Collaborateur du Témoin à travers ses œuvres qu’il met à la disposition de nos lecteurs, Louis Camara reste un auteur engagé en plus d’avoir le souci de partager son savoir. Par la magie de l’Internet avec ses plateformes, Le Témoin s’est entretenu avec l’auteur saint-louisien sur son œuvre et sa pratique littéraire. Entretien.
Louis Camara, douze ans après sa publication par les EENAS vous avez décidé de parler de votre œuvre « La forêt aux mille démons ». Pourquoi avoir attendu si longtemps?
En fait, je me suis rendu compte que depuis sa parution en 2009 grâce au Fonds d’aide à l’édition, « La forêt aux mille démons » reste très peu connu du public des lecteurs. Il est vrai qu’il n’est pas bien diffusé et qu’il est même un peu difficile de le trouver en librairie. C’est donc pour corriger cette situation défavorable que j’ai pensé à mieux le faire connaître par le canal de la presse et d’autres médias étant donné que les rencontres littéraires ne son plus possibles en raison de l’épidémie de la COVID. Vous savez, parfois en l’absence de dynamisme ou de réactivité de leurs éditeurs, les auteurs sont obligés de monter eux-mêmes aux créneaux pour faire connaître leurs ouvrages. Ce n’est pas très normal mais c’est généralement comme cela que ça se passe dans notre pays. A moins que vous ne soyez soutenus par des lobbies littéraires qui ont pignon sur rue et peuvent assurer la promotion de vos livres. Ce qui n’est bien sûr pas le cas de tous les écrivains.
Est-ce que comme la plupart de vos œuvres celle-ci s’inspire également de la culture yorouba ?
Oui, en effet, comme « Le choix de l’Ori » qui m’a valu de remporter le Grand prix du Président de la République pour les Lettres, « Histoire d’Iyewa » et « Le tambour d’Orunmila » qui sont parus avant elle, « La forêt aux mille démons est une œuvre qui s’enracine dans la culture yorouba. Mais à la différence des premières, ce n’est pas un conte, mais plutôt un roman épique, d’autre part, il ne tire pas sa source directement de la mythologie.
Mais où avez-vous été chercher ce titre « La forêt aux mille démons » et pourquoi cette fixation sur le monde yorouba alors que vous êtes Sénégalais et même Saint-louisien bon teint ?
Pour commencer par la deuxième partie de votre question je voudrais vous dire qu’il ne s’agit pas d’une « fixation », mais plutôt d’un intérêt motivé pour une culture où j’ai trouvé énormément de choses importantes pour moi, notamment l’inspiration littéraire. Ceci dit, je suis effectivement un Sénégalais et même, comme vous dites, un « Saint-Louisien bon teint ». Donc pas de souci à ce niveau. Seulement j’ajouterais que je suis aussi et sans doute avant tout un Africain et que la culture yorouba du Nigeria que j’ai ajouté à ma culture native sénégalaise, saint-louisienne me convient parfaitement et s’harmonise bien avec les autres composantes de mon identité plurielle. Voilà. Je pense que le cosmopolitisme est quelque chose de naturel, de consubstantiel à tout être humain, qu’il le veuille ou non, qu’il en soit conscient ou pas. C’est pourquoi le racisme, le chauvinisme le nationalisme exacerbé sont de graves et dangereuses aberrations. Pour en revenir à la première partie de votre question, sachez que je n’ai pas inventé le titre « La forêt aux mille démons » mais que c’est plutôt la traduction française de « The forest of a thousand daemons » de Wole Soyinka qui l’a lui-même traduit du yorouba.
C’est bien compliqué tout cela…
(Rires) Non, c’est très simple en réalité. Wole Soyinka, prix Nobel de littérature qui est yoruba de naissance, a traduit en 1968 le roman de son compatriote l’écrivain D.O Fagunwa publié en 1935 sous le titre « Ogboju Ode ninu Igbo Olodumare ». Cela a donné « The forest of a thousand daemons » que j’ai à mon tour traduit en français et publié en 2009. Est-ce que c’est plus clair maintenant ?
C’est limpide et l’on comprend très bien d’où ça vient. Mais vous n’êtes donc pas seulement écrivain mais aussi traducteur ?
(Sourire) Disons plutôt traducteur intermittent ou occasionnel car la traduction est un métier, pratiqué par des professionnels qui l’ont appris à l’université ou sur le tas pour certains. Je ne voudrais pas paraître prétentieux en m’accordant le statut de traducteur. « La forêt aux mille démons » est la seule traduction que j’ai réalisée pour des raisons et en des circonstances bien précises.
Quelles sont ces raisons et ces circonstances ?
Eh bien, la raison principale c’est que, en tant qu’écrivain et « passeur de cultures » comme on dit, j’ai eu le désir de faire connaître l’œuvre de D.O Fagunwa aux lecteurs Sénégalais et francophones en général tout comme Soyinka a voulu la faire partager en la traduisant en anglais. La traduction c’est véritablement la langue universelle et les traducteurs jouent un rôle éminemment positif dans le dialogue et l’intercompréhension entre les cultures du monde. Les écrivains sont eux-mêmes parfois de vrais virtuoses de la traduction, comme Baudelaire qui était le meilleur traducteur de son confrère Edgar Allan Poe) certains s’auto-traduisent et c’est le cas de Vassilis Alexakis (mort le mois passé) qui traduisait systématiquement ses propres romans du grec au français et vice- versa. Mon ami Boubacar Boris Diop a luimême traduit en français son roman « Doomi Golo » et traduit en wolof une pièce de théâtre d’Aimé Césaire. Tout ça pour vous dire que la traduction est aussi nécessaire à la littérature que l’air aux oiseaux du ciel.
La traduction, surtout littéraire, ne doit pas être chose facile, surtout concernant un écrivain comme Wole Soyinka réputé être difficile voire hermétique. Comment vous y êtes vous pris ?
Écoutez, je crois que c’est une mauvaise réputation qui est faite à Soyinka, il n’est ni plus « difficile » ni plus « hermétique » qu’un autre. Pour traduire sa traduction du roman de Fagunwa, je n’étais armé que de mon dictionnaire bilingue Anglai-Français, de mon enthousiasme et de ma volonté. Et apparemment ça a marché. La seule chose qu’il me reste maintenant à apprécier, c’est du côté de la réception, que ce soit des lecteurs simples dont j’attends un jugement de valeur purement « littéraire » ou des spécialistes de la traduction. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles je me suis fixé comme objectif de relancer ce bouquin.
Pouvez nous nous parler de cet écrivain, D.O Fagunwa et de son œuvre littéraire qui semble t-il n’est pas bien connue au Sénégal ou peut-être même dans l’espace francophone?
