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10 avril 2025
Politique
TROIS ANS DE SANG ET DE LARMES
Ils étaient mécaniciens, ouvriers, étudiants ou élèves et la plupart avaient moins de 30 ans. Entre mars 2021 et février 2024, ils sont 65 à avoir perdu la vie lors des manifestations qui ont secoué le Sénégal, selon un nouveau décompte minutieux
(SenePlus) - Le collectif CartograFreeSenegal, en collaboration avec Amnesty International, a publié mardi un rapport détaillé établissant à 65 le nombre de personnes tuées lors des violences politiques au Sénégal entre mars 2021 et février 2024. Cette initiative citoyenne lancée en juin 2023 apporte une clarification importante sur le bilan humain de cette période troublée.
Selon le communiqué du collectif cité par l'AFP, « 65 morts ont été recensés, dont 51 tués par balles (soit 81% du total) ». Le document précise que « l'âge moyen des victimes est de 26 ans, la plus jeune ayant 14 ans et la plus âgée 53 ans. Près de la moitié des victimes étaient des ouvriers ou des mécaniciens et un quart étaient élèves ou étudiants ».
Cette publication coïncide avec l'anniversaire du décès de la première victime, un étudiant de 20 ans tué le 4 mars 2021 à Bignona, dans le sud du pays. La contestation qui a mené à ces violences était dirigée par Ousmane Sonko, alors figure de l'opposition et aujourd'hui Premier ministre, contre le président Macky Sall qui a dirigé le pays de 2012 à 2024.
L'AFP rapporte que les précédentes estimations fournies par diverses ONG mentionnaient « des dizaines de morts, sans plus de précisions ». La ministre sénégalaise de la famille et des solidarités, Maïmouna Dièye, avait quant à elle avancé début février le chiffre de 79 victimes. À cette occasion, le gouvernement a annoncé son intention d'accorder 10 millions de francs CFA (environ 15 000 euros) aux familles endeuillées.
Le collectif CartograFreeSenegal explique avoir établi « un lien sûr et direct avec les familles des victimes afin d'authentifier chaque décès ». La méthodologie employée a été particulièrement minutieuse : « Pour chaque cas, au moins un journaliste a été chargé de la documentation, examinant certificats d'autopsie, photos et vidéos, ainsi que témoignages des proches, des témoins oculaires et du personnel médical ».
De plus, « un maillage complet du territoire national a été réalisé » pour documenter ces événements durant lesquels « des dizaines d'autres citoyens ont été tués par les forces de défense et de sécurité », indique le collectif selon l'AFP. L'organisation affirme se tenir « aux côtés des familles endeuillées qui attendent toujours justice ».
Le contexte politique national a considérablement évolué depuis ces événements. Ousmane Sonko, aujourd'hui Premier ministre, a annoncé le 27 décembre dernier que son gouvernement déposerait un projet pour abroger la loi d'amnistie couvrant ces violences. Cette loi avait été initiée par l'ex-président Macky Sall avant l'élection présidentielle qui a conduit fin mars 2024 à la victoire de Bassirou Diomaye Faye.
UNE NOUVELLE ÉTAPE DANS LA LA TRAQUE JUDICIAIRE DE MACKY SALL ?
Une intercommission de l'Assemblée nationale a examiné lundi 3 mars un projet de loi autorisant la ratification d'une convention de transfert de détenus avec le Royaume chérifien, où l'ancien chef d'État a trouvé refuge
(SenePlus) - L'Assemblée nationale a entamé lundi 3 mars l'examen d'un projet de loi autorisant le président de la République à ratifier une convention de transfert de détenus avec le Royaume du Maroc. Cette démarche intervient précisément au moment où le gouvernement a annoncé son intention d'engager des poursuites judiciaires contre l'ancien président Macky Sall, actuellement installé au Maroc. Le calendrier législatif s'accélère puisque ce projet de loi devrait être soumis au vote des députés en séance plénière dès le 10 mars prochain.
La convention entre le Sénégal et le Maroc remonte à 2004 mais n'a jamais été ratifiée par Dakar. Son mécanisme, tel que décrit par RFI, permettrait à "une personne condamnée dans l'un des deux pays de purger sa peine dans son pays d'origine, tout en bénéficiant d'une aide consulaire et humanitaire."
Si un accord d'extradition existe déjà entre les deux pays, cette convention supplémentaire renforcerait l'arsenal juridique à disposition des autorités sénégalaises. Un observateur cité par RFI explique qu'en "dépoussiérant cette convention, les autorités renforcent leurs garanties de pouvoir extrader l'ancien président s'il est un jour poursuivi et condamné."
Le gouvernement, à travers plusieurs déclarations officielles, a clairement exprimé son intention de traduire en justice Macky Sall. Les autorités l'accusent de "graves irrégularités dans la gestion des finances publiques pendant ses mandats, notamment la falsification des données économiques."
La tension entre le nouveau pouvoir et l'ancien président a atteint un nouveau palier vendredi dernier lorsque le porte-parole du gouvernement a qualifié le précédesseur de Bassirpu Diomaye Faye de "chef de gang", une déclaration qui a suscité l'indignation dans le camp de l'ancien chef d'État.
En décembre dernier, une haute cour de justice a été rétablie spécifiquement pour pouvoir juger d'anciens présidents. Cette juridiction exceptionnelle constitue un préalable indispensable aux éventuelles poursuites contre Macky Sall.
UNE PRÉTENDUE FAVEUR QUI CRÉE L'INÉGALITÉ
Le Collectif des féministes du Sénégal s'insurge contre la permission accordée aux femmes de quitter leur poste à 15h pendant le Ramadan. Il dénonce une mesure qui, sous apparence de bienveillance, instaurent des discriminations
Le Collectif des féministes du Sénégal dénonce dans le communiqué ci-après, les notes de service permettant aux seules femmes de quitter leur poste à 15h pendant le Ramadan au sein de plusieurs administrations publiques. Il s'agit selon lui, de directives qui sous apparence de bienveillance religieuse, instaurent des discriminations multiples contraires aux principes constitutionnels d'égalité et de laïcité de la République du Sénégal. Face à cette atteinte aux droits fondamentaux, le Collectif appelle à une mobilisation immédiate pour faire respecter l'égalité entre tous les citoyens, sans distinction de genre ou de confession.
