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23 avril 2025
Culture
LES DAMNÉS DE LEUR TERRE, par Elgas
DÉSIRÉ BOLYA BAENGA, L’ASIE MAJEURE ET L’AFRIQUE MINEURE
EXCLUSIF SENEPLUS - Il semble que beaucoup d’esprits africains n’ont simplement pas les moyens de leurs ambitions. Et ce que cela peut coûter pour qu’ils les aient, n’est rien de moins, qu’une renonciation synonyme de compromissions
C’est dans une rue du quartier de la Bastille, un jour d’été de 2010, que le corps sans vie de Désiré Bolya Baenga a été retrouvé. Les rues de Paris, on le sait, enterrent leur lot d’infortunés, dans un relatif anonymat. Mais de là à être, pour celui que nombre de professionnels avertis du monde littéraire et intellectuel appelaient le « meilleur de sa génération », la tragique scène de fin de piste, personne n’aurait pu y croire. Le choc et l’effroi demeurent d’ailleurs, aujourd’hui encore, intacts. Plus vifs encore lors de ses obsèques, où proches, incrédules, admirateurs, se sont pressés pour saluer une dernière fois l’ombre de la longue silhouette de cet écrivain tempétueux.
Une mort brutale
Au micro ce jour-là, pour prononcer l’éloge funèbre, l’aîné et le mentor de toujours : Elikia M’bokolo, normalien et historien devenu l’incontournable Mémoire du continent sur RFI. Les deux amis partagent le même Congo, le goût pour les choses de l’esprit, une réelle complicité intellectuelle, une admiration mutuelle. Et dans les mots sublimes du frère aîné se mêlent tendresse, amitié, récit d’une vie heurtée, d’une trajectoire singulière. Le vocabulaire choisi est plein d’empathie, d’amour, d’une verve presque joyeuse qui défie la catastrophe de la brutalité de sa mort. Une lumière s’allume dans les mots pour dompter l’obscurité du deuil. Pourtant, dans l’assemblée, tout le monde ne réussira pas à dominer la douleur. Au milieu des sanglots, Rahmatou Keïta, journaliste et réalisatrice nigérienne, et amie du défunt, garde en mémoire un épisode déchirant, lorsque la tante de l’écrivain confie, dans un murmure de douleur, que Bolya a quitté sa mère à 18 ans, et qu’elle ne l’a jamais plus revu jusqu’à sa mort. Il avait 53 ans.
Les Baenga sont une famille qui compte dans l’histoire récente du Zaïre. Désiré Bolya Baenga est le fils de Paul Bolya, compagnon de Patrice Lumumba et de la libération congolaise, tour à tour ministre, sénateur, personnage de premier plan. Le bain intellectuel est, comme par évidence, le premier environnement du jeune Bolya. Fort de ses aptitudes intellectuelles bien réelles, précocement perçues, et sous les conseils d’Elikia M’bokolo, ami de sa sœur, il le rejoint plus tard à Sciences Po, la prestigieuse adresse de la rue Saint-Guillaume où l’historien est professeur. L’école, elle n’est plus à présenter ; elle produit une élite promise à de beaux destins professionnels. Le jeune homme y est admis au mérite, et sous l’aile protectrice du guide, il intègre ce temple où les Noirs ne sont pas très nombreux. Il découvre dans la foulée Paris, les splendeurs germanopratines et les mythes mondains qui s’y attachent. Il montre une certaine inclination pour le dandysme, perceptible dans sa mise très tôt soignée. Avec la culture acquise dans ce creuset, de plain-pied dans les débats majeurs de l’époque, Bolya qui a gardé un attachement à son Congo et à son Afrique, semble pourtant renoncer aux grandes carrières tranquilles qui l’attendent pour un rêve secret qui l’habite et l’emporte.
Elikia M’bokolo se souvient dans son éloge et le déclame : « ta route semblait tracée. Quelques concours encore, deux ou trois diplômes supplémentaires en poche, et c’était une carrière tranquille et assurée de bon technocrate dans quelque administration ou banque prestigieuse. Mais non ! c’était mal te connaître. Car tu avais d’autres rêves ! Les livres, écrire des livres. Écrire et publier… » Comme une énergie mystique, son amour pour l’écriture triomphe donc et quelques missions de consultance le maintiennent à flot. C’est un attelage qui convient à son tempérament de bretteur, d’éditorialiste, d’écrivain en devenir qui s’aménage du temps pour crier ses blessures à la face du monde. C’est donc décidé, ce sera l’écriture, ses fragilités, sa cruauté. Tant pis si ça ne paie pas et que les rues de Paris comme de Kinshasa sont peuplées de dandies fauchés.
Entrée fracassante en littérature
En 1986 paraît son premier livre, Cannibale. La rhétorique est ténébreuse et la brutalité absolue. Le champ lexical des expressions est un nappage malodorant : sauvagerie, bêtise humaine, tribalisme, dictateurs sanglants… On y sent des inflexions Conradiennes digne d’Au cœur des Ténèbres, ou encore plus explicitement LeNègre de Narcisse, dans la violence sombre de l’atmosphère générale qui dénonce les corruptions, les hommes de pouvoirs, les réalités africaines mal dégrossies, le peu d’égard pour la vie humaine et l’horizon résolument sombre du continent. Le titre annonce le vertige du gouffre et les mâchoires de la bête humaine, ici africaine. Le texte est habité, palpitant, étouffant même. Tantôt dans les accents du Voyage au bout de la nuit de Céline dans sa parenthèse africaine, tantôt ceux de À la Courbe du fleuve de V.S Naipaul. Toujours le même tableau noir qui étreint le lecteur parfois jusqu’à le broyer. L’Afrique que Bolya donne à voir n’est en effet pas enchanteresse, mais il y applique déjà la mesure du talent qui le caractérise. Et le destin, comme complice, est avec lui, car pour un coup d’essai, c’est un coup de maître : Cannibale est couronné par le Grand prix littéraire d’Afrique noire. Sa maestria a conquis le jury du prix : une liberté de ton, une culture, déjà une certaine intransigeance, et le regard du réel jusqu’à la nausée, malgré l’étiquette fictive et l’identité romanesque du livre. Jean McNair note d’ailleurs ceci, à la fin de sa recension du livre dans la Revue Présence Africaine : « Ce livre trouble. Il ne laisse personne indifférent. Il choquera certains et donnera lieu à des critiques. En fin de compte, ceci est, peut-être, sa vraie force ».
C’est le début d’une ascension, avec une certaine reconnaissance, même parcellaire. Le prix de l’ADELF (Association des écrivains de langue française), malgré les critiques sur ses ombrages coloniaux, restait à l’époque respectable. Bolya en étrenne les retombées qui pavent un peu plus la voie à son rêve d’écriture. L’homme est resté chic, élégant et bien mis. Comme un autre dandy du quartier de Saint-Germain, l’égyptien Albert Cossery. Ils partagent le goût des petites gens. Celui de la paresse aussi ? On ne saurait dire. Cette réception prometteuse n’est en revanche pas la garantie de conditions matérielles plus confortables. Les témoignages sont assez unanimes : Bolya tire le diable par la queue et le nom ne fait pas encore la renommée ni la fortune.
La solitude des exilés africains des Lettres
Si la création est solitaire de nature, la solitude plutôt aiguë, voire l’esseulement, seront le sceau de sa vie, assez rapidement du reste. Il en fait l’expérience dans une réclusion symbolique, parfois contrainte, qui est le lot de beaucoup d’auteurs. D’autant plus dans les années 80/90, période charnière pour nombre de jeunes écrivains et intellectuels africains formés en France. Les structures à matrices idéologiques comme la FEANF (Fédération des étudiants d'Afrique Noire en France) et l’énergie folle de la période qui présida aux indépendances se sont essoufflées. Il ne semble plus y avoir d’épopée collective. L’Afrique est écrite par ses fils, lointains, et très souvent dans la tonalité du malheur. Les groupes, les revues, les clubs, se disloquent, et le désenchantement s’empare des œuvres. Depuis Kourouma, et le Soleil des indépendances, cette veine de la désillusion reste un registre dominant, d’autant plus pendant ces décennies du chaos dans le continent. L’éloignement dû à l’exil, le peu d’ancrage local, éparpillent les écrivains dans le paysage. Un peu fantômes, sans réelles attaches, avec la nostalgie et la mélancolie comme seules ressources pour accompagner les cris souvent vains en direction de leurs peuples. Abdoulaye Gueye, chercheur sénégalais, avait fait la cartographie des intellectuels africains dans les années 50 - 70 (2002) en se focalisant sur les matrices communes. Les sujets étaient fédérateurs. Mais plus tard, on constate, en remontant à cette période qui suit et qu’a bien connue Bolya, la solitude de ces intellectuels, leur déracinement jamais soigné, et leur difficile, voire impossible, ancrage en France, sous peine de pactiser avec le bourreau dans les consciences. Des valeurs refuges se créent : une migritude par exemple, concept qu’a tenté de saisir Jacques Chevrier, avec son lot de questionnements, de déchirements ; un label qui regroupe des esprits qui avaient d’autres ports d’attache idéologiques que la négritude ou même le panafricanisme.
