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26 avril 2025
Culture
DECONSTRUIRE ET REMODELER
Fatou Kandé Senghor est une touche-à-tout. Du cinéma à l’écriture, de la photographie à l’installation, tous les mediums lui sont utiles pour déconstruire et remodeler les récits.
Artiste pluridisciplinaire, Fatou Kandé Senghor est une touche-à-tout. Du cinéma à l’écriture, de la photographie à l’installation, tous les mediums lui sont utiles pour déconstruire et remodeler les récits.
Du rose, du rouge, un balcon festonné, des paillettes ! La structure a une forme à mi-chemin entre la pagode et le château fort. Elle trône dans la cour du Musée de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan). Quand tombe le soir, les lumières qui s’allument déposent un voile enchanteur sur ce fanal. L’installation de Fatou Kandé Senghor, Fanal (2024), est une réinterprétation d’une vieille tradition de Saint-Louis, la première capitale du Sénégal. Dans Le Larousse, le fanal a plusieurs significations. Le mot désigne la lanterne placée à l’avant de la locomotive ou à l’arrière du dernier véhicule d’un train. Il peut aussi désigner une lampe à pétrole employée à bord des anciens navires pour signaler leur position. Enfin, sur les côtes, le fanal érigé en phare servait de repère lumineux aux navires et prévenait les naufrages. Mais à Saint-Louis, la ville côtière située le plus au Nord du Sénégal, le fanal a depuis longtemps pris une autre tournure. A la Saint-Sylvestre, le fanal devient un évènement culturel qui célèbre l’histoire complexe de la ville. Pendant une nuit, Saint-Louis est envahie par une féerie de lumières. Les maquettes des bâtiments les plus emblématiques de la ville ou du pays sont promenées à bord de chars rutilants, accompagnées de chants et danses des belles Saint-Louisiennes qui, pour l’occasion, retrouvent les costumes de leurs aïeules. Ce sont les origines de cette vieille tradition que Fatou Kandé Senghor interroge à travers son installation.
Dans la cour de l’Ifan, la structure imposante attire le regard. Un porche d’une couleur verte, où sont inscrits des signes cabalistiques noirs, fait office de porte d’entrée. Tout autour de la pièce festonnée de rubans, une véranda couverte à la façon des vieilles bâtisses coloniales du Sénégal sur laquelle des lumières sont accrochées. Sur les côtés, un fragile escalier montre le chemin de l’étage et de sa toiture rose. Le tout est une féerie de couleurs et de lumières. Les passants s’arrêtent, s’interrogent ou parfois, prennent une photo. A l’image de ce fanal que les Saint-Louisiens se sont réapproprié en choisissant plutôt de représenter les plus beaux édifices de leur ville, Fatou Kandé Senghor, artiste pluridisciplinaire qui vogue du cinéma à la photographie, de l’installation à l’écriture, ne cesse de se réapproprier et d’interroger les histoires cachées dans les symboles qui l’entourent. Quelle que soit l’œuvre ou la thématique, elle cherche inlassablement à travers ses œuvres, à expliquer au public, à décanter l’histoire, éclaircir ses zones d’ombre, démêler les choses. «En tant qu’artiste, on est obligé de démêler des choses. A mon âge, je veux démêler fil par fil», dit-elle comme une profession de foi. Cette entreprise passe ici par une réappropriation du récit de ces femmes réduites désormais dans l’imaginaire collectif, à de simples objets sexuels. Un récit qui, pour elle, doit être délesté de ses relents colonialistes imbriqués dans l’histoire de cette ville.
A l’origine du Fanal de Saint-Louis, de vieilles traditions de Signares, ces riches femmes métisses qui se sont bâties un mode de vie particulier sur les bords du fleuve Sénégal, au 18e siècle. Le dernier jour de l’an, elles se rendaient à l’église à minuit, parées de leurs plus beaux bijoux et accompagnées de leurs servantes et chambellans. Ces derniers portaient des lanternes illuminées de l’intérieur par des chandelles. Ensemble, les Signares et leurs servantes formaient une lente procession lumineuse à travers les rues obscures de l’île. Au fil des décennies, les Saint-Louisiens se sont réappropriés cette coutume pour en faire une véritable fête traditionnelle. De lanternes de bois et papiers, on en est arrivé à de gigantesques créations, reconstituant le plus souvent les grandes bâtisses, les édifices ou monuments de la ville (la Grande Mosquée, l’église, le palais du Gouverneur ou le Pont Faidherbe). Si le fanal de Fatou Kandé Senghor recrée ce qui est devenu le symbole de Saint-Louis, c’est paradoxalement pour en dépasser les aspects esthétiques et festifs, et en interroger l’histoire, mais surtout interroger la mémoire de ces femmes pionnières.
De «reines» à «maîtresses»
«Toutes nos histoires ont été changées», estime Fatou Kandé Senghor. Celle des Signares l’interpelle tout particulièrement. En effet, tout commence quand les Lançados, ces juifs portugais, arrivèrent sur les côtes africaines au 16e siècle. Par des jeux d’alliance, ils s’unissent aux filles des chefs locaux dont l’activité commerciale autour des cotonnades ou du cuir était florissante. Devenues des Señoras, ces femmes tiennent d’une main de maître le commerce. Les Señoras de la petite côte sénégalaise jouissent alors d’une liberté que même leurs sœurs d’Occident n’avaient pas. C’est seulement au 19e siècle, avec la Révolution industrielle, que les femmes occidentales seront reconnues pour leur participation à la vie économique. Au Sénégal, quand les Français mettent la main sur cette colonie vers 1639, la donne change. Saint-Louis devient la capitale de l’empire colonial français en Afrique occidentale. De puissantes femmes d’affaires, les compagnes des nouveaux maîtres, deviennent dans la nouvelle version de l’histoire réécrite et disséminée par les Français, de simples et vulgaires «maîtresses». «1854- 1857, Général Faidherbe a une grande mission : installer la capitale du tout jeune empire colonial français. Ils sont venus faire fortune. Indigènes ou métisses, c’est du pareil au même pour eux. Le mépris est bien distribué. Nous avons un nouveau statut et de nouveaux rôles. La coquetterie, la fête, les nouvelles us et coutumes. Nous passons de cheffes à maîtresses», écrit FKS sur les murs intérieurs de son fanal. Le nouveau Code civil appliqué vers 1830 interdit aux femmes les activités commerciales. Le pouvoir économique leur est arraché.