"Lii jubul jubentilen ko !
Nous avons pris connaissance, avec stupeur, des notes de service émanant des directions de certains services publics (le Port autonome, la Poste, etc). Il s’agit de notes dans lesquelles le personnel féminin est autorisé à partir à 15h pour cause de Ramadan.
Ces notes de service posent problèmes car elles sont constitutives de diverses discriminations. Au premier rang desquels on note des discriminations entre les agents hommes et les agents femmes des services publics. De surcroit, elles instaurent des discriminations entre hommes musulmans et femmes musulmanes contraires également aux principes islamiques (les musulmanes et les musulmans étant égaux devant leurs devoirs de respect d’un des piliers de l’Islam). S’y rajoutent des discriminations entre personnes de confession musulmanes et personnes d’autres confessions. Enfin elles induisent des discriminations entre agents du secteur public et professionnels du secteur privé.
En l’espèce, ces notes défient le principe de respect des libertés fondamentales et des droits des citoyens qui sont au fondement de la société sénégalaise. Elles défient également la Constitution du Sénégal qui proclame le rejet et l’élimination, sous toutes leurs formes, de l’injustice, des inégalités et des discriminations. Au surplus, ces notes portent atteinte au principe de l’article premier de ladite Constitution qui énonce : « La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion. Elle respecte toutes les croyances. »
Tous les agents des services publics sont fondés à agir en attaquant ces notes par des recours en excès de pouvoir. Elles ne sauraient prospérer et porter atteinte à leurs droits et encore moins au principe d’égalité des citoyennes et des citoyens sénégalais consacré par notre Constitution commune.
Bon Ramadan, bon carême, bons hommages aux ancêtres ou juste bonne journée !
Bien cordialement.
Mbooloo wu jigéenaan yi"
MACKY SALL, LE PARRICIDE DU PJF
Si l'ancien président a ressuscité la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) pour régler des comptes politiques, le Pool Judiciaire Financier (PFJ), qu’il a mis en place avant son départ du pouvoir, est en train de se retourner contre lui
Si Macky Sall a ressuscité la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) pour régler des comptes politiques, le Pool Judiciaire Financier (PFJ), qu’il a mis en place avant son départ du pouvoir, est en train de se retourner contre lui et son entourage. Cette chambre judiciaire pourrait devenir son meurtrier. Un vrai parricide en téléchargement pour l’ancien président de la République.
Tout porte à croire que nous allons assister dans les prochains jours à un ballet de beaucoup d’anciens dignitaires du défunt régime devant les juges du Pool Judiciaire et Financier (PJF). Après les arrestations de Farba Ngom et de Tahirou Sarr pour association de malfaiteurs, d’escroquerie et de blanchiment de capitaux portant sur plusieurs milliards, la liste pourrait s’allonger. Mais c’est l’exChef de l’État, Macky Sall, et de son fils Amadou Sall, dont les noms sont agités, qui risquent de donner une nouvelle tournure à l’exercice de la reddition des comptes enclenché par les nouvelles autorités. L’ancien et non moins tout puissant locataire du Palais, bien que vivant au Maroc depuis la perte du pouvoir de son camp, n’a pas encore échappé à la machine de la justice pour faire la lumière sur les douze années de sa gestion. L’actuel régime, comme promis lors de la dernière campagne présidentielle, ne semble aucunement reculer dans cette promesse devenue une demande sociale. Ce, d’autant plus que des voix s’élèvent pour imputer la responsabilité de la situation économique que traverse le pays à la mauvaise gestion de Macky Sall qui, malgré son immunité présidentielle, pourrait être extradé afin de répondre de ses actes.
Quand Macky se servait de la CREI à des fins politiques...
Le pouvoir du président Abdou Diouf a été marqué, dès son entame en 1980, par une vague de frustrés de certains barrons du PS qui voulaient contester son autorité. Pour les contraindre à se mettre dans les rangs, il a mis en place la CREI (Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite) en 1981 comme épée de Damoclès mais sans jamais la mettre en action. Son successeur, Me Abdoulaye Wade, l’avait à peine agité avant de la remettre dans les tiroirs. Mais c’est sous l’ère Macky Sall que la juridiction a été véritablement réactivée pour, disait-il, lutter contre les biens mal acquis. Sa décision de ressusciter cette très contestée juridiction dépassée et antidémocratique lui avait fait essuyer des attaques de toutes parts. C’est pourquoi beaucoup avaient plaidé poursa suppression ou tout au moins sa conformité aux engagements internationaux du Sénégal. Mais il faut le dire, vu la tournure prise par la CREI, la raison principale de sa réactivation était politique à tout point de vue. Car une fois au pouvoir, piqué par le syndrome de la plupart des Chefs d’État africains, Macky Sall tenait à se faire réélire à tout prix pour au moins un second mandat. Il se lance alors dans des calculs politiciens sans se soucier outre mesure des règles démocratiques ou du respect de la constitution. Le premier acte a consisté à mettre hors d’état de nuire tout opposant susceptible de lui barrer la route. La CREI, mise en branle en 2015, s’abat sans état d’âme sur Karim Wade alors que vingt-cinq autres personnes du PDS, citées par le procureur pour la reddition des comptes, ont fini par rejoindre le parti au pouvoir, seul gage pour échapper aux poursuites. Au terme du procès fortement médiatisé de Wade- fils, le verdict sans appel tonne comme une arme à destruction massive : une condamnation à six ans de prison ferme et une amende de 138 milliards de francs pour enrichissement illicite. Mais le plus écœurant, c’est que malgré tout le tintamarre fait autour de ce procès, Karim Wade a été finalement déporté hors du pays avant même d’avoir purgé toute sa peine dans des circonstances aussi nébuleuses que la vérité sur le recouvrement du montant pour lequel il a été condamné.
Le PJF : le retour du bâton pour Macky Sall...
