Dakar, 19 août (APS) – La mouture finale du projet du mémorial de Gorée dont les travaux vont démarrer en début d’année prochaine a été présentée, mercredi, au président Macky Sall, a appris l’APS.
’’Le projet du mémorial de Gorée va bientôt passer à sa phase active. La mouture finale a été présentée au Président @Macky_Sall qui a réuni cet après-midi les structures impliquées dans la réalisation du projet dont les travaux vont démarrer en début d’année prochaine’’, a twitté la présidence sénégalaise.
L’APIX, agence chargée des grands travaux de l’Etat, en assurera la maîtrise d’ouvrage. Elle procède actuellement à la sélection des entreprises devant prendre part à la construction de l’édifice à Gorée, point de départ des esclaves africains vers les Amériques durant la traite négrière.
Le mémorial sera un lieu de ‘’mémoire’’ et ‘’d’avenir’’, qui va servir à ‘’savoir pardonner, avancer et créer une nouvelle civilisation, une nouvelle humanité’’, selon le poète Amadou Lamine Sall, secrétaire général de la Fondation du mémorial de Gorée-Almadies.
Le mémorial est présenté par les autorités sénégalaises comme un édifice ‘’de souvenir et de recueillement, un centre de communication, d’activités artistiques et esthétiques, d’éveil scientifique et technologique’’.
Ce sera ‘’un lieu de socialisation, avec un sentiment d’appartenance à une communauté noire, forte, soudée, solidaire et ouverte sur le monde’’.
L’architecte italien Ottavio Di Blasi a conçu la maquette du projet après qu’il est arrivé premier, en 1997, d’un concours international auquel ont pris part plus de 800 concurrents de 68 nationalités, sous l’égide de l’Unesco, l’agence des Nations unies chargée de l’éducation, de la science et de la culture.
Le mémorial, qui sera construit au bord de l’océan Atlantique, ’’sera ouvert sur le monde, sur l’Amérique’’ où ont été déportés des millions d’Africains lors de la traite négrière. D’une hauteur de 105 mètres, il sera érigé sur 3.000 mètres carrés.
La volonté d’édifier un espace de souvenir à Gorée répond à un vœu exprimé par des intellectuels et artistes noirs de plusieurs pays.
En 1975, le président sénégalais, Léopold Sedar Senghor, avait lancé l’idée d’édifier ce monument. Abdou Diouf, son successeur, a décidé de donner corps à cette idée à partir de 1986 en souhaitant que l’édifice intègre un complexe culturel dédié aux droits de l’homme et au dialogue des peuples.
Après le lancement du concours d’architecture remporté le 14 septembre 1997 par Di Blasi, le projet a été mis en en veilleuse. Il sera sorti des tiroirs en 2012 par Macky Sall.
par Mamadou Amat et Papa Samba Kane
JAMRA, ARRÊTE TON CIRQUE
EXCLUSIF SENEPLUS - C’est la sanction du public et de la critique qui doit tout réguler. Et non pas une organisation confessionnelle, quelle qu'elle soit. Nous sommes suffisamment libres et responsables des chaînes que nous choisissons de regarder
Mamadou Amat et Papa Samba Kane |
Publication 19/08/2021
Liberté d'expression, liberté de presse, liberté de pensée, liberté de création… bref, liberté sous toutes tes formes et toutes tes déclinaisons, nous te sentons orpheline.
Depuis un certain temps, l'ONG Jamra a instauré la censure systématique sur des séries télévisées n'ayant pas son assentiment, bien aidée en cela par le Conseil national de régulation de l'audiovisuel (CNRA). Des ailes lui ayant poussé sur le terrain de la censure à la diffusion, l'organisation veut maintenant étouffer dans l’œuf la création cinématographique en investissant son administration. Elle a annoncé en grande pompe, comme à son habitude, avoir signé une convention avec la Direction de la cinématographie. Celle-ci, on le sait, à travers le Fopica, finance la production de films.
Nous n'aborderons pas ici les aspects juridiques de la question. Ce n'est pas évident que les règles de fonctionnement de la Direction de la cinématographie, fixées par une administration laïque, l'autorisent à signer quoi que ce soit avec une organisation brandissant des critères religieux pour valider ou invalider un scénario. Mais si notre ami Babacar Diagne, président du CNRA, du haut de son expérience, cède presque toujours devant l'activisme débordant de Jamra, on voit bien d'ici l'embarras du tout nouveau directeur de la cinématographie. Bref !
Jamra, ainsi donc, place ses pions un à un. Et de plus en plus de gens, notamment au sein de l'intelligentsia, y compris politique, et aussi, malheureusement, de la presse, semblent trouver normal que Mame Makhtar Guèye, leader autoproclamé (parce qu'il n'en est pas le président) de Jamra, remette systématiquement en cause des acquis obtenus, voire arrachés, de haute lutte au fil des ans dans un pays, le Sénégal, que son rayonnement culturel a souvent placé aux premiers rangs des grandes nations du monde. De Tokyo à Berlin, en passant par Budapest et Paris - depuis Senghor -, Khar Mbaye Madiaga, Doudou Ndiaye Rose, Ndèye Khady Niang, Baaba Maal, Youssou Ndour, Sembène Ousmane ou encore Djibril Diop Mambety ont porté haut l’étendard du pays tant qu'au Japon, on danse le mbabas ou le jaxaay comme à Médina-Sabakh ou à Yeumbeul. Touki Bouki de Mambety est aujourd'hui classé, par la Fondation Martin Scorsese, parmi les cent meilleurs films du patrimoine cinématographique mondial. Or dans ce film, réalisé en 1973, une des scènes-culte, sinon la scène-culte, montre un homme dans la force de l'âge, debout sur le siège d'une voiture décapotable, nu, de dos, le poing levé, sur fond sonore d'un bàkk célèbre de notre làmb (patrimoine musical de cette lutte traditionnelle qui nous est spécifique avec son rituel athlético-poétique). Des empereurs, des rois et reines, toutes sortes de chefs de grands États ont applaudi le Sénégal, d'Occident en Orient, à travers le monde, grâce aux ballets La Linguère ou à l'Ensemble lyrique traditionnel de Sorano ou de sa troupe théâtrale, et de danses, que la censure bigote qualifierait aujourd’hui de « perverses ». Or ce dynamisme culturel nous a valu des amitiés utiles sur la scène diplomatique mondiale, avec toutes leurs implications aux plans économique et commercial.
La culture, disait Senghor, est au début et à la fin de tout développement. La brûlante actualité, avec la débandade militaro-diplomatique de la coalition occidentale en Afghanistan, en offre une illustration saisissante. Si l'Amérique domine le monde aujourd'hui, ce n'est pas grâce à sa force militaire, mais au blue-jean, au western, à Michael Jackson, à Harward University, à Rihanna... À sa Culture donc (grand c), et dans sa grande diversité que son cinéma, langage universel, a répandue dans le monde. La culture - plus profondément influente que le canon -, quand elle s'installe vingt ans quelque part, aucun groupe armé n'arrive à l’en déloger. Les Talibans ont vite fait de chasser ce qui restait chez eux de l'armée américaine, mais ils auront plus de mal avec le mode de vie adopté par une bonne partie de la jeunesse afghane née ou ayant grandi au cours des vingt dernières années d'occupation et d'influence culturelle occidentale. Toutes les concessions que les nouveaux maîtres de Kaboul sont en train d'aligner, pour gouverner sans heurts ingérables, tiennent à cette problématique. La force que représente sa culture pour un peuple, certes « ouvert aux apports fécondants des autres cultures », est à entretenir et promouvoir plutôt que d'être étouffée, mise sous l’éteignoir par une censure... unilatérale - c'est le moins que l'on puisse dire.
Nous sommes le pays de Boucounta Ndiaye « Ndaga yàxal na may nelaw », et tous ces jeunes, musiciens, cinéastes ou "performers" ne sont que les continuateurs d'une tradition dont les racines sont ancrées bien loin que cet instrumentiste et chanteur de génie, dans notre culture. Que, parmi ces jeunes créateurs, certains puissent être maladroits ou manquer du talent nécessaire pour rendre tout cela avec élégance, soit ! Mais alors, comme dans tous les pays du monde, c’est la sanction du public et de la critique qui doit tout réguler. Et non pas une organisation confessionnelle, quelle qu'elle soit, qui ne fédère pas - y a-t-il besoin de le dire ? - tous les Sénégalais. Allons-nous continuer de fermer les yeux sur le danger qui nous menace ainsi, au lieu d'ouvrir l'œil sur l'urgente nécessité qui se présente à nous de mettre un terme à cette fuite en avant, et avant que la situation ne dégénère inexorablement ? Allons-nous continuer d'accepter qu’un Torquemada tropical nous dépouille entièrement du peu de liberté qui nous reste après qu'il a réussi à subjuguer le CNRA et, dernièrement, la Direction de la cinématographie, voire la DSC (Division spéciale de la cybersécurité) de la Police nationale, qui lui acceptent tout ce qu'il leur impose ? Allons-nous continuer de laisser à Mame Makhtar Guèye le soin de décider tout seul du contenu de nos programmes audiovisuels, c'est-à-dire redéfinir la politique culturelle du pays de Léopold Sédar Senghor, David Diop, Birago Diop ? Et pour mettre quoi à la place ? Telle est en fait la grande question ! Devrions-nous continuer d'accepter que l'esprit créatif de nos artistes (au sens large) se laisse brider, non par une réflexion critique argumentée, ouverte, mais par des réactions épidermiques avec, pour bouclier, des caractérisations définitives, frappées abusivement de l'estampille religieux - « pervers » en est une récurrente -, jetées sur des œuvres de création ?
La religion ! L'idée qu'en résistant à l'agitation frénétique du nouveau Jamra (qui n'a rien à voir avec la grande classe de celui de son défunt fondateur, Abdou Latif Guèye), l’on s'opposerait à la religion terrorise bien des gens. Nombreux pourtant sont les Sénégalais qui sont loin d’être d'accord avec les actes que n’arrête pas de poser son successeur de fait, avec ses manières. Celles-ci qui arrivent (presque) à nous persuader qu'il est envoyé sur terre par le Tout-puissant Allah pour sauver nos âmes du feu de l'enfer ! Non, confrères et consœurs, Sénégalais et Sénégalaises épris de respect pour la différence et de mesure, refusons ce diktat, cette inquisition à la Torquemada qui menace de conduire au bûcher tout esprit créateur (car fondé sur la liberté) chez nos réalisateurs, scénaristes, acteurs, artistes... qui ne demandent qu'à laisser s'exprimer leurs différents talents afin que les regarde, les juge et les sanctionne (positivement ou négativement) le peuple sénégalais dans ses diversités raciale, ethnolinguistique, culturelle, religieuse. Exactement comme c'est le cas dans tous les pays civilisés à système démocratique, même imparfait, y compris en Côte d'Ivoire, au Burkina Faso et, surtout, au Nigeria, le pays de Nollywood, où mille fleurs s'épanouissent pendant que mille écoles rivalisent. Ce qui a donné à l'industrie culturelle nigériane une place de choix dans son économie : 30% du PIB.
Nous ne connaissons, ou si peu, ni "Infidèles", ni "Maîtresse d’un homme marié", ni "Cirque noir", ni aucune autre de ces séries systématiquement accusées de pervertir le peuple sénégalais, pourtant habitués, à travers la toile mondiale, aux films occidentaux bien osés, sans en être devenu un peuple plus « pervers » qu'un autre. Ou de dévaloriser la femme. Ou encore d’être coupables d'on ne sait quelle autre niaiserie. Pour ne pas succomber à la tentation de la perversité "matarienne", à l'instar de bien des Sénégalais - maîtres, eux, de leur télécommande - nous sommes suffisamment libres et responsables des chaînes que nous choisissons de regarder. Pour, si un programme ne nous plaît pas, zapper et regarder autre chose. Ou ouvrir un bouquin, tiens !
