SenePlus | La Une | l'actualité, sport, politique et plus au Sénégal
9 avril 2025
Culture
VIDEO
L’EUROPE N’A PAS LE MONOPOLE DU BIEN ET DU BEAU
EXCLUSIF SENEPLUS - Felwine analyse « Le Cri de Picasso » du philosophe Jean-Luc Aka Evy, qui s’attache à déconstruire la conception de l’art nègre, la perception du bien et du beau, par un Occident qui tend à ghettoïser l’Autre
Dans son ouvrage « Le Cri de Picasso », Jean-Luc Aka Evy, ambassadeur du Congo, philosophe et écrivain, explore la notion d'esthétique en se penchant sur les concepts du beau et du bien. Il s'emploie à déconstruire les idées faussées que l'Occident a longtemps entretenues à propos de l'art africain, d'abord qualifié de « primitif », avant d'être reconnu comme un « art premier ».
La reconsidération de l'art nègre par l'Occident, en le faisant passer de « l'art primitif » à « l'art premier », perçue comme une tentative de correction d’un tort historique, aurait pu satisfaire le philosophe. Mais, loin de s'en contenter, l’auteur congolais remet en question la légitimité même des institutions occidentales, telles que le musée du Louvre, qui revendiquent désormais le droit de présenter l’art africain comme un art premier, après des décennies de mépris et de dévalorisation.
"Le Cri de Picasso" a été dévoilé le 7 décembre lors de la cérémonie de clôture de la 15e édition du Dak’Art, au sein de l’ancien Palais de Justice de Dakar. Cet événement a réuni des figures intellectuelles majeures, telles que Felwine Sarr, économiste et auteur, ainsi que Ramatoulaye Diagne Mbengue, professeure de philosophie et experte en logique mathématique, qui ont accompagné l’auteur dans une discussion autour de son œuvre.
En marge de cet événement, Felwine Sarr s’est entretenu avec nous sur les grandes questions soulevées dans « Le Cri de Picasso », notamment celles liées à la perception du beau et à la construction de l’altérité. Par ailleurs, en tant qu’acteur engagé dans le processus de restitution des biens culturels pillés en Afrique par les anciennes puissances coloniales, il a partagé des mises à jour sur l’avancée de ce projet. Selon lui, ce processus est en cours, mais il est dicté par un rapport de force, car au-delà de la restitution elle-même, ces revendications touchent à des enjeux géopolitiques et géostratégiques. Les pays ne reçoivent que les œuvres qu’ils ont officiellement demandées.
Felwine Sarr s’est félicité de l’impact considérable de son rapport adressé à la France, qui a provoqué une onde de choc parmi d’autres anciennes puissances coloniales, les poussant à envisager la restitution des œuvres pillées. Ce document a également encouragé plusieurs pays africains à soumettre des demandes officielles de restitution, perturbant ainsi la quiétude des musées occidentaux et mettant en lumière l'ampleur des spoliations historiques.
Transcription
ZEINAB BANCÉ, L’AFRICAINE QUI VEUT REMPORTER LA COUPE DU MONDE DE CUISINE
Encore inconnue au Sénégal il y a une semaine, la cheffe cuisinière ivoirienne fait sensation en tentant de battre le record du monde de la plus longue session de cuisine. Objectif : 120 heures pour célébrer la richesse de la gastronomie ivoirienne.
Il y a encore une semaine, le nom de Zeinab Bancé était peu connu au Sénégal. Mais depuis ce mardi, sa photo circule partout, où elle arbore fièrement sa tenue de cheffe cuisinière.
Zeinab Bancé s’est lancée dans un défi ambitieux : battre le record de la plus longue session de cuisine au monde et inscrire son nom dans le Guinness World Records. Pour cela, elle doit cuisiner pendant 120 heures, soit près de 5 jours sans interruption. Elle a entamé la préparation de 15 000 plats depuis ce mardi 17.
« J’aime les challenges et j’adore la cuisine. Je me suis dit : pourquoi ne pas combiner les deux et dépasser le record actuel qui est de 119 heures et 57 minutes ? » explique Mélanie Céline Zeinab Bancé à l’équipe de Brut, qui l’a suivie pendant les préparatifs de son marathon culinaire.
Son objectif : exporter la cuisine ivoirienne
Ce défi, qu’elle appelle la “CAN de la cuisine”, a pour but de mettre en avant la richesse culturelle et gastronomique de la Côte d’Ivoire sur la scène internationale.
Pour Zeinab Bancé, ce record représente bien plus qu’un simple exploit personnel. Pendant ces cinq jours, elle prévoit de cuisiner 293 plats traditionnels ivoiriens, qu’elle destine à des familles en difficulté. Parmi ces plats, l’attiéké, un mets emblématique de la Côte d’Ivoire, tiendra une place importante, comme elle l’avait confié à la presse.
