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2 avril 2025
Culture
Les belles feuilles de notre littérature par Amadou Elimane Kane
KEN BUGUL OU LA CONSCIENCE DE LA RENAISSANCE
EXCLUSIF SENEPLUS - Par sa puissance littéraire, l'auteure de La Folie et la Mort nous oblige à raisonner sur nous-mêmes pour construire le chemin de la Renaissance. C’est un roman captivant par sa forme et par son propos
Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
La Folie et la Mort de Ken Bugul est un roman déchirant qui accuse la force du pouvoir et les dérives sanglantes d’un continent en proie au déséquilibre. Le style de Ken Bugul possède un souffle narratif qui mêle réalisme, fantastique, allégorie tout en explorant l’univers secret des croyances africaines et la réalité brutale d’un monde qui a perdu ses valeurs. L’écriture elle-même oscille entre le récit romanesque, la prose poétique et l’épopée onirique. C’est un roman captivant par sa forme et par son propos. L’auteure tisse une histoire contemporaine sans rien oublier des injustices cruelles que traverse l’Afrique.
Dans un pays imaginaire, à quelques détails près, les habitants obéissent au grand Timonier qui a décidé de faire disparaître tous les fous « qui raisonnent et ceux qui ne raisonnent pas ».
On suit ainsi le destin de plusieurs personnages dont les histoires sont tragiques et empreintes de folie. L’espoir de vie est si réduit que malgré le courage, l’honnêteté et la lucidité qui les animent, ils sont voués à errer dans la nuit terrifiante des horreurs qu’ils ont traversées.
Mom Dioum, jeune femme qui a bravé la capitale pour étudier, revient au village désemparée. Un terrible secret semble l’habiter et elle décide de « se tuer pour renaître ». Pour cela, elle choisit de se faire tatouer les lèvres pour échapper à ses démons. Elle disparaît et sa décision va la conduire dans une longue errance initiatique et douloureuse. Inquiète, Fatou Ngouye, son amie d’enfance, part à sa recherche, accompagnée de Yoro le cousin de Mom Dioum. Arrivés à la capitale, les deux jeunes gens sont arrêtés par la police puis séparés. Et leur calvaire ne fait que commencer. Fatou Ngouye, déshonorée, connaît un sort tragique. Brûlée sur la place du marché, elle devient une figure de martyre. Yoro lui cède à la déchéance et s’allie, corps et âme, au pouvoir machiavélique pour survivre mais il n’y parviendra pas.
Mom Dioum, quant à elle ayant échoué son rite initiatique, est défigurée et se retrouve à l’hôpital psychiatrique. Elle y fait la connaissance de Yaw que des images de sang et de meurtres ont rendu irresponsable. C’est le seul espoir que propose le récit de Ken Bugul, la rencontre de deux êtres qui ont souffert et qui veulent retrouver la force et la voie de l’amour. Mais la folie ne peut survivre au désespoir et la mort vaut mieux que l’aliénation totale. C’est le message que semble délivrer Ken Bugul.
A travers ces récits irréels, et pourtant réalistes, haletants de blessures profondes, Ken Bugul nous entraine dans son univers littéraire singulier, fabuleux, chimérique et terriblement juste. La lecture de ce roman ne nous laisse pas indifférent car l’auteur sait aussi dénoncer ce qui peut mener le continent africain à la folie et à la mort : les humiliations de la dépendance, la misère, les guerres fratricides, les chefs d’Etat criminels avides de pouvoir, l’exploitation des peuples, la déshumanisation de l’esprit africain, la perte des valeurs et la course vers l’espoir sans cesse brisée.
Cette vision terriblement pessimiste est une sorte de métaphore poussée à l’extrême qui bouscule nos certitudes et nous force à réfléchir sur les enjeux de l’avenir du continent africain. Ken Bugul, par sa puissance littéraire, nous oblige à raisonner sur nous-mêmes pour construire le chemin de la Renaissance.
Amadou Elimane Kane est écrivain, poète.
La Folie et la Mort, Ken Bugul, Présence Africaine, Paris, 2000.
MOUSSA TOURE INVITE A REPONDRE AUX DEFIS DU FINANCEMENT ET DE LA DIFFUSION
Dans une interview exclusive, Moussa Touré, cinéaste sénégalais de renom, revient sur les défis actuels du secteur et propose des pistes pour redonner au cinéma sénégalais sa gloire passée.
Le cinéma sénégalais, autrefois considéré comme l’un des fleurons du 7e art en Afrique, traverse aujourd’hui une période difficile. Dans une interview exclusive, Moussa Touré, cinéaste sénégalais de renom, revient sur les défis actuels du secteur et propose des pistes pour redonner au cinéma sénégalais sa gloire passée.
Le cinéma sénégalais a connu son âge d’or dans les années 1960 et 1970, porté par des figures emblématiques comme Ousmane Sembène, considéré comme le père du cinéma africain. Sembène, avec des œuvres comme La Noire de… (1966) et Xala (1975), a su capturer les réalités sociales et politiques du Sénégal post-colonial, tout en offrant une critique acerbe des systèmes de pouvoir. D’autres réalisateurs comme Djibril Diop Mambéty, avec son film Touki Bouki (1973), ont également marqué l’histoire du cinéma africain par leur audace narrative et esthétique.