Daniel Olorunfemi Fagunwa est né en 1906 au Nigeria de l’ouest, le « Yorubaland ». Bien que maitrisant l’anglais (il a été enseignant puis inspecteur de l’enseignement secondaire) il décide d’écrire dans sa langue maternelle, le yorouba, et publie en 1935 sa première œuvre de fiction « Ogboju Ode ninu igbo irunmale’ qui sera suivie de six autres romans. Il est mort en 1963. Fagunwa est beaucoup moins connu que son compatriote (plus jeune que lui puisqu’il est né en 1920) Amos Tutuola qui, lui, écrivait en anglais et qui est l’auteur du fameux « L’ivrogne dans la brousse » traduit en français par l’écrivain Raymond Queneau. Fagunwa, très populaire dans son pays, est considéré comme le précurseur de la littérature en langue yorouba et l’un des tout premiers dans une langue africaine. « La forêt aux mille démons » est une sorte de roman initiatique dont l’action se déroule dans l’une des mystérieuses grandes forêts du pays yorouba. Le héros de l’histoire, le chasseur Akara-Ogun, va y connaitre une série d’aventures extraordinaires qui vont le conduire, lui et ses compagnons au « Mont Langbodo » où ils vont acquérir la sagesse et la connaissance. C’est une très belle épopée qui mérite d’être connue du lectorat sénégalais et francophone au même titre que « L’épopée de Soundjata Kéita » ou « La légende Mpfoumou ma mazounou » et autres récits du même genre. Par ailleurs je suis en train de rédiger une monographie de D.O Fagunwa que j’espère terminer d’ici 2024 si Dieu me prête vie et santé.
Louis Camara on voit bien que vous n’êtes pas à court d’idées et de projets ! Comptez-vous continuer à traduire les œuvres de Fagunwa ?
Franchement pour ce qui est de la traduction, je pense que c’est la première et que ce sera la dernière car comme je vous l’ai dit, je ne suis pas un professionnel et seule la passion m’a poussé à réaliser celle-ci. Je souhaite que de nos universités, où il y a maintenant des modules et des laboratoires de traduction, sortent des traducteurs bien formés et professionnels et parmi lesquels il y aura des traducteurs littéraires. Je trouve un peu dommage que les écrivains africains, en n’importe quelle langue, soient le plus souvent traduits par des européens. Certes je ne considère pas cela comme un mal car la littérature ne connaît pas les frontières, mais je pense qu’il serait bon également que les auteurs africains soient traduits par des africains comme eux, avec lesquels ils partagent les mêmes problématiques existentielles, les mêmes environnements sociaux, politiques et culturels. Je trouve cela tout à fait logique. Des idées, des projets, oui j’en ai. Maintenant tout ce que je souhaite c’est d’avoir le temps, la santé et les moyens de les mener à bien.
C’est tout le mal que nous vous souhaitons…
Merci à vous et au Témoin. C’est un journal qui, en dehors de l’actualité sociale et politique, a su également se mettre au service des arts et de la littérature avec d’excellentes rubriques comme « Le magazine du week-end », « Le coin de lettres », « Palabres » qui sont toutes des tribunes ouvertes à tous les écrivains et artistes qui peuvent y publier des textes, partager leurs idées, donner des interviews. Sur ce plan, vous avez réussi votre pari et je vous dis bravo et bonne continuation. Que vos pages continuent d’être un espace d’expression pour les belles plumes et les talents artistiques de ce pays. J’invite les jeunes pousses déjà très prometteuses, si je me fie à certains textes lus ici et là et qui sont loin d’être médiocres, à prendre part à ces banquets de l’esprit aux cotés de leurs aînés, des « doyens » que nous sommes aujourd’hui devenus. Et puisque nous ne sommes encore qu’aux débuts de cette nouvelle année 2021, je souhaite qu’elle soit une année de paix, de santé, de prospérité pour tous et, en plus, de créativité pour les écrivains et les artistes. Puisse le Tout-Puissant écarter de nos horizons cette terrible pandémie qui ravage le monde entier et faire qu’elle ne soit bientôt plus qu’un mauvais souvenir.
À propos de pandémie il semblerait que vous ayez produit quelque chose ?
En effet, j’ai produit une petite brochure de trois poèmes intitulée « Coronavirus, le Triptyque ». C’est ma manière à moi de participer à la sensibilisation et au combat contre ce fléau. L’opuscule n’est pas à vendre, mais j’aurais aimé avoir le soutien des autorités, des secteurs de la santé et de la culture, qui sont peut-être, les plus concernés, pour pouvoir en faire une large diffusion.
Nouvelliste, romancier, vous êtes également un poète ?
Il m’arrive, c’est le cas de le dire, de « taquiner » la muse, ou peut-être de la chatouiller (rire) mais je n’ai pas la prétention d’être un « grand poète ». Je laisse cela à d’autres. Moi j’aime simplement jouer avec les mots et c’est pourquoi j’aime encore, j’aimerai toujours, la poésie. La poésie est certes un enjeu, mais elle est aussi un jeu avec les mots et les mots sont des étoiles dans le ciel de nos espérances…
UN OUVRAGE D’ORIENTATION POUR LES GENERATIONS FUTURES
Mohamed Lamine Manga vient à nouveau de gratifier la communauté littéraire et le landerneau politique de son deuxième ouvrage. «Gouvernance et luttes d’influence politique au Sénégal de 1960 à 2000»
La cérémonie de présentation et de dédicace de cet ouvrage intitulé «Gouvernance et luttes d’influence politique au Sénégal de 1960 à 2000» a été organisée ce samedi à l’Alliance franco-sénégalaise de Ziguinchor. Une cérémonie qui s’est déroulée en présence de la directrice de l’alliance et de ses collaborateurs, des professeurs Nouha Cissé et Amadou Fall, des étudiants de l’Uasz, de l’intelligentsia locale et d’un public venu nombreux. Tout ce beau monde a eu droit à la présentation du second ouvrage de l’enseignant-chercheur Mohamed Lamine Manga.
Le chef du département d’histoire et de civilisations de l’UASZ et historien de l’époque moderne contemporaine avec Mention histoire politique qui, après son 1er ouvrage «La Casamance dans l’histoire contemporaine du Sénégal», vient à nouveau de gratifier la communauté littéraire et le landerneau politique de son deuxième ouvrage. «Gouvernance et luttes d’influence politique au Sénégal de 1960 à 2000», qui dissèque en réalité la proclamation de l’Union française de 1946 à 2000. Et ainsi à travers cet ouvrage, l’auteur tente d’analyser la trajectoire politique du Sénégal, notamment celle de la période qui a consacré l’avènement de la 4ème République française et qui sera le début d’une recomposition au sein de l’échiquier politique sénégalais. «Parce qu’en réalité, à partir de 1946 ce qu’on a noté, c’est une transition qui s’opère dans le paysage politique et qui va mener à la fin du monopole de la Section française de l’internationale ouvrière (Sfio) exercé sur le landerneau politique sénégalais», explique-t-il.