Après en avoir terminé avec la CREI, Macky Sall entreprend de la remplacer par le Pool Judiciaire et Financier. Son ministre de la Justice d’alors avait soutenu devant les députés que la CREI, décriée du fait de l’inversion de la charge de la preuve ainsi que l’absence du double degré de juridiction, devait être «évaluée et améliorée pour mieux répondre à une demande de transparence et d’efficacité dans le traitement des dossiers économiques». Mais c’est avec l’avènement des nouvelles autorités que la structure judiciaire a été installée. Après un début jugé lent, le rythme de traitement des dossiers du PJF s’accélère depuis quelques jours.
Le placement sous mandat de dépôt de Farba Ngom et de Tahirou Sarr ainsi que le refus du juge de leur accorder la liberté malgré le montant de 442 milliards qu’ils ont proposé comme caution peut participer à mettre la main sur d’autres personnes impliquées dans cette affaire. En attendant, c’est le débat sur la responsabilité de l’ancien président Macky Sall dans cette chaîne de scandales perpétrée par son régime ainsi que son extradition qui sont de plus en plus agitées. Après son fils Amadou Sall dans le collimateur de la CENTIF, c’est le retour de l’exChef de l’État qui est de plus en plus réclamé. Car beaucoup ont le sentiment que les difficultés que nous vivons au plan économique n’est que le résultat de sa mauvaise gestion sur nos ressources. Au cas où on en arrivera à mettre la main sur Macky Sall et son fils, ce serait un véritable retour du bâton pour lui et sa famille. Amadou Sall en tant que fils d’un ancien président de la République va hériter du même sort que Karim Wade tandis que son père deviendra le tout premier ancien Chef de l’État sénégalais sous les liens de la détention.
Il faut cependant noter que seule une commission d’instruction de la Haute Cour de justice, mise en place il y a quelques jours et présidée par le Premier président de la Cour d’Appel, est habilitée à entendre l’ancien Président Macky Sall pour haute trahison. Ce qui n’est pas le cas pour les ministres qui peuvent être entendus par ladite commission pour toutes infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions.
ALIOUNE TINE SEUL CONTRE TOUS
Vérité puis réconciliation ou justice puis vérité ? L'ordre des priorités dans le traitement des violences politiques de 2021-2024 fracture le rang de quelques acteurs des droits humains du pays
L’approche d’une justice transitionnelle dans le cadre du règlement de la question relative aux évènements politiques de 2021 à mars 2024 préconisée par le président fondateur d'Afrikajom center, Alioune Tine ne passe pas chez certains de ses collègues responsables d’organisations de défense des droits humains. Invité de l’émission Objection de la radio Sudfm du dimanche 2 mars dernier, l’ancien président de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme (Raddho), répondant à une interpellation de Baye Oumar Guèye sur le débat relatif à la suppression de la loi d’amnistie avait, en effet, préconisé une approche qui va audelà du traitement judiciaire des événements couverts par cette loi. « Il nous faut une Commission vérité, justice et réconciliation pour qu'on discute et qu’on fasse une très forte introspection d’abord. Qu'on se parle pour savoir la vérité, ce qui s'est passé, une véritable introspection, vider les colères, vider les haines et se pardonner. On prend le temps de la réconciliation, de connaître la vérité. Ensuite, la justice pourra intervenir, si on l'estime tous même si ça prend du temps », avait-il suggéré.
« On n'a pas besoin pour cela de Commission justice et réconciliation »
Seulement, interpelé par Sud Quotidien hier, lundi 3 mars, sur cette proposition, Seydi Gassam, Directeur exécutif de la section sénégalaise d’Amnesty international a été catégorique. « Nous ne partageons pas cette idée de justice transitionnelle. Nous sommes en désaccord total avec cette idée de Alioune Tine pour la simple raison que le Sénégal n’a pas connu une guerre civile », a-t-il martelé avant de poursuivre. « On n'a pas connu des violations de droits humains d'une ampleur qui pourrait amener à emprunter cette voie. Pour les personnes décédées, nous, à Amnesty, nous avons documenté à peu près 65 personnes décédées. Pour toutes ces personnes décédées, les familles ont porté plainte, à travers leurs avocats au niveau des cabinets d'instruction. Et là, on ne peut pas nous dire que les cabinets d'instruction vont être submergés à cause de l’instruction de 65 plaintes des familles de personnes décédées. Donc, il faut aujourd'hui que cette loi d'amnistie soit abrogée et que ces plaintes qui ont été déposées soient instruites et que la vérité soit faite sur les circonstances dans lesquelles elles (victimes) sont décédées. On n'a pas besoin pour cela de Commission justice et réconciliation. On a juste besoin que justice soit rendue aux victimes et à leurs familles et que l'impunité ne prévale plus dans ce pays ».
« Ce qui s’est passé entre 2021 et 2024 ne doit pas être oublié et effacé ».
Abondant dans le même sens, Alassane Seck, président de la Ligue sénégalaise des droits de l’homme, rappelant que son organisation fait partie des premières à dénoncer cette loi d'amnistie, a indiqué lui aussi qu’il est hors de question que ce qui s’est passé entre 2021 et 2024 soit oublié et effacé. « Ce qui s’est passé entre 2021 et 2024 ne doit pas être oublié et effacé. On doit situer les responsabilités et sanctionner tous ceux qui seront reconnus comme acteurs de faits malveillants. Le Sénégal fait partie des premiers pays à ratifier les statuts de Rome qui ont créé la Cour pénale internationale (Cpi). Pour cette raison, notre pays n’a pas le droit de fermer les yeux sur ce qui s'est passé entre 2021 et 2024 ».