Ces films, souvent produits avec des moyens modestes, ont néanmoins réussi à s’imposer sur la scène internationale, remportant des prix dans des festivals prestigieux et ouvrant la voie à une nouvelle génération de cinéastes africains. Cependant, depuis ces années glorieuses, le cinéma sénégalais semble avoir perdu de son éclat, confronté à des défis structurels et financiers.
Selon Moussa Touré, les problèmes actuels du cinéma sénégalais résident en particulier dans le financement. « Nous avons peu d’argent, et les coproductions avec le cinéma français, par exemple, ne profitent pas toujours aux cinéastes sénégalais », explique-t-il. Il déplore que les cinéastes sénégalais ne bénéficient pas des recettes générées par leurs films, malgré leur participation financière. « Nous gagnons de faire un film, mais nous ne gagnons pas de recettes », souligne-t-il.
La diffusion des films sénégalais est un autre problème majeur. Moussa Touré constate que les salles de cinéma traditionnelles sont quasi inexistantes, et que les films africains peinent à trouver un public. « Les gens ne vont pas voir des films africains », regrette-t-il. Il souligne l’importance de créer des salles de cinéma dédiées aux productions locales, afin que les films sénégalais puissent être accessibles au grand public.
REDYNAMISER LE CINEMA SENEGALAIS : LES PROPOSITIONS DE MOUSSA TOURE
Pour Moussa Touré, la solution passe par une réforme en profondeur du secteur. Il propose l’organisation d’assises nationales du cinéma, réunissant à la fois les anciennes et les jeunes générations de cinéastes. « Le cinéma n’est pas juste pour les vieux ou pour les jeunes, c’est pour tout le monde », insiste-til. Selon lui, il est essentiel de créer un dialogue intergénérationnel pour redonner au cinéma sénégalais sa vitalité.
Touré plaide également pour une plus grande implication des cinéastes dans les instances décisionnelles, comme le Fonds de Promotion de l’Industrie Cinématographique et Audiovisuelle (FOPICA). « Le FOPICA n’a jamais voulu impliquer les cinéastes », déplore-t-il. Il estime que les cinéastes, en tant que professionnels du secteur, devraient être au cœur des décisions concernant la production et la distribution des films.
Enfin, Moussa Touré suggère la création d’un centre cinématographique qui permettrait aux cinéastes d’avoir accès à des ressources techniques et financières pour réaliser leurs projets. « Un centre cinématographique permettrait d’avoir un minimum d’argent pour faire un film », explique-t-il. Il insiste sur le fait que ce centre doit être géré par des cinéastes, et non par des administrateurs qui ne comprennent pas les réalités du métier. Moussa Touré reste optimiste quant à l’avenir du cinéma sénégalais, mais il estime que des changements structurels sont nécessaires pour retrouver le succès des années passées. « Il faut se mettre ensemble, tous se mettre ensemble », conclut-il. Pour lui, le cinéma sénégalais a encore beaucoup à offrir, à condition que les acteurs du secteur travaillent main dans la main pour surmonter les défis actuels.
BERNARD CISSA S’EN EST ALLÉ
Le monde du gospel sénégalais pleure l’un de ses plus grands ambassadeurs. Bernard Cissa, chantre et évangéliste, est décédé ce jeudi 13 mars 2025 à l’hôpital Mamadou Diop de Liberté 6, à Dakar
Le monde du gospel sénégalais pleure l’un de ses plus grands ambassadeurs. Bernard Cissa, chantre et évangéliste, est décédé ce jeudi 13 mars 2025 à l’hôpital Mamadou Diop de Liberté 6, à Dakar.
Le gospel sénégalais est en deuil suite au décès de Bernard Cissa. Chantre et évangéliste, il s’est éteint ce jeudi 13 mars 2025 à l’hôpital Mamadou Diop de Liberté 6, à Dakar, des suites d’une longue maladie.
Né en 1980 à Dakar dans une famille animiste, Bernard Cissa découvre la foi chrétienne en 1995. Après une première carrière dans la musique profane africaine, il répond à un appel spirituel et consacre son talent au service de Dieu.
Connu pour ses chants mêlant rythmes sénégalais comme le mbalax à des sonorités gospel, il a marqué les esprits avec des titres comme Hosanna ou Sama Leer. Son concept de «Sénégospel» a contribué à faire rayonner le gospel sénégalais à l’international. Sa disparition suscite une grande émotion au sein de la communauté chrétienne sénégalaise.
Sur les réseaux sociaux, les hommages se multiplient. Sur la page «Musique gospel Sénégal», on peut lire : «Nous venons de perdre l’une des icônes du gospel au Sénégal, une personne qui aime Dieu et qui a participé à l’avancement du Royaume de Dieu au Sénégal. Rip le grand Cissa. Merci pour tout ce que tu as fait pour la musique gospel au Sénégal et le corps du Christ. Tu nous as soutenus lors du Galsen Gospel Urbain 2 par des actions et des conseils. Nos sincères condoléances à toute la famille, aux enfants, au corps du Christ. La mort en Christ est un gain pour nous qui sommes nés de nouveau en Christ.»
