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22 novembre 2024
Culture
par l'éditorialiste de seneplus, Amadou Elimane Kane
UN TEMPS POUR LA DÉCOLONISATION CULTURELLE
EXCLUSIF SENEPLUS - C’est la capacité de « réappropriation » de son patrimoine historique, culturel, social, politique et économique. Il s’agit, en d’autres termes, d’opérer une rupture épistémologique avec tous les méfaits de la colonisation
Amadou Elimane Kane de SenePlus |
Publication 31/10/2024
L’homme qui exerce des responsabilités politiques est un citoyen engagé auprès de son peuple et qui développe son combat à toutes les échelles fondatrices de la société. Ses exigences politiques et économiques doivent s’accompagner d’un engagement intellectuel, social et culturel.
En ces termes, on peut dire que l’homme politique est un être social, intègre, bâtisseur et convaincu qui défend des valeurs morales, culturelles, politiques et économiques dont son peuple se réclame.
C’est en ce sens que les dirigeants africains, face aux enjeux majeurs du 21ème siècle, doivent aujourd’hui œuvrer pour construire efficacement et durablement le socle de la renaissance africaine.
C’est à partir de ce postulat que nous développerons les conditions nécessaires à la bonne gestion d’un État, à sa cohérence démocratique, intellectuelle, culturelle et unitaire.
Après les indépendances et le processus de décolonisation, les dirigeants africains ont, pour la majorité, exercé leur pouvoir sur les décombres du colonisateur avec ses effets de dépendance économique, bureaucratique, sociale et culturelle. Ce long travail de désintégration de la culture africaine a eu, comme nous le savons, des conséquences désastreuses sur le continent et sur le peuple africain. Toutes ces forces de « dépersonnalisation » ont conduit certains États et leurs dirigeants à continuer de nier l’existence des valeurs africaines, d’un fonctionnement social singulier et d’une culture riche adaptée à son environnement, poursuivant ainsi le travail de division coloniale et dépossédant encore les peuples de leur patrimoine culturel et de leur estime identitaire.
L’impérialisme colonial a fait son œuvre pour pouvoir maintenir le continent africain dans un état de dépendance économique, sociale et culturelle, à telle enseigne que celui-ci ne puisse faire régner sa souveraineté continentale et assurer ses capacités d’autonomie économique, sociale et culturelle.
Les sciences, les avancées technologiques, les valeurs culturelles, la pensée sont un patrimoine universel. En aucun cas, elles ne sont le monopole des puissances colonisatrices. La culture africaine a autant de force et de richesse que la pensée européenne ou chinoise. Elles se nourrissent les unes des autres pour aboutir à ce que l’on nomme les croyances universelles qui puisent leur fondement dans la singularité de l’une pour enrichir l’autre.
Autrement dit, les États d’Europe qui ont colonisé les États d’Afrique, ne sont pas les détenteurs intellectuels, culturels et économiques du développement véritable et durable du continent africain.
Durant longtemps et en maintenant cette oppression mensongère visant à installer un sentiment d’infériorité intellectuelle, scientifique et administrative en Afrique, les puissances coloniales n’ont fait qu’exploiter les richesses du continent africain, au détriment des peuples et de leurs capacités à s’autogérer.
« La culture, c’est la façon dont une société donnée dirige et utilise les ressources de la pensée ». C’est de cette faculté culturelle ancestrale et moderne dont doit se doter l’Afrique pour recouvrir sa véritable identité.
C’est en cette « reconstruction » identitaire et en cette « renaissance » historique et culturelle que reposent les responsabilités des dirigeants politiques africains, associés aux hommes de culture, de sciences et aux intellectuels.
Aimé Césaire disait, lors du deuxième congrès des écrivains et artistes noirs en 1959, que « au jour du recul on dira, pour caractériser notre époque, que comme le 19ème siècle a été le siècle de la colonisation, le 20ème siècle a été le siècle de la décolonisation ».
Pour appuyer notre propos, qu’entend-on par le sens du mot « décolonisation » ?
Ce n’est pas seulement le retrait des forces coloniales, c’est la capacité de « réappropriation » de son patrimoine historique, culturel, social, politique et économique. Il s’agit, en d’autres termes, d’opérer une rupture épistémologique avec tous les méfaits de la colonisation et du désordre mental qu’elle a causé.
Cette conception de reconquête culturelle est liée à la volonté politique mais cela ne saurait suffire. Intellectuels, hommes de culture, hommes de sciences et de technologies nouvelles et bien sûr l’ensemble des acteurs sociaux doivent s’unir pour faire émerger cette conscience historique et culturelle.
Comme le précise encore Aimé Césaire : « Dans la société coloniale, il n’y a pas seulement une hiérarchie maître et serviteur. Il y a aussi, implicite, une hiérarchie créatrice et consommateur.
Le créateur des valeurs culturelles, en bonne colonisation, c’est le colonisateur. Et le consommateur, c’est le colonisé. Et tout va bien tant que rien ne vient déranger la hiérarchie. Il y a une loi de confort dans toute colonisation. Si prega di non disturbare. On est prié de ne pas déranger.
Or la création culturelle, précisément parce qu’elle est création, dérange. Elle bouleverse. Et d’abord la hiérarchie coloniale, car du colonisé consommateur, elle fait le créateur. Bref à l’intérieur même le régime colonial, elle rend l’initiative historique à celui à qui le régime colonial s’est donné pour mission de ravir toute initiative historique. »
Le continent africain uni doit retrouver ses élans de créativité et non plus choisir la facilité de l’assimilation. C’est en ces conditions que le bouleversement peut s’opérer, en refusant tout intellectualisme paresseux, en renonçant aux États féodaux, nationalistes, balkanisés pour s’engager honnêtement, sans népotisme, sans gabegie, sans détournement des deniers publics, avec respect total de la chose publique, pour bâtir l’Afrique de demain.
C’est dans ces perspectives fondamentales que j’ajoute ici que le 21ème siècle est celui de la « renaissance africaine ».
