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28 novembre 2024
Femmes
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PEAU NOIRE CONTRE PEAU BLANCHE
EXCLUSIF SENEPLUS - La beauté est assimilée à la clarté dans notre processus de socialisation - La peau noire n'est pas assez valorisée - La sociologue Selly Ba lève le voile sur le phénomène de la dépigmentation au micro de Lika Sidibé
La campagne contre la dépigmentation cosmétique volontaire (DVC) communément appelée Khéssa ou Xessal au Sénégal s’intensifie.
Ceux qui s’adonnent à la pratique sont nombreux, malgré les alertes sur les conséquences sanitaires, les complications infectieuses liées au phénomène étant les premières causes d’hospitalisation en dermatologie. Selon les statiques rendues publiques en 1999 par l’Agence française de sécuritaire sanitaire des produits de taux, le taux de prévalence du khessal au Sénégal était de 67 pour cent. Récemment, l’Association internationale d’information sur la dépigmentation artificielle (AIIDA) a publié des données d’une étude menées à Kaffrine, aux Parcelles Assainies et à Pikine avec des prévalences de 62, 58 et 71 pour cent respectivement.
La sociologue Selly Ba analyses les raisons qui peuvent amener un individu à pratiquer la DCV et propose des pistes de solution, au micro de la journaliste Lika Sidibé.
LES FEMMES RECLAMENT PLUS DE POSTES
Malgré la loi sur la parité, les femmes sont sous représentées dans les instances de décisions. Pour y remédier, la Cellule genre du ministère des Collectivités territoriales a réuni hier, autour d’un atelier, les élues.
Malgré la loi sur la parité, les femmes sont sous représentées dans les instances de décisions. Pour y remédier, la Cellule genre du ministère des Collectivités territoriales a réuni hier, autour d’un atelier, les élues. La rencontre leur permettra d’améliorer leurs connaissances sur le genre et sur les enjeux de son intégration dans la gouvernance territoriale.
La Convention des Nations Unies du 18 décembre 1979 et le protocole à la Charte africaine des droits de l’homme du 11 juillet 2003 sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes, tous ratifiés par le Sénégal, établissent la responsabilité des gouvernements dans la mise en œuvre de mesures visant à garantir aux femmes une participation légale à la vie politique. Depuis lors, beaucoup d’actions ont été menées, mais il reste des défis notamment par rapport à la représentativité des femmes dans les instances de décisions.
Pourtant, l’intégration du genre dans les politiques publiques est adoptée comme stratégie pour lutter contre toute forme d’inégalité et assurer à tous une participation équitable au processus de développement. De ce fait, elle représente un enjeu transversal pour l’ensemble des programmes de développement national. Représentante de l’Association des Maires du Sénégal (Ams), Aida Sow Diawara s’est d’emblée focalisée sur le rôle des femmes dans les sociétés africaines. «Elles se ont illustrées dans la gestion de nos villages et des espaces politiques traditionnels, ce qui a trait à la gouvernance territoriale.
A travers des associations, des partis politiques et des syndicats, elles ont pris part au mouvement intellectuel et à la lutte précoloniale. Leur contribution n’est plus à démontrer au Sénégal. L’émergence d’un leadership féminin n’est pas une nouveauté, mais il y a un sous effectif des femmes dans les instances de décisions», se désole la député maire socialiste. Et la représentante de l’Ams de s’empresser d’ajouter que les cultures africaines et sénégalaises en particulier sont caractérisées par une masculinisation de l’espace public et une relégation des femmes dans la sphère privée. «Malgré la loi sur la parité et les avancées notées en particulier dans la représentation nationale et dans certains Conseils municipaux et départementaux. La participation effective dans la gestion demeure encore un défi majeur à relever. Même si nous sommes 27.000 conseillères municipales, sur les 557 maires, seules 14 femmes sont des maires. Et sur les 165 députés, seules 65 sont des femmes.
Sur les 45 Départements, il n’y a que deux qui sont dirigés par des femmes. L’on mesure donc le chemin qui reste à parcourir », indique Aïda Sow Diawara. Selon le directeur de cabinet du ministre des Collectivités Territoriales, du Développement et de l’Aménagement du territorial, Abou Ahmed Seck, les défis de l’égalité entre homme et femme doivent être relevés pour une société plus égalitaire. «Le genre n’est ni une question de mode ni un slogan, c’est une condition nécessaire pour une croissance inclusive. C’est pourquoi, le gouvernement s’est engagé à mettre les questions de genre dans les politiques de développement. La lutte contre la pauvreté et le développement du capital humain ne peuvent prospérer sans une persistance d’égalité entre les hommes et les femmes», souligne-t-il.
A l’en croire, il ne s’agit plus d’être dans une position de moralisation ou de dénonciation. «Il s’agit d’être dans l’action et nous y sommes». Coordonnatrice de la cellule genre, Ndèye Maty Mbodji invite les hommes à travailler pour un changement de mentalités dans leur localité.
LA SEULE FEMME CHEF DE QUARTIER A TIVAOUANE
Sokhna Aïda Sy Ibn Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh, épouse du khalif général des Tidiane estla pièce maîtresse de l’organisation du Maouloud dans la maison de Serigne Babacar Sy Mansour.
Sokhna Aïda Sy Ibn Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh, épouse du khalif général des Tidiane estla pièce maîtresse de l’organisation du Maouloud dans la maison de Serigne Babacar Sy Mansour. Très connue pour ses activités sociales, elle est également la seule femme chef de quartier à Tivaouane.
La nomination des chefs de quartier est une prérogative des premiers magistrats des communes. Depuis quelques années, les femmes sont désignées chefs de quartier. Cent trois (103) ans après sa création par arrêté N° 933 du 31-12-1904, la commune de Tivaouane fait partie depuis 2013 des villes ayant fait confiance aux femmes, dans le cadre de ces nominations.