Apollinaire Amadou Diatta, quant à lui, se souvient d’un homme engagé et visionnaire. «Notre frère Bernard Cissa, chantre et évangéliste, vient de rejoindre son Seigneur après lui avoir consacré toute sa vie au travers de sa musique. Un pionnier et ambassadeur du gospel sénégalais s’en est allé. Je retiens de lui un homme courtois, travailleur et visionnaire», a-t-il écrit, rappelant que sa dernière rencontre avec le défunt remonte à environ 3 mois. «Il me partageait de nouveaux projets qu’il avait pour l’Eglise et le Sénégal. En ces temps de tristesse, nous acceptons la Volonté de Dieu et prions pour que le Seigneur console sa famille, ses collaborateurs, l’Eglise et toute la Nation sénégalaise», a-t-il témoigné
par Ndèye Aram Dimé
DES TERRITOIRES MATÉRIELS AUX TERRITOIRES EN SOI, RACONTER LA MIGRATION AFRICAINE ET SES ERRANCES
ECLUSIF SENEPLUS - Soleils invincibles est un livre sur des femmes et des hommes qui se redressent pour tendre vers leur propre humanité. Un premier roman réussi sur la conscience dont nous ne savons pas nous départir
La quatrième de couverture donne le ton et nous comprenons que Soleils Invincibles (C. A. Bamba Ndiaye, Présence Africaine) traite de l’émigration/immigration/remigration. Le lecteur peut être tenté de le déposer mais aucune accusation, précipitée ou a priori légitime, ne saurait résister à un livre qui se défend seul et bien. Limiter ce premier roman à l’éternelle question migratoire reviendrait à en réduire la riche densité symbolique.
Les espaces
(1) Entre Toumouranka et un Guétoula fantasmé, un déplacement à travers les limbes
De Toumouranka à Guétoula puis, dans le sens inverse, de Guétoula à Toumouranka à la nouvelle tentative de rejoindre Guétoula, le mouvement est perpétuel. L’auteur réussit à transcrire, dans ce déplacement et même dans la rancœur de Denis-Béni, le passage du voyage initial et privilégié de Dramane à sa migration contrainte. Nous convoquerons ici la distinction qu’en fait le sociologue Iain Chambers pour qui « voyager implique un mouvement entre des positions fixes, un lieu de départ, un lieu d’arrivée, la connaissance d’un itinéraire préétabli {…}. La migration, à l’inverse, implique un mouvement au cours duquel ni les points de départ ni ceux de chute sont immuables ou certains »[1].
La traversée est spatialement contenue dans un entre-deux, sorte de limbes où Dramane et ses compagnons d’infortune sont déjà partis, ne s’ancrent donc plus à aucun lieu mais ne sont pas encore pour autant des « migrants » parfaitement constitués.
Ce voyage dans un même continent comparable au territoire en soi, donne au texte des contours allégoriques d’errances intérieures. Les Candidats ont bien une destination, qu’ils savent vaguement comment/quand rejoindre, mais tournent presque tout le long du livre au sein d’un même espace. Le paradis au bout de ces limbes n’est qu’une vague projection. Il est même certain que ces limbes séparent deux enfers ; celui que les candidats cherchent à fuir et celui qui les attend.
(2) Entre les personnages
Les départs sont évidemment une fuite physique de la misère, de l’humiliation de ne pas posséder et donc du « ne pas être ». Mais ils sont également une tentative des Candidats à renouer avec quelque chose en eux – leur dignité ou un devenir-Humain. A ce titre, la question que Ngougui - Et si j’étais un homme ? - formulée à lui-même dans la lettre morte IV, pourrait résumer ce qui me semble l’esprit du livre.
Cette tentative désespérée se retrouve dans les destins qui s’effleurent par moments, se nouent à d’autres sans véritablement se départir de leur singularité ni de la part d’histoire personnelle qui les a jetés sur ce chemin. Aussi l’auteur aère-t-il bien entre eux, car si l’aventure est partagée elle se fait néanmoins seul.e. Dans ces limbes, les personnalités ne sont pas encore totalement fondues dans la terminologie bâtarde de « migrants ». Elles ont encore un prénom, une voix, une existence qui leur font « candidater » à l’humanité.
Le lecteur est, lui également, invité au mouvement dans le texte, facilité par le parti pris du mode indicatif. Il parvient à suivre pas à pas les narrateurs et aura même le luxe, à certains moments, de découvrir en même temps qu’eux leurs propres pensées.
Une galerie de miroirs
La singularité des personnages s’allie à un étrange jeu de miroirs. Un grand miroir brisé dont chaque personnage ramasse un fragment qu’il tend ensuite au lecteur. A côté d’eux, ce dernier peut y paraître parfois entier, balafré ou défiguré par la brisure.
Dans ce jeu, malgré la singularité évoquée, certaines réflexions apparaissent facilement interchangeables. De même, certains personnages - rares - émergent, traversent le récit, pour rapidement mourir dans la mémoire du lecteur qui ne se souviendra pas les avoir rencontrés (Joséphine Konda, Christophe Déchert qui semble s’inviter par simple souci du contradictoire, le rire vite dépassé de Lahsen qui ne laisse pas le temps de s’attacher). Ces bris sont alors trop minuscules pour que le lecteur s’y voie.