Le destin des écrivains s’en trouve fatalement impacté. Dans ce temps, les tiers-mondistes, sur l’échiquier gauche de la politique en France, tiennent le haut du pavé. Et l’africanisme se cherche encore une nouvelle légitimité depuis que la situation coloniale a été débusquée par Balandier. Comment donc mener une vie intellectuelle libre, au-delà des chapelles, en surplombant les problématiques matérielles que pourrait résoudre l’appartenance à un clan ou à un autre ? Bolya a semble-t-il fait son choix : celui de l’indépendance. Le fils de Paul Bolya ne s’aliène même pas les idées en vogue du panafricanisme de l’époque dont son père fut un chantre, et dont les versants afro-centristes séduisent et deviennent un paradigme fédérateur d’élans. Pas plus qu’il n’est émerveillé outre mesure par les solides attaches qu’il noue à Saint-Germain, avec le risque de Jeandarquisme ou de francophilie galopante comme dirait Romain Gary. Ça lui aménage par conséquent un espace étroit pour épanouir son œuvre. Porté sur la fâcherie facile, irréductible dans son refus des compromissions, « sédentaire de l’éthique » en toutes circonstances, il se construit un îlot aux saveurs de martyrs et se met à dos des amis. Malgré tout, reste le goût âcre de la terre-Mère, au loin, et M’bokolo se souvient toujours dans une tonalité plus nostalgique : « Et nous sommes là, tous, à courir, à courir après le quotidien et ses urgences, au point de ne plus penser à ces instants simples et tranquilles, passés ensemble au commerce des nôtres, pourquoi pas autour de quelque dive bouteille de ces bons vins de France. »
L’Asie, le Japon : la référence
En 89, le mur de Berlin tombe. Il consacre une nouvelle ère. Chez beaucoup d’intellectuels africains, le marxisme est triomphant. Il a fait école. Au lieu de s’emprisonner dans la dualité de ces blocs qui survivent et dont l’hégémonie aliène le continent, Bolya fait un pas de côté. Il s’émancipe de cette vue duelle. Pourquoi pas s’inspirer du Japon ? Le pays du Soleil Levant a réussi des prouesses économiques, et s’est hissé, avec une célérité inouïe, à la tête des pays riches. La trajectoire éblouit Bolya. Il en fait un livre, l’Afrique en Kimono, repenser le développement (1991) où il exhorte le continent à s’inspirer du géant nippon. L’essai est original, il ne ménage pas un occident qu’il traite de « totalitaire ». Il lui reproche son mépris, sa demande incessante aux peuples d’adopter son modèle comme le seul qui vaille. Il remonte le fil de ce miracle japonais, qui a réussi à se moderniser sans renoncer à son identité culturelle. Voilà donc pour Bolya l’exemple type. Le développement ne requiert pas la négation de soi, et le Japon en est la parfaite illustration. L’essai est documenté, bardé de références éloquentes. Il part en effet d’articles dès 1913 d’un pasteur malgache Ravelojoana, père du nationalisme de l’île, qui a précocement pressenti cette inspiration. Âpres l’hommage à cette prémonition des pionniers de la grande île africaine qui fait écho à la morphologie insulaire japonaise, l’Afrique en Kimono est à la fois une critique acerbe des prétentions développementalistes de l’Occident, mais aussi une analyse fine des forces en présence, qui ne ménage pas, entre autres, les islamistes que l’auteur assimile à des idiots utiles de l’occident.
Cette ode au Japon ne manque pourtant pas de défauts à l’examiner en profondeur. L’auteur y passe très vite sur les démonstrations, et ne donne pas à voir le réel état des transformations au Japon. Parfois les scansions prennent le pas sur les analyses, sans esquisser les conditions de possibilité de cette transposition en Afrique, d’autant plus que le Japon et l’Afrique ne partagent pas forcément une familiarité évidente. Mais l’essai est séduisant et convainquant. En brocardant l’idée en vogue du développement comme condition de sortie de la misère, avec l’idéologie libérale qui la porte et la verticalité des injonctions envers l’Afrique, l’auteur est en avance de 20 ans sur des débats sur le « modèle » à suivre. On a tous en tête l’exemple, souvent cité pour accabler l’Afrique, de la Corée du Sud qui avait alors le même niveau que beaucoup de pays africains pendant les indépendances et dont l’économie aujourd’hui pèse plus lourd que nombre de pays réunis. Cet exemple résonne dans le tropisme de Bolya, dont l’œuvre porte cette inclination vers l’Asie majeure, lui qui écrira un autre livre sur le Japon L’Afrique à la japonaise. Et si l’Afrique était si mal mariée ? (1994)
Avant sa mort, Bolya a sans doute vu un autre géant asiatique, plus impérial, faire sa ruée vers l’Afrique, la Chine. Sans doute a-t-il lu l’essai de Tidiane Ndiaye, Le jaune et le noir (2008), qui dresse une longue chronologie, qui n’est pas faite que de romance, des relations méconnues, mais bien réelles entre l’Asie et l’Afrique. Bolya aurait-il rectifié sa copie ? Rien n’est moins sûr. Sa critique généreuse, souvent juste, ainsi que sa personnalité hostile au compromis font de lui un homme à part, reconnu, mais redouté, qui croit en la sacralité de l’éthique. Plusieurs fois, les appels à s’assagir, à intégrer des cabinets plus douillets, se sont fait pour lui qui a partagé sa vie entre Montréal et Paris. Il a toujours opposé un refus au risque parfois de se complaire dans une posture du rebelle ultime, même si à bien y regarder, on pourrait saluer cet acharnement principiel. Dans son éloge, M’bokolo le disait : « Tous ces livres, c’est vraiment toi, avec ce soin que tu as sans cesse mis à ne jamais être captif, ni d’un genre, ni d’un style, ni d’une forme, ni d’un lieu ». Il a cultivé aussi, dans le site Afrik.com, un art de la chronique, du billet politique sur le monde, où l’on retrouve une diversité de sujet, dont l’attachement à Haïti et des réactions sur le vif sur la marche de la planète. Un exercice journalistique qui ne lui rapportait rien, sinon un pécule modeste, mais aussi le maintien d’une régularité dans l’écriture.
Une large palette : pionnier du roman policier en Afrique
On peut vite oublier, à trop se focaliser sur l’essayiste, le romancier. Avec Cannibale, cette fibre était déjà présente, mais c’est dans la Polyandre (1998) et dans Les cocus posthumes (2001), publiés chez le Serpent à Plumes, son dernier éditeur, qu’il devient selon les mots de Rahmatou Keïta, « un précurseur du roman policier, avec un goût réel de la métaphore ». Ces romans sont d’ailleurs salués et étendent la palette de la création de cet auteur inclassable, mais immanquable, et qui est l’un des rares de sa génération à naviguer de genre en genre sans perdre de sa superbe. Les romans policiers n’ont pas bonne presse sur le continent et ce n’est pas un genre à la mode. On s’en détourne volontiers comme si c’était un registre mineur. En y faisant une incursion, Bolya mène sa carrière littéraire – stabilisée, avec un bon éditeur – sans la folie de la gloire, mais dans un cercle où son savoir-faire est salué.
Toujours chez le Serpent à Plumes, comme si le constat d’échec du développement africain était consommé, et que les invitations à marcher sur les pas du Japon étaient des cris dans le désert, Bolya commet un autre livre, plus à charge, l’Afrique, le maillon faible (2002). Le propos est sans détour et les responsabilités sont situées sans ménagement. Le titre est comme une épitaphe. De cette œuvre globale en construction, émerge une colonne vertébrale assez claire : une exigence, un engagement, une intransigeance, des excès, des obsessions, mais aussi en annexes, la cause des sans-grades, un amour de la femme, de la féminité, de la cause des femmes, victimes en premières lignes de toutes les hégémonies traditionnelles et des violences de la guerre moderne. Un amour des femmes, qui est aussi de la gratitude, pour celles qui l’ont élevé, celles qui l’ont aimé, le long de sa vie.
Amour qu’il confirme dans La profanation des vagins (2005), qu’il dédie à sa fille, son grand amour. Un livre de dénonciation des crimes de guerre, militant et désabusé, mais à l’épaisseur politique incontournable et à l’envergure qui parcourt les guerres de son temps. Un livre qui a peut-être marqué et inspiré le gynécologue, prix Nobel de la paix, Denis Mukwege, l’homme qui répare les femmes, dans cette sale guerre du Congo. Une œuvre donc globale qui se présente sous la forme d’un cri, avec du panache, mais qui n’a jamais eu un écho à sa mesure. Et comme toujours, in petto, ses détracteurs confient leurs griefs : une âme chagrine, frustrée. C’est sans doute un peu vrai. Pouvait-il pour lui en être autrement ? Dans un ouvrage publié chez Mémoire d’encrier, son ex-compagne Françoise Naudillon, a rassemblé les textes de ses amis en reprenant comme titre un de ses leitmotivs : Nomade cosmopolite, mais sédentaire de l’éthique (2012). Un parfait résumé de cet esprit, difficile à emprisonner, papillonneur et ouvert aux vents du monde. L’affection remplit ces pages d’hommage, avec une facture intimiste qui les rend à la fois authentiques et touchantes.
La mémoire d’un continent
Aujourd’hui encore, partir sur les traces du legs de Bolya, c’est être confronté à un silence, un silence malaisé. Comme s’il y avait à la fois trop et trop peu à dire sur les déboires de sa fin tragique. Cette mort brutale dans les rues de Paris, pour lui qui se savait « condamné » selon les mots de M’bokolo, donne à voir une antichambre misérable, de réclusion, condition de beaucoup d’esprits africains vivant en occident. Dans la foule anonyme de ces manteaux faits homme, de ces piliers de bar, de ces esprits lumineux, dans ces beuveries et ces gueuletons, peut-on compter tous ceux dont on se prive de l’intelligence ? Ceux qui sont à contre-emploi ? On pourra bien, à loisir, ratiociner sur une malédiction, une infortune, mais la réalité est bien plus cruelle : il semble que beaucoup d’esprits africains n’ont simplement pas les moyens de leurs ambitions. Et ce que cela peut coûter pour qu’ils les aient n’est rien de moins, qu’une renonciation synonyme de compromissions. De ces ambitions déchues, il ne reste parfois que des barouds d’honneur, tantôt sublimes, tantôt tragiques. À la loterie de ce destin, Bolya n’a pas tiré le bon numéro, mais son œuvre, elle, lui survit et rayonne vivement sur le monde intellectuel pour ceux qui se donnent la peine d’aller les chercher. Du fond de son malheur, c’est un écrivain comme l’a si joliment résumé Françoise Naudillon « fidèle, loyal, à ses amis et à lui-même ». Si le martyre est bien souvent une posture, on peut trancher rapidement qu’il a un goût héroïque à n’en pas douter chez Bolya. Dans son œuvre, sa vie, ses obsessions. Une mort et une vie, loin de sa terre natale qu’il a quittée jeune et qu’il a retrouvée dans un cercueil. Comme un symbole d’un déchirement irréversible.
Ce texte fait partie des "Damnés de leur terre", une série proposée par Elgas, publiée une première fois sur le site béninois Biscottes littéraires, en décembre 2020. Elle revient sur des parcours, des destins, vies, de cinq auteurs africains qui ont marqué leur temps et qui restent au cœur de controverses encore vives. Axelle Kabou, Williams Sassine, Bolya Baenga, Mongo Béti, Léopold Sédar Senghor. La série est une manière de rendre hommage à ces auteurs singuliers et de promouvoir une idée chère à Elgas : le désaccord sans l’hostilité, comme le fondement même de la démocratie intellectuelle et littéraire.
Le prochain épisode est à lire sur SenePlus lundi 23 août.
