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8 février 2025
Par Cheikh Yérim Seck
LES CLES POUR COMPRENDRE CE QUI SE PASSE AU SENEGAL
A la stupéfaction générale, dans une adresse à la nation prononcée le 3 février, le président du Sénégal, Macky Sall, a abrogé le décret convoquant le corps électoral pour le scrutin présidentiel qui devait se dérouler le 25 février, a une date ultérieur.
A la stupéfaction générale, dans une adresse à la nation prononcée le 3 février 2024, le président du Sénégal, Macky Sall, a abrogé le décret convoquant le corps électoral pour le scrutin présidentiel qui devait se dérouler le 25 février, reportant de facto sine die la présidentielle. Pour entériner cette décision inédite dans l’histoire de la démocratie sénégalaise, l’Assemblée nationale a voté, au forceps, dans une hémicycle débarrassée manu militari des députés de l’opposition radicale, un projet de loi constitutionnelle fixant la nouvelle date de l’élection au 15 décembre 2024. Ce qui a ajouté à l’escalade et entraîné des manifestations de rue ayant occasionné la mort de trois manifestants, dont un étudiant. Qu’est-ce qui a conduit Macky Sall à ce saut dans l’inconnu, lui qui avait pourtant engrangé tant de sympathie après son discours historique du 3 juillet 2023 dans lequel il avait déclaré renoncer à briguer une troisième candidature à la magistrature suprême par égard pour la Constitution et pour la tradition démocratique sénégalaise ?
Dans son adresse à la nation, il a évoqué une crise institutionnelle qui augurait d’une crise post-électorale s’il n’arrêtait pas le processus. Les couacs se sont en effet multipliés. Quarante-un candidats à la candidature, dont les dossiers ont été rejetés par le Conseil constitutionnel, se sont regroupés dans un Collectif et ont sollicité le président de la République à l’effet de faire réparer « l’injustice » qu’ils estiment avoir subie. En cause, la méthode d’examen par la haute juridiction des parrainages exigés pour être éligible à la candidature. Dans le flot de contestations, Aly Ngouille Ndiaye, un ancien ministre de l’Intérieur, qui sait donc de quoi il parle pour avoir organisé plusieurs élections, a soulevé un sérieux grief : « Il y’a plus de 900 000 électeurs inscrits qui ne figurent pas sur le fichier à partir duquel le Conseil constitutionnel a travaillé pour apprécier la validité des parrainages. » C’est trivial, il n’y a pas d’élection crédible sans un fichier électoral fiable.
Sur les vingt-un candidats qui ont franchi le filtre du parrainage, Karim Wade, fils de l’ex-président Abdoulaye Wade, candidat du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir de 2000 à 2012), a été recalé pour ne pas être exclusivement de nationalité sénégalaise. Alors que le PDS protestait en exhibant la déclaration de renonciation à la nationalité française de son candidat, une copie du passeport français de Rose Wardini, une candidate admise à concourir, a été publiée dans la presse, discréditant encore un peu plus le travail du Conseil constitutionnel.
Pour ne rien arranger, le groupe parlementaire Wallu, porte-étendard du PDS à l’Assemblée nationale, a suscité la création d’une commission d’enquête parlementaire pour faire la lumière sur des soupçons de corruption passive touchant deux membres du Conseil, de conflit d’intérêts, de collusion dangereuse… Macky Sall, à qui certains de ses adversaires prêtaient quelque regret suite à sa renonciation à briguer sa propre succession, ne pouvait trouver un contexte plus favorable pour documenter un arrêt du processus électoral. Ce qu’il a fait, en assortissant la mesure d’un appel à un large dialogue pour corriger ces graves dysfonctionnements afin de créer les conditions d’une élection qui ne souffrira pas de contestations. Pareille posture, en théorie républicaine, a été vite qualifiée de politicienne voire partisane par l’opposition qui y a vu une parade pour enrayer la défaite annoncée du candidat du pouvoir face à la vague d’adhésions en faveur de Bassirou Diomaye Faye, celui de Pastef, parti d’opposition radicale.
« Le facteur Pastef dans la complexité de l’équation politique»
Le métabolisme de la vie politique sénégalaise a été bouleversé par l’irruption brutale dans l’arène d’un haut fonctionnaire de l’administration des Impôts et domaines reconverti en hussard de la République. A coups de déballages tous azimuts, y compris sur des dossiers dont il a connu en tant que fonctionnaire, de livres à scandale et de fracassantes conférences de presse, Ousmane Sonko est passé de syndicaliste anonyme des Impôts à député élu au plus fort reste, puis à candidat classé 3e à la présidentielle, pour se retrouver porte-étendard de la coalition de l’opposition qui a ôté la majorité parlementaire au pouvoir de Macky Sall. Sous la bannière de Pastef (acronyme de Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), Sonko a introduit dans un champ politique feutré et raffiné des méthodes aussi inédites que brutales (émeutes, casses, incendies volontaires, destructions de biens publics et privés, invectives contre les adversaires, insultes contre les autorités religieuses et coutumières, campagnes de diabolisation et d’intoxication sur internet…). Cette stratégie du bord du gouffre a atteint son paroxysme en mars 2021, lorsque le pays a manqué de peu de basculer après trois jours d’émeutes et de destructions perpétrés par des jeunes déchaînés par la convocation de Sonko sous une accusation de viol.
Pastef, objet politique non identifié, a, telle une météorite, bousculé la hiérarchie des forces, secoué les positions sur l’échiquier politique, rallié jeunes désoeuvrés, laissés pour compte économiques et autres damnés de la terre par un discours populiste, démagogique mais efficace. Au bout de deux années où leurs incitations à la violence, leurs appels à l’insurrection et leurs nombreuses défiances envers les institutions ont installé le pays dans le désordre sécuritaire, économique et social, Ousmane Sonko et son second, Bassirou Diomaye Faye, ont fini par être arrêtés et emprisonnés. Condamné définitif pour corruption de la jeunesse, après la requalification du viol qui lui était reproché, donc inéligible, Sonko a dû se résoudre à soutenir la candidature de Faye à la présidentielle qui devait se tenir. L’acceptation de cette candidature est d’ailleurs l’une des curiosités du travail tant décrié du Conseil constitutionnel. Pastef ayant été dissous en juillet 2023 pour actes de terrorisme, destructions de biens publics et privés, financement occulte par des fonds d’organisations salafistes…, aucun de ses membres ne pouvait, en effet, conserver le droit de concourir dans la moindre élection. C’est donc dans ce climat de suspicions, mais aussi de couacs répétés, sur fond d’une longue tension politique, que l’élection a été reportée. D’autant que la goutte d’eau de l’élimination de Karim Wade a fait déborder le vase.
« L’injustice du rejet de la candidature de Karim Wade »
A l’encontre de Karim Wade, l’injustice est systématique, systémique. Depuis la défaite de son père à la présidentielle de 2012, le fils d’Abdoulaye Wade va de tracasseries en brimades. Poursuivi pour enrichissement illicite par le régime de Macky Sall, il s’est vu infliger une lourde peine de 5 ans de détention par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). En dépit du rejet, par le Groupe de travail des Nations-Unies sur la détention arbitraire, de cette décision rendue par une juridiction d’exception au mépris de son droit à la défense et du double degré de juridiction, il a été incarcéré 3 longues années et demie. Le jour même de sa libération, ce 23 juin 2016, il a été manu militari mis dans un avion, contraint à un long exil au Qatar. A la veille de l’élection présidentielle de 2019, désigné candidat par le PDS, il a été empêché de revenir au pays pour prendre part au scrutin, menacé par le régime d’arrestation dès sa descente d’avion pour cause de contrainte par corps.
Pour éviter d’être à nouveau écarté, Karim Wade a, dès le 26 octobre 2023, pris la précaution de faire une déclaration de renonciation à la nationalité française auprès de l’ambassade de France à Doha. Enorme déchirement identitaire chez cet homme né d’un Sénégalais et d’une Française ! En dépit de ce sacrifice, il a subi un nouveau rejet de sa candidature. Une telle injustice, rendue évidente par l’admission de Rose Wardini – elle, réellement française –, a poussé le groupe parlementaire Wallu du PDS à initier une commission d’enquête parlementaire visant deux membres du Conseil constitutionnel pour corruption passive et conflit d’intérêts. Puis à déposer un projet de loi portant report de la présidentielle, pour donner à la commission le temps d’exécuter sa mission. Le projet, voté, a fixé le scrutin à la date du 15 décembre 2024.
Une curiosité, toutefois, dans cette procédure : la création de la commission d’enquête et le report de l’élection ont été adoptés grâce au vote des députés de la majorité présidentielle alors que les magistrats sont soupçonnés d’avoir été corrompus par… le candidat de cette majorité, le Premier ministre, Amadou Ba.
