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23 avril 2025
Société
LES ÉCLAIRAGES DE L’ANACIM SUR LES PLUIES D’HORS SAISON À DAKAR
Depuis le mardi 3 décembre, de faibles pluies inhabituelles pour la saison sont observées à Dakar et dans plusieurs régions du Sénégal. Mor Kébé, ingénieur prévisionniste, explique les origines de ce phénomène et alerte sur les précautions à prendre.
Depuis ce mardi 03 décembre, de faibles pluies sont notées à Dakar. Une situation qui a tendance à interpeller de nombreuses personnes, pas habituées à voir des pluies au mois de décembre.
Mor Kébé a apporté des éclairages sur cet état de fait. Ainsi, l’ingénieur prévisionniste à l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (ANACIM) indique qu’ « il s’agit d’une situation qui a été prévue par l’ANACIM depuis le lundi dernier et qui se caractérise par une forte couverture nuageuse et une baisse notable des températures et de fortes précipitations touchant principalement les régions du Nord comme Saint-Louis, Louga, Linguère, et de l’Ouest aussi comme la région de Dakar, Thiès et une partie de Mbour. Et dans une moindre mesure ces précipitations ont touché Podor, Diourbel… Ce phénomène météorologique est typique de la période de fraicheur, et nous l’appelons souvent pluie d’hors saison puisque ce n’est pas causé par la dynamique des pluies qu’on a l’habitude d’observer pendant la période des pluies ».
Toujours selon le prévisionniste, « c’est également connu comme ‘‘pluie de mangue’’ en wolof. Cette appellation s’explique par le fait que l’apparition de ces pluies accélère le murissement des grappes de mangue qui sont accrochées aux branches », nous explique-t-il.
Mor Kébé ajoute par la suite que ces pluies sont dues à un conflit de masses d’air venant d’Europe qui descend pour trouver une masse d’air chaud et sec localisé sur le continent africain.
Leur mélange au-dessus de l’Afrique de l’Ouest conduit à la formation de nuages qui se développent progressivement, entrainant ainsi des précipitations sous les régions du Nord et de l’Ouest.
Par ailleurs, il apporte des précisions concernant la dangerosité des conséquences de ces pluies qui avaient fait des ravages il y a quelques années au Sénégal.
« Ce type de phénomène s’observe le plus souvent pendant les périodes de fraicheur et peut parfois avoir des conséquences dramatiques sur les populations. On se rappelle la situation du 9 au 11 janvier 2002 qui a été marquée par des quantités extrêmes de pluie et une fraicheur intense dans les régions du Nord et de l’Ouest. C’est un phénomène qui avait causé la mort de plusieurs personnes et de nombreux animaux, en plus de pertes agricoles importantes. C’est pourquoi maintenant les alertes météorologiques sont pour faire face à ce genre de phénomènes. Elles permettent aux populations de prendre les mesures de précaution pour éviter les dangers. En termes de perspectives, on peut dire que cette situation risque de nous intéresser aujourd’hui jusqu’au jeudi soir. C’est pourquoi nous demandons aux populations de se mettre à l’abri pour éviter les coups de fraicheur mais aussi de protéger le bétail et les récoles ».
LE VOL DE BETAIL PROVOQUE PLUS DE 2 MILLIARDS DE FRS DE PERTES CHAQUE ANNEE
Chaque année, plus de deux milliards de frs Cfa de pertes liées au vol de bétail sont notées au Sénégal. Ceci, dans un contexte où l’élevage contribue à hauteur de 4% au PIB dans l’économie nationale.
Baye DIAGNE Correspondant permanent à Saint-Louis |
Publication 04/12/2024
Chaque année, plus de deux milliards de frs Cfa de pertes liées au vol de bétail sont notées au Sénégal. Ceci, dans un contexte où l’élevage contribue à hauteur de 4% au PIB dans l’économie nationale.
L’atelier régional organisé à SaintLouis par l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) sur le thème de « Réflexion sur le secteur de l’élevage en Afrique de l’Ouest et au Sahel face à la problématique du vol de bétail : Quelles solutions pour une prévention et une lutte efficace ? » a permis aux acteurs multidisciplinaires de discuter des opportunités de réflexion stratégique autour de cette problématique sectorielle. Les participants ont, durant deux jours, abordé les différentes facettes du vol de bétail en vue de trouver des solutions endogènes et dégager des perspectives. Il faut noter que des délégations venues du Mali, de l’université Gaston Berger et de l’université des Sciences, Techniques et Technologiques de Bamako ont pris part à cette rencontre. Astou Fall , conseillère technique, coordonnatrice de la cellule contre le vol de bétail au ministère de l’Agriculture, de la souveraineté alimentaire et de l’Elevage a, au nom du ministre M. Mabouba Diagne, estimé que cette rencontre est capitale. « Le vol du bétail est un fléau qui gangrène le secteur de l’élevage. Des offres de solutions sont là avec des échanges de technologie avec le Mali. Il faut des solutions innovantes, parce que le vol de bétail est un mal qui est là, malgré le vote de la loi pour sa criminalisation et malgré des tentatives de dissuader les voleurs », a- t-elle déclaré. Avec le panel, l’Ugb et l’université de Bamako vont apporter leurs contributions, à travers les nouvelles technologies de même que les startups Sénégalais qui vont également présenter des offres de solutions.
Le vol de bétail, un phénomène complexe
Concernant les statistiques, Astou Fall a affirmé que chaque année, plus de deux milliards de frs Cfa de pertes liées au vol de bétail sont notées au Sénégal. Ceci, dans un contexte où l’élevage contribue à hauteur de 4% au PIB dans l’économie nationale. Le représentant du coordonnateur sous régional de la FAO pour l’Afrique de l’Ouest, le Docteur Ibrahima Thiane, a indiqué que la FAO a pris l’initiative d’organiser cette rencontre en invitant le Mali qui vit également la même problématique de vol de bétail que le Sénégal. « Les pertes liées au vol du bétail sont énormes, deux milliards pour le Sénégal, 32 millions de dollars pour le Mali et 432 millions de dollars au Nigéria. C’est pourquoi le vol du bétail est un phénomène complexe qui transcende les frontières et qui mérite des actions au niveau national et international en terme de politique publique, d’aspects juridiques et en terme technique », a-t-il déclaré.
Dr Ibrahima Thiane a informé qu’il est prévu d’utiliser des drones et d’autres outils qui vont aider à tracer le bétail. « Un bétail volé au Mali peut être retrouvé au Sénégal, au Togo, Nigéria etc., d’où l’importance des technologies avec les partenaires comme les universités. Nous espérons qu’au sortir de cette rencontre, nous aurons un panel et un ensemble de solutions qui permettront de prendre en compte ce fléau en Afrique de l’Ouest », a- t-il affirmé avant de préciser que l’approche inclusive permet d’associer les populations, les communautés qui sont les principales victimes. Pour lui, les comités locaux de lutte contre le vol du bétail sont pertinents, mais il faut aller au-delà du domaine technique avec le système national d’identification. Il prône la mise en place d’une coalition sous régionale qui va permettre de mettre en relation les organisations des éleveurs pour mieux échanger et combattre ce fléau. Venu participer à cet atelier, le directeur national des productions et des industries animales du Mali a déclaré que cette rencontre est capitale et que le vol du bétail a fait perdre à l’Etat malien plus de 32 millions de dollars. Ce qui explique sa présence dans cette rencontre. « Nous allons parler d’une seule voix pour aider les acteurs dans la prise de décisions. Le vol du bétail est un problème socio-économique pour le Mali, en ce sens que les éleveurs ont peur d’élever les animaux seuls. Le vol est très organisé, en groupe ou en individuel. Les voleurs utilisent le butin comme source de revenus pour financer d’une part les adhérents et d’autre part s’équiper en armes afin de nuire aux Etats» a indiqué le représentant du Mali. Le président national de l’Association de lutte contre les vols de bétail a magnifié la tenue de cet atelier. Elhadj Aboubacar Biteye affirme que « depuis des années, son association lutte contre le vol du bétail, en collaboration avec les comités mis en place au niveau des régions…. Les pertes évaluées après la présentation des rapports sortis annuellement sont énormes. Il faut des solutions. C’est pourquoi des comités de veille sont mis en place. Il faut un maillage dans les 557 communes du Sénégal pour identifier le bétail. Ce qui va faciliter le travail », a-t-il conclu
LE FESPACO S'ANNONCE
L’affiche officielle de la 29ᵉ édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), dévoilée mardi, se veut le symbole d’une « Afrique plurielle et décomplexée », sous les traits d’une femme africaine belle, élégante...
L’affiche officielle de la 29ᵉ édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), dévoilée mardi, se veut le symbole d’une « Afrique plurielle et décomplexée », sous les traits d’une femme africaine belle, élégante et jeune.
Ce visuel conçu par le réalisateur hollandais Gideon Vink, qui vit au Burkina Faso depuis une vingtaine d’années, sera désormais l’identité du Fespaco 2025, prévu du 22 février au 1ᵉʳ mars, ont indiqué les organisateurs dans un document rendu public mardi.
« Cette femme que l’on voit sur l’affiche, une femme africaine, belle, élégante, jeune, un peu à l’image de l’Afrique, cela peut être n’importe qui, cela peut être tout le monde et personne, c’est l’Afrique plurielle », a déclaré le concepteur, au cours d’une conférence de presse animée à Ouagadougou par le comité d’organisation.
« C’est une femme qui représente cette génération d’Africains qui, comme elle, regarde le monde extérieur avec fierté, assurance, elle n’est pas complexée dans son regard » , a expliqué l’artiste hollandais.
Cette affiche montrant le visage d’une femme au regard franc avec les lettres du mot Fespaco découpées représente « ette Afrique d’aujourd’hui qui regarde sans complexe, avec fierté, qui assume pleinement sa place dans ce monde », a indiqué Gideon Vink.
Selon le réalisateur, cette affiche fait en même temps ressortir la thématique du Fespaco, à savoir « Cinéma d’Afrique et identités culturelles », à travers une référence à la mode et aux tissus.
« Pourquoi la mode ? Chaque tissu africain, chaque couleur et motif nous ramène vers une ethnie, un pays, une région de l’Afrique. Chaque contrée de l’Afrique a ses traditions, ses modes, a sa façon de s’habiller différemment ou de la même manière », explique le réalisateur burkinabè.
« Les gens prennent plaisir à s’habiller africain au Burkina et ailleurs », a-t-il souligné, estimant que le tissu « nous ramène à la diversité culturelle ».
Pour cette 29ᵉ édition du Fespaco, quatre innovations ont été dévoilées par le comité d’organisation qui a donné des assurances relativement à la tenue de la manifestation.
Il s’agit de l’institution de plusieurs distinctions, dont le « prix Thomas Sankara du panafricanisme », qui sera pris en charge par l’État burkinabè, et le « prix du public » offert par la Radiotélévision du Burkina Faso.
Il faut aussi compter, parmi les innovations de l’édition 2025, la Semaine de la critique et l’exposition permanente sur les idées des personnalités inspirantes des cinémas d’Afrique, a fait savoir le délégué général du Fespaco, Alex Moussa Sawadogo.
Selon M. Sawadogo, 1 351 films ont été soumis au comité de sélection de la programmation officielle à la date du 31 octobre 2024, dont 258 longs métrages fictions, 286 longs métrages documentaires, 53 films d’animation, 64 films d’école et 611 courts métrages.
La sélection finale sera dévoilée en janvier prochain, selon M. Sawadogo.
Il a signalé que les spectacles d’ouverture et de fermeture de la 29ᵉ édition du Fespaco seront interprétés par des artistes burkinabè et tchadiens.
Le jury longs métrages fiction sera présidé par le cinéaste malien Souleymane Cissé, la Kényane Judy Kibinge devant présider celui des longs métrages documentaires, a-t-il fait savoir.
Le réalisateur sénégalais Abdoul Aziz Cissé sera le président du jury Yennenga postproduction, tandis que le jury de la critique africaine sera présidé par le Nigérien Youssoufa Halidou.
Le Tchad est le pays invité d’honneur du Fespaco 2025.
En marge de cette édition, se tiendront la 22ᵉ édition du Marché international du cinéma et de l’audiovisuel africain (MICA) et les ateliers Yennenga, des rencontres visant à renforcer le rôle du festival comme passerelle de soutien à l’émergence de nouveaux talents dans les principales chaînes de valeur de l’industrie cinématographique.