EN AFRIQUE, L'ARGENT SE MANQUE
Professeur de sociologie et d’anthropologie au Gabon, l’auteur d’« Afrodystopie » analyse la rencontre des croyances animistes et des valeurs capitalistes
Le Monde Afrique |
Laurence Caramel |
Publication 15/08/2021
Joseph Tonda est professeur de sociologie et d’anthropologie à l’université Omar-Bongo de Libreville, au Gabon. Il observe, sonde et écoute depuis longtemps ces sociétés d’Afrique centrale dont il est lui-même issu. Soixante ans après les indépendances, elles restent pour la plupart soumises à la loi de despotes et le quotidien continue, pour une majorité de leurs citoyens, d’y rimer avec pauvreté et frustrations.
L’histoire, avec le passé de la traite négrière ou de l’époque coloniale, et l’économie, avec les rapports toujours actuels d’exploitation et de dépendance, sont le plus souvent convoquées pour éclairer les causes profondes de ces trajectoires dans l’impasse. Dans son nouvel essai paru en mai, Afrodystopie, la vie dans le rêve d’autrui*, Joseph Tonda propose une autre porte d’entrée en mettant au centre de son analyse le rôle de la vie psychique des individus, façonnée par la rencontre des croyances animistes avec le capitalisme.
Dans ce syncrétisme, l’argent figure au rang de valeur suprême, faisant le lit de ce que l’auteur nomme « l’afrodystopie ». Autrement dit : le malheur africain. Nous l’avons rencontré à Libreville.
Vous accordez une place importante aux rêves des « maris de nuit ». De quoi s’agit-il ?
Je suis parti d’une réalité : au Gabon comme au Congo, il existe depuis une vingtaine d’années la diffusion auprès du public, par les églises pentecôtistes ou du réveil, d’un phénomène très ancien que la population appelle « les maris de nuit ». Ce sont des entités rêvées qui ont des rapports sexuels avec des hommes ou des femmes pendant leur sommeil. Elles procurent une extrême jouissance à celles et ceux qu’elles visitent et l’expérience est si physique et puissante que dans le même temps, elle les transforme dans la vie réelle en « zombies ».
Ces personnes ne sont plus capables de travailler, ni de maintenir des relations stables dans leur vie professionnelle, familiale, amoureuse. Elles ont du mal à concrétiser leurs aspirations, y compris avoir des enfants. Cette « chose » qui les habite rend leur quotidien très difficile à vivre. Une relation d’esclavage s’installe. Leur corps ne leur appartient plus, mais elles sont incapables de résister à son emprise et donc de s’en libérer.
Adama Thiam, photographe : La réalité photographique peut être déformée, manipulée pour arriver certes, à une perfection, mais loin de l’image de départ. Cela soulève des questions quant à la transparence. Jusqu’où peut-on modifier une photo ?
Étudiant, Adama Thiam rêvait de devenir informaticien. Admis à l’Université catholique de l’Afrique de l’Ouest (Ucao-Dakar), tout ne se passera pas comme il l’aurait souhaité faute de moyens. Le séjour fut bref. Très vite, il va faire un virage à 180° pour faire une formation accélérée en webmastering et en sortir infographiste. Puis il se lance dans la vie active. Arrivé dans la photographie par effraction, Adama Thiam y est resté confortablement. Il en est devenu un passionné. Il a trouvé sa vocation. Une belle trouvaille. De fait, aujourd’hui il cumule infographie et photographie, et a créé son propre label. Mais son ambition va plus loin. Le jeune artiste veut se lancer dans la production de documentaires, entre autres. Dans cette entrevue exclusive avec AfricaGlobe.net, Adama nous livre une analyse fine des métiers du numérique et de la pratique photographique. Très avisé, il revient aussi sur l’éthique professionnelle dans la photographie. Jusqu’où un photographe peut aller dans son métier pour capter des instants précieux pour l’histoire et la mémoire. ENTRETIEN.
Qui est Adama Thiam pour nos internautes ?
Adama Thiam est un jeune homme de profession photographe. Et je suis le propriétaire de la marque Lamdo. Je vis à Dakar depuis toujours.
Quel est votre parcours avant de vous lancer dans la photographie ?
J’ai été à l’école qu’au supérieur (première année) avant d’arrêter en 2017 après avoir fait une formation en webmaster (création site internet). J’ai d’abord suivi une formation de technicien en micro-informatique à l’Université catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO). Ensuite, je suis devenu un agent dans une boutique de transfert d’argent et j’ai travaillé dans une usine de production comme journalier. J’ai créé une marque de t-shirt et j’ai commencé à commercialiser mes produits. Je fais de retouche photo, montage vidéo et photo, infographie (création logo, collection t-shirt, tableau publicitaire, affiche …)
Où et dans quel contexte avez-vous commencé la photographie ?
Je suis devenu photographe en avril 2019, j’avais un petit appareil photo et je photographiais souvent mes sœurs ou je postais sur ma page Instagram. Beaucoup ont apprécié et on a commencé à me contacter pour des séances de shooting. C’est comme ça que tout a commencé et on a commencé à me contacter.
Lorsque vous avez décidé de faire de la photographie votre métier quelle a été la réaction de votre famille et proches ?
Jusqu’à présent je n’ai pas pris une décision formelle et officielle en tant que telle de devenir photographe, mais je le suis de fait. Donc la famille commence à voir du sérieux vu que j’investis beaucoup d’argent pour ce métier. Lamdo est ma propre structure. Je suis à mon suis à mon propre compte et je fais dans la communication et le marketing.
Que pensez-vous de l’avènement du numérique dans la photographie ?
Comme nous le savons tous, on est dans un monde typiquement informatique. Le numérique est fondamentale, incontournable, dans la photographie aujourd’dui. Le numérique nous permet aussi de mieux développer nos œuvres.
D’aucuns voient le numérique comme une menace pour la photographie. Qu’est-ce que vous en dites, vous ?
J’ai n’ai pas cet avis du numérique parce que le numérique non seulement englobe l’informatique, mais son périmètre est plus large car il recouvre aussi les télécommunications (téléphone, radio, télévision, ordinateur) et Internet. Au quotidien, on ne peut plus imaginer nos activités sans smartphone ou sans les réseaux sociaux par exemple. Ces nouveaux usages génèrent des masses énormes de données (informations) qu’il faut être capable de traiter. Si le numérique modifie nos activités, il change en même temps notre façon de comprendre et de penser. Notre univers entier est transformé par cet ensemble de technologies. On entend d’ailleurs souvent parler de culture numérique ou encore de révolution numérique. À noter que «Numérique » est spécifique au français, dans la majorité des autres langues, on utilise le mot anglais « digital ».
Quelles émotions peut provoquer une photo très forte sur celui qui la regarde?
La photographie est émotion. Elle nait de l’émotion, elle la fige puis elle la retranscrit. Il faut travailler avec l’émotion pour construire une belle image. J’ai beaucoup travaillé ma technique en enchainant les formations, les livres, les tutos. J’ai travaillé comme une dingue pour mon plaisir personnel, parce que cela me passionnait. J’ai vu peu à peu mes images changer. Elles sont devenues plus précises à force de travail. Je me suis appliqué à les rendre plus nettes, plus douces, plus fine. L’émotion, elle, ne se travaille pas. Elle se vit. Depuis, j’ai fait en sorte de l’allier à la qualité pour chacun de mes petits modèles.
Avec vous eu un mauvais souvenir dans le cadre de votre pratique, du genre une photo prise sans consentement du sujet et que ça a dégénéré?
Le photographe rencontre différentes personnes, il m’est arrivé une seule fois de travailler avec une dame pour la couverture du baptême de sa fille mais ça a mal tourné. Elle ne m’a pas payé le reste parce que j’avais une seule caméra. Au moment où l’iman donnait le nom au nouveau-né j’étais allé filmer le mouton et j’ai raté ce instant. Et comme elle ne l’a pas vu dans la vidéo, elle a été frustrée et ça m’a servi de leçon.
Doit-on demandez l’autorisation à quelqu’un avant de le photographié dans certaines circonstances ?
Normalement, il faut demander l’autorisation avant de photographier quelqu’un. Le droit à l’image est dans certains pays le droit de toute personne physique à disposer de son image, entendue comme l’ensemble des caractéristiques visibles d’un individu permettant son identification. Les lois relatives au droit à l’image sont différentes selon les pays.
C’est quoi l’éthique du photographe ?
La photographie représente des milliards d’images capturant la réalité chaque jour. C’est la raison pour laquelle la prudence et l’éthique doivent être de rigueur. Cette réalité peut être déformée, manipulée pour arriver certes, à une perfection, mais loin de l’image de départ. Cela soulève des questions quant à la transparence; jusqu’où peut-on modifier une photo ? Quelle est la frontière entre vie privée et publique ? Quelles sont les limites à ne pas dépasser ? En d’autres termes, comment être un photographe éthique ?
Y a -t- il des projets qui vous tiennent à cœur ?
Oui. Je voudrais m’investir dans d’autres domaines comme faire le cinéma, des documentaires, par exemple. Je veux marquer mon empreinte sur tout ce qui va avec le monde numérique.
Propos recueillis par Fred ATAYODI - (AfricaGlobe Dakar)
PAR Sokhna Karimatou Faye
LES ARCHIVES DE LA VIE, UNE LONGUE CHRONIQUE SUR LES HAUTS ET LES BAS CE MONDE
EXCLUSIF SENEPLUS - À travers son livre, Khalifa Touré semble nous dire que la vie est si complexe qu'une seule discipline scientifique ne peut l'appréhender. Il nous révèle que l'écriture est un acte de témoignage
Un livre tant attendu vient de sortir simultanément à Dakar et à Paris : Les archives de la vie, un regard littéraire sur le monde, L’Harmattan- Sénégal, 2021. Un texte écrit par le critique littéraire Khalifa Touré, chroniqueur et cinéphile passionné, animateur du Blog Panorama Critique qui, pendant des années, a inondé le paysage médiatique d'articles hebdomadaires sur des sujets divers et variés allant du sport à la littérature en passant par la religion, la philosophie, l'économie et le cinéma. " Ce qui était à l'origine une éphéméride portée par un journal quotidien a été transformé par son auteur en un essai sur les défis et les grands enjeux de notre époque " selon l'écrivain, philosophe et ancien ministre de la Culture de la République du Sénégal, le professeur Abdoulaye Elimane Kane qui a préfacé ce livre qui est l’introduction d'une trilogie selon l'auteur Khalifa Touré. Trois livres et ensuite un quatrième livre inédit qui permettront à l'auteur de "vider son obsession de l'écriture avant de passer à autre chose, c’est-à-dire d'autres publications de types normatifs et autres" dit-il.