Suspensions
Bamba Ndiaye choisit chaque mot, le soupèse, n'hésite pas à suspendre la respiration du lecteur au milieu de phrases, le force au virage. Tout cela fait du texte une arène où chaque phrase lancée est un coup de poing.
Au reste, malgré la violence de certaines situations, le texte offre quelques scènes d’apaisement sublimes de poésie verbalisée ou muette à l’instar du dialogue avec Thérèse où toute la délicatesse du mur qui tombe tient au glissement du terme « mère » à celui plus tendre de « maman » (P.78-79). En inégale consolation d’un Lahsen qui fausse vite compagnie, le lecteur pourra se rabattre sur un Hamid aveugle dont le cœur voit mieux que ceux de tous les autres et sur la lucidité innocente du petit Kwame.
Enfin, le livre nous abandonne avec deux questions, entre autres secrets : où Dramane se sent-il le plus entièrement humain ? Que fuit-il au juste ? Tout bien considéré, le lecteur peut avoir le sentiment de ne pas l’avoir vu souffrir assez pour considérer son retour à Toumouranka, au-delà du seul retour, comme un échec. Dramane a connu les avanies de Guétoula, où sa qualité d’étant lui est niée. Pourtant, il tient à tout prix à retourner à Cissane, alors même que rien ni personne ne l’y attend. Pas même les mirages de ses compagnons. Est-ce parce que, impuissance pour impuissance, humiliation pour humiliation, tant que la croix et la honte que nous trainons sont « insues » des autres, l’illusion d’être un humain est sauve ?
Soleils invincibles est un livre sur des femmes et des hommes qui se redressent pour tendre vers leur propre humanité. Le style est clair, le verbe cadencé, la langue haute sans fioriture. Chaque personnage déroule son récit personnel qui, sans écraser ou désagréger, éclaire l’histoire commune plus grande. C’est un premier roman réussi sur la conscience - la bonne et la mauvaise - dont nous ne savons pas nous départir et qui, partout, nous poursuit car après tout, c’est le seul lieu que nous habitons avec certitude.
Dans "Soleils invincibles", Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye dévoile le parcours de Dramane, étudiant expulsé du pays de ses rêves. De retour à Toumouranka, le jeune affronte un passé lourd de non-dits où chaque révélation devient un pas vers sa propre vérité
(SenePlus) - Le roman "Soleils invincibles" de Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye, publié aux éditions Présence Africaine, plonge le lecteur dans l'histoire touchante de Dramane, un étudiant ambitieux dont la vie bascule lorsqu'il est chassé de Cissane, le pays de ses rêves.
À travers ce récit émouvant, l'auteur entraîne dans une quête identitaire profonde. De retour à Toumouranka, Dramane doit affronter son passé et les silences qui pèsent sur sa famille : une mère qui l'attend patiemment, un père mystérieusement silencieux et des sœurs absentes, cachant un lourd secret familial.
Le roman explore avec finesse les thèmes de l'exil, de l'espoir et de la liberté. Dramane rejoint les "Candidats", ces âmes en quête d'un avenir meilleur, certains fuyant leur terre natale, d'autres rêvant d'y retourner, tous unis par ce même désir brûlant de liberté.
Comme le souligne Boubacar Boris Diop, lauréat du Prix international de littérature Neustadt 2022, ce roman est écrit "avec retenue et une parfaite maîtrise", exprimant "les blessures et les espérances de l'exil".
Né à Diourbel au Sénégal, Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye a étudié au Burkina Faso, en France et aux États-Unis. Écrivain multilingue (wolof, français, anglais), il partage sa vision unique de l'Afrique à travers son blog "Assumer l'Afrique" et plusieurs recueils de poésie.
"Soleils invincibles" est une œuvre qui captive le lecteur et l'invite à réfléchir au-delà de la dernière ligne, mêlant avec talent une plume incisive et pleine d'humour pour offrir une aventure humaine palpitante où chaque page résonne d'émotions et de vérités universelles.
UNE CELEBRATION DE L’HISTOIRE ET DE LA CULTURE AFRICAINE
Produite par Fatoumatou Bathily, « Khady et Djudju » est une série d’animation qui plonge les enfants dans un voyage à travers le temps, à la rencontre de rois, reines et figures historiques qui ont façonné l’Afrique.
Le vendredi 7 mars 2025, la salle du Cinéma Pathé a vibré au rythme de la culture africaine avec le lancement officiel de la série d’animation « Khady et Djudju », une production sénégalaise qui a déjà marqué les esprits en remportant le Grand Prix du Jury dans la section animation au Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou (FESPACO). Cet événement, riche en émotions et en symboles, a réuni plusieurs personnalités du monde du cinéma, de l’éducation et de la culture, ainsi qu’un public enthousiaste, venus découvrir cette œuvre qui met en lumière l’histoire et les traditions africaines.