« Avant de parler de cette commission, il faut d’abord situer les responsabilités »
Pour sa part, Babacar Ba du Forum du justiciable qui ne rejette pas cette idée de Alioune Tine précise tout de même que l’approche d’une justice transitionnelle dans le cadre du règlement de ce dossier relatif aux évènements politiques de 2021 à mars 2024 doit intervenir après le travail de la justice. « Alioune Tine a certes fondé sa proposition sur son expérience de la sous-région mais ici, au Sénégal, on ne peut pas mettre sur pied cette commission tant que la justice n’a pas encore situé les responsabilités », a assuré le président du Forum du justiciable. « Le premier acte à poser dans le cadre de cette affaire, c’est de laisser la justice faire son travail. La justice doit organiser un procès pour situer les responsabilités. Et si on veut aller dans le sens d'une réconciliation, on peut mettre cette commission dont parle Alioune Tine. Car, cette commission ne peut pas situer les responsabilités parce qu’elle n’a pas cette prérogative. Son rôle, c’est de voir comment installer la paix définitivement en rapprochant les différentes parties pour créer les conditions d’un dialogue, d’écoute et de réconciliation », a encore ajouté Babacar Ba qui insiste. « Avant de parler de cette commission, il faut d’abord situer les responsabilités. Car, sans justice préalable, il sera très difficile de parler de réconciliation sincère. Donc, la justice doit d’abord situer les responsabilités avant de parler de réconciliation. On aura besoin certainement de cette commission dans le sens de réconcilier les Sénégalais mais ça sera après le travail de la justice ».
TRUMP GÈLE L'AIDE MILITAIRE À L’UKRAINE
La Maison Blanche a ordonné lundi la suspension immédiate du soutien militaire américain à Kiev, plongeant son allié dans une situation précaire. Cette décision "affecte plus d'un milliard de dollars d'armes et de munitions en cours d'acheminement"
(SenePlus) - Selon des informations rapportées par le New York Times, le président américain a ordonné lundi la suspension temporaire de toute l'aide militaire américaine destinée à l'Ukraine. Cette décision intervient quelques jours seulement après une confrontation tendue entre Trump et son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky lors d'une rencontre à la Maison Blanche.
D'après de hauts responsables de l'administration et des militaires s'exprimant sous couvert d'anonymat, cette directive "affecte plus d'un milliard de dollars d'armes et de munitions en cours d'acheminement et de commande". La décision résulte d'une série de réunions tenues lundi à la Maison Blanche entre M. Trump et ses principaux conseillers en matière de sécurité nationale.
Selon ces mêmes sources citées par le quotidien new-yorkais, "la directive sera en vigueur jusqu'à ce que M. Trump détermine que l'Ukraine a démontré un engagement de bonne foi envers les négociations de paix avec la Russie."
Cette suspension représente une escalade dramatique dans la rupture entre Washington et Kiev, à un moment critique du conflit. Le principal bénéficiaire immédiat de cette mesure est le président russe Vladimir Poutine. Si la suspension se prolonge, il pourrait utiliser ce temps pour obtenir de nouveaux gains territoriaux et pourrait même décider de se retenir de toute négociation, estimant que tout différend prolongé entre Trump et Zelensky ne fera que renforcer sa position.
Le NYT souligne que "la décision de M. Trump a peu de précédents directs dans l'histoire américaine récente". Si les États-Unis ont déjà suspendu le transfert de systèmes d'armes spécifiques à des alliés, comme la décision du président Biden de suspendre les livraisons de bombes de 2 000 livres à Israël, une interruption complète représente un ultimatum. Cette mesure "force M. Zelensky à accepter un cessez-le-feu selon les conditions dictées par M. Trump, ou condamne le pays à subir des pertes plus importantes sur le champ de bataille."
Cette suspension place également les États-Unis en opposition directe avec leurs principaux alliés de l'OTAN. D'après le New York Times, "la plupart des grandes nations européennes, dirigées par la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, se sont engagées à intensifier leur aide à l'Ukraine ces derniers jours, prenant parti pour M. Zelensky dans son différend avec l'administration Trump." Cependant, ces pays "ne disposent tout simplement pas des stocks nécessaires pour compenser la différence à court terme."
La directive de Trump interrompt également les livraisons d'équipements provenant des stocks du Pentagone et l'aide fournie par l'Initiative d'assistance à la sécurité de l'Ukraine. Comme le rapporte le journal américain, les conditions exactes que M. Zelensky devrait remplir pour que M. Trump reprenne l'assistance militaire restent floues.
Les tensions entre les deux dirigeants ont éclaté au grand jour vendredi, lors d'une rencontre à la Maison Blanche. Alors qu'ils devaient signer un accord permettant à l'Ukraine de céder des droits sur des minéraux rares pour rembourser l'aide militaire américaine des trois dernières années, "M. Trump et le vice-président JD Vance ont réprimandé M. Zelensky devant les caméras pour ne pas avoir été assez reconnaissant du soutien américain", indique le NYT.
Lundi, M. Trump a déclaré aux journalistes qu'il ne pensait pas que l'accord sur les minéraux était compromis, le qualifiant de "formidable pour nous", mais qu'il attendait une chose de M. Zelensky pour reprendre les négociations : "Je pense simplement qu'il devrait être plus reconnaissant."
Plusieurs membres du cabinet de M. Trump ont continué à suggérer que M. Zelensky était responsable de la rupture diplomatique. Le secrétaire au Commerce Howard Lutnick a notamment déclaré lors d'une interview sur CNN que les exigences de M. Zelensky concernant "des réparations", la restitution des terres saisies par la Russie et des garanties de sécurité allaient "beaucoup trop loin". Selon lui, M. Zelensky devrait dire : "Nous aimons l'Amérique, nous apprécions l'Amérique, nous voulons que vous soyez à nos côtés, et si vous pensez que nous devrions avoir la paix, nous devrions avoir la paix." M. Lutnick a ajouté : "Ce n'est pas un artisan de la paix, c'est un fauteur de troubles."
Cette décision intervient à un moment critique dans la guerre que mène l'Ukraine contre l'agression russe. Selon le New York Times, grâce à sa propre production d'armes et aux livraisons en provenance d'Europe, "l'Ukraine pourrait résister à un arrêt américain pendant quelques semaines, voire quelques mois." Cependant, si l'arrêt des livraisons se prolongeait, l'Ukraine perdrait son approvisionnement en armes avancées, notamment des systèmes de défense aérienne, des missiles balistiques surface-surface et de l'artillerie à longue portée.