Et de 1960 à 1980, le Sénégal va connaitre, selon lui, trois grandes mutations. Une première mutation relative, dit-il, au bicéphalisme et de la cohabitation difficile, de 1960 à 1962, entre Senghor et son collaborateur Mamadou Dia. «De 1963 à 1973, c’est l’ère du monopartisme de fait et des restrictions démocratiques. De 1973 à 1976, c’est l’ère de l’ouverture politique sous Senghor. Mais à partir de décembre 1980, c’est le magistère de Abdou Diouf qui démarre», renseigne l’historien de l’époque moderne contemporaine. Et parlant du magistère de Abdou Diouf, l’auteur estime que celui-ci fut ponctué par de nombreuses crises ; et ce, en commençant, informe-t-il, par l’opération Fodé Kaba en Gambie, ensuite la crise casamançaise et les différentes crises connues en 1989 avec notamment la Mauritanie, la Gambie et la Guinée-Bissau.
Toutefois pour le Professeur Manga, Abou Diouf en réalité aurait pu mieux faire ; mais seulement il avait, soutient-il, les mains liées avec les institutions de Bretton Woods qui lui ont imposé des conditionnalités pour le rééchelonnement de la dette, mais aussi, la surenchère des partis d’opposition. «Diouf n’a pas eu la tâche facile et je considère que c’est un incompris» dixit Mamadou Lamine Manga, pour qui l’écriture est d’abord une passion. «Et en tant que jeune sénégalais je devrais essayer de servir mon pays de la meilleure des manières. Et cela, je ne peux le faire qu’à travers l’écriture de l’histoire, la production d’un savoir historique qui puisse servir l’institution qu’est l’université, qui puisse servir la discipline qu’est l’histoire et qui puisse servir le pays», justifiet-il. Car étant d’avis que ce savoir-là, s’il est bien utilisé, peut être en adéquation avec les préoccupations du pays et servir également d’orientation aux générations futures.
Cependant, l’enseignant-chercheur invite l’intelligentsia sénégalaise à prendre conscience de la continuité entre les faits, à mieux s’imprégner du passé pour mieux s’orienter. «Car si le pays est confronté aujourd’hui à des problèmes, c’est parce que nos élites ne prennent pas suffisamment le temps de s’imprégner de ce passé commun pour mieux s’orienter et mieux orienter les politiques publiques», déplore-t-il.
Par Hamidou ANNE
DECONFINER LA CULTURE
Le choix de sacrifier la culture durant les années Abdou Diouf a été une hérésie économique et une erreur aux plans social et sociétal Les décideurs publics doivent élever au rang de socle d’une Nation de progrès
Le Sénégal jouit d’une offre culturelle certes insuffisante, mais riche de son audace. Pays de la Biennale Dak’art, du Partcours, du Jazz festival, du Fesnac, des Blues du fleuve, des Ateliers de la pensée, des Recidak, il est foisonnant de créativité et de dynamisme. Notre pays regorge de collectifs, de laboratoires, de festivals et de galeries qui structurent une scène vivante comme réponse aux besoins de vie des gens, à la nécessité du rêve, et à une ouverture vers d’autres ailleurs dans une Nation quasi confinée.
Avec cette deuxième vague de la pandémie, c’est une crise sans fin qui affecte les artistes et les créateurs éloignés de leurs lieux d’expression. Le Covid-19 nous prive des arts de la scène du fait de l’injonction à la distanciation physique. C’est un pan de notre humanité qui est confinée, car la culture, comme le disait Senghor, est le moteur de la civilisation, le début et la fin de tout processus humain. Ce virus nous coupe avec un besoin essentiel, car plus que par l’économie, c’est par la culture d’abord qu’on commerce pour bâtir une humanité et s’ouvrir à l’universel. Cet «universalisme vraiment universel» auquel appelait le sociologue américain Immanuel Wallerstein, où chacun vient avec son apport fécondant pour créer un commun sans hiérarchiser ni les cultures ni les savoirs ni les hommes.
J’ai toujours regretté l’abandon de la culture durant les décennies d’Abdou Diouf, à travers un discours et des politiques sur le caractère non productif de la culture, conduisant à geler les budgets du secteur et à opérer des choix peu judicieux comme celui de fermer des musées, etc.
Ce choix de sacrifier la culture a été une hérésie économique et une erreur aux plans social et sociétal. Il a contribué à affaiblir la société en lui enlevant ce qu’elle a de plus précieux, et à désorienter une grande partie de la jeunesse qui ne voit plus de sens dans la prise en charge des communs. Or la culture est ce qui représente le plus dans une société, le bien commun, la nécessité de faire Nation, conformément à la devise nationale.
Cette pandémie survenue il y a un an montre que les chaînes logistiques, les échanges commerciaux et les mouvements de population peuvent être subitement à l’arrêt.
Dans ce huis clos mondial, seule la conscience d’une humanité à préserver demeure un invariant qui crée et maintient les liens symboliques entre les hommes. Les décideurs publics doivent ainsi cesser de faire de la culture une variable d’ajustement et l’élever au rang de socle d’une Nation de progrès. La culture, par les arts, la musique, le patrimoine et la littérature est un instrument de construction d’un discours, d’une identité et d’une estime de soi. La culture rassemble, inclut et nourrit. Elle est une nécessité anthropologique qui ensuite structure une industrie de la création en vue d’intégrer pleinement les artistes et les créateurs au cœur de la vie économique de la Nation.
La censure que subissent actuellement les artistes est regrettable. La décision de leur proposer de l’argent pour compenser le silence de ces témoins de notre époque est symptomatique d’une incompréhension de l’essence de la culture. Le silence des artistes est un bruit désagréable pour un pays. Il dit quelque chose de ce pays, et de son rapport au savoir, à la spiritualité et à la civilisation.
Le Covid-19 tue, désagrège les économies et, pis, installe une torpeur dans les rapports au sein de la communauté par l’impératif de la distanciation, la nécessité de l’évitement entre les hommes. C’est dans un tel contexte que la culture pourrait panser notre société, car c’est avec elle qu’on construit l’appartenance à un groupe, à une communauté, afin de forger un destin collectif.
Peut-être que dans une fulgurante lucidité nos dirigeants l’ont compris. Et cela a justifié le choix de la culture comme thème du 34ème sommet de l’Union africaine début février à Addis-Abeba. En décidant de discuter des arts, de la culture et du patrimoine comme «un levier pour construire l’Afrique que nous voulons», l’Ua pose un pas majeur. Reste à voir si ce sommet sera suivi d’actes concrets au service des créateurs du continent.
Je me réjouis de voir la campagne de vaccination débuter dans notre pays. Il s’agit d’un premier pas vers une longue guérison nationale, avec la fin de la pandémie. Pour le bien commun, pour un nouveau contrat social, la culture devra être le premier secteur à «déconfiner» pour inaugurer le prochain monde. Ce fameux «monde d’après».