« Le problème Amadou Ba au sein de la majorité présidentielle »
Dans mon livre « Macky Sall face à l’Histoire/ Passage sous scanner d’un pouvoir africain », paru en janvier 2023, figure, à la page 207, un chapitre 19 titré « Le problème Amadou Ba ». L’intitulé est prémonitoire au regard des événements actuels. Cet inspecteur des impôts, directeur des Impôts au moment de la chute d’Abdoulaye Wade, a été promu ministre des Finances, puis ministre des Affaires étrangères par Macky Sall, avant d’être brutalement éjecté du gouvernement, soupçonné de manœuvres peu catholiques pour être calife à la place du calife.
Après deux années de traversée du désert, au cours desquelles tous le fuyaient comme la peste pour ne pas être suspects de connivence avec lui, il a été nommé Premier ministre par défaut dans un contexte où il était loin d’être le premier choix du chef. Avant d’être, à la faveur d’un intense lobbying qu’il a su orchestrer, désigné comme candidat de la coalition au pouvoir suite à la renonciation de Macky Sall à briguer une troisième candidature en 2024. L’adoubement de l’homme le plus calomnié dans les cercles du pouvoir, le plus soupçonné de déloyauté, le plus combattu… a aiguisé les couteaux, creusé les tranchées, déclenché une levée de boucliers… Sont-ce ses qualités, réelles, qui dérangent ? Des cadres de la mouvance présidentielle comme l’ex-Premier ministre, Mahammad Boun Abdallah Dionne, l’ancien ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, et l’ex-directeur directeur des domaines, Mame Boye Diao, sont ouvertement entrés en dissidence et ont déclaré leur candidature. Des proches de Macky Sall comme le président du Conseil économique, social et environnemental (Cese), Abdoulaye Daouda Diallo, le ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang, son homologue de l’Industrie, Moustapha Diop… ont alterné attaques publiques et coups en coulisses contre le candidat. Le cercle le plus intime du président a fini par se laisser persuader qu’Amadou Ba n’a pas l’étoffe pour gagner et que, s’il arrivait par miracle à l’emporter, il ne resterait pas loyal à la famille présidentielle. Pareille perception a dû peser sur la balance.
Toutefois, avant et après l’annonce du report, Macky Sall a donné des gages à son Premier ministre, lui a renouvelé sa confiance, l’a maintenu à son poste à la primature et à sa position de candidat. Conscient, sans nul doute, qu’un divorce d’avec Amadou Ba et ses proches, dans ce contexte de guerre frontale contre l’opposition et la société civile, scellerait la perte du pouvoir. Qu’adviendra-t-il entre ces deux hommes, qui ne s’aiment pas et ne se font pas mutuellement confiance, si la conjoncture politique actuelle change ?
Pour l’heure, Macky Sall continue de subir le problème Amadou Ba, maintient une unité de façade de son camp, appelle celui d’en face à un dialogue pour surmonter la crise…
« Le dialogue, moindre mal pour sortir de la crise »
Si le cycle actuel de manifestations et répressions perdure, le Sénégal risque de basculer dans une spirale meurtrière ou de connaître, pour la première fois de son histoire, une rupture de l’ordre démocratique. Dans une récente interview accordée à Associated Press, Macky Sall a prévenu que, si la classe politique n’arrive pas à s’entendre, « d’autres forces organisées » risquent de faire irruption dans le champ politique. Dans un communiqué conjoint en date du 12 février, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade qui dirigèrent successivement le pays de 1981 à 2000 et de 2000 à 2012, ont appelé les jeunes au calme, la société civile à la responsabilité, l’opposition et le pouvoir à « un dialogue constructif et franc » pour aboutir, le 15 décembre 2024, à une élection présidentielle inclusive et incontestable.
D’ores et déjà, la coalition au pouvoir, les dissidents de la mouvance présidentielle (Mahammad Boun Abdallah Dionne, Aly Ngouille Ndiaye…), le PDS d’Abdoulaye et Karim Wade, le candidat et ex-Premier ministre Idrissa Seck, le candidat et ancien ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye… ont déclaré leur volonté de prendre part au dialogue. Certains ne devraient pas tarder à les rejoindre autour de la table. Nombre d’autres candidats, pas prêts pour une élection le 25 février, cherchent à mettre les formes pour aller à la discussion sans perdre la face.
Alors que l’on craignait que la chaise de l’opposition radicale amenée par Pastef reste vide, Pierre Goudiaby Atépa, un célèbre architecte proche d’Ousmane Sonko, et Alioune Tine, une figure de la société civile autoproclamée médiateur dans les crises successives, ont révélé que Macky Sall et Sonko ont entamé des négociations secrètes dans le but d’aboutir à une décrispation du climat politique. Tine est allé plus loin, indiquant même que, en guise de signe d’apaisement, « Sonko va sortir de prison au cours des prochains jours » à la faveur d’une loi d’amnistie. Laquelle a été effectivement déposée sur la table de l’Assemblée nationale. Après cette sortie médiatique, la sonkosphère a multiplié les démentis, objectant que son leader, porte-étendard de l’anti-système, chantre de la rupture d’avec la politique classique, n’est pas homme à « négocier » comme les politiciens traditionnels. Comme pour couper court à ces dénégations, Karim Wade a jeté un pavé dans la mare, dans ce tweet du 13 février : « Je viens d’apprendre qu’Ousmane Sonko est en négociation avec le président Macky Sall en vue de sa prochaine libération et de celle des personnes emprisonnées avec lui. »
Si Sonko devra éclairer aux yeux de ses partisans les péripéties de sa prochaine libération, l’Etat du Sénégal doit, de son côté, élucider les circonstances dans lesquelles trois manifestants ont perdu la vie. Il a également l’obligation de sanctionner les éléments des forces de sécurité qui ont levé la main sur deux femmes. Leurs écarts ont été captés dans des vidéos devenues virales qui ont fortement choqué l’opinion. Plus jamais ça ! Même le chien ne supporte pas de voir un homme frapper une femme.
MACKY SALL RECULE SUR LE PROJET D'AMNISTIE
Entre pressions internes et externes, le président a finalement dû abandonner. Ses plus proches collaborateurs s'y étaient fermement opposés, prévenant le chef de l'État des conséquences politiques négatives d'une telle décision
Il n’y aura pas de loi d’amnistie des crimes liés aux manifestations de mars 2021 jusqu’à février 2024. Les sorties de Alioune Tine et Pierre Goudiaby Atepa, entre autres pressions, ont eu une conséquence négative sur la perception de la situation par la majorité des soutiens du chef de l’Etat. Le projet de loi, qui devait être présenté hier en Conseil des ministres, a été rangé aux oubliettes. Le président de la République Macky Sall a été obligé de laisser tomber.
«Sonko va être libéré dans les prochains jours.» Si Alioune Tine d’Afrikajom avait basé ses propos sur le projet de loi d’amnistie qui devait être présenté hier en Conseil des ministres avant d’atterrir à l’Assemblée nationale, il devrait revenir sur ses propos. Le projet est mort-né ! En effet, les réactions en public comme en privé, des membres de la majorité, ont eu raison de la volonté du président de la République. Macky Sall a été contraint d’abandonner l’idée. Le chef de la Coalition Benno bokk yaakaar a été convaincu par les membres de son camp, de «l’erreur» qu’il allait commettre.
Il faut rappeler, comme Le Quotidien l’avait dit auparavant, que le projet était passé le mercredi de la semaine dernière en Conseil des ministres. Mais plusieurs membres du gouvernement ne l’ont pas approuvé, et y ont même opposé un niet ferme. Le chef de l’Etat s’est accordé une semaine de réflexion, avec la secrète volonté de pouvoir surmonter les réticences de son camp. Mais la publication de l’information par Le Quotidien du lundi 12 février dernier, ainsi que la bronca qu’elle a soulevée à travers le pays, a achevé de montrer à Macky Sall la difficile haie qu’il allait devoir franchir en persistant dans son projet.
Des collaborateurs parmi les plus proches lui ont fait connaître leur nette opposition à l’idée d’amnistier certains crimes. Et au cas où il se serait obstiné, des ministres s’étaient même faits à l’idée de mettre leur démission en balance pour lui faire changer d’avis. Ayant subodoré tout cela, le Président Macky Sall n’a même pas évoqué le projet en Conseil des ministres d’hier.
Il semble aussi que les dernières sorties de Pierre Goudiaby Atepa et Alioune Tine, annonçant respectivement la volonté de concertation des deux parties et la sortie de prison de Ousmane Sonko, n’ont pas été du goût de certains membres de Benno bokk yaakaar. Qui n’ont pas compris que l’on puisse «sacrifier ceux qui ont été au front contre Ousmane Sonko, en plus de conforter les défenseurs de la thèse des détenus politiques». Moustapha Diakhaté fait partie de ceux qui étaient les plus virulents contre le projet. Il est monté au créneau pour le faire savoir. «Si le Président Macky continue, je vais m’y opposer farouchement», avait il déclaré.
On peut imaginer que ce revirement ne va certainement pas plaire aux «Patriotes». Eux qui, sans l’avouer publiquement, voyaient d’un bon œil la sortie prochaine de Ousmane Sonko. En effet, avec cette tension provoquée par le report de la Présidentielle, avoir Ousmane Sonko libre de ses mouvements aurait eu pour eux un avantage considérable. Le maire de Ziguinchor va devoir trouver d’autres moyens pour sortir de prison, à défaut de purger sa peine.