Le président Zelensky a déclaré que l'arrêt de l'aide militaire serait un coup dévastateur, mais ne mettrait pas fin aux combats. "La contribution des États-Unis à la capacité défensive et à la sécurité de l'Ukraine représente actuellement environ 30 %", a-t-il déclaré lors d'une interview le mois dernier. "Vous pouvez imaginer ce qui nous arriverait sans ces 30 % cruciaux."
L'aide militaire américaine à l'Ukraine avait déjà été interrompue l'année dernière pendant plusieurs mois, lorsque M. Trump avait fait pression sur ses alliés républicains au Congrès pour qu'ils retiennent l'assistance. Le NYT rappelle que les effets s'étaient d'abord fait sentir lors des bombardements aériens nocturnes que la Russie dirigeait contre les infrastructures énergétiques à travers le pays. Sans les systèmes de défense aérienne américains, les équipes de défense ne pouvaient pas faire grand-chose contre les missiles sophistiqués russes qui détruisaient les centrales thermiques du pays.
LA RACINE DU MAL
Après Babacar Ngom sur les terres de Ndingler, Tahirou Sarr est l'autre homme d'affaires sénégalais poursuivi par la clameur, pendant que les étrangers, eux, jouissent sans grand bruit de milliers d'hectares
Après Babacar Ngom sur les terres de Ndingler, Tahirou Sarr est l'autre homme d'affaires sénégalais poursuivi par la clameur, pendant que les étrangers, eux, jouissent sans grand bruit de milliers d'hectares.
L'affaire Tahirou Sarr a eu le mérite de remettre sur la table la lancinante question de la gestion du foncier au Sénégal. Placé sous mandat de dépôt, notamment pour escroquerie sur les deniers publics et blanchiment de capitaux, l'homme d'affaires réputé être proche de l'ancien régime aurait proposé au juge un cautionnement estimé à plusieurs dizaines de milliards, dont un titre de 8 000 ha, qui a suscité une vive controverse. Comment une seule personne peut bénéficier d'une superficie aussi importante ? Avant Tahirou Sarr, un autre homme d'affaires sénégalais, en l'occurrence le PDG de la Sedima, Babacar Ngom, avait lui aussi fait l'objet de vives critiques de la part des populations. Leur tort, souvent, c'est de bénéficier de quantités importances de terres, au moment où nombreux sont les Sénégalais qui peinent à disposer même d'un petit lopin à usage d'habitation. Mais pourquoi seuls les investisseurs nationaux sont-ils victimes de ces contestations ? Sont-ils les seuls à profiter de ces hectares de terres arables ? La loi interdit-elle d'attribuer autant d'hectares à une seule personne ? ‘’EnQuête’’ fait le point.
Il y a seulement quelques jours, le ministère de l'Agriculture, Dr Mabouba Diagne, publiait sur sa page Facebook un MOU signé avec la société italienne Boniface Ferraresi International. “Ce partenariat ambitieux s’inscrit dans la mise en œuvre du Plan Diomaye pour la Casamance, avec pour objectif de transformer la région de Sédhiou en un pôle agricole intégré. Sur plus de 10 000 ha, ce projet vise à développer l’agriculture, l’élevage et la pisciculture”, informent les services de Dr Mabouba Diagne.
Pour justifier la signature de cet accord, le ministère invoquait la “nécessité impérieuse” de réduire les 1 070 milliards F CFA dépensés chaque année par le Sénégal en importations de denrées alimentaires. Soulignant que l'investissement devait tourner autour de 134 millions d'euros, le ministre relevait que la collaboration devait commencer ”immédiatement”.
Avant les Italiens, d'autres investisseurs étrangers ont eu à bénéficier de l'octroi de milliers de terres dans la zone des terroirs. Mais à la différence des attributions faites en faveur des nationaux, cela passe très souvent comme lettre à la poste. C'est le cas des 20 000 ha attribués à la société Sen Huile Sen Ethanol devenue Les Fermes de la Teranga et qui est passée entre plusieurs mains avant d'atterrir dans celles du sulfureux homme d'affaires roumain Franck Timis, nous informait le journaliste Abdoulaye Cissé dans une enquête publiée en janvier 2021. Là également, on parlait d'un projet agricole, plus précisément de culture de luzerne destinée principalement à nourrir le bétail dans les marchés arabes. La liste des investisseurs ayant bénéficié de ces attributions est loin d'être exhaustive. Et c'est loin d'avoir commencé sous le régime du président Macky Sall ou de son prédécesseur Abdoulaye Wade.
D'ailleurs, à propos des 8 000 ha de Tahirou Sarr, il se dit qu'il les aurait acquis de l'écrivain et ancien ministre du Plan sous le régime socialiste Cheikh Hamidou Kane. Activiste proche des milieux de l'Alliance pour la République, Bah Diakhaté rapporte : “Il convient de préciser que ces terres ont été vendues publiquement par Cheikh Hamidou Kane, auteur de ‘L'aventure ambigüe’. Elles ont été achetées publiquement par Tahirou Sarr. Cela n'a donc pas été fait en cachette.”
Une longue tradition d'accaparement des terres
Dans un article publié au cœur de l'affaire Ndingler, feu Amadou Tidiane Wane, ancien conseiller du président Abdou Diouf en développement rural, par ailleurs ingénieur agronome, confiait à ‘’EnQuête’’ qu'il avait tellement souffert de ce problème, surtout dans le delta. L'État, selon lui, avait pris 25 000 ha en son temps pour les donner à des inspecteurs généraux, des gouverneurs, des hauts fonctionnaires, des ministres, des gens qui n’étaient même pas de la région. Quand il a été président du Comité après-barrage, il a demandé à l'autorité de tout récupérer et de les rendre aux populations. Car, soulignait-il, ces terres n’appartiennent même pas à l’État, mais aux communautés. “En Conseil des ministres, le président nous avait donné raison et toutes les terres ont été restituées à qui de droit”, informait l'ancien président du comité ayant en charge les 240 000 ha du delta du fleuve.