Ainsi parmi les 72 chefs de quartier de Tivaouane, dont 25 sont officiellement reconnus, il y a une femme. Il s’agit de Sokhna Aïssatou Sy dite Aïda, fille de Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh. Elle a été promue à la tête du quartier Serigne Cheikh Ahmed Tidjane Chérif depuis 2013. La nomination de Sokhna Aïda porte la signature de l’ancien député-maire de Tivaouane El Hadji Malick Diop qui, d’ailleurs, l’avait installée dans ses fonctions. A l’époque il s’agissait d’un nouveau quartier, qui n’avait pas encore connu une grande affluence en termes d’habitation. Sokhna Aïda faisant partie des premiers habitants, son courage a été ainsi récompensé par l’équipe municipale d’alors. Grâce à son influence, des opérations d’assainissement et de viabilisation ont été rapidement mises en œuvre. Ce qui a permis à beaucoup de familles de prendre possession de leur maison.
Aussitôt, le quartier a connu une grande extension et une expansion fulgurante dans tous les domaines. Pour maintenir ce rythme de propension rapide, Sokhna Aïda Sy a tablé sur des manifestations religieuses de grande envergure. C’est dans ce cadre que le programme «Takusaanu Seydouna Mouhamed» est calé chaque année, le dernier week-end précédant la célébration de la nuit du Maouloud. Cet évènement était fortement approuvé par Serigne Abdoul Aziz Sy Al Amine qui faisait personnellement le déplacement pour le présider. Cette dynamique influe également sur la notoriété du quartier et pousse les populations à venir y habiter.
Actuellement, le quartier fait partie les plus courus. Sokhna Aïssatou Sy dite Aïda est également connue pour ses activités sociales, en faveur des couches déshéritées. Raison pour laquelle, certains certains l’appellent affectueusement la Mère Theresa de la famille, en référence à ces actions humanitaires. C’est du vivant de son père Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh qu’elle avait exprimé le souhait d’assister les malades et les accompagnants du l’hôpital Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh. Cette démarche a rencontré l’assentiment de Serigne Mbaye Sy Mansour et depuis lors, elle sert chaque jour le déjeuner et le dîner à l’hôpital. Parfois d’ailleurs, c’est elle en personne qui fait le déplacement pour procéder à la distribution des plats.
Selon nos sources, elle accomplit toutes ces actions sociales avec ses propres moyens. Pour disposer des ressources financières lui permettant de mener des œuvres sociales, elle s’active dans la couture. Ainsi, toutes les retombées financières sont reversées dans ses actions de bienfaisance. La dimension sociale de l’épouse du Khalif Général des Tidjanes est fortement ressentie aussi par les femmes qui s’occupent de sa cuisine, car beaucoup d’entre elles ont effectué le pèlerinage à la Mecque, grâce à elle. «Sa nomination à la tête du quartier relève d’une volonté de tenter une expérience nouvelle dans la commune et de mieux faire profiter aux populations la vision et les actions d’une femme dont les actions de bienfaisance à l’endroit de toutes les personnes nécessiteuses sont connues de tous.
C’est une femme engagée qui, sans doute, saura aider le maire et l’administration municipale dans la gestion de proximité toujours recherchée et de diverses manières promue», avait soutenu l’ancien maire El Hadji Malick Diop lors de l’installation de Sokhna Aïda à la tête du quartier. En tout cas force est de constater que le quartier Serigne Ameth Tidiane Chérif, contigüe au mausolée de Serigne Cheikh, bouillonne sur le plan économique et social. Le site est dans de bonnes dispositions pour devenir un modèle dans la commune, à l’image de Sokhna Aïda, illustre descendante de Seydi El Hadji Malick Sy.
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JE N'AI REÇU NI MES BIJOUX NI MON ARGENT APRES LE NON LIEU
L’ancienne sénatrice, Aida Ndiongue, a révélé ce dimanche à l’émission Sen Jotay de la Sen Tv n’avoir reçu ni ses bijoux ni son argent après le non-lieu dont elle avait bénéficié.
L’ancienne sénatrice, Aida Ndiongue, a révélé ce dimanche à l’émission Sen Jotay de la Sen Tv n’avoir reçu ni ses bijoux ni son argent après le non-lieu dont elle avait bénéficié.
« J’étais hospitalisée quand la Cour de Répression de l’enrichissement illicite (Crei) a prononcé le non-lieu. Malheureusement, je n’ai rien reçu après cette décision. Jusqu’a présent, je n’ai reçu ni mes bijoux ni mon argent », dit Mme Ndiongue.
Avant d’ajouter: « Ceux à qui Macky avait demandé de me restituer mes biens n’ont pas exécuté les décisions du président de la République. La Cour d’appel avait demandé la même chose. Mais malheureusement, c’est la Cour suprême qui s’est opposée à cela ».
Mais elle ne désespère pas : « Je reste toujours à l’écoute de la justice ; peut-être un jour ils me rendront ce qui m’appartient. Ou bien j’irai acheter une montre le jour où on vendra mes bijoux aux enchères ».
Pour rappel, Mme Aida Ndiongue était détenue dans une affaire d’enrichissement illicite et condamnée à 5 ans de prison avant de bénéficier d’un non-lieu.
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N'GONÉ FALL, OBJECTIF AFRICA 2020
Évoquer son nom, c’est réveiller Dakar, la Revue noire, Niamey, où elle a ses attaches et la vieille France dont elle s’était éloignée un peu trop longtemps... Rencontre avec une intellectuelle insoumise
L’insaisissable N’Goné Fall est là. Eh oui, cette intellectuelle insoumise a été choisie par l'Élysée, pour orchestrer la saison culturelle Africa 2020déclinée partout en France, entre juin et décembre 2020. Autant dire que cette commissaire d’exposition, architecte de formation, s’y connaît en nuits blanches.