Les censeurs, sous toutes les latitudes, ont cette fâcheuse tendance à reluquer tout un film, voire à passer et repasser plusieurs fois certaines scènes avant de décider de ce qu'il faut cacher au regard de ce peuple mineur qu'ils prétendent ainsi protéger. Contre quoi ? Et puis, à la fin, quand les censeurs seront arrivés à leurs fins, que proposeront-ils comme politique cinématographique à la place de ce cinéma et de ces séries vouées aux gémonies ? Œuvres que, depuis des années, la Direction de la cinématographie finance à partir de critères techniques et artistiques essentiellement, mais aussi de moralité bien spécifiée dans ses textes. Nous attendons ce programme alternatif des nouveaux gardiens de la morale créative.
En attendant, l’envie nous démange de leur lancer : « messieurs les censeurs, arrêtez votre cirque ! »
Mamadou Amat et Papa Samba Kane sont journalistes.
par El Hadj Hamidou Kaasé
VIDEO
SURPLOMBER LE COVID-19 AU NOM D’UN COMBAT PERMANENT
EXCLUSIF SENEPLUS #SilenceDuTemps - C’est pour tenir ferme à l’idéal que j’ai basculé dans un autre registre du langage : la longue chanson dédiée à mon continent dont le destin ne se noue pas forcément aux évolutions d’une crise sanitaire
#SilenceDuTemps - J’avais, lorsque le nouveau Coronavirus avait dévasté nos cœurs en nous arrachant des êtres chers, signé quelques papiers, dont un hommage à Papa Diouf, dirigeant sportif de renommée mondiale. L’horizon incertain dans la grisaille des jours, j’écrivais pour faire face à mes peurs. J’écrivais pour inspecter un certain universel : le temps du monde était subitement dissous dans l’instant identique de son arrêt. Partout, le nouveau Coronavirus avait effacé les frontières et fait voler en éclats les nations pour nous exposer à nos fragilités communes, nos solitudes, nos angoisses. Affaissés, nos repères traditionnels : riches et pauvres, nord et sud, développés et sous-développés. La mort qui rôde rendait vains ces parallélismes. On le sait : rien ne peut être tiré d’un tel universel plutôt mortifère. Dès lors que le même sinistre s’installe sous le sceau d’une pathologie, j’ai pensé que les discours pessimistes ou optimistes n’avaient plus de sens. En revanche, il fallait juste faire face au nom de l’idée de justice qui, elle, depuis des millénaires, est increvable. J’ai préféré alors vivre à l’abri de l’idéal inscrit dans la figure de l’éternité d’un combat, plutôt que dans la croyance d’un après qui bouleverserait tout, surtout pour le continent africain. Pour ma part, une crise sanitaire imposerait plutôt quelques réformes dont on sait qu’elles n’ont pas la vocation de changer le monde. C’est donc pour tenir ferme à l’idéal, au principe affirmatif d’un pari, que j’ai basculé dans un autre registre du langage : la longue chanson dédiée à mon continent dont le destin ne se noue pas forcément aux évolutions d’une crise sanitaire. Il s’agissait, ainsi, de réaffirmer la permanence d’un combat et d’être ferme contre la tristesse des jours de terreur. J’ai plongé alors dans les moments de l’Afrique qui se dresse au-delà de la crise sanitaire. J’ai creusé pour retrouver de grandes voix dont le compagnonnage, lorsque l’incertitude et l’angoisse sont la règle, nous rappelle à notre devoir de vigilance, de lucidité et de courage. C’est donc au cœur de la crise sanitaire que j’ai écrit et publié ce texte mis en scène dans une vidéo réalisée par mon ami Pape Faye et ses équipes.
Afrique
À David Diop Mandessi qui nous montré les chemins de la poésie
La nuit traverse Dakar
flots de vagues nuageuses
échouées au loin des corniches
dans les sombres eaux de l’occident empli de vieux soleils
Doucement éclot le soleil de Gorée
l’aube enveloppe les clameurs océanes
halo de transparence
éclat de vie humide rayonnant
Surgit des abysses bleues
des ombres parties loin
dont les ombres sont toujours là
la pointe de l’Afrique qui hume de ses nasales millénaires
les spectres lointains
les souffles du monde
Surgit des échos de quatre cents ans de viol
mon matin de Cap Vert
bordé de silence
mon matin paré de mots neufs
de mots lueurs dans les allées sombres du temps
mon matin habité
ensorcelé
subjugué
matin debout de l’Afrique rebelle
Je suis cette voix qui rugit au soleil naissant des décisions cruciales
je suis l’Afrique mandésienne
au bout du rêve ample
de nos héritages pluriels
Nos générosités ont été bien défaites
je sais mais nous tenons au songe qui surprend
sentinelles de nos mémoires imparfaites
Je suis cette voix des gésines émancipatrices,
juché sur le toit du temps
je suis l’aube des terres colonisées
des lueurs florales du genre humain
je suis le cri primordial
la promesse initiale
je suis sapiens
je suis birrimien, éthiopien
je suis égyptien, saharien
je suis sahélien, nubien
je suis antique si ancien aux fond des brouillons précambriens
Je suis l’Afrique
au dos rebondi dressé
et au geste de baiser salé debout
humant les écumes des marées éperdues
de son nez épaté
debout
depuis les débris antiques
les éruptions volcaniques
les épreuves pyramidales
debout…
Je suis la clameur aurorale
des saisons de migrations sauvages
je suis l’anté
je suis le pré
je suis l’archéo
le paléo
je suis le commencement
le surgissement
le vagissement
comme les désirs aveugles les nuits de noces
Je suis le survivant des crimes contre l’humanité
debout dans le cœur des traites négrières
dans le cœur des annexions barbares
des apartheids ignares
des néocolonialismes périmés
je suis l’étrange des mondialisations capitalistes
le paria des démocraties inertes
dans le chœur mortuaire de représentations piégées
je suis le rire vivant
sauvage
banania
le sourire incandescent
puissant
qui illumine les poussées populaires
les révoltes atrabilaires
les colères salutaires
Je suis la terre
je suis le nouveau prolétaire
à l’assaut des sanctuaires mortifères
je suis la gueule sinistrée des midis échoués
dans l’abîme de l’Atlantique ensanglanté
dispersés par les vents de sables qui aveuglent les espoirs
anéantis dans les enclaves mortelles de l’Occident barricadé
je suis la sombre dépouille des jeunesses volées mais…
Je suis la vie
je suis la conscience des obstinations sourdes
je suis le petit matin du monde
je suis la furie aveugle des fureurs océanes
je suis le nègre gisant sur les plages
après les longues traversées du désert
de la mer
des enclaves
des lois meurtrières
je suis la jeunesse éclopée du monde
la laideur des marges
je suis la cendre des libertés incendiées
la cendre brûlante qui répand l’odeur âcre de l’égalité de la justice de la liberté
je suis le nègre des îles insurgées
le nègre des récits piétinés
le nègre négro des champs de coton de sucre
sur les routes
dans les caravelles primitives
Je suis le nègre des champs d’arachide
le nègre des plongées minérales
le nègre des refus séculaires
attentif au bout du petit matin à l’éclat ébène de corps tatoués
je suis le nègre aléatoire
le guérillero improbable …
Mais c’est le jour des résurrections
le jour des surrections
des insurrections triomphantes
le jour des noces enflammées
Je suis la force de vie qui monte
qui grimpe vers les altitudes inouïes
je suis l’increvable
l’inoxydable aussi loin
aussi longtemps que je remonte
dans le temps
Je suis l’Afrique des résistances intactes
des mémoires tenaces
je suis Chaka
je suis Samory
je suis Kimpa
je suis Biko
je suis Lumumba
je suis Funmilayo
je suis Mandela
je suis Cabral
je suis Zingha
je suis Machel Samora
je suis Kum’a Mbape
je suis Tamango
je suis Alinsitoye
je suis Louverture
je suis Lamine Senghor
je suis Nder au féminin
Nder en flammes du refus des oppressions
Nder des belles reines poétesses épiques des vers imprescriptibles
« Mourir libres plutôt que vivre soumises »
Dans la fièvre des tranchées de peine et de tendresse
je suis le poète des soleils nocturnes
je suis l’écho au présent de cette puissance stellaire aux noms inédits
moloyse
mandessi
labou tansi
u tamsi
césaire
senghor
damas
depestre
roumain
Et vous poètes invisibles des nuits de clair de lune
dont la voix seule est si clairement audible
conteurs de mes épopées immémoriales
Heureux ceux n’oublient point
qui savent vivre dignement
et connaissent du cœur le dictionnaire des prescriptions
heureux ceux qui écoutent les bruits de fonds de la scène du temps
qui se dressent pour la gloire
sur les chemins escarpés de la justice
heureux ceux qui savent ce qu’est le moment décisif
et montent au front du présent pour sculpter l’avenir selon leur volonté
Heureux les libres systématiques
les égaux du monde nouveau
de l’Afrique scintillante de mots nouveaux
Je sais bien
la vie est parsemée de pistes enchevêtrées
labyrinthes
dédales
sans haltes
je ne sais quel sentier risquer
mon rage me perd mais je défie les horizons ouverts
je sais que l’Afrique est en gésine
fruit des vigueurs tendues
de nos élans éperdus
croiser les indices
au hasard des détours
sur ces chemins qui ne mènent nulle part
je te suivrai alors terre mère
ombre de ton nombre
comptant les pas des surprises jusqu’aux confins de l’espoir
des signes constellés de ta silhouette
Au plus étroit des sentiers toujours tenir aux lueurs à venir
lors même avons-nous scruté la belle étoile
attentifs au ciel si clair
le long des nuits sombres
les symphonies n’éclairaient plus les sillons sinueux de nos rugissements
alors je puiserai au grenier vif les mots rebelles
et tresser le poème de nos combats impératifs
et les mots insoumis à l’assaut des citadelles rances
qui crient les péans égalitaires
des mots clairs
des mots Césaire
des mots Sédar
des mots Tansi
des mots Mandessi
des mots Mongo
des mots Thiong’o
des mots Dépestre
des mots Damas
des mots Fanon
des mots Anta Diop
des mots Soyinka
des mots Afrique pour sûr.
El Hadj Hamidou Kassé est philosophe de formation. Romancier, poète, essayiste, il a exercé en tant que journaliste dans le secteur privé et le service public. Ancien directeur général du Soleil, Kassé a publié, entre autres, Les Mamelles de Thiendella (Grand Prix de la République pour les lettres, 1995), Les Nuits de Salam, Les emblèmes du désir. Dans son élan poétique, il est un chantre de la beauté et de l’espoir.
LITTÉRATURE ET FABRIQUE DE L'UNIVERSEL
Je tenterai un jour d’écrire en sérère. Chaque écrivain tente d’inventer sa langue, qu'elle soit maternelle ou pas. Ce n'est pas parce que je suis un écrivain né en Afrique que ma première cible est nécessairement africaine - ENTRETIEN AVEC FELWINE SARR
Felwine Sarr est écrivain, économiste et musicien. Dans ses romans comme dans ses essais, depuis Afrotopia (2016) sur l’avenir du continent africain, jusqu’à La Saveur des derniers mètres (2021), carnet de voyage et récit d’un cheminement intellectuel, en passant par le rapport coécrit avec Bénédicte Savoy sur la restitution du patrimoine africain, Felwine Sarr place les notions de liens, de relation et d’altérité au cœur d’une réflexion sur les rapports entre les individus, les sociétés et les continents. Il évoque dans cet entretien le rôle propre de la littérature – fiction ou poésie – dans la production de ces liens, et l’émergence d’espaces politiques communs.