Pourtant, le génie sénégalais avait trouvé, selon lui, une solution “géniale” pour concilier modernité et tenure coutumière de la terre par les populations. Par la loi 64-46 du 17 juin 1964, le Sénégal prenait la décision historique d’inscrire sous le régime du domaine national plus de 95 % de ses terres. De son vivant, M. Wane, également ancien maire de Kanel, s'est toujours positionné en défenseur invétéré de cette loi cible de nombreuses agressions et menaces. Il a toujours insisté sur l'inaliénabilité des terres du domaine national. ‘’Comme on dit : les terres du domaine national sont imprescriptibles et inaliénables. Il est totalement impossible de prendre une délibération au profit d’un particulier, de la transformer en bail en vue de donner un titre définitif à ce même particulier. Sur les terres du domaine national, on ne peut disposer que de l’usufruit en vue de l’exploitation. Et il y a des conditions pour en être bénéficiaire. Il faut, d’abord, habiter dans la commune ; ensuite, il faut une mise en valeur des terres. Enfin, on ne peut en faire un titre foncier. C’est strictement interdit par la loi 64-46 sur le domaine national ainsi que le décret 78-12’’.
Trouver le juste milieu entre préserver les terres et le besoin d'exploitation
Cela dit, la loi n'interdit pas l'attribution des terres à des particuliers capables de les mettre en valeur. Ce qui est formellement interdit, c'est de céder ces terres à des gens qui vont en faire leurs titres privés. Dans la pratique, l'État foule aux pieds cette interdiction et procède de manière abusive à l'immatriculation des terres à son nom. C'est ainsi la porte ouverte pour procéder ensuite à des attributions à des particuliers, souvent au détriment des communautés. L’esprit du domaine national, aimait dire Amadou Tidiane Wane, est surtout de réserver ces terres au bénéfice exclusif des communautés.
L’État, soulignait-il, ne doit pouvoir les immatriculer à son nom que s’il justifie d’un intérêt public. ‘’Si l’Administration a immatriculé ces terres en vue de les donner à un quelconque particulier, elle a outrepassé la législation. L’État ne peut immatriculer les terres du domaine national que pour un projet d’intérêt public : une route, un hôpital, une école, quelque chose qui va appartenir à l’ensemble de la population. On ne peut immatriculer pour un intérêt privé’’, confiait-il à ‘’EnQuête’’.
À la question de savoir si un projet ayant des retombées économiques ne pourrait pas être considéré comme un projet d’intérêt général justifiant la soustraction des terres au domaine national ? Il répondait trois fois non, avant de donner quelques exemples qu'il avait eus à gérer quand il était aux affaires. La solution qui avait été trouvée à l'époque, c'était de donner l'usufruit à l'investisseur et de l'obliger à associer les communautés au projet.
Quid de la responsabilité des fonctionnaires impliqués dans le processus d'attribution ?
Si certains spécialistes comme feu Amadou Tidiane Wane sont catégoriques sur l'impossibilité pour l'État d'immatriculer les terres du domaine national pour ensuite les attribuer à des privés, dans la pratique, les exemples font florès. Au cœur de cette procédure d'attribution, il y a la Commission de contrôle des opérations domaniales (CCOD) qui est tenue de se prononcer sur l'opportunité, la régularité et les conditions financières de toute attribution, rappelait l'éminent spécialiste professeur Abdoulaye Dièye.
De l'avis de nombreux spécialistes, au cœur de la plupart des scandales fonciers, réels ou présumés, se trouve cette instance, où siègent un représentant du ministre des Finances qui préside la commission, le directeur de l'Enregistrement et des Domaines, le directeur des Affaires civiles et du Sceau pour le compte du ministère de la Justice, le directeur de l'Urbanisme et de l'Architecture, le DG de l'Anat, le directeur du Cadastre, le contrôle financier de l'État et la Dscos, entre autres. Après la validation de cette commission, le directeur des Domaines établit une attestation et le chef du bureau des Domaines se chargera des autres formalités qui seront approuvées par l'autorité administrative compétente.
Selon de nombreux observateurs, l'État ne saurait sanctionner Tahirou Sarr dans l'affaire le concernant sans sanctionner ceux qui ont été impliqués dans le processus d'attribution.
LE PÉRIL POPULISTE MONDIAL
Hamidou Anne livre une analyse des mécanismes qui érodent les démocraties, du Sahel aux capitales occidentales. Son plaidoyer pour un Sénégal ouvert sur le monde mais fidèle à ses valeurs résonne comme un rempart contre les tentations du repli
Invité de l'émission BL6 animée par Pape Alioune Sarr ce dimanche 2 mars 2025, l'essayiste et politologue Hamidou Anne a livré une analyse de la montée inquiétante du populisme à l'échelle mondiale. Une menace qu'il considère comme le fil conducteur reliant les diverses crises internationales actuelles.
"Le populisme est une méthode qui dit qu'il faut ériger un rapport direct avec le peuple, qu'il faut céder aux injonctions du peuple, qu'il faut défendre les intérêts du peuple et qu'il n'y a pas d'intermédiaire," a expliqué Anne. Selon lui, ce phénomène politique se caractérise essentiellement par "l'ignorance des corps intermédiaires" et le contournement des institutions démocratiques.
L'intellectuel sénégalais a disséqué les deux visages du populisme contemporain. D'un côté, "le populisme de gauche" qui, s'inspirant des travaux d'Antonio Gramsci et d'Ernesto Laclau, intègre "les dimensions féministes, écologiques, les luttes décoloniales" en créant "une chaîne d'équivalence" entre ces différentes causes. De l'autre, le "populisme de droite autoritaire" qui promeut "une conception ethnique de la nation", comme en témoignent les mouvements d'extrême droite en Europe.
Cette grille de lecture populiste, Anne l'applique directement à la situation en Afrique de l'Ouest, où quatre pays de la CEDEAO sont aujourd'hui dirigés par des juntes militaires. "Ce qui m'a choqué, c'est surtout la résurgence de ces coups d'État et les masses sortant inonder les rues pour les saluer," a-t-il déploré, identifiant dans ce phénomène une dangereuse "normalisation" de l'autoritarisme sous couvert de discours anti-élites et anti-occidentaux.