Les archives de la vie, un regard littéraire sur le monde, c'est en plus des deux autres livres à venir, dix années de réflexion et d'écriture sur le monde comme il va. Comment penser le monde ? À partir de quel point de vue, quelle discipline faut-il appréhender la vie ? En tentant de répondre indirectement à ces questions très anciennes, mais toujours actuelles, Khalifa Touré fait à la fois œuvre d'historien, de philosophe et d'herméneute même si le sous-titre " un regard littéraire sur le monde" dit autre chose. La littérature sert ici à voir le monde au-dessus des perceptions populaires, à analyser et expliquer les causes et chercher les paradigmes qui sous-tendent les troubles et mutations du monde. Les faits sociaux qui sont sujets à l’évolution du temps qui change de forme d’un espace à un autre se servent de la « lettre » pour s’expliquer à l’humanité.
" S'agit-il exclusivement d'une approche littéraire comme l'indique le sous-titre et pourrait l'expliquer la discipline dont l'enseignement fut le métier de l'auteur ? Ou plutôt de philosophie, de politique et même de journalisme », renchéri le Pr Abdoulaye Elimane Kane. Quoi qu'il en soit, Khalifa Touré semble nous dire que la vie est si complexe et si mystérieuse qu'une seule discipline scientifique ne peut l'appréhender. À le lire, on est entraîné à chercher plus loin que le factuel pour cerner ce qui se passe.
Au reste le livre tente en quelque 430 pages de répondre à la question " qu'est-ce que l'écriture dans sa dimension génésique nous révèle des êtres vivants et existants connus ?" Cette question entre autres choses, a produit des textes inoubliables comme C'est ainsi que meurent les pères de famille, L'éloge de la folie au Sénégal, Le XXIème siècle des mutants, Le dur métier de scandalepublic, Que Dieu nous pardonne et le fameux Le voleur de bicyclette et le tueurde la nation. Les archives de la vie un regard littéraire sur le monde, ce n'est pas une histoire mémorielle, tous les textes sont datés, l'auteur n'ayant voulu perdre aucune de ses impressions premières, c'est une série de réflexions qui consolident l'idée selon laquelle l'écriture en soi est un témoignage historique. " « J’écris pour témoigner de ce que Dieu m'a fait savoir, voir et sentir à un moment précis qui ne reviendra plus jamais sinon autrement » dit l'auteur. Les archives de la vie nous révèlent donc que l'écriture est un acte de témoignage. En cela l'écrivain, quel que soit son genre de prédilection, fait œuvre d'historien, c'est un historien du savoir, archéologue de la pensée d'où Les archives de la vie un regard littéraire sur le monde. Selon le Pr Abdoulaye Elimane Kane " il est possible de soutenir que la lecture littéraire de Khalifa Touré le chroniqueur est fortement matinée de philosophie de l'histoire."
En quatre grands chapitres organisés rigoureusement auteur de thématiques générales sur la culture et la société, la politique et la géopolitique, le sport et la culture et enfin la religion et la spiritualité Khalifa Touré nous fait découvrir une vaste culture et cite avec délectation un nombre impressionnant d'auteurs de tous horizons de la Grèce antique à l'Afrique moderne en passant par l'Amérique, l’Europe et l'Asie. Lire Les archives de la vie est un voyage particulier dans les grandes œuvres littéraires, philosophiques et historiques du monde. L'auteur nous rend plus accessibles les textes de Jacques Derrida, Edward Saïd, Gayatri Spivak, William Faulkner, Aimé Césaire, Dostoïevski, Tolstoï, Gaston Bachelard et tant d'autres en les inscrivant dans le contexte du livre.
Les grands guides spirituels du Soufisme musulman sont aussi convoqués avec une telle empathie que l'on devine aisément que l'auteur a une inclination particulière pour la spiritualité. Il arrive qu'il aborde la question de Dieu et de l'Être sous un angle tellement pratique et expérimental qu'il désarçonne le lecteur et semble nous dire que l’Esprit est de l’ordre du vécu. C'est à la fois la force et la faiblesse de ces "archives de la vie".
L’auteur prend plaisir et nous fait plaisir par une longue litanie de savants, de prophètes, de saints, d’écrivains et de génies créateurs qui ont fait ce monde. Cette vaste réflexion autour « des grandes valeurs de l’humanisme » menée pendant des années sur les rapports de vie ne laissera aucun lecteur indifférent tant la pluralité des disciplines convoquées offre une panoplie d’idées, de mots, d’images, de sentiments et de formules qui resteront gravés pour toujours dans les archives de la vie. Au-delà du regard littéraire, Khalifa Touré nous offre une vaste philosophie de l’histoire.
QUARTIER ARTILLERIE, À L'ORIGINE UN CAMP MILITAIRE COLONIAL
Dans la commune de Louga, l’histoire de l’école élémentaire « Artillerie » est saisissante. D’un camp militaire colonial installé à Louga pour des raisons stratégiques, « le Fort Artillerie » a fini par être érigé en établissement scolaire
Dans la commune de Louga, l’histoire de l’école élémentaire « Artillerie » est saisissante. D’un camp militaire colonial installé à Louga pour des raisons stratégiques, « le Fort Artillerie » a fini par être érigé en établissement scolaire après avoir servi d’unité industrielle et donné aujourd’hui son nom à un des quartiers les plus vastes de la commune de Louga.
L’histoire du quartier et de l’école élémentaire « Artillerie 1 » remonte à l’époque coloniale. Sa création dans l’ancienne province du Ndiambour était un enjeu géostratégique pour l’administration coloniale. À l’époque, renseigne l’historien Saër Guèye, professeur d’histoire à la retraite, la province du Ndiambour permettait aux Français de contrôler les côtes atlantiques à l’Ouest, le Gandiole qui est un poste avancé du Walo au Nord, le Djoloff à l’Est et le Cayor au Sud.
C’est ce qui explique, selon lui, la création d’un camp militaire appelé « Fort Artillerie » dans cette partie du Ndiambour (Louga en tant qu’entité organisée n’existait pas encore) dont les travaux de construction ont démarré en 1882, la même année que la ligne ferroviaire Dakar-Saint-Louis a été réalisée.
Selon toujours l’historien, le « Fort Artillerie », qui servait de base militaire et de point d’appui aux troupes françaises dans leurs expéditions à l’intérieur du pays, avait un but essentiel. « La conquête et la protection des intérêts français et le contrôle des voies d’accès stratégiques », renseigne Saër Guèye, qui indique que le premier administrateur des colonies qui commandait le « Fort Artillerie » à son ouverture en 1885 s’appelait Abel Jeandet.
D’après les explications de Saër Guèye, l’achèvement des travaux du camp militaire en 1885 avait fait de ce site stratégique un lieu de transit de l’artillerie lourde coloniale, facilité par un tunnel qui le reliait à la gare ferroviaire distante de 300 mètres. « Mais après la mort de Lat Dior en 1886, le gouverneur Grenouilles, pour sonner la fin du cantonnement militaire, retira du « Fort Artillerie » la garnison et les canons et créa le cercle du Ndiambour ». Dès lors, le camp n’avait plus sa raison d’exister et les locaux furent libérés par les militaires.
D’un « camp militaire colonial » à un établissement scolaire public
Bien que fermé, le désormais ex-camp militaire était utilisé par l’administration coloniale comme un embryon industriel et a servi, dans un premier temps, à la création d’un « centre de nutrition pour les enfants démunis » qui permettait d’accueillir les enfants indigènes de la colonie gagnés par la famine pour leur assurer une bonne alimentation, renseigne Pape Mademba Samb, ancien chef du Service régional des logements administratifs de Louga. Plus tard, le « Fort Artillerie » devint une « sécherie de poisson » qui permettait à l’administration française de produire de la farine de poisson destinée à l’exportation à la faveur des facilités de transport qu’offrait le chemin de fer avec aussi une unité d’huilerie du fait de la zone de traite d’arachide que constituait le Ndiambour.
L’ex-camp militaire finit par devenir des bâtiments administratifs en 1945 et servait de logements aux fonctionnaires de l’administration jusqu’en 1954, année où l’ex-camp militaire a été érigé en établissement scolaire et appelé « École Artillerie », qui a donné son nom au quartier qui l’abrite suite à l’érection de Louga en commune de plein exercice en novembre 1955.
Les bâtiments qui abritent les salles de classe sont d’anciennes bâtisses de l’armée coloniale qui n’ont subi aucune érosion et sont restées telles qu’elles depuis leur construction entre 1882 et 1885. Et jusque-là, à l’exception de quelques toitures réfectionnées, aucune modification n’a été apportée à son architecture qui garde encore le profil d’un camp militaire de l’époque coloniale.
À sa création, c’est un ressortissant de Saint-Louis, Cheikh Thiam, qui en fut le premier directeur en 1954. Composée aujourd’hui de 15 classes avec un effectif de 816 élèves durant l’année scolaire 2020-2021, l’école « Artillerie » est le second établissement scolaire de la commune de Louga par sa taille, le nombre de classes et son effectif.
Directeur de l’établissement depuis octobre 2011, Ousmane Fall, qui a fait sa scolarité dans cette école et qui a pris sa retraite au mois de juillet 2021, apprécie les performances de l’établissement. « J’ai fait mon cycle primaire dans cette école et je viens d’y prendre ma retraite en tant que directeur. Je peux vous dire que comme un miracle, les bâtiments que j’avais trouvés en tant qu’élève en 1969 sont les mêmes aujourd’hui et l’école Artillerie est restée constante dans ses résultats et ses performances scolaires ». Le désormais ex-directeur se dit optimiste quant à l’avenir de l’école. « Je reste convaincu qu’en terme de performance, l’école Artillerie peut rester parmi les meilleures de la commune de Louga », souhaite Ousmane Fall.
Cet établissement scolaire symbolise aujourd’hui le legs d’une tradition militaire coloniale dont la double empreinte est encore perceptible sur les bâtiments laissés par l’administration française et le nom du quartier qui est l’un des plus vastes de la commune de Louga.
VIDEO
LE BOUT DE MON CRAYON DANS LES MAUX LA SOCIÉTÉ
Avec son crayon, Adama Mbow dessine en plus des portraits de quelques figures de la vie publiques, mais aussi des réalités sociales. Le jeune pousse du crayonnage se veut être la voix des sans voix en dénonçant des injustices sociales
Dans la deuxième partie de cette entrevue (Voir la vidéo), le jeune étudiant nous parle du pouvoir de l'oeuvre d'art : la capacité à provoquer de l'émotion chez une personne, la capcité d'apporter un soulagement queluconque comme dans le cas de l'art-thérapie. Les sens et les facultés intellectuelles d’Adama Mbow sont en alerte maximale quand il est plongé dans la réalisation de ses œuvres. Sa mémoire fonctionne presque de son plein potentiel.