En quête d’identité
Pour comprendre cette quête incessante de restauration de récits historiques, il faut revenir sur le parcours de l’artiste. Fatoumata Bintou Kandé de son vrai nom navigue dans l’interdisciplinarité et passe d’un médium à un autre. «Je m’intéresse à toutes les sociétés, leurs mutations, leurs perceptions des uns et des autres. Je m’intéresse à l’éveil, à la conscience, à la connaissance, à la psychologie. Je suis une citoyenne du monde, un produit du voyage, de la rencontre. C’est le côté universel qui m’intéresse dans tout», confie-t-elle. Elle aurait pu rajouter qu’elle s’intéressait également au travail des autres artistes. Fidèle à son désir de transmission, elle met ses talents de documentariste au service d’autres artistes sénégalais pour présenter leur travail au public. Tantôt elle filme l’artiste céramiste Seyni Awa Camara en Casamance dans son acte de création, tantôt c’est l’émergence d’une jeune chanteuse de rap qu’elle fige à l’écran dans la série Walabok, issue de l’ouvrage du même titre qu’elle a écrit. Walabok, une histoire orale du hip-hop au Sénégal, paru chez Amalion Publishing en 2015, est la synthèse de 30 années de travail. Pendant ces années, elle écoute et photographie les pionniers du hip-hop sénégalais. Et ce qui devait devenir un documentaire au départ finit en une anthologie du rap sénégalais, puis en série. La série met en avant le personnage d’une jeune fille qui lutte pour son indépendance et sa liberté dans un monde masculin par excellence, celui du hip-hop. Walabok, comment va la jeunesse ? (2020, 30 épisodes) remporte le Prix de la meilleure série au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) en 2021. Quant à l’ouvrage de 304 pages, il plonge dans cet univers du rap qu’elle a côtoyé depuis toute jeune. Le rap, ce rythme revendicateur et engagé d’une jeunesse en quête d’identité, fait écho aux interrogations internes de la jeune fille qu’était Fatou Kandé Senghor à l’époque, à ces mêmes questions qui la taraudent depuis son plus jeune âge. Dans le court métrage documentaire Giving Birth (2015) que Fatou Kandé Senghor a présenté à la Biennale de Venise en 2015, elle filme l’artiste céramiste Seyni Awa Camara qui n’a pas d’enfants, mais dont la cour est remplie des enfants de son mari. Et à travers les statuettes anthropomorphes qu’elle réalise, des sculptures hybrides mi-humaines mi- monstres tout droit sorties d’un autre monde, et toujours accompagnée d’enfants, l’artiste transcende sa condition de femme sans enfants dans une société où l’on ne peut être femme qu’en donnant la vie.
Raconter nos propres histoires, sur notre vie en communauté, développer à l’écran, dans les installations et d’autres mediums, des contre-récits qui restaurent la vérité historique, telles sont les invitations constantes de l’artiste dans ses œuvres. Fatou Kandé cherche à restaurer une version de l’histoire des Signares. Mais en fin de compte, quand elle décide d’exhumer la vérité autour de la vie des Signares, elle choisit de mettre en lumière des pans occultés de la vie de ces belles femmes. De «maîtresses» de ces conquérants européens, elles prennent dans l’œuvre de l’artiste, les habits d’habiles femmes d’affaires dont la puissance économique est avant tout un héritage familial.
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LES 3 MOMENTS FAVORIS OÙ L'HUMAIN MENT
La manipulation et le truquage d’images ne sont pas une nouveauté dans le monde de la communication. Mais avec le numérique et l’avènement des intelligences artificielles, ces phénomènes prennent une autre dimension.
Invité à discuter des intelligences artificielles et de leur risque pour certaines personnes dans l’émission Les Carnets culturels, Djiby Diakhaté a, d’entrée de jeu, tenu à souligner les moments propices où l’être humain ment sans sourciller. Il s’agit des périodes préélectorales, des périodes de guerre et de l’après-chasse. Le sociologue explique amplement les raisons dans l’extrait de cette émission produite par Le Carré culturel.
La manipulation et le truquage d’images ne sont pas une nouveauté dans le monde de la communication. Mais avec le numérique et l’avènement des intelligences artificielles, ces phénomènes prennent une autre dimension dans un contexte où les IA concurrencent rudement l’intelligence humaine. En effet, il est aujourd’hui facile de faire accepter une image générée par une IA, même si, dans la réalité, elle n’existe pas. Djiby Diakhaté a analysé une série d'images truquées ou générées par l'intelligence artificielle.
Pour lui, l'avènement de l'intelligence artificielle porte le mensonge à un autre niveau, bouleversant la vie en société. Ainsi, le sociologue attire l'attention sur les deepfakes, qui visent à manipuler l'opinion, y compris dans la création des savoirs. Par exemple, la tricherie avec les IA est aujourd'hui technicisée, l'homme étant, in fine, devenu l'outil de ses propres outils qu'il a créés.
