Que va devenir le groupe Kassav après le décès de Jacob Desvarieux ? La chanteuse Jocelyne Béroard a sa petite idée. «Continuer sans Jacob, cela ne va pas être possible», a déclaré la chanteuse qui a fait la connaissance du défunt guitariste en 1980.
La faucheuse, une fois de plus, a frappé fort. Et les fans de Kassav devront rester forts. Jacob Desvarieux, le cofondateur du mythique groupe de Zouk, a rendu l’âme après 65 ans de vie. Si le plus dur a été d’apprendre la disparition du père du zouk moderne, les fans devront désormais composer avec le lourd fardeau qu’est l’absence de Jacob. Qui était la pierre angulaire du groupe. Ainsi, que deviendra Kassav sans Jacob ? Cette question a été posée à la chanteuse Jocelyne Béroard.
Dans une interview accordée au journal Le Parisien, la chanteuse de Kassav s’est interrogée sur l’avenir du groupe sans son fondateur. «Continuer sans Jacob, cela ne va pas être possible», a déclaré Jocelyne Béroard, en citant la perte d’un premier chanteur, Patrick Saint-Eloi, en 2010. «Sans Jacob, est-ce qu’on a le droit d’appeler encore le groupe Kassav ? Je ne sais pas, on va y réfléchir. Je crois qu’il est peut-être bon de penser autrement aujourd’hui», a-t-elle ajouté. Jocelyne Béroard avait rencontré Jacob Desvarieux en 1980, peu de temps après qu’il a cofondé le groupe Kassav. Trois ans plus tard, elle le rejoignait en tant que choriste.
Très attristée par la mort du chanteur qu’elle peine encore à réaliser, l’artiste de 66 ans a fait l’éloge de celui-ci dans les colonnes du Parisien dimanche. «Jacob avait cette intelligence de l’harmonie entre tous les instruments. Quand il composait pour le zouk, il ne fallait pas qu’un instrument en gêne un autre», a-t-elle analysé, très admirative de la rigueur de son comparse. Survenue le 30 juillet passé, la mort de Jacob vient jeter un pavé dans la mare sur le débat anti vaccin.
En effet, alors qu’il avait pris ses doses du vaccin, le chanteur a développé une forme grave de la maladie avant de rendre l’âme. Un fait qui a relancé sur internet le débat sur l’efficacité du vaccin. «Sur le cas du triste décès de notre ami Jacob Desvarieux et ses trois vaccins, quand on est greffé, transplanté, on prend à vie un traitement immunosuppresseur qui empêche le système immunitaire de réagir et détruit le vaccin. On fait 3 ou 4 vaccins en espérant...», a expliqué avec beaucoup de pédagogie la journaliste de CNews.
Une vie artistique pleinement réussie
Jacob Desvarieux naît le 21 novembre 1955 à Paris. Il n’a que trois mois lorsqu’il arrive en Guadeloupe avec sa mère. Ils vivent entre l’île papillon et la Martinique pendant dix ans. Sa mère aimant voyager, il la suit d’abord en France avant d’arriver au Sénégal où ils s’installent durant deux ans. Quand elle lui offre sa première guitare à l’âge de dix ans, il apprend à jouer avec des copains.
Tombé amoureux de l’instrument, il s’envole ensuite pour Marseille où il fonde le groupe de rock The Bad Grass avec ses amis Francis Cauletin, Phillippe Drai, Chris - tophe Zadire et Achille Ango. Avec le groupe Sweet Bananas, il enregistre le titre Bilboa dance, générique d’une émission matinale sur Rmc. Il rejoint par la suite le groupe Ozila. De retour à Paris en plein âge d’or du disco, il devient musicien et arrangeur de studio. C’est là qu’il fait la rencontre de Pierre-Edouard Decimus avec qui il crée le groupe Kassaven 1979.
Le groupe antillais réunissant entre autres les voix de Jocelyne Béroard, JeanP hilippe Marthely, JeanClaude Naimro ou encore Patrick Saint-Eloi, commence les tournées en 1982. Jacob Desvarieux a également sa propre carrière solo. Après plusieurs albums, il crée en 1987 le concours de chant «Le rêve antillais».
En 1999, il sort l’album Euphrasine’s blues. Fort de plusieurs belles collaborations, il réalise en 2003 avec Passi une chanson sur l’album Dis l’heure 2 zouk, Laisse parler les gens, qui rencontre un franc succès. En 2017, il devient parrain de l’Association 1 pour tous, tous pour l’autisme.
Le 18 juillet 2021, il est testé positif au Covid-19 et placé en réanimation. L’artiste, étant diabétique et affaibli par une greffe d’un rein, est surveillé de près.
THIÈS : KING MIC MET UN PREMIER ALBUM SUR LE MARCHÉ
THIÈS : LE RAPPEUR KING MIC MET UN PREMIER ALBUM SUR LE MARCHÉ |
Publication 02/08/2021
Thiès, 1 er août (APS) - Sidy Koovi Godjo, alias King Mic, rappeur et élève au lycée technique de Thiès, a annoncé à l’APS la sortie officielle, le 7 août, de son premier album de 18 titres intitulé ’’beut ak lamigne’’ ((l’oeil et la langue, en wolof).
Il aborde des thèmes religieux, métaphysiques, éducatifs, sociétaux, comme l’authenticité de la femme noire, la cohésion religieuse, la mort, l’universalisme, le chômage, la débrouille des mères au marché pour peu de gain, etc., a expliqué le rappeur à l’APS.
Parmi ses principaux messages, ’’l’importance de croire en Dieu, de garder ses valeurs’’, mais aussi de ’’croire en ses rêves et d’aller jusqu’au bout’’.
Cet album s’inscrit dans la continuité de huit premiers titres, qu’il avait sortis en 2018, année où il avait obtenu son bac, et qui avaient été, selon lui, ’’appréciés’’ par le public.
’’L’oeil et la langue sont deux choses dont il faut se méfier, parce qu’elles trahissent facilement’’, dit-il, en commentant le titre de sa production. Par eux, ’’on juge la personne sans la connaître’’.
D’abord danseur, le jeune qui réside au quartier Fahu, a piqué le virus du rap, en 2014, alors qu’il était en classe de seconde, auprès de son frère qui était aussi rappeur.
Agé de 26 ans, l’élève inscrit en première année de froid industriel au Lycée technique de Thiès, combine à la fois le rap, le métier de frigoriste auquel son frère aîné l’a initié depuis la classe de CM2, et qui lui permet de financer sa production musicale et les études, qu’il privilégie par dessus tout.
’’Pour l’instant, je me concentre surtout sur les études. Les études avant tout’’, insiste King Mic qui se veut un artiste ’’engagé pour la cause des opprimés’’.
Né à Thiès d’un père béninois et d’une mère malienne, le jeune rappeur qui revendique fièrement sa culture sénégalaise, compte visiter les pays d’origine de ses parents.
DIRE QUE LE COVID N'EXISTE PAS EST UN MANQUE DE RESPECT ENVERS LES PROCHES DES MORTS DE LA PANDÉMIE
Dans cet entretien, l'artiste Omar Pène évoque son nouvel album dont la direction artistique est confiée au guitariste Hervé Samb. Il parle de la crise sanitaire et de ses effets sur le secteur de la culture
Présent sur la scène musicale, depuis près de quarante ans, Omar Pène fait partie de ceux qui ont écrit les plus belles pages de l’histoire de la musique sénégalaise. Après une absence de neuf ans du marché musical sénégalais, il revient avec un nouvel album de neuf titres. Il est intitulé “Climat’’ et traite de divers thèmes actuels. Cela va du réchauffement climatique au terrorisme. Dans cet entretien avec EnQuête, il parle de cette nouvelle production dont la direction artistique est confiée au guitariste Hervé Samb. Il parle de la crise sanitaire et de ses effets sur le secteur de la culture.
Parlez-nous du contenu de votre nouvel album intitulé Climat
C’est un album de neuf titres. J’ai décidé de le baptiser ‘’Climat’’, parce que le réchauffement climatique est une question d’actualité. J’évoque également dans cette production une autre question d’actualité qu’est le terrorisme. C’est un problème réel qui est là. Il y a une chanson titrée ‘’Emergence’’. Je trouve qu’elle est importante pour des pays comme le nôtre. J’ai profité aussi de cette production pour remercier ceux qui m’ont aidé, soutenu et prié pour moi pendant ma maladie. J’ai encore rendu hommage à tous ces jeunes qui supportent ma musique et réunis autour d’Afsud, ainsi tous ceux qui n’y sont pas, mais qui aiment ma musique et me surnomment ‘’Baye Pène’’. C’est un lien affectif inestimable.
La direction artistique de cet album est confiée à Hervé Samb. Au-delà du fait qu’il est un ancien du Super Diamono, qu’est ce qui a déterminé le choix porté sur lui ?
J’ai travaillé avec lui pendant mes tournées à l’international. C’est un projet que j’ai partagé avec lui et d’autres musiciens qui ont participé à cet album. Après mon dernier album acoustique ‘’Ndayaan’’, il nous fallait en sortir un autre. J’ai alors pensé à lui. On avait déjà travaillé ensemble et il me connait très bien artistiquement. Aussi, comme il est encore dans le circuit international, il connait très bien la world musique, je me suis dit pourquoi pas lui pour m’accompagner dans mon nouveau projet. Hervé joue encore avec de grands artistes et je savais qu’il pouvait apporter des choses importantes à cet album. Et il tenait également à faire cet album avec moi. Donc, je ne suis pas allé chercher loin. J’ai décidé de le faire avec lui. Mais à peine avait-on commencé à travailler, je suis tombé malade. On a dû arrêter le travail, en attendant que je me rétablisse. Donc, on a commencé à travailler sur ce projet, depuis longtemps. C’est dernièrement qu’on l’a repris, quand j’allais beaucoup mieux.
Comment fait Omar Pène pour que sa musique ait ce goût du passé et soit en même temps actuelle ?
C’est l’enracinement et l’ouverture. Ce qui est très important pour moi. On essaie de garder notre identité. Je suis Sénégalais et Africain. Il y a une part de ma musique que je puise ici. Quand on parle d’Omar Pène, on parle du Sénégalais. Omar Pène du Sénégal, dit-on. C’est mon identité. Il n’empêche qu’on soit ouvert à d’autres influences musicales venues d’ailleurs. Il y a des gens qui ont participé à la réalisation de l’album et qui ne sont pas des Sénégalais. Ce sont des rencontres qui sont créés, des liens tissés. Chacun peut y trouver son compte, qu’on soit Africain ou Européen. La musique n’a pas de frontières comme on dit. En écoutant l’album, on se rendra compte que je n’ai pas perdu mon identité, mais que j’ai une certaine ouverture permettant à un plus large public de consommer ma musique.
A peine l’album est sorti sur les plateformes digitales qu’il a été piraté ?
La piraterie est là, depuis longtemps. Ce n’est pas la première fois que je vis ce genre d’expériences. C’est triste. Malgré des efforts faits par l’Etat et ceux qui s’occupent du secteur de la musique, le problème persiste. Et les pirates ne ratent aucune occasion. Même après une émission à la télévision, on retrouve le contenu dans des CD vendus aux feux-rouges, dès le lendemain de la diffusion à la télé. On essaie de vivre avec finalement. On a beau dénoncer et essayer des choses pour contrer cela, en vain. Je pense qu’il ne nous reste plus qu’à dire à ceux qui nous écoutent, aux mélomanes, à ceux qui aiment la musique de nous aider. Eux seuls peuvent nous aider en refusant d’acheter ces CD contrefaits. Qu’ils essaient d’acheter les productions originales pour nous aider. Il n’est pas facile de réaliser un album. Cela requiert beaucoup de moyens financiers. Il est malhonnête que des gens qui n’ont pas investi un franc dans nos projets en récupèrent des bénéfices.
Avez-vous une idée de combien vous avez perdu ?
On ne peut quantifier nos pertes. On ne sait pas combien de CD le contrefacteur a sorti. Et ces gens dépensent des miettes pour ne pas rien dire pour gagner derrière de l’argent. Le plus désolant, c’est qu’il altère la qualité du produit. Cela annihile tous les efforts de l’artiste qui a tout fait pour présenter à son public un produit de qualité. Ils ne se soucient ni de la qualité ni de celle du produit. Il n’y a que le gain facile qui les intéresse.
On ressent actuellement ici les effets du réchauffement climatique, avec la raréfaction des pluies. Quelle doit être la position de l’Afrique pour faire face à ce problème ?
