et une dépendance vis-à-vis de l'aide internationale. Cette position périphérique limite leur capacité à influencer les dynamiques globales et les rend vulnérables aux pressions extérieures.
Dans le cadre de la théorie des systèmes mondiaux, l'AES pourrait être vue comme une tentative de ces États périphériques de résister à l'exploitation par les centres de pouvoir mondiaux (notamment les anciennes puissances coloniales comme la France et les institutions financières internationales). En se regroupant, les membres de l'AES cherchent à renforcer leur autonomie et à réduire leur dépendance par rapport au système mondial dominé par les pays occidentaux.
Toutefois ces efforts sont souvent limités par les structures rigides du système mondial qui maintiennent les inégalités entre le centre et la périphérie. Il est donc possible que, malgré leurs efforts, les membres de l'AES continuent de subir les contraintes du système mondial, notamment à travers des sanctions économiques, des pressions politiques internationales, ou l'influence continue des puissances extérieures dans la région.
L'école néoréaliste, notamment incarnée par des théoriciens comme Kenneth Waltz, part du principe que le système international est anarchique, c'est-à-dire qu'il n'existe pas d'autorité supérieure aux États pour réguler leurs interactions. Dans ce contexte, chaque État cherche à maximiser sa sécurité et sa survie, souvent en formant des alliances stratégiques.
L'AES peut être interprétée comme une réponse rationnelle des États membres à un environnement régional marqué par l'insécurité et l'instabilité. En se regroupant, ces États espèrent renforcer leur sécurité collective face aux menaces terroristes, aux ingérences étrangères et aux pressions des organisations régionales comme la CEDEAO. Pour les néoréalistes, cette alliance est donc une tentative de balance of power (équilibre des pouvoirs) visant à contrer l'influence des acteurs plus puissants de la région.
Dans une perspective néoréaliste, la viabilité de l'AES dépendra de la capacité des États membres à maintenir un équilibre interne et à prévenir l'émergence de tensions entre eux. L'alliance pourrait renforcer leur position collective dans un environnement international, mais seulement si les États membres parviennent à coopérer efficacement et à éviter les divisions internes. Cependant, les alliances de ce type sont souvent temporaires et motivées par des intérêts pragmatiques. Si les circonstances changent (par exemple, si l'un des membres de l'AES améliore ses relations avec une puissance extérieure ou si les menaces sécuritaires diminuent), l'alliance pourrait se désagréger. En outre, les États extérieurs à l'AES, percevant cette alliance comme une menace potentielle, pourraient chercher à la diviser ou à la neutraliser par des moyens diplomatiques ou économiques.
L'Alliance des États du Sahel : entre défiance et stratégies politiques
La formation de l'AES représente une réponse collective face aux sanctions imposées par la CEDEAO. Toutefois, derrière la rhétorique de défiance affichée par ces pays à l'égard de la CEDEAO, se cachent des dynamiques complexes et des enjeux stratégiques profonds. Dans leur communication, les membres de l'AES annoncent tourner le dos à la CEDEAO, affirmant ainsi leur volonté de rompre avec une organisation perçue comme un instrument d'influence étrangère, notamment française. Cependant, cette posture semble quelque peu paradoxale. En effet, si la CEDEAO a effectivement prononcé des sanctions à l'encontre de ces pays, les mesures les plus sévères ont été imposées par l'UEMOA, une organisation régionale économique et monétaire à laquelle ils sont également affiliés. Pour le Niger, des sanctions inédites ont été prises. En contradiction avec les textes fondateurs de l'UEMOA, le gel des avoirs du pays à la Banque Centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) a été ordonné.
En ciblant principalement la CEDEAO, les membres de l'AES semblent détourner l'attention du véritable contentieux : leur appartenance à l'UEMOA et, par extension, leur utilisation du franc CFA. Cette monnaie, symbole de l'influence persistante de la France en Afrique de l'Ouest, est au cœur des critiques de ceux qui appellent à une émancipation économique. La question se pose donc : les États membres de l'AES envisagent-ils de quitter l'UEMOA et de créer une nouvelle monnaie pour affirmer davantage leur indépendance ? Une telle décision serait lourde de conséquences économiques, mais pourrait également marquer un tournant dans les relations de ces pays avec la France et les autres puissances régionales notamment la Côte d’Ivoire.
Une stratégie à double tranchant
Quitter la CEDEAO n'est pas sans précédent. La Mauritanie, par exemple, a quitté l'organisation en 2000, marquant ainsi son désaccord avec certaines de ses orientations. Toutefois, les membres de l'AES doivent se méfier des répercussions régionales d'une telle démarche. Depuis 2017, le Maroc, une puissance régionale ambitieuse, cherche à intégrer la CEDEAO. Le départ du Mali, du Niger et du Burkina Faso pourrait ouvrir la voie à l'adhésion du Maroc, modifiant ainsi les équilibres géopolitiques de la région. Dans un tel scénario, quelle serait la stratégie de l'AES ? Pourrait-elle envisager de se rapprocher de l'Algérie, une autre puissance régionale ?
Un rapprochement avec l'Algérie, un acteur économique, démographique et militaire majeur, pourrait renforcer l'AES. Cependant, les relations entre le Mali et l'Algérie sont historiquement ambivalentes, marquées par une méfiance réciproque. Si l'Algérie rejoignait l'alliance, elle exercerait inévitablement un leadership en raison de sa puissance relative, ce qui pourrait créer des tensions au sein de l'AES. Le Mali, en particulier, pourrait hésiter à accepter un partenaire aussi influent, craignant une dilution de son propre pouvoir dans une alliance dominée par un voisin puissant.