MERES CELIBATAIRES : UNE DOUBLE CHARGE AU QUOTIDIEN
« Il faut tout un village pour élever un enfant », dit-on. Mais les vicissitudes de la vie peuvent conduire une maman à élever son enfant seule, jouant ainsi le rôle de mère et de père.
« Il faut tout un village pour élever un enfant », dit-on. Mais les vicissitudes de la vie peuvent conduire une maman à élever son enfant seule, jouant ainsi le rôle de mère et de père. Entre charge mentale, manque de soutien et difficulté à refaire sa vie, chaque jour est un défi pour celles qui endossent cette double casquette.
La couleur vaut le détour. D’un rose éclatant et lumineux, cette maison située à Medina Gounass, rappelant les bâtisses de l’époque coloniale, attire tous les regards. Une architecture qu’elle doit à son passé récent, car elle abritait les locaux de l’ancien tribunal de la ville de Guédiawaye. Aujourd’hui, la Maison Rose, ou « Dar as Salam » (maison de la paix), est devenue un refuge pour les mères seules, les aidant à se reconstruire et à bâtir un nouvel avenir.
Dans la Maison Rose, la présence de cette couleur riche en symboles se perçoit dans chaque coin et recoin. Du rez-de-chaussée au plafond, cette teinte, symbole d’affection et de douceur, marque son empreinte comme pour rappeler aux pensionnaires qu’elles n’y trouveront que des ondes positives. Une positivité perceptible à des kilomètres à la ronde. En effet, en foulant le sol de ce cocon protecteur en ce début d’après-midi, les rires d’enfants titillent la curiosité. Une curiosité qui donne envie de percer le mystère caché derrière ces murs. Cette atmosphère enjouée contraste avec le vécu des pensionnaires. Ouverte depuis 2008, la Maison Rose accueille des femmes victimes de violences, de viols, d’incestes ou encore de grossesses précoces. « Le but est de les aider à faire face à leurs histoires et à leur permettre une renaissance », explique Mona Chasserio, fondatrice de la Maison Rose.
Chaque porte de la Maison Rose ouvre sur des histoires de mères célibataires. Mais l’histoire de Codou Diop et celle de Khoudia Mbaye (noms d’emprunt) méritent une attention particulière avant de continuer l’exploration de ce cocon protecteur. Au premier étage de cette bâtisse, ces jeunes filles vivent avec leurs enfants respectifs. Assises sur leur lit, un peu hésitantes, elles jouent nerveusement avec leurs doigts, le regard fuyant. Codou Diop est la première à partager son jardin secret. La jeune fille de 23 ans a vu, à travers ce récit, la clé pour faire la paix avec son passé. C’est justement ce qu’apprend la Maison Rose à ses résidentes : « laisser son sac de problèmes derrière soi et avancer sereinement ».
Havre de paix pour mères célibataires
Le 25 janvier 2024. Codou Diop n’est pas prête à oublier cette date. C’est ce jour-là que la jeune femme de 23 ans a foulé le sol de la Maison Rose avec une grossesse de sept mois. Et depuis ce jour, Dar es Salam est devenue son « havre de paix ». Violée par son père, la jeune femme au teint clair et au corps svelte voit sa vie chamboulée à tout jamais. Face à ce « déshonneur », elle tente de se débarrasser de cette grossesse. « Je voulais coûte que coûte en finir avec cette grossesse. Je me suis retrouvée à l’hôpital. Le médecin m’a mise en rapport avec une « bajenu goox », raconte-t-elle, le regard hagard. Elle finit par atterrir à la Maison Rose à sept mois de grossesse. « Je suis restée trois jours à pleurer. Mais avec les activités de création et d’éveil, j’ai pu accepter ma situation de mère célibataire et cet enfant », confie-t-elle, la maman d’une petite fille.
Khoudia Mbaye a longtemps bourlingué avant d’arriver à la Maison Rose. La jeune femme de 20 ans a connu une vague de mésaventures dans sa vie. Dar es Salam est sa planche de salut, sa bouée. Issue d’une famille où les parents ont divorcé, Khoudia choisit de vivre chez son père. Ce dernier se marie, et elle doit supporter « les humeurs de sa belle-mère ». Celle-ci va convaincre son père de l’envoyer chez ses grands-parents, puis chez sa tante paternelle. C’est là qu’elle rencontre un jeune homme. Ce dernier lui fait miroiter un amour éternel, qu’elle n’a plus connu depuis la séparation de ses parents. À 16 ans, Khoudia se retrouve enceinte.
« Mon père m’a laissée à mon sort à cause de cette erreur de jeunesse. Il m’a clairement fait savoir qu’il était déçu et qu’il aurait préféré que je sois avec ma mère », avoue-t-elle, les yeux larmoyants. Cette réaction, selon le sociologue Souleymane Lo, est due à la perception de la société sénégalaise des mères célibataires, souvent marquées par des jugements sévères et des stigmatisations. « Elles sont souvent perçues comme ayant transgressé les normes sociales et religieuses. Sous cet angle, elles font l’objet de rejet par leur famille et la communauté, ce qui les conduit parfois à l’isolement », a expliqué le sociologue.
Khoudia Mbaye coupe les ponts avec sa famille et décide de se trouver un logement pour elle et son fils. Abandonnée par sa famille et le père de son enfant, elle doit se débrouiller seule pour subvenir à ses besoins. Quelques mois plus tard, elle renoue le contact avec le père de son fils, et une nouvelle grossesse survient. « Il m’avait promis monts et merveilles. Mais il m’a de nouveau abandonnée juste après l’annonce de ma grossesse », dit-elle, d’un air dépité. Elle se retrouve avec deux bébés sur les bras. « C’était très difficile psychologiquement. J’en suis même venue à abandonner mon nouveau-né devant une maison, faute de pouvoir le prendre en charge », révèle-t-elle. Avec l’aide d’une bonne samaritaine, elle récupère son fils. « Cette personne m’a ensuite conduite à la Maison Rose. J’y vis depuis deux mois avec mes deux fils en toute sérénité », confie-t-elle. Après sa longue traversée du désert, Dar es Salam est devenue son oasis où Khoudia voit « une nouvelle porte » s’ouvrir pour elle et ses enfants.
Le père, l’absent le plus présent
« On ne prend pas rendez-vous avec le destin. Le destin empoigne qui il veut, quand il veut », écrivait Mariama Ba. Ces quelques mots suffisent à décrire la vie d’Asta Mbow. Contrairement à Codou et Khoudia, qui ont pu compter sur le soutien de la Maison Rose, Asta a dû faire face à son destin. « Mon mari est mort l’année dernière des suites d’une maladie. Mais j’ai toujours du mal à l’accepter, surtout avec les enfants », lâche-t-elle, visiblement émue. Mariée depuis un an, elle se retrouve veuve avec deux enfants à charge. « J’essaie de tout faire pour qu’ils ne manquent de rien », avoue la commerçante. Mais il y a un manque qu’elle ne peut combler : l’absence de son mari. « Elle se fait énormément ressentir dans l’éducation des enfants. Il leur manque cette présence paternelle que je ne peux combler », lâche-t-elle, plongée dans ses souvenirs, seules choses qui lui restent de son doux et tendre mari.
Les souvenirs, eux, restent tatoués dans la tête de Khady Barry (nom d’emprunt). Elle se souvient encore des difficultés à subvenir aux besoins de sa fille huit ans plus tôt. « C’est un lointain souvenir, dont la douleur et les séquelles restent toujours présentes », confie la trentenaire. En effet, les difficultés liées à l’éducation d’un enfant ne s’oublient pas facilement, surtout sans le père. « Ce dernier n’était pas prêt à prendre en charge un enfant. Il disait avoir des études à finir et une carrière à bâtir. Un enfant serait un frein pour nous deux », se rappelle amèrement celle qui est tombée enceinte à 22 ans, juste après sa licence. Cela n’entache en rien sa volonté de réussir ses études. Mais c’est sans compter sur la réalité d’une maman solo. « Cette période a été très compliquée sur tous les aspects. Je peinais à subvenir aux besoins de ma fille », confie-t-elle.
Mais pour Khady Barry, le plus dur a été d’expliquer à son enfant pourquoi elle ne pouvait grandir avec un père et une mère sous le même toit. « Je devais jouer le rôle du gendarme pour la recadrer, ou celui de la maman pour la rassurer et combler le vide laissé par le père », se souvient la trentenaire. Ce manque de présence masculine, poursuit-elle, a eu des conséquences sur l’éducation de sa fille, qui voit en tout homme une figure paternelle. « J’ai dû également la priver de beaucoup de choses. Je ne pouvais lui offrir que le strict minimum, sans travail ni soutien du père. Ma fille a un énorme problème avec l’autorité. Que ce soit à l’école ou à la maison, elle a du mal à être disciplinée ou à suivre les ordres », reconnait-elle. Endosser cette double casquette n’a pas été de tout repos d’après la conseillère clientèle dans une société française de télécommunications.
Poids des charges
Les mères célibataires au Sénégal font face à plusieurs défis spécifiques liés à la charge de l’enfant, selon le sociologue Souleymane Lo. « Elles sont contraintes de jongler entre le travail et les responsabilités parentales, ce qui peut être épuisant », explique-t-il.
Khady Barry a, quant à elle, jonglé entre ses études et l’éducation de sa fille. « J’ai dû abandonner mes études en master 2 et le stage qu’un de mes formateurs m’avait trouvé. Financièrement, je ne m’en sortais plus. Je n’avais plus les moyens de payer la garderie ni d’acheter le minimum nécessaire pour la survie de mon bébé », révèle-t-elle. La mère célibataire avoue avoir du mal à faire face aux charges. À un certain moment, confie-t-elle, les couches, les vêtements et les trois repas quotidiens étaient difficiles à gérer. « Nous pouvions rester des jours sans manger. Nous n’avions aucune aide financière, aucun soutien moral, ni autre forme d’assistance. Nous étions seules, et cela pendant plusieurs années », raconte-t-elle, soulignant que même les hôpitaux et les ordonnances étaient un luxe.
La justice, l’autre affaire
La prise en charge des besoins des enfants de mères célibataires dépend des cas, selon Malick Ndour, greffier. « Les mères célibataires qui ont obtenu la garde de leurs enfants à l’issue d’un divorce peuvent également rencontrer des difficultés pour recouvrer la pension alimentaire due par leurs ex-époux, surtout si ces derniers n’ont pas d’activité rémunérée par une administration publique ou privée », explique-t-il. Malick Ndour relève aussi le fait qu’elles sont souvent laissées à elles-mêmes, sans assistance ni pension alimentaire de la part de leurs ex-époux. « Elles ne peuvent même pas se prévaloir de la garde de fait et sont obligées de quémander une autorisation parentale pour voyager avec leurs enfants », souligne-t-il. Selon le juriste, la prise en charge des frais médicaux et pharmaceutiques des enfants s’inscrit dans cette dynamique.
Dans le cas des mères célibataires issues d’une relation naturelle, le juriste explique que le premier défi réside dans la reconnaissance de leurs enfants. « La plupart des enfants issus d’une relation naturelle se heurtent à un refus de paternité. Les pères refusent de s’assumer et, par ricochet, se gardent de les reconnaître. Il se pose également le problème de leur déclaration. Ils sont souvent mal déclarés, non déclarés ou inscrits au nom exclusif de la mère, avec la mention Pnd (Père non dénommé), ce qui peut avoir des conséquences psychologiques et sociales graves. Cela porte aussi préjudice à la jouissance de certains de leurs droits, comme le droit à une identité et à l’éducation », énumère-t-il. Me Ndour évoque également comme autre difficulté la prise en compte de ces enfants dans l’héritage en cas de décès du père. « Même si ces derniers les reconnaissent, ils sont parfois victimes de clichés religieux qui tentent de les exclure de l’héritage, bien que le Code de la famille soit clair sur la dévolution successorale selon le droit musulman (article 571 et suivants du Code de la Famille) », renseigne-t-il.
En revanche, poursuit-il, si ces enfants ne sont pas reconnus, ils n’ont même pas droit à être considérés comme héritiers d’un père biologique absent. Pire encore, en vertu de l’article 196 du Code de la famille, il leur est interdit de rechercher leur paternité, sauf dans les cas prévus à l’article 211 dudit code.