On l’a dit forte tête, frondeuse et cash: « La France - dit-elle- doit changer de focale et ne plus regarder l’Afrique par le prisme du mâle noir et du migrant ». Mais, la fonction faisant le larron, sans doute que N’Goné Fall devra devenir diplomatiquement cash. Évoquer son nom, c’est forcément réveiller Dakar, la Revue noire, les Rencontres photographiques de Bamako, Niamey, Le Caire, Le Cap où elle a ses attaches et la vieille France dont elle s’était éloignée un peu trop longtemps...
Bien qu’éludé par le parti au pouvoir, le débat sur la succession du président de la République Macky Sall reste au cœur du débat public. Agissant plus qu’elle ne parle, Aminata Touré émerge de plus en plus dans le pool des potentiels prétendants
De tous les prétendants, elle est sans doute l’une des plus courageuses, des plus audacieuses. Ses ambitions sont devenues un secret de Polichinelle. Dame de fer, forte tête, dur à cuir… Toutes ces expressions mènent à l’actuelle présidente du Conseil économique, social et environnemental. De 2012 à maintenant, l’ancienne fonctionnaire des Nations unies n’a presque jamais cessé de jouer les premiers rôles au sein de l’Alliance pour la République, parti au pouvoir. Ministre de la Justice aux premières heures du règne de Macky Sall, elle a réussi à faire de cette station un tremplin pour entrer dans le cœur de beaucoup de Sénégalais. Rien ne l’arrêtait. Même pas le président de la République. On se rappelle le dossier fleuve de la traque des biens mal acquis avec l’histoire de la médiation pénale.
De ce fait, sa nomination au poste de Premier ministre, le 1er septembre 2013, était perçue comme un cadeau empoisonné par certains observateurs avertis de la scène politique. La suite, tout le monde la connait. Battue à plate couture, lors des élections locales de juin 2014, elle a été limogée sans ménagement, malgré ses bonnes notes sur le plan socio-économique. Nonobstant la grosse désillusion, l’ancienne pensionnaire du lycée Waldidio Ndiaye de Kaolack poursuit son combat aux côtés de son leader. Toujours plus déterminée et convaincue que son étoile, un jour, brillera.
Consciente qu’en politique, il faut une base pour exister, elle décide alors de retourner à ses origines, dans la capitale du bassin arachidier. Sur place, elle se heurte à un mur de caciques qui voient, en ce retour au bercail de la très ambitieuse et politique dame, une menace pour ce qu’ils ont toujours considéré comme leur chasse gardée. Malgré l’hostilité, l’ancienne directrice de campagne réussit à se refaire une nouvelle santé politique, à faire oublier sa débâcle de 2014. Sa pugnacité, sa patience et son engagement militant ont fini par payer.
En février 2015, l’ancien Premier ministre revient aux affaires avec le modeste poste d’envoyée spéciale du président de la République. Plusieurs en riaient, mais elle, le prenait très au sérieux et continuait son petit bonhomme de chemin.
Après la brillante victoire de Macky Sall en 2019 dont elle fait partie des artisans, elle a été promue à la tête du Cese, devenant ainsi la troisième personnalité de l’Etat. Une nouvelle consécration qui réveille encore ses camarades de partis, jaloux et envieux. En fait, quand il s’agit de Mimi, les promotions comme les sanctions ont une toute autre saveur. Selon le bord où l’on se situe, les commentaires vont bon train. La bonne dame ne laissant personne indifférent. A l’orée de sa nouvelle mission, certains estimaient : ‘’Mimi envoyée à la maison des retraités’’. Cette caricature n’était pas si dénuée de tout fondement. En effet, après Famara Ibrahima Sagna, Ousmane Masseck Ndiaye, Mbaye Jacques Diop… le CESE a été un terminus pour beaucoup de ‘’ndanaanes’’ (personnalités politiques). La dernière victime est devenue l’une des plus grands détracteurs de Mme Touré, bourreau de Karim Wade et de Serigne Béthio. Mais, c’était mal connaitre Aminata Touré, peinte comme une véritable athlète, au propre comme au figuré, que de la donner pour morte.
Loin s’en faut ! Toujours droite dans ses coquettes, elle fonce sur son objectif, pour beaucoup, sur 2024. Ses actes valent bien plus que des mots. Ainsi, si le dessein de l’éminence grise du Palais était de tuer la challenger dangereuse, c’est peine-perdue. Au CESE, l’ancienne Premier ministre renait de ses cendres. Et dès les premiers actes, Mimi commence à agacer selon le magazine panafricain Jeune Afrique citant l’entourage même du Président. Malgré tout, la ‘’Margaret Thatcher’’ sénégalaise continue sa révolution économique, sociale et environnementale au CESE. Après l’ouverture officielle de la session, le mardi 29 octobre dernier, sur le thème de l’évaluation prospective de l’acte III de la décentralisation avec l’audition de M. Oumar Gueye, ministre des Collectivités territoriales et de l’aménagement du territoire, le Conseil a lancé une série de panels sur le civisme pour marquer la différence. Il s’agit de recevoir des experts de haut niveau sur des questions d’actualité et de nourrir la réflexion en vue de trouver des solutions. Le dernier en date portait sur les accidents qui n’en finissent pas de provoquer la désolation et l’ire des populations.
Avec Aminata Touré, le Conseil économique, social et environnemental commence ainsi à changer de visage, à multiplier les activités et à mieux les vulgariser. Pendant que ses concurrents dorment, Mimi avance à grand pas, en s’entourant des meilleures compétences. Outre les nominations, la mise en place d’une task-force, son entreprise de modifier le règlement intérieur du CESE sème davantage la panique, jusque dans l’entourage proche du chef de l’Etat. En fait, ce dernier y verrait une volonté de l’ancienne ministre de la Justice de se déployer dans le Sénégal des profondeurs. Il n’empêche, pour beaucoup, Mimi, comme l’appellent les Sénégalais, n’en n’est pas moins un poids plume, car dépourvue de base consistante. C’est d’ailleurs là son grand challenge, d’ici à 2024.