Au cours de votre parcours, vous avez occupé plusieurs positions – de la musique à l’économie, de la philosophie au roman – qui n’impliquent pas le même rapport à l’action. Pourriez-vous nous dire quelques mots de votre rapport à la politique ?
Effectivement, tous ces domaines n’engagent pas le même rapport à l’action. Cela dit, j’ai le sentiment que le roman reste un lieu privilégié pour renouveler le rapport qu’on établit avec le monde, puisque c’est là que se réinventent justement les imaginaires.
Quand la réalité ne nous satisfait pas, la fiction permet de reconstruire les modalités de notre présence, en instaurant une parole créative et opératoire. Je crois que l’espace politique est d’abord celui du lien. Renouveler ce lien revient à transformer ce qui nous unit en tant qu’individus, mais aussi en tant que société. Parce qu’il est un espace de représentation et d’expérimentation, le roman répond à cet impératif. Je pense que c’est là que se situe son engagement le plus profond. On peut être tenté de croire que le lieu de l’engagement se situe du côté des textes qui répondent à un besoin conjoncturel, mais je crois, au contraire, que l’engagement le plus profond et le plus durable, celui qui renouvelle les structures imaginaires du groupe, se situe du côté de la fiction.
Pensez-vous à des utopies ou à des dystopies particulières ?
Absolument. Si l’on prend les romans subsahariens, par exemple, ce sont des textes qui expriment avant tout le réel, mais aussi l’excès de réalité, le surréel, ainsi que les réels à venir, ceux que l’on imagine. Toute la littérature africaine des années 1950 et 1960 a contribué à révéler les indépendances et les émancipations, ainsi qu’à figurer des jours nouveaux.
Les années 1970 et 1980, en revanche, ont produit une littérature de la désillusion, qui a décrit les espoirs inaboutis, les projets révolutionnaires déçus, les émancipations ratées. Cette dernière décennie, j’ai plutôt le sentiment d’une littérature qui n’évolue plus sous le signe du manque et de la perte, mais qui reconstruit des perspectives d’avenir.
Vous insistez beaucoup sur la fiction. Diriez-vous la même chose de la poésie ? Pensez-vous qu’elle soit susceptible de charrier une portée politique ?
Je crois que la poésie est une clé fondamentale, qui nous fait apparaître et toucher l’indicible. Je la place au-dessus de tout, comme la forme d’expression la plus élevée. C’est un domaine dont les ressources et les significations se renouvellent à l’infini. Dès l’instant où elle ouvre l’espace qui réinvente le sens et fait signe vers de nouvelles réalités, elle dispose nécessairement d’une portée politique. À mon sens, il faut distinguer entre un rapport immédiat au politique, qui est anecdotique et souvent instrumental, et se construit face à une réalité avec laquelle on est en désaccord, et un rapport beaucoup plus profond, qui s’attache à transformer les liens qui nous unissent avec les humains, les non-humains, la société, ou le groupe, et à repenser la manière dont nous faisons sens collectivement. La question de la production du sens collectif est, à cet égard, éminemment politique, et les espaces ouverts par la littérature agissent comme autant de lieux de désintoxication.
Vous êtes à la fois économiste, écrivain, philosophe et musicien : quelle est selon vous la fonction la plus politique ? Quelles modalités d’action vous semblent conciliables, inconciliables, possibles ? Vous avez également l’expérience de trois continents. Pourriez-vous nous dire un mot sur les différences que vous avez constatées dans l’exercice de vos fonctions selon la zone géographique ?
Tout dépend des lieux et des questions que l’on aborde, ainsi que des véhicules que l’on décide d’emprunter. Quand on vit en Afrique, on est constamment requis par une sorte d’urgence transformationnelle. On fait face à des problématiques auxquelles on est amené à répondre, et qu’il est extrêmement difficile de faire dialoguer avec les autres temporalités. Le travail universitaire, par exemple, s’accommode du temps long. Quand on s’y engage, on n’est pas tenu de répondre à l’immédiateté. Mais lorsqu’on a décidé de mener son travail de recherche sur le continent, on est sans cesse interpellé par l’urgence que communique la vie quotidienne. La grande difficulté consiste à savoir concilier ces différents impératifs.
Comment négocier entre une demande pressante de démocratie, de justice sociale, d’équité ou de praxis transformatrice et une réflexion au long cours sur l’utopie, qui doit se dessiner dans l’espace imaginaire, et n’a pas vocation à être construite en un jour ? Je crois encore qu’une voie de conciliation est possible, et qu’il est envisageable de faire son travail d’universitaire tout en répondant aux questions qui nous somment de nous engager aujourd’hui.
En France, les coordonnées du problème sont sensiblement différentes.
Ce que je trouve intéressant, et délicat, est l’omniprésence de la question du positionnement. J’ai personnellement passé une partie de mon enfance et fait mes études supérieures en France. J’y ai vécu au total une vingtaine d’années avant de retourner enseigner au Sénégal. Je trouve que les débats y sont toujours difficiles, car il faut constamment renégocier le lieu depuis lequel on parle. Si, comme moi, vous êtes considéré comme un sujet « postcolonial », vous aurez beau avoir vécu dans le pays, en être familier, le connaître, on vous sommera toujours d’indiquer le lieu, la perspective depuis lesquels vous parlez. Il faut sans cesse débroussailler l’ensemble des présupposés qui sont censés refléter votre identité, sans quoi on vous cantonnera aux problématiques liées à l’Afrique ou à la « décolonialité ». Ce sont là les seules questions pour lesquelles on vous estimera légitime à prendre la parole, du moins les seules pour lesquelles on vous interrogera. On vous renverra inlassablement à votre altérite réelle ou supposée. Je trouve qu’il y a, en France, une véritable difficulté à se frayer un chemin parmi les assignations.
Passer par la littérature ne vous a pas permis d’échapper à ce genre d’assignations ?
Au contraire. De manière tout à fait significative, la littérature a été mise de côté. J’ai sorti mon premier roman, Dahij, en 20091. Il traitait de quête éthique, esthétique et spirituelle au travers des textes littéraires et de la pratique artistique. Cependant, lorsque les contempteurs de la restitution ont voulu faire une critique de notre travail à Bénédicte Savoy et moi-même2, leur stratégie a été de tenter de me dépeindre comme un idéologue forcené et de m’essentialiser. Ils sont allés chercher dans Afrotopia 3 un florilège de phrases sorties de leur contexte pour tâcher de construire un discours totalement idéologique. Mon travail littéraire, pourtant, jurait avec ce portrait : mon rapport à l’Asie, mon intérêt pour la transdisciplinarité culturelle, mes affinités électives avec Césaire, Rumi, René Char et Pascal Quignard, etc. Tout cela résume la grande difficulté que j’identifie dans le débat français : il faut toujours, avant d’aborder la question qui vous intéresse, tenter de sortir de la nasse que l’on vous tisse. Je ne vis pas aux États-Unis depuis très longtemps, aussi n’ai-je pas encore le recul suffisant pour évaluer quelle est l’ambiance du débat intellectuel. J’ai néanmoins le sentiment d’une plus grande ouverture épistémologique dans le champ académique. On est laissé libre d’explorer les sentiers que l’on veut.
Aux États-Unis, la théorisation postcoloniale est pourtant extrêmement forte, et les identités universitaires très marquées.
C’est vrai, mais cela me paraît pluriel, non idéologique et, surtout, dépourvu d’assignations. Ceux qui désirent réfléchir sur la décolonialité sont libres de le faire, et ceux qui ne veulent pas n’y sont pas contraints.
Dans les espaces de débat où je me suis rendu, je n’ai pas constaté d’injonction à penser dans un sens ou dans un autre. Je pense qu’on se fait en Europe une idée caricaturale des postcolonial studies aux États-Unis, lesquelles sont un champ vaste, complexe et hétéronome, où la contradiction et le débat ont toute leur place. Contrairement à ce qui a pu se produire en France, avec la querelle autour de l’islamo-gauchisme, on ne décrète pas a priori que certains discours seront bannis de l’espace académique, car prétendument fondés sur de l’idéologie. Il y a, en France, comme une sorte de dépréciation des capacités critiques des intellectuels, comme si l’on doutait que les universitaires puissent faire la part des choses entre ce qui relève de l’idéologie et ce qui relève du débat critique.
En France, une partie des discussions s’est focalisée sur la question de l’« universel ». Quel regard portez-vous sur les différentes idéalisations de cette notion, qui écrasent un certain nombre de voix ?
Ce concept d’universel, il est tout à fait possible d’en faire l’archéologie.
Par conséquent, on ne peut plus l’employer in abstracto, en feignant d’ignorer la façon dont il a servi, à une époque, à nier la pluralité des visages de l’humanité. Je ne crois pas que le désir d’universel, entendu comme le fait de considérer que nous partageons tous la même condition humaine, soit fondamentalement mauvais. L’universel peut légitimement être un de nos horizons, à condition qu’il soit, comme le dit Aimé Césaire, « riche de tous les particuliers ». L’universel à visage unique, produit d’une certaine épistémè occidentale, née dans une géographie située, n’est rien d’autre qu’une fiction. L’universel véritable s’inscrit au contraire dans la pluralité et la diversité ; c’est un universel additif et non soustractif. Il ne s’agit pas de réduire les visages de l’expérience humaine à une occurrence, mais de multiplier autant que faire se peut les regards et les perspectives.
C’est cette acception du concept qu’une certaine frange refuse aujourd’hui d’entendre. L’universel nous a été opposé lorsque nous avons réclamé la restitution d’objets de l’art africain. On nous a répliqué que ces objets appartenaient au patrimoine artistique universel, comme s’ils étaient moins universels en étant exposés à Dakar ou à Bamako que dans les musées d’Angleterre, de Belgique ou de France. Aujourd’hui, l’universel est devenu une sorte d’épouvantail pour nier l’altérité.
La littérature est-elle justement un instrument pour fabriquer de l’universel, ou pour permettre d’enrichir nos propres vues sur le concept ?
Quand je lis Cent Ans de solitude, qui se déroule en Amérique latine, moi qui suis sénégalais, je suis capable de m’identifier aux personnages et d’entrer en empathie. Il y a ici de la production d’universel. Les questions soulevées par le texte littéraire résonnent profondément en moi ;
quelque chose qui relève du lien fondamental me lie à ces individus, qui sont pourtant loin de ma réalité. De la même manière, quand je lis les Confessions d’un masque d’Yukio Mishima, quand je découvre les tribulations d’un jeune homme qui lutte pour assumer sa sexualité, je retrouve une figure de l’universalité de la condition humaine et de ses questionnements. C’est cela qui est intéressant dans le texte littéraire : il nous ramène à l’unité des questions existentielles qui nous traversent et qui font de nous des humains.
À vous entendre, l’universel se situerait beaucoup plus du côté d’une littérature conçue comme politique relationnelle que du côté d’une littérature de l’intime.
Au contraire. Même le texte de l’intime, du retrait, même le texte de la voix singulière peut résonner en moi comme en une multiplicité de lecteurs.
En ce sens, et paradoxalement peut-être, l’intime aussi est relation.