Ils doivent s’unir et parler d’une même voix. L’Afrique est le continent le plus pauvre, comme on dit. Ce qu’on voit se passer ailleurs, si ça se passe ici, il nous sera difficile de régler le problème et de limiter les dégâts. On manque de moyens. Il nous faut nous lever maintenant et essayer de tout faire pour ne pas que la situation s’exacerbe chez nous. La pollution est l’une des causes du réchauffement climatique. Or, les plus grands pollueurs ne se trouvent pas en Afrique. Il faut que les Africains parlent aux grands pollueurs et fassent entendre leurs voix, parce qu’on partagera tous les conséquences. Il nous faut nous préparer aussi pour que les impacts, devant certaines intempéries dues au réchauffement, soient réduits.
La pollution en Afrique est souvent l’effet de multinationales étrangères. Nos gouvernants ne devraient-ils pas commencer par régler cette question ici ?
Il y a certaines situations qui s’imposent à nous. On ne peut les refuser, parce qu’elles nous permettent de régler certains problèmes. Malgré tout, il faut y aller, le faire en toute intelligence. Parce qu’on ne peut pas prendre en charge certaines conséquences de ces problèmes. On n’en a ni les moyens ni la force. Maintenant, il y a des gens qui ne croient pas au réchauffement climatique et qu’on appelle les climato sceptiques. Cette frange n’est pas à minimiser. Il faut les prendre en compte. Il faut des organisations fortes pour sensibiliser les dirigeants et la population. Si je prends l’exemple du Sénégal, aujourd’hui, des villages entiers, jadis situés sur la langue de Barbarie, ont disparu. Ce sont les conséquences du réchauffement climatique.
Donc, au Sénégal, on vit ce problème. Il nous faut donc davantage nous organiser. Il faut que les gens sachent également que l’arbre est un élément important de notre environnement. Cela tout le monde le sait. Les spécialistes l’ont assez dit. On a même organisé ici de grandes campagnes de reboisement. Il ne faut pas que les spécialistes se découragent. Qu’ils poursuivent les plaidoyers. Ils sont importants. On ne règle pas les problèmes par la violence, mais par la sensibilisation. Les experts de quels que domaines qu’ils soient ne doivent pas se taire face à certains problèmes. Non !
Le titre ‘’Emergence’’ est-il un clin d’œil au pouvoir en place ?
On dit souvent de certains pays qu’ils sont émergents. C’est une vérité. Je suis allé dans des pays dits émergents. Ce que j’y ai vu et vécu, je veux bien que mon pays le connaisse, le vive. Emergence signifie progrès et avancements sur tous les plans. Les pays émergents ont de bonnes infrastructures permettant à leurs populations d’améliorer leurs conditions de vie. C’est très bien. Nul ne veut éternellement demeurer à une station statique. Tout le monde aspire à avancer. Quand on vit dans un pays et qu’on nous propose un bon programme, on ne peut que le soutenir, si on est patriote. Moi, je soutiens ce projet d’émergence. Je pense que s’il est concrétisé, la population y trouvera son compte. Mais, je le dit clairement dans la chanson, il faut travailler pour le concrétiser. Ce qui m’intéresse, c’est vraiment l’avancée du pays. Maintenant, si c’est le pouvoir en place qui a la bonne idée de mettre sur pied un programme pour l’émergence du pays, je ne vois pas pourquoi on ne dirait pas que c’est bien.
Vous avez parlé de terrorisme dans votre album. A votre avis, quel devrait être l’attitude des dirigeants africains pour faire face à ce problème ?
D’abord, ce qui m’a poussé à en parler dans mon album est que j’ai constaté qu’il ne cause que des dégâts. Il n’a causé que tristesse et peur dans les pays où il s’est manifesté. En tant que Sénégalais, en ayant constaté cela ailleurs, j’ai tenu à sensibiliser nos dirigeants pour qu’ils prennent leurs précautions. Il ne faut pas penser que cela n’arrive qu’aux autres. Nos voisins vivent cette problématique. On l’a vu. Il nous faut des mesures fortes pour faire face. C’est un phénomène dangereux qui nous retarde, nous fait perdre des gens qu’on aime et nous installe dans une certaine instabilité. Il faut prendre le problème à bras le corps, dès à présent, et ne pas attendre que çà explose pour chercher des solutions. Il vaut mieux prévenir que guérir. Ceux qui vivent cela sont dans problèmes inexplicables. Je sensibilise également les Sénégalais. Qu’ils sachent que c’est un problème qui existe.
Ici, les autorités ont l’air de l’avoir bien compris avec la révision du Code pénal. Mais certains trouvent, à travers la révision de la loi concernée, un acte politique qui viserait plus des adversaires politiques. Etes-vous du même avis ?
Il y a des gens qui vivent ce phénomène actuellement et on ne peut forcément dire que c’est à cause d’hommes politiques. Il nous faut dépasser certaines considérations et rester positif. Qu’on se dise que c’est pour le bien de tous et pour la préservation de nos acquis. Il faut qu’on se dise que : quand on est dans un pays où ne règne pas la paix, on ne peut rien y faire. Il n’y a pas que les hommes qui vivront les affres du terrorisme. Donc, si on propose une loi pour, au plan des sanctions, mieux prendre en charge la question du terrorisme, je n’y vois pas d’inconvénients. On veut continuer à vaquer tranquillement à nos occupations, sans peur de voir ce qui se passe ailleurs et appelé terrorisme se passer chez nous. S’il y a d’autres préoccupations différentes de celles-ci, je ne saurais le dire. Je suis un citoyen sénégalais, porteur de voix et je réfléchis sur des questions actuelles. J’essaie de protéger mon pays, en sensibilisant sur quelques maux. C’est ma seule préoccupation. Je prie pour qu’on ne connaisse jamais le terrorisme au Sénégal.
Ailleurs, certains associent le terrorisme à la religion musulmane.
Je ne le conçois pas ainsi. Je ne peux peut-être pas étayer mes propos, grâce à des versets, mais l’islam que je connais n’est que paix et amour. Cette violence que j’ai vue n’a rien à voir avec la religion musulmane. Je ne peux comprendre et je refuse de croire que des musulmans puissent en attaquer d’autres qui prient dans une mosquée. On y invoque Dieu et quelqu’un sort de je ne sais où avec un ‘’Allahou Akbar’’ et lance une bombe. Ce n’est pas l’islam cela.
Actuellement, le monde vit également un autre problème : la Covid-19. Au Sénégal, il est constaté un certain déni. D’aucuns ne croient plus vraiment en l’existence de la maladie. Quel est votre message à l’endroit de ceux-là ?
Ceux qui ont perdu des parents proches, des amis, des connaissances, ... ne diront jamais ne pas croire en l’existence de cette maladie. Personnellement, il y a certains membres de mon entourage qui sont actuellement touchés par le virus et alités. Il y en a d’autres qui ont été éprouvés, soignés et qui sont guéris. D’autres proches sont décédés. Je ne suis pas de ceux qui diront que cette maladie n’existe pas. Je pense également que les gens n’ont vraiment pas de temps à perdre pour créer de telles histoires, immobiliser le monde pour des affabulations. Ils pensent que les gens ont vraiment le temps, l’énergie et les ressources financières à gaspiller pour alimenter une telle tromperie. Qui y perdra ? Cela n’a aucun sens. Le virus est là et tue beaucoup de gens. Il faut qu’ils sachent qu’on est en pandémie. Le Sénégal n’est pas le seul pays concerné.
Ceux qui disent que la maladie n’existe pas, qui ne prennent aucune précaution ne mettent pas que leur vie en danger, ils compromettent celle de leurs proches. Il faut qu’on se ressaisisse. Nous qui sommes dans la culture vivons de plein fouet les affres de cette pandémie. Tous les lieux de spectacle sont fermés. On ne travaille plus, à cause de la crise sanitaire. Face à tout cela, si des gens continuent à soutenir que cette maladie n’existe pas, je ne saurai les comprendre. Cette maladie existe et tue. Rien que le nombre de morts ces temps-ci devraient convaincre les plus sceptiques. Il y a des familles éplorées, décimées. Je pense que c’est même un manque de respect envers ces familles qui ont perdu des proches que de dire la Covid n’existe pas.
La Covid va, à coup sûr, avoir un impact sur la promotion de votre nouvel album. Avez-vous une idée des répercussions financières ?
Les pertes ne sont pas quantifiables. On avait des contrats qu’on ne peut aujourd’hui honorer. Les reports s’enchainent. Le Fan club Omar Pène préparait, depuis bien longtemps, une soirée qui devait normalement se tenir ce 14 août. Mais, on est obligé aujourd’hui de reporter. Cette interview, on devait la faire en live, mais, on est obligé d’enregistrer une vidéo via un réseau social. Tout cela à cause de la Covid. Cette pandémie a un impact inimaginable sur notre travail. On n’est pas les seuls à vivre cela. Il y a des combats de lutte qui devaient se tenir, ce weekend, et qui ont été reportés. Je suis sûr qu’il y a d’autres secteurs qui sont aussi impactés que nous autres. Cette maladie cause beaucoup de dégâts, au-delà des nombreux décès qu’elle cause. C’est pour cela que je me demande sur quelle planète évoluent ceux qui ne croient pas en l’existence de cette maladie.
L’Etat a quand même essayé d’aider les artistes. Il les a soutenus financièrement, deux fois. Mais l’on ne peut dire que cela a eu un grand effet, avec des enveloppes de moins de 150 mille FCFA. Si, avec cette 3e vague, l’Etat se sent obligé d’aider encore les artistes, à votre avis ne serait-il pas mieux de revoir la forme ?
Il faut peut-être en discuter. Mais, je pense que ces 150 mille ont quand même pu aider certains aussi minimes soient-ils. Il est possible qu’en prenant les avis des uns et des autres, d’aucuns diront qu’ils préfèrent qu’on leur donne ces 150 pour faire bouillir leur marmite, au moins pendant quelques jours, ou payer leurs factures d’électricité ou d’eau. Il faut penser à tout le monde, en prenant certaines décisions. Aussi, les artistes ne sont pas les seuls à ressentir les conséquences de la pandémie. Tous les autres secteurs le vivent. Donc, l’Etat ne saurait également se concentrer sur un seul secteur. Il ne peut pas non plus aider, comme il se doit, tous les secteurs. Aujourd’hui, le défi à relever est l’élimination de la pandémie. C’est la seule solution. Toute autre chose n’est que pure diversion. Pour faire face, il faut des armes. Et on les connait. Il faut se faire vacciner et respecter les mesures barrières, comme édicté par les médecins. Tant qu’on ne le fait, les problèmes persisteront.
Quelle est la leçon que les artistes devraient tirer de cette situation ?
On ne peut plus travailler aujourd’hui. On n’a plus de revenus. On n’a aucune solution. Aujourd’hui, on n’utilise nos voix pour sensibiliser la population ; pousser les gens à respecter les mesures barrières.
Ne pensez-vous pas qu’il est temps de repenser votre manière de travailler en vous appuyant sur le digital qui offre beaucoup de possibilités ?
Il faut quand même des ressources financières pour faire cela. On en est à un point où c’est ce qui manque le plus. Aussi, on s’expose au piratage. Quand on fait un concert en ligne, on risque de le retrouver, le lendemain, en CD vendu dans les rues.
Vous êtes l’ambassadeur des étudiants à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Mais n’est-il pas temps de porter le plaidoyer pour que l’Ucad soit dépeuplé ?
Il y a presque plus de 80 mille étudiants à l’université. Il est plus que clair qu’il faut ouvrir d’autres universités. Il faut le reconnaître, l’Etat est en train de faire des efforts dans ce sens. Chaque année, le nombre sera en hausse. L’examen du baccalauréat se tient actuellement. Ceux qui réussiront vont être orientés dans les universités. Par conséquent, il faut penser aux capacités d’accueil des instituts existants et penser à en créer d’autres. L’université Cheikh Anta Diop a dépassé depuis longtemps sa capacité d’accueil. Ce n’est plus un secret et c’est un problème à résoudre.
Après les études, ces jeunes ont également des problèmes pour trouver un travail. Des programmes sont aujourd’hui montés par l’Etat, à votre avis quelle politique devrait être mise en place ?
Il faut créer des entités capables de les recevoir et de leur donner un emploi décent. Ceux qui n’ont pas eu la chance de faire des études poussées, il faut créer pour eux des centres de formation, afin qu’ils aient un métier. Il nous faut des ouvriers qualifiés. Il faut que chacun se choisisse une voie, un métier. Mais, si on veut tous travailler dans les bureaux ou être fonctionnaire, ce n’est pas possible. J’ai un morceau titré ‘’Métier’’ et je lance un message aux jeunes pour leur dire qu’il est impératif d’avoir un métier, savoir faire quelque chose. Et si certains pensent que l’Europe est la solution, ils se leurrent. Je connais des gens qui sont en Europe et ont des problèmes. Ils veulent rentrer et ne peuvent pas le faire, parce qu’ayant honte de revenir au pays les mains vides. Il n’est pas facile de trouver un travail en Europe. L’argent n’y pousse pas sur les arbres. Moi, pour rien au monde je ne prendrai pas les pirogues pour aller en Europe. Quand on a un métier, il vaut mieux s’organiser et y croire pour s’en sortir. Des gens travaillent ici et réussissent. Il y a des exemples à foison.
