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3 décembre 2024
Culture
«BEAUCOUP D’ARTISTES SE GARDENT DE PRENDRE DES RISQUES»
Palabres avec… Dr Ibrahima WANE, professeur de littérature et civilisations africaines à l’Ucad. Il porte son regard sur l’engagement des artistes lors des malheureux évènements relatifs à l’affaire Ousmane Sonko.
Titulaire d’un doctorat de troisième cycle de Lettres modernes et d’un doctorat d’État de Lettres et sciences humaines, le Docteur Ibrahima Wane est professeur de littérature et civilisations africaines à Université Cheikh Anta Diop de Dakar (l’UCAD). Il enseigne aussi l’histoire sociale de la musique à l’Institut supérieur des arts et cultures (ISAC) de Dakar. Wane est le directeur de la formation doctorale Études Africaines de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’UCAD et le premier vice-président du Réseau euro-africain de recherche sur les épopées (REARE). Ancien journaliste culturel, il a été de l’aventure du groupe Com 7 avant de collaborer avec le journal Taxi. En sa qualité d’Enseignant Chercheur, il travaille beaucoup sur la poésie et la musique populaire en Afrique de l’Ouest, les littératures écrites en langues africaines, les cultures urbaines et l’imaginaire politique. Souvent sollicité pour participer à des travaux scientifiques touchant à ces différents domaines, le Docteur Ibrahima Wane et une voix autorisée dans le milieu universitaire et culturel sénégalais. Il porte son regard sur l’engagement des artistes lors des malheureux évènements relatifs à l’affaire Ousmane Sonko.
Dr, lors des malheureux évènements que nous venons de vivre avez-vous senti un engagement physique des artistes pour les causes du peuple ?
Il y a une réalité sénégalaise bien établie depuis assez longtemps ; c’est que les artistes font partie de l’opinion. On les retrouve dans les rangs des observateurs et des acteurs de premier plan. Ceux du mouvement « Y’en a marre » ont des positions connues, régulièrement réaffirmées. Malal, Thiat et Kilifeu se sont encore retrouvés au cœur du combat. Nitt Doff et Mass, par exemple, affichent clairement leur appartenance à un camp, celui de Sonko. Plusieurs autres artistes se sont prononcés à travers des déclarations dans les médias et les réseaux sociaux ou à travers des œuvres produites pour la circonstance. Leurs messages ont porté selon les sensibilités sur la défense des libertés, l’indépendance de la justice ou la recherche de la paix et de la stabilité.
Qu’est-ce qui explique, selon vous, ce déficit d’engagement ?
Les artistes ne sont pas une classe homogène. Il s’agit d’individualités qui ont des rapports à la politique liés à leurs trajectoires respectives. Il s’y ajoute que les formes d’expression des sentiments et des opinions varient d’un acteur à un autre. La réactivité, comme le rythme de production, n’est pas la même partout. Beaucoup ont préféré jouer la carte de la prudence, en attendant d’avoir une lecture plus claire des faits, alors que les choses sont allées très vite. Nombreux sont donc ceux qui ont été pris de court.
Un artiste comme Chris Brown a tweeté pour se désoler de la situation au Sénégal. Au Nigeria, des artistes n’hésitent pas à sortir dans la rue. Qu’est ce qui explique, selon vous, cette exception sénégalaise ?
On idéalise peut-être trop les artistes. N’oublions pas que même pour défendre leurs propres intérêts, ils n’y vont de la même manière. Ils sont éparpillés dans plusieurs associations et empruntent des démarches quelque fois divergentes. S’attendre à une réaction collective et uniforme relève donc de la naïveté. Même parmi ceux qui ont directement agi ou réagi, il y a eu plusieurs niveaux et moments d’intervention. Il y a eu une première séquence où il a été surtout question de dénoncer un complot contre un opposant. Ensuite il s’est agi de prêcher pour une mobilisation citoyenne. Dans le troisième temps, il était surtout question d’appels à la paix. Et là, par exemple, même l’Ensemble lyrique traditionnel du Théâtre national Daniel Sorano est entré dans la danse en produisant un single qui réunit une dizaine de voix.
On a entendu les voix de Boubacar Boris Diop, Felwine Sarr, Moussa Sène Absa. Est- ce suffisant ?
C’est en tout cas important. Ces voix ont du poids. Elles ne passent pas inaperçues. D’autres intellectuels se sont aussi exprimés dans les médias, entre autres tribunes, ici et ailleurs. Des artistes ont clairement pris position en demandant à l’Etat d’arrêter la machine répressive pour éviter une spirale de violence infernale. L’on peut citer Lamtoro et Gaston, le duo du Positive Black Soul, Awadi et Duggy Tee, Daara J, Leuz Diwane J, Dip Doundou Guiss qui ont tous alerté. Ahlou Brick a apporté sans équivoque son soutien aux manifestations pour la libération des détenus. L’on a vu des jeunes artistes comme le célèbre humoriste Diaw dans la foule des protestataires. Il y a là bien des signes non négligeables.
Quelle analyse tirez- vous de la contribution de ces trois personnalités culturelles ?
Boubacar Boris Diop est l’un des plus grands romanciers de ce pays. L’on peut aussi parler de sa carrière de journaliste. Il est donc un observateur très attentif doublé d’un acteur précieux car il parle du haut de sa longue expérience. En tant que septuagénaire, il pouvait s’abstenir d’intervenir et dire que c’est aux jeunes dont l’avenir est en jeu d’aller au charbon. Il a choisi de rester sur le terrain. Evidemment Boris, c’est à la fois le plaisir du texte et le poids des idées. Felwine Sarr est d’une autre génération. Ayant comme nous tous lu Fanon, il a à cœur de remplir sa part de la mission. N’oubliez pas qu’il était en 2011 à la tête d’un groupe d’universitaires qui, pendant la crise préélectorale, avaient lancé un manifeste pour le respect de la Constitution. Il reste sur cette ligne de cohérence. Moussa Sène Absa a fait depuis longtemps la preuve de son engagement. Dans un contexte très difficile, en 2010, il a consacré tout un film aux dérives du régime de Wade : « Yoole ». Pour moi, il s’agit là de trois hommes debout, des sentinelles qui, à leur manière, invitent chacun d’entre nous à jouer sa partition.