L’abandon de ce projet de loi d’amnistie aura forcément des conséquences sur le dialogue souhaité par Macky Sall. En effet, alors qu’officiellement les «Patriotes» sont contre l’idée, comment les convaincre de rejoindre la table des concertations sans certaines concessions ? C’est l’équation que devra résoudre son instigateur. Et ceux qui espéraient s’ouvrir les portes du Palais à l’occasion de cette nouvelle tension, devront continuer à chercher d’autres os à ronger.
Par Ibou FALL
DIOUF-WADE, COMBIEN DE COMBINES ?
Sénégal : cardiaques, émigrez ! Alors que la République tremble dans ses fondements depuis que le chef de l’Etat en exercice, Macky Sall, nous annonce le report de l’élection, ne voilà-t-il pas que deux revenants, surgis des limbes de l’histoire politique
Sénégal : cardiaques, émigrez ! Alors que la République tremble dans ses fondements depuis que le chef de l’Etat en exercice, Macky Sall, de son ton le plus solennel, arborant sa mine la plus grave, nous annonce le report de l’élection, ne voilà-t-il pas que deux revenants, surgis des limbes de l’histoire politique récente, nous rappellent à leur bon souvenir….
Dans un courrier cosigné, les deux anciens présidents de la République, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, nous appellent, en chœur, à garder notre sang-froid, faire preuve de bonne éducation, de retenue, d’esprit républicain, de patriotisme. Ils s’adressent à nous autres, Sénégalais ordinaires, dont la plupart sont de cette jeunesse qualifiée de malsaine par l’un, et que l’autre a éduquée à affronter les Forces de l’ordre, leur apprenant comment renvoyer les lacrymogènes aux policiers quand elle ne fait pas exploser des voitures pour obtenir sa libération.
Une énième «sénégalaiserie» de ces duettistes dont le sordide compagnonnage, qui date de bien longtemps, prend racine en des occasions sans doute que l’histoire ne révèlera jamais.
Certes, le pays est au plus mal
A l’international, nos amis du monde occidental, qui font du Sénégal le premier de la classe démocratique sous les tropiques, froncent les sourcils
Le département d’Etat américain, cette vierge éternelle effarouchée, s’indigne des violations flagrantes des principes de bonne démocratie. Au pays de la peine de mort, du port d’arme institutionnalisé, où un Nègre prend une balle perdue s’il fouille trop brusquement ses poches, ça ne tolère pas qu’un pays aussi pauvre que le nôtre puisse s’offrir l’audace d’enfreindre sa Constitution avec autant de désinvolture.
Quant à l’Union européenne, qui ne comprend déjà pas qu’un pays civilisé s’offusque que des homosexuels se promènent sur les boulevards bras dessus, bras dessous en échangeant des baisers à pleines bouches, elle se scandalise que ces sauvages se permettent en plus de rater un rendez-vous électoral.
Que dire de l’indignation de la Cedeao… Ses pays membres ont déjà du mal à gober les Sénégalais qu’ils regardent comme des intrus : un authentique pays africain a dans son pedigree au moins deux coups d’Etat sanglants et un putsch sympa, pour le principe, sans trop de gaspillage d’hémoglobine. Juste des foules en liesse, des soldats sur les chars et des chants martiaux qui surexcitent les midinettes.
Le Sénégal, qui est non pas un pays africain mais juste situé en Afrique, tarde à sauter le pas. C’est agaçant. Allez, quoi : du nerf ! Y’aurait pas un sergent obtus chez nous, genre Dadis Camara, aux intonations vernaculaires et au vocabulaire chiche, qui se dévouerait pour authentifier notre nègre attitude ?
Macky Sall, avouons-le, est dans la bonne direction, puisqu’il ouvre la voie à l’aventure. Ça ne suffit pas. Il devrait sauter le pas et répondre à l’appel de l’abîme avec plus de courage s’il veut mériter sa place dans la liste interminable des chefs d’Etat africains dont on évoque les hauts faits en écrasant des larmes sur nos bajoues.
Ce n’est pas sénégalais certes, mais très ouest-africain. Une vraie révolution, avec des insurgés grognant et hurlant, une foule délirante qui brûle tout sur son passage et, au final, un quarteron de gradés qui prend ses aises au palais de la République après en avoir délogé l’occupant.
La première mesure que ces malappris prendraient, après avoir suspendu la Constitution, c’est de mettre un terme au gaspillage républicain dont les astronomiques pensions de retraites présidentielles ainsi que les frais d’entretien qui vont avec.
De quoi réveiller le tonus de retraités grabataires qui pensent jusque-là couler des jours peinards à l’abri du besoin, tandis que leurs enfants et petits-enfants vivraient sur un grand train, conformément au standing familial. Suivez mon regard…
Saperlipopette, s’exclamerait-on dans un autre monde.
Et donc, ces bons messieurs, Diouf et Wade, de leurs plus belles plumes, qui voient de loin venir le temps des vaches maigres si la République bascule dans la révolution de palais, se fendent d’un appel à la raison, après avoir fait régner leur déraison trente-deux années durant.
On rembobine ?
Au début des années soixante-dix, alors que Senghor tient la barque d’une main de fer dans un gant de velours, il tourne autour de lui un troupeau de jeunes ambitieux dont les rêves de gloire n’excèdent pas la gloire de prendre la place du Blanc.
Abdou Diouf, sorti de l’Enfom, où l’on vous enseigne l’art de mater du Nègre en obéissant au Blanc, est un premier de la classe.
Deux mètres, mais pas un poil plus ras que l’autre. Il sait se plier en quatre, rentrer le cou et raser les murs au besoin. Quand on lui demande de poser aux côtés du Président plutôt court sur pattes, il recule de deux pas pour que le contraste des tailles ne fasse pas de l’ombre au Président.
La courtisanerie est un art.
Ça rassure l’autocrate républicain que le bicéphalisme avec Mamadou Dia échaude depuis les «événements de 1962».
Dans ces années-là, les finances publiques sont choses trop sérieuses pour être confiées à la négraille. André Peytavin, médecin vétérinaire, militant progressiste qui préfère la nationalité sénégalaise à celle de la France au moment des indépendances, est le premier ministre des Finances.
Il décède sans crier gare en 1964.
Un court intermède fera de Daniel Cabou, son successeur, un juriste et économiste, également un pur produit de l’Enfom.
Tout ça, c’est avant que Jean Collin n’y atterrisse.
Pause pipi.
Il y reste jusqu’en 1971. Malgré les coups de boutoir de jeunes ambitieux qui réclament sa tête et veulent sa place avec pour principal argument que leur couleur de peau.
Quand il faut choisir, quelques têtes émergent.
Un premier de la classe, sorti de l’Enfom, qui a eu le malheur d’être le directeur de Cabinet de Mamadou Dia, Babacar Bâ, sort du lot. Un surdoué qui, en 1948, décroche le bac à dix-huit ans, pendant que ses contemporains le décrochaient à vingt-deux ou même trente
Rien à voir avec les carrières poussives des autres prétendants, dont un certain Abdoulaye Wade.
Babacar Bâ a ce petit quelque chose, le panache, peutêtre, que la noblesse vous impose malgré vous. Sa mission : créer une bourgeoisie nationale qui reprendra notre économie des mains du colonisateur. Le vendredi, quand Babacar Bâ sort du cimetière de Soumbédioune aux aurores, il s’astreint à des audiences que le Peuple des Sénégalais en urgence lui réclame. Sa légende anime le monde des affaires et il devient un mythe dans le bassin arachidier.
C’est sans doute à ce moment-là qu’entrent Abdou Diouf, Premier ministre sans envergure, et Abdoulaye Wade, juriste, économiste, avocat, qui se voit ministre des Finances après avoir déployé tant d’efforts pour que l’économie et les finances soient confiées à un Nègre bon teint.
Senghor lui préfère Babacar Bâ
Abdou Diouf et Wade ne nous diront jamais à quel point ils ont été complices. La création d’un «parti de contribution» travailliste, le Pds, pour appuyer les progressistes de l’Ups, surtout au plan économique, tombe pile-poil. Quand Wade rencontre Senghor à Mogadiscio pour avoir l’autorisation de créer son parti, il a la bénédiction du Premier ministre.
Ça tombe bien, le monde entier attend la création d’un parti d’opposition civilisé en Afrique…
Le hasard faisant bien les choses, c’est dans le fief de Babacar Bâ, le bassin arachidier, avec aux manettes Ahmed Khalifa Niasse, que le premier congrès du Pds se tient.
En ces temps-là, le bourrage des urnes est la norme. Quand Senghor le veut, les urnes affichent 100% des votes. Quand Wade et son Pds arrivent, ô miracle, ils décrochent de quoi former un groupe parlementaire à l’Assemblée, avec dix-huit députés.