Vous avez une expérience de plusieurs années. Votre parcours pourrez peut-être inspirer tous ces jeunes. Voulez-vous bien y revenir ?
J’ai un long parcours. Il me serait très difficile de revenir sur tout. Je peux juste leur dire que c’est la voie que je me suis choisi. Personne ne me l’a imposée. Et je n’y suis pas entré à cause ou grâce à quelqu’un. Je l’ai choisi de manière lucide étant jeune. Chaque jeune a son vécu. Et les jeunes qui me suivent et avec qui je parle, selon les contextes, je puise dans ce vécu-là pour les conseiller. Beaucoup de jeunes me suivent aujourd’hui, aiment ma musique, parce que considérant que j’ai un parcours exemplaire. Et je reste convaincu que, quand on s’engage dans une voie avec une forte conviction, qu’on se donne les moyens de réussir, on réussit forcément. Je pense que l’essentiel du public connait mon parcours et, à mon âge, il me serait difficile de revenir sur certaines choses.
Tous ceux qui vous écoutent s’accordent à dire que vos textes sont profonds, les thématiques actuelles. Comment les choisissez-vous ?
Je n’ai pas eu la chance de faire des études poussées certes, mais, je me documentais beaucoup. C’est la rue qui m’a formé. Tout ce que je sais, c’est grâce à cette rue. Ainsi, c’est dans la rue, au cours d’échanges et de discussions avec diverses personnes qui m’ont permis de développer un certain esprit critique. J’allais assister à des débats pour pouvoir apprendre des choses. Je lisais, malgré mon niveau d’études, Cheikh Anta Diop et d’autres. Quand je ne comprenais pas certaines choses dans mes lectures, je posais des questions à mes amis intellectuels et ils me les expliquaient. J’étais un jeune curieux. J’ai toujours cru et tenu en mon africanité. Je suis panafricaniste convaincu.
Je me suis beaucoup documenté pour connaitre les problèmes de l’Afrique et voir éventuellement quelles solutions pourraient être proposées. J’ai dénoncé les guerres, les coups d’Etat. J’ai très tôt su ce que je voulais faire, sensibiliser ceux qui m’écoutent. Quand je ne parle pas de cela, je chante mes amis. Pour moi, l’amitié est sacrée. Certaines valeurs tendent à disparaitre. Les gens sont devenus opportunistes. L’amitié est importante dans ma vie, parce que mes plus grands moments je les ai vécus avec mes amis et non pas avec des parents. Je tiens à ces moments-là, à ceux avec qui je les ai vécus. J’ai choisi, en faisant de la musique, de proposer des choses utiles, qui peuvent servir.
Comment avez-vous fait pour résister, avoir cette identité particulière Super Diamono, et ne pas être emporté par toutes les influences musicales des années 1980 ?
Quand on a une conviction, on n’est pas influençable. Il faut croire en une chose pour la réussir. Dieu sait que, quand on commençait, beaucoup ne croyaient pas que cette musique pourrait être écoutée, encore moins être aimée. Ils ont essayé de nous décourager, en nous demandant d’essayer de faire autre chose. On restait pendant des mois sans contrat de prestation. On ne jouait pas, parce que les gens n’aimaient pas notre musique. Mais nous croyions en cette musique-là, même si, à l’époque, le salsa mbalax était très prisé. Les gens nous raillaient en nous disant : ‘’mais c’est quoi cette musique ; c’est du jazz ou quoi ; personne ne peut danser sur cette musique’’. Mais cela nous importait peu, tout comme l’argent. On aimait cette musique-là qu’on faisait et nous disions que cela marcherait. C’est pour cela que je me dis que quoiqu’on fasse, il faut y aller avec conviction. Aujourd’hui, nous avons eu raison de garder le genre qu’on s’est choisi.
Si la musique ne marchait pas pour vous, quel autre métier aviez-vous en ligne de mire ?
J’avais le choix entre être musicien ou être footballeur. Le football était mon premier choix étant enfant. J’avais des prédispositions qui me permettaient de devenir footballeur professionnel. Quand j’ai commencé à faire de la musique, ma passion pour cette dernière est devenue plus forte. Mais jusqu’aujourd’hui, le football reste mon sport préféré. D’ailleurs, ceux qui me connaissent bien savent que je ne prends pas d’appels, quand il y a un match.
Quel est votre club et votre joueur préférés ?
Au Sénégal, mon club de cœur est le Jaraf. Depuis que je suis jeune, je supporte ce club. Je leur ai dédié un titre et j’y compte beaucoup d’amis. Et mon joueur préféré c’est Cheikh Seck qui ne joue plus. A l’international, je supporte l’équipe de Marseille. C’est une équipe où sont passés beaucoup de Sénégalais. D’ailleurs, quand des gens veulent m’offrir des cadeaux, ils me donnent un maillot de Marseille. Pour mon joueur à l’international, je porte mon choix sur Lionel Messi. En plus d’être un footballeur, il est un artiste. En football, on parle de rythme, de mélodies, de symphonie comme en musique. Messi est un artiste du ballon. Il nous donne du plaisir nous qui le regardons. Il nous subjugue plus, quand on découvre son histoire et son parcours avant d’être au stade où il est aujourd’hui.
«YOU ET MOI N’AVONS JAMAIS ÉTÉ EN GUERRE, ON A ÉTÉ DES CONCURRENTS»
Le lead-vocal du Super Diamono, Omar Pène, juge positive et constructive sa rivalité supposée avec Youssou Ndour que leur prêtent leurs fans. Il se mobilise pour le climat qui est le thème de son nouvel album
Le lead-vocal du Super Diamono, Omar Pène, juge positive et constructive sa rivalité supposée avec Youssou Ndour que leur prêtent leurs fans. Il se mobilise pour le climat qui est le thème de son nouvel album. Dans cet entretien Omar Pène parle de ses rapports avec les étudiants et prône le retour aux valeurs sénégalaises, entre autres sujets.
Le lead-vocal du Super Diamono, Omar Pène, juge positive et constructive sa rivalité supposée avec Youssou Ndour que leur prêtent leurs fans. Il se mobilise pour le climat qui est le thème de son nouvel album. Dans cet entretien Omar Pène parle de ses rapports avec les étudiants et prône le retour aux valeurs sénégalaises, entre autres sujets.
Votre nouvel album climat. Pourquoi climat ?
Climat, c’est par rapport au réchauffement climatique. Pour moi, c’est du sérieux. Certaines personnes n’y croient pas, mais disons que c’est quelque chose qui nous interpelle tous. En tant que citoyen du monde, j’ai vu qu’antérieurement et même par rapport aux Cop qui ont été organisés, rien n’a été fait de concret pour parer à toute éventualité. Je profite de mon album pour porter ma voix. Je la joins à celles qui sont déjà présentes pour sensibiliser les décideurs. C’est du sérieux et certaines mesures doivent être prises pour apporter une plus grande attention à ce phénomène qui est le réchauffement climatique.
D’où vous vient cette conscience écologique ? Est-ce une expérience que vous avez vécue ?
Je suis citoyen du monde, concerné par tout ce qui se passe dans ce monde où nous vivons, quelqu’un qui est bien informé, je suis les actualités. C’est un phénomène qui m’a interpellé quand je vois des images. Jusqu’à présent nous vivons cela et ça prend quand même des proportions assez inquiétantes. Même chez nous au Sénégal, vous allez à Saint-Louis, au niveau de la Langue de Barbarie, l’océan est en train d’avancer et a englouti certaines habitations. Tout cela est dû au réchauffement climatique. Je me suis dit pourquoi ne pas apporter ma voix, l’associer à celles qui sont déjà sur place pour sensibiliser. Il faut dire aux gens que nous sommes tous concernés. Vu que nous ne sommes pas un pays développé, si jamais il se passe un tsunami, je ne le souhaite pas, dans nos côtes ou tout près de chez nous, c’est nous qui allons en pâtir le plus.
Quand on parle de pollution, ce sont les pays développés qui polluent, mais c’est nous qui subissons les conséquences de ces changements…
Exactement ! Nous ne sommes pas pollueurs comme certaines grandes puissances. Mais si jamais il se passe une catastrophe, c’est nous qui allons subir les plus lourdes conséquences.
Est-ce que vous pensez que nos gouvernants doivent être plus réactifs et parler de ces questions aux populations ?
Absolument ! Il faut être présent et porter la bonne parole, assister aux différentes réunions tenues à travers le monde pour porter la voix de l’Afrique. C’est extrêmement important. On parle de Fonds vert, mais il faut qu’il puisse servir plus aux pays démunis qu’à ceux déjà développés.
Et ce message, voulez-vous le porter au niveau mondial ?
Absolument ! En tant que Sénégalais, je suis francophone, j’utilise la langue française pour mieux porter le message au niveau international.
Cet album à peine sorti, vous dites qu’il a été piraté. Est-ce à dire que vous n’avez pas pris des précautions pour le protéger ?
On a pris toutes les précautions. Mais quand quelqu’un veut pirater, on n’y peut absolument rien. Depuis combien de temps des voix se sont élevées pour dénoncer cette pratique. Ça ne date pas d’aujourd’hui. Tous les artistes sénégalais disent la même chose. Nous l’avons déploré, nous avons lancé énormément de messages contre ces pratiques, mais on n’y peut absolument rien.
Et c’est la raison pour laquelle vous avez sorti l’album sous un format numérique dans un premier temps pour éviter le piratage ?
Non, justement pour plusieurs raisons. Aujourd’hui, le marché du disque marche de moins en moins. Tout le monde se rue vers le numérique. Même les grandes maisons de disque éprouvent des difficultés pour vendre. Il y a un autre créneau : ce sont les plateformes numériques aujourd’hui qui prennent le relais. C’est un phénomène mondial, tous les artistes du monde courent aujourd’hui vers les plateformes numériques. Il faut se rendre à l’évidence et essayer de ne pas se laisser larguer. Les magasins qui vendaient des disques se sont repliés vers d’autres créneaux.
Est-ce que le public sénégalais suit cette tendance ?
Il faudrait à la limite les inciter à rejoindre cette tendance. Sinon on aura beaucoup plus de difficultés pour vendre nos produits. Il faut les sensibiliser. Aujourd’hui, tout le monde a son téléphone portable. On peut aussi se connecter.
Est-ce que vous avez collaboré avec des maisons internationales ?
Oui, Bilir.
Dans cet album, est-ce que vous avez collaboré avec Hervé Samb que vous connaissez déjà ?
Hervé, on a commencé à travailler il y a 8 ans. C’est lui qui m’accompagne lors de mes tournées internationales. Il fait partie de mon projet international. Le contact a été établi depuis très longtemps. Mais maintenant, il fallait à la limite collaborer encore beaucoup plus. C’est un garçon qui connaît très bien la world music. Il connaît énormément d’artistes sur le plan international.
Quand il a été question de faire un second album, automatiquement on a discuté et le courant passe très bien. Il m’a dit : «Ecoutez, il n’y a aucun problème. Je peux réaliser le projet album. C’est un truc extrêmement important pour moi.» C’est comme ça que ça a débuté, lors d’un voyage qu’on faisait en Guadeloupe. Je crois que le travail a commencé dans un film. Il avait déjà commencé à travailler sur ça. Il m’a proposé des morceaux et c’était parti comme ça.
Est-ce que vous avez continué à travailler à distance ou bien ça s’est fait ici ?
Non, cela s’est fait en France, disons, parce que tous les musiciens qui ont participé à cet album résident en France, sauf Alioune Seck, lui est constamment là-bas. Mais c’est le groupe qui m’accompagne souvent dans mes tournées. On n’a rencontré aucune difficulté pour faire cet album.
Pour la participation de Hervé, est-ce parce que vous vouliez avoir une ouverture à l’international et sur d’autres sensibilités ?