«Au moment où je dessine je capte, si vous me dite une chose, je peux retenir cette chose-là. Il y a beaucoup de mes dessins, ça crée des souvenirs», confie-t-il. Souvent sollicité pour des portraits, certaines œuvres d'Adama peuvent parfois provoquer une intense émotion chez ses interlocuteurs, en l’occurrence des femmes. Adama Mbow déplore les diffucultés liés ua crayonnage au Sénégal, notamment le manque de matériel. Selon lui dans les années à venir le Sénégal pourrait atteindre le niveau du Nigeria dans le domaine du crayonnage.
UN NOUVEL OUVRAGE RÉHABILITE CARABANE EN ÎLE-MÉMOIRE
L’universitaire sénégalais Raphaël Lambal, auteur d’un album cartonné de 130 pages consacré à l’île de Carabane, s’inscrit par ce livre dans une entreprise de valorisation du patrimoine en danger de la Casamance, la région méridionale du Sénégal.
Dakar, 11 août (APS) - L’universitaire sénégalais Raphaël Lambal, auteur d’un album cartonné de 130 pages consacré à l’île de Carabane, s’inscrit par ce livre dans une entreprise de valorisation du patrimoine en danger de la Casamance, la région méridionale du Sénégal.
Intitulé "Carabane l’île mémoire", cet ouvrage publié aux éditions "L’harmattan France", le 6 juin dernier, est désormais disponible au Sénégal.
Il est présenté comme un livre d’art, mais surtout un ouvrage de valorisation de la mémoire de l’île de Carabane, "un lieu chargé d’histoire tombé dans l’oubli", en Basse Casamance.
Selon Raphaël Lambal, ce livre se veut aussi "une réponse au besoin urgent de savoir et de mémoire et surtout de valorisation du patrimoine en danger de Carabane et de la Casamance".
Tout est parti d’une visite effectuée par l’auteur à Carabane, en 2011, en compagnie d’invités venus participer à un colloque sur Andrée Malraux à l’Université Assane Seck de Ziguinchor.
"J’ai organisé une visite découverte de la Casamance avec ces homologues, on est parti à Carabane. J’étais très déçu une fois sur les lieux, car on n’a pas trouvé sur place une personne-ressource pour parler de l’histoire de Carabane, c’était très gênant", se rappelle l’universitaire dans un entretien avec l’APS.
Raphaël Lambal a alors décidé d’écrire sur Carabane. "Pourtant, je ne suis pas historien de formation", précise l’auteur, enseignant-chercheur de littérature française moderne et contemporaine et critique littéraire à l’Université Assane Seck de Ziguinchor.
Et pendant sept ans, il s’est documenté sur la question, s’imprégnant aussi de ce lieu pour mieux saisir ce qu’il représente en termes d’histoire, comme mémoire.
Car du milieu du XIXe siècle jusque dans la première moitié du XXe siècle, Carabane était considérée comme l’île de toutes les rencontres, de tous les échanges et brassages en Sénégambie méridionale entre l’Europe et l’Afrique.
Le livre préfacé par le professeur Ibrahima Thioub, historien et ancien recteur de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, retrace "la trajectoire de cette île au passé légendaire dont l’histoire et la mémoire comptent pourtant parmi les racines de notre présent".
La première partie relate l’histoire de Carabane, de la naissance de l’île et de sa création comme capitale administrative de la Basse Casamance jusqu’à son déclin en 1908, au moment du transfert de la capitale de Sédhiou à Ziguinchor.
La nouvelle capitale va connaître un essor important entrainant ainsi la chute de Carabane et son oubli.
La deuxième est consacrée à l’héritage patrimonial de l’île, car "l’histoire de Carabane a laissé sur place des bâtiments, des places culturelles et religieuses parce que c’est à partir de Carabane que le christianisme est entrée en Basse Casamance et l’islam aussi", explique Raphaël Lambal.
Le livre rangé dans la catégorie des "beaux livres d’art", a une triple dimension, un volet historique à travers l’évocation de la mémoire de ce lieu, une dimension valorisation du patrimoine et de cultures et une dimension littéraire.
Le Sénégal, dans ses premiers contacts avec l’artillerie occidentale, n’aurait retenu que deux points, Gorée à l’Ouest, et Saint-Louis au Nord, "mais en écrivant ce livre, je me suis rendu compte qu’il y a trois points de contacts, Saint-Louis, Gorée et Carabane qui a joué le même rôle que les deux premiers", explique-t-il.
Il soutient que ce livre est "fondamental parce qu’il est à la fois de l’histoire et également de la mémoire".
Aussi interpelle-t-il l’Etat pour une requalification de Carabane afin que l’île puisse jouer le même rôle que Gorée et Saint-Louis.
"Aujourd’hui, on parle de Gorée et de Saint-Louis parce qu’on les a inscrits au patrimoine mondial de l’humanité, Carabane a eu le chemin inverse, il est complétement plongé dans l’oubli", a-t-il relevé.
"Nous avons un devoir de mémoire, il faut réhabiliter ce site pour qu’il ait un statut comme Gorée et Saint-Louis, parce qu’il a agi au même titre que ces sites", plaide Raphaël Lambal, selon qui la requalification de Carabane devrait lui ouvrir de nouvelles perspectives en termes de valorisation de cette île "porteuse de notre histoire".
Dans le cadre de ce travail sur Carabane, l’auteur a bénéficié du soutien de l’université Assane Seck de Ziguinchor, de la direction du livre et de la lecture, des municipalités de Oussouye et Djimbéring et de l’Agence sénégalaise de la promotion touristique (ASPT).
Raphaël Lambal, docteur ès Lettres de l’Université Paris III-Sorbonne Nouvelle, est aussi un spécialiste de André Malraux, écrivain et homme politique français, également ancien ministre de la Culture.
Il a inauguré avec Léopold Sédar Senghor le premier Festival mondial des arts nègres, le 30 mars 1966.
PAR HAWA BA ET RENÉ LAKE
LES EXIGENCES DE BON SENS
POINT DE MIRE SENEPLUS - Dépasser la simple cartographie des obstacles au développement. Mettre en avant les actions fédératrices. Décoloniser la pensée, l’action publique et individuelle. Approfondir ainsi le processus qui mène à la décolonialité
SenePlus publie ci-dessous la préface de l’ouvrage collectif "Enjeux 2019-2024, Sénégal, réflexions sur les défis d’une émergence" publié aux éditions L’Harmattan sous la direction de René Lake. L’une des dédicaces de ce recueil d’essais indique clairement l’orientation général de ce texte : "À tous les Sénégalais et amis du Sénégal qui ambitionnent des choix nouveaux afin de tourner le dos à la gestion de la misère pour une exploration commune de toutes les voies endogènes de développement harmonieux basé sur le bon sens collectif".
Où pose-t-on le pied pour aller vers le développement ? À la fourche du sentier tracé dans la savane aride, dans quelle direction s’engager pour déboucher sur l’émergence ? Au-delà des mots, des slogans et des vœux pieux, comment enfourcher le cheval de bataille pour la construction d’un futur collectif qui nous sorte de l’attentisme dans lequel nous engluent les prétextes de l’histoire d’hier et ceux de la misère d’aujourd’hui ? Les campagnes électorales offrent l’opportunité de voir fleurir toutes les réflexions et tous les engagements pour un vivre ensemble. Pour un construire ensemble.
Le 24 février 2019, le Sénégal organisait sa onzième élection présidentielle depuis son accession à l’indépendance. Un exercice routinier pour un pays présenté comme l’une des locomotives en matière de gouvernance avec une dixième place et une moyenne globale de 61,6/100 dans le dernier indice de la gouvernance Mo Ibrahim, publié en novembre 2018. Le Sénégal a une longue tradition d’organisation d’élections diverses, organisées à intervalles réguliers et disputées entre différents partis politiques, coalitions ou citoyens indépendants.
Et pourtant, paradoxalement, les rendez-vous électoraux sont toujours un moment de cristallisation. Ils révèlent des vulnérabilités institutionnelles et sociales qui, pour certains, portent potentiellement le risque de saper les fondements de l’État-nation.
L’élection de 2019 n’a pas dérogé à la règle, avec une période préélectorale marquée par des défis anciens et nouveaux qui ont nourri de fortes tensions socio-politiques. Encore une fois, la présidentielle a été marquée par de profonds désaccords sur les règles du jeu électoral portant, d’une part, sur les modalités de participation des citoyens électeurs et des potentiels candidats (inscription et distribution des cartes d’électeur, loi sur le parrainage, poursuites judiciaires), et d’autre part, sur les conditions d’organisation de l’élection (fichier électoral, rôle du ministère de l’Intérieur, de la Commission électorale nationale autonome [CENA], du Conseil national de régulation de l’audiovisuel [CNRA] et du Conseil constitutionnel). En cette absence de climat de confiance autour du processus, voilà que les enjeux autour de l’élection risquaient d’être confinés à la procédure, renforçant la thèse que le pays n’est encore qu’une démocratie procédurale.
La Grande Nuit
L’année 2020, c’est celle du soixantième anniversaire de l’indépendance du Sénégal. À l’unisson, plusieurs pays africains fêtent la fin, depuis plusieurs décennies, de l’odieuse période coloniale. Ce pan de l’histoire, coloré d’une multitude de crimes et d’attaques à la plus élémentaire humanité des soumis, semble se prolonger et rendre bien difficile la sortie du continent noir de la Grande Nuit.
Au milieu du grand sommeil, c’est le cauchemar sans fin de la haine de soi qui hante nos esprits. Il ne s’agit plus de se dresser contre le colon et le colonialisme, mais de se redresser pour s’extraire des effets et méfaits du passé qui prolongent au présent l’épaisseur de la nuit.
C’est ce sommeil qui explique qu’une figure importante de l’élite puisse publier ses mémoires post-indépendance et faire référence exclusivement au jugement laudateur porté sur son action par des Français. La caricature va jusqu’à ne citer, sur plus de 350 pages, que des auteurs de ce qu’était la métropole avant les années 60.