Fara Ndiaye, le numéro deux du Pds, est un familier de Diouf, depuis la fin des années cinquante. Ils crèchent alors dans la même résidence universitaire en France. Cerise sur le gâteau, le beau-frère de Fara Ndiaye est un condisciple de Diouf. Ça aide, n’est-ce pas…
Ils se parlent la nuit, en bons Africains, comme dirait un éditorialiste français pince-sans-rire. C’est Diouf lui-même qui le dit dans son autobiographie.
Pour financer le Pds, un cabinet de consultance est mis sur pied, codirigé par Fara Ndiaye et Habib Diagne, que l’on dit proche de Abdou Diouf. Des lettres de recommandation du gouvernement sénégalais leur ouvriront des marchés auprès de certains Etats africains.
Il n’y a pas que gagner de l’argent en politique, il faut aussi savoir nuire à ses adversaires…
Pendant que Abdoulaye Wade dénonce le scandale économique qu’est l’Oncad, le moteur de l’économie dans le bassin arachidier, fief de Babacar Bâ, Abdou Diouf démolit le mécanisme de financement de la bourgeoisie locale en fermant le fameux «Compte K2» de la Bnds qui donne à Babacar Bâ plus de pouvoir que de raison.
Moustapha Niasse, Djibo Kâ, qui ceinturent Senghor sous la coupe de Jean Collin, se dévoueront pour provoquer le court-circuit entre le Président et son ministre des Finances… Même le cousin, Serigne Ndiaye Bouna, s’en mêlera en créant le fameux «scandale des voitures japonaises», prétextant que Babacar Bâ, ministre des Finances, protègerait les multinationales françaises en interdisant l’importation des voitures japonaises.
Un «scandale» révélé par le seul journal privé de l’époque, Le Politicien…
Tous ces braves concitoyens feront tant et si bien que le chouchou de Senghor tombera en disgrâce. Il est d’abord déplacé aux Affaires étrangères avant qu’un incident ne le raye de la liste des membres du gouvernement. Avec les compliments de Jean Collin et Abdou Diouf.
La voie est libre.
Lorsque Diouf remplace Senghor, Collin est aux premières loges certes, mais Wade ne doute pas qu’il a sa part du butin qui l’attend. Diouf n’est pas une bête politique et il pense n’en faire qu’une bouchée aux premières élections qui viennent.
En 1983, ô surprise, c’est Diouf qui gagne… C’est alors que le gentil parti d’opposition issu du «parti de contribution» opère sa mue. Le style change. L’extrémisme de Wade que la conquête du pouvoir obsède depuis que c’est Diouf qui occupe le Palais, effraie ses lieutenants qui le quittent les uns après les autres.
En 1988, lorsque le Pds donne l’assaut, c’est une armée de sans-culottes que complète un trio de poseurs de bombes.
L’Etat, alors, c’est Jean Collin.
Il faudra s’en débarrasser, en 1990, pour enfin que Diouf et Wade se retrouvent en tête-à-tête, face à face. Pour qu’il puisse y avoir le «Code électoral consensuel» piloté par Kéba Mbaye, puis le «gouvernement de majorité élargie» où nos larrons se croiront en foire…
De leurs mamours, qui confinent à la vulgaire partie de jeu de dames, on retiendra en plus la faillite de l’éducation et la citoyenneté, une année scolaire «blanche», un juge constitutionnel assassiné, plusieurs couvre-feux, le plus grand naufrage maritime de l’humanité, une culture du reniement et de la compromission, du vandalisme politique, une conception du bien public qui se contente de garder le pouvoir ou le conquérir juste pour jouir de ses privilèges.
Entretemps, comprenez trente-deux-années de magistère si on additionne les années de gloire de nos duettistes, la «jeunesse malsaine» a fait des petits qui sont devenus des pilleurs et des assassins.
Avec les compliments de MM. Diouf et Wade…
MACKY CHERCHE LA SOLUTION MIRACLE
Les universités traversent une crise profonde qui risque d’hypothéquer la vie de milliers de jeunes étudiants. Conscient de l’ampleur des dégâts, le chef de l’Etat a demandé hier au Premier ministre d’enclencher des concertations
Les universités sénégalaises traversent une crise profonde qui risque d’hypothéquer la vie de milliers de jeunes étudiants. Conscient de l’ampleur des dégâts, le chef de l’Etat a demandé hier au premier ministre d’enclencher des concertations pour trouver une porte de sortie.
Quand la politique s’invite dans le temple du savoir, cela engendre des dégâts énormes aussi bien au niveau pédagogique que social. Et les conséquences sont souvent fâcheuses. En effet, les étudiants sont souvent les seuls perdants en cas d’incidents dans les universités.
Déjà, en temps normal, les établissements d’enseignement supérieur sont dans la plupart des cas dans une course effrénée de rattrapage du temps perdu toutes ces années à cause des perturbations quasi cycliques. Les évènements de juin 2023, faisant suite à la condamnation d’Ousmane Sonko, sont venus anéantir tout cet espoir de retrouver une vie estudiantine normale
Aujourd’hui, le Président Macky Sall dit vouloir faire du développement de l’Enseignement supérieur et la transformation du système éducatif une super priorité. En conseil des ministres hier, il a demandé au gouvernement de veiller au bon fonctionnement des Universités publiques afin de consolider les performances de notre système d’Enseignement supérieur et la qualité du capital humain national.
Le président de la République a notamment souligné l’impératif de promouvoir un climat scolaire et universitaire serein, ainsi que la nécessité d’une mutualisation des programmes, des ressources humaines et des fonctions support des universités en vue d’une optimisation des ressources financières mobilisées pour asseoir l’excellence universitaire dans le cadre du Plan Sénégal Emergent (PSE)
Le Chef de l’Etat a, dès lors, demandé, au Premier ministre et aux ministres concernés de tenir une concertation-revue avec la communauté universitaire afin de trouver les voies et moyens rapides d’assurer le déroulement normal des enseignements et le déploiement adéquat des œuvres sociales. Il a par ailleurs rappelé l’importance primordiale qu’il accorde à la finalisation intégrale des infrastructures de l’Université du Sine-Saloum El Hadji Ibrahima NIASS (USSEIN) et au lancement des travaux de construction de l’Université Souleymane NIANG de Matam et de l’Université du Sénégal oriental.
Enfin, le Chef de l’Etat a demandé aux ministres en charge de l’Education nationale, de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation de faire un point hebdomadaire, en Conseil des ministres, sur la situation pédagogique et sociale dans les écoles et universités.
LE SENEGAL ENTRE PAIX ET EPEE
Entre respect de la constitution et recherche de sortie de crise - Depuis l'annonce du report de l'élection présidentielle par le chef de l'Etat, le Sénégal est manifestement assis sur une poudrière.
Depuis l'annonce du report de l'élection présidentielle par le chef de l'Etat, le Sénégal est manifestement assis sur une poudrière. Société civile, universitaires, syndicats, intellectuels, étudiants, tous appellent à manifester pour le rétablissement de l'ordre constitutionnel et les mêmes heurts n'augurent rien de bon pour la suite malgré le énième appel au dialogue du chef de l'Etat qui bute manifestement sur plusieurs réticences.
QU'EST-CE QU'UNE CONSTITUTION?
Pour plusieurs spécialistes, c'est un texte fondateur entre les êtres humains qui ont décidé de vivre ensemble, et qui pour ne pas subir l'arbitraire des plus forts, hisse au-dessus de tous une force publique plus forte que le plus fort d'entre nous, pour que les plus forts aient à craindre, et protéger toute la communauté de l'arbitraire. Son rôle, rappelle l'anarchiste Étienne Chouard, c'est de limiter les pouvoirs, de les inquiéter, de les effrayer. Peut-être, c'est à la lumière de ces acceptions qu'il est possible de comprendre l'ire des Sénégalais par rapport au report de l'élection présidentielle. Cette décision du Président Macky Sall est apparemment une pilule difficile à avaler pour une nation très jalouse de sa stabilité politique. Ce tripatouillage constitutionnel est considéré comme un coup de massue. C'est pourquoi, même si le Sénégal est dans une impasse, les appels au calme et à la paix butent sur la colère et la volonté des Sénégalais de voir l'élection se tenir à date échue. Et l'invite à un dialogue inclusif par Macky Sall est appréciée différemment. Les Sénégalais en ont-ils marre de cette paix, de cette «démocratie sans choix» ? Les positions divergent. Pour le député et candidat à l'élection présidentielle Thierno Alassane Sall, la paix sans la vérité est une fausse paix qui prépare de futures explosions. Réagissant à la déclaration conjointe des deux anciens présidents du Sénégal, l’intraitable parlementaire soutient en outre : «Je le répète : les conditions d'un dialogue sincère et inclusif passent par le respect de la constitution et le départ de Macky Sall ».
De son avis, soutenir le contraire reviendrait à valider tous les coups d'État perpétrés dans la sous-région. Ainsi que les dialogues, insiste-til, sous les bruits de bottes et les détonations des armes. À la pointe du combat pour le respect du calendrier électoral, son collègue député Guy Marius Sagna abonde dans le même sens. Alors que des membres de la société civile comme Alioune Tine ou encore Pierre Goudiaby Atepa ont entrepris une médiation très poussée entre le Président Macky Sall et son adversaire attitré Ousmane Sonko , Guy Marius Sagna dit niet à un dialogue de compromission.