HOMMAGE À COUMBA GAWLO
Invitée ce samedi de l’émission «Invité d’honneur» sur la Télévision futurs médias, l'artiste est revenue sur les conditions dans lesquelles ses cordes vocales avaient été touchées
Il y a quelques jours, à la grande surprise de ses fans, Coumba Gawlo Seck annonçait son retrait momentané de la scène musicale. En cause, des problèmes de santé affectant ses cordes vocales. La diva expliquait alors que ces problèmes étaient la conséquence d’une trop longue opération chirurgicale.
Invitée ce samedi de l’émission «Invité d’honneur» sur la Télévision futurs médias, Coumba Gawlo Seck est revenue sur les conditions dans lesquelles ses cordes vocales avaient été touchées. «C’est après mon intervention que j’ai remarqué, vers le mois de septembre, que ma voix changeait. Comme j’étais malade depuis août, je n’avais pas fait mes vocalises. J’ai remarqué que ça n’allait pas. Ça allait de mal en pis. J’avais même des problèmes pour parler. Je suis allée voir un Orl qui m’a expliqué qu’une de mes cordes vocales avait bougé. Mais c’est quand j’ai appelé mon médecin en France qu’il m’a dit que c’étaient les 5h d’intubation durant mon opération qui avaient créé ce problème», a expliqué la diva.
Seulement, Coumba Gawlo Seck refuse de parler d’erreur médicale. «Je ne parlerai pas d’erreur médicale. Pour moi, c’est juste la volonté de Dieu. J’ai eu 30 ans de carrière. Donc si je vis cette situation maintenant, c’est parce que ça devait arriver», assure-t-elle. Revenant sur les raisons qui l’ont poussée à rendre public son bulletin médical, elle évoque le respect dû à ses fans. «Quand des millions de personnes écoutent ta musique, t’admirent, il faut les respecter. Et après trente ans de carrière… C’était difficile au début, mais la réalité te rattrape et tu te dis que tu dois prendre ton courage à deux mains, faire preuve de dignité et de professionnalisme pour parler à ton public qui doit savoir que si tu t’absentes de la scène, c’est pour des raisons de santé.»
Parlant de la pandémie qui touche particulièrement le monde artistique, la chanteuse indique avoir été également touchée. «En 2020, j’avais 8 dates dans 8 pays d’Afrique», informe la diva. Durant cette émission, la Tfm a rendu un vibrant hommage à la chanteuse. Cela, en présence de sa famille. Des reprises de ses succès ou encore des messages de soutien l’ont plongée dans des torrents d’émotions.
«TAMA» CHANTE LA RENAISSANCE AFRICAINE
La musique adoucit les mœurs, a-t-on coutume de dire. Mais elle peut aussi être vectrice d’union. Cela, Mamico et Nicole l’ont bien compris. Nous sommes en 2017 et Mamico alias Tama Bou Khess et Nicole dite Tama Bou Nioul se sont rencontrées à l’école.
Une rencontre fortuite à l’école et Mamico et Nicole, deux férues de musique, tissent une relation passionnée autour de leur passion. Mamico et Nicole, telles les deux faces de cet instrument traditionnel bien de chez nous, le «tama» (tamtam d’aisselle), ambitionnent de positivement vibrer sur une scène musicale où il faut jouer des coudes pour se frayer une place. Mamico alias «Tama Bou Xess» et Nicole dite «Tama Bou Nioul» semblent aujourd’hui avoir réussi leur test avec trois singles dont le dernier constitue un hymne pour la renaissance africaine
La musique adoucit les mœurs, a-t-on coutume de dire. Mais elle peut aussi être vectrice d’union. Cela, Mamico et Nicole l’ont bien compris. Nous sommes en 2017 et Mamico alias Tama Bou Khess et Nicole dite Tama Bou Nioul se sont rencontrées à l’école. Très vite, le courant passe et la connexion démarre. Toutes amoureuses de la musique, elles décident de cheminer ensemble alors qu’elles étaient au collège : Nicole en 4ème et Mamico en 5ème. Cerise sur le gâteau, elles font connaissance avec Dj Mbaye, un homme du sérail qui devient de suite leur manager. Ainsi naquit le groupe Tama. Pendant un temps, coronavirus oblige, Mamico est coincée à Dakar par l’état d’urgence. Mais par chance, Nicole, appelée Tama Bou Nioul (du fait de son teint noir), élève en classe de Première, assure. Elle a l’art dans le sang avec un oncle artiste. A la maison et à l’école où elle participait à des concours de danse, elle vit son art jusqu’à la rencontre avec son alter ego Mamico, surnommée Tama Bou Khess (de teint clair). Même passion, même ambition, elles créent le groupe Tama.
Le symbolisme d’un nom à multiples connotations.
Le tama est «un instrument traditionnel ancestral qui éveille et intrigue», explique Nicole. Le choix de ce nom pour leur groupe n’est pas fortuit. Selon elle, l’instrument, recouvert par une peau de chèvre, dispose de deux faces qui symbolisent les deux artistes. Chacune d’elle représente une face. Quant aux cordes qui relient les deux faces, ce sont la population, la famille les musiciens, bref les gens autour d’elles. Et le galagne (nom wolof désignant le bois qui sert à taper sur l’instrument) représente leur manager Dj Mbaye. Leur rencontre avec ce dernier n’a pas été facile. Elles ont essayé de le joindre à maintes reprises en vain, durant deux mois plus exactement. C’est au moment où le drame de Demba Diop survenait que la rencontre a eu lieu. Par la suite, Dj Mbaye est allé voir leurs parents pour discuter avec eux. D’un pacte de confiance signé tacitement entre les parents et le futur encadreur du duo est né le groupe. Comme elles sont deux, l’inspiration du nom du groupe est venue de ce chiffre. Les deux faces du Tama représentant les deux jeunes filles. Leur teint aussi est venu conforter cette dualité, d’autant que l’une est claire et l’autre noire. «Ce qui représente la vie», d’après Dj Mbaye. L’autre particularité en corrélation avec le nom du groupe, c’est leur voix pointue.
Une ambition internationale
Ces deux jeunes filles ne sont donc pas venues en spectatrices dans ce milieu très concurrentiel. Elles veulent se faire entendre partout dans le monde. Déterminées à poursuivre l’aventure au nom de la passion, Nicole et Mamico ont un seul viatique, «seul le travail paie» ; d‘où leur détermination à mener cette mission en vue d’apporter leur contribution à la marche de leur pays. Mbour regorge de talents et le groupe Tama vient s’ajouter à cette liste d’ambassadeurs de la localité parmi lesquels on peut citer Vivianne Chidid, le groupe Ahlou Brik, entre autres ténors de la musique sénégalaise qui ont eu à faire la fierté des mélomanes de la commune. Nicole et Mamico sont bien décidées à tenir le flambeau pour redorer l’image du showbiz, mais aussi celle des filles et fils de Mbour. Comme le pense Nicole, «il est très facile de changer de comportement dans ce milieu, mais toujours est-il qu’il faut croire à nos objectifs et valeurs». En tout cas, de la détermination, Mamico et Nicole en ont. Surtout avec les opus qu’elles viennent de mettre sur le marché. De beaux titres de par leur sonorité, mais aussi leur sens.