Certains soutiennent que nos artistes sont plus préoccupés par leur confort personnel …
Il est vrai que beaucoup d’artistes se gardent de prendre des risques. Ils se disent que leurs fans ou auditeurs sont de tous les bords et qu’il vaut mieux rester équidistant des chapelles politiques. Il y a aussi la crainte de se faire manipuler ou le risque de s’aliéner les pouvoirs publics. Ils préfèrent donc souvent jouer la carte de la prudence et se contenter de sacrifier à l’acte civique rituel, le vote pour la plupart.
Comment analysez- vous les singles de Dip et Leuz Diwan ?
Ces singles montrent qu’on était très vite allé en besogne en reprochant à la nouvelle génération de rappeurs d’être peu engagée et d’être plus portée sur les mondanités. Le contexte national et international a toujours une influence sur les démarches artistiques. La situation qu’on a vécue a révélé qu’une bonne partie de ces rappeurs, qu’on avait classés sur le registre de l’ « entertainment », est très ancrée dans les réalités quotidiennes et n’est pas moins consciente que les aînés.
Les footballeurs internationaux ont également manifesté leur solidarité au peuple. C’est nouveau…
Oui, c’est aussi l’effet des réseaux sociaux. Aujourd’hui, on vit en temps réel tout ce qui se passe dans les différents endroits de la planète. Ces footballeurs évoluent aussi dans des pays où cette pratique est courante : l’expression de la solidarité, de la compassion, etc. à travers des tweets, posts, vidéos…
Pouvez-vous nous citer dans l’histoire de la musique sénégalaise des artistes engagés. Et dans quelles circonstances ?
L’engagement n’est pas que d’un bord. Le pouvoir a aussi toujours eu ses défenseurs. Il est vrai qu’on met l’accent souvent sur ce qui est moins évident, peut-être plus méritoire, l’engagement aux côtés des sans-voix. On peut citer quelques icônes qui ont des parcours et des styles bien entendu différents. Le folk singer Seydina Insa Wade, qui a depuis son adolescence toujours cheminé avec des militants de la gauche, s’est distingué des années 1970 aux années 2000 par un répertoire. Baaba Maal, qui a à partir du lycée commencé à fréquenter les cercles et les associations culturelles a développé aussi cette sensibilité de gauche. Oumar Pène a également grandi dans des environnements marqués par cette veine contestataire. Cette influence perceptible dans ses chansons est bien pour quelque chose dans sa proximité avec la jeunesse, notamment les étudiants. Ouza Diallo est un autre exemple. Il a été censuré sous Senghor comme sous Abdou Diouf. Il n’a pas non plus hésité à critiquer Abdoulaye Wade. Ces chanteurs dits engagés se sont aussi quelques fois appuyés sur les créations de poètes et d’artistes moins connus pour n’avoir pas fait une grande carrière leur permettant de faire éditer des cassettes et d’être médiatisés.
LES ARTISTES DONNENT DE LA VOIX
Le 6 mars, au plus fort des tensions qui agitent le pays suite à l’arrestation de Ousmane Sonko, le rappeur Dip Doundu Guiss prend le chemin de son studio pour sortir FreeSenegal.
Les artistes sénégalais sont restés un moment groggy face aux évènements violents que le pays a traversés ces derniers jours. Mais le rappeur Dip Doundou Guiss est sorti du silence le 6 mars pour proposer un son, «FreeSenegal» qui tire à boulets rouges sur le «tyran» qui gouverne le pays. Le rappeur est aussi un des signataires d’un manifeste rédigé par un collectif d’artistes, de cinéastes et d’universitaires.
Le 6 mars, au plus fort des tensions qui agitent le pays suite à l’arrestation de Ousmane Sonko, le rappeur Dip Doundu Guiss prend le chemin de son studio pour sortir FreeSenegal. L’opus est incendiaire et déverse un flot de paroles sur le «tyran» qui dirige le pays et sa gouvernance. «Trop c’est trop», chante l’artiste, visiblement excédé par l’escalade de ces derniers jours avec les arrestations de certains activistes, le ralentissement d’internet et autres. Dip entonne un hymne qui raconte au détail près, les misères du peuple. Il fustige ainsi le chômage endémique des jeunes, les hôpitaux sans moyens, les accords de pêche qui ont dépouillé l’économie locale aux profits des navires occidentaux. «Le palais est le temple des voleurs tandis que Rebeuss regorge d’innocents», entonne l’artiste de Grand Yoff qui une fois de plus, dévoile son engagement au moment où les artistes de ce pays étaient plongés dans un silence prudent. Ce cri du cœur a sans doute inspiré d’autres artistes puisque quelques réactions timides ont été entendues sur la toile.
Un collectif d’artistes et d’universitaires
«Il faut que cesse l’impunité internationale du régime de Macky Sall», c’est le titre d’un nouveau manifeste signé par des artistes dont Dip Doundu Guiss et des enseignants. «Chômage massif des jeunes, accroissement des inégalités, scandales de corruption, le tout accentué par une gestion répressive de la crise sanitaire : il s’agit bien d’un ras-le-bol généralisé d’une population qui désavoue la gestion du pays par sa classe politique dirigeante», écrivent les signataires de ce collectif. Parmi eux, des cinéastes, Moussa Sene Absa, Maky Madiba Sylla, Bamba Diop, des musiciens, Wasis Diop, Nit Doff, Fou Malade, Alune Wade, des écrivains comme Khalil Diallo et des professeurs d’université. «Depuis plus d’un mois, pas un jour ne passe sans que les forces de l’ordre n’arrêtent des opposants au régime, aussi bien militants du Pastef, membres du mouvement Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (Frapp) que divers citoyens engagés. La torture, legs de l’administration coloniale maintenu par tous les régimes depuis l’indépendance, est également utilisée comme arme de renseignement», dénonce le collectif qui exige que cesse l’impunité dont ils identifient la cause. « Un système hyperprésidentialiste hérité d’une part de la Vème République française de 1958, et d’autre part de la Constitution sénégalaise de 1963 qui supprima le poste de Premier ministre après l’éviction du chef de gouvernement d’alors, Mamadou Dia, concentrant ainsi les pouvoirs dans les mains de l’exécutif», indiquent-ils.