Qu’à cela ne tienne ! Le Palais, qui défend de parler du mandat reste sur ses gardes et veille au grain. D’ailleurs, si l’on en croit Jeune Afrique citant toujours des sources du Palais, Macky Sall s’est voulu ferme, en rappelant à ses ministres que la présidente du CESE n’est pas leur supérieure.
Aminata Touré et l’histoire des toilettes
Par les temps qui courent, les faits et gestes de certains responsables du régime sont épiés comme du lait sur le feu. Poussant certains à revoir leur calendrier, à bien peser les mots qu’ils utilisent à l’occasion de certaines cérémonies. Aminata Touré, elle, continue son calendrier, comme si de rien n’était. Dernièrement, il a suffi d’une vidéo, la montrant en train de couper un ruban, lors de l’inauguration de blocs sanitaires au lycée Waldiodio Ndiaye de Kaolack, pour que la toile s’enflamme. Très vite, certains ont fait la corrélation avec ses ambitions présidentielles. D’autres la tournant en dérision, en trouvant insignifiant le don.
Ousmane Dème qui dit être un proche de l’ancien PM, témoigne sur l’histoire de ces latérites. ‘’Je vous appelle de la France. C’est pour témoigner à propos de ces blocs sanitaires. La construction a commencé au mois de janvier. A l’époque, elle était juste envoyée spéciale. C’est de sa poche qu’elle s’est engagée à construire ce bloc de 12 toilettes en tant qu’ancienne pensionnaire du lycée. Quoi de plus normal’’. Ayant piloté une partie du projet, il témoigne : ‘’Il faut savoir que le lycée compte 4000 élèves. Et il n’y avait pas de toilettes. Les élèves allaient dans le voisinage pour satisfaire leurs besoins. C’était donc devenu une nécessité. Maintenant, si les autorités de l’école décident de la remercier, parce qu’elle a fait un acte salutaire, elle n’y est pour rien. Il faut cesser de diaboliser les gens’’.
Responsable à l’APR de Fatick, Ousmane est également revenu sur la volonté prêtée à son ‘’amie’’ de vouloir se présenter. ‘’Elle en a le droit. Elle ne m’a rien dit, mais si elle se sent prête, pourquoi pas. Moi, je suis de l’APR, je suis de Fatick, mais il faut arrêter. Macky Sall n’est pas un dieu. Moi, je considère que les responsables qui veulent se présenter ont tout à fait le droit de se déclarer. Que ça soit Mimi, Aly Ngouille Ndiaye ou un autre. Le Président n’a qu’à continuer le travail pour lequel il a été réélu’’.
JE LE CONSIDÈRE COMME UN HONNEUR DE REVENIR AUX AFFAIRES POUR SERVIR MON PAYS
C’est sa première réaction après sa nomination au poste d’Envoyée spéciale. Me Aïssata Tall Sall, qui remercie le chef de l’Etat, a aussi répondu à ceux qui doutent de la pertinence et du contenu de ce poste.
C’est sa première réaction après sa nomination au poste d’Envoyée spéciale. Me Aïssata Tall Sall, qui remercie le chef de l’Etat, a aussi répondu à ceux qui doutent de la pertinence et du contenu de ce poste. «Le poste n’existe que par ce que la personne nommée en fait», a-t-elle dit hier par téléphone. Et puis, ajoute le maire de Podor, «il y a tellement à faire qu’il n’y a peut-être que les ignorants qui peuvent penser ainsi».
Comment avez-vous ac cueilli votre nomination au poste d’Envoyée spéciale ?
Je voudrais d’abord remercier le Président Macky Sall pour la confiance qu’il a placée en moi. J’imagine que c’est une lourde responsabilité qui m’attend à ce poste d’Envoyée spéciale. Je tâcherai d’être à la hauteur et de ne pas le décevoir en me mettant exclusivement au service du Sénégal parce que mon éthique, ma déontologie, mes principes, ma façon même de concevoir et de faire la politique, c’est seulement cela qui m’intéresse aujourd’hui.
Quand le Président m’en a parlé, je l’ai considéré comme un honneur de revenir aux affaires pour servir mon pays. Et je n’ai pas hésité une seconde à accepter d’être à ses côtés et à exécuter les missions qu’il ne manquera pas de me con fier.
Qu’est-ce que cela vous fait de remplacer une autre dame, Aminata Touré en l’occurrence, qui a été la première personnalité à occuper ce poste ?
Beaucoup de fierté. Vous savez, les gens ne savent pas que Aminata Touré et moi avons toujours eu des relations empreintes d’amitié, de respect et d’estime réciproque. Il n’y a pas encore 10 jours, je suis partie lui rendre une visite de courtoisie parce que depuis sa nomination à la tête du Conseil économique, social et environnemental, je n’avais pas eu l’occasion de le faire.
J’ai estimé que je devais le faire pour une double raison : la première, c’est qu’elle est à la tête d’une institution qui doit remplir un rôle extrêmement important dans les questions de développement qui se posent à nos Etats. Tout le monde sait aujourd’hui que le défi de l’environnement est presque civilisationnel. Comment devons-nous changer nos comportements, nos attitudes et même nos idées par rapport, j’allais même dire, à notre existence ?
Et être à la tête d’une institution qui s’occupe de cela et qui doit conseiller le président de la République et défendre les idées sur la sauvegarde et la préservation de l’environnement et de notre culture, je pense que cela est extrêmement important. Il était bon qu’une femme soit à la tête d’une institution comme celle-là, même si ce n’était pas une première. Mais je suis partie quand même la féliciter et l’encourager.