«LES DIALOGUES ANTERIEURS ONT ETE PLUS DES ARRANGEMENTS QUE DES DIALOGUES SINCERES, LARGES AVEC UN SUIVI DES DECISIONS QUI ONT ETE PRISES»
Pour sa part, le secrétaire général du cadre unitaire de l'Islam (CUDIS) et membre de plusieurs organisations de la société civile pense que le dialogue est consubstantiel à la société sénégalaise, «au fonctionnement de sa démocratie, et le dialogue entre dans le cadre des cycles qui peuvent être identifiés entre des crises politiques fortes et des arrangements qui sont issus de ces dialogues-là et qui permettent de garder une certaine stabilité. C'est ça le modèle de fonctionnement de la démocratie sénégalaise», renseigne le prospectiviste dans un entretien accordé à l'AS. Toutefois, il se veut clair par rapport au contexte actuel avec la décision prise par le chef de l'Etat de reporter l'élection présidentielle.
À l'en croire, l'heure n'est pas tout de suite à un dialogue. «Je ne sais pas sur quoi on dialoguerait. Nous appelons à court terme à une annulation de sa décision de report», fulmine-t-il. Dans la foulée, il estime aussi qu'il y a nécessité d'attendre qu'il y ait un nouveau chef de l'Etat pour dialoguer, et qu’il aurait, d'après lui, toute la légitimité d'un nouvel élu pour lancer un dialogue qui aurait une signification plus profonde et une dimension plus large pour l'avenir du pays. «C'est ce qui est plus important qu'un dialogue avec un Président à qui il reste quelques jours et qui veut encore un énième dialogue», trouve Dr Cheikh Guèye non sans regretter que les dialogues antérieurs aient été plus des arrangements que des dialogues sincères, larges avec un suivi des décisions qui ont été prises.
L'IMPROBABLE DIALOGUE MACKY SALL-OUSMANE SONKO : POUR L'INTERET SUPERIEUR DE LA NATION ?
A côté de cette exigence de la société civile et plusieurs Sénégalais de voir le chef de l'État respecter le calendrier électoral, d'autres voix autorisées s'élèvent pour appeler au dialogue. C'est le cas notamment des anciens présidents du Sénégal Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, même si leur appel au dialogue a fait couler beaucoup d'encre. Les chefs religieux sont sortis de leur réserve pour promouvoir le dialogue entre les acteurs politiques. Mais le dialogue qui est sur toutes les lèvres actuellement, c'est celui du chef de l'Etat Macky Sall et du leader du Pastef Ousmane Sonko.
En effet, tout le monde est conscient que les crises politiques que le Sénégal a traversées ces dernières années ont comme soubassement l'adversité très ténue entre le Président Sall et son insubmersible opposant qui est en prison avec d'autres membres de sa formation politique dissoute. Mais son ascension fulgurante maintient Ousmane Sonko en vie politique et c'est le moins qu'on puisse dire.
Ainsi, beaucoup d'observateurs pensent que si ces deux protagonistes arrivent à arrondir les angles de leur adversité, le calme pourrait régner dans le pays. Et les dernières sorties du Président Macky Sall et de ses acolytes montrent qu'il est disposé à dialoguer avec Ousmane Sonko. Mais est-ce que ce dernier est prêt à accepter la main tendue ?
Personne ne peut prendre le risque de répondre de manière affirmative. Car si le chef de l'Etat est dans une dynamique de sauver l'image de la démocratie sénégalaise très entamée, Ousmane Sonko aussi est dans un dilemme cornélien eu égard à la composition hétéroclite de sa formation politique. Parmi ses souteneurs et militants, il y a des activistes et souverainistes qui ne veulent pas entendre de compromis avec le Président Sall, après plusieurs années pendant lesquelles ils ont subi des injustices notoires de sa part. Ceux-là pensent qu'il faut «finir le travail».
D'autres plus mesurés, non sans approuver le rapport de forces, sont plus ouverts au dialogue. C'est pourquoi la décision d'Ousmane Sonko ne sera pas une sinécure. Maintenant, c'est un leader admiré et écouté par ses militants. L'on se souvient aussi que lors des événements de mars 2021, alors que les manifestations étaient très accrues et l’Etat dos au mur, il avait invité les militants à surseoir aux manifestations. Ce qui n'avait pas plu à plusieurs activistes qui pensaient que la «révolution» devait continuer. Mais il avait pris ses responsabilités.
En outre, Ousmane Sonko n’a jamais refusé l'idée de dialogue. Mais il a fait savoir à qui veut l'entendre qu'il ne dialogue pas avec «une arme pointée sur la tête». Quoi qu'il en soit, entre le désir de dialogue et les risques de compromission, les deux doivent trouver le juste milieu. Ils doivent être au service de quelque chose qui les dépasse… l'intérêt supérieur de la nation.
37E CONFERENCE DE L’UA, ISMAÏLA MADIOR FALL VA REPRESENTER MACKY SALL
Le ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, Ismaïla Madior Fall, va représenter le président Macky Sall à la 37e Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine, prévue samedi et dimanche à Addis-Abeba
Dakar, 14 fév (APS) – Le ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, Ismaïla Madior Fall, va représenter le président Macky Sall à la 37e Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine, prévue samedi et dimanche à Addis-Abeba, en Ethiopie, a appris l’APS de source officielle.
“Ismaïla Madior Fall, ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, prend part à la 37ème session de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine, au nom du président de la République, Macky Sall”, a indiqué le ministère dans une note transmise à l’APS.
Le ministre des Affaires étrangère va également prendre part à la 44e session du Conseil exécutif de l’UA, ouverte mercredi dans la capitale éthiopienne, a indiqué la même source.
Des “dossiers essentiels” portant notamment sur l’éducation, la participation de l’organisation au G20, la mise en œuvre de l’Agenda 2063, la réforme institutionnelle de l’Union et les élections au Conseil de paix et de sécurité seront au menu de cette rencontre au sommet, selon le ministère sénégalais des Affaires étrangères.
L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET LES SPECULATIONS SUR UNE AMNISTIE A LA UNE DE LA REVUE DES QUOTIDIENS DE CE JEUDI
La presse quotidienne de ce jeudi 15 Février 2024, traitent des annonces du chef de l’Etat en Conseil des ministres sur le secteur de l’enseignement supérieur et les spéculations sur un projet de loi d’amnistie visant à apaiser le champ politique
Dakar, 15 fév (APS) – Les annonces du chef de l’Etat en Conseil des ministres sur le secteur de l’enseignement supérieur et les spéculations sur un projet de loi d’amnistie visant à apaiser le champ politique sont entre autres sujets traités par les quotidiens reçu, jeudi, à l’Agence de presse sénégalaise (APS).
S’agissant de l’enseignement supérieur, Sud Quotidien met en exergue ”les recommandations de Macky Sall à son gouvernement”.
”Le président de la République a présidé mercredi la réunion du Conseil des ministres. Revenant sur les développements de l’enseignement supérieur et la transformation du système éducatif, il a formulé un certain nombre de recommandations à son gouvernement”, a indiqué le journal.
‘’Il a ainsi demandé la tenue d’une concertation avec la communauté universitaire afin de trouver les voies et moyens rapides d’assurer le déroulement normal des enseignements et le déploiement adéquat des œuvres sociales’’, écrit la publication.
Selon Le Soleil, ‘’le président promeut un climat serein’’ en demandant au gouvernement de tenir une concertation-revue avec la communauté universitaire pour assurer le déroulement normal des enseignements et déploiement des œuvres sociales.
‘’Macky Sall acte le retour à une situation normale” dans le Supérieur, note Enquête.
Alors que les spéculations vont bon train sur un projet de loi d’amnistie visant à apaiser le climat politique, le journal Libération constate que ce texte ”n’a pas été évoqué en Conseil des ministres’’.
Le projet de loi d’amnistie pour ”Ousmane Sonko et compagnie” devait être présenté mercredi en Conseil des ministres, mais face à la ”levée de bouclier contre” cette initiative, ‘’Macky déchire son projet’’, note Le Quotidien.
”Les sorties de Alioune Tine et Pierre Goudiaby Atépa, entre autres pressions, ont eu une conséquence négative sur la perception de la situation par la majorité des soutiens du chef de l’Etat’’, justifie la publication.
Macky Sall ”zappe le sujet en Conseil des ministres”, selon le quotidien Bës Bi, soulignant que ”le projet de loi d’amnistie pour Sonko et cie sera pour une prochaine fois”.
EnQuête croit savoir que le projet est toujours dans les tuyaux. ”Un acte supplémentaire pourrait être posé, incessamment pour rétablir la paix dans le pays et sortir de la crise politique né du report de l’élection présidentielle. Hier, le Secrétariat exécutif de l’Alliance pour la République (APR), le parti du chef de l’Etat, a validé l’idée d’une loi d’amnistie”, rapporte le journal.