À l’Agora de Koumassi, où se tient l’événement, ses concitoyens sont venus en grand nombre pour l’encourager. Même des artistes ivoiriens se sont mobilisés pour lui apporter leur soutien.
Mélanie Céline Zeinab Bancé, cheffe cuisinière, entrepreneure, décoratrice d’intérieur et organisatrice d’événements, souhaite inscrire cet exploit dans l’histoire tout en faisant rayonner la gastronomie ivoirienne à l’échelle mondiale.
Plus que quelques dizaines de minutes pour la voir rayonner sur le livre de record mondial.
Les belles feuilles de notre littérature par Amadou Elimane Kane
BATTEZ, BATTEZ LE TAM-TAM DE LUMIÈRE, LE TAM-TAM DE NOTRE HISTOIRE
EXCLUSIF SENEPLUS - À travers l’histoire de la tradition ancestrale et celle des langues africaines, Doudou Ndiaye Rose Junior, héritier du Sabar paternel, partage ses connaissances dans un domaine qu’il maîtrise de tout son corps, de son esprit
Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
Doudou Ndiaye Rose Junior fixe ici la transmission « je ne peux me permettre d’écrire cet ouvrage sans parler de mon père, celui sans qui je n’aurai aucune clé pour transmettre sur le Sabar. Cet homme, mon père, Doudou Ndiaye Coumba Rose, grand tambour major ».
En interprète savant, Doudou Ndiaye Rose Junior fait du Sabar un art majeur qu’il veut transmettre par son savoir, son savoir-faire et une pratique incroyable et multidimensionnelle.
Le sabar, l’art du tambour et de la danse au Sénégal, possède une histoire millénaire qui s’inscrit de manière belle dans notre patrimoine historique et culturel.
Cette pratique traditionnelle ancestrale est synonyme de symboles puissants du récit africain. C’est ce que nous fait redécouvrir Doudou Ndiaye Rose Junior dans son ouvrage intitulé De la vocalisation des tambours aux expressions dansées - L’essence du Sabar révélée dans tous ses états.
À travers l’histoire des groupes sociaux, de la tradition ancestrale et celle des langues africaines, Doudou Ndiaye Rose Junior, héritier du Sabar paternel, partage sa passion et ses connaissances dans un domaine qu’il maîtrise de tout son corps, de tout son cœur et de son esprit. Profondément artiste et enraciné dans le cercle ancestral de la transmission de cet héritage unique légué par une généalogie impressionnante, Doudou Ndiaye Rose Junior propose de rétablir la genèse du Sabar, véritable discipline artistique et culturelle, issue du rythme traditionnel africain et portant des valeurs et des symboles qui sont bien loin de l’imagerie du simple divertissement exotique souvent décrit par la société occidentale.
En effet, la pratique du Sabar appartient à des rites ancestraux qui avaient fonction d’éducation sociale et de transmission culturelle et patrimoniale. C’était également un rite fort de communication et d’échanges.
À travers le langage, le rythme, l’oralité, le corps et la danse, le Sabar est une expression artistique qui communique des symboles de l’histoire africaine. Quand on en saisit la complexité, on est émerveillé de cette combinaison transdisciplinaire qui va au-delà de la simple représentation. Le Sabar est histoire, le Sabar est rythme, le Sabar est langage, le Sabar est poésie, le Sabar est oralité, le Sabar est savoir, le Sabar est science. Et c’est cette alliance plurielle qui en fait sa beauté.
En effet, le Sabar s’inscrit dans un mouvement culturel de la société sénégalaise lors de nombreuses fêtes et cérémonies. Mais Doudou Ndiaye Rose Junior, en interprète savant, en fait un art majeur qu’il veut transmettre par son savoir, son savoir-faire et une pratique incroyable et multidimensionnelle.
Ainsi, il interroge les fonctions profondes du Sabar en nous plongeant dans son histoire qui s’attache à réveiller notre patrimoine social, culturel et artistique africain.
Ce livre est un trésor documentaire en la matière et je ne peux que saluer ce travail prodigieux qui, à travers notamment la richesse de nos langues nationales, décline toute l’expression combinatoire de cet art exceptionnel.
Le Sabar, cette danse traditionnelle alliée au tambour, instrument parlant et communiquant, est un tam-tam de lumière dans notre cosmogonie africaine. Il est pour moi incarnation, signification et poésie car il transmet notre tissu mémoriel de manière intemporelle et universelle.