Difficile recommencement
La première relation avec le père de leur enfant peut laisser un goût amer aux mères célibataires. Certaines en viennent même à perdre l’envie de revivre une histoire d’amour. C’est le cas de Khoudia Mbaye. Après sa relation avec le père de ses deux fils, la femme de 20 ans dit être devenue « méfiante » vis-à-vis des hommes. « J’ai récemment rencontré quelqu’un qui m’a dit vouloir faire de moi sa femme. Mais je ne peux m’empêcher de penser à la façon dont cela serait perçu par sa famille et à son futur rapport avec mes enfants. C’est pourquoi je reste sur mes gardes », dit-elle d’un brin mélancolique.
Mariama Badiane s’est tout simplement résignée à finir sa vie seule. Mère de trois enfants, la femme de 56 ans ne se consacre aujourd’hui qu’à ses fils. « Je suis venue rejoindre mon mari en France en 1993. Mais c’est en 2016 que nous avons pris des chemins différents. Depuis, je m’occupe des enfants. Cela me suffit, et refaire ma vie n’est pas un besoin pour moi », avoue la consultante en droit familial. Une flamme difficile à raviver !
« Je suis restée célibataire presque 6 ans, seule avec mon enfant. Introduire à nouveau un homme dans ma vie me terrifiait », confie Khady Barry sans détour. La femme de 30 ans s’est posée beaucoup de questions avant de présenter son futur époux à sa fille. « Comment ma fille allait-elle vivre cela ? Cet homme accepterait-il mon enfant ? Comment sa famille réagirait-elle ? S’il y a un souci après le mariage, allais-je me retrouver enceinte et de nouveau mère célibataire ? Allait-il m’abandonner à son retour ? Serais-je encore obligée de mettre ma vie en suspens pour élever un autre enfant ? », se remémore-t-elle. En dépit de ces appréhensions, elle finit par faire confiance à l’avenir et sauter le pas. Les premiers mois de mariage ont été difficiles pour celle qui a dû laisser son enfant au Sénégal afin de rejoindre son époux dans un autre pays. « Elle s’est sentie abandonnée, déjà qu’elle n’avait qu’un seul parent, une mère qui faisait office de père aussi. Nous avons vécu séparées quelques années, le temps pour moi de bâtir un foyer stable et la faire venir auprès de nous », explique-t-elle. Avec le temps, Khady Barry a appris à refaire confiance et a accepté une figure d’autorité en son mari, qui joue actuellement le rôle de père, un rôle que sa fille n’a jamais eu avec son père biologique. « Vivre dans une famille recomposée n’est jamais facile, mais c’est mieux que d’être seule. On a quelqu’un sur qui s’appuyer et à qui déléguer certains devoirs », reconnaît-elle.
Le sociologue Souleymane Lo explique qu’il est difficile pour les mamans solos de trouver un partenaire de vie. Cependant, il tient à relativiser en affirmant que pour surmonter ces obstacles, les mères célibataires doivent davantage travailler sur leur estime de soi, en ayant confiance en elles et en leurs capacités à trouver l’amour. Elles doivent se concentrer sur leurs besoins sans négliger leurs propres désirs. Enfin, elles doivent s’armer de patience. Trouver le bon partenaire prend du temps. « Il est important de ne pas se précipiter et de prendre le temps de faire connaissance », signale-t-il. Après tout, tout vient à point à qui sait attendre !
724 dossiers traités par l’Association des juristes sénégalaises
Les mères célibataires qui font appel à l’Association des juristes sénégalaises (Ajs) sont nombreuses, selon Ndeye Madjiguéne Sarr Bakhoum, coordinatrice de la boutique de droit de Pikine. De janvier 2023 à juin 2024, les neuf boutiques de droit de l’Ajs ont reçu et traité 724 dossiers de mères célibataires, précise Mme Bakhoum. Cette dernière explique qu’elles viennent principalement pour des questions de droit de la famille. Selon la coordinatrice de la boutique de droit de Pikine, 430 dossiers portent sur des cas d’état civil, comme les demandes de procédure de déclaration tardive de naissance, suivis des cas de garde d’enfant avec demande de garde légale et de recherche de paternité pour les enfants issus de grossesses non reconnues. Il y a également des questions liées à la violence, avec 199 dossiers de violence physique (coups et blessures), économique (refus de verser la pension alimentaire), psychologique (menaces, injures, dénigrements), et sexuelle (harcèlement, viol, détournement de mineur…).
« Le refus de paternité est également courant, car les possibilités judiciaires ne sont pas nombreuses pour les mères célibataires, et le Code de la famille de 1972 offre davantage de possibilités aux hommes », ajoute la juriste consultante. À cet égard, elle poursuit, l’interdiction de la recherche de paternité est énoncée dans l’article 196 du Code de la famille, qui précise que la recherche de paternité est interdite. L’établissement de la filiation paternelle est interdit pour tout enfant qui n’est pas présumé issu du mariage de sa mère ou n’a pas été volontairement reconnu par son père. Ndeye Madjiguéne Sarr Bakhoum précise qu’il n’y a aucune possibilité judiciaire si le père décide de ne pas reconnaître son enfant, et aucun rapprochement paternel ne sera effectué. « Il est donc interdit de rechercher judiciairement la paternité naturelle, sauf dans des cas exceptionnels. Mieux, selon l’article 277 du Code de la famille, c’est la notion de puissance paternelle qui est consacrée au lieu d’autorité parentale, ce qui fait que, même divorcées, les femmes rencontrent des difficultés pour prendre certaines décisions pour leurs enfants », renseigne-t-elle.
DAKAR A LA DECOUVERTE DE L'ART
Les sites de la 15ème Biennale de l’art africain contemporain de Dakar (Dak’art 2024), dont le Musée des civilisations noires et l’ancien palais de justice du Cap Manuel, attirent un nombreux public dakarois composé surtout de Sénégalais ...
Les sites de la 15ème Biennale de l’art africain contemporain de Dakar (Dak’art 2024), dont le Musée des civilisations noires et l’ancien palais de justice du Cap Manuel, attirent un nombreux public dakarois composé surtout de Sénégalais mais aussi de visiteurs de diverses nationalités.
Enfants, jeunes et vieux, tous se donnent rendez-vous chaque soir sur les sites emblématiques du Dak’art 2024.
Certains viennent de départements de la région de Dakar éloignés, comme Rufisque, pour visiter les œuvres exposées dans ces lieux accueillant des activités de la biennale à Dakar-Plateau notamment.
Par exemple, au Musée des civilisations noires, en particulier au pavillon Sénégal, tout le décor est conçu de manière à accrocher le public.
De la tapisserie du peintre Manel Ndoye, lauréat du prix de la ville de Dakar, en passant par la statue de perlage ‘’Ayda Suka’’ de l’artiste Oulimata Touré, ou encore la fresque de l’artiste Sadio Diallo, tout y est fait pour permettre au visiteur d’entrer en contact direct avec le monde des arts.
Penda Racine Kâ, étudiante à l’Institut de formation en administration et création d’entreprise de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (IFACE-UCAD), trouve ‘’instructives et magnifiques’’ les œuvres exposées qu’elle a eues l’opportunité de visiter.
Assise à même le sol sous le tableau ‘’Avion’’, de l’artiste sénégalais Sambou Diouf, Penda Racine Kâ effectue sa visite en compagnie de ses deux camarades.
Elles semblent littéralement toutes tombées sous le charme des tableaux des artistes participant à la biennale, qu’elles qualifient tous d’‘’incroyables’’.
Pour sa première visite au Dak’art, cette adolescente est subjuguée par les œuvres des artistes internationaux des deux pays invités d’honneur de la manifestation culturelle : les Etats-Unis et le Cap Vert.
‘’La biennale est une belle initiative. Moi particulièrement, c’est la première fois que je visite [le Dak’art] et c’est juste incroyable, c’est merveilleux. On apprend plein de chose à travers l’art’’, lance-t-elle dans un large sourire.
Portable posé sur son sac, Diarra Niang se filme en train de danser, un numéro qu’elle explique par le fait que les œuvres d’arts lui parlent.
‘’Ces œuvres me parlent. Je suis très enthousiaste de me retrouver ici. C’est aussi ma première fois de visiter la biennale de Dakar. J’ai été attirée par un tableau dans lequel des couvercles ont été utilisés pour créer un bonhomme. Je pense que c’était un tableau américain ou capverdien, je ne sais plus’’, lance t-elle, tout excitée.
Trouvé en face de la ‘’Portée culturelle’’, une tapisserie de 5 mètres ayant permis au peintre sénégalais, Manel Ndoye, de gagner un prix, Babacar Junior Ndour, un jeune venu de Rufisque, est lui aussi ravi par ce qu’il vient de voir.
Assis sur un banc au pavillon Sénégal, cet étudiant qui vient à peine de décrocher son bac, se dit impressionné par le talent des artistes de la biennale.
‘’Ces œuvres sont très remarquables. En les observant, l’on a l’impression qu’il y a un message caché que les artistes vous poussent à découvrir’’, lâche-t-il, en fixant une tapisserie.
A l’en croire, ces œuvres demeurent non seulement ‘’intrigantes’’, mais sont aussi ‘’significatives et poussent à aller en profondeur’’.
Gabriel Eric Coly, un étudiant de l’Ecole des beaux-arts de Dakar, souligne quant à lui l’importance des échanges culturels entre le Sénégal et les autres nations.
Pour lui, ‘’c’est un réel plaisir de voir qu’à travers l’art, les gens peuvent voyager et aller à la découverte de plusieurs horizons et des cultures différentes’’.
L’artiste en herbe indique que sa visite, lui permet de découvrir non seulement des nouvelles techniques et formes de vision, mais également d’enrichir son bagage en tant qu’artiste.
Des visiteurs impressionnés par les oeuvres d’art
A l’ancien palais de justice du Cap Manuel sont exposées les œuvres des artistes sélectionnés dans l’exposition internationale ou IN.
Dès l’entrée, l’on aperçoit aussitôt les va-et-vient des visiteurs. A l’intérieur du palais, dans la cour menant vers les salles d’exposition et de ‘’talk show’’, sont dressées des œuvres gigantesques en métal, en fer ou encore de grands tableaux de plus de cinq mètres.
De ‘’Albourah troto’’, une ambulance hippomobile multifonction du designer sénégalais Bassirou Wade, au fauteuil en pouf du Marocain Younes Duret, en passant par le concept des cellules séparées de l’artiste Nigériane et Britanique, Ifeanyi Oganwu, le visiteur ne peut rester indifférent.
De nationalité gabonaise, l’étudiante Emmanuelle affirme que la biennale est une opportunité pour elle de venir découvrir des œuvres artistiques.
Résidant à Dakar depuis cinq ans, elle souhaite voir ce genre d’initiative être dupliqué dans plusieurs pays africains, notamment au Gabon.
‘’Il y a des choses qu’on ne connaît pas. On vient, on apprend et on découvre aussi certains artistes de différents pays. Ce qui m’a vraiment captivée, c’étaient les tenues africaines. C’était vraiment beau le détail des tenues. C’était vraiment joli’’, précise-t-elle faisant allusion au clin d’oeil fait à la mode dans la section design.
De taille élancée, Samir est un ressortissant libanais qui est né et a grandi à Dakar. Il estime que le Dak’Art est le meilleur espace pour ‘’s’évader’’.
‘’Je ne suis pas vraiment un amateur d’art. Le seul endroit où je peux peut-être chercher à prendre mon temps et peut-être comprendre quelque chose, c’est l’ancien palais de justice, à travers la biennale’’, explique-t-il.
Trouvé derrière la grande cour du palais où sont logées certaines œuvres des designers sénégalais, Samir pense que la biennale est une grande opportunité pour mettre les œuvres des artistes du pays, en ‘’valeur’’.
Vêtu d’un tee-shirt et d’un pantalon marron, François Diatta, étudiant à l’Ecole polytechnique de l’UCAD, déclare être impressionné par l’œuvre d’art ‘’Vent des plumes’’, du designer camerounais, Serge Mouangue.