Oui, il y a un peu de ça aussi parce qu’on évolue dans un monde de la world music, c’est la tendance aujourd’hui. Et lui est assez bien présent par rapport à ce genre. La musique pour moi est une question de rencontres. Il y a même des musiciens qui ont joué dans cet album que je ne connais pas en Côte d’Ivoire, parce quand ils faisaient leur partition j’étais déjà à Dakar. C’est la musique qui a parlé et on est arrivé à rassembler toutes ces sensibilités pour en faire un album. Voilà, je crois que c’est la beauté de la musique. Les gens ont été tellement contents de participer à cet album-là. C’était extrêmement important pour nous d’aller chercher ailleurs d’autres sonorités pour en faire un ensemble qui pourrait à la limite ressembler à ce que nous ressemblons et ce que nous sommes.
Pour Fada Freddy, c’est vous qui êtes allé le chercher ou l’inverse. Comment votre collaboration s’est passée ?
C’est nous qui sommes allés le chercher parce que c’est à la mode d’inviter des artistes pour des «featurings». Tous les artistes le font. Comme on a décidé d’inviter un artiste, il y a beaucoup de noms qui ont circulé, des noms sénégalais, d’autres artistes. Mais on s’est dit pourquoi ne pas aller chercher chez nous pour voir quelqu’un qui a le profil. Et là, toutes les pensées sont allées vers Fada Freddy, parce qu’on le connaissait déjà et on l’a suivi depuis très longtemps. On s’est dit que lui, dans cette chanson, a le profil. Et Dieu sait qu’on ne s’est pas trompé. Il a très bien chanté et on a tous apprécié sa partition.
Malgré le fait que l’album soit ouvert à d’autres sensibilités, vous avez quand même conservé cette touche du Super Diamono qui fait votre particularité. Est-ce que ce fut un travail compliqué pour vous ?
Ce n’était pas compliqué parce que j’ai tenu à garder mon identité. Ce qui est extrêmement important pour moi, parce que c’est Oumar Pène le Sénégalais. Je suis Sénégalais. Culturellement, je vis dans un pays qui est très riche. C’est pour garder mon identité culturellement encore une fois. Mais je suis allé vers d’autres sensibilités. C’est ça qu’on a voulu faire. C’est pour cela qu’on a invité des artistes qui ne sont pas Sénégalais, ne parlent même pas wolof et qui ont apporté leur touche, notamment des cordes, des violons, d’autres instruments qui ne sont pas de chez nous.
Sur cette chanson que vous partagez avec Fada Freddy, vous parlez de calomnie. Est-ce une thématique que vous avez choisie pour une raison particulière ?
Non, c’est juste pour sensibiliser parce que je m’adresse à des gens, une société qui a ses tares aussi. Disons simplement que ce sont des choses qui existent et que je n’ai pas créées. Ce sont des choses que je constate, que nous vivons justement et qui ne sont pas les meilleures choses au monde, malheureusement. Dire du mal de l’autre, raconter des histoires qui n’existent pas, essayer de créer des problèmes à d’autres qui ne t’ont absolument rien fait, c’est très négatif. Pour qu’une société puisse avancer, il faut éviter certaines tares qui, ma foi, ne font que retarder son évolution.
Vous pensez que toute chanson doit livrer un message ?
Absolument ! Je crois que c’est ça le rôle d’un chanteur, c’est le rôle qui m’incombe. C’est pour cela que je suis devenu chanteur pour non seulement proposer, dénoncer, sensibiliser et essayer d’apporter quelque chose de positif. J’essaie d’apporter quelque chose à ceux qui m’écoutent parce que je rencontre beaucoup de gens qui me disent : «Telle chanson m’a beaucoup apporté dans ma vie, parce que quand je l’ai écouté sincèrement, cela m’a beaucoup plu. Cela m’a fait beaucoup de bien, m’a fait réfléchir et abandonner certaines pratiques pour aller dans l’autre sens.» Je trouve que c’est positif.
Les cas de Covid-19 explosent avec plus de 1 000 cas ou presque par jour. Les gens ne semblent pas conscients du danger. Quel message avez-vous à lancer ?
Je recommande aux gens d’écouter les scientifiques, les soignants parce que ce sont eux qui maîtrisent la chose encore une fois. Quand ils nous disent que c’est du sérieux et nous proposent des vaccins, il faut se faire vacciner. Quand ils nous demandent de porter le masque, il faut le faire. Il en est de même pour le respect des gestes barrières. Cette pandémie est très bien implantée chez nous. Les gens doivent prendre conscience que c’est extrêmement dangereux pour nos populations. Je profite de l’occasion que vous m’offrez pour dire aux gens qu’il faut respecter les mesures barrières et les recommandations faites par les soignants, les scientifiques.
Vous aviez réagi à la violence à l’Université. Récemment des élèves s’y sont mis. On a vu des collégiens saccager leurs salles de classe, attaquer leurs profs… La violence en milieu scolaire, le problème est beaucoup plus profond, plus grave. Que faudrait-il faire ?
C’est de sensibiliser encore plus et prendre des mesures, parce qu’à chaque fait de société, il faut lui trouver des solutions. Il faut toujours chercher la bonne solution, d’où ça vient et pourquoi. Il faut toujours poser la bonne question et à partir de là trouver des solutions.
Vous y avez réfléchi ?
En tant qu’ambassadeur itinérant auprès des étudiants, j’ai tenu énormément de réunions avec eux. Aujourd’hui, il y a un slogan qu’un étudiant m’a proposé : «Nous ne sommes pas là pour créer des problèmes, mais pour trouver des solutions». C’est extrêmement important, des solutions pour étudier dans de bonnes conditions. C’est cela l’essentiel. Vous êtes là pour obtenir un parchemin pour construire votre vie, votre aventure. Autre chose, il faut chercher la bonne formule, étudier, avoir son diplôme, c’est cela l’essentiel. Il ne faut pas faire des choses qui vont vous retarder parce que cela ne sert à rien. Voilà le discours que je tiens à chaque fois que je rencontre les étudiants.
Il y a des gens qui disent qu’il y a une certaine crise des valeurs. Les jeunes n’ont plus cette éducation qui pourrait les préserver de certaines dérives…
Nous vivons dans un monde qui évolue. Aujourd’hui, on dit que le monde est devenu un village planétaire, il faut faire avec. C’est extrêmement important, il faut trouver les bonnes formules. Je ne dis pas qu’on peut régler les problèmes en un claquement de doigts. Il faut être préventif pour parer aux problèmes les plus pressants.
Par contre, il faut essayer de les poser et de trouver des solutions adéquates. On ne peut pas satisfaire tout le monde. Cela n’existe dans aucun pays au monde. Il faut aussi faire avec notre temps. Ce qui se passe aujourd’hui est différent de ce qui s’est passé il y a 10-20 ans. Ce qui se passe aujourd’hui au Sénégal, à la minute qui suit, ceux qui sont aux Etats-Unis sont au courant.
Comment trouver ces solutions ?
Il faut les chercher (rires).
Ça ne vous inquiète pas le fait que la société sénégalaise soit de plus en plus violente ? Les inégalités se creusent entre les riches et les pauvres. Cela ne vous interpelle-t-il pas ?
Bien sûr, ça interpelle tout le monde. Il n’y a pas qu’au Sénégal que ce problème se pose. Vous allez partout dans le monde, il s’y pose. C’est le monde qui est ainsi fait. Il faut vivre avec ses valeurs. Je suis Sénégalais, si je veux vivre comme quelqu’un qui est en Allemagne ou en Italie, ce n’est pas possible. Il faut vivre avec les valeurs sénégalaises. On a des identités qu’il faut respecter, on a nos traditions. On peut se moderniser, mais en tenant compte de nos valeurs.
Pour vous, c’est le mode de vie des Sénégalais qui est en crise ?
Chacun a le droit de vivre, mais comment ? C’est cela la question. Quand on veut vivre au-dessus de ses moyens, ça va être difficile.
Pour parler de musi¬que, les jeunes donnent plus la priorité à la danse, c’est plus pour égayer les gens que pour les conscientiser. Quel est votre regard sur ce que fait cette jeune génération ?
C’est un milieu où chacun fait ce qu’il veut, ce qu’il ressent. Je ne peux pas dire à quelqu’un arrête de faire ceci, fais cela. Je ne m’en mêle pas parce que ce que font les gens c’est par rapport à leur ressenti, à ce qu’ils ont envie de faire. Et il y a des gens qui les aiment pour ça. Il y a des gens qui vont les voir pour ça. S’ils y trouvent leur compte, pourquoi pas ?
Cette jeune génération se distingue aussi par des rivalités entre eux. Ce n’est pas quelque chose de nouveau parce qu’on vous a toujours mis en rivalité avec Youssou Ndour. Mais ce n’était pas aussi violent que la façon dont ça se passe maintenant…
Mais ça dépend. Chacun a sa façon de faire. Je sais que la concurrence appelle la qualité. C’est bien d’avoir des concurrents. De toutes les façons, le monopole n’arrange personne. C’est extrêmement important qu’il y ait quand même de la concurrence, on parle de rivalité. Ça permet de bien travailler et de toujours proposer quelque chose de qualité. Vu sur cet angle-là, je trouve que c’est positif.
Maintenant, il y a d’autres qui font de la concurrence comme une chose qui sort de l’ordinaire. Il se trouve qu’il y a des gens autour de certains artistes qui disent : «Ecoute, tu es le meilleur.» Il faut faire attention à cela, à ne pas dire que l’autre c’est mon ennemi, non. On fait le même métier. Chacun a sa chance.
Donc votre concurrence avec Youssou Ndour vous a poussé à aller plus loin dans ce que vous faisiez ?
Mais on en a parlé, Youssou Ndour et moi, en rigolant d’ailleurs. Parce que je crois qu’à chaque fois, au temps des cassettes, quand Omar Pène sort une cassette, mais les gens s’attendent à ce que Youssou Ndour en fasse de même.
Et c’est le cas, même maintenant ?
Ça c’est dans l’ordre normal des choses. Encore une fois, nous ne sommes pas des ennemis. C’est normal, c’est un artiste, il a le droit de sortir son album quand il veut. Dès qu’il a annoncé la sortie de son album, il y a des gens qui m’ont appelé : «Mais écoute, voilà Youssou Ndour va sortir. Toi tu vas sortir ton album ?» (Rires). C’est toujours la guerre entre Omar Pène et Youssou Ndour. Mais non, non, je ne vois pas les choses comme ça. C’est très bien pour la musique et c’est bien pour les fans aussi.
Vous n’êtes plus en guerre ?
On n’a jamais été en guerre (il se répète). C’est vrai qu’on a été des concurrents. Ça été très positif parce que ça nous a permis de nous améliorer dans ce que nous faisons et ça a beaucoup marqué notre carrière. Là, on le sait et on le dit d’ailleurs.
Vous en avez tiré de la force ?
Effectivement ! Cela nous a beaucoup aidés dans notre carrière et je crois que ça aussi ça a été très positif. Parce que quand on sait que tu es attendu au tournant, si tu dois sortir, mais tu ne sors pas n’importe quoi. Tu fais de ton mieux, ça te fait beaucoup travailler, mais attention parce que l’autre va sortir et il y a du monde derrière, il ne faut pas décevoir. Donc, c’est ça le côté positif de la chose. Et ça, en tout cas, ça m’a beaucoup servi.
Pendant un an et quelques mois, vous êtes resté sans pouvoir jouer à cause du Covid-19. Comment avez-vous passé votre temps ?
Pendant cette période, j’étais en train de travailler sur mon album qui est sorti. Donc, comme ça ne jouait pas, moi c’est ça qui m’a occupé en fin de compte. Je faisais des va-et-vient entre Dakar et Paris pour enregistrer, répéter, travailler sur cet album-là. C’est ça qui a occupé le temps que ça a duré, le temps qu’on est resté sans jouer.
Même sans Covid-19, vous êtes resté longtemps sans jouer, sans faire de concert…
Absolument, parce que j’étais alité. Je suis resté deux ans comme ça. Donc il fallait reprendre de la force, retravailler la voix, vivre avec tout cela, observer ma convalescence, rester tranquille dans mon coin, prendre le temps de me soigner, de me refaire.
Mon dernier album date d’il y a 8 ans. Donc pendant tout ce temps-là, j’ai pris du recul par rapport à cela. Eventuellement, il y a eu même des gens qui racontaient du n’importe quoi à mon sujet, mais j’étais tranquille dans mon coin pour prendre le temps de bien me reposer.
Vous avez réfléchi à quoi par rapport à la musique ?
Il fallait se refaire, ça a pris du temps, mais il fallait respecter le protocole sanitaire simplement. C’est ça que j’ai respecté. Donc cela m’a permis de prendre du recul, plus d’énergie, mais en même temps travailler en silence.
De mûrir des projets ?
Justement !