Un répertoire qui se forme petit à petit
Sur le marché, trois singles sont déjà disponibles. Sunu gaal qui parle de la diversité culturelle au Sénégal. Yeufou xalé qui éveille la nouvelle génération en passant par l’amusement, et enfin Rootti-waat, comprenez se ressourcer. En termes plus clairs, explique Nicole : «L‘Afrique doit se ressourcer dans ses propres valeurs» ; d‘où cette sensibilisation dans ce dernier morceau. Elle évoque même, à ce titre, la pensée de feu le premier président de la Répu¬blique du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, qui parlait «d’enracinement et d’ouverture». Elle pense que le continent africain est d’une richesse incommensurable et que le moment est venu d’inverser la tendance. «Au lieu d’aller vers les autres continents, le temps est venu pour notre continent d’accueillir les autres», indique-t-elle. Les difficultés ne manquent pas dans ce qu’elles font, car aucun soutien pratiquement ne leur parvient. Les seules sources de revenu dont elles disposent leur viennent de leurs prestations. «Nous ne sommes pas là pour faire le buzz, mais pour contribuer au développement de notre terroir par la musique. Donc, les autorités et partenaires de la localité doivent nous venir en aide», lance Nicole. Et comme un couperet, la pandémie du Covid-19 est venue bloquer toutes leurs activités. «Une situation difficile», selon Nicole. Mais appartenant à la génération 2.0, elles essaient de gérer leurs activités via les réseaux sociaux. En tant que porteuses de voix, elles lancent cet appel à la population mbouroise et surtout à la jeunesse en particulier : «Cette pandémie n’est qu’une épreuve parmi tant d’autres et qu’on doit surmonter. Je vous exhorte à respecter les mesures barrières édictées par le ministère de la Santé.»
PAR MOUSSA SENE ABSA
LETTRE OUVERTE À MONSIEUR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Notre pays que vous avez l’insigne honneur et privilège de diriger traverse des moments troubles de son histoire. Jamais je n’ai été témoin d’une si vive tension dans notre société jadis si paisible et fort rieuse.
L’artiste que tous connaissaient sous le nom d’artiste de Demba Kouss a tiré sa révérence après une longue lutte contre la maladie. Seneweb qui donne la nouvelle, informe qu’il a été enterré ce mercredi au cimetière musulman de Yoff. Artiste-comédien et rappeur, il fait partie des premiers acteurs de la scène hip-hop sénégalaise.
Avec son opus Ku Bëg Bëgnaa Jox ko sorti en 1992. Touche-à-tout, il s’essaie ensuite au cinéma. Le téléfilm Fatou la Bonne particulière le propulse au premier plan de la scène artistique sénégalaise. Mais très vite, il retombe dans l’anonymat. Et son deuxième titre Come back ne lui permet pas de revenir au-devant de la scène. Ces dernières années, malade et alité, Demba Ba qui naquit en 1971, n’a cessé de lancer des appels au secours pour sa prise en charge médicale. Il y a quelques années, il se confiait au quotidien Walf Grand’Place en ces termes : «Dans ma carrière artistique, j’ai débuté avec la musique, notamment le rap en 1980. C’est ensuite que je suis entré dans le milieu du cinéma en 1983. Cet art m’a permis de côtoyer de grands hommes comme Moussa Sène Absa, Mambéty, Sembène Ousmane… Ce sont ces hommes qui m’ont donné le courage de continuer dans le milieu du cinéma. Mais au début, je m’amusais à faire du rap avec certains de mes amis. A cette époque, on enregistrait nos voix avec un magnétophone. Par la suite, j’ai fait une carrière solo. Dans le rap aussi, j’ai eu l’appui de mes pères comme Doudou Ndiaye Ross. C’est la première personne qui m’a accompagné dans un de mes morceaux avec ses Sabars et à m’encourager.»
BIENNALE DE LA DANSE, GERMAINE ACOGNY, LIONNE D’OR A VENISE
La prestigieuse Biennale de la danse de Venise a décerné à la danseuse et chorégraphe de renommée mondiale, Ger¬maine Acogny, son Lion d’or.
Le Lion d’or de la danse 2021 a été décerné à Germaine Acogny, à la Biennale de Venise. Cette grande danseuse et chorégraphe est connue dans le monde entier comme «la mère de la danse contemporaine africaine», a tenu à souligner le jury de la grande manifestation artistique vénitienne.
La prestigieuse Biennale de la danse de Venise a décerné à la danseuse et chorégraphe de renommée mondiale, Ger¬maine Acogny, son Lion d’or. Cette récompense lui a été décernée «pour l’ensemble de ses réalisations», annonce un communiqué de presse de la Biennale de Venise. Une longue et riche carrière pendant laquelle celle que l’on appelle «la mère de la danse contemporaine africaine» a illuminé le monde de ses spectacles. «Germaine Acogny est une artiste de la plus haute qualité et intégrité. Sa contribution à la formation des jeunes à la performance et à la chorégraphie parallèlement à la large diffusion de son travail dans son pays et dans le monde a fait d’elle une force individuelle majeure dans le développement de notre forme d’art. Acogny croit au pouvoir de la danse pour changer des vies et s’est engagée à partager sa passion comme un acte de transformation et de régénération», souligne la note de désignation.
La Biennale de Venise informe également que la distinction a été approuvée par le Conseil d’administration qui a accepté les recommandations avancées par Wayne McGregor, directeur du département de la danse. «Cette distinction du Lion d’or est un tourbillon de lumière par ce temps suspendu et morose. Cette distinction m’honore et honore toute l’Afrique. J’en suis fière», a réagi la danseuse dont l’influence en tant que créatrice et mentor d’innombrables jeunes créateurs de danse d’Afrique et d’ailleurs, «est un héritage que nous devrions mettre en exergue et célébrer alors qu’elle continue d’inspirer et de guider avec sa vision agitée», souligne Wayne McGregor à son sujet. A l’occasion du 15e Festival international de danse de la Biennale de Venise, qui se tiendra du 23 juillet au 1er août, Germaine Acogny présentera son spectacle Somewhere au début, un voyage touchant des thèmes sensibles dans lesquels l’histoire personnelle s’entrelace avec les événements collectifs.