Face à ces dérives, Hamidou Anne défend une vision résolument internationaliste du Sénégal, "terre ouverte à tous les apports fécondants du monde". Une position qu'il oppose directement aux replis identitaires promus par les mouvements populistes. "Le Sénégal est aujourd'hui un pays qui a envoyé ses fils partout... la pire des choses, c'est de se fermer totalement sur soi-même," a-t-il affirmé avec conviction.
Le politologue établi également des parallèles saisissants entre ces dynamiques africaines et les bouleversements internationaux, de l'élection de Trump avec sa "diplomatie transactionnelle" aux reconfigurations des alliances en Ukraine et à Gaza. Pour lui, ces crises s'inscrivent dans un même mouvement de remise en question de l'ordre international libéral.
"La démocratie est comme une fleur qu'il faut arroser au quotidien pour maintenir sa vitalité et sa verdure," averti Anne, appelant à une vigilance constante face à la montée des discours populistes qui menacent les fondements mêmes de nos sociétés démocratiques.
LE PAYS MESURE SA DÉPENDANCE À L'ÉTRANGER
Trois mille dossiers d'état civil en suspens à Djinaky, des programmes de santé compromis, un ambitieux projet d'électrification menacé : le pays découvre brutalement les conséquences de la suspension de l'aide américaine
(SenePlus) - La récente suspension de l'aide américaine, décidée par le président Donald Trump, a brutalement interrompu de nombreux programmes de développement dans le pays, mettant en lumière la dépendance du pays à l'assistance étrangère. Cette situation survient alors même que le gouvernement, dirigé par le Premier ministre Ousmane Sonko, prône un discours résolument souverainiste.
Le 20 janvier 2025, Donald Trump a signé un décret suspendant pour quatre-vingt-dix jours les programmes d'aide américains, notamment ceux de l'USAID. Comme le rapporte Afrique XXI, cette décision "radicale destinée à revoir les priorités de financement et à éliminer les dépenses jugées inefficaces" a créé "une onde de choc ressentie dans le monde entier, mettant à nu la dépendance de certains pays à l'aide étrangère."
En Casamance, région du sud du Sénégal longtemps marquée par un conflit qui a duré plus de quatre décennies, les conséquences sont particulièrement sévères. Le maire de Djinaky, Alphoussény Diémé, témoigne : "On ne s'y attendait pas... Ça nous est tombé dessus d'un coup." Dans sa commune, environ 3 000 dossiers d'état civil, principalement des demandes d'actes de naissance, sont désormais en attente. Ces documents concernent des personnes nées pendant le conflit, qui a débuté en 1982.
"Certains enfants sont très brillants à l'école, ils doivent passer leur certificat bientôt mais, sans acte de naissance, ils ne peuvent pas s'inscrire. C'est comme s'ils étaient apatrides," s'inquiète le maire, cité par Afrique XXI.
Le programme Aliwili, financé par l'USAID et mis en œuvre par plusieurs ONG en partenariat avec l'État sénégalais, jouait un rôle crucial dans le processus de paix en Casamance. Avec un budget total de 16 milliards de francs CFA (25 millions d'euros), il couvrait non seulement les questions d'état civil, mais aussi "la réinstallation des populations déplacées à travers la construction de centaines de logements, la réinsertion des anciens combattants et de leurs familles, et la réhabilitation de certaines infrastructures."
Henri Ndecky, responsable de la Coordination des organisations de la société civile pour la paix en Casamance (COSCPAC), explique dans Afrique XXI que "ce projet était la concrétisation du processus de paix entre l'État du Sénégal et la faction Jakaay du MFDC." L'accord de 2023 prévoyait que l'État s'engage en faveur de la réinsertion des combattants et du développement de la région, en échange du dépôt des armes.
"L'aide américaine avait rassuré sur la capacité de l'État à tenir ses engagements," précise Henri Ndecky. La suspension de cette aide soulève donc des inquiétudes quant à la pérennité du processus de paix, bien que Lamine Coly, coordinateur de l'Initiative pour la réunification des ailes politiques et armées du MFDC, exclue une remise en cause du processus.
Au-delà de la Casamance, c'est tout le Sénégal qui subit les conséquences de la suspension de l'aide américaine. Selon Afrique XXI, "des programmes de développement sont désormais à l'arrêt ou tournent au ralenti" dans l'ensemble du pays.
"En matière de santé publique, de nombreux centres de santé communautaires dépendant des subventions pour l'achat de médicaments et le recrutement de personnel peinent à maintenir leurs services," rapporte le magazine. Des programmes dans les domaines de l'éducation, de l'agriculture et de la bonne gouvernance sont également touchés.
L'ampleur de la dépendance du Sénégal à l'aide américaine est considérable : "sur les cinq dernières années, le Sénégal a reçu en moyenne 120 millions de dollars (114 millions d'euros) par an de l'USAID," sans compter les programmes financés par d'autres agences américaines. Le programme Senegal Compact Power, qui vise à améliorer l'accès à l'électricité pour près de 13 millions de personnes, représente à lui seul un investissement de 600 millions de dollars, dont 550 millions proviennent des États-Unis.
Face à cette situation, le Premier ministre Ousmane Sonko a réaffirmé sa vision souverainiste : "Doit-on continuer à dépendre de l'aide étrangère ? [...] Nous devons travailler dur à la mise en œuvre de nos programmes. Si nous faisons cela, nous serons cités, dans les années à venir, parmi les pays les mieux gérés."
Cette position n'est pas nouvelle. Comme le rappelle Afrique XXI, "depuis son entrée en politique, en 2014, et la création de son parti Les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (Pastef), Ousmane Sonko défend un programme de rupture, fondé sur une réappropriation de la souveraineté politique, économique et monétaire du Sénégal."
El Hadj Abdoulaye Seck, économiste au Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (Frapp), un mouvement proche de Pastef, va plus loin : "C'est tout un modèle de développement qu'il faut revoir. Depuis l'indépendance, nos dirigeants ont cédé à la facilité de l'aide."