Il fait accéder à des espaces de l’être que l’on n’arrivait pas à formuler, et que l’écrivain sait exprimer avec talent. Ce faisant, il peut nous rendre intelligible cette prescience que nous avons parfois de nous-mêmes et que nous ne savons pas toujours identifier. Le travail de l’autre sur la langue et dans la langue me parle ; même intime, même singulier, c’est un travail du lien qui révèle les autres à eux-mêmes. À partir du moment où le dialogue est établi, peut émerger une communauté affective, élective et de sens.
Avez-vous le sentiment que littérature peut contribuer à la démocratie ?
Je crois que la littérature peut être un espace du commun. À bien y regarder, la langue reste un des premiers communs que l’on partage, à plus forte raison la langue littéraire. Encore faut-il, bien sûr, qu’elle puisse dépasser les formes écrites et qu’elle ne soit pas réservée à une élite qui a accès aux codes et aux signes. Dans ces conditions, je crois qu’elle peut devenir un espace de création du lien, de pluralisation de l’identité, d’élection affective, de résonance, qui doit permettre de négocier intelligemment les différences.
Le choix de la langue, le fait d’écrire dans une langue plutôt que dans une autre, compte également dans la pratique d’un écrivain. Est-ce une question que vous vous êtes déjà posée ?
C’est effectivement une question importante, que nous nous posons et qu’on nous pose régulièrement dans les pays dits d’Afrique francophone.
C’est une question sérieuse, qui engage toute une réflexion sur la littérature en langues africaines, car une partie importante de notre public ne parle pas le français ni les langues européennes. Beaucoup d’auteurs ont fait le choix d’écrire dans leur langue maternelle. Ces initiatives sont importantes. Elles ont le mérite de révéler les imaginaires et les mondes contenus dans ces langues. Je pense également qu’au-delà des textes écrits, la littérature orale est cruciale. Au fond, la question est peut-être de savoir comment oraliser de plus en plus les textes écrits. Comment faire en sorte de véhiculer les imaginaires dans un spectre beaucoup plus large ? Je pense ici à des formes comme la chanson, le texte oral, ou même le cinéma. L’idée est d’incarner le propos dans une pluralité de médiums pour toucher un maximum de gens.
J’ajouterais qu’il est important de considérer qu’on parle à la fois à ses proches et à tout le monde. Il faut se défaire d’une certaine conception qui voudrait que, si je suis un écrivain né en Afrique, ma première cible soit les Africains. Ce n’est pas nécessairement le cas. Si j’aborde une question qui relève de notre tension existentielle, si je parle de solitude, de perte, d’amour, de lien dans ma littérature, ma cible sera avant tout mes semblables, ceux qui partagent mon humaine condition. Je ne prétends pas nier que nous venons tous de quelque part, que nous sommes des êtres situés, susceptibles de développer des proximités affectives. Mais il faut sortir de cette assignation qui nous somme de parler en priorité à certains et pas à d’autres.
Votre choix s’est donc porté sur le français, mais il aurait pu vous diriger vers une autre langue ?
Tout à fait, pour l’heure. Je tenterai un jour d’écrire en sérère. Je crois aussi que chaque écrivain tente d’inventer sa propre langue, que cette langue soit celle dite maternelle ou pas. À partir du moment où un artiste s’empare d’un mode d’expression, il le distord. Tel écrivain aura sa rythmique, sa prosodie, sa manière de faire sens, etc. Il y a également des problématiques liées à la traduction, qui n’est pas exempte de rapports de force. Fondamentalement, il importe de s’adresser à l’âme du monde.
1 - Felwine Sarr, Dahij, Paris, Gallimard, 2009.
2 - Emmanuel Macron a confié en mars 2018 à Felwine Sarr et Bénédicte Savoy une mission sur la restitution du patrimoine africain. Le rapport « Restituer le patrimoine africain : vers une nouvelle éthique relationnelle » a été remis en novembre 2018 au président de la République.
3 - Felwine Sarr, Afrotopia, Paris, Philippe Rey, 2016.
MA SANE REVIENT AVEC MANE AK YAW
A l’apogée de son art, elle avait quitté la scène musicale sénégalaise. Après un mariage, la gestion d’un foyer et tous ses inconvénients
On l’a connue belle, charmeuse par la voix et pétrie de talent. Les années ont passé et Ma Sané n’a pas pris une ride, tout comme sa musique. La chanteuse revient au devant de la scène avec un single. «Mane ak yaw» est un hommage aux fans. Qui auront la latitude de savourer la maturité de l’artiste dans un album attendu courant 2022.
A l’apogée de son art, elle avait quitté la scène musicale sénégalaise. Après un mariage, la gestion d’un foyer et tous ses inconvénients, Ma Sané revient ! Dans ses valises, le souvenir d’une voix radieuse et empreinte d’émotion a été ressassé.
Pour signer son retour, la Thiessoise va sortir un single. Intitulée Mane ak yaw, la vidéo a été présentée hier à la presse. La chanteuse, qui a fait danser le Sénégal pendant des années avec les titres comme Sincérité et Mame, n’a rien perdu de sa superbe. Au contraire, cette pause sabbatique l’a bonifiée.
En effet, dans le titre Mane ak yaw, Ma Sané s’essaie au piano. Mais c’est la couleur musicale qui attire le plus dans ce morceau. Au début, la chanteuse caresse sa voix sur du pop urbain. Progressivement, le ton ainsi que le rythme montent pour, à la fin, faire du mbalax pur et dur. Le constat est unanime : Ma Sané ne joue pas de la musique, non elle est musicienne ! «Malgré la pause, je recevais beaucoup de messages de mes fans. Il y a beaucoup d’artistes talentueux au Sénégal, je pensais que les fans allaient m’oublier. Mais ils ont tenu bon et m’ont attendue.
Et pour leur rendre la monnaie de leur pièce, je leur ai dédié ce single en attendant l’album qui est déjà enregistré», a répondu Ma Sané sur les raisons de son retour. A propos du choix du titre, elle explique avoir l’intention de parler directement à chaque fan, d’où Mane ak yaw qui veut dire toi et moi en wolof. Revenant sur les «surprises» qu’elle va faire aux fans, Ma Sané a affirmé qu’un dîner spectacle est prévu au mois de novembre prochain. «Avec la pandémie, on peut faire correctement la promotion mais que les fans sachent que Ma est toujours là et qu’elle va continuer le chemin avec eux», a-t-elle expliqué se refusant d’avancer une date pour la sortie de l’album.
La seule confidence sur cet opus : «J’ai voulu rester moi-même. Il y aura de la sincérité dans cet album et mon style n’a pas changé.» Des collaborations avec des artistes de la nouvelle génération sont prévues dans cet opus dont la date de sortie est prévue pour le premier semestre de 2022. Interpellée sur les raisons de sa pause, Ma Sané a affirmé qu’elle «avait envie de fonder une famille et de s’occuper de celle-ci».
Pour autant, Ma Sané n’était pas qu’une femme au foyer. Elle faisait ses activités en parallèle, car «la musique elle seule ne suffit pas. Même quand je chantais, je faisais mes affaires à côté car on ne sait jamais. La musique est une passion», a-t-elle expliqué.
par Anne-Marie Mbengue Seye
LE VIRUS ET L’AMPLIFICATION DE TOUS NOS MAUX
EXCLUSIF SENEPLUS #SilenceDuTemps - Les Sénégalais ont trouvé normal que la première dame use de sa position pour faire vacciner ses proches chez elle alors que seules les personnes âgées étaient autorisées à ce moment-là
#SilenceDuTemps - Cette pandémie qui nous rappelle l'essentiel et donne sa chance au consommer local est-elle réellement une malédiction pour le Sénégal ?
Dans notre pays le Sénégal, les frontières ont été fermées et les vols exclusivement réservés aux voyageurs ayant une raison impérieuse ou rentrant chez eux ; pendant de longs mois en 2020 alors que nous avions moins de 100 nouveaux contaminés par jour. Cette mesure radicale accompagnée d’un couvre-feu et d’un état d’urgence qui s’est vu interrompu à la faveur des malheureuses émeutes de la faim de mars 2021 a imposé à l’ensemble de la population de Dakar de nouvelles règles de vie. Ces nouvelles règles de vie, les plus avisés des dakarois se les sont appropriées encore cette année et continuent de les respecter au mieux, malgré l’inavoué désengagement de l’État à protéger les populations ignorantes du danger de la Covid-19 contre ce qu’ils encourent réellement.
Ces populations défavorisées ne soupçonnent pas l’étendue du nombre de contaminés ni de morts dues à la Covid-19 depuis le mois de juin 2021 dans notre pays. Elles constatent chacune dans son hameau qu’il y a un peu plus d’enterrements et de personnes grippées mises en quarantaine selon les moyens dont disposent les familles.
Grâce à des patriarches et mamies sages que nous n’écoutions plus depuis longtemps, parce que gonflés par la facilité d’accès aux pharmacies et la pléthore de compléments alimentaires synthétiques inondant nos rayons ; nous avons découvert les vertus miraculeuses de nos plantes locales trop longtemps inconsidérées, mais riches à tel point qu’elles nous reviennent reconditionnées et sous marques occidentales déposées non sans y avoir ajouté des adjuvants et autres conservateurs nocifs, promettant de nous rendre moins fragiles face à de nombreuses attaques virales. Les Sénégalais ne pouvant donc pas se ruer aux pharmacies approvisionner toute leur famille en zinc et vitamines pour booster leur immunité comme recommandé en cette période, ont dû faire le choix du retour aux sources. Eh oui, face à cette vague venue avec le variant delta, les Sénégalais ne sont pas égaux.
- Fortunes diverses -
Il y a ceux qui pour s’en protéger ont pris un vol pour l’étranger avec leurs enfants et une nounou chanceuse dans certains cas. Ceux-là, l’an passé ont fait partie des nouveaux adeptes du consommer local par contrainte. Les frontières fermées obligeant. C’est donc ceux-là qui ont permis que l’inégalable beauté de nos plages et de nos bolongs jadis ignorés des classes moyennes et bourgeoises sénégalaises les voient venir partager l’engouement traditionnel des expats du Sénégal pour nos villes côtières. On était tenté de crier très fort, vive la Covid-19 !
Il y a ceux qui ne pouvant pas financer de longs séjours à l’hôtel à l’étranger ont pris l’option cette année, de la petite côte, des îles du Saloum ou de la Casamance dans des villas confortables avec piscine pour un confinement joyeux en famille les éloignant des nombreuses hypoxies joyeuses qu’on nous compte durant nos condoléances aux familles de victimes…. Que dis-je ? À nos familles victimes, car nous avons tous, sans exception, pleuré un collègue, un ami, un oncle, une tante, un père, une mère, un époux, une épouse, un enfant emporté par ce virus satanique qui nous est arrivé par les mêmes avions qui aujourd’hui nous convoient les vaccins. Nous avons chacun pleuré son Pape Diouf, son Mansour Cama, son Thione Seck, son Mabousso Thiam, son anonyme et bien d’autres personnes importantes dans sa vie et dans leurs communautés.