Doudou Ndiaye Rose Junior souligne que « jouer du tambour, c’est forger » et cette image métaphorique me parle infiniment. Il dit encore que, dans l’art du sabar, « le cerveau et le corps ne font qu’un » et je partage amplement cette idée. Il dit aussi que pour parvenir à l’exercice absolu de son art, « il faut devenir son instrument », magnifique parole qui me transporte dans des ciels de rêve, dans des ciels de créativité.
Ce sont aussi pour lui « les mots du tambour et l’esprit de la danse » qui l’habitent en permanence, cette histoire se conjugue à mon verbe épris de liberté et de poésie.
Cet ouvrage est un livre indispensable pour reformer notre récit culturel patrimonial et je suis captivé par cette œuvre minutieuse, précise et transversale dans la compréhension de notre univers cosmogonique, et qui tient compte des va-et-vient culturels et spatio-temporels.
En fin de volume, Doudou Ndiaye Rose Junior indique plusieurs techniques de la danse du Sabar et ce lexique artistique et technique est celui d’un créateur expert qui partage sa connaissance profonde et son savoir-faire. Cette démarche, à la fois artistique et pédagogique, est selon moi inédite dans ce domaine.
En lisant ces lignes appartenant à notre héritage culturel ancestral, je suis ému de voir combien le grand artiste qu’est Doudou Ndiaye Rose Junior, qui brille telle une étoile transnationale, contribue à inscrire notre récit renouvelé, magnifié et participant ainsi à notre renaissance culturelle.
Amadou Elimane Kane est enseignant et poète, écrivain
De la vocalisation des tambours aux expressions dansées… L’essence du Sabar dans tous ses états, Doudou Ndiaye Rose Junior, essai, Lys Bleu éditions, 2024, ISBN : 979-10-422-3611-3
UNE BANDE DESSINÉE POUR LEVER LE VOILE SUR L'ÉPOPÉE DE MABA DIAKHOU BA
Thierno Diagne Ba, descendant de l’Almamy retrace l’histoire de ce leader musulman du XIXe siècle. Cette œuvre vise à transmettre son héritage aux générations présentes et futures, ouvrant la voie à une série et à un éventuel film d’animation.
La bande dessinée intitulée ‘’la glorieuse épopée de Tafsir Maba Diakhou Ba, Almamy du Rip et du Saloum’’ se veut ‘’un travail mémoriel et pédagogique’’ dont l’objectif est de raconter cette fabuleuse histoire aux générations actuelles et futures, a dit à l’APS son auteur, Thierno Diagne Ba, descendant de cette figure musulmane sénégalaise du XIXe siècle.
‘’La parution de cette BD est un devoir de mémoire. L’objectif est de raconter cette fabuleuse histoire aux enfants sénégalais’’, a-t-il expliqué lors d’un entretien téléphonique avec l’APS.
L’œuvre parue aux éditions Cinérip ouvre le premier chapitre d’une longue histoire qui sera consacrée à « l’origine, l’exil et le retour de l’Almamy du Rip », a-t-il poursuivi, évoquant son ambition d’en faire un film d’animation.
Gestionnaire des industries culturelles et animateur culturel, Thierno Diagne Ba signale que son travail de bande dessinée découle de nombreuses années de recherches à travers les sources orales, mais aussi des travaux de l’universitaire et historien Iba Der Thiam, auteur de l’ouvrage ‘’Maba Jaaxu Ba, Almamy du Rip’’, paru aux Nouvelles éditions africains, en 1977.
Il s’est aussi basé sur les travaux d’Abdou Boury Ba, qui a produit l’‘’Essai sur l’histoire du Rip’’ en 1976, dans les bulletins de l’Institut fondamental d’Afrique noire de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.
M. Ba a également cité le mémoire de maîtrise de Kélétigui S. Keita, soutenu en 1970 à l’Université de Dakar, sous le titre ‘’Maba Diakhou Ba dans le Rip et le Saloum (1861-1867)’’.
« L’Almamy Maba Diakhou fut le modèle du plus simple émir des croyants ou commandeur des croyants’’, a écrit le préfacier, Almamy Abdoul Demba Tall.
LE DÎNER À LA MAISON BLANCHE ATTENDRA
Le nouveau livre de Madiambal Diagne explore les thèmes de l’émigration, de la tragédie sociale et de la condition féminine. L’œuvre mêle un récit journalistique romancé et une critique poignante de la société sénégalaise
La préface de “Le Dîner à la Maison Blanche attendra”, explore les thèmes de l’émigration, de la tragédie sociale et de la condition féminine. Inspirée par une rencontre fortuite avec un émigrant sénégalais et les réalités tragiques de nombreux jeunes qui fuient leur pays. L’œuvre mêle un récit journalistique romancé et une critique poignante de la société sénégalaise.
Le roman aborde également la question du viol et des agressions sexuelles.