KEN BUGUL, UNE LEÇON DE SPIRITUALITÉ ET DE RÉSILIENCE
Honorée d'un doctorat Honoris Causa, l'écrivaine sénégalaise partage sa vision d'une société où l'indifférence gagne du terrain. "Je mourrai debout", affirme celle qui a fait de la résistance à la fatalité son credo
L'écrivaine sénégalaise Ken Bugul était l'invitée de l'émission "BL" animée par Pape Alioune Sarr, ce jeudi 19 mars 2025. Dans cet entretien profond et touchant, l'auteure du "Baobab fou" a livré une véritable leçon de spiritualité et partagé sa vision de la société contemporaine.
Récemment honorée d'un doctorat Honoris Causa par l'Université de La Laguna pour l'ensemble de son œuvre, Ken Bugul est revenue sur cette distinction qu'elle considère comme "un grand honneur". Cette reconnaissance internationale témoigne de l'impact de ses écrits sur plusieurs générations de lecteurs.
"Je mourrai debout", affirme celle qui a fait de la résilience sa philosophie de vie. L'écrivaine établit une distinction claire entre destin et fatalité : "Le destin, c'est le kit avec lequel on naît, tandis que la fatalité est une démission rapide face aux difficultés temporaires." Cette approche lui a permis de surmonter les nombreuses épreuves jalonnant son parcours.
La spiritualité occupe une place centrale dans la vie de Ken Bugul. Pour elle, il s'agit d'une quête permanente qui transcende le simple cadre religieux : "Du dogme à la connaissance, il faut toujours être dans la quête de Dieu. Plus on pense l'avoir trouvé, plus il nous dépasse."
L'auteure s'est également inquiétée de l'indifférence grandissante dans la société, particulièrement envers les jeunes. Évoquant le suicide récent de l'étudiant Matar Diagne, elle dénonce l'absence de "garde-fous" pour récupérer ceux qui souffrent : "Personne n'a le temps de personne. Les gens ne se parlent plus, ne s'écoutent plus, ne se regardent plus."
Ken Bugul a également tenu à rappeler le rôle fondamental mais souvent occulté des femmes dans les traditions spirituelles : "Sans les femmes, il n'y aurait pas eu de religion." Elle illustre son propos par des exemples tirés des trois religions monothéistes, où les femmes ont joué un rôle déterminant bien que rarement mis en lumière.
Son œuvre littéraire, initialement conçue comme une démarche personnelle de guérison, s'est révélée thérapeutique pour de nombreux lecteurs. "L'écriture qui répare", comme l'a qualifiée un professeur camerounais, trouve aujourd'hui un écho renouvelé auprès d'une jeune génération qui redécouvre ses livres.
UN ESPACE DE PERFORMANCE EN ECRITURE ET DECLAMATION DE TEXTES
La Journée internationale de la Francophonie et du conte a été célébrée hier à la Place du Souvenir africain, dans une ambiance de CEM et lycées.
La Journée internationale de la Francophonie et du conte a été célébrée hier à la Place du Souvenir africain, dans une ambiance de CEM et lycées. Pour célébrer l’héritage colonial qu’est la langue officielle en partage avec 320 millions de locuteurs ainsi que le conte patrimoine national, un concours de rédaction et de déclamation a opposé des élèves de neufs collèges et lycées.
Les deux journées célébrées à l’instar des communautés internationales ont permis de confronter le niveau des potaches à l'écrit comme à l'oral. L’activité parascolaire réunissant neuf établissements a permis aux jeunes de rédiger une lettre à une figure marquante ou un poème à déclamer. Cet exercice a permis aux élèves de se familiariser avec les œuvres des résistants comme Aline Sitoé Diatta, Ndaté Yalla Mbodj... et des résistants et figures panafricains tels que Thomas Sankara, Ousmane Sembène, Malcom X...
La salle était remplie par des élèves du Cem de Thiaroye, de Seydou Nourou Tall, Birago Diop, Cours Sainte Marie de Hann... Et l’animation était assurée par El hadji Léebone avec ses contes plein d’enseignements. Il est relayé par la troupe de théâtre forum, «La voix des sans-voix de Thiaroye».
Le premier prix a été décerné à Amsatou Barry, élève en classe de 3e au collège privé Birago Diop. Hôte de la cérémonie, la directrice de la place du Souvenir africain Mme Diouf pense que «plume et voix...» a permis de revisiter l’œuvre des figures africaines et de la diaspora afin de les prendre comme modèle. Parmi les 34 participants ayant reçu des prix, six ont été classés, trois par section. L’activité vise à relever l’écriture et la récitation qui est en voie de disparition. C’est aussi un exercice de renforcement en milieu périscolaire.
Les jurés étaient les professeurs André Marie Diagne, Annie Coly et Racine Senghor. Abondant dans le sens de l’art du récit, l’administratrice de la place du Souvenir africain estime que le conte, c’est une valeur fondamentale qui véhicule beaucoup de philosophie. C’est pour elle, un art éducatif, un héritage, un legs qu’il faut promouvoir davantage. Venu présider la cérémonie, le Secrétaire d’État à la culture, aux industries culturelles créatives et du patrimoine, Dr Bacary Sarr estime que l’héritage coloniale qu’est le français, langue enseignée et d’enseignement, est inscrit dans la pratique quotidienne et confronté à nos réalités. Elle véhicule ainsi nos imaginaires. Ce qui permettrait d’agir sur les curricula, pour valoriser le patrimoine culturel et assurer un ancrage local. Il s’interrogé sur : comment est-ce que le français doit continuer à partager l’espace avec les langues locales ?