Il y a aussi ceux-là qui contre mauvaise fortune ont eu le bon sens et se sont rués vers les centres de santé pour se faire injecter ces vaccins qu’ils avaient boudés en début d’année inconsciemment influencés par soit les médias français propagandistes à outrance dont nous sommes, nous sénégalais dépendants alors qu’on crie “France dégage” ; soit par les réseaux sociaux qui malheureusement ont donné une tribune à tous les déséquilibrés de la terre qui jadis ne pouvaient empoisonner personne de leurs venins verbaux
Et je vais m’en arrêter là, il y a ceux pour qui la Covid-19 est une légende ; ceux qui ne portent pas de masque, ne se désinfectent pas les mains, essaient de vous étreindre quand ils vous rencontrent, ne supportent pas que vous leur tendez du gel hydro alcoolique sur le seuil de votre maison, mangent encore à 7-10 autour d’un bol lors d’événements familiaux. Ceux-là qui vont encore à la mosquée le vendredi ou à la messe du dimanche là où pour 10 fois moins tous les chefs religieux avaient fermé leurs lieux de culte en 2020. Ceux-là qui maintiennent encore leur refus du vaccin qu’il soit chinois ou Pfizer ou AstraZeneca ou Johnson & Johnson. Pour ces personnes défavorisées et pas assez éduquées, non encadrées par l’État, le seul recours c’est le tout puissant Allah. On dit avec ferveur « Yallah bax na » et on accepte avec une fatalité déconcertante la perte de malades de Covid-19. Que Dieu reçoive leurs âmes au paradis et nous pardonne à tous notre culpabilité passive ou active à l’ampleur de cette vague.
Les Sénégalais ne sont donc pas tous égaux devant la Covid-19 aussi bien du point de vue de leur manière de la gérer que de leurs moyens d’y faire face. De nombreuses vidéos encore une fois relayées par les réseaux sociaux nous peignent un tableau morose de la capacité de prise en charge de nos hôpitaux. C’est aussi le récit d’une accompagnante de malade de Covid-19, en attente de respirateur ou de réanimateur qui regarde impuissante sa belle-mère décéder suite à un défaut de place en réanimation au CHU où elle avait été évacuée en ambulance privée depuis une des nombreuses cliniques de Dakar. Je dirai plutôt hôtels médicalisés médiocrement équipés et en sous-effectif où vous attendez 2-3 heures que le médecin spécialiste en contrat avec l’établissement arrive entre deux consultations ailleurs. Ces cliniques privées comptent majoritairement dans la carte sanitaire de notre capitale malheureusement. Ne nous y trompons pas, ce n’est pas ici le procès de nos vaillants médecins et autres soignants risquant tous les jours leurs vies pour sauver leurs compatriotes avec les moyens dérisoires dont ils disposent. Nous faisons juste un triste constat que près de 18 mois après le début de ce satané Covid et 1000 milliards plus tard, notre pays n’est pas prêt pour faire face à cette vague meurtrière et nous n’avons pas connaissance d’une stratégie de riposte pour stabiliser puis réduire la progression afin d’alléger la facture humaine.
Par peur d’un choc émotionnel en cas de non-respect du rite funéraire pour accompagner le défunt à sa dernière demeure et lui offrir des funérailles dignes, on multiplie les cas contacts et on se rend individuellement complice de la montée du nombre de nouveaux cas… Hélas, le temps d’une journée de deuil, puis vient la nuit, cette terrible chose qui te laisse seul avec tes réflexions pour résoudre les problèmes qui t’attendent le lendemain. Et on s’effondre de fatigue, de stress, de peur d’être contaminé, en espérant que demain ne nous annonce pas un nouveau décès auquel on devra encore sacrifier à la tradition. C’est comme ça et pas autrement, on se doit d’y être si Allah en a voulu ainsi.
Alors comme tout commence et finit par lui, prions-le pour que chaque pas contre la Covid-19 dans notre pays soit fait pour que les inégalités face à cette maladie se résorbent. Que chacun de son côté, chacun à son niveau fasse ce qu’il doit. Que le tout puissant Allah fasse que tous les fonctionnaires remplissent leur devoir envers les populations dont les impôts si nombreux assurent leurs salaires. Que notre Dieu rende chaque Sénégalais assez conscient du danger et assez patriote pour respecter tous les gestes barrières recommandés dans le but d’endiguer cette pandémie. Et enfin puisse-t-il pour rendre tout cela plus facile en continuant d’augmenter le nombre d’entreprises privées engagées auprès de l’État ainsi que celui des individus soucieux de leurs communautés pour soutenir la lutte contre cette pandémie venue nous rappeler que la santé publique est essentielle au développement de notre pays et de l’Afrique.
- Pour un meilleur Sénégalais -
Qu’Allah nous éclaire afin que nous nous libérions du poids de la fatalité et posions chacun à son niveau, les actes qu’il faut pour que la somme des petits maux insignifiants vus d’en haut ; mais que notre pays collectionne et qui lui donnent un taux de pauvreté supérieur à 50% ; soient résorbés. Ce sont ces nombreux maux qui nous handicapent et nous empêchent de remonter du bas de l’échelle dans le classement des pays selon le PNB par habitant. Je puis sans me tromper citer au premier rang la corruption à tous les niveaux qui gangrène notre pays et qui est devenue normale dans l’inconscient populaire. On n’est pas offusqué de payer un agent de santé assermenté pour qu’il vienne nous administrer le vaccin contre la Covid à domicile parce qu’on ne veut pas risquer de se faire contaminer en passant trois longues heures à faire la queue sous le soleil dans le centre de santé de son quartier, là où on n’avait jamais mis les pieds avant la Covid…. Je ne citerai que des exemples de corruption, d’abus de position dominante et de manque de patriotisme directement liés au Covid sinon en plus d’être hors sujet, on abuserait largement de votre patience. Des exemples bien à propos il y en a énormément d’ailleurs, mais le plus triste c’est celui du constat que les Sénégalais ont trouvé normal que la première dame use de sa position pour faire vacciner ses proches chez elle alors que seules les personnes âgées étaient autorisées à ce moment-là. Que ni les autorités compétentes en charge des vaccins ne l’aient déconseillé, que ni le personnel déplacé pour administrer les doses dans les jardins du petit palais de Mermoz n’ait refusé d’y aller et que pour couronner le tout, des personnes parmi les élues pour cette séance privée de vaccination n’en aient pas eu honte et ont oser en partager une vidéo pour s’en prévaloir… C’est à nul égal le pire exemple qu’on puisse donner pour montrer à quel point la corruption peut être devenue normale dans l’inconscient collectif… Qu’Allah nous en délivre.
Une fois le champion toutes catégories de cette longue liste de maux cités, nous pouvons énumérer les autres juste pour qu’ensemble nous fassions de cette période d’auto confinement, une période de recueillement et de remise en question pour aboutir à un mea maxima culpa et à la prise des bonnes résolutions pour qu’à la reprise de la vie normale, nous entamions un Sénégal qui marche progressivement vers un pays sans tous ces maux qui nous gangrènent. Que nous nous engageons déjà à mieux valoriser le travail de nos employés de maison ces femmes de ménage, ces chauffeurs, ces gardiens et toutes autres aides à domicile sans qui nous ne pourrons pas avoir la qualité de vie que nous avons et qui nous permettent de nous confiner dans nos salons climatisés, car assurent toutes nos petites courses et besognes. Que les nombreux investisseurs dans l’immobilier qui pendant cette pandémie qui a entraîné une crise économique sans précédent, continue de faire sortir de terre des immeubles cotés à des centaines de millions voire des milliards pour certains là où la part du salaire des ouvriers non protégés qui y travaillent jour et nuit est dérisoire. Hélas l’homme pour ces gens est moins important que les matériaux de luxe qu’elles ont acquis avec cet argent qu’on ne saura jamais tracer. Vous l’aurez compris, le second mal de notre société sénégalaise est lui aussi fortement lié à la corruption. Donc en seconde place c’est bien de l’exploitation des pauvres qu’il s’agit. On peut aussi l’appeler manque d’empathie et de considération pour son semblable.
Arrivent ensuite : la malhonnêteté, le manque de rigueur, le laxisme au travail, l’absentéisme, le goût pour le gain facile, le poids de la culture déformée au fil du temps par des pratiques de racket organisé par les femmes, la déscolarisation précoce des enfants, la démission des parents dans l’apprentissage des valeurs morales fondamentales, le mariage précoce des filles en milieu rural et le manque de respect de la chose publique.
Tout ceci a conduit à la situation de forte précarité que vit une grande partie de la population de nos villes pour qui leur mauvaise condition de vie les rendant encore plus vulnérables face à la Covid est normale… Ils acceptent le surpeuplement des maisons avec plusieurs familles se partageant une seule cour exiguë et une ou deux toilettes pour 20 âmes. Ils ont normalisé qu’aller travailler signifie être debout à 5 heures tous les matins et rentrer chez soi à 21 heures, laissant les jeunes enfants livrés à eux-mêmes étant donné que les mamans et mamies sont obligées d’avoir elles aussi une activité lucrative. Il faut arrondir les fins de mois donc elles ne peuvent plus se payer le luxe d’être mères au foyer… Pour ces travailleurs pauvres, la pandémie ne peut être taclée que par Allah, car ils sont entassés dans les transports en commun lorsqu’ils ne sont pas sur leur lieu de travail tout aussi risqué et sans aucun respect des mesures barrières par les entreprises qui les embauchent.
Prions donc que les résolutions que nous allons prendre après les blessures indélébiles que la pandémie nous aura laissées aboutissent progressivement à un changement radical de paradigme et laisse entrevoir l’espoir d’’un Sénégal et d’une Afrique meilleure.
Anne-Marie Mbengue-Seye est une experte en développement communautaire, en particulier dans les secteurs du financement et du soutien à l’autonomisation des femmes sénégalaises. Elle est titulaire d’un troisième cycle en Relations internationales du Centre d'Études Diplomatiques et Stratégiques de Paris ainsi que de deux Master’s en marketing et en qualité de services.
DES VALEURS CARDINALES À L'ÉPREUVE DE LA DÉSUÉTUDE
Au Sénégal, fait-il remarquer, le « jom », le « kersa » et le « soutoura » apparaissent comme des valeurs immatérielles et cardinales indéniables. Hélas, elles sont aujourd'hui bafouées par la société
Les Sénégalais ont toujours été socialisés aux valeurs telles le « jom » (abnégation), le « kersa » (pudeur), le « ngor » (dignité), le « soutoura » (discrétion). Aujourd’hui, la société est à l’épreuve du changement. La pirogue des valeurs tangue dangereusement et on observe une déviance de ces normes qui ont toujours été une force.
De tout temps, le Sénégalais s’est distingué par sa discrétion, sa détermination, son abnégation, sa dignité, sa pudeur, sa personnalité. Des valeurs qui se transmettent de génération en génération, qui participent à singulariser le type Sénégalais et à faire de lui un modèle, une référence partout où il se trouve. Aujourd’hui, on assiste à un retournement de situation, matérialisé par une absence de discipline qui fait tanguer dangereusement la pirogue des valeurs.
Professeur de philosophie et Imam, Moussa Ndiaye soutient que ces valeurs assez « démocratiques » et « humaines » que tout le monde peut s’approprier, comportent des caractéristiques fondamentales, parce qu’étant relatives, rationnelles, immatérielles. Au Sénégal, fait-il remarquer, le « jom », le « kersa » et le « soutoura » apparaissent comme des valeurs immatérielles et cardinales que nul ne peut nier. « Ces valeurs, nous les avons héritées de nos ancêtres avant même l’implantation et/ou l’expansion de l’islam en Afrique de l’Ouest. Elles sont véhiculées aussi par l’islam ». Ce sont sur ces valeurs qu’était, jadis, bâtie la société traditionnelle sénégalaise, renseigne-t-il. L’arrivée de l’islam a considérablement consolidé ces acquis. Aussi, « ces valeurs étaient manifestes dans toutes les pratiques de notre vie quotidienne, que ce soit dans les relations humaines, le travail et le port vestimentaire ».