L’histoire de Kéthiel, une femme trop belle pour être heureuse, symbolise les injustices faites aux femmes dans une société obsédée par les apparences et dominée par des relations de pouvoir et de convoitise.
Dans la nuit oppressante, Kéthiel subit une agression brutale, un événement qui marque le début d’une série de tragédies dans sa vie. Issue d’une famille respectée, avec un père, Kaaw Thierno, patriarche influent, elle grandit dans l’admiration de tous. Promise à son cousin Bandel, leur mariage scelle son destin d’obéissance et de silence. Pourtant, l’arrivée de l’instituteur Lamine Fall déclenche une passion interdite. Une grossesse cachée mène à un drame :l’accouchement clandestin d’un enfant mort-né, qui scandalise la communauté et conduit Kéthiel en prison.
À sa libération, rejetée par son père et répudiée par son mari, elle trouve refuge auprès de sa mère, Maam Faty. Ensemble, elles s’installent à Dakar pour échapper à leur passé. Une seconde grossesse, issue d’un viol, renforce leur isolement mais aussi leur résilience. Kéthiel, dévouée à son fils, CR7, lutte pour offrir un avenir meilleur. Ses efforts la mènent à un choix risqué : entreprendre un périlleux voyage vers les États-Unis, espérant un renouveau.
L’odyssée de Kéthiel, confrontée aux défis et drames de l’exil, sur fond de quête de survie et de spiritualité est racontée dans la deuxième partie du livre. Perdue dans les méandres d’une migration marquée par des épreuves, elle traverse des territoires hostiles, comme la Colombie, le Nicaragua, le Guatemala et le Mexique, où se mêlent solidarité humaine et exploitation.
Au Mexique, Kéthiel, est obligée de dormir dans une église, et de s’intégrer à une communauté guidée par le prêtre Don Padre, prônant la fraternité religieuse. Sa rencontre avec Maria Morales, une sociologue retraitée au Guatemala,révèle les sacrifices des femmes face aux régimes oppressifs. La dégradation de l’état de santé de Fanta, son amie, culminant avec son décès, illustre les tragédies personnelles des migrants.
La narration suit les péripéties de Kéthiel, du rejet de la traversée maritime en pirogue à son séjour chez Mama Africa, une figure maternelle mexicaine. Ce refuge temporaire à Tapachula, mêlé d’anecdotes culturelles, reflète les luttes des migrants pour trouver un abri et des ressources dans des conditions précaires.
Plusieurs étapes mettent en lumière la vulnérabilité des migrants : les périls du “train des inconnus”, les rencontres avec des passeurs, ou encore les dangers des frontières. Le récit prend un tournant spirituel lorsqu’un rêve conduit Kéthiel à un temple précolombien, où elle se découvre une nouvelle intuition et capacité d’aider les autres.
Finalement, la traversée tumultueuse du Rio Bravo marque l’entrée de Kéthiel aux États-Unis, une étape qui symbolise à la fois la fin et le début d’une quête, mêlant réalisme cru de la vision de tous les démunis et précaires, chez qui elle retrouve l’écho de ses propres galères. Loin de l’image rêvée de l’Amérique, NewYork se révèle saturée, impitoyable pour les nouveaux arrivants.
Un bref répit lui est offert lors d’une visite au « Bamba Day » à Harlem, rassemblement religieux des mourides sénégalais. Ce moment d’unité est cependant éclipsé par la dureté de sa cohabitation dans un foyer surpeuplé, où tensions et jalousies minent le quotidien. La quête d’emploi s’avère infructueuse, la poussant à envisager d’autres horizons.
Fuyant un incident compromettant chez un guérisseur de Brooklyn, elle part pour Washington DC, avec l’espoir d’y trouver une stabilité. Mais là encore, l’avenir se bouche. Dans une ultime tentative, elle décide de rejoindre un groupe de migrants en route vers le Canada, perçu comme un nouvel Eldorado. La traversée clandestine tourne mal, et Kéthiel est arrêtée par la police américaine, suspectée à tort dans une affaire de meurtre.
Épuisée, acculée, Kéthiel sombre dans le désespoir. Lors de son interrogatoire, elle commet l’irréparable en mettant fin à ses jours, mettant un terme à une existence marquée parl’exil, les sacrifices, et les rêves brisés.
Ce livre, dans sa première partie, est un cri d’indignation contre un système qui brise les femmes, et un hommage à celles qui, comme Kéthiel, subissent silencieusement les drames d’une société abrupte et inégalitaire. Le récit est bouleversant dans sa deuxième partie qui illustre les désillusions vécues par de nombreux migrants. Entre les dangers de l’exil et l’injustice des systèmes, la quête de dignité et de sécurité se heurtent souvent à des obstacles insurmontables, révélant l’âpreté de leur lutte pour survivre.