Produite par Fatoumatou Bathily, « Khady et Djudju » est une série d’animation qui plonge les enfants dans un voyage à travers le temps, à la rencontre de rois, reines et figures historiques qui ont façonné l’Afrique. Composée de 13 épisodes de 15 minutes, la série aborde des thèmes tels que l’Empire du Ghana, le Royaume du Walo, ou encore les légendes de Sundiata Keita et du Damel du Cayor. L’objectif est clair : permettre aux enfants de découvrir et de s’approprier leur histoire, tout en leur transmettant une fierté culturelle. Lors de la cérémonie de lancement, Fatoumatou Bathily a expliqué que cette série répond à un besoin crucial. « Nos enfants ont longtemps été exposés à des productions étrangères, souvent éloignées de leur réalité. Avec « Khady et Djudju », nous voulons qu’ils apprennent leur histoire et comprennent qu’ils ont des racines profondes et glorieuses», a-t-elle expliqué. Elle a également souligné l’importance de l’animation comme outil pédagogique, capable de captiver les jeunes esprits tout en leur transmettant des connaissances essentielles.
UNE RECONNAISSANCE INTERNATIONALE AU FESPACO
La série a déjà reçu une reconnaissance internationale en remportant le Grand Prix du Jury au FESPACO, l’un des festivals de cinéma les plus prestigieux d’Afrique. Cette distinction a été saluée par tous les intervenants lors du lancement, notamment par M. Diémé, le réalisateur de la série, qui a rappelé l’importance de soutenir les productions locales. « L’animation est un médium puissant, mais coûteux. Pourtant, nous avons prouvé qu’avec des moyens locaux et une volonté forte, nous pouvons créer des œuvres de qualité qui rivalisent avec les productions internationales ».
UN SOUTIEN INSTITUTIONNEL FORT
L’événement a également été marqué par la présence de plusieurs personnalités politiques et culturelles. Monsieur Moustapha Mamba Guirassy, ministre de l’Éducation nationale, a salué l’initiative de Fatoumatou Bathily et de son équipe. « Ce que vous faites pour les enfants est extraordinaire. Vous leur donnez les clés pour comprendre leur passé et construire leur avenir. L’éducation ne se limite pas aux salles de classe, elle passe aussi par des projets comme celui-ci », a-t-il déclaré, en promettant le soutien de son ministère à de telles initiatives. Le Pr Abdoulaye Bathily, ministre, Conseiller spécial du président de la République a également honoré l’événement de sa présence. Il a souligné l’importance de renouer avec le passé pour construire un avenir solide. Selon lui, « pour être fort dans le présent et le futur, il faut avoir un ancrage solide dans le passé et cette série est un pont entre les générations, un moyen de transmettre notre héritage aux enfants ». Germain Coly, directeur de la cinématographie, a quant à lui, rappelé l’importance de soutenir les productions locales et de promouvoir l’animation africaine. « Nous devons encourager les talents locaux et leur donner les moyens de s’exprimer. « Khady et Djudju » est un exemple de ce que nous pouvons accomplir lorsque nous croyons en nos propres histoires », a-t-il souligné.
UNE PROJECTION QUI A RAVI LE PUBLIC
Après les discours, les invités ont eu le privilège de découvrir les deux premiers épisodes de la série, qui ont été chaleureusement applaudis. Les spectateurs ont salué la qualité de l’animation, la richesse des histoires et la manière dont la série parvient à captiver tout en éduquant. Le lancement de « Khady et Djudju » dans la salle du Cinéma Pathé a été un moment fort pour le cinéma sénégalais et africain. Cette série, qui allie éducation, culture et divertissement, est une preuve que l’Afrique a les moyens de raconter ses propres histoires, et de les raconter avec excellence. Avec le soutien des institutions et du public, « Khady et Djudju » pourrait bien devenir une référence pour les générations futures, tout en inspirant d’autres créateurs à suivre cette voie. La cérémonie a débuté avec une prestation de la chorale Arco Baleno, composée d’élèves de l’école fondée par Fatoumatou Bathily, il y a 15 ans. Cette école, qui accueille des enfants de la crèche au collège, est un symbole de son engagement envers l’éducation et la jeunesse. Les enfants ont chanté pour souhaiter la bienvenue aux invités, ajoutant une touche émouvante à cet événement déjà riche en symboles.
KURÉLUG BINDKATI SENEGAAL YI AM NA NJIIT LU BEES : ABDULAAY FÓODE NJOON
Abdulaay Fóode Njoon, ñu bari di ko woowe Fóode ngir cofeel, bindkat la, móolkat la. Moo nekk ci boppu këru móolukaay gees dippee Abis Editions.
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Ndey Koddu Faal |
Publication 11/03/2025
Gaawu, 8eelu màrs 2025, la kurélu bindkati Senegaal yi doon tabb njiit lu bees ci njiteefu Ibraayma Lóo, njiitu téereek dawal ak Amet Saalum Jakite, bindkat, mag ci kurélu bindkat yi bees sukkandikoo ci kàdduy bindkat bii di Meysa Mati Njaay. Tabb gaa nga amee woon ca màkkaanu bindkat yi, muy Kër Biraago Gu Bees ci teewaayu bindkat yu bari. Ginnaaw bi ñu waxtaanee ba laaj ku bëgg a jiite kurél gi, wuutu Aliyun Badara Béey mi génn àddina 1eelu desàmbar 2025, la Soxna Bengaa ak Abdulaay Fóode Njoon yëkkati seen i loxo. Ña ëpp ca ña fa teewon Fóode la ñu jox bopp, moo ko tax a nekk njiitu Kurél gi.