Amadou Elimane Kane est poète, écrivain.
par Aoua Bocar LY-Tall
SOULEYMANE BACHIR DIAGNE PLAIDE-T-IL POUR LA NON RESTITUTION DES ŒUVRES D'ART AFRICAINS ?
EXCLUSIF SENEPLUS - Le philosophe sénégalais affirme que les objets d'arts sont "chez eux" au Louvre, oubliant le combat historique pour leur retour. Sa conception de l'universalité apparaît comme une caution intellectuelle au statu quo colonial
Nul ne peut nier que Souleymane Bachir Diagne est un philosophe rigoureux et un érudit. Cependant, il lui arrive de mettre cette rigueur sous le paillasson par des pirouettes intellectuelles qui en étonnent plus d’un. Ce fut encore récemment le cas. J'ai lu avec étonnement ses propos dans une entrevue accordée au quotidien français La Croix du 13 octobre 2024, recueille par Mme Marianne Meunier (Cf. :https://www.la-croix.com/culture/restitutions-d-ouvres-les-objets-venus-dafrique-sont-chez-eux-au-louvre-20241013).
La Croix a d'ailleurs intitulé son entrevue par le fond de sa pensée, notamment : "Restitutions d’œuvres : « Les objets venus d’Afrique sont chez eux au Louvre »" Ce, au nom de son nouveau paradigme d'universalité que le président Macron s'est fait le plaisir de citer dans son discours d'ouverture de la XIXe session de la Francophonie tenue le 5 août 2024 à Villiers-Cotterêts, en France.
À la question de Mme Meunier : "Vous sentez-vous confronté, ici, à un récit colonial, qui célèbre une France au centre du monde, comme certaines voix le dénoncent ?", Souleymane Diagne répond : " Je me faisais cette idée du Louvre jusqu’à l’inauguration, en 2000 […] Dès lors, j’ai commencé à reconsidérer cette notion […] et à me dire que, d’une certaine façon, ce pavillon des Sessions recevait ces objets chez eux. "
Pire, Professeur Diagne renforce son argumentaire par des propos de feu Amadou Mokhtar Mbow. Il affirme que : " ... mais dans le même temps, il (Ndir Mbow) reconnaissait que ce patrimoine avait pris racine sur sa terre d’emprunt." Prendre racine dans un pays étranger pour y avoir duré ne signifie pas qu'on perd ses racines originelles et qu'on ne veut plus et/ou qu'on ne va plus retourner à ses vraies racines. Bien entendu avec leurs valeurs, leurs beautés, leurs spécificités, ces œuvres africaines ont rehaussé le statut des musées européens, et surtout, celui de Quai Branly. C'est cela que le patriarche Mbow soulignait. Cependant, l'historienne Bénédicte Savoy nous apprend dans son essai, « Le long combat de l’Afrique pour son art », Édition Seuil qu'en 1978, alors qu'il était directeur de l'Unesco, le Sénégalais, Amadou Mahtar M’bow, dans un discours qui fera date, défend fermement que : « ces biens de culture qui sont partis de leur être, les hommes et les femmes de ces pays ont droit de les recouvrer. » Et, monsieur Mbow n’a jamais vacillé de cette position qui avait été saluée ce jour là par le présentateur français Roger Gicquel dans le journal télévisé de TF1, à 20 heures. (La Croix).
Madame Savoy rappelle d’ailleurs dans son ‟passionnant et minutieux essai sur les efforts sans relâche d’un continent pour son art‟ que la demande de la restitution des objets d’art arrachés de force avait débuté par une « bombe » en forme d’injonction : « Rendez-nous l’art nègre », exige en 1965 le journaliste béninois Paulin Joachim à la une du mensuel sénégalais Bingo, lu dans toute l’Afrique francophone. (La Croix, 2024). Combat que poursuivra Mbow et beaucoup d’autres Africain-e-s et repris aujourd’hui par la jeunesse africaine.
Pourquoi professeur Diagne, votre plaidoyer au nom de l'Universel s'en tient-il uniquement à des objets d'art et ne s’étend-il pas aux Humains ? N'était-ce pas par là qu'il aurait dû commencer ? Pourquoi ne dites-vous pas aux Français au nom de votre conception d’universalité que les Africain-e-s qui arrivent en France sont chez eux ? Ce qui est fondamentalement vrai et fondé. Car, leurs ancêtres ont défendu cette France, ont versé énormément de leur sang sur cette terre française en vue de la sauver de la domination nazie et des humiliations hitlériennes. De même, les Africain-e-s resté-e-s sur leur continent ont nourri au nom de "l'effort de guerre" les Français et les ont sauvés de la faim engendrée par la première, et surtout, la seconde guerre mondiale. Les biens et les ressources (diamant, or, argent, manganèse, cobalt, uranium, phosphate, cuivre, uranium, etc.) de l'Afrique ont enrichi l'Europe et contribué à sa construction et à son essor économique. La force de travail des Africain-e-s drainée par l'ignoble "Traite des Humains" a enrichi la France et mis en valeur le dit "Nouveau monde" à savoir l'Amérique au point qu'elle soit devenue la première puissance mondiale. Aussi, ces objets d’art africains sont aussi une importante source d’enrichissement pour l’Europe, car, nul n’entre dans un musée sans payer. Pourquoi ne pas retourner une part de cette richesse à l’Afrique ? Alors, Souleymane Bachir Diagne, les Africain-e-s ne sont-ils pas chez eux en Europe, surtout dans les pays colonisateurs et aux États-Unis ?
Pourquoi avec votre puissante voix, ne faites-vous pas le plaidoyer des Africain-e-s mal traité-e-s, emprisonné-e-s, malmené-e-s, humilié-e-s, enchaîné-e-s et jeté-e-s au fond des mers, en plein désert ou au fond des geôles européens où ils sont malmené-e-s comme des bandits de grands chemins ? Pourtant, leur unique tort face à leurs pays laissés en ruine par des siècles de domination politique, d'exploitation économique, d'humiliation culturelle, c’est d'aller chercher dans cette Europe que l'Afrique a enrichie, de meilleures conditions de vie et des moyens pour aider leurs familles et leurs communautés ?