Il y a certains artistes quand même qui ont eu des ennuis sanitaires et ont des problèmes de prise en charge. Beaucoup indexent la Sodav et son système. Sur cette question, on ne vous a pas entendu.Vous n’êtes pas à «Say wi» ni à la Sodav. Vous êtes où exactement ?
Mais je suis chez moi tranquille (rires). Je suis sociétaire de la Sodav, je touche mes droits à la Sodav. Je ne m’occupe que de ça, sinon le reste je ne m’en occupe pas.
Cette levée de boucliers contre la Sodav…
Je n’en fais pas partie.
Vous n’avez rien à reprocher ?
Je n’ai rien à reprocher, rien à dire. Je ne sais même pas comment ça marche.
Donc, vous n’êtes pas dans «Say wi» ? Ils ne vous ont pas appelé ?
Non.
Pendant les violences de mars, vous étiez au Sénégal ?
Oui.
Et vous avez réagi comment en voyant ce déchaînement de violences dans un pays qu’on considère quand même assez stable démocratiquement ?
Très étonné, et puis je me suis dit qu’il ne faut jamais dire que ça n’arrive qu’aujourd’hui. Nous vivons dans un monde, c’est vrai, qui évolue. Donc il faut essayer d’interpeller les mentalités encore une fois et toujours. C’est ce que j’ai dit très tôt et je n’arrête pas de le dire. Quand il y a problème, il faut essayer rapidement de trouver des solutions. On ne sait pas ce qui peut se passer demain. On ne peut pas prédire l’avenir, mais il faut toujours être prêt à parer au plus pressé.
Le Président a dit entendre la jeunesse et mis en place un programme pour l’emploi. Pensez-vous que cela soit la bonne réponse ?.
S’il l’a dit c’est parce qu’il l’a senti. C’est le président de la République. S’il dit aux jeunes «je vous ai compris», c’est parce qu’il a compris le message. Pour lui, c’est un message. S’il dit qu’il a compris, tant mieux. J’ap¬plaudis.
Que pensez-vous du 3ème mandat ?
Je n’en pense rien du tout. Absolument rien.
L’association des fans avait des problèmes. Est-ce qu’il y a réconciliation ?
Ce sont des jeunes. Je ne suis pas fan des deux côtés. C’est une affaire de fan’s club. Donc c’est à eux de trouver des solutions. Je les sens vraiment toujours autour de moi. C’est ça qui m’intéresse. D’ailleurs, ils préparent leur soirée ratée du 24 décembre pour le mois prochain. J’espère que ça se fera. Avec la nouvelle donne du Covid-19, on croise les doigts.
En tout cas, ils sont très dynamiques. Ils ont bien accueilli l’album parce que je reçois énormément de messages de félicitation, d’encouragement pour me dire qu’on a attendu pendant 8 ans. Ça valait la peine franchement parce qu’ils ont trouvé un album vraiment super. J’ai beaucoup appris. C’est le lien que j’ai avec eux.
Quel genre de relations avez-vous avec eux ?
Ils m’appellent Baye Pène. C’est très affectif cette relation que j’ai avec eux. C’est très touchant. Je ne parle même pas de fan’s club. Je parle de ma famille, ce sont mes enfants. C’est très générationnel. Ceux qui ont créé Afsud (Association des fans du Super Diamono) ne vont plus dans les soirées. Il y a toujours des jeunes qui sont là. C’est ça l’importance de cette association-là. Aujourd’hui, on ne m’appelle plus Omar Pène, ils m’appellent Baye Pène. Dans l’album, je leur ai dédié la chanson Wethié pour leur dire effectivement que j’accepte d’être «le Baye Pène». C’est très affectif et je le prends avec beaucoup de plaisir.
Cela fait quoi de savoir qu’il y a une foule de gens derrière vous ?
J’ai toujours dit que c’est ça mon énergie. Dieu sait que j’ai traversé des moments un peu difficiles et ça m’a beaucoup aidé. Ça a été une thérapie pour moi. J’ai reçu énormément de messages de soutien. D’ailleurs, un des morceaux de l’album s’appelle Merci que j’ai dédié à tous ces gens-là qui ont prié pour moi, m’ont apporté leur soutien sur tous les plans d’ailleurs. Dieu sait que ça m’a apporté énormément de choses. Ça permet de mesurer sa cote de popularité. Ça a été extrêmement important.
La version internationale de l’album est sortie et on annonce une version mbalax. Pourquoi ces deux versions ?
Au Sénégal, les gens aiment danser. Et les fans ont longtemps attendu. J’ai voulu leur faire un cadeau. Donc il fallait faire un autre album qui va leur permettre d’animer leurs soirées avec de nouvelles chansons parce que ça fait longtemps qu’on n’a pas sorti d’album. Et la version internationale est beaucoup plus soft que celle mbalax. Ça a marqué aussi le retour de Dembel au Super Diamono. Il a beaucoup travaillé sur cet album. D’ailleurs, c’est lui qui l’a réalisé. Avec les musiciens du Super Diamono, ça a véritablement changé. Cela fait partie de ce que l’on va proposer aux fans, au public. La version mbalax va sortir le 5 août.
Vous êtes allé chercher d’anciens membres du Super Diamono ?
Non, c’est Dembel qui a fait le casting. Il y a Dembel, Papis Konaté, Moussa Traoré, Aziz Seck, etc. C’est de très grands musiciens qui jouent avec moi. Donc, le groupe a changé et a beaucoup évolué. Chacun a apporté sa petite contribution.
Les gens vont apprécier à la sortie de l’album. Il y a d’autres chansons qui vont compléter l’album world music. C’est la suite logique de cet album. Le Super Diamono existe toujours, même si les musiciens sont différents. La première grande sortie du Super Diamono est réservée pour les fans. Ça devait se faire au mois de décembre passé. Ils vont fêter leur 31ème anniversaire.
Avez-vous des projets, des tournées à effectuer ?
Oui, ça se prépare. Il y a des concerts qui se feront au Sénégal et une tournée en Europe qui se prépare pour le mois de novembre. Le staff est en train de travailler sur ça. Il y a des dates qui ont été retenues et qui vont être confirmées. Vous aurez l’information.
UN PONT ENTRE L'AFRIQUE ET LES ANTILLES
Reçus parfois par les plus hautes autorités locales, élevés au grade d’officier de l’Ordre du mérite au Sénégal, Jacob Desvarieux et ses colistiers ont suscité la naissance de l’afro-zouk, un genre devenu très populaire sur le continent
Membre emblématique de Kassav’ qui a fait voyager le zouk antillais dans le monde entier durant plus de quatre décennies avec un succès aussi inattendu qu’inégalé, Jacob Desvarieux s’est éteint ce vendredi 30 juillet à Pointe-à-Pitre des suites du Covid-19. Il avait 65 ans. Le musicien guadeloupéen basé en métropole entretenait avec le continent africain et ses artistes une relation étroite de longue date.
Sa voix rocailleuse, grave et presque discrète semblait taillée pour le blues. Mais c’est au rythme du zouk que Jacob Desvarieux s’est fait entendre et a marqué les esprits, même si le guitariste chanteur s’est offert au milieu de sa carrière une escapade rappelant ses liens avec la musique du Sud des États-Unis, le temps de l’album Euphrasine’s Blues.
Durant plus de quatre décennies, avec la formation Kassav’ dont il était devenu de facto le leader, il a porté l’étendard de la musique antillaise. À son palmarès au sein du collectif, entre autres, le premier Disque d’or pour la Guadeloupe en 1986, une Victoire de la musique en 1988, dix Zéniths à Paris remplis pour les dix ans d’activité (1989), deux Bercy pour ses vingt ans, le Stade de France pour ses 30 ans, La Défense Arena (plus grande salle d’Europe avec 40 000 spectateurs) pour la décennie suivante en 2019.
Souvent cité comme le groupe français qui a le plus tourné à l’étranger, affichant plus de 70 pays à son compteur, Kassav’ peut se prévaloir d’avoir attiré des foules considérables, en particulier en Afrique (Angola, Burkina Faso, Madagascar, Mozambique, Congo, Cameroun, Bénin…) où sa résonance ne s’est jamais démentie depuis le premier concert en Côte-d’Ivoire en 1985.
"On nous avait dit qu’en Afrique on était des stars, mais on n’y croyait pas. Quand on est arrivé à l’aéroport et qu’on a vu qu’il y avait des milliers de personnes qui nous attendaient, on a réalisé", racontait-il, expliquant aussi que "si le zouk a du succès, c’est parce que c’est un peu une synthèse de toutes les musiques noires".
Reçus parfois par les plus hautes autorités locales, élevés au grade d’officier de l’Ordre du mérite au Sénégal, Jacob Desvarieux et ses colistiers ont suscité la naissance de l’afro-zouk, un genre devenu très populaire sur le continent et ses îles voisines.
Cette paternité et cette renommée lui ont valu d’être souvent invité à titre personnel par des artistes africains de premier plan à partager le micro avec eux : le duo togolais Toofan, l’Angolaise Yola Araujo, la Gabonaise Patience Dabany, la Béninoise Angélique Kidjo, l’Ivoirien Alpha Blondy, le Camerounais Manu Dibango, le Comorien Chébli, la Cap-Verdienne Elida Almeida…
Première guitare
Né à Paris en novembre 1955, Jacob Desvarieux passe ses dix premières années aux Antilles, entre Guadeloupe et Martinique, avant qu’un cyclone ne pousse sa mère qui l’élève seule à avoir recours aux services du Bumidom (Bureau des migrations d’outre-mer) pour venir en métropole comme employée de maison en banlieue parisienne. Le jeune garçon reçoit en cadeau à cette époque sa première guitare, offerte à la place du vélo qu’il avait demandé, jugé trop dangereux !
L’instrument, inutilisé, suit avec les bagages dans le bateau lorsque la famille déménage pour Dakar, au Sénégal, en 1966. Il ne descend pas du meuble sur lequel il est posé, sauf quand les voisins, musiciens – Adama Faye et son jeune frère Habib accompagneront Youssou N’Dour –, demandent à l’emprunter. Pour ne pas être en reste, Jacob finit par apprendre quelques rudiments par leur intermédiaire et se découvre une passion insoupçonnée, qu’il cultive après son retour en France en 1968.
A Marseille, au milieu de la décennie suivante, le jeune homme rejoint un groupe dont le répertoire d’abord constitué de reprises de rock (Jimi Hendrix, Cream, des Rolling Stones…) se métisse progressivement : les Haïtiens de Tabou Combo viennent de signer le premier tube caribéen en France avec New York City, et l’afrobeat nigérian de Fela a la cote.
Renommée Sweet Bananas, la formation à laquelle appartient Jacob pousse la porte des studios d’enregistrement pour Bilboa Dance, dont certains passages ont un évident parfum antillais. Mais c’est à l’écoute d’African Music du Trinidadien Bill-o-Men, passés par les Grammacks, qu’il renoue avec la musique de ses origines. Au même moment, il joue pour le Guinéen John Ozila, s’installe à Paris et y monte le Zulu Gang qui compte entre autres dans ses rangs les Camerounais Jean-Marie Ahanda, futur chanteur des Têtes brulées, et Jacques Mbida Douglas qui participera à l’aventure Kassav’.
Connexion camerounaise
Au Studio Johanna à Bagnolet, aux portes de la capitale, il s’occupe de la prise de son. Si l’époque, est riche en rencontres, elle l’est aussi sur le plan créatif : impliqué dans Kassav’, conçu à l’origine comme un laboratoire de recherche pour élaborer un style moderne propre aux Antilles et identifiable, le musicien multiplie les collaborations, notamment avec les artistes camerounais. "Il fait partie de la légion étrangère du makossa […] Il a participé à près de 90% des productions camerounaises, tous rythmes confondus”, écrit Jean-Maurice Noah dans son ouvrage Le Makossa, une musique africaine moderne paru en 2010.
Au cœur de la scène afro-funky-disco, il intervient aussi bien sur les projets du natif de Douala Pasteur Lappé, roi du sekele movement, que de la Tunisienne Chantal Curtis. Sous sa photo en médaillon imprimée au verso de la pochette du 33 tours Africa Gounyok de Jules Kamga enregistré à cette période, le texte ressemble à une annonce qui fait a posteriori sourire : "Jacob Desvarieux. Guitariste de studio. Guadeloupéen. 25 ans. Tel : 358.20.73 (Paris)".
De plus en plus accaparé par Kassav’ au fil des années, impliqué dans les albums de chacun des membres comme des siens, l’auteur de Oh Madiana ou Sye Bwa s’est attaché à soutenir ceux qui ont suivi ses pas. À partir de 1988, il organise une manifestation baptisée Le Grand Méchant Zouk, dont la septième édition en 2017 a rendu hommage à Patrick Saint-Eloi, ancien chanteur du groupe et figure majeure du zouk. Il est aussi le producteur, et l’une des voix de Laisse parler les gens, l’un des tubes de l’année 2003 présent sur le projet Dis l’heure 2 zouk.