DÉCÈS DE DJIBRIL TAMSIR NIANE
L’écrivain et historien guinéen est mort dans la nuit de dimanche à lundi à Dakar, des suites d’une longue maladie
L’écrivain et historien guinéen Djibril Tamsir Niane est décédé dans la nuit de dimanche à lundi à Dakar, des suites d’une longue maladie, indiquent plusieurs médias sénégalais.
Spécialiste de l’Empire du Mali, Djibril Tamsir a notamment écrit Soundjata ou l’épopée mandingue.
Djibril Tamsir Niane est le père de Katoucha Niane, l’une des premières mannequins noires internationale.
VIDEO
FREE SENEGAL
Le rappeur Dip entre dans la danse pour réclamer la libération de Sonko. Dans une chanson il critique le gouvernement de Macky Sall.
Le rappeur Dip entre dans la dance pour réclamer la libération de Sonko. Dans une chanson il critique le gouvernement de Macky Sall.
SI LES DISCOTHÈQUES ROUVRENT, POURQUOI PAS LES CINEMAS
Alors que le Sénégal commence à autoriser la réouverture de bars, de discothèques ou de musées, les salles obscures restent fermées. Une situation dénoncée par le directeur du Complexe cinématographique Ousmane Sembène, à Dakar
Jeune Afrique |
Léo Pajon |
Publication 06/03/2021
À Dakar, les responsables de cinéma broient du noir. Depuis près d’un an, les salles obscures restent fermées, tandis que différents arrêtés et circulaires émanant du gouverneur de la région ou du Ministère de la culture et de la communication, autorisent, parfois temporairement, la réouverture des restaurants, bars, discothèques ou musées. Directeur du Complexe cinématographique Ousmane Sembène depuis six mois, Kevin Aubert oscille entre colère et incompréhension. Rencontre.
Jeune Afrique : Vous affirmez que le cinéma, à Dakar, vit « une crise sans précédent »… Pourquoi ?
Kevin Aubert : Les cinémas de la ville, c’est-à-dire notre complexe et le CanalOlympia Téranga, sont fermés depuis le 15 mars 2020 sur décision gouvernementale. Il s’agissait alors d’endiguer la propagation du virus en fermant les établissements culturels, les marchés… Mais tandis que des arrêts ont permis la réouverture des restaurants, des salles de sport, des discothèques, ou de lieux culturels accueillant moins de 500 personnes, les autorités ont exigé que les cinémas et le Grand théâtre national de Dakar restent fermés.
Les cinémas sont-ils fermés parce qu’ils ne satisfont pas aux mesures sanitaires préconisées par le gouvernement ?
Non, ça dépasse toute logique sanitaire… Nous étions prêts à respecter des protocoles très stricts : condamnation de fauteuils pour éviter les contacts, port du masque obligatoire, mise à disposition de gel sur tout le parcours de nos clients, ThermoFlash [thermomètre sans contact] à l’entrée de l’établissement, réorganisation des flux de spectateurs… Nous avons défendu des mesures qui vont bien au-delà de celles mises en place dans d’autres lieux qui ont pourtant pu rouvrir.
Comment expliquez-vous ce traitement particulier ?
Je pense qu’il y a un manque de considération à l’égard des cinémas au Sénégal. Il faut rappeler que Dakar était l’une des grandes capitales du septième art en Afrique jusqu’à la fin des années 1990. Mais beaucoup de salles appartenant à l’État ont été privatisées, la plupart ont fermé progressivement. La relation des Sénégalais au cinéma passait par le piratage, par des projections sauvages.
Actuellement il y a un nouvel élan : le CanalOlympia a ouvert en 2017, notre complexe a été inauguré en 2018 et le multiplexe Pathé-Gaumont doit être lancé cet été… Mais tout cela est trop récent, notre voix n’est pas encore entendue.
EXCLUSIF SENEPLUS - Il aura marqué à sa manière l'édition 2020 du prix Goncourt. Simplement avec un petit texte sans prétention : « Mon Anomalie-challenge »
C'est parti comme qui dirait mine de rien, un peu comme un feu de brousse. Une étincelle d'abord, un petit vent ensuite, et hop !... la flamme.
D'après ce que nous savons de la petite histoire, au vu des éléments recoupés ici et là, Eric Mendi a parcouru en décembre 2020 « L'Anomalie », le livre prix Goncourt d'Hervé Le Tellier. Fasciné par la magie du dédoublement, élément central du roman de Le Tellier, Eric Mendi, saisi d'inspiration, va écrire aussitôt quelques lignes sur ce phénomène paranormal, en s'appuyant notamment sur le mythe du chasseur dédoublé, une histoire vraie, semble-t-il, selon certains peuples de la forêt équatoriale africaine.
Le résultat de cet exercice sera un texte de quelques petits paragraphes que Mendi intitulera « Mon Anomalie-challenge ». Il le fera précédé d'une petite introduction autour de la tendance à l'américanisation du roman français de notre époque.
Le texte est publié le 3 février 2021 sur Africultures. De qualité excellente, selon les lecteurs, et un brin original dans le style, avec une pertinence sans faille, notamment sur le petit exposé portant sur l'influence des auteurs américains sur la littérature française et le roman français en l'occurrence. L'article fera l'objet d'une attention particulière. Des reprises et des interprétations diverses paraissent aussitôt sur la toile, inondant la page « Actualités » du prix Goncourt sur Google pendant des semaines. Il ne serait pas exagéré de dire qu'Eric Mendi aura marqué à sa manière l'édition 2020 du prix Goncourt. Simplement avec un petit texte sans prétention : « Mon Anomalie-challenge ».
Pour rappel, Eric Mendi est deux fois lauréat du Grand prix des Belles-Lettres du GPAL. En 2016, lorsqu’il est couronné pour la seconde fois, il avait parmi ses concurrents en phase finale un certain Tahar Ben Jelloun de l’Académie Goncourt.