Abdulaay Fóode Njoon, ñu bari di ko woowe Fóode ngir cofeel, bindkat la, móolkat la. Moo nekk ci boppu këru móolukaay gees dippee Abis Editions. Ci wàllu mbind, Abdulaay Fóode Njoon bind na téere yu bari te am solo. Mënees na cee lim Faubourienne, Affluences, Pièces à conviction, Sentiers perdus, Cœur en location, Taxi woman, Des pas sur la mer, L’écho sur les dunes. Am na yoy ci téere yii yees di jàngale ci Jàngune bu Ndakaaru, naka noonu ca Farãs bindkat bii di Aamadu Elimaan Kan tamit day jàngale téere Fóode.
Sëñ Njoon nag, yemul ci bind ak móol rekk, moo sos xewu téere bu mag boobu di Dakaar FILID ngir jëmale téere kanam.
Nekkoon na tamit njiitu Afrilivres, kurél gi ëmb móolkati Afrig yi ci làkku tubaab, jot na jiite tamit kurélu bindkati Afrig, Asi ak Amerig Latin. Ba ci gaawu giñ ko falee ci boppu kurélu bindkati Senegaal yi, Fóode lañ toftaloon ci Aliyun Badara Béey, ñu ànd di def liggéey bu am solo ñeel téere. Kon, tay Fóode, day wéyal la mu tàmbali woon rekk ci kurél gi. Lii la wax ginnaaw bi mu biralee mbégteem, gërëm ñi ko tabb :
« Fas naa yéene xar sama tànku tubéy ci luy boole bindkat yépp ci jàmm, sasoo naa yaatal ak beesal kurél gi, ubbi bunti Kër Biraago rawatina ubbil ko bindkat yi féete ndaw. Maa ngi tàllal loxo ñépp ngir ñu jàpp ci liggéey bi ngir téere jëm kanam. Dinaa sol sama dàll tamit seeti mag ñi ngir taataan seen iy xalaat ak i digle ».
Lees mën a gëm la, ndax, ci li ko ñépp seedeel, Abdulaay Fóode Njoon ku xareñ la, ku yaatu te yaatu-dënn la, mën a boole mbindeef yi ci jàmm. Am na teggin, di maslaa boole ci fullaak faayda gu mat sëkk.
Séydi Sow ak Soxna Bengaa la ñu toftal ci Abdulaay Fóode Njoon.
Ngërëm ñeel na Meysa Mati Njaay mi jàpp ci lootabe ndaje mi ba lépp sedd guyy.
Ejo mi ngi ndokkeel Abdulaay Fóode Njoon, di ko ñaanal yen wi oyof ci moom.
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POUR QUE NOS LANGUES NE MEURENT JAMAIS
À contre-courant d'une édition dominée par le français, Ndeye Codou Fall Diop fait le choix des langues nationales. Son parcours, d'EJO Editions à la vice-présidence de Fonk Sunuy Làmmiñ, témoigne d'un engagement total
Dans un entretien accordé récemment à Amani TV, Ndeye Codou Fall Diop, directrice d'EJO Editions et vice-présidente de l'association Fonk Sunuy Làmmiñ, partage sa vision pour la promotion des langues nationales au Sénégal et détaille son parcours atypique qui l'a déterminé à devenir une figure incontournable de l'édition en langues locales.
Titulaire d'un baccalauréat littéraire et ayant débuté des études de philosophie à l'université, Mme Diop raconte comment son questionnement sur sa propre langue maternelle s'est développé au fil de son parcours. "J'ai découvert le potentiel de ma langue maternelle et j'ai découvert également que la langue est un vecteur de culture et également vecteur identitaire", explique-t-elle.
La maison d'édition qu'elle dirige, EJO Editions, fondée par l'écrivain Boubacar Boris Diop, est spécialisée exclusivement dans la publication d'ouvrages en langues nationales. Un choix qui ne va pas sans difficultés, notamment financières. "Nous travaillons sur fonds propres", précise-t-elle, tout en mentionnant quelques soutiens occasionnels comme celui du Fonds d'aide à l'édition de la Direction du livre.
Malgré ces contraintes, son engagement reste total : "On ne crée pas une maison d'édition pour attendre de l'aide. On crée une maison d'édition parce qu'on a envie de le faire", affirme-t-elle. Une philosophie qui reflète sa vision de l'édition comme un acte militant plus qu'une entreprise commerciale.
Pour Ndeye Codou Fall Diop, chaque livre publié en langue nationale représente une victoire et un héritage pour les générations futures : "Les paroles s'envolent et les écrits restent. Demain, quand on parlera de l'histoire culturelle et littéraire du Sénégal, on parlera également d'EJO et de LuDef Wou."
Le message central de cette prof de Wolo au Cesti est clair : un pays ne peut se développer en marginalisant la majorité de sa population. "Dans un pays où ceux qui comprennent et parlent les langues étrangères représentent peut-être 20 % de la population, je crois que tout ce que nous devons faire doit tourner autour des langues nationales", insiste-t-elle.