La deuxième raison, c’est que sur le plan politique, nous avons toujours échangé, elle et moi. Vous savez, en politique, les femmes ont le même défi et mènent le même combat au-delà de ce qui peut les distinguer et les différencier sur l’option fondamentale et politique qui guide leurs actions.
Donc, J’ai toujours discuté avec Aminata Touré, et je crois que cela a fait que je me fais un devoir de me déplacer et d’aller la voir. Et hier (aussitôt après sa nomination), elle m’a bien renvoyé l’ascenseur puisqu’elle m’a téléphoné. Nous avons discuté et nous allons continuer à le faire pour le bien et l’intérêt du Sénégal.
Certains doutent quand même de la pertinence de ce poste d’Envoyée spéciale. Quelles devraient être vos missions ?
Le poste n’existe que par ce que la personne qui est nommée en fait. L’idée que j’en ai est extrêmement sérieuse et importante. Et aujourd’hui, sur le plan international comme national, nous pouvons accomplir et mettre en œuvre la politique définie par le chef de l’Etat.
C’est quand même du sérieux. D’autres responsabilités sont confiées aux uns et aux autres, pas seulement à l’Envoyée spéciale, mais à tous les autres qui, autour du président de la République, lui devant et nous avec lui, les réalisent pour le bien du Sénégal.
Et puis, je crois que c’est un peu tiré par les cheveux - excusez-moi du terme - que de dire cela. En tout cas, moi j’ai la pleine confiance que c’est une mission extrêmement importante au service du Sénégal. Et je l’accomplirai inchallah dans la plénitude de mes capacités et de mes compétences.
Mais justement, certains en rigolent parfois en disant «Envoyée spéciale où ? En quoi ?». Qu’en ditesvous ?
Mais Envoyée spéciale partout où cela est nécessaire et pour la sauvegarde des intérêts du Sénégal et de son image. Pour cette tâche-là, je pense qu’il y a tellement à faire qu’il n’y a peut-être que les ignorants ou ceux-là qui ne connaissent pas la République, qui est chose sacrée, qui peuvent penser ainsi.
Cette nomination entraîne votre départ de l’Assemblée nationale après quand même deux Législatures…
Oui je peux dire en vraie nostalgique, l’Assemblée nationale est un cénacle très formateur pour le politique. J’y ai énormément appris et je pense que c’est le lieu par excellence où les politiques s’affrontent dans le sens noble du terme. Quand je suis arrivée à la première Législature à laquelle j’ai eu l’honneur de participer, j’ai énormément appris. Comme on dit, j’ai blanchi sous le harnais des débats parlementaires.
Et d’ailleurs, mes collègues députés n’ont pas manqué de me dire hier : «Ta voix va nous manquer.» Et je leur ai répondu que ce sont eux et les débats qui me manqueront. C’est peut-être aussi cette hargne et cette passion qui me manqueront. Mais bon, c’est une autre façon aussi de faire la politique et, comme je le dis, au service du Sénégal. Parce que pour moi, l’essentiel c’est le Sénégal et seulement le Sénégal.
L’Assemblée, c’est aussi un lieu où vous aviez un ton beaucoup plus libre, n’estce pas ?
Vous savez, à chaque responsabilité ses avantages et ses inconvénients. On ne peut pas avoir des fonctions gouvernementales, être un soldat pour le pays, et puis revêtir le manteau d’une liberté absolue. Je pense que l’un dans l’autre, il faut savoir garder la mesure et je ne dérogerai pas à cela.
Qu’est-ce que ce poste peut vous apporter de plus dans votre militantisme à Podor ou pour la mairie ?
Je pense que j’ai bien mené ma mission de maire. Mais c’est aux Podorois d’en juger. Que je sois aux affaires ou dans l’opposition, je ne suis qu’à la disposition des Podorois. Et cela restera inchangé. Donc, je ne vois pas ce que cela peut apporter, non plus que ce que cela peut amoindrir. Je reste le maire de Podor, au service des Podorois avec ce que je peux faire, avec mes relations internationales, et je continuerai cela.
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SEYNABOU DIOUF NOMMÉE « FEMME POLICIÈRE DE L’ANNÉE » PAR LES NATIONS-UNIES
Dans une lettre ouverte adressée au ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, la fille Fatoumata de la lauréate, retrace le parcours de sa mère, radiée de la police par l’ancien président Abdou Diouf
Seynabou Diouf a été désignée « Femme policière de l’année » par la mission onusienne de la Munisco au Congo. Une consécration qui couronne des années au service de la mission onusienne. Mais, le parcours de Seynabou Diouf n’a pas été un long fleuve tranquille. Dans une lettre ouverte adressée au ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye, sa fille Fatoumata Biinetou Kane, trace le parcours de sa mère, radiée de la police par l’ancien président Abdou Diouf. « Seynabou Diouf, ma mère, est la Première Femme Gardienne de la Paix du Sénégal, seule femme, et Major de sa promotion, la 20ème. C’est cette promotion qui a fait l’objet d’une radiation, par le Président Abdou Diouf. Oui, elle a fait partie de ces milliers de personnes tristement radiées et qui ont dû supporter pour la plupart des années de souffrance, 7 ans plus précisément pour ma mère », raconte sa fille. Qui retrace les années de galère de sa famille. « Vous pouvez deviner la galère durant ces années, sans aucun revenu, dans une famille pour qui elle s’est sacrifiée et a fait le 1er concours qui s’était présenté à elle, renonçant ainsi à son rêve de devenir médecin. »
Sept ans plus tard, Seynabou Diouf sera réintégrée dans les rangs de la police. Tour à tour, elle sera affectée à la police municipale de Dakar où elle a servi jusque vers l’an 2000. En 2004, elle est sélectionnée pour représenter le Sénégal au Darfour pour une mission de maintien de la paix. « Elle y fera trois ans avant de rentrer définitivement au pays avec les "regrets" de ses supérieurs et collègues d’alors », mentionne sa fille dans sa lettre adressée au ministre.