Opportunités régionales : changement de régime au Sénégal et neutralité du Togo
La configuration actuelle au sein de la CEDEAO offre cependant de nouvelles opportunités aux membres de l'AES. Le changement de régime au Sénégal, un acteur clé de la CEDEAO, pourrait redéfinir les équilibres politiques au sein de l'organisation. Le nouveau gouvernement sénégalais a déjà annoncé qu’il aura une posture moins alignée sur les positions traditionnelles de la CEDEAO. Cela offre un espace de manœuvre aux pays sahéliens pour influencer les décisions au sein de l'organisation. De plus, la neutralité bienveillante affichée par le Togo dans les récents conflits au sein de la CEDEAO pourrait être un levier stratégique pour l'AES. Le Ghana et le Nigeria n’ont aucun intérêt à un affaiblissement de la CEDEAO. En s'alliant à des États qui partagent une vision plus flexible et moins interventionniste, le Mali, le Niger et le Burkina Faso pourraient changer la donne au sein de la CEDEAO, en favorisant une approche plus respectueuse de la souveraineté des États et en limitant l'influence des puissances extérieures.
Les implications géopolitiques de l'AES : quels scénarios pour l'avenir ?
La création de l'AES a des implications géopolitiques importantes, tant au niveau régional qu'international. Elle modifie les rapports de force, les alliances et les rivalités entre les acteurs. Elle ouvre également des opportunités et des risques pour le développement, la sécurité et la coopération. On peut envisager trois scénarios possibles pour l'avenir :
Un scénario optimiste, dans lequel l'AES réussit à consolider son intégration et à devenir un pôle de pouvoir et de prospérité en Afrique de l'Ouest. Elle parvient à vaincre le terrorisme, à réduire la pauvreté, à diversifier son économie et à renforcer sa démocratie. Elle entretient des relations pacifiques et constructives avec les autres organisations régionales, notamment la CEDEAO et l'UEMOA, ainsi qu'avec les partenaires internationaux, notamment la France, la Chine et les États-Unis. Elle contribue à la stabilité et au développement du continent africain.
Un scénario pessimiste, dans lequel l'AES échoue à consolider son intégration et à devenir un pôle de pouvoir et de prospérité en Afrique de l'Ouest. Elle est confrontée à des tensions internes, à des crises politiques, à des conflits et à des coups d'État. Elle est également victime de la pression et de la concurrence des autres organisations régionales, notamment la CEDEAO et l'UEMOA, ainsi que des ingérences et des manipulations des partenaires internationaux, notamment la France, l’Union européenne et les États-Unis. Elle devient un facteur d'instabilité et de sous-développement du continent africain.
Un scénario intermédiaire, dans lequel l'AES connaît des succès et des échecs, des avancées et des reculs, des opportunités et des risques. Elle réalise des progrès dans certains domaines, tels que la sécurité, le commerce ou la culture, mais elle rencontre des difficultés dans d'autres, tels que le social ou l'environnement. Elle entretient des relations ambivalentes et fluctuantes avec les autres organisations régionales, notamment la CEDEAO et l'UEMOA, ainsi qu'avec les partenaires internationaux, notamment la France, la Chine et les États-Unis. Elle a un impact mitigé sur la stabilité et le développement du continent africain.
Ces scénarios ne sont pas exclusifs, ni exhaustifs, ni prédictifs. Ils sont simplement des outils d'analyse et de réflexion, qui permettent d'explorer les différentes hypothèses et les différents enjeux liés à la création de l'AES. Ils invitent également à se poser des questions et à proposer des solutions, pour que l'AES soit un projet porteur d'espoir et de progrès, non seulement pour les pays du Sahel, mais aussi pour l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest et du continent africain.
Si elle se concrétise, la formation de l'Alliance des États du Sahel (AES) marquera une rupture significative avec l'ordre régional établi par la CEDEAO et représentera une tentative de réinventer la géopolitique en Afrique de l'Ouest. Née d'un contexte de crises sécuritaires, politiques et économiques, cette alliance reflète le désir des États membres de renforcer leur souveraineté face aux influences extérieures et de trouver des solutions régionales à des problèmes complexes. Cependant, l'AES se heurte à des défis considérables, notamment les pressions internationales, leur enclavement, les risques d'isolement économique, et les tensions internes qui pourraient émerger entre ses membres.
La sortie des pays membres de l'AES de la CEDEAO entraînera des répercussions profondes sur les plans politique, économique et sécuritaire. Politiquement, elle redéfinira les alliances dans la région et ouvrira la voie à une influence accrue des puissances telles que la Russie, la Turquie et la Chine. De même, elle marquera le déclin de l’influence française. Économiquement, cette décision pourrait perturber les échanges commerciaux intrarégionaux et compromettre l'accès aux programmes de développement et aux aides internationales, essentiels pour ces pays.
Sur le plan sécuritaire, la sortie de la CEDEAO pourrait modifier les dynamiques migratoires et affecter la lutte contre le terrorisme. Les États membres de l'AES devront trouver de nouveaux moyens de coopérer sur ces questions, en dehors des cadres traditionnels offerts par la CEDEAO. L'AES pourrait ainsi se retrouver à devoir assumer des responsabilités supplémentaires en matière de sécurité régionale, tout en gérant les défis économiques et politiques associés à leur nouvel isolement relatif.
Bibliographie
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