Parlant d'Eric Mendi, les universitaires norvégiens Trulls Olav Winther et Helge Ronning ont écrit dans la Store Norkse Leksikon (Grande Encyclopédie Norvégienne) : « Mendi n'écrit pas de manière aussi agressive que, par exemple, René Philombe ou Yodi Karone. Il ridiculise plus qu'il ne proteste, et on dit que cela fait de lui un représentant typique de la littérature de notre époque ».
«C’EST UN MOMENT DECISIF POUR LE CINEMA AFRICAIN»
Les autorités burkinabè ont porté leur choix en octobre 2020 sur le Germano Burkinabè, Alex Moussa Sawadogo, pour assurer la direction du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco)
Les autorités burkinabè ont porté leur choix en octobre 2020 sur le Germano Burkinabè, Alex Moussa Sawadogo, pour assurer la direction du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) qui se tient tous les deux ans dans la capitale burkinabè. Le nouveau Délégué général du festival, dont l’édition 2021 a été reportée en raison de la pandémie du Covid-19, souhaite mettre sa longue expérience en matière de gestion et de programmation de festivals au service d’un événement culturel, d’un univers et d’un pays qu’il connaît bien.
Pourquoi avez-vous accepté de devenir le nouveau Délégué général du Fespaco ?
Je tiens d’abord à remercier les autorités burkinabè qui m’ont nommé à la tête de la Délégation générale du Fespaco. A sa création, je n’étais pas encore né et me voir confier cette tâche est une lourde responsabilité. Néanmoins, il était temps d’accepter cette mission confiée par mon pays, au regard de l’expérience acquise dans l’organisation d’événements cinématographiques au Burkina Faso et à l’extérieur, notamment en Allemagne, en France ou en Suisse, où j’ai été directeur artistique ou directeur de festival. Cette nomination est également l’expression d’une forme de reconnaissance envers cette diaspora africaine qui se bat depuis plusieurs années pour défendre la culture africaine aussi bien chez elle qu’à l’étranger. Cela montre que nos gouvernements sont à l’écoute de ses aspirations et de tous ses combats. Comme je le disais, après avoir porté des événements culturels à l’étranger, c’est un appel à servir mon pays.
Quelles sont vos ambitions pour le Fespaco ?
Mes prédécesseurs ont déjà abattu un immense travail pour pouvoir dynamiser cette institution qu’est le Fespaco. S’il a aujourd’hui cette notoriété, c’est grâce à la conjugaison de leurs efforts et leur créativité. Mon ambition est de ramener le cinéma et les professionnels au cœur du Fespaco tout en gardant sa personnalité singulière qui trouve son essence dans ce contact direct qu’il a avec son public. Nous avons la chance d’avoir un cinéma qui se parle à lui-même et au monde. L’idée, c’est d’accorder davantage d’importance à la sélection et à la programmation artistique et aux activités professionnelles. C’est également d’écouter les souhaits de tous les professionnels du cinéma. Avec mes collègues, nous allons poursuivre le travail de nos prédécesseurs.
Durant ces dernières années, le Fespaco a été souvent critiqué, entre autres pour son manque d’organisation ou sa programmation. On lui reprochait notamment de ne pas assumer correctement sa mission, celle de promouvoir le cinéma africain. Est-ce votre manière de répondre à ces critiques et peut-être à une attente exprimée par les professionnels que vous connaissez bien ?
Vu l’envergure et la dimension du Fespaco, nombreux sont les professionnels du cinéma, les journalistes et les communicants qui avaient l’impression que l’on accordait plus d’importance à d’autres aspects du festival qu’au cinéma lui-même. Le Fespaco doit prendre en compte les nouveaux développements de l’industrie. Outre l’exigence d’une bonne programmation artistique, il doit être une plateforme de rencontres entre réalisateurs et producteurs, producteurs et auteurs. Le Fespaco doit aussi donner la possibilité à toutes les autres plateformes qui existent dans le monde d’explorer la richesse cinématographique de notre continent. Le Fespaco de 1969 ne peut pas être celui de 2021 : il doit être un festival de notre temps.
Quel type de mesures allez-vous prendre pour mettre les professionnels au cœur du système ?
En plus de cet outil de diffusion de produits finis qu’il est, il va falloir que le Fespaco réponde aux aspirations des jeunes cinéastes et producteurs, des diffuseurs qui veulent profiter du festival pour se faire connaître, obtenir un soutien ou encore des contrats de diffusion. Ce qui leur permettra, nous l’espérons, de revenir au Fespaco un ou deux ans plus tard nous présenter leur travail. Si l’on veut avoir une programmation aboutie, inédite et des premières africaines, il faudra donner la possibilité de profiter du Fespaco sans avoir un film déjà fini et cela contribuera à nous distinguer.
Beaucoup de projets mais la pandémie bouleverse tout. L’édition 2021, qui devait se tenir fin février, début mars, est pour l’instant reportée…
Rappelons-le : c’est un report, pas une annulation ! Nous étions déjà avisés de l’impact négatif de la pandémie sur les grands événements culturels. A chaque édition, nous avons quelque 200 000 personnes qui viennent à Ouaga pendant dix jours. Nous ne pouvons pas prendre le risque de mettre toute cette population en danger. Nous suivons la situation sanitaire dans le monde entier. Nous avons commencé à contacter nos festivals partenaires sur le continent pour éviter que les dates des uns et des autres ne se chevauchent –tous les calendriers des événements culturels étant chamboulés– et nous discutons avec les autorités burkinabè pour pouvoir fixer de nouvelles dates. Il est important pour nous que tous les professionnels africains puissent profiter aussi bien du Fespaco que des autres festivals qui se tiennent sur le continent et à l’étranger.
Pas de version en ligne pour le Fespaco ?
Le Fespaco souhaite répondre aux besoins des cinéastes et il n’y a rien de plus beau que de célébrer la première ou la première africaine d’un film en présence du public. Un festival en ligne, c’est refuser aux réalisatrices et réalisateurs cette possibilité de vivre cette sensation, alors même que l’on sait combien il est ardu de fabriquer un film africain de fiction ou documentaire. Par ailleurs, faire un festival en ligne équivaut à accepter que d’autres publics, qui disposent de meilleurs connexions, découvrent des films africains que les Africains eux-mêmes ne seront pas en mesure de voir alors que c’est la vocation du Fespaco de le leur montrer. Enfin, le festival a aussi une dimension économique : hôtels, restaurants, artisans et chauffeurs de taxis en dépendent. Nous n’allons pas encore prendre une décision qui ferait du tort à ce niveau-là. Tout le monde doit pouvoir bénéficier des retombées du Fespaco. Laissons la possibilité au monde entier de se retrouver à Ouaga durant une dizaine de jours pour pouvoir célébrer, encore une fois, le cinéma.