Cette conviction l'a également amenée à cofonder l'association Fonk Sunuy Làmmiñ, qui propose des cours gratuits d'alphabétisation en wolof, pulaar et serer. "Les cours sont gratuits, en présentiel et en ligne, et les gens peuvent s'inscrire et participer", précise-t-elle, soulignant l'engagement bénévole des membres de l'association.
Au-delà de l'alphabétisation, l'association organise également des événements culturels comme "Taataan" pour présenter des ouvrages en langues nationales et rendre hommage aux pionniers du domaine.
Interrogée sur la place des femmes dans le monde littéraire, Ndeye Codou Fall Diop est catégorique : "les femmes doivent s'exprimer parce que, comme on dit, elles sont mieux placées pour parler de leurs propres problèmes." Elle explique que les préoccupations et les perspectives féminines apportent une dimension essentielle à la littérature.
Pour encourager davantage les femmes à prendre la plume, elle recommande de "soutenir des événements comme 'Miss littérature' organisé par Salamata Ousman Diallo ou 'Le salon du livre féminin d'Amina Seck". Par ailleurs, elle suggère que l'on puisse mettre en place des ateliers d'écriture et aider les femmes à publier leurs ouvrages.
Les belles feuilles de notre littérature par Amadou Elimane Kane
AMINATA SOW FALL, LA VOLONTÉ ET L’ESPOIR
EXCLUSIF SENEPLUS - Elle est une médiatrice qui, par sa belle plume, fait passer une autre image de l’Afrique, celle des traditions, de l’intelligence, de la dignité, de la beauté, de l’énergie à combattre les injustices
Amadou Elimane Kane de SenePlus |
Publication 09/03/2025
Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
La problématique du roman d'Aminata Sow Fall pourrait a priori s’expliquer simplement. Pourtant il n’en est rien. Les paradigmes qui structurent le récit sont complexes et jamais unilatéraux.
Asta, une femme sénégalaise, la quarantaine diplômée et autonome, est victime d’une injustice alors qu’elle se rend en Europe pour une conférence sur l’Ordre Economique Mondial. A travers le récit d’Asta, arrêtée par la police des frontières et transférée au « dépôt » pour être reconduite chez elle, on assiste aux interrogations du peuple africain sur les sujets majeurs qui agitent le continent noir : la mésestime de soi, l’immigration comme seule chance de survie, chargée d’illusions d’un Eldorado impossible, la corruption des dirigeants africains et l’immobilisme qui en résulte, l’incompréhension et le mépris des autorités des pays occidentaux, la dépendance des Etats africains liée aux aides internationales, au pouvoir dévastateur du Fond Monétaire International, l’inégalité monétaire, politique, économique, sociale, la dureté des conditions de l’immigration, le passé colonial qui hante les esprits et produit les pires injustices.
A travers ces questionnements, Aminata Sow Fall ne donne aucune leçon de morale mais elle propose la voie intellectuelle, celle de l’écriture, la voie humaine, l’élan de dignité nécessaire à la construction, une voix de la renaissance africaine.
La construction littéraire de l’auteure est particulièrement intéressante car les personnages prisonniers du « dépôt » sont les témoins du chaos migratoire et racontent « l’enfer » de la déshumanisation. Le récit est haletant, comme une tragédie antique, au plus près des réalités contemporaines et utilisant un langage poétique qui émerge quand renaît l’espoir.
A l’extérieur du cachot, Anne, une amie française de Asta, se bat pour démêler l’imbroglio teinté de racisme primaire et l’injustice faite à sa « camarade ». Militante et convaincue de l’innocence de Asta, elle se heurte à la rigidité administrative, aux mensonges des diplomates, aux fausses promesses. Pendant ce temps, le drame continue de se jouer dans l’enceinte du « dépôt ».
Anne aussi rêve d’un monde meilleur pour former une ronde humaine et solidaire. C’est ce désir très fort qui unit les deux femmes si différentes et si semblables à la fois. C’est dans cette tentative d’harmonie féminine, de combat et de partage que prend toute sa dimension le récit de l’auteure.
Car Aminata Sow Fall est une médiatrice qui, par sa belle plume, fait passer une autre image de l’Afrique, celle des traditions, de l’intelligence, de la dignité, de la beauté, de l’énergie à combattre les injustices.
Dans l’épilogue du récit où Asta retrouve enfin la liberté, la blessure est vive mais elle n’est pas brisée. Et comme cadeau, elle reçoit une terre africaine qu’elle va aménager et cultiver pour la postérité. C’est le retour à la terre des ancêtres, loin de la cruauté de la ville, loin de l’illusion destructrice des côtes européennes.
Les Douceurs du bercail sont les richesses qui émergent de la terre de l’Afrique si l’on se bat, si l’on y croit, si le rêve est intact et que l’on transforme le savoir en abondance et que l’expérience devient sagesse.
Le roman de Aminata Sow Fall est l’expression de la force, de la confiance sereine, de la beauté, de la vérité, de la lumière de l’Afrique, éléments essentiels de la Renaissance Africaine et de la conscience historique du peuple africain.