Danse africaine
Sénégalaise et française, née le 28 mai 1944, Germaine Acogny a développé sa propre technique de danse moderne africaine. Elle a notamment dirigé de 1977 à 1982 Mudra Afrique, l’école de danse fondée par Maurice Béjart et le Président Léopold Sédar Senghor, qui servira de modèle à tout le continent. C’est là que Acogny a développé sa propre technique originale et est devenue un protagoniste de la chorégraphie africaine contemporaine. Elle a aussi créé de nombreux spectacles pour sa compagnie Jant-Bi, avec lesquels elle a fait des tournées dans le monde entier. Sa dernière création, le solo A un endroit du début a été créé au Grand Théâtre du Luxembourg en juin 2015. Avec son mari Helmut Vogt, Germaine Acogny a créé l’Ecole des Sables, un centre international de danses africaines traditionnelles et contemporaines inauguré en juin 2004 à Toubab Dialaw. «Acogny a tissé des relations et activé des collaborations, stimulant une nouvelle énergie dans l’activité qui rayonne aujourd’hui de l’Ecole des Sables à la fois école et compagnie de danse (Jant-bi), l’un des grands pôles pour conduire la danse contemporaine, qui attire des danseurs et des chorégraphes de toute l’Afrique et du reste du monde», lit-on dans le communiqué.
Le Lion d’argent a été attribué à la danseuse et chorégraphe nord-irlandaise, Oona Doherty, 34 ans, «voix puissante de la scène européenne qui affronte les thèmes de l’identité, du genre et de la religion, généralement tenus à distance des projecteurs de la danse». Cette distinction a déjà été attribuée à des danseurs émérites tels que Pina Bausch en 2007. Germaine Acogny qui danse, chorégraphie et enseigne dans le monde entier, est devenue une puissante ambassadrice de la danse et de la culture africaines. Elle a reçu plusieurs distinctions. Chevalier de l’Ordre National du Lion et Officier et Commandeur des Arts et Lettres de la République du Sénégal y figurent.
KINÉ LAM, LES CONFIDENCES D'UNE DIVA
Considérée plus âgée à cause de sa carrière pleine d’étoiles, la chanteuse sexagénaire reflète l’allure d’une quinqua. Entretien
Adjaratou Fatou Kiné Samb (son vrai nom) est une grande dame. Tout dans son phrasé et sa tenue révèlent une diva. Considérée plus âgée à cause de sa carrière pleine d’étoiles, la chanteuse sexagénaire reflète l’allure d’une quinqua. Le sourire qu’elle arbore ne la quittera pas jusqu’au terme de l’interview qu’elle a accordée au «Soleil», changeant d’expression au gré des sujets. Un rictus ironique pour évoquer certaines anecdotes de son parcours majuscule, un éclat de rire pour énoncer des malices, un sourire mélancolique pour se remémorer les vies avec son «Dogo» (son défunt mari, El Hadj Ndongo Thiam, décédé en 2019).
Vous avez aujourd’hui 49 ans de carrière. Vous souvenez-vous de vos premiers pas en musique, il y a presque cinquante ans ?
Je me rends compte que cette carrière est longue, Maasha’Allah (rires). Je l’ai commencée quand j’avais quinze ans. J’avais en ce moment un petit orchestre informel. Mais c’est en 1975 que le Sénégal a vraiment découvert pour la première fois ma voix. J’avais chanté «Mame Bamba» au Stade Iba Mar Diop dans un concours où il y avait aussi, je me rappelle, Ndèye Khady Niang (la défunte danseuse). Le nom «Kiné Lam Mame Bamba» venait de naître. En ce moment, je faisais déjà des tournées dans les régions du Sénégal et me faisais une petite notoriété. En 1978, j’ai participé au concours «Nuit Honda». Il y avait un lobbying pour faire gagner le prix à un sociétaire du Théâtre national Daniel Sorano. Le public estimait que j’avais été la plus brillante et réclamait le trophée pour moi. Pourtant, c’est un peu ce concours qui m’a ouvert les portes de Sorano. C’est après cette compétition, toujours en 1978, que Maurice Sonar Senghor (qui était le Directeur du Théâtre national Daniel Sorano) a demandé qu’on me recrute à tout prix. On m’a trouvée et je suis allée faire une audition.
Tous les ténors étaient présents dans le jury : Samba Diabaré Samb, Amadou Ndiaye Samb, Ndiaga Mbaye, etc. Dès que j’ai entonné, ils étaient tous éblouis. C’est ainsi qu’on m’a recrutée dans l’Ensemble lyrique traditionnel du Théâtre national Daniel Sorano. J’y suis restée jusqu’en 1989, avant de quitter pour créer mon propre groupe musical. Mon premier Cd, par contre, je l’ai fait en 1981 avec le groupe Super Étoile. C’est en 1989 que je suis entré dans la musique moderne avec Syllart Productions. Je suis allée à Abidjan (Côte d’Ivoire) pour enregistrer l’album «Dogo» qui a cartonné. C’était justement pour la profusion des contrats et des tournées internationales que j’ai quitté le Théâtre Sorano. Je devais choisir entre Sorano et une carrière musicale solo.
De qui ou dans quelles circonstances avez-vous chopé le virus de la chanson ?
Je n’ai trouvé ni mon père ni ma mère en train de chanter. Mais j’avais une grande sœur, une aveugle, qui chantait super bien. Elle s’appelait Dieynaba Lam. Je dis que c’est le Bon Dieu qui trace les destins. Peut-être aussi j’ai puisé au sang de mes ancêtres. Le tout premier Damel du Cayor s’accompagnait de mon grand-père, Dié Marone. Mes grands-parents ont été côte-à-côte dans la bataille de Danki avec le Damel, en 1549. On les célèbre encore et les enseigne à ce jour à l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan). Dogo, du même nom que mon défunt mari, était expressément blessé par la flèche du Damel Lat Soukabé pour avoir son sang. Il disait que ce sang, qui devait lui porter bonheur, servirait à attirer tous les grands et bons griots du Baol et du Cayor. Ce fut ensuite le cas. Et mon grand-père était ensuite devenu le Fara Laamb Damel Teigne du Cayor et du Baol (le chef de tous les griots de ces grands royaumes).
Vous dites avoir entamé votre carrière à l’âge de 15 ans. Comment, à cette époque déjà, vos parents ont censenti à permettre à la jeune fille que vous étiez de faire de la musique et de même entreprendre des tournées régionales ?
Mon papa était mon manager à cette époque-là. En ce moment, je pouvais gagner jusqu’à la somme de 80 000 FCfa, qui était quand même une fortune. Des fois aussi, il arrivait que le public, conquis, me remplisse un sac de billets de banque. Arrivée à la maison, je le remettais à mes parents et ma mère pouvait gérer les dépenses quotidiennes de la maison avec pendant trois mois. En ce temps, la dépense quotidienne ne donnait pas tant de cheveux blancs (rires). J’ai presté partout au Sénégal. Mon père écrivait mes textes, un oncle paternel était mon batteur de tam-tam, ma cousine germaine m’accompagnait dans les chants, etc. L’orchestre était presqu’intégralement familial. Ceci faisait qu’on m’a tôt permise d’y aller, en plus de mon attitude responsable.