‘’Il y a une œuvre là-bas derrière qui est sous forme de plumes d’Autriche. Cela me parle. Lorsque je l’ai vu, j’avais l’impression de voir des plumes d’anges’’, lance-t-il, en riant aux éclats, avant de rejoindre ses camarades.
PAR Aminata Ndiaye
DE L'HISTOIRE AUX PRÉMICES D'UNE RÉFORME DU SYSTÈME ÉDUCATIF AU SÉNÉGAL
Sureffectifs chroniques, inadéquation entre formations et marché de l'emploi, instabilité du calendrier académique... l'université sénégalaise peine à trouver sa voie, entre héritage colonial et quête d'identité
Cette Contribution est extraite d'un ouvrage collectif sur la réforme dans les universités, à paraître incessamment.
Au Sénégal, l'école sous sa forme actuelle, n'est pas le produit du développement interne des sociétés traditionnelles. Elle est la création et l'évolution du réseau scolaire qui ont accompagné la pénétration française, dominée par l'idéologie de l'assimilation, davantage accentuée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C'est de cette école que le Sénégal indépendant a héritée (Fall, 2013).
Cependant, éduquer au national a toujours été une sollicitation récurrente pour les différents chefs de l'État sénégalais qui, chacun en ce qui le concerne, a fait de son mieux pour initier soit des réformes, soit des ajustements ou orientations allant dans ce sens.
... « L'éducation, la formation aux métiers, l'emploi, l'entreprenariat des jeunes et des femmes restent des défis majeurs à relever. J'en ferai une priorité élevée des politiques publiques, en concertation avec le secteur privé. Nous devons, à cet effet, revisiter les mécanismes existants, les améliorer et les rationaliser afin qu'ils répondent mieux aux besoins d'emploi et autres activités génératrices de revenus pour les jeunes. »
... « Il y a urgence à gagner notre souveraineté alimentaire en investissant plus et mieux dans l'agriculture, la pêche et l'élevage, les trois mamelles nourricières de notre pays. », (https://www.presidence.sn/fr/actualites.../ 03/04/24).
Même si ses prédécesseurs, quasiment tous avant lui, ont discouru dans ce sens, également, et bien que son discours soit allé plus en profondeur en impératifs à atteindre, eu égard aux résultats discutables jusque-là obtenus en dépit des efforts considérables déployés, ces extraits de l'allocution à la Nation, le 3 avril 2024, du nouveau président de la République du Sénégal, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, interrogent notre système éducatif en général et invitent davantage encore à une réflexion approfondie sur l'enseignement supérieur. Un diagnostic de ce « grand corps malade » qu'est le système universitaire public sénégalais s'impose à nous, en tant qu'acteurs et partie prenante du système, depuis plusieurs décennies.
Si on se prend au jeu, a priori, on constate que, dans sa globalité, trois à quatre épisodes de réformes se sont opérés dans le système d'enseignement sans que, toutefois, aucun de ces changements de paradigme n'ait inversé la baisse de qualité qui a été généralement opposée au système considéré, qui pourtant a évolué sans cesse, mais pas nécessairement avec succès.
À y regarder de plus près, la succession des réformes du système éducatif au Sénégal révèle, pour chacune des séquences, l'avènement d'un nouveau président de la République. Autrement dit, chaque président, tirant les leçons du passé, a impulsé « sa réforme », à sa façon, tentant de réinitialiser le système éducatif.
Fort de ce constat, il s'agit, dans cette contribution, de réaliser une analyse des contextes qui ont conduit, depuis l'indépendance, à la nécessité de réformes dans le système éducatif en général et dans l'enseignement supérieur public, en particulier, afin d'alimenter la réflexion sur la nécessité pressante de l'adaptation effective du système aux besoins nationaux, afin de transformer radicalement l'université sénégalaise.
L'exercice se propose ici d'examiner les mutations survenues dans le système au travers des réformes, d'exposer les arguments qui justifieraient l'impérieuse nécessité d'options novatrices à l'aide d'une démarche inclusive et, enfin, de susciter la réflexion en faveur de l'adaptation de l'enseignement supérieur aux besoins locaux pour sa contribution réelle à la prospérité économique jugée indispensable.
Les contextes des réformes dans le système éducatif, de l'indépendance à nos jours
Il est aisé de comprendre que, dès le début de l'indépendance, le contexte était en faveur d'une véritable refondation du système scolaire. Du président Senghor, nous retenons dans son rapport d'orientation au congrès de son parti, l'Union progressiste sénégalaise (UPS), en février 1962 à Thiès, qu'il a insisté sur la mission assignée à l'institution scolaire en ces termes :
« Il est question, disait-il, par l'École, de former le Sénégalais nouveau : un homme préparé à l'action, tourné vers l'action. Or celle-ci suppose, pour être efficace, d'être une action solidaire, faite par et pour l'ensemble de la Nation, dans un projet national unanimement concerté et réalisé. »
Ainsi, des innovations portant sur la question linguistique sont expérimentées à l'école primaire au travers de la méthode « pour parler français » du Centre de Linguistique Appliquée de Dakar (CLAD).
Toutefois, cette première tentative d'adaptation de l'enseignement du français, même si elle tenait compte des réalités linguistiques et socioculturelles, esquivait d'autres questions à la fois fondamentales et urgentes, celles de l'introduction des langues nationales à l'école et du choix d'une langue nationale d'unification.
Retenons cependant, que l'enracinement et l'ouverture, termes si chers au président-poète, vont constituer les deux axes fondamentaux de la loi d'orientation de juin 1971, jetant ainsi les bases théoriques d'une réforme qui, à terme, devrait permettre l'africanisation et la sénégalisation des enseignements.
Par la suite, en application de la loi d'orientation, le décret 72-862 a été articulé autour d'une nouvelle nomenclature du système éducatif. La structuration du système subdivisé en cinq niveaux reste en vigueur jusqu'à présent : l'éducation préscolaire, l'enseignement élémentaire, l'enseignement moyen, l'enseignement secondaire, l'enseignement supérieur (Cissé et al. 2016).
En dépit de ces adaptations parcellaires intégrant quelques réalités locales dans les contenus des programmes, le constat est que la période post indépendance n'a quasiment pas connu de transformations structurelles importantes du système éducatif dans sa globalité. Il est apparu qu'aucun changement significatif par rapport aux orientations et programmes de la période coloniale ne vit le jour malgré les efforts déployés pour reformer le système (Cissé et al., 2016).
Toutefois, au regard des tendances dominantes, il apparaît que la situation géopolitique mondiale, en n'épargnant pas le système éducatif des pays industrialisés, a également impacté ses homologues africains et sénégalais en particulier. Même si des prémices de bouleversement de paradigmes ont réellement commencé à émerger à l'approche des années 70.
Au niveau global, à la fin des années 1960, la survenue de certaines crises telles que la guerre du Vietnam, en suscitant un cycle de contestations de l'ordre existant et une remise en cause de la rigidité des relations humaines et des mœurs dans toute la société (Prost, 2004), a exacerbé le dépérissement de l'espoir d'une démocratisation de l'école : idéal si cher à Jules FERRY, père fondateur de l'école républicaine en France : une instruction publique, gratuite, obligatoire et laïque pour toutes et tous. La quasi-généralisation du mouvement mondial des mouvements de contestations qui s'est exprimée ouvertement en mai 1968, notamment dans les universités, pour se diffuser plus largement dans les années suivantes, n'a pas épargné, dans leur globalité, les systèmes scolaires jugés trop archaïques mais aussi trop injustes. De nouvelles valeurs centrées sur la justice et l'égalité mais aussi sur l'autonomie, la créativité et l'épanouissement personnel ont ainsi émergé partout à travers le monde (Prost, 1997).
La crise des années 70 et ses corolaires parmi lesquels la stagnation des économies industrialisées, l'apparition de nouvelles formes de pauvreté et le point de départ du chômage de masse, a fait le reste des lors que se consolidaient les jalons de la fin des « Trente Glorieuses ». Avec le taux de chômage grandissant, le diplôme a commencé à perdre de sa valeur, créant un désenchantement dans les classes moyennes, notamment parmi bon nombre de jeunes diplômés du système éducatif des pays occidentaux.
Ce nouveau contexte va de plus en plus imposer une nouvelle forme de demande sociale d'éducation. Il ne revient plus seulement à l'école de dispenser aux jeunes la culture et de leur fournir des diplômes ne pouvant pas leur assurer une insertion dans le monde du travail. Une visée utilitaire de l'école s'impose d'elle-même afin d'éviter l'exclusion et le chômage survenus à cause d'un contexte économique de récession. Des empreintes locales ont partout commencé à apparaitre dans les curricula et les systèmes d'enseignement.
Au Sénégal, le mouvement de contestations est également parti de l'université, même si l'élément déclencheur a été d'un tout autre ordre. La réforme Fouchet qui supprimait la première partie du baccalauréat, véritable facteur bloquant pour l'accès à l'enseignement supérieur, a été à l'origine d'une massification des nouveaux bacheliers arrivés à l'Université de Dakar. Les crédits alloués étant insuffisants pour satisfaire cette pléthore de boursiers, il a fallu réajuster les paiements sur 10 mois et non plus sur 12 comme cela a toujours été le cas, afin de satisfaire toute la masse des bénéficiaires. S'en sont suivies des contestations autour des bourses : l'étincelle qui fit sauter la dynamite, le point de départ d'un cycle de manifestations qui se déclenche, atteignant son paroxysme dans la journée du 29 mai 1968, marquée par une intervention policière dans le campus (Gueye, 2017).
Les contestations et les grèves répétitives des élèves et des étudiants se sont ainsi accentuées tandis qu'au niveau du primaire, la dénonciation de la méthode « pour parler français » matérialisée par le CLAD polarisait les critiques. La situation était devenue intenable avec la consolidation du mouvement syndical dans le milieu enseignant : le SUDES remplaçant en 1976 le SES, dissolu de manière arbitraire en 1973 (Fall. (2013).
La cristallisation de la situation dans une ébullition des forces et options en présence a d'ailleurs motivé l'une des premières décisions du nouveau Président de la République, Abdou Diouf, annonçant, ler janvier 1981, la convocation des États Généraux de l'Éducation et de la Formation, dès son premier discours radiotélévisé adressé à la Nation.
Pour se départir d'une école d'assimilation, il était apparu comme une nécessité impérieuse, d'adapter l'école aux réalités du pays, ce qui était devenu inévitable.
Pour cela, le préalable absolu était d'élever le niveau général basique, porteur de la pensée et de la culture du pays colonisateur, avec comme unique vecteur la langue française à maîtriser absolument, et ensuite élargir l'offre à toute la population concernée et ne plus s'adresser uniquement à une élite ingénument ou foncièrement alliée.
La seconde phase des réformes post indépendance démarre ainsi en 1981 avec les États Généraux de l'Éducation et de la Formation pour redéfinir une nouvelle vocation de l'école.
Pour le nouveau président de la République, Abdou Diouf, qui remplaçait ainsi le président Léopold Sédar Senghor, il était impérativement question de créer une école fondée sur les valeurs traditionnelles du pays, longtemps marginalisées, même si dans le même temps il fallait rester ouvert au progrès scientifique et technique mondial.
C'est ainsi que toutes les parties prenantes du système éducatif allant de la Communauté Internationale aux responsables des Agences de Développement, aux chercheurs, universitaires de diverses disciplines en passant par les syndicats, sont invitées du 28 au 31 janvier 1981, après plusieurs mois de concertations, à réformer le système éducatif dans la perspective d'une meilleure articulation des contenus à l'identité socioculturelle nationale et africaine.
« L'École Normale Supérieure est ainsi devenue une institution pédagogique avec un rôle primordial dans la formation des professeurs sénégalais des lycées et collèges du Sénégal. » (Cisse et al. 2016)
Toutefois, malgré tous les efforts déployés pour cette recherche de solutions, de nombreux problèmes persistent. Retenons cependant que, depuis ces États Généraux de 1981, le Sénégal connaît une intense activité de réflexion et de concertation sur le devenir et sur l'avenir de son système éducatif.
Quelle est la place de l'Enseignement Supérieur dans cette vague de réforme ?