L’ouvrage de Souleymane Bachir Diagne tombe à point nommé. Il met à nu le monde. Le nôtre, de plus en plus malmené par des particularismes qui ne cessent de se développer entre les nations
«Pour universaliser, il importe que tous soient présents dans l’œuvre créatrice de l’humanité », ainsi s’exprimait Alioune Diop, le fondateur de Présence Africaine, lors du Deuxième Congrès des Ecrivains et Artistes noirs, qui s’est tenu en 1959 à Rome. Quatre ans après la Conférence de Bandung cette position recoupait celle de Césaire, affirmant avec force, que « la victoire sur l’universalisme impérial doit signifier l’avènement de l’universel ». S’inscrivant dans ce sillage, l’ouvrage du Professeur Souleymane Bachir Diagne déroule une réflexion structurée autour d’un appel à un dialogue fécond etrespectueux entre les cultures. Et de nous dire que ce qui permet le dialogue est la reconnaissance de l’autre comme condition de possibilité de mon existence. On le sait : « Je » ne se pose qu’en s’opposant à un « autre » que lui et vice-versa. Du moment que je ne suis que par autrui, il s’avère que c’est l’altérité qui pose l’effectivité de toute existence.
Ce que rend bien compte le concept d’« Ubuntu » qui nous vient d’Afrique du Sud postapartheid. Propulsé par l’archevêque Desmond Tutu et Nelson Mandela, ce mot d’origine bantou ambitionne selon l’ancien président d’Afrique du Sud, de « trouver un moyen de rendre la communauté meilleure ». « Ubuntu » se présente ainsi comme l’expression d’un changement de paradigme dans notre rapport au monde. Il ne s’agit plus, souligne Souleymane Bachir Diagne, de dire « Je pense donc je suis » car cela enferme dans une sorte d’isolat qui nous fait oublier que : « je suis parce que j’appartiens. Je participe, je partage ». Fort de tout cela il invite au contraire à nous inscrire dans une « poétique de la relation » si chère au poète martiniquais Edouard Glissant. Il est question de comprendre que « nous appartenons à un faisceau » et d’avoir conscience « qu’une personne est une personne grâce à d’autres personnes ».
Il ressort de l’ouvrage de Souleymane Bachir Diagne que l’universel, en l’occurrence, ce qui se déploie dans l'entièreté de l'univers, s'oppose à la fragmentation. Voilà deux concepts imbriqués dans une relation indivise et se déployant dans des modalités spatio-temporelles différentes. Là où l'une embrasse le "Tout monde", l'autre se recroqueville plutôt dans un « monde de tribus » qui se dessine comme celui de la division. Aussi Souleymane Bachir Diagne d’inviter à « penser le pluriel et le décentrement du monde », plutôt que de se lancer dans une configuration autre aux allures d’une « juxtaposition de centrismes ».
Cette quête nécessite de se défaire au préalable d’une vision unidimensionnelle qui impose sa matrice à tous les chainons qui la constituent. Une posture qui par conséquent, fait basculer aisément dans le monde de la domination, lequelrécuse toute autonomie, toute différence, sauf à s'aligner et par conséquent à se nier. La réflexion que nous propose Souleymane Bachir Diagne, tend précisément à dire que cet universel de surplomb a signé sa défaite avec la chute des murs de domination qui l’ont rendu possible. Désormais, elle s’ouvre à la différence à travers des apports de créativité qui s'expriment dans la particularité culturelle, dans les réponses que les groupes humains apportent à leurs rapports au monde. A « l’unité excluante », il faut donc substituer « la relation » afin que l’universel puise sa source dans le "premier universel qui est l'humanité ". Une manière de retrouver le fondateur de Présence Africaine Alioune Diop, qui précise avec force que : " pour universaliser, il importe que tous soient présents dans l'œuvre créatrice de l'humanité ». Il s’agit d’un universel décentré qui se nourrit de tous les apports, se dévoilant en humanité partagée parle biais d'identités bienveillantes qui prennent conscience qu'elles ne sont que par les autres. En somme, des identités bienveillantes, loin de tout " tribalisme identitaire", qui prennent conscience qu'elles n'existent que par la relation. Une manière pour elles de signifier que : " S'ouvrir n'est pas seulement accueillir l'autre en l'attendant chez soi, c'est aller à sa rencontre en sachant faire le pas hors de soi qui en est la condition ». Il importe alors de convier à un peu plus d'humanité. Celle qui refuse toute insularité, puisque nul ne peut s'isoler du fait de l’interconnectivité du monde, comme nous le rappellent du reste, les pandémies voire le réchauffement climatique.
Sans céder à la tentation bisounours, nous voilà conviés à prendre conscience que " nous ne sommes qu’une seule et même espèce vulnérable ». A comprendre surtout que, suivant le vœu de Léopold Sédar Senghor, l’universel milite pour « un effort patient et soutenu « d’accord conciliant », où chaque peuple, mesurant l’orgueil d’être différent au bonheur d’être ensemble, apportera sa contribution à l’édition de la Civilisation de l’Universel »
A ce titre, l’ouvrage de Souleymane Bachir Diagne, « Universaliser », tombe à point nommé. Il met à nu le monde. Le nôtre, de plus en plus malmené par des particularismes qui ne cessent de se développer entre les nations, les populismes qui s'expriment dans la brutalité de l'exclusion, tout en positionnant le différend comme la bête à abattre.