Alors, pourquoi ne le dites-vous pas aux Européens au nom de l'universalité ?
"Détruire l’universel, c’est détruire l’idée d’humanité", dites-vous toujours au cours de cette entrevue avec le journal La Croix. Détruire l’universel, n'est-ce pas plutôt déshumaniser une partie des Humains à travers des pratiques reconnues aujourd'hui comme "un crime contre l'Humanité", à savoir l'esclavage et ses séquelles qui perdurent à des traves le racisme et les discriminations. Professeur, la priorité n'est-il pas de contribuer à restaurer cette Humanité par entre autres votre conception de l'universel ?
Quand vous répondez à propos de la sculpture fon attribuée à Akati Ekplékendo, avant 1858, Bénin/Capucine-BARAT--GENDROT que : ‟« Ce “dieu du fer”, qui provient du Bénin, m’évoque la question des restitutions. Dans le film Dahomey (1), les étudiants béninois déplorent son absence parmi les 26 objets que la France a rendus à leur pays. De mon côté, je le vois bien rester ici. Cet objet est chez lui au Louvre. ‟ Là, je reste sans voix. Ainsi, vous alliez à l'encontre des aspirations du peuple africain, surtout de sa jeunesse ?
Je suis assurée que votre grand-frère, le grand combattant pour la liberté de l'Afrique et la dignité des Africain-e-s, le patriote Pathé Diagne (paix à son âme) était encore en vie, il vous aurait réprimandé en vous disant : "Non Bachir, il ne faut pas dire ça. Ce n'est pas juste. Rendons à César ce qui lui appartient. Il faut restituer aux Africain-e-s leurs objets d'art qui sont d'ailleurs dans la plupart des cas, des objets sacrés en Afrique. ..."
Dre Aoua Bocar LY-Tall est chercheure associée à l'Institut d'Études des Femmes de l'Université d'Ottawa au Canada, Historiographie et membre du COPIL de l'H.G.S ou Histoire Générale du Sénégal, sociologue/analyste, écrivaine et conférencière internationale.
Pour Ndèye Fatou Kane, cet essai «est important pour l’originalité de son approche, parce qu’il a permis pour la première fois à une Africaine, de faire parler des Africaines qui racontent leurs souffrances et de ce qui les maintenait en marge de la socié
L’essai de l’anthropologue sénégalaise Awa Thiam, intitulé La parole aux Négresses et réédité en juin dernier au Sénégal par Saaraba éditions, a permis d’ancrer le militantisme féminin en Afrique, auquel il a servi de livre fondateur, a affirmé sa préfacière, Ndèye Fatou Kane. «Avec la publication en 1978 de La parole aux Négresses, 18 ans après les indépendances», à une époque «où les Etats africains étaient en train d’être construits, édifiés, où le féminisme n’était pas encore une idéologie politique, ce livre est fondateur du militantisme féminin en Afrique, il a vraiment ancré le féminisme en Afrique», a-t-elle déclaré dans un entretien avec l’Aps. L’ouvrage signé par l’ancienne chercheuse à l’Institut fondamental d’Afrique noire de l’université Cheikh Anta Diop «vient à point nommé pour dire que les critiques ou autres accusations faites sur les violences que subissent les femmes ne sont pas gratuites, elles sont documentées», selon sa préfacière, également écrivaine.
Pour Ndèye Fatou Kane, cet essai «est important pour l’originalité de son approche, parce qu’il a permis pour la première fois à une Africaine, de faire parler des Africaines qui racontent leurs souffrances et de ce qui les maintenait en marge de la société». Le contexte de la parution du livre est aussi relevé par la préfacière, qui indique que le livre La parole aux Négresses est paru près de deux décennies après les indépendances des pays africains. «Malgré les promesses d’autonomie que pouvait laisser entrevoir cette nouvelle ère des indépendances africaines, les femmes africaines peinent encore à sortir du joug du patriarcat», affirme celle qui découvre cet ouvrage en 2018 dans le cadre de son travail d’écrivaine. La parole aux Négresses sonne ainsi comme une réponse à ceux qui disent que les féministes africaines suivent leurs sœurs occidentales, selon l’autrice de Vous avez dit féministe ?, livre dans lequel Ndèye Fatou Kane interroge les textes fondateurs du féminisme. L’essai de Awa Thiam, divisé en trois parties, relate dans son premier chapitre «Des mots de Négresses» et évoque des souffrances quotidiennes de femmes africaines qui s’expriment, pour la plupart dans l’anonymat, afin de permettre à toutes les femmes de s’identifier à leur récit. Divers sujets liés à la polygamie institutionnalisée, le blanchiment de la peau communément appelé Xessal, les mutilations génitales, les mariages forcés, entre autres, sont abordés dans leur histoire. Le deuxième chapitre s’intéresse à «Des maux de NégroAfricaines», avant de finir sur un troisième intitulé «Féminisme et révolution». Pour Awa Thiam qui réside depuis plusieurs années en France, il fallait «prendre la parole pour faire face. Prendre la parole pour dire son refus, sa révolte. Rendre la parole agissante. Parole-action, parole subversive. Agir, agir, agir en liant la pratique théorique à la pratique pratique», écrit-elle à la page 30 du livre. «Pour dénoncer une situation si ancienne qu’elle en parait éternelle, il faudra du courage et de l’obstination», fait savoir la féministe française Benoîte Groult, signataire de la première préface de la première édition de l’ouvrage en 1978. «Awa Thiam se heurtera, comme tous ceux qui ont raison trop tôt, à l’incompréhension, aux préjugés, à la haine», écrit-elle.