En 1990, la fin du monopole universitaire de Dakar est actée avec l'ouverture à Saint-Louis, de l'Université Gaston Berger (UGB). Nous assistons par la suite, avec le président Abdoulaye Wade, à la création en 2007 de deux nouvelles universités à vocation régionale disséminées à l'intérieur du pays, à Thiès et Ziguinchor et d'un Collège Universitaire Régional (CUR) à Bambey, opérationnel la même année même si les textes qui l'ont créé remontent à 2004. Ce CUR constitue l'ancêtre de l'université de Bambey, présentement université Alioune Diop de Bambey.
« L'Université de Bambey est l'héritière du Centre Universitaire Regional (CUR) de Bambey, dont la création remonte en 2004 (cf. décret 2004-916 portant « création et organisation d'un CUR à Bambey »), même si les enseignements n'y auront finalement démarré qu'en 2007. Il s'agissait à l'époque de la première expérimentation au Sénégal du modèle du CUR, et à ce jour, elle reste encore une expérience unique. Selon les termes mêmes retenus à l'issue du séminaire de réflexion sur la carte universitaire (30-31 octobre 2002), les missions du CUR sont « de préparer les apprenants à la formation universitaire (...) et d'assurer la formation professionnelle », en contribuant « à la mise en place des conditions de qualification des citoyens par la formation continue » et en veillant « à valoriser et à développer les atouts (économiques, culturels et sociaux...) au niveau du site d'implantation et des zones voisines ». Dans le décret 2004-916, il est également stipulé que « le CUR est un établissement décentralisé de formation générale et professionnelle universitaire de courte durée répondant aux exigences du développement local », ce qui le distingue donc des universités classiques.
Depuis 2009, le CUR de Bambey a été transformé en université de plein exercice, suite à la promulgation du décret 2009-1221, portant « création, organisation et fonctionnement de l'Université de Bambey »'
En 2013, suite à la Concertation Nationale sur l'Avenir de l'Enseignement Supérieur au Sénégal (CNAES), organisée sous le magistère du président Sall, différentes lignes d'actions prioritaires ont été identifiées avec des recommandations permettant d'initier une réforme destinée à bouleverser en profondeur le système de l'enseignement supérieur. Cette réforme s'est voulue inclusive en impliquant quasiment des acteurs du système de l'enseignement supérieur au Sénégal et de la diaspora autour de paradigmes nouveaux. Les grands thèmes de réflexion ont concerné la gouvernance, la qualité, l'accès, le financement, les ressources humaines, la professionnalisation, l'utilisation des nouvelles technologies de l'information notamment, avec le développement des STEM', la réorientation vers les sciences, la technologie, et la mise en place de filières courtes, techniques et professionnelles avec le lancements des Instituts Supérieurs d'Enseignement Professionnel (ISEP) ; le but final étant, essentiellement, de faire de l'Enseignement Supérieur un levier capital pour le développement socioéconomique du Sénégal.
Deux principes ont été au cœur de l'élaboration des conclusions de cette CNAES : la vision dans le terme consistait à faire de sorte que l'enseignement supérieur et la recherche appartiennent de manière concrète à la Société. Pour cela il faut absolument que l'enseignement supérieur et la recherche deviennent le levier primordial du développement économique, social et culturel. Suite aux débats du 6 au 9 avril 2013 étaient ressorties 78 recommandations, 11 décisions et 69 directives.
Ainsi, de 2013 à 2022, se sont succédés, le programme des réformes prioritaires 2013/2017 de l'enseignement supérieur et de la recherche au Sénégal et le Plan de développement de l'Enseignement supérieur et de la recherche PDESR 2013-2022. Les 11 décisions retenues étaient les suivantes :
1. STEM et professionnalisation : Réorienter le système d'enseignement supérieur vers les sciences, la technologie et les formations professionnelles ;
2. ICT : Mettre les technologies de l'information et de la communication (TIC) au cœur du développement de l'enseignement supérieur et de la recherche ;
3. Gouvernance : Améliorer le pilotage du système d'enseignement supérieur et de recherche et réformer la gouvernance des établissements publics d'enseignement supérieur ;
4. Paix : Instaurer une culture de la paix au sein des établissements publics d'enseignement supérieur ;
5. Carrière : Favoriser la carrière des enseignants, des chercheurs et du personnel administratif, technique et de service ;
6. Affaires sociales : Faire de l'étudiant un acteur de sa formation, favoriser sa réussite et améliorer ses conditions de vie ;
7. Renforcer la carte universitaire pour favoriser l'accès, diversifier l'offre de formation et assurer la qualité de l'enseignement supérieur ;
8. STI : Donner un nouvel élan à la recherche et à l'innovation ;
9. Internationalisation : Ouvrir l'espace sénégalais de l'enseignement supérieur et de la recherche à l'Afrique et au monde ;
10. Gestion : Améliorer la gestion des budgets et de l'équité des universités en mettant en place des procédures et des mécanismes modernes et transparents ;
11. Investissement : Investir dans l'enseignement supérieur et la recherche à la hauteur de notre nouvelle ambition.
Les réformes intervenues dans le pilotage des universités ont amené un recadrage managérial par rapport à l'échelle institutionnelle, qui s'est traduit par un ensemble de dispositifs mis en place. Les instances de délibération sont hiérarchisées du sommet à la base et toutes les composantes de l'Université et de la société y siègent. Les décisions sont prises dans une démarche de co-construction et s'imposent ainsi à tous les organes exécutifs : personnel d'enseignement et de recherche (PER), personnel administratif, technique et de service (PATS) et étudiants).
Rappelons que l'Assemblée de l'Université (A.U) était un centre de décision pour les questions allant de l'ordre académique aux finances en passant par les questions disciplinaires. Avec la loi 2015-26 relative aux universités publiques, le Conseil d'administration, qui permet une meilleure ouverture sur le monde socioéconomique et la société, devient un organe délibératif en lieu et place de l'Assemblée de l'Université qui était présidé par le Recteur. La désignation du Recteur et du Secrétaire général de l'Université se fait après un appel à candidatures et sont créés des postes de Vice-Recteurs. L'Assemblée de Faculté ou Conseil d'Unité de Formation et de Recherche UFR est l'organe décisionnaire au niveau de la Faculté ou de l'UFR et peut éventuellement être présidé par le Recteur. L'Assemblée du département ou de section est la cellule de base de la faculté ou de l'UFR, sur le double plan de l'enseignement et de la recherche.
En outre, au sein des universités publiques, un ensemble de dispositifs vont être mis en place : les cellules internes d'assurance qualité (CIAQ) et des Centre de pédagogie universitaires (CPU), les incubateurs, les structures genre et équité, les responsables de médiation et de dialogue social, les organes de services à la communauté, les structures de génération de ressources, les comités d'éthique et de déontologie, les comités d'audit interne et les cadres stratégiques.
Le Conseil académique, remis entre les mains des universitaires, est l'organe de délibération de toutes les questions d'ordre académique. À ce titre, il a pour missions de délibérer sur les aspects scientifiques, académiques, pédagogiques, disciplinaires et de recherche. Il est chargé notamment de délibérer sur : les programmes et le contenu des enseignements; les mesures et les listes d'aptitude pour la promotion des enseignants et/ou des chercheurs ; le calendrier universitaire ; le régime des études et des examens ; les critères et mécanismes d'autoévaluation des programmes de formation ou d'études des filières des unités de formation et de recherche des facultés, des UFR, des écoles et des instituts selon les référentiels définis par l'Autorité Nationale d'Assurance Qualité de l'Enseignement Supérieur (ANAQ-sup) ; les mesures de nature à améliorer la qualité de l'enseignement et de la recherche ainsi qu'à développer la formation continue ; la création ou la suppression des filières et des structures.
Concernant la culture de l'évaluation institutionnelle, pédagogique, elle s'exerce sous la tutelle ministérielle par l'Autorité Nationale d'Assurance Qualité (ANAQ-Sup). La reddition des comptes s'opère à travers la création d'un comité d'audit au sein du Conseil d'Administration, d'une déclaration de patrimoine exigée de certains responsables par l'Office National de Lutte contre la Fraude et la corruption (Ofnac) et des missions ponctuelles des corps de contrôle qui sont l'Inspection des Affaires Administratives et Financières (IAAF), l'Inspection Générale des Finances (IGF), l'Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP), l'Inspection Générale d'Etat (IGE) et la Cour des Comptes.
Il est toutefois à constater que, même si cette dernière réforme de l'enseignement supérieur de 2013 à nos jours a pu contribuer à travers les grandes orientations à jeter les bases d'une dynamique sociale pouvant servir de leviers de développement (l'élargissement de la carte universitaire sur l'ensemble du territoire, le développement de filières scientifiques et techniques et l'augmentation des ressources investies pour la recherche et la formation des ressources humaines), des défis persistants restent à relever au regard des crises récurrentes qui continuent de secouer le système d'enseignement supérieur au Sénégal.
Une université qui évolue et tente de s'adapter aux besoins
Il serait d'un pléonasme criard que de rappeler que l'histoire de l'université au Sénégal est intimement liée à la colonisation française. En effet, Aristide Le Dantec avait créé en 1918 la première école africaine de médecine à Dakar pour pallier les besoins spécifiques en santé publique. Les 33 médecins français militaires ne pouvant plus suffire à couvrir l'Afrique occidentale française, il s'agissait de former du personnel autochtone pour lancer une campagne de santé publique étendue sur les territoires (Barthélemy, 2010). Avec le déploiement de la scolarisation au niveau primaire et secondaire, des étudiants ont commencé à être envoyés au sein des universités françaises et l'Université de Dakar, qui était d'abord un collège dépendant de l'université de Bordeaux, fut créée en 1957 en tant que 18° université française. Le personnel enseignant était majoritairement français de métropole à cette époque.
Aujourd'hui, l'enseignement supérieur au Sénégal, avec le chemin parcouru ces soixante dernières années, a formé des élites qui interviennent au niveau national et international. La recherche, qui n'a pas toujours les moyens escomptés, est cependant prolixe, remarquable et des partenariats multiples sont engagés dans des politiques de collaboration à l'échelle régionale et internationale, avec des institutions académiques, scientifiques, des ONG, des associations ou des entreprises. Toutefois, un enseignement supérieur stable et de qualité à l'instar des universités de renom au plan international (classements, ranking internationaux) n'est pas encore de mise malgré les transformations notoires amorcées dans la jeune république du Sénégal au fil des décennies, depuis les indépendances, avec les quatre présidents successifs que sont : Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall.
Le sous-secteur de l'enseignement supérieur dans son état actuel
Le sous-secteur de l'enseignement supérieur compte des établissements publics mais également des établissements privés pour lesquels l'ouverture a été autorisée en 1993. Malgré ce dispositif dont le maillage recouvre quasiment l'ensemble du territoire sénégalais, le secteur peine à absorber tous les sortants du cycle secondaire. Dans les années 2000, pour répondre à la pression démographique et afin d'absorber et de fixer les élèves dans leurs terroirs, un nombre important de collèges et de lycées a été déployé sur le territoire. L'élargissement de la carte universitaire ne s'est malheureusement pas réalisé de façon concomitante mais avec plus d'une décennie de retard.
• Le sous-système public d'enseignement supérieur compte en 2024 :
- 9 universités publiques :
• L'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) ;
• L'Université Gaston Berger de Saint-Louis (UGB) ;
• L'Université Iba Der Thiam de Thiès (UIDT) ;
• L'Université Assane Seck de Ziguinchor (UASZ) ;
• L'Université Alioune Diop de Bambey (UAD B) ;
• L'Université Amadou Mahtar Mbow (UAM) ;
• L'Université du Sine Saloum Elhadj Ibrahima Niass (USSEIN) ;
• L'Université numérique Cheikh Hamidou Kane (UN-CHK), ex
Université Virtuelle du Sénégal (UVS), qui dispose de vingt-trois
(23) espaces numériques ouverts (ENO) répartis dans le pays ;
• L'Université Rose Dieng France-Sénégal (URD-FS) ex Campus franco-sénégalais (CFS) qui constitue la 9° Université du pays ; de droit sénégalais, à gouvernance paritaire entre le Sénégal et la France.
- Cinq (5) écoles d'ingénieur, dont quatre (4) intégrées à des universités et une école autonome (école polytechnique de Thiès) ;
- Six (6) instituts supérieurs d'enseignement professionnel (ISEP) qui offrent des formations professionnelles courtes de niveau bac +2 : ISEP de Thiès, ISEP de Richard-Toll, ISEP de Matam, ISEP de Bignona, ISEP de Diamniadio, et ISEP de Mbacké. Huit (8) autres ISEP sont en développement de sorte à couvrir les quatorze (14) Régions administratives du Sénégal.