Avec l’évolution, le français doit faire corps avec la société, l’administration et les contenus des langues nationales. Le conte est, poursuit il, une dimension pédagogique qui doit aider la jeunesse à évoluer. Il doit permettre aussi, de par ses enseignements, de renforcer les curricula. Dans le référentiel, souligne le SE, il y a une orientation de valorisation du patrimoine et le conte fait partie de ce legs. Il faudra donc le valoriser, l’enseigner, aux enfants et aux adultes pour trouver un ancrage et profiter de cette sédimentation riche dans la diversité culturelle et s’ouvrir au monde.
DRIYANKE, UNE INCARNATION DE POUVOIR SOCIAL DANS LE TEMPS
Le parcours, sis à la Galerie le manège, intitulé «Diggente taar ak Kiliftef, poétique d’une maille sociale : la Driyanké» est une parfaite représentation du pouvoir indéniable de l’archétype de la Driyanké, incarnation de prestance
Le parcours, sis à la Galerie le manège, intitulé «Diggente taar ak Kiliftef, poétique d’une maille sociale : la Driyanké» est une parfaite représentation du pouvoir indéniable de l’archétype de la Driyanké, incarnation de prestance, influente dans sa société. l’exposition se tient du 07 mars au 31 mai 2025.
Le leadership féminin social est incarné dans la prestance voire l’élégance de la Driyanké. Dans l'imaginaire collectif, elle est, entre autres, synonyme de physique, de formes généreuses. Alors que, dans le parcours, elle est découverte sous diverses coutures, plongeant le spectateur dans un labyrinthe de tapisseries et textiles, de photos et installations, de poupées et d'accessoires. Le fil d’Ariane qui lie les œuvres est fait de perles imbibées d’effluves de «gowé». Des notes d’une musique envoûtante accompagnent le visiteur dans une lumière blafarde. Seulement, le concept va audelà des considérations physiques. L'appellation, «Driyanké» englobe une dimension «sociétale, spirituelle, esthétique» d'où la raison d'être de l’exposition. La première pièce flanquée à l’entrée est une tapisserie brodée à la main, de l’artiste, Modou Guèye sortant de la manufacture des arts décoratifs de Thèse. La commissaire du projet, Ken Aicha Sy, décrypte qu’entre élégance et leadership, le titre en wolof pose les bases de ce questionnement, tandis que le titre en français parachève l’interrogation : qu’est-ce que c’est la maille d’une société ?
Elle livre une esquisse de réponse à travers la silhouette de la «Driyanké» qui, pour elle, est un archétype féminin qui est essentiel au Sénégal et existe depuis longtemps. Il s’est agi dans cette exposition de ramener les lettres de noblesse» à cet archétype féminin ballotté dans le temps, le vent, les générations. C’est en outre intéressant de voir qu’en fonction du genre, de l’âge, de la culture..., les interprétations qu’on peut avoir divergent.
À partir de sa définition de la Driyanké, Ken Aicha Sy a invité 17 artistes à réfléchir avec elle afin de proposer leurs regards sur cet archétype féminin. Ce, à travers diverses œuvres, de textile, des photos, du texte, de l’audio, de la tapisserie...
La commissaire étaye que la maille sociale, c’est aussi la maille textile. C’est qui justifie la primeur au textile dans ce parcours. A côté de l’artiste Oumou Sy, il y a de jeunes artistes au talent en haute couture attesté par des puristes... Le choix des artistes est motivé par la différence de leurs univers tendant à se compléter de par leurs créations uniques en leur genre...
La musique est centrale dans l’exposition. Elle est l’œuvre de Shineze. La composition accompagne les déhanchements imaginaires de la Driyanké au fil du parcours. La pièce phonographique incarne «la modernité et la flûte tradition qui ancre et le chant du griot plonge dans une nostalgie de diva tels que Kiné Lam...» Les perles, le fil liant les différentes stations du parcours, contribuent à façonner la femme et à affirmer son âge ainsi que sa position sociale. Les perles de la «Driyanké» qui a atteint une certaine maturité, sont échelonnées à travers différentes piédestaux. Le «gowé» n’est pas spécifié par Ken Aïcha Sy, dans une dynamique anthropologique. Il s'agit de déconstruire, d’honorer et de mettre sur des piédestaux... La transmission aux jeunes est au cœur du projet. Des étudiants du collège d’architecture de Dakar ont été associés à la scénographie. Ce qui s’inscrit dans une démarche de permettre aux jeunes d’avoir des expériences pratiques. La scénographie s’est faite avec trois étudiants, favorisant ainsi l'échange, en accompagnant dans la confrontation.
L’interaction avec le public n’est pas en reste. Des espaces vides dans la scénographie vont se remplir au fil des échanges. Les trois conversations vont ainsi livrer des «mots clés» qui seront gravés sur les murs, sous forme de restitution, en donnant la parole au public afin de participer à la construction de cette «identité» de l’archétype féminin.
PLAIDOYER POUR UN RAYONNEMENT RENFORCE DU CINEMA SENEGALAIS
Présidée par la ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture, Mme Khady Diène Fall, cette réunion a permis de dresser un bilan de la participation sénégalaise au FESPACO 2025 et d’esquisser des perspectives pour l’avenir du cinéma sénégalais
La Maison de la Culture Douta Seck a abrité, vendredi, une rencontre d’évaluation de la participation du Sénégal au Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou (FESPACO). Présidée par la ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture, Mme Khady Diène Fall, en présence du ministre secrétaire d’État à la Culture, Bacary Sarr, et du directeur de la Cinématographie, M. Germain Coly, cette réunion a permis de dresser un bilan exhaustif de la participation sénégalaise au FESPACO 2025 et d’esquisser des perspectives pour l’avenir du cinéma sénégalais.