Investi plus largement dans la valorisation des artistes ultramarins (il avait parrainé la première édition de L’Outre-mer fait son Olympia en 2018), Jacob Desvarieux s’était élevé à de nombreuses reprises pour dénoncer la faible représentativité des communautés ultramarines et africaines dans les médias et au cinéma, ou encore à la cérémonie des Victoires de la Musique en 2020, après la suppression des catégories “musiques du monde” et “musiques urbaines”. Le père du zouk ne manquait jamais de rappeler que la genèse de cette musique très souvent réduite à son côté festif était concomitante des mouvements identitaires aux Antilles.
JACOB DESVARIEUX EST MORT
Le leader du groupe Kassav s'est éteint à l'âge de 65 ans. Atteint du covid-19 et hospitalisé en urgence, le guitariste n'a pas survécu à cette infection
Le confondateur du groupe Kassav, hospitalisé depuis plusieurs jours en Guadeloupe pour infection de covid-19, est mort (30 juillet 2021) à l’hôpital des Abymes à l’âge de 66 ans selon Guadeloupe la 1ère.
Le chanteur, musicien, arrangeur et producteur Jacob Desvarieux, est une personnalité marquante de la vie musicale des Antilles. À Paris où il est né, il se révèle en plein âge d’or du disco. Il devient musicien et arrangeur de studio. C’est là qu’il fait la rencontre de Pierre-Edouard Decimus, avec qui il crée le groupe Kassav en 1979.
Kassav, la machine à zouk
Le groupe qui rassemble entre autres, Jocelyne Béroard, Jean-Philippe Marthely, Jean-Claude Naimro, Patrick Saint-Eloi…est le symbole de la révolution musicale antillaise par le zouk.
Kassav a joué sur les cinq continents. En 1989, le groupe obtient le Prix de la Francophonie au Québec, il a aussi le privilège d’être le premier groupe noir à jouer en Russie, rapporte RFI.
Kassav se produit essentiellement en concert, en enregistrant disque sur disque, et plus de trente albums solos de ses membres. Jacob Desvarieux prend une place prépondérante dans ce succès.
Plusieurs concerts étaient à son programme des grandes vacances aux Antilles. Nous l’avions vu en symbiose avec son groupe Nam Kan à l’espace Arawak au Gosier (Guadeloupe) le 8 juillet 2021.
«LA PEINTURE SOUS-VERRE EST ESSENTIELLEMENT NARRATIVE»
Elle a tourné le dos à l’enseignement de la littérature, mais elle n’a jamais cessé de transmettre sa passion et ses connaissances artistiques. La plasticienne Anta Germaine Gaye anime l'atelier ‘’Fer et Verre’’. Diplômée de l'École normale supérieure d'éducation artistique de Dakar, elle est surtout connue pour sa pratique artistique qui englobe notamment la peinture sous-verre. Dans le cadre d’un atelier organisé par le Goethe-Institut, en partenariat avec le Pénc 1.9, cette grande dame, qui a enseigné l’éducation artistique, s’est confiée à ‘’EnQuête’’.
Parlez-nous de votre atelier ‘’Fer et verre’’…
J’ai enseigné jusqu’à ma retraite, dans la Fonction publique, l’art et plus particulièrement l’éducation artistique, ce qui n’est pas tout à fait de l’art, mais plutôt une activité d’éveil des jeunes à l’art. Et l’atelier ‘’Fer et Verre’’ que je dirige est un atelier de partage et d’échange, donc de rencontres. Je dispense des formations et je reçois également des gens avec des talents divers.
C’est ainsi que l’atelier a abouti avec les activités du Vendredi Slam, qui regroupe un groupe de jeunes qui s’expriment par le slam, cette poésie contemporaine. Les vendredis, on se retrouvait à la nuitée et on chantait, on déclamait, on dansait, on échangeait. Et c'était fabuleux, parce que cet atelier avait une activité presque cathartique, puisque les gens, pour la première fois, parfois, s'exprimaient. Ceux qui n’avaient jamais osé s’exprimer sont ainsi arrivés à le faire. Et c’est bien. Nous avons déjà travaillé sur différentes rubriques telles que La peinture sous-verre ; L’initiation des jeunes et moins jeunes, disons pour tout âge ; des Exercices de calligraphie, de l’ikebana ; La florale japonaise dans laquelle j’ai subi des classes et que je pratique. L’ikebana, ça doit être le reflet de la nature. Notre nature n’est pas celle d’un pays en hiver, ni celle d’un pays complètement déserté. Et c’est donc avec les végétaux, les branches sèches ou vives que l’on trouve. Et on suit des règles bien précises. J’ai participé à toutes les éditions du Partcours qui doit fêter cette année-ci ses 20 ans. C’est une série d’ateliers qui sont ouverts et les gens peuvent aller d’atelier en atelier, voir un peu ce que les gens font. On s’expose soi-même où on expose des groupes.
C’est ainsi que j’ai pu révéler des talents à partir de cet atelier, comme Fally Sène Sow que l’on connaît à présent, qui est mon fils d’adoption et qui a été mon ancien élève.
Vous avez étudié la littérature, mais le virus de l’art vous a piquée et vous avez choisi de peindre plutôt que d’enseigner les lettres à l’université. Pourquoi ?
Au terme de ma formation à l’université Cheikh Anta Diop, j’ai réalisé que je n’avais pas du tout envie d’aller enseigner la littérature. J’adore la littérature. Je pense que je suis une vraie littéraire. Mais les conditions d’enseignement… c’était quelque chose d’incomplet, pour moi. Enseigner la littérature toute la vie, je veux bien. Mais je sentais que je voulais passer ma vie à pratiquer l’art. Ce n’était pas très clair, pour moi, au départ. Est-ce que j’allais peindre ? Est-ce que j'allais dessiner ? Est-ce que j’allais écrire ?
Et qu’est-ce qui a finalement guidé votre choix ?
C’est le fait de réaliser que j’étais à un tournant, que j’allais carrément prendre une direction et que je ne pouvais plus revenir en arrière et que j’allais passer à quelque chose qui était essentiel pour moi. C’est plutôt cette crainte-là. Mais ce n’est pas un facteur extérieur. Je me suis dit : ‘’Mais attendez ! Je vais tout de suite aller enseigner et puis je ne vais faire que ça. Ça prend bien assez de temps et bien assez d’énergie. Mais moi, je suis artiste, je ne peux pas faire ça seulement.’’
Donc, j’ai décidé d’aller dans une école d’art. La formation que j’ai pu avoir était celle de professeur d’éducation artistique. C’est-à-dire, on recrute des bacheliers et, au terme de quatre ans d’études, sous le régime de normalien. Il y a un engagement décennal dans la Fonction publique pour enseigner, puisqu’on a une bourse.
On enseigne aux enfants comment exprimer des choses par les couleurs, par les formes, par la matière. Alors que, par exemple, le professeur de français, il les fait exprimer par des mots. Voilà ! C’est la différence. C’est juste ça. Donc, j’ai eu beaucoup de chance, puisque cette école m’a permis d’apprendre les rudiments que je devais après aller enseigner. Mais aussi, cette école m’a confirmée dans ma vocation d’enseignante. Je pense que je suis essentiellement enseignante. Et même, je le crois, je suis pédagogue.
Et pour enseigner, il faut aimer transmettre ; il faut aimer aider l’autre à oser ; il faut aider l’autre à se révéler à lui-même. Je crois que cela aussi, c’était en moi. Donc, je dirai que j’ai eu beaucoup de chance, même si, au départ, j’ai eu le manque de compréhension de mon entourage pour qui c’était une lubie. Mais, au fil du temps, je pense que ce même entourage a beaucoup apprécié ce que je faisais. Par la suite, je me suis retrouvée à être le mentor ou alors la personne qui booste les jeunes femmes et les jeunes hommes qui veulent aller dans cette direction, qui ne savent pas trop comment faire. Et je pense que mon profil et mon parcours ont aidé à convaincre beaucoup de parents, puisque ce n’était pas enviable dans beaucoup de maisons.
Comment en êtes-vous venue à la peinture sous-verre ?
Lorsque j’ai rédigé mon mémoire de Maîtrise, j’avais pris comme thème ‘’La société traditionnelle dans l’œuvre romanesque d’Ousmane Socé Diop’’, son roman ‘’Karim’’. J’avais parlé de cette société-là. Cette société saint-louisienne avec des pérégrinations dans Rufisque, Gorée, Dakar (les 4 quatre communes). Et en prenant mon sujet de mémoire, par des recoupements, je me suis dit qu’il faut qu'il y ait un lien entre ce que je fais et ce que je vais faire pour que ça ne soit pas perdu. En plus, mes sources d’inspiration étaient les mêmes. C’était la société saint-louisienne, musulmane, à la fois traditionnelle et très avant-gardiste. Et c’est une société métisse avec des emprunts dans différentes cultures et avec une symbiose qui a donné ce qu’on sait, à tel point qu’Ousmane Socé Diop appelait Saint-Louis du Sénégal par cette phrase : ‘’Au centre du bon goût et de l’élégance.’’ J’ai donc pris la parure.
Et lorsque je l’ai prise, un de mes professeurs m’a dit : ‘’Tu ne peux pas traiter ce sujet sans faire de la peinture sous-verre… Avant d’aller voir ceux qui font de la peinture sous-verre, j’ai fait moi-même des essais. Des accidents dans ces essais-là (un verre brisé, un verre gratté qui révèle des choses imprévues) m’ont donné une direction. Et quand je suis allé voir les gens qui faisaient de la peinture sous-verre, longtemps après, ça m’a confortée dans l’idée que je n’allais pas faire la peinture académique - si l’on peut dire - mais que j’allais juste prendre le verre avec tout ce qu’il offrait, tout ce qu’il permettait de faire et que mes recherches se feraient sur le verre. Je n’ai jamais cessé de considérer chacune de mes œuvres comme une étape de mes recherches sur le verre, en faisant passer des émotions, une partie de mon histoire, et de mes rêves également.
L’utilisation du fer est également votre marque de fabrique. Qu’est-ce qui explique votre amour pour ce métal ?
Je pense que pour le fer, il doit y avoir une influence de vitro dans les églises. La peinture sous-verre est apparentée aux icônes que l’on trouve dans les vitraux des églises : des figures saintes qui sont faites en verre soufflé et tout, mais enchâssé dans du plomb. Peut-être que c’est cette dualité, ce paradoxe entre le verre qui est vraiment fragile et le plomb, le métal. Peut-être c’est cela ; la loi des contraires qui s’attirent. Le dur et le fragile, le yin et le yang, l’ombre et la lumière cohabitent. Je me suis laissé aller à mes inspirations sans me donner de limites.
Quelle est l’histoire de la peinture sous-verre au Sénégal ?
Il y avait des Libano-Syriens qui, au début du XXe siècle, faisaient venir des chromolithographies représentant des figures saintes. On en trouvait dans les vieux calendriers. C’était également des saints des confréries khadriya et tidjaniya, comme Cheikh Ahmed Tidiane Chérif.
Que s’est-il passé par la suite ?
Le gouverneur général de l’AOF, William Ponty, a commis une circulaire interdisant la circulation de ces images saintes, parce qu’elles avaient une très grande influence sur l’esprit, disait-il, des Africains, des colonisés qui devaient juste être influencés par la France.
Ainsi, cette circulaire interdisait la vente, la circulation, l’utilisation et l’achat de ces images. Des ouvriers (charpentiers, maçons, couvreurs, etc.), ceux qui avaient accès aux matériaux des chambres de commerce y trouvaient du verre industriel, ont mis ces verres-là sur les images et les claquer. Mais, au fil du temps, ces peintures de saints se sont substituées également à des peintures des saints du terroir comme Cheikh Ahmadou Bamba, El Hadj Malick Sy, Seydina Limamou Laye. Il y avait également des paraboles qui étaient racontées. Ces images saintes renferment des histoires. La plupart des peintres étaient instruits en arabe. C’était des lettrés, mais la majeure partie des masses auxquelles ils s’adressaient étaient des analphabètes. Alors, ils allaient dans les campagnes montrer ces images en racontant des histoires. Et les gens achetaient ces images ou donnaient quelques pièces pour connaître la suite de l’histoire.