Travaillez-vous actuellement sur la future sélection ?
Le comité de sélection a commencé à visionner les films en attendant les copies améliorées ou les films récents qui vont arriver. La machine est en route. Nous avons prolongé jusqu’à fin mars la date de soumission des films. Ceux qui n’ont pas encore soumis leurs œuvres ont encore un peu de temps et ceux qui le souhaitent peuvent renvoyer une nouvelle copie de leur production. Comme vous le savez, il est courant pour un festival de recevoir des copies de travail.
Vous êtes très au fait de l’actualité du cinéma africain. Quels sont les échos que vous avez eus de la part des professionnels sur cette «annus horribilis» ?
C’est une situation très difficile pour tous les acteurs culturels et le monde du cinéma. L’impact est énorme au niveau de la production cinématographique. De nombreux pays étaient confinés et/ou sous couvre-feu. Beaucoup de cinéastes et producteurs ont eu du mal à obtenir des financements, à finaliser leurs dossiers parce que le calendrier des différentes commissions de films a été chamboulé. Le report du Fespaco va justement permettre à tous ces cinéastes de s’ajuster notamment parce que la grande majorité de la post-production se fait en Europe dont les frontières sont actuellement fermées. De même, de nombreuses productions sont annulées et les boîtes de production vont en pâtir. Cependant, c’est aussi un moment décisif pour le cinéma africain : c’est l’occasion de pousser la réflexion sur l’existence de fonds de création et de financement africains ou de les renforcer quand ils existent. Nos Etats et les décideurs africains doivent prendre des décisions qui permettront à nos cinéastes de continuer à exister et à créer pour le plus grand bonheur des cinéphiles africains.
France Télévision
"JIGEEN ÑI", DES INSTRUMENTISTES PASSIONNÉES À L’ASSAUT DE LA SCÈNE
L’orchestre "Jigeen ñi" veut tirer les leçons de l’échec de formations musicales féminines pionnières ayant émergé sur la scène musicale sénégalaise dans les années 1990 pour s’imposer
Dakar, 28 fév (APS) - L’orchestre "Jigeen ñi" veut tirer les leçons de l’échec de formations musicales féminines pionnières ayant émergé sur la scène musicale sénégalaise dans les années 1990 pour s’imposer et convaincre définitivement de la possibilité d’allier une pleine vie de femme et une carrière musicale aboutie.
"On veut montrer aux Sénégalaises qu’on peut en tant que femme faire de la musique. On n’est pas des femmes qui jouent de la musique, on est des musiciennes professionnelles et nous voulons représenter le Sénégal en s’imposant partout dans le monde", argue la chef d’orchestre du groupe et pianiste Khady Dieng, dans un entretien avec l’APS.
Selon le producteur Samba Diaité, manager du groupe, l’orchestre "Jigeen ñi" est partie du constat de l’absence de femmes instrumentistes dans l’écosystème de l’industrie musicale sénégalaise où elles se comptent sur le bout des doigts.
"Les femmes ont toujours joué le second rôle dans la musique, elles ont été tout le temps soit des choristes, soit des danseuses. Elles n’ont pas été souvent au-devant de la scène, rares sont des instrumentistes comme Mah Keita bassiste du groupe Takeifa qui s’imposent aujourd’hui", relève le promoteur.
Selon Samba Diaité, ex-manager de la chanteuse Maréma Fall, lauréate 2014 du ’’Prix découverte RFI’’, l’expérience de l’orchestre ’’Jigeen ñi’’ est "la somme de tous ces manquements qui sous-tendent le désir de positionner la femme partout dans le monde à travers la scène".
"C’est l’occasion aussi de lever ces stigmates d’ordre social qui poussent la femme à se sentir marginalisée quand elle fait de la musique, parce qu’on te considère comme une femme de mœurs facile, ou que tu as des orientations négatives".
"Pour nous, ajoute M. Diaité, l’instrument n’a pas de sexe, c’est d’abord un métier, il faut juste en faire un travail".
Les Seck Sisters" et "Alif", des formations musicales 100% féminines ayant existé dans les années 1990 au Sénégal, font figure de groupes pionnières dans ce domaine en dépit de leur disparition de la scène musicale sénégalaise.
Le premier groupe, composé de Anta, Ndickou, Coura Penda et Khady, toutes des instrumentistes versées dans le style mbalax, style musical typiquement sénégalais, a été lancé en 1994 sous l’égide de leur père Laye Bamba Seck, un artiste et acteur culturel sénégalais décédé en 2017.
A cette époque, leur grande sœur Coumba Gawlo Seck évoluait déjà en solo sur la scène musicale.
Il y a eu ensuite le groupe de rap "Alif" (Attaque libératrice pour l’infanterie féministe) du trio Mamy, Myriem et Oumy, qui avait réussi à se faire une place de choix sur les scènes avant de disparaître quelques années après sa création en 1997.
Des héritières au parcours musical bien précis
Dans la lignée de ces précédents groupes, les cinq amazones de l’orchestre ’’Jigeen ñi’’, la pianiste et chef d’orchestre Khady Dieng, sa sœur ainée Aïssatou Dieng (batterie), Evora Vaz à la guitare basse, Rema Diom (soliste) et Ndèye Cissé "Yaye Fall" (percussion), toutes des autodidactes pour la plupart, réalisent leur rêve d’enfant.
Khady (piano) et sa sœur Aïssatou Dieng (batterie), qui habitent la Médina à Dakar, incarnent l’héritage de leur père pianiste, feu Safihou Dieng, sergent-chef de l’armée sénégalaise et qui a officié dans la musique principale des Forces armées, "bien avant le défunt colonel Fallou Wade", disent-elles.