3 Cf. Loi nº94-82 du 23 décembre 1994 portant statut des établissements d'enseignement privés, modifiée par la loi n°2005-03 du 11 janvier 2005.
• Le sous-système privé d'enseignement supérieur compte, de son côté, selon le rapport sur la situation de l'enseignement supérieur au Sénégal (SAGNA et al., 2022), quelques 230 établissements regroupés au sein de trois organisations faîtières que sont la Conférence des grandes écoles (CGE), la Conférence des établissements privés d'enseignement supérieur (CEPES) et la Fédération des établissements privés d'enseignement supérieur (FEPES)*.
En dépit des acquis engrangés par leurs prédécesseurs, les nouvelles autorités devraient s'atteler aux exigences contemporaines de l'enseignement supérieur. Le « Projet Sénégal Vision 2050 », dont ils sont porteurs, mérite ainsi une attention particulière pour déterminer la façon dont les acteurs devraient s'investir pour la mise en œuvre des propositions concernant l'Enseignement supérieur, la Recherche et l'Innovation.
Les défis actuels
Après l'évaluation des acquis à l'existant qui a déjà été mise en place, le chemin qu'il reste à parcourir vers l'atteinte d'objectifs ambitieux pour une nation qui compte beaucoup sur son système éducatif reste encore long. Car, malgré les résultats plus ou moins probants de la concertation de 2013, le rapport annuel de performance 2022 du MESRI met en lumière certains défis persistants à relever, que nous passons en revue ci-dessous :
• La normalisation du calendrier universitaire
Pour éviter le chevauchement des années académiques, le calendrier universitaire est l'outil indispensable qui se doit d'être maîtrisé et régularisé en tenant compte des perspectives d'échanges avec les universités partenaires à l'international.
C'est un aspect fondamental pour apporter une stabilité à un système d'enseignement qui doit répondre aux critères internationaux de qualité.
L'insatisfaction des trois acteurs du système, à savoir, les PER, PATS et étudiants et la contestation sociale qui s'ensuit induisant tout un cortège de maux, serait l'une des principales causes de ces décalages perpétuels des rentrées universitaires des établissements publics au Sénégal. Les grèves, les troubles à l'ordre public et la paralysie de l'économie sont souvent des conséquences du décalage des rythmes scolaires et particulièrement au niveau universitaire.
La problématique a fait l'objet d'un séminaire de trois jours en mai-juin 2024, sous l'initiative du ministre de l'Enseignement supérieur de la Recherche et de l'Innovation, Dr Abdourahmane Diouf, invitant ainsi toutes les parties prenantes du sous-secteur à réfléchir ensemble, de manière inclusive, autour de la question afin de proposer des solutions idoines permettant de décrisper la situation. Les conclusions et recommandations issues en cours de validation par l'autorité et les instances universitaires sont à mettre en œuvre pour une meilleure sortie de situation de crise.
• L'accroissement continu de la population estudiantine, la question de l'orientation des nouveaux bacheliers et de la mobilité
En 2023, il y a eu cent cinquante-cinq mille cent neuf (155 109) candidats au baccalauréat, soit une augmentation de près de 5 000 candidats par rapport à 2022.
Même si les résultats sont loin d'atteindre les standards internationaux régis par l'UNESCO en matière de ratio nombre de bachelier/ population totale, l'effectif total des admis au baccalauréat de 2023 a été de 77 427, avec un taux de réussite de près de 52% (dont 62% pour le public).
Conséquemment la population estudiantine est en perpétuelle augmentation : en 2023, elle était de 269 556 étudiants répartis entre les établissements publics et privés, dont 137 393 hommes et 132 163 femmes (soit 49,03% de l'effectif). La part des bacheliers sénégalais qui partent étudier à l'étranger ne représente que 7% de ceux qui optent pour une mobilité internationale. En 2023, 15 252 étudiants sénégalais ont été recensés en France, qui est la première destination de nos étudiants à l'étranger (en cinq ans une évolution de + 39% a été constatée). Le Maroc (avec 1251 étudiants en 2021) se trouve en deuxième position et le Canada suit de près (1239 étudiants en 2021) avec des campagnes de recrutement d'étudiants de plus en plus attractives. Malgré le mythe lié à cette mobilité internationale qui offrirait plus d'espoir pour l'avenir, la grande majorité des étudiants sénégalais reste étudier au pays. Ainsi la pression sur les établissements d'enseignement supérieur sénégalais est très forte.
Il reste aussi à prendre en considération les effectifs d'étudiants potentiels exclus actuellement du système universitaire : les bacheliers « cartouchards », autrement dit ceux qui ressortent de l'université avec le même diplôme qu'à l'entrée, en l'occurrence le baccalauréat sans autre diplôme en sus mais aussi les non-orientés pour quelque motif que ce soit (non maîtrise du système de demande d'orientation pour la plupart du temps), la règle étant que tous les bacheliers accèdent à l'université. Certains de ces omis du système optent pour une insertion professionnelle, souvent précaire. Ce sont ainsi, des milliers de jeunes qui peuvent rester insatisfaits car n'ayant pas eu l'opportunité de poursuivre leurs études et qui peuvent se retrouver dans une situation de vulnérabilité.
Selon l'Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie, en 2022, le taux brut de la scolarisation des 19-23 ans dans l'enseignement supérieur était de 16,09 % et le taux de chômage de la population en âge de travailler autour de 20%. Selon le Bureau International du Travail, ce sont 3,26 millions de travailleurs de 15 ans et plus® au Sénégal qui occupent un emploi informel. Le nombre de jeunes sans emploi ou en emploi précaire reste difficile à déterminer. Toujours est-il qu'il existe une part très importante de jeunes sénégalais à intégrer et à prendre en charge par le système d'enseignement supérieur au Sénégal afin de leur permettre de monter en compétences et d'accéder à un emploi décent.
• La nécessité de renforcement de l'enseignement en distanciel et autres défis à relever
Au regard des aménagements opérés suite à l'amorce de mise en œuvre des certaines recommandations issues de la dernière réforme, le constat révèle que ce sont des changements majeurs du mode de fonctionnement des universités qui impactent le mode d'organisation des différents services et les relations hiérarchiques des acteurs qui interviennent dans le déroulement des programmes.
Il faut remarquer que l'administration universitaire tendrait à se professionnaliser pour répondre aux défis imposés par les dynamiques sociales au travers d'une contractualisation auprès des politiques publiques avec le contrat de performance (CDP), le développement d'un budget de programme et la dématérialisation progressive des procédures.
Pour procéder à une évaluation de ces dispositifs, il faudrait un recul un peu plus important. Cependant, force est de constater qu'avec les effectifs actuels, le système éducatif a du mal à être performant et n'arrive pas à intégrer une part importante de la masse de jeunes scolarisables à tous les niveaux. Les capacités d'accueil des infrastructures publiques d'éducation sont en-deçà des besoins provoquant une régulation des flux à l'entrée des universités. Malgré les dispositifs mis en place (IFOAD) et le programme « un étudiant, un ordinateur », l'enseignement à distance au sein de l'ensemble des universités n'a pas encore atteint le niveau escompté. L'UVS, devenue présentement l'UN-CHK avec un effectif qui avoisine les 80.000 étudiants avait, à son lancement en 2014, démarré ses activités dans des conditions d'urgence, avec près de 2 000 nouveaux bacheliers orientés ; elle est rapidement devenue la deuxième université du Sénégal en termes de nombre d'apprenants. Ainsi, même si l'apparition de la crise sanitaire du Covid19 a accéléré les initiatives dans ce sens, les autres universités peinent encore à intégrer l'enseignement à distance dans leurs programmes de formation. De nombreux défis restent encore à relever :
- Le renforcement du dispositif technologique et de la capacité de formation dans les Sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STEM) s'est effectué à travers le développement des écoles d'ingénieurs, des ISEP, des facultés ou UFR à orientations scientifique et technique. Également, l'on a assisté, comme ci-dessus indiqué, à la mise en place en 2014, de l'Université virtuelle sénégalaise (UVS) et des Espaces Numériques Ouverts (ENO) dans chacune des régions du Sénégal. Cela a permis de désengorger les amphithéâtres même si le nombre d'étudiants reste encore important dans les universités par rapport aux capacités d'accueil. S'y ajoute la création d'une multitude de plateformes en ligne à travers le Système d'Information et de Gestion de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (SIGESR) ;
- La stabilisation du nouveau modèle pédagogique et la sensibilisation des utilisateurs (corps enseignant et étudiants) à l'intérêt d'un enseignement hybride, en distanciel, co-modal ou bi-modal, reste encore à renforcer ;
- La généralisation de la formation et de la professionnalisation des tuteurs qui occupent une part importante du corps enseignant de l'université virtuelle ? ;
- L'optimisation du système d'évaluation et de correction des examens qui présente des faiblesses notoires ;
- L'amélioration et la garantie de la qualité des programmes de formations respectant les référentiels-qualité de l'ANAQ Sup et du CAMES.
Les tuteurs jouent le rôle de relais entre les étudiants et la plateforme de l'UVS. Les principales activités pédagogiques des tuteurs consistent : à accueillir et à orienter les apprenants au sein des plateformes d'apprentissage, à y animer des activités pédagogiques (TD, classes virtuelles, forums, etc.), à animer (en présentiel ou à distance) les activités de remédiation au bénéfice des apprenants, à superviser le bon déroulement des activités d'apprentissage, à participer activement au suivi des apprentissages et à la motivation des apprenants, à préparer les apprenants aux évaluations, à contribuer au bon déroulement des évaluations (surveillances, corrections, délibérations, etc.), à participer aux dispositifs dédiés à l'amélioration permanente des enseignements et des apprentissages.
Vers une nouvelle réforme de l'Enseignement supérieur ?
Au plan global et continental, l'évocation de certains évènements naturels et sociaux survenus au cours de ces dernières années, entre autres, Covid, vague de chaleur, inondations, coups d'États militaires dans la zone sahélienne, guerre en Ukraine, prémices de redistribution de la carte géopolitique mondiale, etc., suffit à démontrer que nous vivons dans un monde préoccupant et imprévisible.
Des effets directs du changement climatique au développement des mégalopoles, à la montée en puissance de l'intelligence artificielle en passant par les dynamiques démographiques, notamment en Afrique et au Sénégal, la jeunesse de la population accentue les autres besoins en autosuffisance alimentaire, en infrastructures et moyens indispensables pour une meilleure prise en charge sanitaire. Autant de forces structurelles qui contribuent ainsi à la nécessité de reconsidérer les risques auxquels les populations sont globalement exposées. Ces processus de mutations posent un redoutable défi aux systèmes de prise en charge de tout ordre des populations, notamment au sein des États africains qui éprouvent beaucoup de difficultés à protéger la vie et le bien-être des communautés, tout en soutenant la poursuite d'une activité économique hypothétique.
Sur un autre registre, au plan régional et local, à l'heure des innovations et de la mobilisation des forces partout au travers du monde pour une émergence économique durable, la jeunesse africaine fuit quasiment, sans déchirement, son continent par l'intermédiaire d'une émigration régulière et clandestine principalement vers l'Europe mais aussi vers d'autres pays du monde. À partir de villes telles que Dakar, les migrations vers l'Europe, les USA et d'autres continents, occupent 55% de la dynamique spatiale. Les exodes s'accentuent à la faveur de troubles politiques et économiques qui se multiplient dans les pays d'origine. Certaines de ces formes d'exode sont considérées comme suicidaires ; pourtant, au Sénégal, le choix est assumé par de nombreux jeunes, candidats à ces départs à conditions périlleuses.
Au regard de tous ces faits, le contexte est fondamentalement propice à l'adoption de démarches et d'adaptations nouvelles et innovantes dans la formation, la recherche universitaire prenant en compte les réalités nationales et locales, valorisant les pratiques et savoirs endogènes, tout en s'appuyant sur l'exploitation judicieuse des ressources naturelles propres pour l'amélioration du quotidien de nos compatriotes.