Dans le même registre, le docteur Djim Ousmane Dramé, chercheur au Laboratoire d’Islamologie de l’Ifan à l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad), soutient que ces valeurs tirent leurs sources de nos traditions, de nos pratiques sociales de référence, de nos habitudes et fondamentalement de notre religion. « Elles font partie de notre patrimoine historique voire même culturelle, des valeurs fondamentales du Sénégalais qui existe depuis longtemps dans ce pays et qui sont renforcées par les trois religions révélées que sont l’islam, le judaïsme et le christianisme qui militent et encouragent les gens à se comporter, à avoir ces valeurs-là », indique l’islamologue et chercheur à l’Ifan.
Ces valeurs sont déterminantes, selon le Professeur Moussa Ndiaye, puisque, fait-il savoir, « sans aucune volonté ferme, sans lois, sans morale, aucune société ne subsiste et n’est point durable ». Ces principes, selon Dr Dramé, ont une influence extrêmement importante sur nos comportements, nos manières de vivre, nos pratiques quotidiennes. « C’est cela qui différenciait le Sénégalais parce que si l’on retirait ces valeurs d’un individu, il ne resterait rien absolument », indique-t-il.
Pour le docteur Djim Dramé, ces valeurs ne sont pas comme un habit qu’on peut mettre ou ôter selon ses humeurs. « Ce sont des valeurs intrinsèques qui accompagnent l’individu partout où ils se trouvent. Elles ont toujours gardé leur quintessence. Le Sénégalais peut avoir des changements, mais ce qui était bon depuis mille ans le reste, ce qui était mauvais également », affirme le chercheur. Il est convaincu que l’homme est né saint. « C’est l’éducation et l’environnement familial qui vont déterminer sa formation religieuse, sa relation sociale humaine. Tous ces facteurs contribuent à faire de l’homme bon ou mauvais, mais ces valeurs-là restent les mêmes, ne changent pas. C’est l’homme qui change », indique-t-il.
Des valeurs rangées dans les tiroirs
Aujourd’hui, ces valeurs cardinales semblent bafouées, piétinées. Pour le Professeur Sara Ndiaye, Chef de section sociologie de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, « nous sommes plus dans une production de la société avec plusieurs sortes d’étrangetés véhiculées par une culture d’extraversion de plus en plus manifeste que dans une reproduction sociale qui maintiendrait nos états sociaux et comportementaux ». Et au regard des faits divers quotidiens de cas de tricheries, de délits grossiers, de scènes obscènes, d’injures publiques et de refus d’observance des règles de toutes sortes, « c’est comme si le Sénégalais a maintenant horreur des interdits, de la loi, de la règle et de la norme », soutient-il.
Le docteur Djim Dramé pointe du doigt les parents. Selon lui, il y a un problème de transmission des valeurs, de père en fils. « Autant les parents, autrefois, se préoccupaient de l’enseignement, de l’éducation et de la formation de leurs enfants, autant on constate actuellement une certaine démission des parents de ce qui se faisaient auparavant », affirme-t-il. « Rares sont ces parents qui vérifient ce que leur enfant a fait dans la journée. Ils n’ont pas le temps de leur inculquer les valeurs familiales, religieuses et sociales. C’est ce qui pose problème avec comme conséquence directe la crise des valeurs », ajoute-t-il.
Pour le Professeur Moussa Ndiaye, « on assiste à la fin du processus de dégradation de la société, à une éclipse sans ambages du théologique, à un désenchantement spirituel au profit d’un mercantilisme exacerbé ». À son avis, « les sociétés de notre ère sont enclines à développer plus volontiers le volet matériel au détriment des valeurs comme le « jom », le « kersa » et le « sutura », bafoués et rangés dans les tiroirs ».
Une société, de l’avis du docteur Djim Ousmane Dramé, ce sont des rapports familiaux, sociaux, de vivre ensemble, de paix, de parfaite entente. « Si l’on retire tout cela de notre vécu quotidien, il ne restera absolument rien », assure-t-il. Le respect de ces valeurs, dit-il, ne dépend pas de la foi religieuse de l’individu. « Même si l’on n’est pas musulman, chrétien ou juif, on doit garder ces valeurs qui sont humaines avant d’être religieuses. C’est une responsabilité lourde pour tout un chacun, gouvernant comme gouverné, de travailler à ce que l’on puisse garder ces valeurs qui nous contrôlent dans nos sociétés », préconise-t-il. Il est, à son avis, plus bénéfique de miser sur la construction de l’homme. « Ce sera beaucoup plus bénéfique, durable et intéressant »…
MES FILLES ONT GRANDI AVEC L’IDEE QU’IL N’Y A PLUS D’ETHNIES, IL N’Y A QUE DES RWANDAIS»
Quand les mots placardés sur un papier ne suffisent pas, il faut hurler. Quand ces cris sont accompagnés par la musique, ils deviennent plus audibles et agréables. Gaël Faye en est persuadé. En France où il fait danser les mots avec son orchestre, le Prix Goncourt du lycéen évoque avec Le Point Afrique sa musique, sa plume et ses envies.
Dans ses confidences, on retiendra la cause de son installation au Rwanda. «Je ne connaissais pas le Rwanda, le pays de ma mère, de ma famille réfugiée. J’ai commencé à m’y rendre après le génocide. Pendant des années, ce pays souffrait tellement. On se demandait même si ça allait être de nouveau un pays. Et puis, il a changé tellement vite. J’ai eu l’impression qu’un regard de vacancier ne suffirait jamais à le comprendre. Son histoire est si particulière : sur un territoire pas plus grand que la Bretagne, les anciens bourreaux et les anciennes victimes ont appris à cohabiter. Cela crée des histoires pas banales qu’un visiteur de passage ne peut pas saisir, ressentir. Il faut vraiment y vivre au quotidien», at-il expliqué dans un premier temps. Avant d’ajouter : «Ça m’a permis de mieux comprendre les rapports humains, lesquels étaient compliqués. Et je ne comprenais pas la génération de mes enfants, cette nouvelle génération post-ethnique. Elles ont grandi avec l’idée qu’il n’y a plus d’ethnies, il n’y a que des Rwandais. Chaque année, pendant les commémorations d’avril à juin, il est écrit partout dans le pays ‘’Génocide des Tutsis’’. Donc les enfants demandent : ‘’C’est quoi des Tutsis ?‘’ C’est un monde en mutation permanente, qui se cherche. On a besoin de regards d’artistes qui s’emparent de ces sujets, car c’est un cas unique au monde.»
Le Rwanda, une histoire d’amour et de fraternité
Dans un autre registre, le Rwanda, ce pays adoptif du slameur et non moins chanteur, présente des particularités autres que les considérations d’ordre familial. En effet, la femme de Gaël Faye étant Rwandaise, le slameur a voulu offrir à ses filles le sentiment d’appartenir à un pays. Elles ont des parents métis. «Ma femme est Francorwandaise. Mes filles sont Franco-rwandaises. Elles sont des métisses de métis. Je ne voulais pas que le Rwanda soit juste le pays du génocide pour elles, celui de leurs parents. Je ne voulais pas qu’elles en parlent avec des sanglots dans la voix. Mais qu’il soit aussi leur pays, comme la France. Certes il y a la grande histoire, mais il y a aussi tout le reste. En 1994, c’était un charnier, ce n’était plus un pays. Il n’y avait plus de Peuple, d’unité, de structures d’Etat. Il y avait des morts, des tueurs et des océans de larmes et de douleurs. Aujourd’hui, grâce à la génération de nos parents, de ma mère, on peut élever nos enfants et leur dire : c’est un pays. Ce n’était pas gagné. Quand j’étais enfant, le Rwanda était une utopie, un rêve. Mes oncles et mes tantes ont pris les armes pour reprendre ce pays qu’ils ne connaissaient pas. Toutes ces personnes qui ont grandi dans des camps de réfugiés, à qui l’on disait : ‘’Vous n’êtes rien, vous êtes apatrides, vous n’avez pas de pays...’’, elles tenaient à y retourner, ont payé un lourd tribut de souffrances. Mais aujourd’hui, le Rwanda reste un pays, avec ses défauts et ses qualités. En l’espace d’une petite vie comme la mienne, c’est déjà beaucoup d’avoir assisté à toutes ces étapes», a-t-il détaillé.
La renaissance après le confinement
Revenant sur la pause forcée par la crise sanitaire qui secoue le monde, Gaël Faye estime que le fait de rejouer est une «renaissance», pour la simple et bonne raison que «j’ai l’impression qu’ils vivent le concert avec davantage d’intensité. Chaque soir est vibrant, vivant. Je me sens encore plus en symbiose avec le public qu’avant. De plus, j’ai agrandi mon équipe scénique. Samuel Kamanzi (chanteur/guitariste rwandais-congolais, Ndlr), mon voisin à Kigali, nous a rejoints sur cette tournée. Ainsi, nous pouvons jouer sur scène des morceaux en lingala, en kinyarwanda, en swahili avec des influences de rumba congolaise… Je propose en live davantage de facettes de ma musique. Tous ces éléments font que je passe un très bel été, très fort, particulier».
Une musique codée qui casse les codes
Ayant l’habitude de se définir comme un enfant «du foisonnement», du fait de sa double culture, Gaël Faye présente son identité dans sa musique. C’est un mélange de sonorités africaines avec une prédominance de la rumba. A la question de savoir comment il s’y entreprend, le slameur déclame sa réponse comme suit : «Ça s’effectue de façon fluide et naturelle. Nous avons créé la musique avant de mettre des mots, du sens. Le studio est un laboratoire. Avec Guillaume Poncelet, claviériste et trompettiste, nous avons passé des mois à chercher, élaborer les morceaux : ça pouvait partir d’une rythmique, d’une boucle de piano, d’une mélodie qui me trottait dans la tête… Je n’ai pas de cahier de charges. Je ne me dis jamais à l’avance je vais faire un morceau rumba ou hip-hop...». «Et puis, chaque collaboration amène une couleur différente à chaque morceau - ici Mélissa Laveaux, Harry Belafonte, Samuel Kamanzi… Le guitariste congolais Tibass Kazematik a aussi apporté de nombreuses idées. Ensuite, c’est à travers mes textes, le mixage, l’agencement des titres les uns après les autres que s’établit la cohérence de l’album. Certains morceaux se répondent, ont des correspondances, des résonances. Le tout forme une histoire.» Anti-conventionnel, Gaël Faye invente à bouleverser les codes tout en se référant à l’essentiel. En d’autres termes, «à Bujumbura, dans le quartier populaire de Bwiza, on avait l’habitude le lundi soir d’aller en boîte de nuit, Le 5 sur 5, pour braver l’interdit, les normes. C’était une façon d’éviter le cafard du dimanche soir. Le lundi passait plus vite, et on sortait en club de minuit jusqu’à l’aube. Ça crée une résistance à ces conventions, lesquelles voudraient que l’on fasse la fête uniquement le week-end. Et ça confère une aura de courage à ceux qui font ces lundis méchants».
LE VARIANT DELTA RISQUE DE CONFINER ENCORE LE KANKOURANG
Depuis deux ans, les membres de la communauté mandingue n’arrivent pas à célébrer leur culture, comme de coutume, à cause de la pandémie qui sévit
La communauté mandingue de Mbour reste à l’écoute du nouveau préfet du département pour la sortie du kankourang, prévue normalement au mois de septembre. Mamadou Lamine Mané, qui a récemment remplacé Mor Talla Tine à ce poste et qui doit prendre une décision à ce propos, n’aurait pas encore pris service. Les assauts meurtriers du variant Delta sont partis pour faire désespérer cette composante de la population de Mbour.
Depuis deux ans, les membres de la communauté mandingue n’arrivent pas à célébrer leur culture, comme de coutume, à cause de la pandémie qui sévit. Avec les cas de Covid-19 qui ne cessent d’augmenter de jour en jour, l’espoir n’est pas encore au rendez-vous. Surtout avec ce variant Delta qui ne cesse de faire des ravages sur son chemin.