"C’est lui qui m’a vraiment initiée au piano, je le voyais jouer tout temps à la maison, l’amour de cet instrument vient de là", explique Khady, qui a intégré le groupe ’’Jigeen ñi’’ grâce à l’entremise d’un de ses amis, une connaissance de Samba Diaité le producteur et manager du groupe.
"On s’est dit qu’avec le décès de notre papa, on devait prendre le flambeau pour que là où il est, il soit fier de nous", ajoute Aïssatou.
Khady Dieng, diplômée en maintenance informatique, avait déjà pris goût à la scène en jouant pour la première fois le 7 juillet 2012 au Grand-Théâtre de Dakar, avec le groupe Takeifa, mais aussi avec sa sœur Korka Dieng et le chanteur-batteur Pape Niang.
Elle a aussi officié pendant quatre ans dans un groupe gospel de l’église Les Martyrs de l’Ouganda, le même dans lequel sa sœur aîné Aïssatou avait peaufiné son art vocal et perfectionné sa pratique instrumentale pendant quatre ans, de 2009 à 2012, avant d’intégrer une école d’harmonie et de musique, pour ensuite investir le domaine de la recherche musicale.
"Ma petite sœur me dit souvent, il ne faut jamais lâcher, il faut toujours aller à la découverte, il ne faut pas être paresseux dans ce qu’on fait, même les autres filles me motivent tout le temps, ce qui me donne de l’énergie", indique Aïssatou, avant de rire aux éclats.
Le batteur "est le métronome, le chef d’orchestre" d’un groupe, note celle qui tient ses références en matière de batterie du chanteur sénégalais Pape Niang qu’elle rêve de rencontrer un jour et du musicien anglais Phil Collins.
"Tu es le cœur et le moteur du groupe, si tu flashes, tout le monde te suit", insiste-t-elle en parlant de l’importance du batteur.
"Je n’ai pas choisi cet instrument, c’est la batterie qui m’a choisie. Quand j’allais voir les lives band au Just for 4 avec tonton feu Habib Faye ou Vieux Mac Faye, bizarrement, j’écoutais plus la batterie et la basse que les autres instruments, le fait de le pratiquer est venu au feeling", explique Aïssatou, se disant guidée par l’amour de la musique et l’héritage laissé par un père musicien.
Elle a déjà donné un aperçu de son talent lors de concerts avec le groupe gospel des Martyrs de l’Ouganda, avant de rejoindre sa sœur au sein de l’orchestre "Jigeen ñi".
Dans le groupe, chacune compose sa base de musique, la partage avec les autres avant toute orchestration.
La bassiste du groupe Evora Vaz, sénégalaise d’origine capverdienne, est aussi héritière d’un parcours musical, pour faire partie d’une famille de danseurs, chanteurs, rappeurs. Son amour pour la basse remonte à sa tendre enfance où elle ne cessait de mimer les sons de la basse et de la batterie en écoutant de la musique.
Après une formation de quatre ans (2015-2018) à l’Ecole nationale des arts, elle parvient à dominer sa peur de cet instrument.
"C’est particulièrement mon professeur Moustapha Cissé qui m’a appris à jouer. J’avais peur de jouer cet instrument, il m’a donné confiance et m’a montré comment faire les accords. Je faisais des cours à l’école et même chez lui", dit-elle.
Evora Vaz exprime tout avec son instrument.
La soliste du groupe, Rema Diom, diplômée de l’Ecole nationale des arts (2013-2017) et spécialité solfège, assure la guitare solo au sein de l’orchestre, mais elle a dû donner des garanties pour convaincre un père réticent à la laisser pratiquer sa passion.
Rema qui avait des appréhensions à intégrer un groupe de filles à ses débuts estime désormais se sentir dans sa famille, le maitre mot de l’orchestre "Jigeen ñi" dont les membres considèrent leur groupe comme une seconde famille.
La percussionniste Ndèye Cissé alias "Yaye Fall", dernière fille à intégrer le groupe et la plus âgée parmi les cinq instrumentistes, peut se prévaloir d’une expérience d’une quinzaine d’années dans le milieu artistique.
Cet ex-membre du groupe "Djimbé Rymthe" de Guédiawaye a par exemple accompagné Youssou Ndour en 1998 lors d’une tournée internationale de Waly Ballago Seck lors de son concert "Arena Tour" en Suisse.
Toutes les cinq filles de "Jigeen ñi" sont en dreadlocks, un choix naturel, selon Rema Diom.
"Quand on est artiste, dit-elle, on a besoin d’être naturel, on n’a pas le temps d’aller se coiffer, on l’a senti en groupe et ça s’est fait naturellement".
Ces natives de Dakar comptent continuer la musique même après un éventuel mariage. "On espère avoir des maris compréhensibles, car la musique est un métier comme tout autre", conclut Khady Dieng la chef d’orchestre.
JE CHERCHE ENCORE MA VOIE
Dans son nouvel album intitulé « De la glace dans la gazelle », qui sort en avril prochain, Wasis Diop évoque des thèmes actuels : les réfugiés, la pandémie de Covid-19, les problèmes climatiques, la culture africaine… Entretien
On pourrait le prendre pour un poète, un nomade qui, avec sa guitare, cherche encore sa voie musicale. Dans son nouvel album intitulé « De la glace dans la gazelle », qui sort en avril prochain, Wasis Diop évoque des thèmes actuels : les réfugiés, la pandémie de Covid-19, les problèmes climatiques, la culture africaine… Dans cet entretien, le musicien sénégalais, établi depuis des décennies en France, dénonce l’illusion et le danger des réseaux sociaux qui, dit-il, sont pires que ce virus par rapport à notre capacité à nous faire mal nous-mêmes.
Votre nouvel album « De la glace dans la gazelle » sort en avril prochain. Quelle est sa particularité ?