L’essai La parole aux Négresses dont la postface a été signée par Dr Kani Diop qui enseigne en Floride, a été réédité aussi en France en 2024 aux éditions Divergences. Il avait disparu des bibliothèques après sa publication, mais avait été traduit en allemand en 1981 et en anglais en 1986. Selon la préfacière, son autrice est très connue dans les universités américaines où l’ouvrage est enseigné. Aps
CINEFEMFEST PREPARE UNE REPONSE «FEMINISTE»
FESTIVAL Face aux crises qui affectent le continent africain - Toubab Dialaw se prépare à accueillir la deuxième édition du festival Cinefemfest qui se déroulera du 31 octobre au 3 novembre 2024.
«Solidarité transnationale et panafricaine, et cultures de non-violence» est le thème retenu pour la deuxième édition du Festival africain du film et de la recherche féministe, le Cinefemfest, qui se prépare activement. Prévu du 31 octobre au 3 novembre 2024 à Toubab Dialaw, le festival aspire à réunir des militantes féministes du cinéma, de la littérature, et des acteurs culturels pour préparer une réponse «féministe» aux crises qui affectent le continent africain.
Toubab Dialaw se prépare à accueillir la deuxième édition du festival Cinefemfest qui se déroulera du 31 octobre au 3 novembre 2024. Placé sous le thème : «Solidarité transnationale et panafricaine, et cultures de non-violence», cette année, le festival mettra l’accent sur la région du Sahel, où les féministes affrontent des défis multidimensionnels, notamment des crises politiques, environnementales, sécuritaires et économiques, qui impactent profondément les secteurs de la recherche et de la culture. «C’est pourquoi le Cinefemfest 2024 aspire à réunir des militantes féministes et des acteurs culturels afin de redynamiser ces secteurs. Le festival se veut un lieu de rencontre et de collaboration pour préparer une réponse féministe aux crises qui affectent le continent», ont annoncé les organisateurs, dans un communiqué de presse. Initiative de Njegemaar Associates, le Cinefemfest se veut aussi un lieu d’éducation populaire, utilisant le cinéma et les arts comme outils de sensibilisation et d’apprentissage. «L’objectif principal du festival est de centrer le thème de la solidarité féministe panafricaine transnationale», précise le document. En offrant une plateforme pour aborder des dynamiques de pouvoir liées à l’ethnicité, au genre, à la race et à la géographie, indique le document, «le Cinefemfest se propose de favoriser un sentiment d’appartenance» au sein des communautés.
La première édition avait été un véritable succès, avec des figures qui étaient à l’honneur telles que Safi Faye, Khady Sylla, Fatou Kandé Senghor, Johanna Makabi, Rama Thiaw, Mamyto Nakamura et Khardiata Pouye, offrant des moments d’échanges enrichissants. Pour cette deuxième édition, rappelle le communiqué, des personnalités de renom seront à l’honneur, notamment l’écrivaine Ken Bugul, la journaliste et documentariste Mame Woury Thioubou, la sociologue féministe professeure Fatou Sow, la réalisatrice et scénariste Kalista Sy, ainsi que la journaliste et chercheuse Codou Bop. Des films de réalisatrices sénégalaises et d’autres cinéastes africaines et françaises dont Angèle Diabang, Fatou Warkha Samb, Katy Léna Ndiaye, Laure Malécot, la Malienne Rokia Konaté, la Gambienne Jama Jack, la Burkinabè Leslie Tô, les Sudafricaines Lindiqe Dovey et Sandulwla Asanda, et les Françaises Ramata-Toulaye Sy et Pascale Obolo seront également projetées. «Les films féministes de Dame Guèye (L’homme Vierge) et de Moussa Sène Absa (Xalé) seront aussi projetés. Durant le festival, des sessions privées auront lieu en journée et les projections publiques le soir», lit-on dans le document.
En plus des projections, un atelier d’écriture et de création, intitulé «Intersections : genre(s), art et action-recherche», se déroulera durant le festival. Destiné aux enseignant.e.s, chercheur.e.s, activistes féministes et artistes, cet atelier d’une semaine, précise le document, a pour but de produire une œuvre collective. «Les participants travailleront ensemble pour produire des œuvres artistiques et académiques, basées sur des données empiriques et des créations artistiques. Les thèmes abordés incluront la théorie et la recherche-action en sciences sociales, les féminismes et l’activisme en Afrique, ainsi que les dynamiques de race, classe et genre au sein du cinéma et de la littérature», précise le document, ajoutant que Ken Bugul, récipiendaire du Prix Caine de la littérature africaine 2023, Mame Bougouma Diène et la chercheuse et enseignante sénégalaise Dr Rama Salla Dieng, par ailleurs directrice du festival, faciliteront les sessions de l’atelier.
NDEUK DAOUR, ALIBETA ET FELWINE SARR, ACTEURS D’UNE UTOPIE ACTIVE
Les communautés ont leurs réalités et leurs manières propres de se réguler. C’est une des choses qu’on apprend de «Ndeup, les passeurs de l’invisible».
Les communautés ont leurs réalités et leurs manières propres de se réguler. C’est une des choses qu’on apprend de «Ndeup, les passeurs de l’invisible».
«C’est l’histoire de deux sœurs jumelles. L’une rentre et elle veut installer chez elle une usine de dessalinisation mais qui était sur le siège de Ndeuk Daour Mbaye. Un faux Jaraaf lui a vendu la terre. Elle a voulu construire. On lui a dit non, elle a quand même construit. Donc, ça a provoqué le chaos, les éléments se sont déchaînés.» On a une autre jumelle. Et via les deux, on doit rétablir l’équilibre à Ouakam. Qui veut, peut s’arrêter là de lire. Ce qui suit est du détail. Le décor parle de lui-même. Ça sent Mbao, ça transpire Yoff. C’est Dakar et ça évoque un peuple. Peuple d’eau et de mer. Peuple de pêche et de xàmb. Et c’est Ouakam. Tam-tam où es-tu ? Bœuf où es-tu ? Sacrifice et rëm teëmbi tëm ? Patience, l’apothéose arrive.