En 2006, elle est affectée au commissariat spécial de l’aéroport international Léopold Sedar Senghor de Dakar où elle sert jusqu’en 2015. Puis, s’en suivent respectivement ses missions à la MINUSMA et à la MINUSCO, où elle est encore.
2019, année de la consécration. « Au Congo, où elle sert actuellement, et à force de travail, elle est élue "Femme de l’année" et ce pour toutes les missions onusiennes. » Seynabou Diouf se bat contre les abus et exploitation sexuelles contre les femmes.
La cérémonie de remise de ce "trophée" se tiendra à New York, le 4 novembre.
LA CHRONIQUE HEBDO D'ELGAS
SOKHNA BENGA, LA TRADITION ÉCRITE
EXCLUSIF SENEPLUS - Avec 24 livres au compteur, elle est l’autrice sénégalaise la plus prolifique. Entretien et portrait d’une incontournable dame des Lettres, égérie du génie local - INVENTAIRE DES IDOLES
Avec 24 livres au compteur, Sokhna Benga est l’autrice sénégalaise la plus prolifique. Après des débuts couronnés par de nombreux prix qui ont marqué nombre de lecteurs sénégalais, son « aura » semble avoir un peu baissé. A plus de 50 ans, c’est pourtant une battante qui publie toujours et porte un regard acéré sur la société sénégalaise, matière première de son œuvre. Entretien et portrait d’une incontournable dame des Lettres, égérie du génie local.
C’est à Sagne, village royal au cœur du Sine que naît la trame du premier roman de Sokhna Benga. Elle a alors moins de treize ans quand elle y effectue une visite. Interpellée par le destin et la condition d’une femme, et mue par « une nécessité à écrire pour dénoncer l’inceste, la drogue, la violence », elle en fait un livre, Le dard de secret. Le génie du titre frappe d’emblée par son caractère épique. La promesse sera tenue le long des pages de ce roman inaugural, où l’histoire d’amour entre un frère et une sœur qui l’ignorent, donne à voir l’inceste sous un jour nouveau. Sokhna Benga, élevée dans l’amour de ses parents, comme elle le confie « j’étais une enfant choyée et dans mon innocence je croyais que les parents, la famille, la société devaient nous protéger », est comme arrachée à la candeur de sa vie ouatée, en découvrant les malheurs qui sévissent hors des conforts et privilèges des bonnes naissances. Comme cette anecdote qu’elle relate et qui la pique à vif : « la rumeur d’un enfant abandonné dans un grand pot de tomate de cinq kilos alors que j’avais à peine dix ans ». Elle se fait ainsi une vocation. La volonté de narrer ces destins brisés sera la sienne. Pour le faire, elle promènera sa plume dans les faits, sociaux plus que divers, avec l’outil souple de la fiction dans lequel elle assoit vite un savoir-faire. Toute cette appétence se retrouve au centre de ce premier roman fort, à l’écriture déjà fiévreuse, et à la fois poétique, avec en toile de fond un regard sur une société et ses grands problèmes. Le Dard du secret séduit Dakar et au-delà, au début des années 90. L’autrice reçoit le grand prix de la commune de Dakar en 1988, à seulement 21 ans.
Un départ en fanfare et des honneurs
L’envol est promis à cette jeune femme, à la beauté saisissante et au visage mantique dont les traits fins et la silhouette élancée ne manquent pas de faire penser à Mbissine Diop, l’héroïne du film de Sembène : La noire de. Toutes les prédispositions perçues dans le premier roman apparaissent encore avec plus de vigueur et de netteté dans le deuxième roman, La balade du Sabador. Le génie du titre est encore ici comme une marque de fabrique qui s’affirme tant l’image est parlante sur les seigneurs du patriarcat et leur nonchalante domination. Le texte ouvre un champ de malaise et d’inconfort, en traitant du handicap dans sa forme la moins voyeuriste. La plume comme art du combat. L’auteur se souvient avoir écrit pour « dénoncer le comportement inacceptable des hommes envers les femmes et aussi les personnes handicapées ». Tous les personnages, englués dans le malheur dans lequel les plongent les regards de la société - l’un infirme, l’autre mère accusée à tort de sorcellerie entre autres - retrouvent une vie sous l’écriture de la romancière, déjà rompue à l’art de l’intrigue et aux fétiches littéraires de la narration. Le livre n’est pas sans rappeler l’admirable livre de Malick Fall, La plaie, réflexion déjà sublime sur le handicap, la folie, la misère, à travers la métaphore de la plaie béante et du fou errant. La balade du Sabador séduit lui aussi le jury du prix du chef de l’Etat qu’elle obtient en 2000. Elle goutte ainsi aux honneurs, se voit remettre l’étoffe de chevalier de l’ordre national du lion au Sénégal et celui des arts et lettres en France. Ainsi épinglée, l’aventure littéraire est bien lancée pour cette juriste de formation qui dit de l’écriture qu’elle lui est « venue toute seule, elle ne l’a pas choisie. »
Presque 30 ans après, Sokhna Benga est simplement l’écrivaine sénégalaise la plus prolifique. Elle ne compte pas moins de 24 livres, des sagas, de la littérature pour enfants, de la poésie. On peut citer parmi tant d’autres ses deux trilogies, les aventures de l’impétueux Waly Nguilane, ou encore Le temps a une mémoire, romans policiers. De la poésie aussi dont un bijou récent Les cris fauves de ma ville, édité par les Lettres de la Renaissance, maison française dirigée par le philosophe Abdoulaye Elimane Kane. Ce dernier signe d’ailleurs une préface flatteuse, emphatique, qui dit ceci : « ce manifeste amoureux qui place la création esthétique dans l’excellence et la magnificence ». Le compliment pèse de la part d’un des esprits les plus brillants du pays. La même maison édite aussi Pape Samba Kane, auteur du remarquable Sabaru Jinne, sorte de jumeau de Sokhna Benga dans l’inscription dans un agenda sénégalais. Au total, l’autrice couvre un large spectre de genres et se réserve encore une belle carrière. Ces chiffres donnent le tournis mais surtout ils interrogent sur la place réservée à cette autrice dont les écrits semblent s’être ensablés dans la profondeur des mémoires. Nombreux sont ceux qui ne connaissent que furtivement son œuvre et qui la croient retraitée des activités littéraires. C’est si étrange qu’aller à la rencontre de son œuvre, c’est s’introduire dans un monde en noir et blanc, parfois en sépia, où les couvertures de livres portent encore la marque d’un temps vieux où l’objet-livre avait une vraie vie à Dakar. Les éditions Khoudia qui la publient, avant les Nouvelles éditions africaines du Sénégal, le Nègre international, maisons d’édition qui avaient fait le pari du local, n’ont quasiment plus droit de cité. Elles ont soit disparu ou soit vivoté dans un champ restreint.