C’est ce sommeil qui justifie la violence, psychologique, émotionnelle et intellectuelle sans nom qui se poursuit depuis 60 ans dans l’initiation des enfants au savoir et à la connaissance. Dès leurs premiers contacts avec l’école, leur univers mental est façonné avec brutalité dans une langue étrangère à l’écrasante majorité de la société qui est la leur. Dans la plupart des cas, le choc est tellement insupportable que les adultes qu’ils deviendront n’y feront jamais référence. Quelle manière habile de ne jamais questionner l’absurdité d’un système qui refuse les évidences de bon sens !
C’est ce sommeil qui prolonge l’extraversion monétaire. À grande échelle, comme nulle part ailleurs, le lien ombilical avec la métropole ancienne est maintenu par un instrument d’échange dont le seul avantage est d’inciter à l’importation et de favoriser le rapatriement à l’extérieur des revenus générés dans l’ancienne colonie. Les élites d’ici et de toute l’Afrique francophone ont pourtant l’illusion d’être bénéficiaires de cet instrument qui hypothèque en fait toutes les chances d’un développement économique. L’inexistence d’un tel modèle sur le reste de la planète ne semble pas inciter au réveil.
C’est ce sommeil qui perpétue le renoncement à assurer sa sécurité pour la confier à l’ancienne puissance coloniale tout en sachant que les interventions militaires unilatérales sont toujours rejetées par les peuples. L’argument est celui du réalisme pour des micro-États d’une Afrique balkanisée qui n’ont pas les moyens de se défendre face à des attaques extérieures. Cette approche est à contre-courant de l’histoire qui suggère l’alternative d’une coalition internationale dans laquelle l’ancien colonisateur n’a pas toute la marge de manœuvre. Cette « multi-dépendance » est une alternative bien plus réaliste et constructive que celle générée par la prolongation des interventions unilatérales françaises en Afrique.
Cet ouvrage collectif ne revient pas sur la topographie des complexes du colonisé qui empêchent le développement. Des tonnes de pages ont déjà été écrites sur ce drame des opprimés. Cette compilation de textes écrits avec des sensibilités différentes ambitionne plutôt de dépasser la simple cartographie des obstacles et des freins au développement et de mettre en avant les exigences de bon sens qui pourraient être fédératrices d’une action commune. Elle prétend participer de manière hardie à décoloniser la pensée et l’action publique et individuelle. Les exigences de bon sens apparaîtront clairement au fur à mesure de l’approfondissement du processus qui mène à la décolonialité.
Dans les centaines de pages qui suivent, il ne s’agit pas de déférer aux passions des auteurs au lieu d’employer leur raison. L’ambition est d’entretenir une réflexion commune, mais plurielle sur notre présent et notre futur communs. L’espoir est de générer de la lumière plutôt que de diffuser de la chaleur qui attise les contradictions. Cependant, il n’est pas question pour autant d’effleurer les sujets et de les survoler sans en affronter les écueils.
Un groupe de citoyens concernés
Les résistances à la réflexion autonome, au développement d’une pensée et d’une action endogène sont multiples et multiformes. Le courage des auteurs est mis à l’épreuve. Le test est vite passé parce qu’il s’agit d’un groupe de citoyens concernés qui vivent dans leur quotidien leur désir de progrès pour tous. Tous s’accordent à dire que l’état dans lequel se trouve le pays est le résultat de choix. Les choix auraient pu être différents. Mais aujourd’hui, la posture de victime n’est pas une option. Des dynamiques internes doivent initier des mouvements endogènes susceptibles de réparer les blessures infligées par d’autres, mais également, aujourd’hui, principalement par nous-mêmes.
L’expression du moindre changement qui profiterait au plus grand nombre est souvent castrée sous un label disqualifiant. Tantôt c’est une référence au populisme, au gauchisme, à une certaine radicalité idéaliste ou encore à une forme d’extrémisme destructeur. Peu importe si le changement préconisé relève du simple bon sens et de l’évident intérêt du plus grand nombre, pour ne pas dire de l’ensemble de la communauté.
Autre stratégie des conservatismes : s’opposer au changement, à l’évolution, au nom de la tradition, de l’héritage ancestral. L’idée est toujours la même : hier, c’était mieux. Préserver le passé, avancer en reculant vers des pensées et pratiques rétrogrades, c’est toujours mieux parce que cela maintient le système en l’état et continue de bénéficier à ma caste, à ma secte, à mon groupe, à ma classe. Et puis les références d’hier sont connues. Les changer, les modifier, y compris, pour les améliorer significativement, fait prendre le risque de l’inconnu qui pourrait remettre en question non seulement l’ordre établi, mais aussi la hiérarchie des pouvoirs anciens.
Toutes ces formes de lutte contre le progrès sont vivaces et pleines d’énergie dans notre société.
L’élection présidentielle a été un prétexte pour le site d’informations et d’opinions SenePlus.com et ses analystes de lancer, relancer la conversation nationale pour qu’ensemble nous puissions dire que nous n’acceptons plus la misère. Nous ne voulons plus d’une adaptation à la misère. Nous voulons exprimer et mettre en œuvre une ambition pour le pays, pour nos populations. L’ambition va au-delà de la gestion de la misère. Dans cette expression, les auteurs mettent en avant leur capacité à accepter l’imperfection du consensus contre l’idéalisme d’une utopie.
Avec son projet #Enjeux2019, SenePlus a voulu offrir aux Sénégalais, aux amis du Sénégal et aux candidats à la présidentielle de 2019 une opportunité d’être informés et peut-être édifiés, sans parti pris, sur les questions de fond qui touchent à la vie du citoyen et de la nation. Pendant plusieurs mois, SenePlus, qui se veut un espace d’exploration et d’expression libre et plurielle des décideurs et des leaders d’opinion, s’est ouvert à des universitaires, des éditorialistes, des activistes, des experts, des citoyens concernés, de diverses générations et avec des regards croisés, qui ont scruté les grandes problématiques et les secteurs-clés du sociétal, du culturel, de l’économique et du politique.
Ces analyses se sont intéressées aussi bien aux questions strictement nationales qu’à celles concernant notre environnement géopolitique et stratégique immédiat, mais aussi global. Ainsi, la sécurité, la diplomatie, l’éducation, la justice, la monnaie et les médias ont été passés à la loupe. Un accent tout particulier a été mis sur des sujets sensibles dans la société sénégalaise tels que le traitement des enfants, les violences faites aux femmes, les enjeux de l’enseignement en langues nationales et les défis environnementaux grandissants.
Avec #Enjeux2019, SenePlus a redonné vie, corps et voix à l’intellectuel public sénégalais. Les analystes que l’on entendait de moins en moins ont planché sur les questions majeures et partagé avec tous savoir, interrogations et propositions pour un Sénégal en progrès. Cet espace dans lequel s’est déroulé cet exercice a été celui d’une acceptation de la dissidence. Les propos contraires, les critiques ne sont pas des ennemis. Les voix dissidentes participent à la construction de réponses pertinentes et constructives.
De la démocratie procédurale, vers une démocratie substantielle
Enfin et en somme, #Enjeux2019 s’est voulu une pierre précieuse dans l’édifice dont l’ambition est de faire évoluer la démocratie, encore largement procédurale, vers une démocratie substantielle, où le fond prime sur la forme. Participer à l’œuvre de bâtir une citoyenneté forte. Appuyer sur les leviers d’une démocratie délibérative et participative.
À une époque où le citoyen a peu de lisibilité sur l’offre politique, sur les partis politiques et leurs orientations idéologiques, où l’accent est plutôt mis sur des individualités présentées comme des messies, quoi de plus salutaire que de poser le débat en termes de faire société ensemble ?
Où voulons-nous aller et comment y parvenir ? Qui décide de l’agenda et qui s’assure du contrôle de conformité entre le cahier des charges et la mise en œuvre ? Comment s’assurer que les actes sont conformes aux promesses ?
L’ambition de cet ouvrage est aussi de servir de référence aux amis du Sénégal, en particulier aux agences bilatérales et multilatérales dans le secteur du développement international. Ils trouveront ici ce que des Sénégalais et des amis du Sénégal, des acteurs et militants du développement pensent être les véritables priorités pour le pays. S’ils ont l’ambition de donner un coup de main à portée réelle, ils sauront quoi faire et comment le faire.
Cette compilation de textes est une ambitieuse initiative et vous livre sur plus de 500 pages les réflexions des nombreux contributeurs sur le Sénégal de 2019 et sur ce que devrait être le Sénégal de 2024. L’ouvrage comporte trois parties.
Une première partie examine les défis chroniques auxquels fait face la société sénégalaise. Ces défis sont à la fois la cause et la résultante de vulnérabilités multiples et imbriquées de plusieurs manières. Ces vulnérabilités sont d’abord symboliques et concernent notre être, notre rapport à nous-mêmes et à l’autre : les contributions sur les langues nationales, la culture et leur place dans les politiques publiques en attestent largement. Elles sont aussi économiques, politiques et sociales. Et c’est parmi ce que la nation renferme de plus cher que la somme de ces trois types de vulnérabilité se manifeste, à savoir, les enfants, avec la lancinante question des talibés ; les femmes, prises entre le marteau du patriarcat et l’enclume de la faillite de l’État à les protéger et garantir leurs droits socio-économiques, civils et politiques ; et enfin les familles, qui payent le lourd tribut de la crise multiforme que vivent nos sociétés.
La deuxième partie traite de la culture et de la société. Elle renferme des contributions de très haute facture sur les politiques culturelles, les jeunes, la santé et la protection sociale, les médias, l’éducation, et plus largement, la justice sociale.
Enfin, la troisième partie regroupe l’ensemble des contributions traitant de l’économique et du politique avec des analyses pointues sur l’état des institutions et les besoins en matière de réformes, les performances et politiques économiques en rapport avec la demande sociale. La question du franc CFA est abordée, avec à la clé le débat sur la souveraineté monétaire ou encore la souveraineté tout court après 60 ans d’indépendance. Le Sénégal étant situé dans une région fortement affectée par des défis sécuritaires, les interpellations sont multiples. Quel est le véritable niveau de préparation face au danger terroriste qui menace le pays ? Quelle stratégie d’alliance régionale et internationale pour faire face aux dangers croissants ? Quelles réponses aux menaces intérieures qui semblent de plus en plus agitées ?
Au vu de tous ces challenges, politiques et économiques, comment faire de nos cultures et de nos fondements sociétaux de véritables ressorts d’élévation de la jeunesse ? Comment transformer le dividende démographique, les nouvelles technologies de l’information et les ressources naturelles nouvellement découvertes, en leviers pour élaborer ensemble un nouveau contrat social sénégalais ?