Même si les premières images du spectacle sont fidèles au titre, le premier personnage de Ndeup (on devrait écrire Ndëpp non ?) semble en être décalé ! Décalé ? Non ! Ce personnage, cette dame aussi noire que sa tenue, qui parle Fkhonçais de Pakhis, dessine son chantier et rêve déjà du chef-d’œuvre qu’elle bâtira, n’est ainsi que d’apparence. Coumba Ngélaw s’était envolée (c’était sa destinée, et sa destinée aussi de revenir) au pays des Blancs pour acquérir un savoir, la voilà revenue avec du décalage par rapport à ses racines. Et si seulement elle savait ! Si seulement elle savait qu’elle est l’un des piliers par lesquels tiendra le Ouakam des profondeurs.Mais la voilà Coumba Ngélaw, aérienne, bien étrangère à elle-même, pleine de dédain dans sa manière de parler des croyances des siens. Les siens, d’ailleurs, se dévoilent. Sur scène un vieux qui marche courbé, en rouge, garni de choses qui font penser Saltigué. Et qui l’est ! On l’entendra parler de Ndeuk Daour, on le verra avertir Coumba. On le suivra exécuter sur la scène de la salle de Blaise Senghor de ces pas que les Lébous coordonnent sur les places publiques à l’occasion des Ndëpp. Sacrifice, tam-tam, où êtes-vous ? Patience, l’apothéose arrive. Mais déjà, la danse est là Rideau !
«Belle révolution technologique» ? «Ñoo bañ» !
Puis de l’eau, puis un autre personnage. C’est elle, Coumba Reen. Son nom dit l’enracinement. Un certain enracinent. Puis la voix du début de la pièce qui semblait maudire «Les Hommes», puis Ndeuk Daour qu’on évoque, puis des diablotins qui rampent (ces deux enfants sont-ils du spectacle ou rampent-ils pour ne pas déranger ceux qui suivent ?), puis le rythme qui s’intensifie, puis la fumée, puis la transe du personnage, puis Ndakaaru qu’on crie, puis Ouakam qu’on interpelle. Transe, musique, lumière, la voix, puis transe, puis boxe (ça en a l’air), puis transe, combat (et contre qui ?), puis, puis, puis silence. La salle de Blaise Senghor respire, en attendant un autre passage où on entendra la musique haletante de Ibaku accompagner la mise en scène de Alibeta.
La pièce se déroule, images et discours se succèdent. Coumba de France chantera le jour de pose de la première «qui lancera les chantiers de cette belle révolution technologique» que symbolise son usine. «Ouakam suñu gox» lui apposeront des grévistes. Coumba de France défendra sa «vision futuriste» sans oublier «les préoccupations environnementales actuelles». On lui opposera un «ñoo bañ, duñu ko nangu». Coumba vantera une «première» et on lui rétorquera un «kii moo mën duul» : la salle en rira.
Et rira bien qui rira le dernier entre les démons déchaînés et le peuple lébou qui voit son équilibre menacé. L’heure est grave : on ne sait exactement quelle porte, mais, une, des enfers, s’est ouverte. Il pleut du démon sur Ouakam ! Pour illustrer, Alibeta fera recours au numérique, qui aide à projeter la pluie infernale devant le public venu voir son œuvre. (Du numérique pour dire la tradition : voilà dans l’esprit de la mise en scène, les échos du message de la pièce. On y entendra «intelligence artificielle» et «intelligence ancestrale». Qu’on ne doit opposer, ainsi que l’expliquera Saliou Sarr après projection. Pour Alibeta, les deux restent une seule Ia qui doit profiter à tous. Et c’est le sens du programme au sein duquel sa pièce s’insère. S+T+Arts, c’est «S» pour «Science», «T» pour «Technologie», «Arts» pour. Ça parle alors innovations, technologie, avancées numériques mais aussi traditions, richesse culturelle et ancestrale d’Afrique. Ça plus les deux champs de réalité !).
Retour à la pièce : éclairs, feux, baobabs numériques, nuit, esprits malicieux qui exultent. Ces «doomu xaraam dëmm yu bon» semblent avoir gagné cette partie de la bataille. Les satans en costume blanc traversés de petites lumières, ricanent et dansent et montrent leur butin de guerre : récupéré, ils ont, la pagaie magique (de Ndeuk Daour ?)
Les passeurs de l’invisible, c’est la jumelle d’Afrotopia
La pièce se déroule et on verra Coumba de France retrouver petit à petit ses reen. L’autre Coumba, elle, se verra projetée dans le royaume des morts. «Je dois le voir» ou encore «je fais appel à mon ancêtre qui sommeille en ces lieux» : deux, parmi les lignes qu’elle y dira. Elle y rencontrera un curieux personnage. Un Maam pas comme on se l’imagine, dans une telle pièce. Alibeta surprend : ce Yadikoon (Yaa Dikkóon, pour rendre l’idée d’aller-retour ?) ouest-africain parle Reggae et publicité. Il parle fric et fait savoir à la Coumba-la-trop-enracinée que la tradition ne devrait être un poids, comme ce sac de pierres que porte la voyageuse au royaume de la légèreté, qui alourdit. Et ne dites de Yadikoon qu’il est mort ! «Les morts ne sont pas morts» ! Et si on s’entête à dire des morts qu’ils sont morts, le rasta à pipe demande de foutre la paix aux morts. Mais, ces morts ont leur rôle à jouer dans la vie des vivants qui ne savent plus où ils en sont. Et où en est Coumba Ngélaw avec le Saltigué au moment où Coumba Reen continue son voyage initiatique sous la direction artistique du Maam qui l’ouvre à l’art de la légèreté ? Ngélaw, elle, s’initie à l’art de l’enracinement ! Elle doit prendre des décisions en compagnie du Saltigué : ventoline ou «tisane sale», calebasse ou pharmacie. «Vous n’avez pas d’eau et vous voulez ruiner le projet», reproche-t-elle à son interlocuteur. «Tëjal sa gat te nga naan», le vieux à de ces termes ! Il fera comprendre à celle qui s’écrie «mais bordel je suis qui moi ?» que projet d’eau sans esprit Kirikou n’est que ruine d’investissement.