Cette confidentialité n’émeut ni ne retient Sokhna Benga, qui continue sa production. Le Salon du livre de Paris en 2018 où elle a été membre de la délégation sénégalaise chargée de porter l’étendard des lettres sénégalaises, a été une occasion de la revoir, dans son boubou traditionnel, son moussor bien vissé. L’âge a à peine crispé les grâces de ce visage toujours énergique, dont les moues tantôts espiègles, tantôt absorbées, disent l’assurance. Ambassadrice des lettres sénégalaises, quoique moins célébrée sur la scène continentale ou diasporique où se font et se défont les réputations, Sokhna Benga est consciente de ce paradoxe et calme le jeu au téléphone quand on s’étonne que son œuvre soit moins à l’affiche. Elle lance une pique douce « Est-ce que les livres dont en parle sont meilleurs ? Mes œuvres intéressent le cinéma et la télévision, c’est l’essentiel ! » Elle ponctue la fléchette avec un rire et cette voix aigüe et passionnée qui marque son timbre.
L’édition locale, grand corps malade
Pourtant l’autrice connaît les faiblesses de l’édition locale, entre la minceur du réseau de distribution, les grands déficits éditoriaux, la communication rudimentaire, l’abaissement de la qualité que constituent les comptes d’auteurs. Les sujets dits africains n’intéressent pas les éditeurs de grande envergure domiciliés à Paris, les logiques de lectorats et commerciaux, tout à fait légitimes par ailleurs, proscrivent ainsi des textes destinés à un rayon réduit de lecteurs. Autre aspect plus délicat à évoquer sans tomber dans le jugement, c’est la qualité parfois médiocre des œuvres des petites maisons locales, où de la pagination à la maquette, sans évoquer les contenus, la fabrication du livre signe son propre bon à mettre à la poubelle. Dans ce cas de figure, Sokhna Benga fait office de résistante. Elle qui a créé Oxyzone, une maison spécialisée en littérature pour enfants et qui a fait paraître depuis 2006, 23 œuvres, sait que le manque de moyens est la deuxième lame qui vient cisailler les belles idées. Dans cette morose actualité de l’édition locale et de ses infortunes, elle paraît tirer son épingle du jeu, toujours grâce à son talent de narratrice et à son habitude de traiter « de sujets dits tabous dans une société faite d’apparence et de non-dits : inceste, prostitution, trafics de drogues et d’autres substances psychotropes, pédophilie, crise politique et sociale… »
La diseuse du pays sereer et les mentors
De toute son œuvre, lyrique, sans dériver dans les mièvreries propres à l’écriture pour l’écriture, sa prose porte quelque chose dans l’estomac pour reprendre le titre de Julien Gracq. Caractéristique commune de cette œuvre, un localisme. Partir de soi pour conquérir les autres, c’est comme son mantra. Raconter les siens, se raconter et l’exposer à l’universel. C’est une œuvre dont « les racines plongent dans le substrat local sénégalais » et qui ne s’interdit jamais de lorgner ailleurs, de voyager. Plus qu’ambassadrice des lettres, c’est une conteuse qui se nourrit d’anecdotes, vieilles ou récentes. D’ailleurs le dit-elle, avec une certaine gourmandise « mon œuvre est un chant d’amour à mon peuple. Un chant cher à mon cœur qui plonge ses racines dans le passé, dans le présent et dans l’avenir ». On pense à Césaire, à « la bouche de ceux qui n’ont point de bouche ». On pense aussi à Senghor « être la trompette du peuple ». Mais plus encore, ce goût pour l’histoire locale s’est forgé avec de beaux mentors.
D’abord sa grand-mère, Bambi Diouf qui lui apprend « à aimer les légendes et les traditions depuis ma prime enfance. Elle avait cette habitude de nous raconter chaque nuit un conte, dans la cour de notre demeure ancestrale de ma branche maternelle, à Peulgha, un quartier de Fatick dans le Sine, pendant les vacances scolaires ou les weekends que nous passions chez elle. » L’image est commune, comme le chemin naturel de la tradition dite orale, devenue captive des représentations hâtives de la soi-disant culture africaine. Cette tradition, Sokhna Benga l’écrit, y plonge. Elle la narre. Elle la sort de sa seule période historique pour lui donner vie. On se balade ainsi en pays sereer. On note, chez elle plus que tous les autres, un récit qui fait corps avec un ensemble, une écriture ancrée au cœur des décors familiers, dont elle puise et répand la substance. Les autres mentors, c’est une conception du travail de romancier faite de labeur, de plongée dans les archives. Pour elle, « l’oralité et l’écriture ne sont que des outils. Des véhicules de notre culture. La bibliothèque de Tombouctou, la fondamentale charte de Kouroukan-Fouga ou charte du Mandé, des exemples qui prouvent pour elle que cette assertion selon laquelle l’oralité est proprement africaine est à relativiser ». Une sagesse bienvenue corroborée par nombre de recherches en histoire. Et ça ne s’arrête pas là, pour écrire, elle va à la forge. Ainsi apprend-on que ses œuvres « sont le fruit d’années de recherches et de compilation et de recoupage de documentation (témoignages, archives nationales, IFAN, missions de terrain, etc.). La seule exception est le Dard du Secret. Pour la Balade du Sabador, il m’a fallu quinze ans de recherches. Bayo, dix ans. Waly Nguilane, trois ans. Le temps a une mémoire, dix ans. » Aux aptitudes et aux talents littéraires s’ajoute donc cette forme de la méditation et la solitude propre à l’arrière-cuisine du travail littéraire. Cela sonne presque comme un conseil aux aspirants littérateurs.