Même si le leitmotiv reste partout semblable, c'est-à-dire chercher la qualité en intégrant les fondamentaux socioculturels, au Sénégal, une « adaptation aux besoins nationaux » s'avère être d'une nécessité impérieuse. Cela d'autant que le contexte récent a fait que les universités ont quasiment touché le fond avec leur fermeture intégrale d'abord, puis partielle, imposée par le Covid-19, et plus récemment leur fermeture quasi arbitraire et sectorielle ; le privé universitaire n'étant pas concerné. Cette situation liée au contexte sociopolitique pré-électoral s'est traduite par des actes de vandalisme qui ont ébranlé l'université-mère (Ucad). Celle-ci a vu sa bibliothèque et nombre de ses infrastructures aussi bien dans le campus social que pédagogique saccagées mais aussi une partie de ses archives brûlées.
Au demeurant, dans un contexte de réouverture de l'université publique en 2023-2024 pratiquement au milieu du calendrier académique malgré les séquelles encore visibles des perturbations ci-dessus évoquées, on assiste quasiment à un redémarrage difficile de l'année en cours. Toutefois, il semble crucial, suite de l'évaluation du système LMD après quasiment plus de 15 ans d'effectivité de mettre en œuvre de manière effective les recommandations issues du diagnostic approfondi qui semble révéler que le dérèglement constaté semble émaner d'une application quasiment pas très appropriée du système. On assiste en effet, non pas à un système LMD mais à des systèmes LMD appliqués différemment au sein des universités sénégalaises. En conséquence, afin d'avoir une meilleure idée de l'efficacité de la CNAES, une évaluation tangible des résultats de son application, plus de 10 ans après sa tenue, devient un impératif. Au regard du contexte géopolitique mondial, africain et local, tout pousse à croire que les nouvelles autorités ne tarderont pas à imprimer leur empreinte sur une nouvelle réforme pour l'enseignement supérieur. Tout indique, en effet, qu'on s'achemine, comme ont eu à le faire ses prédécesseurs, vers une nouvelle réforme à associer au président Bassirou Diomaye Diakhar Faye.
Références : bibliographie/ webographie
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Goudiaby, J. & Pilon, M. (2022). La progression de l'enseignement supérieur au Sénégal : des inégalités persistantes. Mondes en développement, nº197, 59-
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Sénégal (CNAES), Dakar SENEGAL
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« Conception et mis en œuvre des programmes de formation selon l'approche par compétences
Ndiaye L. (2021), Pour l'émergence d'une Université performante au service du développement durable, l'Harmattan SENEGAL, ISBN: 978-2-343-22104-5.
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Prost A., (2007), « Regards historiques sur l'éducation en France XIXe-XXe siècles », Ed. Belin, Paris, France
Sylla A. (1982) De la grève à la réforme. Luttes enseignantes et crise sociale au
Sénégal, pp. 61-73, Persée, Politique africaine, 8, Paris, France.
Aminata Ndiaye est Professeur titulaire des Universités (UCAD), Directrice des Affaires académiques et juridiques - Direction générale de l'Enseignement supérieur (MESRI).
par Jean Pierre Corréa
MA CHÈRE JEANNINE, DOUCE ANCRE DE MA SAINT-LOUISIANITE
Nous sommes tous là… Luttant avec la douleur de t’avoir perdue. Et pour mieux la surmonter, nous n’aurons qu’à nous souvenir de ton rire, de ta bonne humeur, de ta bonté et de ton éternel optimisme. Nous serons tous là ce mercredi pour te dire adieu
Ta disparition nous rappelle comme une évidence que nous sommes finalement bien peu de choses et qu’il faut profiter de chaque seconde, de chaque minute ici-bas…
Tout le monde est là. D’abord tes filles, sorties de plus loin que de tes entrailles, du fond de ton cœur qui ne battait que pour Jaja, Clo et Maïthé, mais aussi Ambou. Cathy et Loulou, inconsolables cousines te chargent d’aller pour elles, dire un énorme et tendre « MERCI » à tata Louise, figure tutélaire et digne maréchale des sœurs Carrère, pour l’aristocratique et juste manière avec laquelle elle a mené tout notre clan, exigeant de nous tous, tout cet amour qui s’est sédimenté au point de rendre nos liens indestructibles.
Nous serons tous là ce mercredi pour te dire adieu et te rendre un dernier hommage. Tu laisses un vide immense derrière toi. Toi, qui savais faire beaucoup avec si peu, toi qui savais cultiver l’amour et l’amitié… tu rendais ces moments rares… Ils se bousculent, émerveillant la mélancolie qui m’habite depuis Samedi soir, et convoquant ces traces, plus que des souvenirs, qui à tes côtés ont gravé dans mon âme cette indéfectible Saint-Louisianité. Comment les oublier ?
Quand je pense à maman, ta tante Toto, qui croyait dompter mes turbulences d’adolescent en m’envoyant, comme en maison de redressement, faire ma première et ma terminale chez tata Louise, alors qu’elle m’a permis de vivre mes plus belles et douces années, vivant comme un coq en pâte, entouré de tes attentions et de ta fierté de me voir devenir le gardien de but de ton équipe de football, La Linguère de Saint-Louis, et empli du sentiment qu’il ne pouvait m’arriver que du bonheur chez tata Louise, dans ce cocon d’amour posé au bord du Fleuve Sénégal.
Nous sommes tous là… Luttant avec la douleur de t’avoir perdue.
Et pour mieux la surmonter, nous n’aurons qu’à nous souvenir de ton rire, de ta bonne humeur, de ta bonté et de ton éternel optimisme.
Ta mémoire sera toujours gravée dans nos cœurs.
Repose en paix, Jeannine…
Thiampou Gnagna.
par Samba Gadjigo
SEMBÈNE ET THIAROYE : QUAND LA CAMÉRA EXPLORE L'HISTOIRE
EXCLUSIF SENEPLUS - Grâce à des œuvres comme celle de Sembène, l’histoire coloniale, souvent racontée à sens unique, trouve une pluralité de voix. il fut un éclaireur, un gardien d’une mémoire que d’autres voulaient tout simplement annihiler
Il est des hommes dont la vie s’érige en pont entre l’oubli et la mémoire, entre le silence imposé et les vérités proclamées. Ousmane Sembène est de ceux-là. Soldat de deuxième classe de 1944 à 1946, puis artiste en révolte permanente jusqu’à sa mort en 2007, il fut le témoin d’un siècle blessé par le colonialisme. Avec sa caméra comme arme et son imagination comme boussole, il a révélé les plaies béantes de l’histoire, parmi lesquelles celle du massacre de Thiaroye, le 1er décembre 1944.
Thiaroye demeure une cicatrice vive, un cri étouffé que Sembène a refusé de laisser disparaître. Ce lieu, où les tambours de la mort résonnèrent au rythme des mitrailleuses coloniales, incarne la trahison de ses valeurs supposées par un système de domination. Les tirailleurs sénégalais, de retour en Afrique après avoir survécu aux horreurs des camps allemands, espéraient pouvoir prétendre à un minimum de reconnaissance. Ils furent pourtant fauchés pour avoir réclamé leurs soldes et leur dignité. Le colonialisme tue deux fois : une première fois par la violence, une seconde fois par l'effacement des mémoires. Ousmane Sembène, en soldat devenu le vigile spirituel de ses camarades de combat, refusa cette double condamnation.
Il importe aujourd'hui plus que jamais de rappeler son parcours.
En février 1944, jeune maçon et apprenti-mécanicien, il rejoint le camp des Mamelles à Dakar en tant que soldat. Avec Djibril Mbengue et Omar Samb, il intègre la classe de 1944, un an plus tard que prévu. Pendant trois mois, il reçoit une instruction militaire, avant d’être affecté au Niger, dans la Troisième Compagnie de Transport, à l’annexe Artillerie. Là, pendant deux années d’un labeur harassant, il traverse l’enfer du désert : les convois interminables pour le ravitaillement des troupes d’Afrique du Nord, la chaleur accablante, la mort omniprésente signalée par le vol des charognards. Ces années de privations et de souffrances le marquèrent à jamais, façonnant en lui une conscience aiguë de l’injustice et du devoir de dire.
Rentré à Dakar en 1946, Sembène n’obtient même pas le certificat de bonne conduite. La même année, il s’embarque clandestinement pour Marseille, où il devient docker au Vieux-Port. C’est dans les bibliothèques du Parti communiste qu’il découvre la littérature, “comme un aveugle découvre la lumière”. Cette découverte le transforme et il publie Le Docker noir en 1956. Mais bientôt, il troque la plume pour la caméra, le cinéma étant à ses yeux plus accessible à son peuple que la littérature.
Avec Camp de Thiaroye (1988), réalisé avec Thierno Faty Sow, il laisse éclater sa révolte, racontant l’histoire des tirailleurs sénégalais revenus d'Europe brisés, mais dignes. Leur révolte légitime face au refus des autorités françaises de payer leurs droits se termine dans un bain de sang, mettant à nu les contradictions d’un système colonial qui exige loyauté et sacrifices tout en niant l’humanité de ceux qu’il exploite. Pendant le tournage, Sembène et son équipe font face aux intimidations : des avions de surveillance français survolent son plateau et son film sera interdit en France pendant dix ans (1988-1998). Mais il persévère et transforme cette œuvre en un monument mémoriel, empêchant ainsi Thiaroye de sombrer dans l’oubli.
Avant Camp de Thiaroye, Sembène avait déjà marqué les esprits avec Émitai (1971), une fresque dédiée aux résistances africaines. Ce film, situé en Casamance en 1940, retrace les conscriptions forcées imposées aux paysans pour servir une guerre qui n’était pas la leur. Il ressuscite la figure d’Aline Sitoé Diatta, héroïne du soulèvement des siens contre l’arbitraire colonial. Avec Émitai, il amorce son combat cinématographique : révéler les non-dits, célébrer les luttes et redonner une voix à ceux que le colonialisme a tenté de réduire au silence.
Ousmane Sembène n’a jamais été seul dans ce combat. Des poètes comme Léopold Sédar Senghor, dans son poème Thiaroye, ont pleuré les âmes des tirailleurs. Keïta Fodéba, dans Aube africaine, dénonçait l’injustice coloniale tout comme, dans les années soixante-dix, Boubacar Boris Diop, dans Thiaroye, Terre rouge. De leur côté, des historiens tels que Mbaye Guèye et Cheikh Faty Faye, confrontés au silence des archives coloniales, ont eu à cœur de reconstituer patiemment les faits, pour briser l’omerta de l’histoire officielle. De jeunes musiciens les ont rejoints pour former en leur compagnie un chœur puissant contre l’oubli.
L’art est une mémoire vivante. Il interroge, dérange et éclaire les zones d’ombre. Grâce à des œuvres comme celle de Sembène, l’histoire coloniale, souvent racontée à sens unique, trouve une pluralité de voix. Le cinéma et la littérature deviennent des outils de réappropriation, permettant aux peuples africains de se réconcilier avec leur passé.
Sembène disait que l’artiste est le témoin de son époque. Il fut bien plus qu’un témoin : il fut un éclaireur, un bâtisseur de ponts entre les générations, un gardien d’une mémoire que d’autres voulaient tout simplement annihiler.
La commémoration du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye va au-delà du simple hommage. Elle incarne une volonté politique forte, celle de rendre justice aux victimes et de célébrer le travail des artistes, écrivains et historiens qui ont refusé de se taire. Elle est un appel à regarder le passé en face, à en tirer les leçons, pour bâtir un avenir plus juste et plus humain.
Au-delà de Sembène, soldat, artiste et militant, cette commémoration est un acte de reconnaissance envers tous ceux qui pendant des décennies ont puissamment fait retentir les voix des oubliés. Elle est dédiée à ces panafricains qui nous ont appris que la mémoire est un combat, un flambeau à transmettre pour que jamais le mensonge n'impose le silence à la simple vérité historique.
par l'éditorialiste de seneplus, Arona Oumar Kane
UNE FAILLE DE SÉCURITÉ DANS LA DÉMOCRATIE SÉNÉGALAISE
EXCLUSIF SENEPLUS - Un président par intérim avoué, un dauphin Premier ministre et une majorité écrasante : le Sénégal de 2024 rappelle 1981, quand Senghor transmit le pouvoir à Diouf de façon monarchique
Arona Oumar Kane de SenePlus |
Publication 03/12/2024
L’article 35 alinéa 2 de l’ancienne loi constitutionnelle no 76-27 du 6 avril 1976 de la République du Sénégal disposait :
“En cas de démission ou de décès du président de la République ou lorsque l'empêchement est déclaré définitif par la Cour Suprême, le Premier ministre exerce les fonctions de président de la République jusqu'à l'expiration normale du mandat en cours. Il nomme un nouveau Premier ministre et un nouveau gouvernement dans les conditions fixées à l'article 43”.