La ministre Khady Diène Fall a ouvert les débats en soulignant l’importance de cette rencontre, qui vise à tirer les enseignements de la participation sénégalaise au FESPACO et à définir des lignes de perspectives pour l’avenir. Elle a rappelé que cette évaluation est un prétexte pour renforcer la place de la culture dans les priorités nationales, notamment dans le domaine du cinéma. La ministre soutient que « la moisson n’a pas été bonne ». Avant de préciser qu’il faut relativiser cette appréciation de notre performance au FESPACO dernier à Ougadougou.
M. Germain Coly, directeur de la Cinématographie, a présenté un bilan détaillé de la participation sénégalaise au FESPACO. Sur les 1 351 films soumis au festival, 235 ont été retenus pour les compétitions, dont 23 films et projets sénégalais. Parmi eux, 19 films ont été en compétition, témoignant de la vitalité du cinéma sénégalais. Le Sénégal a également été bien représenté dans les secteurs de la post-production et de la coproduction, avec des professionnels présents sur les stands du Marché International du Cinéma Africain (MICA).
Malgré les contraintes budgétaires, la délégation sénégalaise a pu participer activement aux différentes activités du festival, notamment grâce à l’accompagnement de l’État. La ministre Khady Diène Fall a elle-même dirigé la délégation et participé à plusieurs temps forts, dont la cérémonie d’ouverture et la visite des stands des pays participants. Elle a également rencontré les autorités burkinabé pour discuter des échanges culturels entre les deux pays.
DES PERSPECTIVES AMBITIEUSES POUR LE CINEMA SENEGALAIS
Au-delà du bilan, les discussions ont porté sur les perspectives pour le cinéma sénégalais. Les participants ont souligné la nécessité de renforcer la structuration du secteur, notamment en révisant les textes et en modernisant l’architecture administrative. La création d’un Centre National du Cinéma (CNC) a été évoquée comme une priorité pour professionnaliser l’industrie cinématographique.
La ministre Khady Diène Fall a insisté sur l’importance de l’implication de tous les acteurs du secteur, des producteurs aux distributeurs, en passant par les réalisateurs et les techniciens. Elle a rappelé que le cinéma sénégalais doit être une « maison de verre », transparente et ouverte à tous, afin de favoriser son rayonnement à l’échelle continentale et internationale.
VERS UN FESTIVAL A L’IMAGE DU FESPACO AU SENEGAL ?
L’une des annonces marquantes de cette rencontre a été l’éventuelle organisation d’un festival de cinéma au Sénégal, inspiré du FESPACO. Cette initiative, encore en gestation, vise à créer un événement d’envergure qui mettrait en valeur le cinéma africain et renforcerait la position du Sénégal comme hub culturel sur le continent. Les autorités ont appelé les professionnels du secteur à s’impliquer activement dans la conception et la mise en œuvre de ce projet.
En conclusion, la ministre Khady Diène Fall a réaffirmé l’engagement de l’État à soutenir le cinéma sénégalais, tout en appelant à une plus grande responsabilisation des acteurs du secteur. Elle a salué les efforts des professionnels qui ont permis au Sénégal de briller au FESPACO et a exprimé sa confiance dans l’avenir du cinéma sénégalais, qui, selon elle, a encore un grand potentiel à exploiter. Cette rencontre d’évaluation a donc permis de poser les bases d’une réflexion collective pour l’avenir du cinéma sénégalais, avec l’ambition de faire du Sénégal une référence incontournable dans le paysage cinématographique africain et international.
THIAROYE 44, DECONSTRUCTION ET RECONSTRUCTION MEMORIELLES DES ARTS
La déconstruction du discours colonial mensonger sur les évènements de Thiaroye 44 est l’œuvre des littéraires.
La série de panels sur la commémoration du 80e anniversaire du massacre de tirailleurs sénégalais s’est tenue, le samedi 15 mars, au musée des Civilisations noires, une conférence autour du thème : «Thiaroye 44 : Représentations littéraires et (dé)constructions mémorielles». des universitaires et journalistes ont démontré l’apport de la littérature et la création artistique dans la déconstruction du discours colonial et la reconstruction de notre propre discours à partir de la fiction, de l’imaginaire.
La déconstruction du discours colonial mensonger sur les évènements de Thiaroye 44 est l’œuvre des littéraires. La création artistique et les ouvrages ont aussi permis de reconstruire des pans d’histoire et de construire une mémoire collective sur la question. Pr Ibrahima Wane indique que l’intérêt de la réflexion autour de la littérature, c’est qu’il s’agit de la question de la recréation. Comment les faits sont perçus ? Comment ils sont retravaillés par l’imagination créatrice ? Comment ils sont transmis ? Comment ils constituent la mémoire, donc le rôle de la création dans la construction de la mémoire ? D’autant que la particularité de la littérature et des arts, c’est de travailler à partir du langage, de retravailler des faits avec l’émotion. Ce qui est, à son avis, important puisqu'il s’agit de massacre, d’une tragédie. Il s’agit, en outre, d’élever un panthéon à la mémoire de disparus dans des conditions tragiques. C’est en cela que la littérature est un travail beaucoup plus efficace que d’autres langages puisqu'elle utilise la réalité historique et l’imaginaire, dit-il. Il s’agit, également, de savoir comment nommer efficacement les choses. Quand on parle de littérature, on pense à la fiction alors qu’elle s’inspire de l’histoire et de la réalité sociale. A travers les œuvres d’art, on peut reconstituer plusieurs pans de l’histoire parce que c’est souvent une mise en scène, une codification de choses réelles, signale Pr Wane. Donc, on ne peut pas étudier l’histoire en excluant la littérature. D’autant que la littérature a pour matière l’histoire et l’histoire doit faire de la littérature une matière importante. Pour lui, il est important que les œuvres sur la question soient diffusées à l’école et traduites dans les langues locales et faire en sorte que la peinture populaire trouve des moments et des lieux de rencontre avec le public. Il pense qu’il faut usiter de toutes les expressions en multipliant et exploitant leurs diversités puisque chacune a son langage, son pouvoir et son public.