JEAN-CLAUDE BARNY HONORE FANON, UNE FIGURE DE LA DÉCOLONISATION
À travers ce film, le réalisateur guadeloupéen retrace le parcours du penseur martiniquais Frantz Fanon, figure majeure de la lutte anticoloniale, en mettant en lumière son combat pour l’humanité et son rôle de psychiatre durant la guerre d’Algérie.
Le réalisateur guadeloupéen Jean-Claude Barny a présenté, dans le cadre du festival « Dakar Court », tenu du 9 au 14 décembre dans la capitale sénégalaise, son troisième long métrage fiction dans lequel il dresse le portrait du penseur humaniste et anticolonial martiniquais Frantz Fanon (1925-1961).
Intitulé simplement « Fanon », ce biopic se veut un hommage au psychiatre et essayiste français dont « Les Damnés de la Terre » (Maspero, 1961) est l’un des livres les plus célèbres.
Les scènes relatées dans ce film se situent entre 1953 à 1956, période coïncidant avec le séjour de l’écrivain martiniquais en Algérie, au plus fort de la colonisation française avec son lot de violence humaine.
Le film de Jean-Claude Barny s’inscrivait aussi dans un contexte où la résistance à la colonisation commençait à se structurer autour du Front de libération nationale (FLN), catalyseur de l’indépendance présentée comme une expérience douloureuse en Algérie intervenue en 1962.
Le réalisateur a surtout mis en exergue l’apport de Frantz Fanon dans cette lutte. Il laisse aussi voir que le métier de médecin psychiatre de ce dernier a suscité peu d’intérêt, en comparaison de son militantisme anticolonial dont les échos se retrouvent dans ses écrits dont les plus mémorables sont Peau noire, masques blancs (Seuil,1952), l‘An V de la révolution algérienne (Maspero, 1959), un texte militant plusieurs fois réédité depuis et considéré comme un » classique de la décolonisation « .
« +Fanon+ est fait presque pour l’état actuel du monde […] Et je pense que c’est quelqu’un dont les écrits sont parfois nécessaires, sur un parcours d’un homme. C’est quelqu’un qui m’a guidé en tant qu’être humain, en tant qu’universaliste, en tant que cinéaste », a expliqué Jean-Claude Barny pour justifier son choix de porter à l’écran cette période de la vie de cette figure emblématique du monde noir.
« C’est aussi, je vais dire naïvement, mais avec beaucoup de sincérité, un amour sur l’être humain », ajoute-t-il à propos de son film, fruit, à ses yeux, d’un « travail de très longue haleine », né d’une « introspection personnelle ».
Il note : « Quand on est cinéaste ou artiste, je pense qu’on a besoin de prendre quelque chose, de savoir ce qui nous guide. Je pense qu’on ne peut pas systématiquement créer quelque chose sans avoir une sorte de leitmotiv. Fanon a été le mien en tant que réalisateur ».
« En fin de mon parcours de cinéaste, poursuit Jean-Claude Barny, je pense que je me devais de lui rendre hommage, de le remercier, de tout ce qu’il m’a apporté en tant qu’être humain ».
Barny prend le parti d’axer son film sur Fanon le psychiatre, une spécialité médicale dont il est titulaire d’un doctorat. Le biopic qui démarre avec l’arrivé de Fanon à l’hôpital psychiatrique de Blida en Algérie où il vient d’être nommé chef de service a pris fin avec son départ pour la Tunisie.
Le film « à 90% sourcé et historique »
Le film plonge au cœur de la guerre d’Algérie où Fanon livre un combat contre la colonisation au nom de l’humanité, met en exergue ses méthodes qui permettent aux malades enfermés de retrouver goût à la vie, contrastant avec celles des autres médecins dans un contexte colonial où la libre pensée est réprimée.
Fanon fait face à la violence physique dont sont victimes les Algériens dans leur pays, mais aussi à la violence verbale et raciste à laquelle il se trouve lui-même confronté et qui l’amène à affronter constamment le danger avec sa famille.
Le tournage du film s’est déroulé en Tunisie, même si le récit parle de l’Algérie, conséquence du « refus » des autorités algériennes d’accueillir la production, selon le réalisateur de « Nég Maron » (2004).
« Dans le travail que je fais, j’essaie vraiment d’aller au bout de tout ce que je fais. Dans la précision, dans la légitimité, dans l’authenticité. Parce que c’est vrai que ce sont des films qui peuvent être portés dans une totale vérité », a déclaré le réalisateur.
« J’ai fait tout un travail de recherche sourcé. Et quand on a apporté le projet aux instances culturelles d’Algérie, je comprends totalement qu’ils aient refusé. Parce que c’est aussi, pour eux, quelque chose aussi qui est encore vif », a-t-il dit.