Cette année aussi, la question de la sortie du kankourang au mois de septembre est sur toutes les lèvres. Sevrant d’activités ce patrimoine mondial de l’Unesco, le Covid-19 risque de confiner le kankourang encore cette année. D’ailleurs, à l’issue de la réunion des sages de la collectivité mandingue ce dimanche à leur siège, ils ont fait savoir que la réponse sur la sortie ou non du kankourang est désormais suspendue à une décision préfectorale.
Selon Fodé Sagna, porte-parole des sages au nombre de 54 de la collectivité mandingue, le dernier mot revient au préfet du département de Mbour, Mamadou Lamine Mané, qui a récemment remplacé Mor Talla Tine. Livrant la teneur de leur réunion tenue ce dimanche, il déclare : «Les sages ont dit qu’ils n’ont aucune décision à prendre. Ils sont suspendus à la décision du préfet du département de Mbour. Nous prions pour que cette pandémie quitte le monde. Si ce n’était pas cela, tout le monde sait que nous ne serions pas là à attendre une décision.»
Mais en attendant la réponse du préfet, les sages ont mis en place une commission qui va lui adresser un courrier. «Nous avons mis en place une commission composée de sages, de membres du bureau, d’adultes et de jeunes. Au total, elle est forte de 18 membres. Cette commission va rédiger un protocole sanitaire et écrire une demande d’autorisation pour la sortie du kankourang durant le ‘’septembre mandingue’’. Après, nous allons remettre ces documents au préfet du département. Et c’est à lui de décider de la sortie ou non du kankourang». «Nous avons parmi nous un membre de la commission santé qui nous a dressé le bilan du Covid-19 dans le département de Mbour.
Face à un tel tableau, ce qu’il y a lieu de faire c’est d’écouter les spécialistes. Cette commission va se réunir cette semaine. Nous avons tardé à aller voir le préfet parce qu’il nous a dit qu‘il n’a pas encore pris service.»
Quant à Cheikhou Dabo, sage de la collectivité mandingue, il a souligné que la sortie du kankourang peut être un levier pour éradiquer la pandémie. «Notre tradition peut contribuer à éradiquer le fléau, surtout à travers nos activités culturelles. Beaucoup de gens savent que c’est possible, car d’un point de vue originel c’était la vocation de notre tradition. Nous avons des techniciens parmi nous et ils feront le travail nécessaire qui sera soumis au préfet», a précisé Cheikhou Dabo.
LES DAMNÉS DE LEUR TERRE, par Elgas
DÉSIRÉ BOLYA BAENGA, L’ASIE MAJEURE ET L’AFRIQUE MINEURE
EXCLUSIF SENEPLUS - Il semble que beaucoup d’esprits africains n’ont simplement pas les moyens de leurs ambitions. Et ce que cela peut coûter pour qu’ils les aient, n’est rien de moins, qu’une renonciation synonyme de compromissions
C’est dans une rue du quartier de la Bastille, un jour d’été de 2010, que le corps sans vie de Désiré Bolya Baenga a été retrouvé. Les rues de Paris, on le sait, enterrent leur lot d’infortunés, dans un relatif anonymat. Mais de là à être, pour celui que nombre de professionnels avertis du monde littéraire et intellectuel appelaient le « meilleur de sa génération », la tragique scène de fin de piste, personne n’aurait pu y croire. Le choc et l’effroi demeurent d’ailleurs, aujourd’hui encore, intacts. Plus vifs encore lors de ses obsèques, où proches, incrédules, admirateurs, se sont pressés pour saluer une dernière fois l’ombre de la longue silhouette de cet écrivain tempétueux.
Une mort brutale
Au micro ce jour-là, pour prononcer l’éloge funèbre, l’aîné et le mentor de toujours : Elikia M’bokolo, normalien et historien devenu l’incontournable Mémoire du continent sur RFI. Les deux amis partagent le même Congo, le goût pour les choses de l’esprit, une réelle complicité intellectuelle, une admiration mutuelle. Et dans les mots sublimes du frère aîné se mêlent tendresse, amitié, récit d’une vie heurtée, d’une trajectoire singulière. Le vocabulaire choisi est plein d’empathie, d’amour, d’une verve presque joyeuse qui défie la catastrophe de la brutalité de sa mort. Une lumière s’allume dans les mots pour dompter l’obscurité du deuil. Pourtant, dans l’assemblée, tout le monde ne réussira pas à dominer la douleur. Au milieu des sanglots, Rahmatou Keïta, journaliste et réalisatrice nigérienne, et amie du défunt, garde en mémoire un épisode déchirant, lorsque la tante de l’écrivain confie, dans un murmure de douleur, que Bolya a quitté sa mère à 18 ans, et qu’elle ne l’a jamais plus revu jusqu’à sa mort. Il avait 53 ans.
Les Baenga sont une famille qui compte dans l’histoire récente du Zaïre. Désiré Bolya Baenga est le fils de Paul Bolya, compagnon de Patrice Lumumba et de la libération congolaise, tour à tour ministre, sénateur, personnage de premier plan. Le bain intellectuel est, comme par évidence, le premier environnement du jeune Bolya. Fort de ses aptitudes intellectuelles bien réelles, précocement perçues, et sous les conseils d’Elikia M’bokolo, ami de sa sœur, il le rejoint plus tard à Sciences Po, la prestigieuse adresse de la rue Saint-Guillaume où l’historien est professeur. L’école, elle n’est plus à présenter ; elle produit une élite promise à de beaux destins professionnels. Le jeune homme y est admis au mérite, et sous l’aile protectrice du guide, il intègre ce temple où les Noirs ne sont pas très nombreux. Il découvre dans la foulée Paris, les splendeurs germanopratines et les mythes mondains qui s’y attachent. Il montre une certaine inclination pour le dandysme, perceptible dans sa mise très tôt soignée. Avec la culture acquise dans ce creuset, de plain-pied dans les débats majeurs de l’époque, Bolya qui a gardé un attachement à son Congo et à son Afrique, semble pourtant renoncer aux grandes carrières tranquilles qui l’attendent pour un rêve secret qui l’habite et l’emporte.
Elikia M’bokolo se souvient dans son éloge et le déclame : « ta route semblait tracée. Quelques concours encore, deux ou trois diplômes supplémentaires en poche, et c’était une carrière tranquille et assurée de bon technocrate dans quelque administration ou banque prestigieuse. Mais non ! c’était mal te connaître. Car tu avais d’autres rêves ! Les livres, écrire des livres. Écrire et publier… » Comme une énergie mystique, son amour pour l’écriture triomphe donc et quelques missions de consultance le maintiennent à flot. C’est un attelage qui convient à son tempérament de bretteur, d’éditorialiste, d’écrivain en devenir qui s’aménage du temps pour crier ses blessures à la face du monde. C’est donc décidé, ce sera l’écriture, ses fragilités, sa cruauté. Tant pis si ça ne paie pas et que les rues de Paris comme de Kinshasa sont peuplées de dandies fauchés.
Entrée fracassante en littérature
En 1986 paraît son premier livre, Cannibale. La rhétorique est ténébreuse et la brutalité absolue. Le champ lexical des expressions est un nappage malodorant : sauvagerie, bêtise humaine, tribalisme, dictateurs sanglants… On y sent des inflexions Conradiennes digne d’Au cœur des Ténèbres, ou encore plus explicitement LeNègre de Narcisse, dans la violence sombre de l’atmosphère générale qui dénonce les corruptions, les hommes de pouvoirs, les réalités africaines mal dégrossies, le peu d’égard pour la vie humaine et l’horizon résolument sombre du continent. Le titre annonce le vertige du gouffre et les mâchoires de la bête humaine, ici africaine. Le texte est habité, palpitant, étouffant même. Tantôt dans les accents du Voyage au bout de la nuit de Céline dans sa parenthèse africaine, tantôt ceux de À la Courbe du fleuve de V.S Naipaul. Toujours le même tableau noir qui étreint le lecteur parfois jusqu’à le broyer. L’Afrique que Bolya donne à voir n’est en effet pas enchanteresse, mais il y applique déjà la mesure du talent qui le caractérise. Et le destin, comme complice, est avec lui, car pour un coup d’essai, c’est un coup de maître : Cannibale est couronné par le Grand prix littéraire d’Afrique noire. Sa maestria a conquis le jury du prix : une liberté de ton, une culture, déjà une certaine intransigeance, et le regard du réel jusqu’à la nausée, malgré l’étiquette fictive et l’identité romanesque du livre. Jean McNair note d’ailleurs ceci, à la fin de sa recension du livre dans la Revue Présence Africaine : « Ce livre trouble. Il ne laisse personne indifférent. Il choquera certains et donnera lieu à des critiques. En fin de compte, ceci est, peut-être, sa vraie force ».
C’est le début d’une ascension, avec une certaine reconnaissance, même parcellaire. Le prix de l’ADELF (Association des écrivains de langue française), malgré les critiques sur ses ombrages coloniaux, restait à l’époque respectable. Bolya en étrenne les retombées qui pavent un peu plus la voie à son rêve d’écriture. L’homme est resté chic, élégant et bien mis. Comme un autre dandy du quartier de Saint-Germain, l’égyptien Albert Cossery. Ils partagent le goût des petites gens. Celui de la paresse aussi ? On ne saurait dire. Cette réception prometteuse n’est en revanche pas la garantie de conditions matérielles plus confortables. Les témoignages sont assez unanimes : Bolya tire le diable par la queue et le nom ne fait pas encore la renommée ni la fortune.
La solitude des exilés africains des Lettres
Si la création est solitaire de nature, la solitude plutôt aiguë, voire l’esseulement, seront le sceau de sa vie, assez rapidement du reste. Il en fait l’expérience dans une réclusion symbolique, parfois contrainte, qui est le lot de beaucoup d’auteurs. D’autant plus dans les années 80/90, période charnière pour nombre de jeunes écrivains et intellectuels africains formés en France. Les structures à matrices idéologiques comme la FEANF (Fédération des étudiants d'Afrique Noire en France) et l’énergie folle de la période qui présida aux indépendances se sont essoufflées. Il ne semble plus y avoir d’épopée collective. L’Afrique est écrite par ses fils, lointains, et très souvent dans la tonalité du malheur. Les groupes, les revues, les clubs, se disloquent, et le désenchantement s’empare des œuvres. Depuis Kourouma, et le Soleil des indépendances, cette veine de la désillusion reste un registre dominant, d’autant plus pendant ces décennies du chaos dans le continent. L’éloignement dû à l’exil, le peu d’ancrage local, éparpillent les écrivains dans le paysage. Un peu fantômes, sans réelles attaches, avec la nostalgie et la mélancolie comme seules ressources pour accompagner les cris souvent vains en direction de leurs peuples. Abdoulaye Gueye, chercheur sénégalais, avait fait la cartographie des intellectuels africains dans les années 50 - 70 (2002) en se focalisant sur les matrices communes. Les sujets étaient fédérateurs. Mais plus tard, on constate, en remontant à cette période qui suit et qu’a bien connue Bolya, la solitude de ces intellectuels, leur déracinement jamais soigné, et leur difficile, voire impossible, ancrage en France, sous peine de pactiser avec le bourreau dans les consciences. Des valeurs refuges se créent : une migritude par exemple, concept qu’a tenté de saisir Jacques Chevrier, avec son lot de questionnements, de déchirements ; un label qui regroupe des esprits qui avaient d’autres ports d’attache idéologiques que la négritude ou même le panafricanisme.