C’est donc dire que la famille a une place centrale dans votre carrière. Nous connaissons tous Dogo, votre défunt mari, qui a pesé d’un poids considérable sur votre parcours. Comment a débuté votre histoire ?
Je commence par d’abord vous apprendre que Dogo est lui-même mon parent, du côté de ma mère ainsi que de mon père, avant d’avoir été mon époux. Nous nous sommes mariés en 1978, deux mois après mon intégration au Théâtre Daniel Sorano. Donc on peut considérer qu’il a été là à toutes les phases décisives de ma carrière. Il était tout pour moi. Mes parents lui ont laissé toutes leurs responsabilités après lui avoir donné ma main. Tout ce que j’ai réussi aujourd’hui, c’est grâce à mes parents et lui. C’était un mari exemplaire à tous les niveaux. C’était aussi mon manager et il a toujours tenu à ce que je sois ponctuelle. C’est avec moi qu’il a intégré tout ce qui peut toucher à la musique, auparavant il n’y a jamais été. Il signait tous mes contrats. Il arrivait qu’on soit en tournée durant trois mois avec l’Ensemble lyrique traditionnel et parfois il me rejoignait dans certaines étapes. Il m’a coachée jusqu’en 1989, et c’est lui-même qui m’a conseillé de quitter l’Ensemble lyrique traditionnel, pour cesser d’être fonctionnaire et me concentrer sur un plan de carrière solo. Il estimait que je ne pouvais pas cumuler ces deux fonctions, d’autant plus qu’à cette période, les promoteurs exigeaient dans les contrats avec l’Ensemble lyrique traditionnel que Kiné Lam vienne chanter. Après cet épisode, il a pris ma carrière en main et on a tous constaté la suite.
Pour la réussite d’une carrière, il faut donc le soutien de sa famille …
C’est impératif ! Toujours à propos de Dogo, il y avait une vision derrière tout cela. J’ai très tôt remarqué sa très grande probité morale et sa respectable personnalité. J’avais compris qu’il pouvait convenablement gérer ma carrière et que je pouvais laisser toutes les clefs en sa main. C’est cela qui faisait qu’il arrivait qu’il signe pour moi des contrats à mon insu et sans je n’eusse besoin d’en connaître les termes. Même quand il voulait me rendre compte, je lui rétorquais que ce n’était pas la peine. La relation était de confiance. C’est avec lui que j’ai commencé à me doter de matériels de musique et à payer les musiciens. Il était exceptionnellement exemplaire, Dogo. Quand je gagnais de l’argent, il me disait toujours de subvenir aux besoins de mes parents, de les amener à la Mecque, de leur construire une maison, etc. Cela a toujours été son propos, et jamais il ne plaidait pour ses besoins personnels. Il me répétait sans cesse que ma réussite était la sienne et était un honneur pour lui, car cela le déchargeait en réalité et montrait qu’il m’oriente correctement dans notre ménage et ma carrière d’artiste.
Tout ce que vous expliquez là semble chimérique au moment où les divorces sont légion dans le showbiz. Quelle a été votre recette, personnellement, pour combiner et réussir tout cela ?
Ah, mais n’a pas qui veut un époux comme Dogo hein ! (Rires). Déjà c’était un intellectuel qui avait un remarquable discernement. Toutes mes consœurs m’en faisaient constamment la remarque d’ailleurs. Ensuite, il avait un bon comportement, en plus de sa sérénité, son flegme, sa gratitude, son estime et sa considération pour ma personne, son amour pour moi et son désir de me voir chaque jour évoluer. Donc je ne pense pas y être d’un grand rôle. Tout lui revient, d’autant plus que j’étais jeune fille quand il m’épousait. Il m’a inculqué de grandes valeurs. Il surveillait l’artiste que je suis comme du lait sur le feu. Il me mettait la pression quand j’avais des engagements et veillait surtout à ma ponctualité. Il est d’une grande empreinte dans la réussite de chaque moment de ma carrière, Ndongo Thiam Dogo.
Pouvez-vous nous raconter un de ces moments ?
L’histoire du tube «Jaraaf», par exemple. J’étais à l’Ensemble lyrique traditionnel du Théâtre national Daniel Sorano en ce moment (en 1986). C’était un concours où s’étaient inscrits Ndiaga Mbaye, Khar Mbaye Madiaga, Diabou Seck la Saint-Louisienne, Amadou Ndiaye Samb, bref tous les ténors et divas de l’époque. J’ai dit à Dogo que j’allais au concours Jaraaf et lui avouais que c’était sans grande conviction à côté de ces grands noms qui avaient une culture certaine de l’histoire du Jaraaf et étaient bien plus illustres que moi en plus. J’étais convaincue que j’allais perdre parce que j’étais la cadette de la compétition. Il m’a regardée et m’a promis que je vais la gagner. Je lui disais d’arrêter de me cajoler, mais il me rassurait toujours. Il m’a dit : «Je suis un grand Jaraafman. Je connais la biographie de l’équipe et je vais te composer la chanson. Tu vas gagner ce concours, mais à une condition. Tu connais ce que c’est qu’un hors-sujet ?», m’a-t-il demandé. Je lui ai alors dit que je pense savoir ce que c’est parce que je le faisais souvent durant les rédactions à l’école (Rires). Il m’a dit : «Alors voilà, tu vas te limiter au texte que je t’écrirai. Sur la scène de Sorano, ne chante les louanges de personne. Tu adores l’argent et risques de chanter les aïeux de tes amis dès que tu les verras. Chante juste la biographie que je t’écrirai. Tu gagneras». Et j’avais gagné les Oscars Jaraaf cette année. (Elle chante le morceau dans une grande nostalgie et une grande solennité).
C’était en 1986. On a même entonné l’hymne national pour moi avec ce succès. Le coaching de Dogo était immense. Je me rappelle que j’étais en compétition avec les divas, j’avais cherché à les destabiliser dès le début. Je suis allée les trouver pour leur dire qu’un car plein de joueurs et d’équipements du Jaraaf était dehors pour me supporter. Quand Daro Mbaye est venue, je me suis payée sa tête. Je lui ai dit qu’elle devait elle aussi avoir un ballon en bleu et blanc (en réalité les couleurs de la Jeanne d’Arc, équipe rivale du Jaraaf qui a, elle, les couleurs vert et blanc). Elle a acheté le ballon et je lui ai conseillé de le mettre dans un sachet, pour que personne ne l’éconduise avant qu’elle ne rejoigne la scène. On avait fait le tirage au sort et je venais juste après elle et nous étions les deux plus jeunes candidates. Au moment où elle rejoignait la scène, je faisais ses chœurs et l’apercevais, en bonne griotte, entrer en grande dame avec le ballon bleu et blanc et le jetait aux supporters. Sans le savoir, elle avait perdu avant de chanter, cette illettrée ! (Elle entre dans un fou rire). Quand elle a senti sa bêtise, elle s’est retournée vers moi et a rigolé. Les vieux supporters du Jaraaf l’ont tellement chargée, ndeysaan. Nous en avions beaucoup ri dans les coulisses, sans rancune.