Et il sera bien content, notre Saltigué, de revoir Yadikoon. Retrouvailles des deux initiateurs, retrouvailles des deux initiées ! Qui voudront se battre, qui se battront. Rien de méchant ! «La lutte fait partie du rituel», dit le revenant du royaume des morts. Les jumelles, qui sont en vrai l’habitat des femmes de Ndeuk Daour, seront intronisées dans des robes blanches, chacune avec son rôle. Sœurs, «désormais, le sort de Ouakam est entre vos mains». Et on ne sait comment, mais, on les verra habitées par l’esprit de Felwine Sarr. On les entendra restituer les idées de l’Afrotopia de l’universitaire. «L’Afrique n’a personne à rattraper. Elle ne doit plus courir sur les sentiers qu’on lui indique, mais marcher prestement sur le chemin qu’elle se sera choisi. Son statut de fille âińee de l’humanit́e requiert d’elle de s’extraire de la comṕetition, de cet âge infantile où les nations se toisent pour savoir qui a accumuĺe le plus de richesses, de cette course effŕeńee et irresponsable qui met en danger les conditions sociales et naturelles de la vie. Sa seule urgence est d’̂etre à la hauteur de ses potentialit́es». Afrotopia pour Felwine, «utopie active» pour Saliou. Puisque la pièce d’un des Sarr est la projection artistique des pensées de l’autre Sarr. Coumba Reen, Coumba Ngélaw.
Par Hamidou ANNE
MEÏSSA FALL, NDAR NDAR
L’histoire continue et Meïssa Fall, Ndar Ndar élégant et raffiné, de son antre des rêves, l’observe dérouler son fil
J’aime beaucoup Meïssa Fall, artiste singulier à Saint-Louis, qui recycle des pièces de vélos en œuvres d’art. En 2022, une exposition à la galerie Le Manège rappelait les influences de Picasso dans son œuvre. Un tour à son atelier est un passage obligé à chaque fois que je séjourne dans la belle ville de Saint-Louis dont le blues m’inspire et m’apaise. J’aime y admirer ses œuvres magnifiques dans ce beau repaire semblable aux cabinets de curiosités apparus notamment durant le siècle de la Renaissance.
La dernière fois que j’ai vu Meïssa Fall, maître des lieux, c’était pour lui témoigner ma solidarité après la disparition de son épouse. Je suis arrivé le soir, il avait sa théière posée sur un petit fourneau dont les braises sommeillaient et renseignaient à suffisance sur le temps qu’avait duré cette séance de rituel du thé qui orne nos conversations. Le temps était doux en ce début de soirée d’un week-end d’été ; quelques légers vents secouaient l’atmosphère et transportaient les secrets des résidences attenantes à nos oreilles.
Le soleil avait déjà pris congé des berges du fleuve et la lune pleine caressait le temps, le rendant propice aux douceurs de la ville tricentenaire. Je suis arrivé comme toujours sur la pointe des pieds dans cette antre du rêve et de l’évasion. On rentre dans le studio ou l’atelier d’un artiste avec gravité et prudence pour rester fidèle aux égards que l’on doit aux arts, surtout dans un pays qui a vibré au rythme de la créativité dans un passé flamboyant.
Meïssa était au fond de son atelier, comme toujours, au milieu des vestiges des vélos qui égaient les gamins de l’île. Il s’est levé avec la gentillesse habituelle, les yeux qui pétillent et le regard si profond qu’il pénètre les multiples sensibilités de l’âme humaine. Sa voix douce me touche tellement… S’en est suivie une étreinte longue et puissante, comme celles qui disent davantage que les mots et rappellent la préciosité de la relation, ainsi que la profondeur du lien. Les mots de compassion, les échanges de civilités diverses et tendres ornent ces moments. Chez nous, on dit à la personne éplorée de relever la tête, de savoir que l’on partage sa peine, qu’elle est nôtre… Il s’agit des symboles pudiques d’une commune humanité. A la fin de la conversation, nous avons échangé quelques brefs mots sur la volonté de la «dame» de reprendre ce qu’elle considérait être son dû… La niche fabuleuse de Meïssa risquait de disparaître, au profit d’un énième projet immobilier sur l’île merveilleuse. L’art devait à nouveau céder à «l’utile»…
Des mois plus tard, je reviens sur les lieux du crime capitaliste. Cette fois au milieu de l’après-midi, dans une chaleur suffocante qui embrase SaintLouis. Les enfants ne jouaient plus au football dans la rue. Elle était déserte et calme. Quelques passants qui ne s’arrêtaient guère, mais jetaient un regard sur le chantier avant de filer. L’atelier de Meïssa, lieu onirique dont j’ai toujours dit qu’il avait un souffle pasolinien, avait disparu de l’île. Les maçons s’affairaient, gilets jaunes sur le dos, pour composer le requiem de la vie et inscrire de nouvelles lettres au fronton ; ces lettres du béton armé qui désenchantent et défigurent, et effacent. Les marteaux croisent les truelles, l’odeur du ciment agressait l’air. Qu’allaient-ils sortir de terre sur les ruines de tant de souvenirs et de créations ? Les figures qui accouchaient de l’inspiration fondamentale de Meïssa avant de se disséminer partout dans le monde cédaient la place aux ingénieurs du chaos.
C’était attendu, mais j’espérais encore une résistance des arts face à la fatalité du monstre de béton et de fer dont la furie déshumanisait et réduisait les rêves des artistes au silence.
L’atelier de Meïssa est mort. Des années de fertilité et de multiples fantaisies aboutissent au silence brutal devant l’indifférence de tout le monde. Où sont les citoyens de la République des arts ?