Le destin des écrivains s’en trouve fatalement impacté. Dans ce temps, les tiers-mondistes, sur l’échiquier gauche de la politique en France, tiennent le haut du pavé. Et l’africanisme se cherche encore une nouvelle légitimité depuis que la situation coloniale a été débusquée par Balandier. Comment donc mener une vie intellectuelle libre, au-delà des chapelles, en surplombant les problématiques matérielles que pourrait résoudre l’appartenance à un clan ou à un autre ? Bolya a semble-t-il fait son choix : celui de l’indépendance. Le fils de Paul Bolya ne s’aliène même pas les idées en vogue du panafricanisme de l’époque dont son père fut un chantre, et dont les versants afro-centristes séduisent et deviennent un paradigme fédérateur d’élans. Pas plus qu’il n’est émerveillé outre mesure par les solides attaches qu’il noue à Saint-Germain, avec le risque de Jeandarquisme ou de francophilie galopante comme dirait Romain Gary. Ça lui aménage par conséquent un espace étroit pour épanouir son œuvre. Porté sur la fâcherie facile, irréductible dans son refus des compromissions, « sédentaire de l’éthique » en toutes circonstances, il se construit un îlot aux saveurs de martyrs et se met à dos des amis. Malgré tout, reste le goût âcre de la terre-Mère, au loin, et M’bokolo se souvient toujours dans une tonalité plus nostalgique : « Et nous sommes là, tous, à courir, à courir après le quotidien et ses urgences, au point de ne plus penser à ces instants simples et tranquilles, passés ensemble au commerce des nôtres, pourquoi pas autour de quelque dive bouteille de ces bons vins de France. »
L’Asie, le Japon : la référence
En 89, le mur de Berlin tombe. Il consacre une nouvelle ère. Chez beaucoup d’intellectuels africains, le marxisme est triomphant. Il a fait école. Au lieu de s’emprisonner dans la dualité de ces blocs qui survivent et dont l’hégémonie aliène le continent, Bolya fait un pas de côté. Il s’émancipe de cette vue duelle. Pourquoi pas s’inspirer du Japon ? Le pays du Soleil Levant a réussi des prouesses économiques, et s’est hissé, avec une célérité inouïe, à la tête des pays riches. La trajectoire éblouit Bolya. Il en fait un livre, l’Afrique en Kimono, repenser le développement (1991) où il exhorte le continent à s’inspirer du géant nippon. L’essai est original, il ne ménage pas un occident qu’il traite de « totalitaire ». Il lui reproche son mépris, sa demande incessante aux peuples d’adopter son modèle comme le seul qui vaille. Il remonte le fil de ce miracle japonais, qui a réussi à se moderniser sans renoncer à son identité culturelle. Voilà donc pour Bolya l’exemple type. Le développement ne requiert pas la négation de soi, et le Japon en est la parfaite illustration. L’essai est documenté, bardé de références éloquentes. Il part en effet d’articles dès 1913 d’un pasteur malgache Ravelojoana, père du nationalisme de l’île, qui a précocement pressenti cette inspiration. Âpres l’hommage à cette prémonition des pionniers de la grande île africaine qui fait écho à la morphologie insulaire japonaise, l’Afrique en Kimono est à la fois une critique acerbe des prétentions développementalistes de l’Occident, mais aussi une analyse fine des forces en présence, qui ne ménage pas, entre autres, les islamistes que l’auteur assimile à des idiots utiles de l’occident.
Cette ode au Japon ne manque pourtant pas de défauts à l’examiner en profondeur. L’auteur y passe très vite sur les démonstrations, et ne donne pas à voir le réel état des transformations au Japon. Parfois les scansions prennent le pas sur les analyses, sans esquisser les conditions de possibilité de cette transposition en Afrique, d’autant plus que le Japon et l’Afrique ne partagent pas forcément une familiarité évidente. Mais l’essai est séduisant et convainquant. En brocardant l’idée en vogue du développement comme condition de sortie de la misère, avec l’idéologie libérale qui la porte et la verticalité des injonctions envers l’Afrique, l’auteur est en avance de 20 ans sur des débats sur le « modèle » à suivre. On a tous en tête l’exemple, souvent cité pour accabler l’Afrique, de la Corée du Sud qui avait alors le même niveau que beaucoup de pays africains pendant les indépendances et dont l’économie aujourd’hui pèse plus lourd que nombre de pays réunis. Cet exemple résonne dans le tropisme de Bolya, dont l’œuvre porte cette inclination vers l’Asie majeure, lui qui écrira un autre livre sur le Japon L’Afrique à la japonaise. Et si l’Afrique était si mal mariée ? (1994)
Avant sa mort, Bolya a sans doute vu un autre géant asiatique, plus impérial, faire sa ruée vers l’Afrique, la Chine. Sans doute a-t-il lu l’essai de Tidiane Ndiaye, Le jaune et le noir (2008), qui dresse une longue chronologie, qui n’est pas faite que de romance, des relations méconnues, mais bien réelles entre l’Asie et l’Afrique. Bolya aurait-il rectifié sa copie ? Rien n’est moins sûr. Sa critique généreuse, souvent juste, ainsi que sa personnalité hostile au compromis font de lui un homme à part, reconnu, mais redouté, qui croit en la sacralité de l’éthique. Plusieurs fois, les appels à s’assagir, à intégrer des cabinets plus douillets, se sont fait pour lui qui a partagé sa vie entre Montréal et Paris. Il a toujours opposé un refus au risque parfois de se complaire dans une posture du rebelle ultime, même si à bien y regarder, on pourrait saluer cet acharnement principiel. Dans son éloge, M’bokolo le disait : « Tous ces livres, c’est vraiment toi, avec ce soin que tu as sans cesse mis à ne jamais être captif, ni d’un genre, ni d’un style, ni d’une forme, ni d’un lieu ». Il a cultivé aussi, dans le site Afrik.com, un art de la chronique, du billet politique sur le monde, où l’on retrouve une diversité de sujet, dont l’attachement à Haïti et des réactions sur le vif sur la marche de la planète. Un exercice journalistique qui ne lui rapportait rien, sinon un pécule modeste, mais aussi le maintien d’une régularité dans l’écriture.
Une large palette : pionnier du roman policier en Afrique
On peut vite oublier, à trop se focaliser sur l’essayiste, le romancier. Avec Cannibale, cette fibre était déjà présente, mais c’est dans la Polyandre (1998) et dans Les cocus posthumes (2001), publiés chez le Serpent à Plumes, son dernier éditeur, qu’il devient selon les mots de Rahmatou Keïta, « un précurseur du roman policier, avec un goût réel de la métaphore ». Ces romans sont d’ailleurs salués et étendent la palette de la création de cet auteur inclassable, mais immanquable, et qui est l’un des rares de sa génération à naviguer de genre en genre sans perdre de sa superbe. Les romans policiers n’ont pas bonne presse sur le continent et ce n’est pas un genre à la mode. On s’en détourne volontiers comme si c’était un registre mineur. En y faisant une incursion, Bolya mène sa carrière littéraire – stabilisée, avec un bon éditeur – sans la folie de la gloire, mais dans un cercle où son savoir-faire est salué.
Toujours chez le Serpent à Plumes, comme si le constat d’échec du développement africain était consommé, et que les invitations à marcher sur les pas du Japon étaient des cris dans le désert, Bolya commet un autre livre, plus à charge, l’Afrique, le maillon faible (2002). Le propos est sans détour et les responsabilités sont situées sans ménagement. Le titre est comme une épitaphe. De cette œuvre globale en construction, émerge une colonne vertébrale assez claire : une exigence, un engagement, une intransigeance, des excès, des obsessions, mais aussi en annexes, la cause des sans-grades, un amour de la femme, de la féminité, de la cause des femmes, victimes en premières lignes de toutes les hégémonies traditionnelles et des violences de la guerre moderne. Un amour des femmes, qui est aussi de la gratitude, pour celles qui l’ont élevé, celles qui l’ont aimé, le long de sa vie.
Amour qu’il confirme dans La profanation des vagins (2005), qu’il dédie à sa fille, son grand amour. Un livre de dénonciation des crimes de guerre, militant et désabusé, mais à l’épaisseur politique incontournable et à l’envergure qui parcourt les guerres de son temps. Un livre qui a peut-être marqué et inspiré le gynécologue, prix Nobel de la paix, Denis Mukwege, l’homme qui répare les femmes, dans cette sale guerre du Congo. Une œuvre donc globale qui se présente sous la forme d’un cri, avec du panache, mais qui n’a jamais eu un écho à sa mesure. Et comme toujours, in petto, ses détracteurs confient leurs griefs : une âme chagrine, frustrée. C’est sans doute un peu vrai. Pouvait-il pour lui en être autrement ? Dans un ouvrage publié chez Mémoire d’encrier, son ex-compagne Françoise Naudillon, a rassemblé les textes de ses amis en reprenant comme titre un de ses leitmotivs : Nomade cosmopolite, mais sédentaire de l’éthique (2012). Un parfait résumé de cet esprit, difficile à emprisonner, papillonneur et ouvert aux vents du monde. L’affection remplit ces pages d’hommage, avec une facture intimiste qui les rend à la fois authentiques et touchantes.
La mémoire d’un continent
Aujourd’hui encore, partir sur les traces du legs de Bolya, c’est être confronté à un silence, un silence malaisé. Comme s’il y avait à la fois trop et trop peu à dire sur les déboires de sa fin tragique. Cette mort brutale dans les rues de Paris, pour lui qui se savait « condamné » selon les mots de M’bokolo, donne à voir une antichambre misérable, de réclusion, condition de beaucoup d’esprits africains vivant en occident. Dans la foule anonyme de ces manteaux faits homme, de ces piliers de bar, de ces esprits lumineux, dans ces beuveries et ces gueuletons, peut-on compter tous ceux dont on se prive de l’intelligence ? Ceux qui sont à contre-emploi ? On pourra bien, à loisir, ratiociner sur une malédiction, une infortune, mais la réalité est bien plus cruelle : il semble que beaucoup d’esprits africains n’ont simplement pas les moyens de leurs ambitions. Et ce que cela peut coûter pour qu’ils les aient n’est rien de moins, qu’une renonciation synonyme de compromissions. De ces ambitions déchues, il ne reste parfois que des barouds d’honneur, tantôt sublimes, tantôt tragiques. À la loterie de ce destin, Bolya n’a pas tiré le bon numéro, mais son œuvre, elle, lui survit et rayonne vivement sur le monde intellectuel pour ceux qui se donnent la peine d’aller les chercher. Du fond de son malheur, c’est un écrivain comme l’a si joliment résumé Françoise Naudillon « fidèle, loyal, à ses amis et à lui-même ». Si le martyre est bien souvent une posture, on peut trancher rapidement qu’il a un goût héroïque à n’en pas douter chez Bolya. Dans son œuvre, sa vie, ses obsessions. Une mort et une vie, loin de sa terre natale qu’il a quittée jeune et qu’il a retrouvée dans un cercueil. Comme un symbole d’un déchirement irréversible.
Ce texte fait partie des "Damnés de leur terre", une série proposée par Elgas, publiée une première fois sur le site béninois Biscottes littéraires, en décembre 2020. Elle revient sur des parcours, des destins, vies, de cinq auteurs africains qui ont marqué leur temps et qui restent au cœur de controverses encore vives. Axelle Kabou, Williams Sassine, Bolya Baenga, Mongo Béti, Léopold Sédar Senghor. La série est une manière de rendre hommage à ces auteurs singuliers et de promouvoir une idée chère à Elgas : le désaccord sans l’hostilité, comme le fondement même de la démocratie intellectuelle et littéraire.
Le prochain épisode est à lire sur SenePlus lundi 23 août.