La particularité de cet album, c’est qu’il est conçu en français. C’est la première fois que je fais tout un album dans la langue de Molière. Ce n’est pas un renoncement à ma langue maternelle, mais une expérience différente ; la création, c’est se renouveler à chaque fois qu’on le peut. Chanter dans une nouvelle langue, le français, qui au passage est devenu une langue africaine, comme le bambara, le swahili, le wolof, est un travail intéressant. Une langue nouvelle impose une autre façon de chanter si je puis dire. En réalité, j’ai toujours pensé que je n’étais pas un chanteur, je suis né dans un pays où le chant appartient au griot ; je préfère dire que j’utilise ma voix, dire que je respecte les lois intrinsèques de mon environnement d’origine. Ce qui me passionne est tissé dans l’ensemble de la musique. Ce sont les harmonies. Le cycle qui s’articule autour de musiques hindoues, les étendues harmoniques du classique, les rythmes lancinants de Doudou Ndiaye Rose, à qui je rends hommage dans un titre intitulé « La rose noire ». Je travaille, je ne suis toujours pas un chanteur. En réalité, je cherche encore ma voie, peut-être que ce n’est pas sur cette terre que je vais la trouver.
Vous chantez, tantôt en wolof, tantôt en français. Votre musique s’adresse principalement à qui ?
La musique est une vibration qui se propage dans l’espace et il se peut que d’autres entités que nous-mêmes puissent avoir accès à nos chants et à nos mélodies. Ce n’est pas pour rien que le muezzin chante l’appel à la prière, de la même manière que dans une cathédrale, on est accueilli par le chant d’un prêtre. En fait, le chant appartient au monde du vivant, même les plantes y sont sensibles. Dans la thérapie musicale au Sénégal et partout ailleurs en Afrique, c’est par le chant qu’on libère le malade de ses démons, c’est par la musique qu’il retrouve son esprit.
Comment vivez-vous cette période de pandémie de coronavirus ? Vous vous y prenez pour créer des œuvres musicales ?
Ce virus n’est rien par rapport à notre capacité à nous faire mal nous-mêmes. Le danger des réseaux sociaux est pire que ce virus. L’histoire des « réseaux sociaux » me fait penser à la naissance du monde, selon les Dogons. Cette naissance vécue comme un premier désastre parce qu’il a donné naissance au Renard pâle, la première création de Dieu. La grande ambition de cet animal retord était de parler, ainsi il poursuivra sa mère « la terre » jusqu’au centre de celle-ci, pour lui arracher la parole. La mère face à son fils se transforma en une petite fourmi afin de lui échapper, rien n’y fit. La détermination de l’animal qui sera la cause de tous les désordres à venir, était plus forte. Épuisée, la mère finit par céder. Depuis cet événement, c’est le renard pâle qui gouverne ; c’est par sa toute-puissance qu’il révèle aux devins les desseins de Dieu. Il arrive même qu’il n’obéisse pas à ses ordres. Il existait dans ce monde, des hommes pour guider l’humanité dans sa longue marche ; aujourd’hui la parole est volée par un nombre incommensurable d’individus sans identité qui parlent et leurs paroles sont de plus en plus pesantes. Il n’y a pas un jour où on ne commente pas les propos venus des réseaux sociaux avec leurs conséquences désastreuses. Les enfants du renard pâle sont bien là. Toutes ces mythologies africaines ont un sens ; c’est à travers le temps que leurs messages révèlent leur pertinence : illusion des réseaux sociaux où chacun s’imagine être si important pour la simple raison qu’il peut s’exprimer.
Avez-vous un message particulier à adresser au monde qui vit cette situation sanitaire de confinement, de couvre-feu, voire de précarité économique pour certaines personnes ?
Il me semble que lorsqu’on arrive à se relever d’où que l’on soit tombé, on devient plus fort. Cet événement vient remettre en question l’homme tout-puissant et ça devrait nous servir de « leçon du vendredi ». L’ennemi est si petit qu’on ne peut le voir à l’œil nu, comme la mort ou l’amour, tout aussi est invisible. Si on ne tire aucune leçon de cette expérience, c’est qu’on passe à côté de quelque chose.
Vous vivez en France. Avez-vous les nouvelles des amis, parents au Sénégal au moment où les pays se barricadent ?
Le monde est devenu si petit qu’on peut communiquer en temps réel avec des gens qui vivent à mille lieues. L’important, c’est d’être là où on peut faire quelque chose pour soi et pour la grande famille des humains.
On vous a revu la dernière fois à Saint-Louis du Sénégal, où vous aviez présenté un documentaire sur la brèche entre l’océan et le fleuve…
Un jour, je suis arrivé sur la langue de barbarie et j’ai vu un spectacle extraordinaire, des hommes et des femmes qui essayaient d’arrêter la mer avec des pneus. J’avais ma caméra, je l’ai souvent avec moi et j’ai filmé cette séquence extraordinaire d’un barrage poétique et pathétique contre l’Atlantique cette fois. Je suis retourné au même endroit un mois plus tard évidemment, il n’y avait plus de pneus, ils étaient tous au fond de l’océan, la nature est si puissante. Comme dit Jaraaf Mbengue : « Les esprits ne se sont pas enfuis, ils sont allés chercher des forces ».
Votre fille Mati Diop, réalisatrice, comme votre défunt aîné Mambety, s’est distinguée récemment au festival de Cannes, avec un sujet sur le phénomène de jeunes Africains qui bravent l’océan au prix de leur vie pour venir en Europe. Qu’est-ce qu’elle a hérité de vous dans sa sensibilité artistique ?
Dans ma famille, pour des raisons que j’ignore, nous sommes attirés par les arts. Père David Diop disait : « Tous les fous ne sont pas des Diop, mais tous les Diop sont des fous ». Je pense que l’énergie que nous déployons ne se perd pas, c’est comme ça que nous pouvons comprendre les convergences dans chaque famille. Nous n’avons aucune gloire à en tirer si ça va dans le bon sens, ni aucune honte si ça venait à être difficile. Nous avons tous des aspirations différentes et ces différences se trouvent dans les passés familiaux ; les thérapies africaines mettent toujours l’accent sur cette réalité. Dans les séances de guérison, c’est toute la famille qui est convoquée. Une société a besoin même de ses voleurs, ses empêcheurs de tourner en rond. Voilà pourquoi je n’aime pas qu’on frappe le petit voleur parce que sans lui il manque une pièce dans le puzzle. Tous les phénomènes de l’univers se réunissent pour constituer une société. Si vous aspirez à devenir président d’un pays un jour, sachez que la tâche est immense. Un vieux m’avait raconté une histoire. Dieu accueille deux personnes fraîchement débarquées dans son royaume, l’un n’avait jamais prié faute de temps, mais par ses efforts, par son travail, il avait beaucoup donné à toutes les personnes rencontrées dans son existence ; en revanche, son ami avait renoncé au travail, il avait passé toute sa vie à prier. Le premier a été conduit dans les palais du Seigneur parce qu’il avait de quoi payer son hébergement et l’autre a été reconduit sur terre pour y accomplir son devoir : « travailler, travailler, travailler pour avoir de quoi payer ». Si nous ne redéfinissons pas les priorités de ces jeunes et ne faisons pas face à nos responsabilités, nous pourrons difficilement empêcher les pirogues de partir.