Modéré par Pr Ibrahima Wane, le panel, dans le cadre de la commémoration des 80 ans du massacre, était animé par Pr Ibrahima Diagne, département de langues et civilisations germaniques et de Dr Alioune Diaw, département de Lettres modernes de l’UCAD et le journaliste et écrivain Pape Samba Kane. Pour lui, il s’est agi d’exprimer sa propre relation en tant que gamin avec cette histoire de Thiaroye 44, à partir des rumeurs du village avec des versions extrêmement différentes, contradictoires. Il a, dit-il, appris tout à l’école primaire sauf une histoire qui le touche de près. Né à 12 km du théâtre du massacre du 1er décembre 1944, il savait plus des figures historiques comme Charlemagne, Jeanne d’Arc... que de ce qui s’est passé à Thiaroye. Il a ainsi démontré ce rapport de bourrage de crâne et de tentative de «nous vider de notre propre histoire». Le journaliste a insisté sur le fait que c'est une entreprise vaine. Dans la mesure où la façon dont les tirailleurs sont morts donne un devoir à ceux qui leur ont survécu et qui ont une relation parentale, idéologique de proximité... de perpétuer leur mémoire. Ce qui, ailleurs, se fait dans du marbre, du bronze et de l’acier
Pape Samba Kane, lui, souhaite que cela se fasse autrement, «par notre propre chair, par notre imaginaire en construisant quelque chose.» A l’en croire, l’approche est plus efficace par la fiction notamment les romans, les films...qui impriment dans notre imaginaire les émotions nécessaires à nous faire conserver cela plutôt que les études scientifiques qui ont, certes, leur importance. Seulement, pour ancrer dans la chair la douleur des soldats, c’est, à son avis, la création artistique qui est plus efficace. Sur la question du caractère fictionnel des créations artistiques, le journaliste rétorque. «Il n’y a pas de création artistique qui se situe en dehors de la réalité, si elle ne se nourrit pas de la réalité, elle parle à la réalité. La réalité et la fiction sont liées. Ceux qui font la création sont réels et le public destinataire est aussi la représentation d’une réalité. Le rapport réalité fiction est, dit-il, difficile à diviser, ils se confondent.» Il déplore le manque de roman écrit à partir de cette triste réalité, d’autant qu’il y a des poèmes, des pièces de théâtre, des films... Et prône d’usiter les nouvelles technologies pour rendre accessibles des aspects de la question sur des supports vidéo, documentaires, discussions.
LA LITTERATURE, IMPLANT MEMORIEL
Pr Ibrahima Diagne s’est penché sur la fonction de la littérature à suppléer l’histoire quand il y a un vide, notamment le nombre de tirailleurs massacrés, les lieux d’inhumation, ainsi que les motifs du massacre... Le pouvoir de la littérature, indique le chercheur, c’est de donner une représentation des faits permettant à la mémoire d’avoir une prise sur l’histoire. Pour ce faire, PrDiagne use de la métaphore de la littérature «implant mémoriel». La littérature comble le vide. Ce qui permet de donner corps aux souvenirs et de pouvoir continuer à perpétuer la mémoire des tirailleurs sénégalais. La littérature a, dit-il, ce pouvoir de construire et déconstruire des imaginaires. Celui qui entoure le récit de Thiaroye d’un point de vue français est ethnocentrique. C’est elle qui a mis au goût du jour des faits historiques, et à déconstruire le discours français sur la question pour construire un discours tout à fait sénégalais qui démonte le tissu de mensonges sur le massacre, a signalé Pr Diagne. Le critique littéraire pense aussi que reproduire la réalité est quasiment impossible. Pour lui, même si la littérature est un discours de subjectivité, il se nourrit d’imaginaire, donc de fiction. Mais cela n'enlève en rien le potentiel de la littérature à cerner la réalité et à en donner une lecture qui peut aller au-delà des attentes. C’est donc une fiction, représentation d’une réalité et qui ne peut pas se substituer à cette réalité. La production littéraire a ainsi contribué à construire une mémoire. Pr Alioune Diaw pour sa part a démontré comment les productions littéraires ont participé à la construction et ou à la déconstruction de la mémoire des évènements de Thiaroye 44. L’évènement est à plusieurs enjeux politiques, militaires, scientifiques, juridiques. Il a aussi suscité des créations littéraires telles que le poème Thiaroye» publié en 1948 dans Hosties noires. Il y a aussi une bande dessinée, «Mort par la France» produit par des Occidentaux. Il y a aussi la pièce de théâtre du journaliste, écrivain, «Thiaroye terre rouge» paru dans les années 80. C’est des mémoires collectives élevant les tirailleurs au rang de héros, au même titre qu’El Hadji Omar Tall...