Mais la vie est plus intelligente que nous, me disait-on. Ces mots, désormais appartiennent aux reliques d’un temps suspendu, mais dont l’évocation rappelle que le miracle est une possibilité de la vie. Le miracle est même souvent à la lisière des désastres. Quand tout s’est effondré, quand l’espoir s’est anéanti, un surgissement demeure possible. Les personnages de Meïssa Fall reprennent souffle… en face de l’ancien lieu outragé, martyrisé et finalement effacé. Comme pour narguer l’ancienne demeure, une nouvelle émerge sur les décombres d’un monde révolu. Les lieux meurent. Les hommes meurent, mais «la vie l’emportera, l’amour, la créativité, la réforme politique l’emporteront»
L’histoire continue et Meïssa Fall, Ndar Ndar élégant et raffiné, de son antre des rêves, l’observe dérouler son fil.
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LA DÉMOCRATIE SÉNÉGALAISE SOUS L'ŒIL DE JOSEPH GAYE RAMAKA
Fátte Xaju Fi, le nouveau film examine les fondements du contrat social sénégalais. Un voyage dans le temps qui éclaire les enjeux du présent et questionne l'avenir de la nation à l'heure d'une nouvelle alternance
Dans son documentaire saisissant "Fátte Xaju Fi", le réalisateur Joseph Gay Ramaka dévoile une fresque politique captivante retraçant l'évolution démocratique du Sénégal. De l'indépendance aux trois alternances historiques, le film dessine les contours d'une nation en constante mutation politique.
L'œuvre s'impose comme un manifeste pour la mémoire collective, rappelant les luttes et les victoires qui ont façonné le paysage démocratique sénégalais. À travers une narration minutieuse, le réalisateur explore les mécanismes de la gouvernance et l'importance du respect des institutions démocratiques.
Au cœur du récit se trouve la question cruciale de l'engagement citoyen. Le film met en lumière le rôle fondamental de chaque Sénégalais dans la construction d'un "vivre ensemble" harmonieux, soulignant que la démocratie ne peut prospérer sans une participation active de tous les acteurs de la société.
Un moment clé du documentaire s'attarde sur le pacte historique signé par onze candidats à l'élection présidentielle du 24 mars, dont le vainqueur Bassirou Diomaye Faye. Ce document, fruit des Assises nationales et des recommandations de la Commission nationale de réforme des institutions, représente un engagement solennel envers les principes de bonne gouvernance démocratique.
"Fátte Xaju Fi" s'inscrit ainsi dans la tradition du cinéma engagé, servant à la fois de témoin historique et d'outil de réflexion sur l'avenir de la gouvernance démocratique au Sénégal.
LE LONG VOYAGE DES TRÉSORS AFRICAINS
Le magazine américain The New Yorker dévoile comment la réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop, refusant les compromis d'Hollywood, a fait d'un projet de fiction, un documentaire sur le retour des trésors des trésors du Dahomey
(SenePlus) - La réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop signe avec "Dahomey", un documentaire fantastique sur la restitution d'œuvres d'art africaines, après avoir décliné, selon un article du New Yorker daté du 4 novembre, des projets hollywoodiens à gros budget, dont "The Woman King". Son film suit le périple de 26 trésors du royaume du Dahomey, saisis par les troupes françaises dans les années 1890, depuis le musée du Quai Branly jusqu'à leur retour triomphal à Cotonou.
"Je ne serai jamais familière avec cet espace. C'est comme Matrix", confie la réalisatrice de 42 ans au journal américain à propos du musée parisien qui abrite plus de 300 000 pièces issues principalement de l'empire colonial français. Elle décrit la scénographie comme "déprimante, manipulatrice et complètement dérangée."
Au cœur du film se trouve "26", une statue du roi dahoméen Ghezo qui s'exprime en fon, la langue du royaume, d'une voix caverneuse. "Je suis déchiré entre la peur de n'être reconnu par personne et de rien reconnaître", s'inquiète ce narrateur singulier, se demandant pourquoi il a été choisi pour "retourner à la surface du temps."
"Je voulais réaliser une épopée fictionnelle, tout le voyage d'une œuvre d'art depuis le moment de son pillage jusqu'au moment de sa restitution, que j'imaginais dans le futur", explique Diop au magazine. Le projet est devenu un documentaire uniquement après qu'elle a appris que les trésors allaient être restitués.
Le tournage s'est déroulé dans l'urgence : "C'était comme des opérations commando", se souvient-elle, n'ayant eu que deux semaines pour préparer le film entre l'annonce du démontage des œuvres et leur envol pour le Bénin. Le Quai Branly ne lui a accordé l'accès qu'après l'intervention des officiels béninois, qui souhaitaient documenter le transfert pour la postérité.
Une nouvelle voix pour l'Afrique
"Elle a déjà eu un effet", souligne au New Yorker Felwine Sarr, intellectuel sénégalais et co-auteur du rapport Sarr-Savoy de 2018 qui a guidé la restitution du patrimoine culturel, de la France aux pays africains. "Cette question était encadrée en termes de débat occidental. 'Avez-vous des musées ? Êtes-vous capables de prendre soin des objets ? Êtes-vous en train de vider les musées occidentaux ?' Maintenant, avec le film, nous entendons les voix des personnes qui sont censées être principalement concernées."
Le film donne notamment la parole aux étudiants de l'Université d'Abomey-Calavi, près de Cotonou. Leurs discussions animées abordent des questions de classe, de religion, de langue et de géopolitique. "J'ai grandi avec Disney, j'ai grandi en regardant Avatar", témoigne l'un d'eux, "mais jamais un film d'animation sur Béhanzin", le dernier souverain du Dahomey exilé par la France aux Caraïbes.
"Nous savons tous qu'un ancêtre de notre président, Patrice Talon, était l'un des interprètes qui ont facilité le pillage", affirme un étudiant. D'autres voient le retour de si peu d'œuvres comme du clientélisme politique ou même une "insulte sauvage", et s'interrogent sur les concessions économiques ou militaires que leur propre gouvernement a pu offrir en échange.