”L’amnistie est en marche’’, selon Les Echos qui souligne qu’à ‘’l’occasion de la réunion du Secrétariat exécutif national de l’APR tenue mercredi, Macky Sall a renouvelé sa confiance à Amadou Ba pour être le candidat de la mouvance présidentielle’’.
‘’La nécessité d’une amnistie a été actée par l’instance suprême de l’APR, après un exposé de Me Sidiki Kaba qui a été acclamé à tout rompre par les membres du secrétariat même s’il y a eu des réticences de quelques responsables’’, écrit le journal.
PARADOXALEMENT, LES COUPS D’ETAT EN AFRIQUE SONT DEVENUS DES MOMENTS DE RESPIRATION DEMOCRATIQUE
Bakary Samb, directeur régional de Timbuktu Institute un think tank africain, régional basé à Dakar, à Bamako et à Niamey. Il travaille sur les questions stratégiques
Propos recueillis A. K. DIARRA |
Publication 15/02/2024
TImbuktu Institute est un think tank africain, régional basé à Dakar, à Bamako et à Niamey. Il travaille sur les questions stratégiques. Son objectif, c’est la production et la promotion de réflexions stratégiques sur toutes les questions importantes africaines crédibles et audibles. Il faut de la recherche-action et veut casser les cloisons entre le monde de la recherche et celui de la décision. Le directeur régional de Timbuktu Institute, Dr Bakary Samb, analyse, à travers cette interview, la géopolitique sous-régionale marquée par la multiplication de coups d’Etat. Aussi paradoxal que cela puisse être, l’enseignant à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis soutient que « les coups d’Etat en Afrique sont devenus des moments de respiration démocratique ».
Dr, comment expliquez-vous la frénésie de l’arrivée de militaires au pouvoir, au Mali, au Burkina et au Niger ? Ce après une assez longue période démocratique dans ces pays.
Il y a une forme de paradoxe. Dans les années 90, sous l’ère de la démocratisation, on a vu les Africains se battre pour la démocratie. Aujourd’hui, ce sont des jeunes qui applaudissent d’autres jeunes qui arrivent au pouvoir. C’est comme si, paradoxalement, les coups d’Etat étaient devenus des moments de respiration démocratique. C’est un fait nouveau qui renseigne sur la crise de la démocratie elle-même, tout en n’étant pas un rejet en tant que tel de la démocratie parles Africains, mais c’est l’accumulation des inconséquences et des contradictions dans l’application du processus démocratique où il y a un besoin d’endogénéisation. L’arrivée de ces militaires constitue un précédent dangereux d’autant plus que c’est dans des situations où il y avait un contexte d’insécurité endémique au Mali, au Burkina Faso et au Niger qu’ils ont pris le pouvoir. Le fait que ces trois régimes militaires décident d’aller dans une nouvelle forme d’alliance, à savoir l’Alliance des Etats du Sahel, c’était déjà une menace à l’architecture de sécurité régionale dans le sens où la force de la CEDEAO était l’organisation sous-régionale la plus intégrée et qu’il y avait une architecture de sécurité régionale. La création de l’Alliance des Etats du Sahel conduit donc vers une fragmentation de cette architecture. Il faut voir l’article 6 de la charte de la CEDEAO qui indique une sorte de solidarité mécanique entre les pays lorsque l’un d’entre eux est agressé. D’abord cela pose des problèmes en termes de stabilité. Par exemple, le Niger et le Burkina Faso peuvent intervenir au Nord du Mali. On a vu les conséquences dans cette partie du Mali. Aujourd’hui, nous sommes dans une forme d’organisation (Ndlr, l’Alliance des Etats du Sahel) dont l’objectif premier était de se protéger de la CEDEAO, notamment de ses sanctions, mais qui a débouché sur une fragmentation tacite de l’architecture régionale de sécurité.
Pourtant ces régimes ont le soutien des populations. Une sorte de légitimation démocratique. N’est-ce pas là un signe de désaffection des populations à l’égard des régimes civils ?
Ce qu’on voit derrière ces juntes qui viennent au pouvoir est un signe d’une désaffection par rapport aux Etats incarnés par des civils et une conséquence de la mal gouvernance, de l’absence de démocratie qui se résume chez nous à l’aspect électoral. On a vu d’autres aspirations qui sont aujourd’hui prises en charge par les tenants de ces juntes. Autre chose également, on a vu qu’il y a un discours populiste qui surfe sur les déceptions par rapport aux régimes civils précédents, mais aussi sur un contexte international. Cette désaffection est le signe aussi d’un rejet du modèle occidental devant propager des valeurs. Ces occidentaux, par rapport à ces mêmes valeurs, ont été eux-mêmes inconséquents à un certain moment. Finalement, ce sont les intérêts stratégiques immédiats qui ont toujours guidé leurs choix. Il y a non seulement un problème de démocratie mais aussi de crédibilité du discours occidental sur la démocratie. Par rapport à cela, aujourd’hui, nous sommes dans une situation qu’on pourrait qualifier d’hybride et de paradoxale. Ces juntes ont joué avec une stratégie très claire. Par exemple au Mali, qui a toujours trouvé des boucs émissaires avec la France, Barkhane, la CEDEAO et les soldats ivoiriens ou encore la MINUSMA, on voit que les militaires au pouvoir sont dans une logique de légitimation. En effet, le fait de mettre en avant l’idée selon laquelle leur souveraineté serait menacée, comme on le sait, mécaniquement quand il y a menace extérieure, cela renforce la cohésion intérieure autour d’un leadership qui s’est mis en opposition par rapport à un régime civil qui a duré au pouvoir.
Seulement le paradoxe, c’est qu’on chasse la France pour aller se jeter dans les bras des Russes…
La France, au regard de son histoire, est toujours obligée de gérer l’urgence et l’histoire en même temps. On est arrivé à un moment où il y a une nouvelle génération montante que la France n’a pas pu voir venir avec la démocratisation de l’accès à l’information, des réseaux sociaux, mais aussi une ère où l’armée est entrée dans une posture avec un nouveau statut qui lui permet de faire jouer la confiance, je pense qu’il y a eu une absence de diplomatie française pour lire ces signaux et s’adapter. Il faut aussi voir que les Russes sont venus de manière opportuniste et pragmatique dans le Sahel comme étant une alternative par rapport à la France notamment sur le plan de la sécurité. Les Russes eux-mêmes manquent d’agilité diplomatique et de connaissance du continent au point qu’aujourd’hui, ils croient que, dans l’immédiat, ils sont pris comme des héros applaudis en tant que sauveurs. Ce n’est pastant un amour de la Russie mais une désaffection de la France qui se manifeste ainsi. Ce qui est aussi paradoxal au niveau de ces régimes, c’est comment vouloir affirmer qu’on est en train de se départir d’un colonisateur, d’un dominateur, d’une puissance en s’offrant à une autre aussi dominatrice qui fonde sa politique dans l’assistance militaire avec la rente de l’or. Je crois qu’on est entré dans une ère trouble où il y a ce shift de l’Afrique vers laquelle convergent toutes les puissances au regard des intérêts géoéconomiques énormes. Le drame au vu de ce grand rejet sahélien vu au Mali, au Burkina et au Niger, c’est que notre sous-région risque d’être le théâtre d’une nouvelle guerre froide qui ne dit pas son nom avec des antagonismes entre la France et la Russie.
La décision du Burkina, du Mali et du Niger de sortir de la Cedeao complique la situation. Comment comprenez-vous cette décision ? Quelle est la réponse que doit apporter la Cedeao elle-même qui fait face à une crise sans précédent ?
Le communiqué du 28 janvier de ces trois pays n’a pas de valeur juridique. Il ne concerne que trois Etats alors que, pour sortir de la CEDEAO, il y a des préalables bien clairs à savoir le notifier de manière très claire et attendre un an pour qu’elle donne sa réponse. Après cela, il y a tout un processus à suivre. Je pense que, cela dit, la CEDEAO devra apprendre de ses erreurs dans les crises malienne et nigérienne en ne mettant pas tout de suite en avant la logique de sanctions, mais celle de la diplomatie. Les grandes puissances de la région ont toutefois essayé de parler à ces juntes avec les déplacements de Macky Sall à Bamako tout en restant en contact avec les autres pour essayer de les amener à la raison. Il faudrait à la fois ce mix de diplomatie et de fermeté pour ne pas déstructurer l’architecture régionale de sécurité, il faut privilégier une diplomatie beaucoup plus fine agissant sur le dialogue et la conscience des enjeux. Aujourd’hui, l’enjeu est de se demander s’il faut suivre ces régimes dans cette escalade alors qu’ils sont passagers et que les populations de la CEDEAO et les Etats eux-mêmes vont rester. Il y va de la construction de la communauté régionale ou bien être dans une forme d’intelligence des situations en étant clairs sur les règles du jeu et en déployant tout ce qui est nécessaire pour arriver à une normalisation et une conservation de cette architecture régionale de sécurité qui fait la différence entre la CEDEAO et les autres organisations sous-régionales.