Il a toutefois signalé que « tous les repérages » pour la réalisation du film ont été faits en Algérie il y a six ans.
« Je pense que c’est l’histoire de Abane Ramdane [compagnon de combat de Fanon, un personnage clé du film dénommé l’architecte de la révolution], sa démocratie qui a peut-être fait tiquer un peu les instances [algériennes] », poursuit-il, avant de remercier l’Algérie, la Tunisie et aussi le Maroc, qui, dit-il, lui ont permis de disposer des sources lui ayant permis d’aller au bout de son projet.
« Le film est sourcé et historique à 90% à peu près », a tenu à souligner Jean-Claude Barny, selon qui « tout ce qui est dit dans le film, c’est vérifiable, c’est le plan, les dates, les personnages. C’est un bon travail très minutieux au niveau de l’histoire ».
Le reste, correspondant à 10% du film, relève de la façon dont la mise en scène a été effectuée, a-t-il dit.
Ce biopic dont la sortie est attendue en avril en France sera projeté dans toutes les capitales africaines, promet son distributeur.
VIDEO
NATHALIE VAIRAC : NAÎTRE ET NE PAS ÊTRE
Pas le « bon » nez ni les « bons » cheveux pour être reconnue comme Indienne. Pas non plus assez « bâtie » pour être perçue comme une Noire authentique. Quel crime cette comédienne a-t-elle donc commis pour être ainsi toisée, ballottée entre deux cultures
Pas le « bon » nez ni les « bons » cheveux pour être reconnue comme Indienne. Pas non plus assez « bâtie » pour être perçue comme une Noire authentique. Quel crime cette comédienne a-t-elle donc commis pour être ainsi toisée, ballottée entre deux cultures - celle d’un père guadeloupéen et celle d’une mère indienne ?
La richesse apparente de la double culture, ou du métissage, dissimule souvent les douleurs que vivent en silence de nombreuses personnes métisses. Et que dire lorsque, dès le départ, un mariage n’est pas accepté, surtout s’il implique un ou une conjoint(e) perçu(e) comme « casté(e) » ? L’histoire de Nathalie Vairac illustre parfaitement cette réalité. En effet, le mariage de ses parents, célébré dans les années soixante, a été mal accueilli par une partie de la famille maternelle. Une Indienne qui ose épouser un Noir ?
Guadeloupéenne par son père et Indienne par sa mère, Nathalie a vu l’amour de ses parents se heurter à des résistances de part et d’autre des deux familles. Cette « union interdite », vécue comme un sacrilège du côté maternel, s’est alourdie du poids des incongruités coloniales. Sous l’influence de la politique d’assimilation, certains de ses très lointains ancêtres, arrière-arrière-grands-parents, avaient renoncé officiellement à leur identité, dans l’espoir fallacieux d’accéder à un statut « supérieur » et aux avantages supposés qui y étaient attachés. Une manipulation qui n’a fait qu’accroître le poids des douleurs et des souffrances que Nathalie a portées durant des années, hantée par cette question constante : « Qui suis-je ? ».
Le temps, cependant, a fait son œuvre, et Nathalie a peu à peu trouvé le chemin de la guérison. Comédienne chevronnée, avec plus de trente ans d’expérience sur les planches, elle s’est ouverte à d’autres formes d’expressions artistiques, notamment la performance.
C’est ainsi que, dans le cadre de la 15e édition de Dak’Art, Nathalie a présenté le projet « Mutikkap Patate » au Raw Material Company, situé au Point E. À travers cette œuvre, elle a partagé son histoire et les résonances de son parcours. Grâce au théâtre, qui favorise la rencontre et l’introspection, ainsi qu’à la psychanalyse et à d’autres démarches de compréhension de soi, Nathalie a entrepris un travail de réconciliation intérieure. Elle a refusé de couper les liens avec sa famille, qu’elle soit paternelle ou maternelle, malgré le lourd héritage familial et colonial.
Son retour en Afrique, en tant qu’Afrodescendante, a également joué un rôle clé dans ce processus de guérison. Bien que son père n’ait peut-être jamais eu de connexion avec ce continent, Nathalie y a trouvé un sens profond et apaisant. Après quatre ans passés au Kenya, elle vit depuis dix ans au Sénégal, où elle semble avoir trouvé un équilibre.