L’importance de la fiction est reconnue de tous. Seulement, l’événement était entretenu par un tissu de mensonges par l’autorité coloniale, déplore Pr Diaw. Mensonge qui est entretenu au fil de l’histoire. L’enseignant au département de lettres modernes déplore dans la foulée le fait qu’il n’y avait pas de travail historique de déconstruction de cette contrevérité. D’autant que les historiens qui ont mené cette déconstruction du mensonge sont étrangers, Martin Mourre et Armelle Mabon. A côté du mensonge étatique de la France et l’absence de déconstruction par les historiens locaux, c’est un chant exploité par les créateurs artistiques et littéraires pour déconstruire le discours colonial et reconstruire notre propre discours. Pour diffuser ces messages, il prône les nouvelles technologies et la BD pour toucher les plus jeunes. C’est bien de réfléchir sur cette mémoire mais le travail doit permettre d’envisager le futur, souligne Pr Alioune Diaw.
FELWINE SARR DOUBLEMENT RÉCOMPENSÉ AU SALON DU LIVRE AFRICAIN DE PARIS
L’écrivain et penseur sénégalais a été couronné du Grand Prix Afrique de la nouvelle pour son recueil Le bouddhisme est né à Colobane, un ouvrage composé de sept nouvelles explorant des thèmes universels.
L’écrivain et penseur sénégalais Felwine Sarr a brillé au Salon du livre africain de Paris, décrochant deux prestigieuses distinctions. Il a été couronné du Grand Prix Afrique de la nouvelle pour son recueil « Le bouddhisme est né à Colobane », un ouvrage composé de sept nouvelles explorant des thèmes universels tels que l’amour, la vie, la mort, le détachement et la sagesse.
Mais ce n’est pas tout. À travers Jimsaan, la maison d’édition qu’il a cofondée avec Boubacar Boris Diop et Nafissatou Dia, il s’est vu attribuer le Prix Afrique de l’édition 2024, récompensant le travail d’éditeurs engagés dans la promotion de la littérature africaine.
Cette double consécration souligne l’influence grandissante des auteurs et éditeurs sénégalais sur la scène littéraire internationale. Felwine Sarr, figure incontournable du renouveau intellectuel africain, continue ainsi d’enrichir le paysage culturel et d’ouvrir de nouvelles perspectives pour les lettres africaines.
LE CINEMA SENEGALAIS EST EN PLEINE TRANSFORMATION, MAIS IL RESTE DES DEFIS A SURMONTER
Dans une interview, Alain Sembène, fils du légendaire cinéaste Ousmane Sembène, partage son point de vue sur l'état actuel du cinéma sénégalais, les défis auxquels il est confronté, et l'héritage cinématographique de son père
Dans une interview, Alain Sembène, fils du légendaire cinéaste Ousmane Sembène, partage son point de vue sur l'état actuel du cinéma sénégalais, les défis auxquels il est confronté, et l'héritage cinématographique de son père. Alain, qui a grandi dans l'ombre d'un des pionniers du cinéma africain, offre un regard à la fois critique et optimiste sur l'avenir de cette industrie culturelle au Sénégal.
Alain Sembène commence par souligner l'énergie nouvelle qui anime le cinéma sénégalais aujourd'hui. « Dakar est actuellement un creuset d'énergies nouvelles, avec l'émergence de nombreuses salles de cinéma qui donnent une scène aux productions locales », explique-t-il. Il se réjouit de voir les récits sénégalais prendre vie sur grand écran, offrant au monde une fenêtre sur une perspective unique. Cependant, il reconnaît que des défis financiers et structurels persistent. « Nous explorons activement des solutions innovantes pour financer nos films et renforcer la durabilité de notre industrie », ajoute-t-il. Parmi les défis majeurs, Alain cite le financement, l'accès aux salles de cinéma en dehors de Dakar, et la formation des jeunes cinéastes. « Il est essentiel d'augmenter le nombre de salles à travers le pays pour que tout le monde puisse profiter des créations locales », insiste-t-il. Il plaide également pour des fonds de garantie, des crédits d'impôt, et plus d'écoles de cinéma pour former la nouvelle génération de réalisateurs.
L'HÉRITAGE D'OUSMANE SEMBÈNE : ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ
Quand on évoque l'évolution du cinéma sénégalais depuis l'époque de son père, Alain ne cache pas sa fierté. « Sembène utilisait sa caméra comme une arme de réflexion sociale, s'attaquant à des sujets lourds avec une authenticité brute », rappelle-t-il. Aujourd'hui, bien que ces thèmes restent ancrés dans le cinéma sénégalais, Alain observe une ouverture vers une diversité de genres qui n'existait pas auparavant. Il souligne également les avancées technologiques et les collaborations internationales qui ont permis aux films sénégalais de voyager davantage. « Les collaborations internationales qui étaient autrefois une lutte acharnée pour Sembène sont aujourd'hui plus fréquentes, ouvrant des portes à nos histoires sur des scènes mondiales », explique-t-il. Il mentionne également le soutien gouvernemental, comme le FOPICA, qui tente de nourrir cette industrie, bien que des améliorations soient encore nécessaires.