Les pages de cet ouvrage collectif sont moins une injonction qu’un possible. À la suite du projet #Enjeux2019 pointe celui de #Consensus2019-2024. Il doit s’appuyer sur les acquis de notre vivre ensemble, de notre génie politique, de nos atouts économiques et de l’impérieuse nécessité de bâtir une société plus juste et plus équitable, surtout à l’endroit des plus jeunes, des femmes, des personnes vivant avec un handicap.
N’ayons pas peur du vertige qui parfois accompagne les pas en avant. Soumettons-nous au vertigo, à ce que les anglophones appellent « Falling Forward », tomber en avant pour progresser. Cela revient à s’appuyer sur les leçons du passé pour en sortir et construire aujourd’hui et demain.
Demain est un autre jour qui n’a pas encore été entamé. Il est inédit. Les pages de son histoire sont encore vierges. À nous de les écrire avec nos mots, notre regard, notre vision, nos espoirs, nos doutes, nos nuances, nos ambitions, notre détermination et tout notre engagement.
«NOUS NE RECEVONS PAS D’ARGENT, MAIS DES DONS D’ARBRES»
EnQuête dans cet entretien, donne la parole au photographe Mandione Laye Kébé, initiateur du challenge «Un citoyen, un arbre» plateforme qui connaît un succès populaire et qui vise 10.000 arbres d'ici la fin de l'année grâce à l’ONG Save Dakar
A l’image de plusieurs ONG, Save Dakar s’est lancée dans un projet de reverdissement de la capitale sénégalaise. Un pan du thème de 2021 de la Journée mondiale de l’environnement. Le challenge ‘’Un citoyen, un arbre’’ connaît actuellement un succès populaire au-delà même des attentes des initiateurs. ‘’EnQuête’’, dans cet entretien, donne la parole au photographe Mandione Laye Kébé, initiateur de la plateforme.
Save Dakar est une plateforme assez connue au Sénégal de par ses initiatives en faveur de la protection de l’environnement et du développement durable. Comment est-elle née ?
Save Dakar a vu le jour en 2017. L'initiative est née grâce à mon smartphone. Je me promenais en centre-ville un jour et j’ai été choqué de voir toutes les ordures jetées au niveau de la place de l’Indépendance. J’ai donc pris des photos que j’ai postées pour alerter les autorités, avec pour légende : ‘’Monsieur le Président, regardez le décor qui se trouve à quelques pas de votre palais.’’ L’image a eu un effet retentissant auquel je ne m’attendais pas. Ensuite, j’ai créé la page. L’objectif principal de Save Dakar est d’éveiller les consciences, pour que chacun prenne ses responsabilités. Nous avons eu à participer à la Grande muraille verte, mener des campagnes de reboisement sur la corniche-Ouest, la plage de Yoff, à Bargny.
Ainsi, on a voulu quitter le digital pour passer au concret et aujourd’hui, tous les Sénégalais se retrouvent dans Save Dakar. Save Dakar, c’est une philosophie de vie. Beaucoup nous demandent de l’élargir aux régions, mais je leur réponds que c’est à chacun de reproduire les bonnes actions. Ces jeunes de l’intérieur du pays doivent s’engager dans leur localité. D’ailleurs, cela a démarré à Saint-Louis et à Podor, et on prévoit une caravane citoyenne.
Aujourd’hui, la plateforme est très connue en tant que défenseur de l’environnement. L’équipe est composée d’une dizaine de personnes au Sénégal et à l’extérieur du pays. Actuellement, il y a tellement de jeunes qui participent à ce projet. Que ce soit des développeurs, des ingénieurs en télécommunications, des infographes, des géomètres. Aujourd’hui, tous ces jeunes-là s’identifient à Save Dakar et s’y donnent corps et âme pour propulser l’initiative. Et je peux vous rassurer que ces jeunes sont des bénévoles à 100 %. Je pense qu’aujourd’hui, Save Dakar, c’est l’affaire de tous. Nous recevons chaque jours des mails de jeunes Sénégalais qui, enthousiastes, veulent participer à notre travail.
Le secret de l’impact que nous avons aujourd’hui, pour moi, n’est autre que le fait que Save Dakar soit une initiative purement citoyenne qui appartient aux Sénégalais. Tous les gens qui portent le projet Save Dakar sont des travailleurs. Chacun a son métier, contrairement à ce que certains peuvent penser. Je suis artiste photographe, je travaille dans le domaine des arts visuels. C’est important que les Sénégalais sachent que c’est nous qui faisons vivre Save Dakar, mais nous ne vivons pas de Save Dakar.
Récemment, vous avez lancé le challenge ‘’Un citoyen, un arbre’’ qui connaît un engouement certain, surtout dans les rangs des jeunes. Qu’est-ce qui vous a inspiré ?
Cette initiative est née d’une expérience qu’on a vécue. Nous avons eu à faire pas mal de campagnes de reboisement à Dakar. Malheureusement, cela n’a pas abouti au résultat escompté. On se casse la tête pour organiser des journées de reboisement, mais le lendemain on se rend compte que les lieux reboisés redeviennent des dépotoirs. Un mois après le reboisement, la majeure partie des arbres sont retrouvés morts, parce qu’il n’y a pas de suivi. De plus, nous sommes tous d’avis que Dakar suffoque ; Dakar manque cruellement d’arbres ; il suffit d’être dans les airs pour s’en rendre compte. Et de manière générale, c’est tout le Sénégal qui manque d’arbres : du Nord à l’Est, c’est quasiment le désert, à part le Sud où on a un peu de verdure. Alors on s’est dit qu’on va faire de sorte que chaque Sénégalais ait un arbre devant chez lui. Les arbres ne coûtent pas cher.
Le mouton de Tabaski coûte bien plus cher, mais à chaque fête, chaque famille s’arrange pour en avoir au moins un. Un arbre d’ombrage coûte 500 F et un arbre fruitier 1 000 F CFA. Si chaque famille se porte volontaire pour acheter un arbre et faire le suivi, je suis convaincu que d’ici 2050, notre pays sera verdoyant, sans qu’on attende les politiques. Ce qui est important, c’est d’inculquer des valeurs citoyennes aux Sénégalais, parce que c’est au niveau de la participation citoyenne qu’on sent l’engouement et l’engagement des populations. C’est là qu’apparait la volonté de participer au développement de son pays, de poser une action utile non seulement pour nous, pour le Sénégal, pour les générations futures mais aussi pour la planète.
Les Sénégalais sont tellement généreux. Vu l’impact et l’importance de l’initiative ‘’Un citoyen, un arbre’’, il y a aujourd’hui beaucoup d’entreprises qui, dans le cadre de leur RS, nous font des dons d’arbres. Quand on lançait le challenge, on n’avait pas d’arbres à offrir, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui et grâce à cela, on aura notre propre pépinière qui sera propre à Save Dakar. D’après nos statistiques, on peut avoir, d’ici la fin de l’année, au minimum 10 000 arbres pour Save Dakar. Tout cela est rendu possible par des citoyens lambda qui nous appellent de partout (France, USA Canada, Maroc...) pour offrir spontanément des centaines d’arbres.
J’aimerais souligner que nous ne recevons pas d’argent, mais des dons d’arbres. Les entreprises donatrices on les met en contact avec et traitent directement avec le Service des eaux et forêts et nous ne faisons que récupérer les arbres. Ce n’est pas de l’argent qu’elles nous donnent. C’est très important de le souligner. L’objectif est de reverdir le pays et que les citoyens puissent participer de façon bénévole.
Actuellement, nous sommes à des centaines d’arbres plantés et d’ici la fin de l’année, on en aura des milliers dans chaque zone. Nous travaillons par zone et chaque zone du Sénégal a un représentant qui se charge de la distribution. Nous avons commencé par l’axe Rufisque - Keur Massar - Mbao. Le plus important, ce n’est pas d’aller vite, mais tout doucement et de bien faire les choses de façon professionnelle, transparente et durable. On souhaite que le projet grandisse et nous grandissons avec. Ainsi, petit à petit, on fait des choses simples, mais durables. Nous visons le million d’arbres à Dakar, voire plus d’ici 2050 pour, au final, avoir 16 millions d’arbres pour 16 millions de Sénégalais. Alors l’idée, ce n’est pas de faire dans la précipitation, mais de faire des choses simples, efficaces et durables.
Ce qu’on oublie, c’est que Dakar portait le nom de ‘’Cap-Vert’’, cela parce qu’il y avait tellement d’arbres dans la capitale, mais en moins de 100 ans, Dakar est devenu ‘’Cap béton’’. On est en train de construire énormément d’immeubles, d’infrastructures au point qu’on a oublié de mettre les arbres. Toutefois, ce n’est pas trop tard pour rectifier le tir.
Donc, l’objectif est d’inculquer des valeurs citoyennes aux Sénégalais pour qu’ils puissent participer bénévolement en plantant un arbre. C’était cela l’idée de départ. Mais, à notre grande surprise, en moins de 24 heures, l’association JVE (Jeunes volontaires pour l’environnement) nous a contactés pour nous offrir des plants à remettre à la population, surtout à ceux-là qui n’ont pas les moyens d’en acheter. Par la suite, bon nombre de jeunes de la banlieue nous ont contactés dans le but de participer au challenge. Ils ont manifesté un grand intérêt, mais ne savaient pas comment s’y prendre. C’est à ce moment que je me suis rendu compte que les Sénégalais n’ont pas cette culture d’aller acheter un arbre et de le planter. Et donc nous nous sommes mis à inciter les Sénégalais qui ont les moyens à acheter un arbre et ceux qui n’en ont pas à nous contacter.
Pour vraiment avoir un suivi, nous avons élaboré un pacte de suivi afin que les associations, le Sénégalais lambda qui ont reçu des arbres le signent pour nous signifier qu’ils se chargeront du suivi. Aussi, on a voulu avoir le maximum d’informations sur chacune des personnes à qui on donnera un arbre. De ce fait, nous sommes en train de créer une plateforme comprenant le nom, le prénom, le lieu d’habitation, le département et la région de ces citoyens, afin qu’on puisse cartographier et géolocaliser l’arbre. La plateforme va non seulement permettre aux citoyens de faire le suivi à travers le digital en prenant en photo chaque trois ou six mois l’arbre. L’image sera postée sur la plateforme pour montrer l’évolution de l’arbre.
Peut-on donc conclure que la préservation de l’environnement et les questions de développement durable intéressent plus qu’hier ?