Son histoire reflète celle de milliers, voire de millions de métisses confrontés aux questions identitaires, au racisme et aux séquelles d’un passé colonial pesant. En définitive, malgré les avancées de la civilisation, l’humanité persiste à nourrir des comportements teintés d’obscurantisme, d’intolérance et d’inhumanité.
par l'éditorialiste de seneplus, Amadou Elimane Kane
LA MÉMOIRE DE THIAROYE OU LE BATAILLON DES TIRAILLEURS SÉNÉGALAIS CONTINGENT DE LA FORCE COLONIALE
EXCLUSIF SENEPLUS - Pourquoi nous, peuples d'Afrique subsaharienne et particulièrement du Sénégal, continuons-nous à célébrer ceux qui ont participé à notre oppression historique et à l’extermination de notre souveraineté ?
Amadou Elimane Kane de SenePlus |
Publication 18/12/2024
Au moment de la commémoration du massacre du camp de Thiaroye, survenu le 1er décembre 1944, l’histoire du bataillon des Tirailleurs Sénégalais mérite que l’on s’y attarde pour éclairer l’histoire de l'hégémonie coloniale.
Le bataillon des Tirailleurs Sénégalais a été formé par un décret de Napoléon III en juillet 1857, sous le commandement de Louis Faidherbe, gouverneur du Sénégal depuis 1854 et dont on connaît le rôle dans l’expansion coloniale et ses violences meurtrières. Le recrutement effectué d’abord sur les terres sénégalaises s’est peu à peu étendu à d’autres nations africaines, recrutant dans ses rangs des soldats d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique du Nord.
L’objectif de l’existence de ce contingent était d’apporter un soutien militaire aux opérations d'envahissement et de conquêtes coloniales. Les Tirailleurs sénégalais avaient d’abord pour mission de réprimer toute résistance à l’empire colonial français, utilisant les mêmes armes que l’impérialisme colonial. Ainsi, les Tirailleurs Sénégalais devenaient la main armée de l’empire colonial français, sur leur propre territoire en combattant les peuples en lutte. Et il n’est pas insultant de dire que Les Tirailleurs Sénégalais devenaient ainsi les collaborateurs de la domination coloniale française. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le bataillon a été dissout entre 1960 et 1962, au moment des indépendances des États africains.
Plusieurs questions se posent alors. Comment peut-on encore défendre un groupe armé à la solde de la colonisation ? Pourquoi en Afrique et au Sénégal en particulier, devient-on les défenseurs naturels des collaborateurs ?
Engagés inconsciemment ou consciemment comme tous les soldats de la première guerre mondiale et de la seconde guerre mondiale, les Tirailleurs Sénégalais tirent toutefois leur existence dans des actes de collaboration et de répression envers leur propre peuple, avec des avantages non négligeables à ce moment de l’histoire. De même, ils ont contribué aux guerres coloniales en Afrique, en Indochine, en Algérie et à Madagascar, aux côtés de l’empire colonial français.
Souvenons-nous que les collaborateurs ont partout été jugés, tués et indexés dans l’histoire de leur pays. Le Maréchal Pétain, héros de la première guerre mondiale et alors vainqueur dans l’opinion publique, est accusé de collaboration avec les nazis à la fin de la seconde guerre mondiale pour avoir installé le régime autoritaire de Vichy. À la libération, il est jugé et arrêté pour haute trahison et condamné à mort, une peine commuée en détention à perpétuité. Il meurt en prison en 1951. Aujourd'hui encore, l’histoire de la France ne reconnaît pas la mémoire du Maréchal Pétain car cela n’est pas acceptable pour tous les combattants et les résistants à l’occupation nazie.
En Italie, Benito Mussolini, dictateur fasciste et collaborateur du régime nazi, a été exécuté en place publique en avril 1945 par les partisans italiens et son corps mutilé a été exposé à la foule, comme l’ultime humiliation.
En Algérie, les harkis, combattants anti-indépendance à la solde de l’armée française, ont été bannis de leur pays, avec un traitement de violence qui aujourd'hui continue de subsister, pour dénoncer leur collaboration avec l’empire colonial français.
Alors pourquoi nous, Africains noirs sub-sahariens, et en particulier Sénégalais, conscients des luttes sanglantes que nous avons eues à mener face à l’agression perpétuelle et à l’extermination de notre souveraineté humaine, culturelle et historique, célébrons-nous encore ceux qui ont été les complices de notre propre désintégration ?
J’ose m’adresser au peuple sénégalais en disant de ne pas soutenir les oppresseurs de notre libre-arbitre. C'est une insulte à ceux et à celles qui se sont levés contre la colonisation et qui ont œuvré pour la liberté. Si nous voulons nous affranchir définitivement du joug colonial, nous devons examiner notre conscience pour oser prendre position contre ce type de manipulations mentales.
Je ne dis pas que les assassinats du camp de Thiaroye en décembre 1944 sont une bonne chose, je dis simplement que notre mémoire doit s'accompagner d’une conscience entière, sans déni de vérité historique.