Mais il y a eu après un genre de migration (quelque chose qui ne reste pas sur place, qui évolue). Au-delà des images saintes, il y a eu celles profanes, qui ne parlaient plus de religion, mais de la vie en général. Il y avait aussi des images satiriques qui racontaient des histoires drôles, par exemple, quelqu’un qui court, parce que le lion le poursuit ; il s’apprête à grimper sur un arbre, mais un grand serpent l’attend là-bas. Il y avait également des figures de mode comme Al Demba avec son grand pantalon bouffant qui danse.
Avec l’avènement de la photographie qui n’était pas à la portée de tous, il y avait les photographies des élégantes de l’époque et de figures religieuses qui étaient reprises en couleurs. Et beaucoup demandaient qu’on leur fasse des cadres en verre avec de belles images des coques, des fleurs, des oiseaux, ils mettaient leur photo dedans. A l’avènement d’une grande mode appelée le ‘’Xoymet’’, on mettait partout sur les murs des photographies, des objets d’autruche ou de peigne, pour décorer et pour accueillir la mariée. Dans toutes les maisons, tous les murs étaient enluminés de ces photos-là.
Qu’est-ce qu’il y a eu de nouveau dans la pratique de cet art ?
C’est une question de mode. On reconnaît un mobilier grâce aux caractéristiques de l’époque où il a été fait. Les gens étaient très conventionnels. Et dès qu'ils en avaient les moyens, ils achetèrent ce qui se faisait. Lorsque vous regardez les photos de femmes, vous pouvez savoir en quelle année elles ont été photographiées grâce à la coiffure, au tissu de l’époque, à la posture même. C’est pour cela qu’on dit que la peinture sous-verre est essentiellement narrative. Témoin d’une histoire, dans un lieu déterminé, elle racontait très joliment, avec de très jolies couleurs.
A part la peinture, quelles autres passions avez-vous ?
C’est la vie tout simplement (elle aime particulièrement les fleurs). C’est l’écriture, ma famille, mes amis, c’est l’autre. L’autre ne m’est jamais indifférent. Et c’est ma foi et ma croyance. J’ai la conviction qu’il y a une vie ici, qu’il y a une autre vie qui va arriver.
LE CNRA INTERDIT LA DIFFUSION DE LA SÉRIE ’’INFIDÈLES’’
Dakar, 29 juil (APS) - Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) a décidé, jeudi, d’interdire aux télévisions la diffusion de la bande annonce de la saison 3 de la série ’’Infidèles’’ telle qu’elle ’’est proposée sur Internet et tout contenu’’ de la production.
Dans cette décision transmise à l’APS, le CNRA indexe des images ’’incitant à des pratiques sexuelles jugées déviantes ou contraires à la morale et aux bonnes mœurs’’.
Selon l’organe de régulation, ces images constituent ’’une incitation à la débauche ou un encouragement à s’adonner à une activité sexuelle, à la pornographie et à la prostitution’’.
Saisi par l’ONG islamique Jamara, le CNRA estime que cette production porte ’’atteinte à la préservation des valeurs, sensibilités et identités culturelles et religieuses’’.
Il prévient que ’’le non-respect de la présente décision, outre l’interdiction définitive de diffusion de la série +Infidèles+ sur toutes les télévisions de droit sénégalais, expose la ou les télévisions responsable (s) aux sanctions prévues (...)’’.
«NOTRE SERIE EST UNE SORTE DE DECLARATION D’AMOUR AUX CULTURES URBAINES»
Femme de son temps, Fatou Kandé Senghor a choisi d’user de sa caméra et de sa plume pour livrer des messages porteurs et conscients. Elle s’intéresse beaucoup aux cultures urbaines. Après avoir écrit un livre consacré à cette expression artistique, cette professionnelle de l’image a réussi à se mouvoir sur différents supports comme la photographie, la vidéo et le cinéma. Entretien avec une grande figure de la culture sénégalaise aux idées avant- gardistes.
Après un livre titré Walabok sur les cultures urbaines, vous avez conservé le même titre pour la série. Qu’est – ce qui explique ce choix ?
Je voulais que Walabok fonctionne comme un concept de label. Que le titre du livre soit le titre du film, de l’expo photo et de la base de données Hip Hop que j’ai soigneusement récoltée. De même que l’installation et le cycle de conférences.
On note la présence de rappeurs comme Fou Malade et d’autres figures du mouvement au niveau de l’écriture du scénario de la série…
Un scénario n’est jamais fermé. Il faut inviter les gens autour de vous qui viennent avec des idées pour enrichir le concept. J’ai invité de véritables artistes à contribuer à la matière première du film car l’écriture est la base de toute création. Ce, contrairement à ce que certains croient. Il n’y a pas de recette miracle quand on veut un produit de qualité. Mon team à moi est le meilleur et il y a toute une anthologie pour le prouver. Ils ont tous été généreux et solidaires car ils savaient que le hip hop en avait besoin.
Même dans la trame de la série, on note aussi la présence d’autres grandes figures comme Mona, Ada Anibal, Daara j, Nit Dof, Killah, One Lyrical, Dj G- Base, Xuman, Duggy Tee et tant d’autres…
Je tenais à ce que la série propose un casting de choix pour relever le niveau et donner la réplique à des acteurs savoureux. Je tenais à rendre hommage à plusieurs générations d’adeptes du hip hop. Notre série est une sorte de déclaration d’amour aux cultures urbaines. Et en même temps, une chronique radio des quartiers populaires. C’est pour cela que tout le monde se retrouve là-dedans.
Outre le choix des rappeurs, on remarque que les acteurs de la série ne sont pas de grandes figures dont des débutants ?
Les acteurs sont de toutes catégories. L’histoire leur plait, alors ils apportent un soin et une touche particulière à leur jeu. C’est une vieille recette qui paye toujours. Avec de la passion, on sait tout faire. Attendez de voir la tournure de l’histoire de notre saison 2 et les nouvelles pointures qui seront invitées.
Comment avez-vous choisi l’actrice principale ?
Le jeune cinéaste Al Hadji Demba Dia est un collaborateur de valeur dans le projet walabok. Il vit à Keur Massar, un quartier populaire intéressant et vibrant. Il tenait à débusquer la jeune rappeuse qui aurait aussi des talents d’actrice. Alors, il a quadrillé son quartier pour la trouver. Dans le hip hop, la notion de représentation d’un espace géographique est très importante.
Les femmes occupent une place prépondérante dans la série et pourtant le mouvement ne leur accorde pas souvent une place de choix. Est-ce votre fibre féminine qui a conduit à cette vision ?
Je suis une femme Africaine. Je ne peux écrire qu’avec ce vécu. Et dans notre quotidien, les femmes occupent une place prépondérante. Ça, c’est dans la vraie vie. Je n’ai pas eu à faire beaucoup d’efforts. Dans le hip hop, il n’y a pas beaucoup de femmes parce qu’elles ne sont pas très exposées à cette forme artistique. La misogynie de la culture sénégalaise est la même dans le hip hop. Ce sont les mêmes filles et fils de Sénégalais qui se retrouvent sous la bannière des cultures urbaines. Les femmes ont une tonne de choses à dire depuis toujours. Je pense que dans les temps modernes, les cultures urbaines sont un moyen d’expression parfait pour elles.
Comment appréciez-vous la prolifération des séries au Sénégal ?
Il faut de tout pour faire un monde. C’est dans la quantité que va émerger la qualité. Il faut que les Sénégalais soutiennent les séries made in Sénégal comme la sous-région le fait. Les séries sont de meilleure qualité technique. Les décors et le costume ont fait un énorme progrès. C’est tout cela qui fait le made in Sénégal. On est dans le monde de l’imaginaire. Toutes les thématiques sont permises. Il n’y a pas de raison pour que les Sénégalais se plaignent de ce qui existe en ce moment et pensent que nos productions doivent représenter à la lettre ce qu’ils appellent « nos valeurs ». Cette schizophrénie doit cesser. Après tout, le pays va vibrer dans des festivals parce que tel ou tel réalisateur a eu un film dans un grand festival international. Ce, à commencer par l’Etat lui-même.
En lieu et place des canaux habituels que sont les chaînes de télé de la place, vous avez choisi Internet et wido…
Le grand public sénégalais a l’habitude de la gratuité, il fallait créer la rupture. Wido est la plateforme d’Orange Sénégal payante et mon coproducteur principal est Orange studio France. L’intérêt d’un coproducteur, c’est de recouvrer ses fonds. Alors, il faut faire du chiffre. Nos productions ne peuvent pas vivre de subventions uniquement. Après Wido, la série sera distribuée sur toutes sortes de canaux jusqu’à nos télés locales un jour. En attendant, un épisode est visionné à à100 F Cfa. Ce n’est pas un bras, c’est changer d’attitude envers la création qui est importante.
Comment jugez-vous l’évolution du cinéma sénégalais ?
C’est l’étape du moment qui m’intéresse. 2021 et à venir, je sais que ça a été une année particulière. La condition sanitaire du monde est alarmante et nos productions ont souffert. Ma jauge à moi, c’est le Fespaco, notre festival de cinéma du continent. Cette année, le Burkina Faso, pays organisateur, a fait du Sénégal son invité d’honneur. C’est à cet événement là que nous devons étaler notre moisson. Le savoir-faire qui grandit en fiction, long et court métrage, documentaire et série pourra s’étaler et prouver l’évolution de notre cinéma et audiovisuel. Je ne parle pas de compétition. Je parle de proposition artistique pour un pays qui se targue d’avoir eu deux maitres comme Ousmane Sembene et Djibril Diop Mambetty. A cet effet, pour cet événement prévu en octobre de cette année, nous espérons faire preuve d’organisation et d’excellence avec un concept et un vrai programme et une délégation solide et représentative de tous les corps de métier de notre discipline. Bien-sûr, il ne faut pas oublier d’emmener avec nous les acteurs des autres disciplines artistiques. Mais tout cela se réfléchit et s’organise. C’est mon message personnel au Chef de l’Etat en tout cas.
À l’origine le milieu était accaparé par les hommes, Safi Faye mise à part. Actuellement, beaucoup de femmes ont investi le créneau et sont devenues des réalisatrices confirmées…
Le cinéma, la production télé visuelle sont assez récents. Finalement, en y repensant bien, l’ère numérique a fait souffler la démocratisation du secteur. C’est normal que nous soyons à une époque où il y a plus d’engouement chez les hommes comme chez les femmes pour le métier. La nouvelle génération vit les questions de genre différemment de l’époque. C’est tous les produits qui devront être de qualité que l’on soit homme ou femme. Je reste cependant une grande défenseuse de la discrimination positive car les histoires racontées par les femmes ont quelque chose que les mentalités sur le continent ont besoin.
Photographe, vidéaste, réalisatrice et écrivaine. Qu’est –ce qui fait courir Fatou Kande Senghor ?
Je suis une artiste, une citoyenne, une maman, un être plein de passion et motivée par le collectif, la transmission et la création en masse. Je ne suis pas une compétitive, une accapareuse ou je ne sais quoi que les gens s’autoproclament dès qu’ils sont reconnus dans un milieu et j’aime les compétences réelles. Vous voulez défendre, parler, représenter, protéger, organiser, vous avez intérêt à apprendre le métier. La théorie, la pratique et la réflexion pour faire une différence constructive et utile. Nous vivons dans un pays où l’amateurisme peut être plébiscité, l’ignorance validée, la méchanceté cautionnée. Moi, je fais attention de sorte que ni ma création ni ma personne ne soient prises au piège dans ces prismes-là.
Pouvez-vous nous expliquer cet attrait manifeste pour les cultures urbaines. Seriez-vous une rappeuse ratée ?
Oui ! J’aurai pu être une super rappeuse et je le regrette tous les jours. J’ai 50 ans. Ce que le rap était au début, je ne vois pas de famille qui était assez ouverte d’esprit pour vous laisser oser le faire en public. Je reste sur ma faim, car ma chance est passée. Cependant, les jeunes sœurs au Sénégal ne tiennent pas la route au-delà des 40 ans. Elles sont prises dans l’étau des fantasmes de la communauté, du clan, de la religion, du patriarcat. Personne n’envisage d’exister pleinement dans son art avec un mari, un bébé et une belle famille fière de ce que vous faites. La pression est trop forte et elles ne sont pas assez solides pour y résister.
Quelle surprise nous réserve encore Fatou ?
Le Hip Hop et les cultures urbaines ne devraient pas être un fourre-tout pour cas sociaux et jeunes révoltés. C’est une communauté de guerriers des temps modernes, intelligente, vive, sincère et visionnaire acquise à la cause du vivre ensemble. C’est cet état d’esprit qui a permis à Fatou Kandé Senghor à devenir une artiste pluridisciplinaire en mission. Alors, les surprises, elles arrivent et toujours dans mon univers naturel Hip Hop.