Dans cette crise sous régionale, quels devront être les rôles du Sénégal ?
Le Sénégal est souvent vu comme un ilot de stabilité, en même temps il bénéficie d’une crédibilité diplomatique au regard de notre position stratégique et de la qualité de nos ressources humaines diplomatiques. La présidence de l’Union africaine par le Sénégal a été une étape cruciale où Macky Sall a su positionner le continent comme une véritable réalité géopolitique qui parle d’une même voix et en ayant un mot à dire sur la question climatique ainsi que lors des discours qui ont suivi pour dire que l’Afrique doit refuser de subir une double peine climatique en étant le continent qui pollue le moins mais qui paie le plus les effets du changement climatique. Il en est de même sur la question de la transition énergétique, qui certes doit se faire pour la préservation de la planète mais que cela ne se fasse pas à notre détriment où plus de 300 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité.
DROIT DE RECTIFICATION
Le quotidien Le Témoin a titré à la Une de sa parution du 15 février 2024 « Les coups d’État sont devenus des moments de respiration démocratique » en sortant ma réflexion de son contexte. D’abord l’interview a été donnée le 28 janvier 2024 bien avant le contexte politique actuel. Ensuite, par cette expression à laquelle j’avais ajouté l’adverbe « paradoxalement » je voulais simplement rendre compte de l’ironie selon laquelle la jeunesse qui, jadis, se battait pour la démocratie au prix de sa vie dans les années 1990, se met aujourd’hui à saluer les premiers des coups d’État dans différents pays en ovationnant les putschistes. C’est dans ce sens que j’ai voulu relever le paradoxe de ces ex- « combattants de la liberté » qui vivent ces moments de crise comme une respiration démocratique. Loin de moi, donc, toute idée d’apologie des putschs que je suis parmi les premiers à condamner fermement partout sur le continent et ailleurs dans le monde.
Dr. Bakary Sambe, Directeur du Timbuktu Institute
LA GUERILLA CONSTITUTIONNELLE FAIT RAGE
Professeurs, juges, juristes et imposteurs se mitraillent sur le front du droit…
Notre Constitution a été tellement manipulée, charcutée, révisée, retouchée et modifiée que juristes, avocats, professeurs de droit et juges de la vieille école ne s’y retrouvent plus ! Le report de l’élection présidentielle voté par l’Assemblée nationale a offert l’occasion à tous ces professionnels de se déployer sur le front du droit. Les uns pour vaincre ou convaincre, les autres pour arbitrer, combattre ou secourir. Hormis la guérilla urbaine menée par des hordes de jeunes manifestants, une véritable guérilla « constitutionnelle » s’installe dans le pays.
Cette fois-ci, il ne s’agit pas d’une scène de guérilla urbaine où des manifestants affrontent les forces de l’ordre et jouent au chat et à la souris avec elles. Il est plutôt question ici d’une guérilla « constitutionnelle » à l’Assemblée nationale déclarée par des députés qui ont adopté sans débat le projet de loi repoussant l’élection présidentielle, initialement prévue ce 25 février, au 15 décembre prochain. De jurisprudence à jurisprudence, de décret à décret, de projet de loi à projet de loi pour ne pas dire du « porte à porte », les soldats du droit se sont massivement déployés sur le terrain du « report » où ils s’entretuent ! Les uns sont des juristes, magistrats et avocats ; les autres des juges et professeurs de droit. Sans oublier les imposteurs, mercenaires et juristes du dimanche qui combattent aux côtés des soldats…loyalistes. Bref, une véritable guérilla constitutionnelle s’installe dans le pays où circulent des armes politiques et juridiques à destruction électorale.
Dès que l’accusation grave de « corruption » a été portée contre deux éminents juges du Conseil constitutionnel, M. Ousmane Chimère Diouf, le président des Magistrats Sénégalais (Ums), a été le premier soldat du droit à monter au front pour défendre ses collègues avant de condamner vigoureusement la création d’une commission d’enquête parlementaire qualifiée d’attentatoire au principe de la séparation des pouvoirs et constitutive d’un précédent dangereux pour l’indépendance de la Justice « conformément aux articles 92 et 93 de la Constitution et à l’article 9 de la loi organique portant organisation et fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature, aucune commission parlementaire n’a compétence pour entendre un magistrat, surtout pour des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale » a fait savoir Ousmane Chimère Diouf à qui veut l’entendre.
Mieux, a-t-il rappelé, histoire de recadrer politiciens et juristes, « le Conseil Supérieur de la Magistrature est l’organe disciplinaire des magistrats et les membres du Conseil Constitutionnel ne peuvent être poursuivis qu’avec l’autorisation du Conseil. »
Hélas, cette mise au point, pour ne pas dire en garde, du président de l’Union des magistrats du Sénégal (UMS) n’a pas empêché le déclenchement des hostilités juridiques au lendemain du vote d’une résolution créant une commission d’enquête parlementaire à l’Assemblée nationale. Un vote suivi quelques jours après de l’adoption d’une proposition de loi repoussant le scrutin présidentiel du 25 février au 15 décembre 2024.
Un report de toutes les incertitudes qui a provoqué un tollé de désapprobation populaire poussant le ministre des Affaires étrangères, Pr Ismaïla Madior Fall, à porter le combat juridique en sa qualité de professeur de droit. Dans un post, l’ancien garde des Sceaux a d’abord précisé que ce n’est pas le président de la République l’initiateur du report de l’élection présidentielle. « Le report a été initié par le groupe parlementaire du Parti démocratique sénégalais (PDS) «Liberté, Démocratie et Changement «. Ce groupe a déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale la « proposition de loi constitutionnelle portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de la Constitution de la République du Sénégal.
Article premier. – « par dérogation à l’alinéa premier de l’article 31 de la Constitution aux termes duquel « Le scrutin pour l’élection du Président de la République a lieu quarante cinq jours au plus et trente jours au moins avant la date d’expiration du mandat du Président de la République en fonction », le scrutin pour l’élection présidentielle est reporté jusqu’au 25 août 2024 ». Cette proposition de loi a pour objet de reporter la tenue de l’élection présidentielle en août 2024 et permet au Président en exercice de rester en fonction jusqu’à l’installation de son successeur. Un amendement parlementaire a porté la date de la tenue de la prochaine présidentielle au 15 décembre 2024 » a expliqué Pr Ismaila Madior Fall avant de se focaliser longuement sur les raisons justificatives du report pour tenter de vaincre et convaincre. Malheureusement, il n’a pas réussi à convaincre cinq éminents professeurs titulaires de classe exceptionnelle, agrégés de droit public et de science politique des Universités, qui se sont fendus d’une lettre adressée aux juges du Conseil constitutionnel.
Un « commando » juridique mené par Pr Serigne Diop
Il s’agit des Professeurs Abdel-El Kader Boye, Serigne Diop, Babacar Guèye, Alioune Sall et Alioune Badara Fall qui ont formé un « commando » juridique pour se faire entendre. Dans un communiqué, ces éminents juristes soutiennent que « la loi constitutionnelle sus-évoquée, en raison de l’effet d’allongement incident de la durée du dernier mandat du Président sortant par l’artifice d’un report du scrutin électoral, encourt assurément la censure dans la mesure où elle viole les dispositions intangibles de la Charte fondamentale (la Constitution) qui restent hors de portée de toute modification ». Sous ce rapport, selon ces cinq professeurs agrégés de droit et ou de sciences politiques, « elle prend donc ses distances avec la nature des réformes constitutionnelles traditionnellement promues par le pouvoir constituant originaire ou dérivé. À d’autres époques, d’autres mœurs! ».
Pour étayer leur argumentaire, Abdel Kader Boye et Cie indiquent que « lorsque la nomenclature des clauses d’éternité s’élargit comme il a été donné d’en constater la teneur à la suite de la réforme constitutionnelle de 2016, elle restreint fatalement le domaine classique d’invocabilité de la jurisprudence sur l’injusticiabilité des lois constitutionnelles devant le Conseil constitutionnel brandie comme une antienne par les censeurs autoproclamés de la doctrine constitutionnelle ». Par leur démarche, les députés ont « acté comme susmentionné la prorogation illicite du terme du mandat en cours du Président sortant avec la reprogrammation de la prochaine élection présidentielle au 15 décembre 2024, la loi constitutionnelle viole la clause d’intangibilité en rapport avec la durée du mandat. En réalité, il appartient exclusivement au Conseil constitutionnel de décider de l’opportunité du report de l’élection présidentielle (…) » martèlent les cinq éminents professeurs de droit pour inviter les sept sages du Conseil constitutionnel à faire triompher le droit.