Si les archives françaises du 1er décembre 1944 restent nébuleuses ou inaccessibles, c’est encore une fois une manière de garder la mainmise sur notre histoire. Ce n’est pas non plus un hasard si l’État français continue d’honorer la mémoire des Tirailleurs Sénégalais car ils sont le symbole de leur suprématie qui continue d’instrumentaliser notre conscience historique. Mais gardons-nous de pleurer ceux qui ont collaboré pour mieux écrire notre propre récit historique et pour célébrer la mémoire de ceux qui ont toujours résisté à l’empire colonial français.
Ce qui nous importe aujourd'hui au XXIe siècle, c'est de faire vivre notre propre récit, de célébrer les combattants historiques des luttes pour notre liberté, sans omettre de dénoncer ceux qui nous ont trahis. Notre devoir de mémoire s’accompagne de cette prise de conscience qui contribue à la renaissance africaine et à l’émergence de tous les soleils de notre émancipation.
Amadou Elimane Kane est enseignant, écrivain poète et chercheur en sciences cognitives.
Dak’Art 2024. Une biennale mémorable. On craignait des couacs en raison d’un report inattendu de 6 mois de cet grand évènement culturel. Mais force est de noter que ce report s’est révélé être un repli stratégique ayant permis un bon départ pour arriver à un meilleur résultat.
La 15 e édition de la biennale de l’art contemporain de Dakar (Dak’Art 2024) a connu un franc succès presque a tout point de vue : la mobilisation surtout la jeunesse (collégiens et lycéens incités par la magie des réseaux sociaux), la diversité des thématiques, les excellentes propositions des artistes, etc. C’est le constat sans ambages que fait le journaliste Aboubacar Demba Cissokho, journaliste culturel et critique d’arts.
Pour lui l’interet de cet évènement est reste intact, en tout cas pour le monde des arts et de la culture.
En revanche, sur le plan de la communication institutionnelles les lacunes demeurent. Suivez les explications d’Aboubacar Demba Cissokho sur AfricaGlobe Tv.
VIDEO
NATHALIE VAIRAC : ENTRE L'INDE ET LA GUADELOUPE, QUI SUIS-JE
L’artiste indo-guadeloupéenne Nathalie Vairac, qui porte en elle les douleurs du métissage, les horreurs de la colonisation et le racisme subtil déguisé en compliments, a décidé de faire une pause pour se raconter véritablement, sans jouer de personnage.
Le problème de l’identité se pose avec acuité dans certains couples mixtes. Lorsque, en plus de ces difficultés identitaires, un mariage interracial est mal accepté et combiné aux séquelles de la colonisation, cela peut engendrer des conséquences profondes, notamment chez les enfants. C’est ce qu’a vécu la comédienne indo-guadeloupéenne Nathalie Vairac. Elle a souffert des héritages familiaux complexes qu’elle porte et a choisi de les traduire dans une exposition organisée dans le cadre des OFF du Dak’Art 2024.
Nathalie est née d’un père noir guadeloupéen et d’une mère indienne. Cette union a été très mal perçue du côté maternel. Sa mère a osé braver les conventions en épousant une personne non seulement hors de sa caste, mais aussi hors de son pays et de sa « race ». Ce mariage a été difficilement accepté.
Cependant, bien avant cela, au XIXe siècle, les ancêtres maternels de Nathalie, plusieurs générations en arrière, ont dû officiellement renoncer à leur identité indienne pour devenir Français. Ce changement a été marqué par l’adoption de nouveaux noms, effaçant ainsi une partie de leur héritage culturel.
Bien que cette histoire semble lointaine, elle a profondément marqué Nathalie Vairac, qui a longtemps subi les répercussions identitaires de cet héritage. Ces blessures sont une conséquence directe de la colonisation, accompagnée de son lot de mensonges, de promotion de l’assimilation et de manipulation. On inculquait alors l’idée qu’être Français permettait d’atteindre un certain niveau de vie et de respectabilité — une grande illusion.
Métisse indo-guadeloupéenne née en France, Nathalie n’était pas assez noire pour être perçue comme telle. En même temps, ses traits physiques ne correspondaient pas suffisamment à ceux de sa mère pour qu’on la considère comme indienne.
Nathalie Vairac a dû affronter ces violences identitaires et entreprendre un travail sur elle-même. Si son métier de comédienne de théâtre l’a aidée à cicatriser certaines blessures, elle a ressenti le besoin de faire une pause pour raconter sa propre histoire, sans jouer de rôle comme le requiert sa profession. Son retour en Afrique, amorcé il y a 14 ans, lui a également permis de se reconnecter à elle-même. Aujourd’hui, Nathalie expose son travail dans le cadre des OFF du Dak’Art 2024, au sein d’un espace de Raw Material, situé au Point E.