L'économiste rappelle que cette dépendance a un coût : "Non seulement ces prêts pèsent sur la dette, mais, de plus, ils sont assortis de conditions, tout comme les dons : des critères de gouvernance ou des réformes économiques qui ne sont pas adaptés à nos réalités et poussent les pays à renoncer à leur souveraineté."
Le programme Senegal Compact Power illustre cette problématique, puisqu'il prévoit une "restructuration" de la Sénélec, la société nationale d'électricité, et une "participation accrue du secteur privé" dans ce domaine stratégique.
Pour réduire cette dépendance, le gouvernement mise sur son Plan Vision 2050, "une feuille de route ambitieuse visant à renforcer l'autonomie économique du pays et à tripler le revenu par habitant d'ici à 2050." Le financement de ce plan repose sur plusieurs leviers : la croissance économique stimulée par l'exploitation des ressources pétrolières et gazières, une meilleure mobilisation des ressources fiscales, et la contribution de la diaspora.
Babacar Ndiaye, directeur de la Recherche et des publications du think tank sénégalais Wathi, analyse : "On peut considérer la suspension de l'aide états-unienne comme une chance pour le Sénégal si on suit la logique du nouveau gouvernement, car elle incite à mettre en pratique cette notion de souverainisme."
Cependant, Fadel Barro, cofondateur du mouvement citoyen Y en a marre, appelle à la prudence : "La question immédiate n'est pas de savoir s'il faut se passer ou non de l'aide, car il y a des gens qui se soignent et qui mangent grâce à l'aide." Pour lui, le Sénégal doit d'abord se concentrer sur des réformes internes pour construire un "État au service de la population."
Sa conclusion résume parfaitement le dilemme auquel fait face le pays : "Nous n'avons pas identifié quels sont nos besoins. Aujourd'hui, ce sont les bailleurs de fonds qui décident des priorités à la place des Africains et c'est leur liberté. Mais, nous, qu'est-ce qu'on fait ?"
OFFENSIVE DIPLOMATIQUE DU QATAR
En l’espace d’un mois, Mohammed bin Abdulaziz Al-Khulaifi, Secrétaire d’État aux Affaires étrangères du Qatar, a rencontré quatre chefs d’État africains, signalant une intensification sans précédent de la présence diplomatique qatarie sur le continent.
En l’espace d’un mois, Mohammed bin Abdulaziz Al-Khulaifi, Secrétaire d’État aux Affaires étrangères du Qatar, a rencontré quatre chefs d’État africains, signalant une intensification sans précédent de la présence diplomatique qatarie sur le continent.
Le Président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a reçu jeudi en audience Mohammed bin Abdulaziz Al-Khulaifi, Secrétaire d’État aux Affaires étrangères du Qatar, dans le cadre d’une tournée diplomatique qatarie qui a impliqué quatre pays africains stratégiques en moins d’un mois.
Cette rencontre au Palais présidentiel de Dakar s’inscrit dans une offensive diplomatique remarquée de Doha, l’émissaire qatari ayant successivement été reçu par le Président nigérien Abdourahamane Tiani le 24 février, le chef de la Transition malienne Assimi Goïta le 26 février, et auparavant par le Président rwandais Paul Kagame le 31 janvier.
Lors de son entretien avec le Président sénégalais, les deux hommes ont réaffirmé la volonté commune des deux pays de renforcer leur coopération, notamment dans les domaines économiques et commerciaux, en la hissant à un niveau supérieur, selon le communiqué de la présidence sénégalaise. Le chef de l’État sénégalais a profité de cette occasion pour inviter les investisseurs qatari à contribuer à la mise en œuvre de l’Agenda national de transformation « Sénégal 2050 », un cadre stratégique de développement à long terme.
Un ancrage qatari renforcé en Afrique
Au Mali, le général Assimi Goïa a reçu du diplomate qatari un message de solidarité et d’amitié de l’Émir du Qatar, en présence du ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye Diop et du ministre de l’Économie Alousséni Sanou. Au Niger, l’audience s’est déroulée en présence du général de Corps d’Armée Salifou Mody, ministre d’État à la Défense nationale.
Cette tournée diplomatique survient dans un contexte de reconfiguration géopolitique en Afrique, marqué par un retrait progressif de l’influence occidentale dans certaines régions, notamment au Sahel, ouvrant ainsi des opportunités pour de nouveaux partenariats avec les pays du Golfe.
Le Qatar, déjà actif en Afrique de l’Est avec d’importants investissements au Rwanda, en Somalie et au Soudan, cherche à consolider son influence au Sahel, une région clé où ses relations avec le Mali et le Niger se sont intensifiées. Doha joue un rôle diplomatique majeur dans les processus de paix, notamment au Darfour, et a multiplié les accords dans les secteurs de l’énergie, des infrastructures et de la sécurité alimentaire.
En décembre 2023, le Qatar a signé un protocole d’accord avec le Rwanda pour la construction d’un nouveau hub logistique, confirmant ainsi son ancrage dans la région. Par ailleurs, Qatar Airways a renforcé sa présence en Afrique, ajoutant des liaisons vers plusieurs capitales du continent, témoignant d’une stratégie globale d’expansion qatarie.
Une offensive diplomatique aux visées économiques et stratégiques
L’Afrique représente un espace d’opportunités économiques pour Doha, qui cherche à diversifier ses partenariats au-delà de l’Asie et de l’Europe. Le Fonds souverain du Qatar (QIA) a intensifié ses investissements dans les infrastructures, l’agriculture et les énergies renouvelables sur le continent.
En novembre 2022, le Qatar a accueilli le premier sommet « Qatar-Afrique », rassemblant des dirigeants africains et des investisseurs qataris. Cette initiative visait à renforcer les liens bilatéraux et à encourager les investissements croissants dans les domaines des technologies, de la logistique et de la finance islamique.
Avec cette nouvelle tournée diplomatique, Doha confirme sa volonté de s’imposer comme un acteur incontournable en Afrique, combinant diplomatie, économie et médiation politique pour étendre son influence sur le continent.