CAMP DE THIAROYE : UN FILM PANAFRICAIN AUX THÈMES INTEMPORELS
Alain partage également des souvenirs personnels du tournage de Camp de Thiaroye, l'un des films les plus emblématiques de son père. « Sur le plateau, il y avait une atmosphère électrique, alimentée par le sentiment que nous étions en train de créer quelque chose d'exceptionnel », se souvient-il. Ce film, financé par le Sénégal, l'Algérie et la Tunisie, incarnait l'esprit panafricain, et les acteurs, venus de différents pays africains, étaient fiers de participer à un projet qui racontait une histoire africaine par des Africains. Malgré son succès critique, Camp de Thiaroye a été confronté à des défis majeurs, étant interdit en France pendant une décennie et censuré au Sénégal pendant trois ans. Cependant, le film a récemment bénéficié d'une restauration numérique grâce à la Fondation de Martin Scorsese, ce qui a permis de le présenter à nouveau à un public mondial. « Ces événements ont aidé à raviver l'intérêt pour ce film crucial et à célébrer son importance historique et culturelle », explique Alain. Les thèmes abordés dans Camp de Thiaroye restent pertinents aujourd'hui, selon Alain. « Le film traite des effets durables du colonialisme, de la quête de justice pour les groupes marginalisés, et du racisme institutionnel », souligne-t-il. Ces questions, encore d'actualité dans de nombreuses sociétés, font du film une œuvre intemporelle.
PRÉSERVER L'HÉRITAGE CINÉMATOGRAPHIQUE
Alain insiste sur l'importance de préserver l'héritage cinématographique de son père et des autres pionniers du cinéma sénégalais. « Il est crucial de garder notre essence culturelle, même avec les coproductions internationales », affirme-t-il. Il plaide pour des lois qui protègent la culture cinématographique sénégalaise et encouragent les récits profondément ancrés dans l'identité sénégalaise. En conclusion, Alain Sembène reste optimiste quant à l'avenir du cinéma sénégalais. « Avec un peu d'ingéniosité et beaucoup de passion, je crois que notre cinéma peut non seulement survivre, mais vraiment prospérer et raconter le Sénégal au monde entier », déclare t-il. Il appelle à une mobilisation collective pour surmonter les défis et faire briller les histoires de la terre sénégalaise sur les écrans du monde entier.
Les belles feuilles de notre littérature par Amadou Elimane Kane
KEN BUGUL OU LA CONSCIENCE DE LA RENAISSANCE
EXCLUSIF SENEPLUS - Par sa puissance littéraire, l'auteure de La Folie et la Mort nous oblige à raisonner sur nous-mêmes pour construire le chemin de la Renaissance. C’est un roman captivant par sa forme et par son propos
Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
La Folie et la Mort de Ken Bugul est un roman déchirant qui accuse la force du pouvoir et les dérives sanglantes d’un continent en proie au déséquilibre. Le style de Ken Bugul possède un souffle narratif qui mêle réalisme, fantastique, allégorie tout en explorant l’univers secret des croyances africaines et la réalité brutale d’un monde qui a perdu ses valeurs. L’écriture elle-même oscille entre le récit romanesque, la prose poétique et l’épopée onirique. C’est un roman captivant par sa forme et par son propos. L’auteure tisse une histoire contemporaine sans rien oublier des injustices cruelles que traverse l’Afrique.
Dans un pays imaginaire, à quelques détails près, les habitants obéissent au grand Timonier qui a décidé de faire disparaître tous les fous « qui raisonnent et ceux qui ne raisonnent pas ».
On suit ainsi le destin de plusieurs personnages dont les histoires sont tragiques et empreintes de folie. L’espoir de vie est si réduit que malgré le courage, l’honnêteté et la lucidité qui les animent, ils sont voués à errer dans la nuit terrifiante des horreurs qu’ils ont traversées.
Mom Dioum, jeune femme qui a bravé la capitale pour étudier, revient au village désemparée. Un terrible secret semble l’habiter et elle décide de « se tuer pour renaître ». Pour cela, elle choisit de se faire tatouer les lèvres pour échapper à ses démons. Elle disparaît et sa décision va la conduire dans une longue errance initiatique et douloureuse. Inquiète, Fatou Ngouye, son amie d’enfance, part à sa recherche, accompagnée de Yoro le cousin de Mom Dioum. Arrivés à la capitale, les deux jeunes gens sont arrêtés par la police puis séparés. Et leur calvaire ne fait que commencer. Fatou Ngouye, déshonorée, connaît un sort tragique. Brûlée sur la place du marché, elle devient une figure de martyre. Yoro lui cède à la déchéance et s’allie, corps et âme, au pouvoir machiavélique pour survivre mais il n’y parviendra pas.
Mom Dioum, quant à elle ayant échoué son rite initiatique, est défigurée et se retrouve à l’hôpital psychiatrique. Elle y fait la connaissance de Yaw que des images de sang et de meurtres ont rendu irresponsable. C’est le seul espoir que propose le récit de Ken Bugul, la rencontre de deux êtres qui ont souffert et qui veulent retrouver la force et la voie de l’amour. Mais la folie ne peut survivre au désespoir et la mort vaut mieux que l’aliénation totale. C’est le message que semble délivrer Ken Bugul.
A travers ces récits irréels, et pourtant réalistes, haletants de blessures profondes, Ken Bugul nous entraine dans son univers littéraire singulier, fabuleux, chimérique et terriblement juste. La lecture de ce roman ne nous laisse pas indifférent car l’auteur sait aussi dénoncer ce qui peut mener le continent africain à la folie et à la mort : les humiliations de la dépendance, la misère, les guerres fratricides, les chefs d’Etat criminels avides de pouvoir, l’exploitation des peuples, la déshumanisation de l’esprit africain, la perte des valeurs et la course vers l’espoir sans cesse brisée.
Cette vision terriblement pessimiste est une sorte de métaphore poussée à l’extrême qui bouscule nos certitudes et nous force à réfléchir sur les enjeux de l’avenir du continent africain. Ken Bugul, par sa puissance littéraire, nous oblige à raisonner sur nous-mêmes pour construire le chemin de la Renaissance.
Amadou Elimane Kane est écrivain, poète.
La Folie et la Mort, Ken Bugul, Présence Africaine, Paris, 2000.