Un élève « recadre » son maitre
Fait rarissime, un magistrat en activité s’est invité dans la guérilla juridique en dépit de son devoir de réserve. Il s’agit de l’ancien élève Youssoupha Diallo qui « dispense » des cours de droit à son ancien professeur Ismaïla Madior Fall. Pour lever toute équivoque sur son devoir de réserve, le magistrat précise que l’article 11 de son Statut l’autorise à traiter dans les médias des sujets d’ordre professionnel ou technique. « Dans une interview accordée à un organe de presse, le Pr Ismaïla Madior Fall, ministre des Affaires étrangères, avec le drapeau national mis en exergue, s’est prononcé sur beaucoup de points suite au report annoncé de l’élection présidentielle du 25 février 2024 et le vote par l’Assemblée nationale d’une loi entérinant ce report au 15 décembre 2024 (…). Selon le magistrat Youssoupha Diallo, le ministre Ismaïla Madior Fall, étant membre du Gouvernement actuel, du pouvoir exécutif, devrait s’abstenir de prendre une telle position dès lors que le Conseil constitutionnel pourrait être saisi de recours contre cette loi. « Cette démarche publique, empreinte de certitude dans son propos affirmatif, viole la séparation des pouvoirs proclamée et garantie par la Constitution du Sénégal avec son corollaire, l’indépendance de la justice » soutient Youssoupha Diallo tout en rappelant que ce genre de déclaration qu’il juge tendancieuse et de nature à porter atteinte, à influencer ou à gêner l’office du juge est à proscrire.
L’Association des Juristes Sénégalaises (Ajs) ne veut pas rester à compter les coups juridiques. Dans un communiqué, ces femmes juristes ont dénoncé fermement le report de l’élection présidentielle initialement prévue le 25 février au mois de décembre 2024. Pour elles, « cette décision constitue un précédent dangereux pour l’Etat de droit et la bonne gouvernance. Elle met à mal la Charte fondamentale de même que les lois et règlements du Sénégal. Cette décision empêche les populations d’exercer leur citoyenneté en choisissant souverainement, et conformément à l’agenda républicain, la personne qui doit conduire les destinées du pays » soutient l’Ajs.
Combattre aux côtés du droit
Dans cette guerre, l’éminent Professeur Abdoulaye Dièye n’a pas hésité à monter en première ligne, là où sifflent les balles, pour combattre aux côtés du droit. « Ni la sécurité juridique, ni la stabilité des institutions ne seraient garanties si, à la faveur du jeu politique ou au gré des circonstances, la durée des mandats pouvait être réduite ou prolongée » estime-t-il d’emblée. Et de poursuivre : « En abrogeant le décret n°2023-2283 portant convocation du corps électoral, le président de la République a reporté sine die la présidentielle prévue le 25 février 2024. Cette décision fondée sur des motifs d’une légèreté inouïe, place le Sénégal dans une ère d’incertitudes et d’interrogations sans réponses. »
Et le Professeur Abdoulaye Dièye de s’interroger : Qu’adviendra-t-il le 2 avril à l’expiration du mandat actuel ? Sa réponse est sans équivoque : « Toute idée de prolongation de mandat doit être écartée. D’abord parce que la durée du mandat de cinq ans ne peut faire l’objet de révision aux termes de l’article 103 de la Constitution ; ensuite parce que le Conseil constitutionnel a dit en 2016 que la durée des mandats politiques en cours, régulièrement fixée au moment où ceux-ci ont été conférés (ne) pouvait, quel que soit au demeurant l’objectif recherché, être réduite ou prolongée (Considérant 32 de la « décision » n°1/C/2016). C’est cet argument que le juge constitutionnel avait brandi pour rejeter toute possibilité, pour le président Macky Sall, de réduire son mandat conformément à son engagement » a rappelé Pr Dièye. Selon l’éminent juriste qu’il est, « ces actes de folie parlementaire reportant des élections peuvent installer le Sénégal dans une crise institutionnelle ».
A travers cette guérilla constitutionnelle, « Le Témoin » vient de comprendre que les sciences juridiques ont quelque chose de fascinant ! Lorsqu’on a tort, plus on argumente, plus on éclaire sur ses propres hérésies et met à nu ses errements !
Par Mamadou Oumar NDIAYE
AU PAYS DU PRESIDENT BATTREKAT
Ce récit est purement fictif et les personnages qui y sont mentionnés totalement imaginaires. Toute ressemblance avec un pays ou une situation ayant existé est naturellement purement fortuite…
Acte 1 : Il demande au Premier ministre de venir le voir et, sans même l’inviter à s’asseoir, se lance dans une longue tirade. « Monsieur le Premier ministre, les services m’ont réuni toutes les preuves. Vous avez fait corrompre des juges constitutionnels non seulement pour éliminer un candidat de l’opposition qui est de la même famille que moi même si je l’avais jeté en prison… Au fait, vous avez bien été un membre de son mouvement lorsqu’il me combattait alors que j’avais pris le maquis ? Rappelez-vous, c’est quand vous prétendiez que nous autres étions dans l’abstrait ! En plus donc de faire éliminer ce candidat, vous leur avez demandé de faire valider un autre présenté par mes pires ennemis. C’est significatif d’ailleurs que, bien que j’aie appuyé la résolution de nos alliés demandant l’ouverture d’une enquête parlementaire sur cette affaire en sachant parfaitement ce qu’il en était, vous n’ayez pas protesté un seul instant. Car vous savez ce que vous avez fait ! Je ne vais pas vous accabler davantage et je vais même dire que je vous renouvelle ma confiance. Mais en échange, je ne veux plus vous voir vous épancher dans les médias, notamment ceux de nos anciens maîtres, pour vous opposer à un report de la présidentielle. Et puis, je vous rends service en reportant ce scrutin car vous savez bien que vous ne décollez pas dans les sondages. C’est compris ?
— Oui, Monsieur le Président.
— Parfait, donc vous pouvez disposer.
Acte 2 - Il convoque le président du Conseil constitutionnel et, affichant le masque des mauvais jours, lui tient à peu près ce langage : « Je ne suis pas content de vous et vous savez pourquoi. Valider la candidature de ce dangereux salafiste, vous vous rendez-compte ! Au moment où les terroristes sont à nos frontières, où les forces occultes attirées par notre pétrole et notre gaz sont prêtes à tout pour déstabiliser notre pays ! Je peux, si je le veux, vous jeter en pâture à l’opinion en demandant à la commission d’enquête parlementaire d’aller jusqu’au bout et de publier les preuves qu’elle détient. Ces gens du Pds, vous savez bien que ce ne sont pas des manchots. Et moi donc, vous savez bien que je suis l’homme le plus renseigné de ce pays. Ecoutez donc ces audios (le patron du Conseil constitutionnel écoute et de grosses gouttes de sueur inondent son visage). Bon, je vais arrêter tout ça mais ne faites pas le con. Ces gens qui vous poussent à déclarer inconstitutionnelle la loi reportant l’élection ne vous aiment pas. Allez donc faire ce que vous savezle mieux, à savoir vous déclarer incompétents et on n’en parlera plus ! ».
Acte 3 : Le Président appelle le président de l’Assemblée et le chef de ses députés. « Allô ? Le président du Conseil vient de quitter, je lui ai parlé, il a compris et je crois qu’ils ne vont pas faire les cons. Vous pouvez donc lever le pied sur la commission d’enquête parlementaire. Ah, vous voulez une porte de sortie honorable, ne vous en faites pas je sais ce que je dois faire ! »
Acte 4 : Le Président appelle son ministre de la Justice : « Allô, Monsieur le Garde des Sceaux ? Vous m’aviez dit n’est-ce pas qu’un magistrat de mon Conseil constitutionnel avait saisi les juridictions d’une plainte pour diffamation ?
— Oui, Monsieur le Président !
— Et je vous avais demandé d’instruire le Procureur de mettre cette plainte sous son coude ?
— Tout à fait, Monsieur le Président!
— Alors, qu’il lève le coude dessus et dise qu’il va instruire la plainte du magistrat ! »
Le Président raccroche et se balance dans son fauteuil, satisfait de son coup de billard : « quand je leur disais que je suis un génie politique ! Je suis parvenu à mes fins, j’ai obtenu le report de la présidentielle, j’ai neutralisé mon Premier ministre, je vais faire condamner ce salafiste de manière à le rendre inéligible, réintroduire dans le jeu le candidat que j’avais jeté en prison dès mon arrivée au pouvoir pour qu’il ne soit pas un obstacle à ma réélection.
Grâce à l’élimination de ce salafiste, je vais remettre en pole position mon candidat. Quant aux autres candidats dont la plupart, du reste, m’avaient demandé de reporter le scrutin du fait de dysfonctionnements au niveau du Conseil constitutionnel, il me suffira de les appeler à dialoguer avec en perspective la formation d’un gouvernement d’union et en leur vendant la fable des terroristes aux frontières, pour qu’ils gobent tout ce que je leur vendrai.
Franchement, au vrai, je suis un génie ! » Là-dessus, le téléphone sonne et le Président décroche. La voix de son assistante se fait entendre : « Monsieur le Président, le secrétaire d’Etat américain désire vous parler ! » Tout trempé d’un seul coup, le Président murmure : « merde, je n’avais pas compté avec ces enquiquineurs ! »
Ndlr : Ce récit est purement fictif et les personnages qui y sont mentionnés totalement imaginaires. Toute ressemblance avec un pays ou une situation ayant existé est naturellement purement fortuite…