C’est cette fameuse loi constitutionnelle qui avait valu au Sénégal la transmission du pouvoir d'un président de la République à un autre, sans le passage obligé par la sacro-sainte élection présidentielle. Ainsi, le 1er janvier 1981, sur la simple volonté du président Senghor, qui avait démissionné la veille, Abdou Diouf devenait le nouveau président de la République du Sénégal pour le reste d’un mandat qui allait jusqu’en 1983.
Cette transmission du pouvoir, peu démocratique, s’était pourtant déroulée de manière pacifique, dans un climat social apaisé et n’avait fait l’objet d’aucune contestation populaire. Il faut dire que la perspective de voir un président, qui sentait le vent de l’impopularité commencer à lui souffler doucement dans le dos, partir de lui-même était suffisamment satisfaisante pour que le geste fût plutôt salué par les populations. A cela, il faut ajouter le fait que nous étions dans un contexte où les bouillantes et très actives organisations politiques et celles de la société civile n’avaient pas la force de mobilisation et l’influence qu’elles ont de nos jours.
On peut cependant noter quelques similitudes, avec le contexte actuel, qui questionnent sur la stabilité institutionnelle de notre système démocratique. Cette dévolution quasi-monarchique du pouvoir avait, en effet, été rendue possible grâce à une révision, quatre ans auparavant, de la Constitution de 1963, qui modifiait les règles de suppléance à la tête de l’Etat. Cette réforme majeure avait été simplement décidée par le président Senghor - après s’être choisi un dauphin - et votée par une Assemblée totalement contrôlée par son parti, le PS.
Le président Abdoulaye Wade avait également bénéficié d’une majorité qualifiée, soit trois cinquièmes des députés, et l’avait même utilisée pour créer un poste de vice-président, jamais pourvu. Il avait aussi un dauphin apparent, mais contrairement à Senghor, il s’était heurté à une résistance populaire farouche. Les présidents Diouf et Sall ont eux-aussi pu, à des moments de leurs magistères, disposer de cette majorité qualifiée mais ni l’un ni l’autre n’avait de dauphin apparent, encore moins la volonté de transmettre le pouvoir à un tiers.
Aujourd’hui, nous avons tous les ingrédients favorables à un retour à cette forme de dévolution du pouvoir. D’abord, un chef de l’Etat, M. Bassirou Diomaye Faye, élu dans des circonstances particulières qui en font un président par défaut, ce que l’intéressé reconnaît et assume volontiers. Lors d’un entretien avec la presse sénégalaise, il avait encouragé son premier ministre M. Ousmane Sonko, comme pour faire taire les détracteurs, “non pas à lorgner son fauteuil mais à le regarder clairement”. Il avait ajouté qu’il se bat depuis 10 ans pour que M. Sonko s’installe dans ce fauteuil, qu’il n’a pas renoncé à cette ambition et qu’il n’y renoncera jamais. Cela fait du Premier ministre un dauphin clairement déclaré.
En plus de cette volonté affichée du prince, nous avons un parti présidentiel qui vient de remporter une victoire écrasante aux élections législatives anticipées, sous la houlette du dauphin présidentiel, qui a encore une fois démontré son intelligence stratégique hors du commun. Quelle que soit l’opinion des uns et des autres sur les méthodes et la personnalité du leader du Pastef, force est de reconnaître qu’on a affaire à un véritable génie politique qui déroule, depuis 10 ans, une stratégie gagnante qui le rapproche de plus en plus de ce fameux fauteuil.
Cette nouvelle majorité qualifiée, remportée haut la main, est largement suffisante pour opérer le type de révision constitutionnelle dont il est question. Il suffit en effet que le président Faye soumette à la nouvelle Assemblée un projet de loi constitutionnelle reprenant la lettre de l’ancien article 35 et qu’il obtienne l’adhésion de seulement 99 des 130 élus Pastef pour qu’une telle loi soit adoptée. Sans avoir besoin de passer par un référendum, avantage d’une révision qui serait portée par le chef de l’exécutif. Autant dire que, sur le plan politico-législatif, cela passerait comme une lettre à la poste.
Ensuite, une promulgation de la nouvelle loi par le président de la République, après contrôle de conformité par le Conseil constitutionnel, suivie d’une démission dans la foulée, et le Premier ministre lui succéderait immédiatement. En toute légalité. Cela pourrait se faire dès après l’ouverture de la première session ordinaire et l’installation de la nouvelle assemblée, le 2 décembre 2024, ce qui avec les délais de rigueur pourrait nous amener à une prestation de serment dès janvier 2025 !
Le Conseil constitutionnel, qui serait probablement saisi à la vitesse de l’éclair par l’opposition parlementaire, pourrait toutefois retoquer une telle révision. Il pourrait le faire notamment grâce à une interprétation de l’alinéa 7 de l’article 103 de la Constitution actuelle, qui réaffirme la forme républicaine de l’Etat et stipule l’impossibilité de réviser le mode d’élection du président de la République. Le Conseil pourrait tout aussi valider cette hypothétique loi en arguant que l’article 103 traite de l’élection et pas de la suppléance. C’est tout le sens de la notion d’interprétation qui donne à l’instance juridictionnelle le pouvoir de trancher en dernier ressort.
Bien évidemment, tout cela n’est qu’un scénario de politique-fiction, car ni le président de la République, ni son Premier ministre, n’ont déclaré avoir ce projet de dévolution par voie législative. Ils avaient certes évoqué l’idée de la création d’un poste de vice-président, mais le candidat Diomaye Faye avait bien précisé que ce serait dans la perspective de l’élection de 2029. On peut penser, par ailleurs, que le combat démocratique durement mené par le duo Diomaye-Sonko, au nom de la souveraineté populaire et des valeurs de liberté qu’ils incarnent, les a probablement immunisés contre cette tentation. Mais, l’histoire récente de la vie politique sénégalaise montre, à suffisance, qu’on ne peut être sûr de rien en la matière. D’autres figures avaient porté un combat politique de haute lutte et fait avancer de façon substantielle la démocratie sénégalaise, pour ensuite céder progressivement à la tentation du tripatouillage institutionnel au service d’ambitions personnelles, claniques ou partisanes. La séquence de la dissolution de l’Assemblée nationale, la veille de la date fixée par décret pour la Déclaration de Politique Générale du Premier ministre, doit être considérée comme une alerte à cet égard. Il s’agissait clairement d’un cas de tripatouillage institutionnel à des fins partisanes.
Quelle que soit la part de réalité dans ce scénario hypothétique d’une transmission extra-électorale du pouvoir, le simple fait que notre corpus juridique actuel rende possible une telle opération pose problème. Cela s’apparente à une faille de sécurité, comme dans les systèmes informatiques, c'est-à-dire un élément constitutif du système pouvant servir à compromettre son intégrité. Une démocratie n’est pas une œuvre finie mais un effort de veille continue et de renforcement des fondations qui la soutiennent. Ces fondations doivent être suffisamment solides et complexes, pour qu’il soit impossible de remettre en cause l’architecture globale par la seule volonté d’un individu ou d’un groupe d’individus.
Cette forme de résilience institutionnelle existe ailleurs dans le monde et doit inspirer. L’exemple le plus emblématique est celui des Etats-Unis d’Amérique où la modification de la charte fondamentale est soumise à des conditions si difficiles à réunir qu’elles en font un texte inamendable en pratique. Pour toucher à un seul des articles et amendements de cette Constitution qui date de 1787, ou en introduire un nouveau, il faut d’abord un vote conjoint des deux tiers des deux chambres du Congrès - ou d’une convention réunissant les deux tiers des États. Ensuite, pour entrer en vigueur, la révision doit être ratifiée par un vote des trois quarts des législatures des 52 États - ou d’une convention équivalente. Avec un tel verrou, ce pays, pourtant figure de proue des innovations technologiques et des mutations sociétales perpétuelles, est régi par la même charte fondamentale depuis plus de deux siècles. La plus récente ratification remonte à 1992 et porte sur le 27e amendement proposé en … 1789, soit plus de deux cent ans auparavant !
Cette forme de stabilité constitutionnelle doit être recherchée ; elle doit être un objectif dans le projet de transformation porté par les nouvelles autorités. Il s’agit, pour reprendre la formule de l’ancien président ghanéen, Jerry Rawlings, de « faire en sorte que si le diable lui-même venait à se retrouver à la tête du pays, certaines procédures, certaines pratiques l'empêcheraient de faire ce qu'il veut. Il serait obligé de faire ce que le peuple attend de lui ». Tant qu’il sera possible, dans notre pays, de faire modifier la Constitution par une centaine de députés, sans passer par un référendum, nos institutions resteront bien loin de ce niveau de résistance au diable, indispensable à l'exercice d’une véritable démocratie.
MISSIRAH ENDEUILLÉE PAR LES TRAGÉDIES DE L'ÉMIGRATION IRRÉGULIÈRE
C’est une journée sombre cette petite commune du département de Tambacounda. Le chavirement tragique d’une pirogue transportant des migrants vers l’Europe a coûté la vie à dix de ses enfants.
C’est une journée sombre cette petite commune du département de Tambacounda. Le chavirement tragique d’une pirogue transportant des migrants vers l’Europe a coûté la vie à dix de ses enfants, plongeant toute la communauté dans le deuil. Chroniques de l’espoir perdu, signée Pape Ousseynou Diallo
Un voyage vers l’espoir, une tragédie en mer
Dans la nuit du 21 novembre, une pirogue en provenance de Nouakchott et en direction des îles Canaries a sombré au large des côtes mauritaniennes. Parmi les victimes : une étudiante de 26 ans, un cultivateur de 17 ans, une divorcée mère de trois enfants, un bébé d’un mois et un garçon de trois ans. Ce voyage, qui devait représenter un espoir de vie meilleure, s’est transformé en une catastrophe maritime.
Sur les plus de 100 migrants présents à bord, seules six personnes ont survécu, sauvées in extremis par des pêcheurs locaux. Les rescapés racontent des heures d’effroi, lorsque la pirogue a pris feu en pleine mer, provoquant la panique et scellant le destin tragique des passagers.
Des familles brisées par le drame
À Missirah, les familles endeuillées tentent de faire face à l’inacceptable. Au domicile de Souleymane Keita, père du jeune cultivateur de 17 ans, c’est une atmosphère de deuil qui règne. « Mon fils voulait rallier l’Espagne pour nous sortir de la pauvreté. J’ai vendu tout ce que j’avais pour financer son voyage », confie-t-il, accablé par la perte.
Parmi les survivants, Néné Sylla a laissé ses deux enfants derrière elle, victimes du naufrage. « J’ai payé 2,4 millions de francs pour ce voyage. Mais ce périple s’est terminé par la perte de mes enfants et de nombreux autres jeunes de notre village », raconte-t-elle, dévastée mais reconnaissante d’avoir échappé à la mort.
Une commune à l’abandon, un avenir incertain
Pour les habitants de Missirah, ce drame met en lumière une réalité amère. La commune manque cruellement d’infrastructures, de centres de formation professionnelle et d’opportunités d’emploi. Selon un inspecteur d’éducation à la retraite, « la jeunesse de Missirah n’a d’autre choix que de rêver d’un avenir ailleurs, influencée par les images de réussite projetées par les émigrés revenus en vacances. »
Un appel urgent à l’action
Ce naufrage tragique n’est pas un cas isolé. Il illustre les dangers de l’émigration clandestine et la nécessité d’offrir des solutions concrètes pour dissuader les jeunes de risquer leur vie en mer. Les autorités locales et nationales, ainsi que les partenaires internationaux, doivent unir leurs efforts pour créer des alternatives viables, renforcer la sensibilisation et garantir des moyens de migration sûrs et légaux.
Ce drame doit servir d’électrochoc : chaque jeune perdu dans ces eaux représente une perte inestimable pour une nation en quête de développement.