Sur le plan de la création artistique, avez-vous prévu de faire quelque chose en duo avec votre fille ?
Nous ne sommes pas communautaristes dans la famille. Faire quelque chose avec ma fille n’est pas un but, j’aime être son père, j’aime discuter et me promener avec elle, c’est déjà pas mal.
Quels sont les projets auxquels vous tenez particulièrement, en France ou au Sénégal ?
Le seul projet qui vaut, c’est la vie, vivre ! vivre ! vivre ! Mourir au Sénégal un jour, n’est-ce pas un beau projet ?
WASIS DIOP RÉAFFIRME LA VISION HUMANISANTE DE SON ART
Le musicien sénégalais soutient que le seul projet qui vaut, c’est la vie, vivre ! vivre ! vivre ! Mourir au Sénégal un jour
Dakar, 27 fév (APS) - Le musicien sénégalais Wasis Diop dont le génie musical et l’éclectisme lui confèrent une place à part dans la musique africaine, dit encore chercher sa voie plus de 40 ans après le début de sa carrière sur laquelle il revient par la force d’une vision humaniste de son art empreinte d’une profonde spiritualité, faisant valoir que vivre est le seul projet qui vaille en attendant la mort un jour au Sénégal.
"En réalité, j’ai toujours pensé que je n’étais pas un chanteur, je suis né dans un pays où le chant appartient au griot ; je préfère dire que j’utilise ma voix, dire que je respecte les lois intrinsèques de mon environnement d’origine", déclare le musicien, guitariste et compositeur, dans un entretien publié dans Le Soleil week-end.
"Ce qui me passionne est tissé dans l’ensemble de la musique. Ce sont les harmonies. Le cycle qui s’articule autour des musiques hindoues, les étendues harmoniques du classique, les rythmes lancinantes de Doudou Ndiaye Rose (...)", explique-t-il.
Wasis Diop ajoute : "Je travaille, je ne suis toujours pas un chateur. En réalité, je cherche encore ma voie, peut-être que ce n’est pas sur cette terre que je vais la trouver".
Il considère que la musique "est une vibration qui se propage dans l’espace et il se peut que d’autres entités que nous-mêmes puissent avoir accès à nos chants et à nos mélodies".
"Ce n’est pas pour rien que le muezzin chante l’appel à la prière, de la même manière que dans une cathédrale, on est accueilli par le chant d’un prêtre. En fait, fait-il valoir, le chant appartient au monde du vivant, même les plantes y sont sensibles".
Wasis Diop fait observer que dans la thérapie musicale au Sénégal et partout ailleurs en Afrique, c’est par le chant qu’on libère le malade de ses démons, c’est par la musique qu’il retrouve son esprit".
"Une société a besoin même de ses voleurs, ses empêcheurs de tourner en rond. Voilà pourquoi je n’aime pas qu’on frappe le petit voleur parce que sans lui il manque une pièce dans le puzzle", reprend le guitariste, considéré par beaucoup comme un explorateur musical.
Il est également réputé pour les bandes origines de films qu’il a composées, dont deux pour des réalisations de son frère, le cinéaste Djibril Diop Mambéty, à savoir "Hyènes" (1992) et "La Petite Vendeuse de soleil" (1999).
Interrogé sur les projets qui lui tiennent à cœur au Sénégal ou en France, celui considère que "tous les phénomènes de l’univers se réunissent pour constituer une société", assène : "Le seul projet qui vaut, c’est la vie, vivre ! vivre ! vivre ! Mourir au Sénégal un jour, n’est-ce pas un beau projet", interroge-t-il ensuite.
Wasis Diop, familier des milieux du cinéma - il est le frère du célèbre cinéaste sénégalais Djibril Diop Mambety et le père de la réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop -, mélange les traditions africaines avec tout ce qui touche à la musique celte et arabe, en passant par la pop sophistiquée et les supports électroniques.
Il mélange notamment cornemuse et kora, un instrument à cordes mandingue, guitare électrique et voix traditionnelles du Sénégal.
Depuis les années 1970, Wasis Diop vit en France où il était arrivé à l’âge de vingt ans pour des études d’ingénieur.
Se trouvant passionné par la musique, il crée, avec le musicien sénégalais originaire de Guinée-Bissau Umban Ukset, de son vrai nom Emmanuel Gomez de Kset, un duo qui va devenir une véritable formation, portant le nom de West African Cosmos et considérée comme le premier groupe de rock africain.
En 1991, il collabore avec la chanteuse Amina Annabi, et leur chanson "C’est le dernier qui a raison", est numéro un à l’Eurovision. Il a aussi travaillé avec la légende du reggae, Lee Scratch Perry en Jamaïque et le saxophoniste Yasuaki Shimizu au Japon.
Il sort "No Sant" en 1995 et puis en 1998 "Toxu", deux albums considérés comme des chefs-d’œuvre acclamés par la critique et très bien reçus par le public.
Wasis Diop a pris l’habitude, pour mieux réussir ses albums, de travailler toujours avec une grande variété d’artistes aux origines très diverses (Lokua Kanza, Nayanka Bell, Amadou et Mariam, Yasuaki Shimizu, Alain Ehrlich, Lena Fiagbe).
"De la glace dans la gazelle", son prochain album dont la sortie est programmée en avril, est conçue en français, une première pour le musicien, qui parle à propos d’une "expérience différente", la création devant selon lui "se renouveler à chaque fois qu’on le peut".