Vous avez fait onze ans dans l’Ensemble lyrique traditionnel du théâtre Sorano et en avez été pendant un moment la vedette. Il doit y avoir d’autres anecdotes croustillantes, non ?
Effectivement ! Je me rappelle aussi mon passage dans «Un artiste sur le podium», entre 1982 et 1983. J’étais la première à l’expérimenter. C’était durant la Tabaski et tous les sociétaires de l’Ensemble lyrique devaient être sur la scène pendant que j’étais le lead vocal. Un beau spectacle devant une salle comble. Une réussite totale. En 1981 aussi, avec «Taara». C’était le jour d’ouverture de l’Ensemble lyrique. Je me rappelle, en ces moments, personne ne voulait passer le premier, surtout avec le trac. À cette époque, le regretté Boubacar Guiro, grâce à qui je suis entrée à Sorano, me sommait de rejoindre la scène. Je refusais en lui disant de faire passer d’abord les doyens, mais il me «calmait» en me disant qu’en réalité, il reposait le groupe sur moi. Et je rejoignais la scène pour exploser, ndeysaan. Je me souviens également du spectacle mis en scène, «Derklé» (La mort de Lat Dior, en 1986). De grands moments. Pour les tournées, il y a celle qu’on avait effectuée en Algérie, en 1979, et qui m’a beaucoup touchée. Nous avions déjà presté à Rabat (Maroc) puis, trois jours après, nous sommes arrivés à Alger et il y a eu au même moment des tremblements de terre. La ville était en débris et en deuil. Le souci de tous, après notre consternation, c’était de voir où passer pour rentrer à Dakar et quel avion allait nous transporter. Je me rappelle qu’on était avec le vieux toucouleur Abdoulaye Idy Seck, très comique, qui disait qu’il s’asseyait toujours au milieu dans la voiture. Et c’était toujours des échanges forts avec Madiodio Gningue qui lui reprochait de ne pas être galant (Rires).
L’album «Le Retour» a été un marquant dans votre carrière et sujet de beaucoup de légendes. Quelle est sa vraie histoire ?
(Rires). Bon il faut dire que ce n’est que maintenant que c’est devenu normal pour un artiste de rester trois ans sans produire un album. C’était inadmissible. C’est sorti en 1998 et mon dernier album était signé en 1995. J’avais ensuite signé avec deux maisons de disque. Je devais alors effectuer des tournées internationales avec Chanaki en 1995 et 1996. En 1997, j’étais aux Pays-Bas et ensuite je suis restée à Paris durant sept mois sans revenir au Sénégal. Les Sénégalais devenaient inquiets et interprétaient mon absence. Je devais produire un album, mais les producteurs qui étaient là se montraient cupides. Ils disaient qu’ils ne produiraient pas une artiste qui n’est pas rentable. C’est en ce moment que j’ai rencontré Habib Faye (défunt bassiste du Super Étoile) qui m’a promis d’arranger l’album «Le Retour». Il m’a orienté vers Youssou Ndour qui a été d’un apport extraordinaire. Il restait répéter avec moi au studio jusque tard dans la nuit et c’est Habib Faye et lui qui ont arrangé l’album. Rien qu’avec le morceau «Cheikh Alioune Souané», son parrain m’a offert 15 millions de FCfa. C’était extraordinaire.
Nous avons vu que vous êtes toujours active et entretenez toujours votre carrière, après un demi-siècle d’âge. Quel est le secret ?
Cela semble avoir un secret, mais je vous jure qu’il n’y en a pas. L’artiste ne récolte que le fruit d’efforts qu’il sème. Mais je dirai qu’il y a avant tout le talent à avoir et à entretenir. La voix aussi, même si c’est un don, il faut l’entretrenir. Le succès et la notoriété, il faut aussi les vivre avec humilité. Pour la musique, il faut l’apprendre et ne pas tricher avec. Remarquez bien que tous les grands artistes chantent naturellement et aisément. Pour tout ce que je vous dis là, regardez juste l’exemple de Youssou Ndour pour vous en convaincre. Il garde toujours la même passion et la même hargne. C’est parce que c’est un bon artiste et qu’il donne beaucoup de respect à sa carrière artistique. Nous savons également recueillir et appliquer les conseils des devanciers et de nos tuteurs. De plus, j’ai toujours en tête un conseil de ma mère. J’étais encore une jeune fille. Elle me disait : «Fatou Kiné, ne sois jamais un artiste dont on dit qu’il doit mener sa vie comme il l’entend et comme une vedette. Tu ne dois jamais être comme cela. Toi, tu es une diva qui dois perpétuer les hauts faits de tes ancêtres. Rien ne doit te dévier de ton honnêteté et de tes bonnes mœurs». Elle me répétait que, après avoir chanté, les rois offraient des esclaves et des chevaux à mes grands-parents. Elle tenait à ce que jamais, je ne me glorifie ou prenne la grosse tête. Mais surtout aussi de ne jamais me presser. J’ai aussi toujours tenu à distinguer ma vie privée de ma vie publique en tant qu’artiste. Dieu m’a permis d’être consciente de tout cela, et de tenir à côté un ménage pendant quarante ans.
Quel message pour la jeune génération d’artistes ?
Je dis aussi aux jeunes de tout faire pour taire les rivalités. Si tu es talentueux, tu ne cherches pas de rival. Quand nous étions au faîte de notre carrière, il y avait Youssou Ndour, Baaba Maal, Ismael Lô, Omar Pène, Thione Seck, etc. qui étaient tous plus âgés que moi et qui avaient des contrats nationaux et internationaux partout sans que personne ne lèse l’autre. En un moment, nous avions même l’association «Been loxo» qui rassemblaient tous les artistes musiciens et où Coumba Gawlo et moi étions les deux seules femmes. Donc, je demande à la jeune génération de travailler, de taire les querelles et de se concentrer sur leur carrière musicale. Je leur demande aussi de se cultiver et de ne jamais cesser d’apprendre. À Sorano, j’observais beaucoup Ndiaga Mbaye, un excellent chanteur qui maîtrisait les trois temps de notre musique et dont je m’inspirais beaucoup des gammes pour me perfectionner. C’est cela le secret : être bon, humble et respectueux.
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