Aujourd’hui, il y a pas mal d’associations qui font des choses extraordinaires. Je peux citer JVE Quartier vert Sénégal, Dakar Oxy, Nebeday, un Twitto, un arbre... Ce sont des initiatives qui ont besoin d’être accompagnées, d’être soutenues par tous les Sénégalais. Aussi, pour que les Sénégalais puissent changer, il faut que la presse sénégalaise s’implique dans le développement durable. Aujourd’hui, il y a tellement d’organes au Sénégal, si chaque jour toutes les radios et télés faisaient des spots, même d’une minute sur ce challenge, cette initiative citoyenne, sur la sensibilisation des Sénégalais quant à l’importance de l’environnement, du suivi et de la citoyenneté, imaginez combien cela peut impacter, d’autant plus qu’aujourd’hui, le digital est de plus en plus utilisé par les Sénégalais.
Je pense aussi que l’engagement des influenceurs, des artistes, des khalifes généraux aurait un fort impact. On peut faire de cette initiative un sacerdoce, si je peux me permettre de le dire. On n’exclut pas les politiques qui peuvent faire des campagnes de sensibilisation à ce sujet. S’ils nous rejoignent pour apporter leur contribution, nous sommes preneurs, sinon, on continuera le travail.
Cette année, le thème de la Journée mondiale de l’environnement porte sur la restauration des écosystèmes. Comment l’adapter au contexte sénégalais ?
Le contexte sénégalais est à l’image du contexte mondial. La majeure partie des écosystèmes sont en voie de disparition. L’exemple papable, c’est la disparition au Sénégal de tous les arbres centenaires, particulièrement à Dakar. Pourtant, jusque dans les années 1980, ces arbres existaient. Ces espèces d’arbres font partie de notre écosystème. Mais ce n’est pas trop tard pour restaurer cela. Ce n’est pas trop tard pour que l’être humain puisse comprendre l’enjeu. A chaque problème, il y a une solution, mais des solutions durables, parce qu’on ne peut pas parler d’environnement sans parler de développement durable qui sous-tend un développement bénéfique aux générations actuelles et à celles à venir. Personnellement, je ne suis pas très en phase avec la façon dont est célébrée la Journée de l’environnement au Sénégal.
On organise beaucoup de conférences ; chacun apporte sa contribution et après, plus rien. Moi, je préfère qu’on apporte des solutions qui ne se limitent pas seulement à cette journée. Cela rejoint notre projet ‘’Un citoyen, un arbre’’ qui devra se poursuivre jusqu’en 2050. Les gens ne doivent pas se limiter aux festivités, aux conférences et autres, et même la presse doit aller au-delà de cette journée. A mon avis, la Journée de l’environnement, c’est tous les jours, chaque minute, chaque heure, chaque année, parce que notre planète est menacée, les écosystèmes sont en voie de disparition, sans compter la montée des eaux. Voilà des problèmes qui nous attendent. C’est une journée que je respecte mais qui, de mon point de vue, doit être l’occasion d’une prise de conscience collective. Si les uns construisent et que les autres détruisent, on n’aboutira pas à des actions concrètes. Il faut une collaboration à l’échelle mondiale et que chaque gouvernement s’engage à sauver notre planète.
Au Sénégal, il est important que les sociétés paient des taxes à travers la notion de pollueur-payeur assez développée en Occident. Le maire de Milan, par exemple, a pour ambition de planter trois millions d’arbres. Et pour y arriver, il propose aux sociétés qui s’y engagent en faisant des dons d’arbres de diminuer leurs taxes. C’est un exemple de mesure incitative. Même si ces sociétés polluent, on ne peut pas les dissoudre parce qu’elles nourrissent des familles. De ce fait, on leur dit : Vous polluez, mais vous payez pour la réparation.
Un message à l’endroit des Sénégalais ?
Malheureusement, au Sénégal, il y a beaucoup de slogans, tellement de conférences et ce ne sont que des concepts. Mais sur le terrain, on ne voit pas concrètement de changement. Moi, je crois fermement au dicton qui dit : ‘‘L’homme qu’il faut à la place qu’il faut’’ et c’est cela notre problème au Sénégal. Beaucoup parmi ceux qui nous dirigent ne maîtrisent pas le sujet, ils ne maîtrisent pas le domaine qu’on leur a confié. Normalement, ils doivent connaître les espèces et les types d’arbres adaptés au sol de chaque terroir. Raison pour laquelle on demande au préalable aux citoyens qui veulent participer au challenge dans quelle zone ils habitent, parce qu’à Dakar, il y a des types d’arbres qui ne peuvent pas pousser. Car ici, ils ont besoin de beaucoup d’eau et d’entretien. Donc, quand on parle de reboisement à quelqu’un qui ne s’y connaît pas, il ne voit que l’arbre.
N’oublions que nous sommes en zone sahélienne ; ce qui rime avec manque d’eau, désert et fortes températures. Ce qui fait qu’il y a des espèces d’arbres qui risquent de mourir. Alors, je ne dirai pas manque de volonté politique, mais plutôt de connaissances. Un homme comme Ali Haidar s’y connaît très bien et serait à sa place au ministère de l’Environnement, surtout qu’il a consacré pratiquement toute sa vie à ce domaine. Malheureusement...
On ne retrouve pas les hommes qu’il faut à la place qu’il faut. Nicolas Hulot, en France, a démissionné du poste de ministre de l’Environnement, parce qu’à un moment donné, il ne se sentait plus capable de remplir sa mission. C’est ce qui nous manque, nous Africains. C’est désolant qu’on ait retiré du gouvernement Abdou Karim Fofana, ancien Ministre de l’Urbanisme, parce qu’il posait des actions concrètes et il était tout le temps sur le terrain. Un travail salué par tous. Beaucoup de Sénégalais n’avaient pas apprécié son départ. Ces genres de personnes doivent être maintenus à leur poste pour le bien du Sénégal, même si le régime passe. Je peux également citer Massaër Thiam, Directeur de l’UCG, qui est en train de faire un travail extraordinaire à travers le Sénégal.
En somme, que les décideurs posent des actes concrets qu’ils puissent laisser derrière eux et qu’ensemble, on arrive à avoir des citoyens écoresponsables.
DE L’APPORT DU LIVRE DANS LA DIFFUSION DE L’ŒUVRE D’ART
Le peintre Kalidou Kassé a souligné, mardi, l’apport du livre comme support de diffusion de l’art visuel, notamment la peinture, constituant ainsi ’’un prolongement à la vie de l’œuvre plastique en dehors des galeries habituelles’’.
Dakar, 10 août (APS) - Le peintre Kalidou Kassé a souligné, mardi, l’apport du livre comme support de diffusion de l’art visuel, notamment la peinture, constituant ainsi ’’un prolongement à la vie de l’œuvre plastique en dehors des galeries habituelles’’.
’’Le livre offre un autre prolongement à la vie de l’œuvre d’art, c’est comme la tapisserie. C’est un créneau peut-être qui n’est pas très exploité par les artistes peintres, mais, moi j’y évolue depuis une trentaine d’années’’, a-t-il expliqué dans un entretien accordé à l’APS.
Kassé a signé la couverture de nombreux ouvrages publiés en 2021 chez L’Harmattan Sénégal.
Il s’agit notamment du recueil de poèmes ‘’Le cri de l’ifanbondi’’ de Amadou Moustapha Dieng, l’ouvrage collectif ‘’A l’ombre des voix’’ inspiré de récits d’expériences vécues lors du confinement, à l’initiative de la section sénégalaise de la Communauté africaine de culture (CACSEN).
Il y a aussi le roman ‘’Nethio’’ de Seydi Sow, lauréat du ‘’Grand prix’’ du chef de l’Etat pour les Lettres (1998), le roman ‘’Femme d’esprit et d’espérance’’ de Mame Fawen Camara, entre autres, tous sortis durant cette année 2021.
Selon l’artiste, souvent sollicité par les écrivains pour la couverture de leur roman, la démarche est simple : ’’c’est un travail de collaboration’’.
’’Souvent, les écrivains me sollicitent en me demandant d’illustrer leur livre parce qu’il traite de tel sujet. Il se trouve parfois que j’ai déjà traité du thème surtout pour les problématiques socio-culturelles, je leur fais une proposition sur les tableaux se référant aux récits’’, dit Kalidou Kassé.
’’Le pinceau du sahel’’ ne se limite pas seulement à la demande de l’écrivain, il prend le temps de lire le manuscrit pour s’y inspirer aussi.
’’Il y en a qui vous disent, nous sommes en train de travailler sur tel sujet, on voudrait que vous réfléchissiez sur la couverture. Là, je réfléchis pour voir à quoi va correspondre cette couverture et on se met d’accord sur le choix’’, fait valoir le peintre.
Selon Kalidou Kassé, avec les nouveaux droits des artistes visuels, il est possible de diversifier les supports de diffusion de l’œuvre d’art et d’y gagner une plus-value.
Pendant longtemps, estime-t-il, il a cédé les droits de diffusion de ses tableaux de peinture à des institutions bancaires ou organismes internationaux ou communautaires pour la confection de cartes de vœux ou de calendriers annuels.
’’Depuis plus de 30 ans, avec le +collectif des artistes réunis+ que nous avions créé, on confectionnait déjà des cartes de vœux avec nos tableaux. Aujourd’hui, je continue dans ce créneau. Même pour des rapports d’activités annuels, ils me sollicitent pour l’illustration’’, dit-il.
Le peintre Kalidou Kassé a travaillé avec la Banque Mondiale, la présidence de la République du Sénégal, le Fonds monétaire international (FMI), l’Union économique monétaire ouest africain (UEMOA) du temps de la présidence de Adjibou Soumaré (l’ancien ministre du budget du Sénégal).
Actuellement, il collabore avec la Banque de l’habitat du Sénégal (BHS) pour trois ans sur trois voire quatre tableaux, des institutions s’activant dans la sécurité et les droits humains en Afrique de l’Ouest et au Sahel, etc.
’’Parfois, ils achètent la carte à l’unité, car j’ai une équipe dédiée à cela et l’on confectionne les cartes ici dans mon atelier, d’autres préfèrent racheter les droits de diffusion et on signe des conventions’’, explique-t-il.
Le peintre Abdoulaye Diallo ‘’Le berger de l’île de Ngor’’ est aussi dans ce créneau, car il a illustré la couverture du premier roman de l’écrivaine Aida Diop ‘’Expériences de vie, vers une aube nouvelle’’.
Il a aussi illustré par ses toiles les cinq livres publiés par ’’L’Harmattan Sénégal’’ sur la thématique ’’Quelle humanité pour demain’’ coordonnés par les professeurs Maguèye Kassé, Ibrahima Silla et lui-même.