Magatte Diop envisage de réunir la grande famille du cinéma au sein d’une même entité après le décès de Cheikh Ngaido Ba. Que vous inspire cette démarche ?
No comment !
«HISTORIQUEMENT, BAKEL EST UNE CITE WOLOF»
Horizon Saliou dit Baba Diallo, auteur de «Wolofs et Français en pays Soninké»
«Wolofs et Français en pays Soninké», paru le 27 avril 2021 aux éditions L’Harmattan Paris et Dakar, est le titre du livre de Saliou dit Baba Diallo. Docteur en Histoire moderne et contemporaine de l’Université de Poitiers (France), spécialiste des périodes coloniale et postcoloniale, ce natif de Bakel revient sur l’histoire des N’diaye, le «cimetière français» etc..
Dans ce livre, vous parlez de l’histoire du peuplement de Bakel. Traditionnellement, c’est la ville des «N’diaye». Comment et quand a-t-elle été fondée ?
Dans ce livre, j’interroge l’histoire du peuplement ancien de Bakel ainsi que son passé colonial. En effet, Bakel, située le long du fleuve Sénégal à l’extrême est à cheval entre trois pays (Mali, Mauritanie et Sénégal), est une ville chargée d’histoire. Pour mieux comprendre cette histoire, je me suis particulièrement intéressé à deux périodes. La première est qualifiée par certains historiens de «pré-coloniale». Pour le cas de Bakel, celle-ci part de l’éclatement de l’empire du Djolof au 16e siècle et s’achève avec le retour des Français au Sénégal à partir du 19e siècle. J’établis ainsi un lien de causalité entre la dislocation du Djolof et la fondation de Bakel par les N’diaye, une famille wolof originaire du Djolof. En effet, les N’diaye ont effectué une longue migration qui aboutit au Gadiaga après un intermède au Fouta-Toro. Donc historiquement, Bakel est une cité wolof. Même s’il est admis par la mémoire collective que les N’diaye ont trouvé les Wane (une famille Peulh venue de Mboumba au Fouta Toro) sur le site, ce sont eux qui ont non seulement mis en place le pouvoir politique, mais ont confié l’autorité religieuse aux Ba et plus tard aux Kébé. Ainsi, dans la logique de peuplement, le problème n’est pas d’être le premier ou le dernier à occuper un site, mais d’y marquer son empreinte. C’est en cela qu’on peut dire que les N’diaye ont fondé Bakel. La deuxième période de mon livre s’ouvre à partir de l’année 1886, une date clé dans l’histoire de Bakel parce qu’elle annonce la confrontation entre le marabout et résistant soninké Mamadou Lamine Dramé et les Français. Dans cette guerre, les familles de Bakel ont été dans une situation où la prise de position était inévitable, vu les intérêts politiques, économiques, sociaux et commerciaux en jeu.
Le Pavillon René Caillé et «le cimetière français» marquent le passage des colons dans cette ville de l’est du pays. Que peut-on encore retenir de cette histoire coloniale ?
L’architecture est un indicateur pertinent qui aide à comprendre le passé. Nous avons une chance avec Bakel : l’architecture coloniale a tant bien que mal résisté aux effets du temps. Cette architecture est le symbole d’une politique d’urbanisation particulièrement vigoureuse mise en place par les Français au début du 19e siècle. Celle-ci se matérialise par l’érection du fort, du quartier Guidimpalé, des tours, etc. L’objectif était de proposer un autre modèle urbain différent de celui qu’ils avaient trouvé sur place. En conséquence, ces infrastructures témoignent du rôle essentiel que Bakel a joué dans le projet colonial dans ses aspects politiques, économiques, commerciaux, culturels et religieux. L’érection du Pavillon René Caillé et du «cimetière français» s’inscrit dans cette politique d’urbanisation coloniale entreprise par les Français depuis le début du 19e siècle à Bakel. En ce qui concerne le Pavillon, je n’ai pas encore de preuve matérielle pour affirmer avec certitude qu’il a été construit par René Caillé, explorateur français. Si c’est le cas, je n’ai pas d’informations précises sur la période, les raisons et l’intérêt de la mise en place de cet édifice. Il est possible qu’il soit érigé par l’Administration coloniale et qu’il soit baptisé à l’honneur de cet explorateur. A propos du cimetière, construit également au 19e siècle, c’est un véritable lieu de mémoire. Il symbolise la longue cohabitation religieuse et culturelle entre les différentes communautés à Bakel. Voir un «cimetière français» dans une terre acquise pour la cause de l’islam est le signe de l’existence de la tolérance religieuse dans cette région. En réalité, dans ce cimetière, on y retrouve des Blancs, des Noirs, des soldats, des civils, des musulmans et certainement des chrétiens.
Bakel est une ville cosmopolite où vivent Soninkés, Peuls, Bambaras, Wolofs. Les derniers à être cités occupent une place importante, surtout dans le commerce. Comment sont-ils parvenus à s’installer en «pays soninké» ?
Historiquement, Bakel est une ville cosmopolite. La cohabitation entre les différents groupes ethnolinguistiques remonte à une période ancienne. Malgré la prédominance démographique des Soninkés, les autres groupes sont également présents. Le «pays soninké» est par conséquent un espace pluriel. On pourrait même s’autoriser à parler de «multiculturalisme». En effet, il est difficile de dresser un schéma sur l’ordre de succession des différents groupes ethnolinguistiques, sociaux et familiaux en «pays soninké», mais ce qui peut être intéressant à observer, ce sont les logiques de circulation dans le processus d’intégration de ces groupes. Il y a tellement de brassage entre les familles que toute classification ou séparation ethnique, au-delà de la langue, est quasi impossible. Dans une concession, on pourrait retrouver plusieurs groupes ethnolinguistiques qui font pourtant famille. Tout cela soulève le questionnement suivant : Comment définit-on l’identité ? Est-ce à travers la langue ? Le patronyme ? La culture ? Le terroir ? L’identité relève-t-elle de quelque chose de figé ou a-t-elle constamment évolué ? Il y a mille et une manières de définir l’identité.Il n’y a pas de critères définis ad vitam aeternam pour appartenir à un groupe. Même s’il en existe, ceux-ci ne sont pas immuables.Certains critères pourraient être valables et valides au moyen âge et ne pas l’être à l’époque contemporaine. Pour le cas de Bakel, j’ai pu observer que c’est l’identité territoriale qui a eu finalement raison sur celle ethnique. Bien qu’étant placé au milieu du «pays soninké», elle a déjoué toute «fidélité» à un projet identitaire communément soninké. Cela est lié à son histoire. Les deux premières familles qui ont occupé le site appartiennent l’une aux Peuls (les Wane) et l’autre aux Wolofs (les N’diaye). Avec le temps, elles sont certes devenues soninkées de par la langue, mais dans les représentations, elles sont toujours renvoyées à leur identité d’origine. Pour le cas de Wolofs de Bakel, leur processus migratoire est assez singulier. Une premìere vague migratoire wolof s’effectue durant la ṕeriode précoloniale avec l’arrivée des N’diaye, fondateurs de Bakel et chefs traditionnels du village. Une deuxième vague migratoire concerne les traitants wolof (originaire en majorité de Saint-Louis, nord du Śeńegal), installés à Bakel durant la période coloniale. La présence de cette catégorie était en grande partie tributaire de la traite coloniale. A partir du moment où celle-ci disparaît, la visibilité des traitants s’est considérablement réduite. Néanmoins, quelques familles sont définitivement restées à Bakel. Depuis les années 1970, on assiste à l’installation des commerçants appelés Baol-Baol, originaires de l’ouest du Sénégal. Ce groupe s’affirme aujourd’hui à Bakel grâce à l’activité commerciale, et sa migration se sédentarise.
En quoi l’histoire de cette ville de Bakel modifie-t-elle le modèle communautaire soninké ?
C’est la question centrale que me suis posé et à laquelle j’ai tenté de répondre dans ce livre. En effet, lorsque j’ai entaḿe mes recherches en 2008, dans le cadre d’un mémoire de maîtrise, j’ambitionnais de m’intéresser aux Soninḱes, un groupe ethnolinguistique partaǵe majoritairement entre trois pays (Mali, Mauritanie et Śeńegal) et qui compose depuis les années 1960, avec les Toucouleurs et les Manjacks, l’écrasante majorité des travailleurs migrants africains en France. En m’intéressant à cette population à laquelle j’appartiens de fait, je projetais de m’inscrire dans la lignée des travaux deAbdoulayeBathily sur les Soninkés du Gadiaga. Toutefois, au fur et à mesure que je progressais, je me suis rendu compte que ce terrain était déjà bien fourni. Sans abandonner la piste soninḱe, un autre chemin a été parallèlement exploŕe : celui des autres groupes vivant au sein des Soninḱes qui sont certes invisibles, mais restent bien présents dans cette région et curieusement à une ṕeriode ancienne. Pendant longtemps, le «pays soninḱe» a port́e l’image d’une terre d’émigration. C’est pourquoi une abondante littérature est consacrée aux espaces investis et/ou conquis par les Soninḱes en soulignant éloquemment l’ancienneté, les causes, les mécanismes et les conséquences de leur migration. Si ces travaux sont d’un apport considérable dans l’avancée des connaissances, ils ne mentionnent pas assez la conception de ces villages, c’està-dire le mécanisme de fabrique du «territoire soninké» luimême. Autrement dit, quels sont la part etl’apport des autres communautés dans la construction du «creuset soninké» ? Cette interrogation m’amène à formuler l’hypothèse selon laquelle le «pays soninké» est à la fois un territoire d’émigration et d’immigration. Autrement dit, si les Soninḱes ont découvert d’autres contrées, leur terroir a ́et́e et est ́egalement investi par d’autres communautés sénégambiennes. Ainsi, pour mieux saisir les mécanismes et les logiques de circulation et d’échange entre groupes sociaux en Sénégambie, le choix est port́e sur le cas concret de la famille N’diaye de Bakel qui a fait l’expérience de quitter un «territoire wolof», le Djolof, pour se diriger, puis s’installer définitivement dans un «territoire soninké», notamment le Gadiaga à partir de la deuxième moitíe du 16e siècle marqúe par l’éclatement de l’empire du Djolof.
Ville aux frontières du Sénégal, de la Mauritanie et du Mali. Qu’est-ce que Bakel a reçu de ces pays comme influence culturelle ?
La position géographique de Bakel eut des incidences sur le plan culturel. Dans le passé, Bakel était située au cœur du «pays soninké» qu’elle partage avec le Goye, le Kaméra, le Hayré, le Boundou, etc. Aujourd’hui, elle est à cheval entre trois Etats (Mali, Mauritanie et Sénégal). La culture de cette ville connaît un dynamisme particulier. C’est l’une des cités où on parle plusieurs langues : soninké, peul, wolof, bambara, etc. Cette diversité culturelle est non seulement ancienne, mais elle s’inscrit dans une dynamique harmonieuse. Elle aboutit le plus souvent à des relations matrimoniales, économiques et politiques. Ce sont les mêmes familles que l’on retrouve dans ces trois pays ayant le fleuve en commun. Il y a eu de fortes circulations de marchandises et de personnes entre ces trois espaces. Et les frontières coloniales sont artificielles aux yeux des populations qui préfèrent une appellation locale des anciennes provinces (Gadiaga, Guidimakha, Hayré, Kaméra, etc.).
Pourquoi parler d’intrusions étrangères ?
Au départ, le site de Bakel était sous l’autorité des Bathily, euxmêmes occupants du Gadiaga au détriment des Siima à la suite de l’éclatement de l’empire du Wagadou-Ghana. Autour des Bathily, d’autres populations ont été accueillies au Gadiaga. Pour caricaturer, chaque groupe est l’«étranger» du groupe qui l’a précédé. A propos du titre de mon livre, j’ai utilisé le terme «intrusions étrangères» pour faire allusion aux groupes ethnolinguistiques qui ne sont pas des «authentiques soninkés» et qui ont porté l’histoire de Bakel. Il s’agit en l’occurrence des N’diaye et des Français. Les N’diaye sont arrivés au 16e siècle au Gadiaga. Ils sont originaires de l’empire du Djolof. Après un séjour temporaire au Fouta Toro, ils se sont dirigés vers le Gadiaga. Avec les échanges culturels, politiques et matrimoniaux, les Bathily ont cédé le minuscule site de Bakel dans des circonstances peu claires. A partir du 19e siècle, un autre groupe «étranger» arrive à Bakel : il s’agit des Français. Après avoir acheté les sites qui abriteront le fort et le quartier Guidimpalé au Tounka, ils ont mené une politique urbaine impressionnante, mettant Bakel au-devant de la scène géopolitique de la Sénégambie.