Une cinéaste engagée
Comme le rapporte The New Yorker, Diop a créé une société de production au Sénégal, baptisée avec humour Fanta Sy (Fanta et Sy étant des noms sénégalais courants). La restitution est devenue sa synecdoque pour l'autonomisation créative de la jeunesse africaine. "Je voulais faire un film qui restaurerait notre désir de nous-mêmes", explique-t-elle.
Son œuvre arrive dans les salles américaines portée par son succès critique en Europe. En février, elle a remporté l'Ours d'Or à la Berlinale, dans la foulée de la décision de l'Allemagne de transférer la propriété de ses Bronzes du Bénin au Nigeria.
Comme l'observe Julian Lucas dans The New Yorker, aujourd'hui, les 26 trésors du Dahomey sont de retour dans des caisses, la construction des nouveaux musées censés les abriter ayant pris du retard. Le film de Diop reconnaît subtilement que la restitution n'est pas tout à fait une libération, mais suggère qu'elle n'a pas besoin d'effacer le passé pour être juste dans un avenir nécessairement imparfait.
L'une des scènes les plus éloquentes montre deux jeunes ouvriers admirant silencieusement les trésors nouvellement retournés dans une galerie autrement vide. "Leur fascination silencieuse est plus persuasive qu'un millier de rapports Sarr-Savoy", conclut le journaliste du New Yorker.
LA RECHERCHE BÂILLONNÉE
Ibrahima Thioub réagit à la polémique déclenchée par le livre sur la Casamance, dont la séance de dédicaces a été annulée sous la pression politique. Il dénonce une tentative de "manipulation" et de "mise en discipline" de la recherche universitaire
(SenePlus) - "Les projets d'autonomie ont existé et alimenté des imaginaires un peu partout en Afrique. Ces projets qui ne sont pas advenus ont laissé des traces dans les mémoires et les historiens doivent y travailler", déclare l'éminent historien Ibrahima Thioub au micro de RFI. Ces propos rapprortés par RFI, interviennent dans un contexte de vive polémique autour d'un ouvrage sur la Casamance.
La controverse a éclaté suite à la parution du livre de l'historienne française Séverine Awenengo Dalberto, "L'idée de la Casamance autonome - Possibles et dettes morales de la situation coloniale au Sénégal", publié aux éditions Karthala. Une séance de dédicaces prévue samedi a dû être annulée face aux protestations de l'Alliance pour la République (APR), l'ex-parti au pouvoir.
L'APR considère l'ouvrage comme "dangereux" pour l'unité nationale et estime qu'il "remet en question les acquis" sur la paix en Casamance. Face à ces accusations, Ibrahima Thioub, interrogé par Welly Diallo de la rédaction Afrique de RFI, dénonce vigoureusement l'attitude des autorités envers la recherche universitaire : "Ce rapport que nos autorités politiques ont avec l'université, un rapport instrumental, de manipulation, de mise en discipline, ça ne sert à rien, ça ne sert pas nos pays."
Cette ingérence du politique dans le travail universitaire fait écho à un précédent : en 2010, les autorités avaient interdit la diffusion d'un autre ouvrage sur la Casamance, "Le conflit de Casamance - Ce que disent les armes" de Jean-Claude Marut, également publié chez Karthala.
La question de l'autonomie reste un sujet épineux pour l'État sénégalais. La Casamance, séparée géographiquement du reste du pays par la Gambie, porte encore les séquelles économiques des conflits séparatistes des années 1990.
Dans ce contexte délicat, le Premier ministre Ousmane Sonko, ancien maire de la capitale régionale, a récemment annoncé un plan national de relance visant à faciliter le retour des personnes déplacées par les conflits.
SÉVERINE AWENENGO DALBERTO DANS LA TOURMENTE
"Je crains pour ma sécurité" : le cri d'alarme de l'historienne française dont le livre sur la Casamance déchaîne les passions au Sénégal. La chercheuse du CNRS dénonce une campagne de dénigrement basée sur des intentions qu'elle n'a jamais eues
(SenePlus) - Face à la vive polémique au Sénégal, Séverine Awenengo Dalberto, chercheuse au CNRS, défend fermement la nature scientifique de son ouvrage sur la Casamance. D'après l'AFP, l'auteure de "L'idée de la Casamance autonome - Possibles et dettes morales de la situation coloniale au Sénégal" fait l'objet de virulentes critiques qui l'ont contrainte à annuler une séance de dédicace prévue à Dakar.
Dans un communiqué transmis à l'AFP, l'historienne dénonce des "commentaires malveillants et infondés" sur "son soi-disant contenu" et ses intentions. Elle assure que son livre "ne vise aucunement à rouvrir les fractures comme certains pourraient le craindre", évoquant même un "climat potentiellement dangereux" pour sa sécurité.
La présentation de l'ouvrage, publiée aux éditions Karthala, devait se tenir ce samedi à la librairie "Aux quatre vents" de Dakar. L'établissement a finalement annulé l'événement mercredi, la maison d'édition évoquant "le risque de voir son déroulement perturbé".
L'ancien parti au pouvoir, l'Alliance pour la République, s'est montré particulièrement virulent, qualifiant la publication de "dangereuse" pour l'unité nationale et l'accusant de remettre "en question les acquis" sur la paix en Casamance. Les éditions Karthala ont riposté en dénonçant "une instrumentalisation politique d'un ouvrage scientifique par des personnes qui n'ont, manifestement, pas pris connaissance de son contenu".
Cette controverse n'est pas sans rappeler celle de 2010, lorsqu'un autre livre sur le conflit casamançais, "Le conflit de Casamance - Ce que disent les armes" de Jean-Claude Marut, également publié chez Karthala, avait été interdit.
La Casamance, région du sud séparée du reste du pays par la Gambie, est marquée par un des plus anciens conflits d'Afrique. Depuis le soulèvement indépendantiste de décembre 1982, ce conflit a fait des milliers de victimes et dévasté l'économie régionale. Bien que moins intense aujourd'hui, il persiste toujours, l'État maintenant son refus catégorique de toute autonomie.