De la poésie au théâtre, l’œuvre de Sokhna Benga se singularise aussi par le tropisme des sagas. Plusieurs romans se déclinent ainsi en plusieurs tomes. Cette inclination lui vient de son « amour pour les sagas, les contes et certains romans africains ». Il s’esquisse ainsi ses modèles. Pêle-mêle : Maurice Denuzière, Louisiane… Margaret Mitchell, Autant en emporte le vent… Les oiseaux se cachent pour mourir, Colleen Mac Cullough. Birago Diop, Contes et Lavanes. Ken Bugul, Le baobab fou. Boubacar Boris Diop, Le temps de Tamango. Abdoulaye Sadji, Maïmouna… Toute l’œuvre de Léopold Sédar Senghor… On découvre ainsi d’où vient l’éclectisme qui la caractérise. L’écriture puise dans différents genres, dans plusieurs types de discours et de registres du récit. Mais celui à qui vont ses honneurs, c’est son père, dans ses propres mots enthousiastes « mon idole » écrivain, auteur de Maxureja Gey, chauffeur de Taxi. Ce père, elle l’a perdu jeune, en 1982, l’année de son DFEM. Episode tragique qui a forgé son caractère.
Le père, le repère et le pair des lettres
Dramaturge célèbre, Ibrahima Mbengue peuple en effet encore les mémoires sénégalaises. L’admiration de la fille est légitime. Pas en reste, sa mère, responsable de la ligne des caisses des magasins Score (actuel Casino). La petite est choyée. Comme valeurs, on lui transmet « le respect de soi et de la parole donnée, l’amour de son prochain. » Elle poursuit ses études dans la prestigieuse institution des Martyrs de l’Ouganda, et ensuite dans la non moins prestigieuse et sélective Maison d’éducation de l’Ordre national du lion, actuelle Mariama Ba de Gorée. Elle y reçoit une éducation stricte, une discipline, et une introduction aux sujets féministes. Elle décrit le souvenir de cette période comme « unique et impérissable ». Direction la Fac de sciences juridiques et économiques de l’UCAD pour des études de droit, ensuite cap à Brest ensuite pour faire une spécialisation en droit des Activités maritimes (DESS). Elle revient juriste « maritimiste ». Pour celle qui rêvait de devenir médecin, le destin lui fait d’heureuses surprises. Elle est aujourd’hui Administrateur des Affaires maritimes et Directrice des transports maritimes et fluviaux et des Ports à l’Agence nationale des Affaires maritimes (ANAM). L’écriture « c’est ma vocation » dit-elle. Pour les passions « les voyages à l’intérieur du Sénégal, la plage, le cinéma ». Petit tracé de goûts simples que l’on retrouve dans son œuvre. Comment trouve-elle le temps ? Elle a son secret et surtout sa conviction « l’écriture est ma passion, pas mon gagne-pain ». Elle ajoute plus loin pour préciser sa gestion du temps « Je profite de mes permissions et congés et de quelques heures à la descente. »
Une intellectuelle à l’affût des questions modernes
Dans le long entretien qu’elle nous accorde que vous retrouvez en intégralité ici, ce qui frappe, c’est le trait générationnel qu’elle incarne. Perpétuelle émancipation et déconstruction des devanciers, la littérature peut plonger deux fois dans les eaux d’un même fleuve, mais elle n’en ressort jamais la même. Sortir d’un livre indemne n’est pas une bonne nouvelle pour son auteur. La génération des Sokhna Benga qui a vu naître nombres d’autrices plus ou moins oubliées, portait en elle une vocation. C’est une littérature de la violence et de la rupture, dont le symbole reste le livre de Kourouma, Les soleils des indépendances. Cette écriture précise-t-elle « renferme tous les germes d’une révolution, notamment sur le plan du style. » Elle l’explicite « j’ai le privilège d’appartenir à cette génération d’écriture qui a déplacé la notion de « nouveau courant » de la génération précédente à la sienne. En premier lieu, concernant le style d’écriture même, une écriture axée sur le refus du conformisme des générations précédentes, l'ébranlement des habitudes acquises, le refus de la loi du silence, dans la transgression des tabous scripturaires au nom de la vérité. La révolution porte sur tous les plans : chronologique, thématique (surgissement de nouveaux thèmes), structurelle (renouvellement des structures du récit ou de la poésie) ou stylistique (contravention aux normes linguistiques et esthétiques établies). C’est un acte de libération de l'écriture de toutes les formes d'enchaînement ou d'enfermement, que ce soit par la tradition, par la religion ou par l'idéologie ». On le lit comme le manifeste d’une littérature, en constance mutation, qui comme l’histoire ne cesse jamais d’évoluer et de déjouer les enfermements. Faire corps avec son œuvre, s’autoriser une littérature qui pense sans rien retrancher à la poésie, voilà un pari relevé dans son œuvre.
Le pari risqué et indispensable du local
L’œuvre de Sokhna Benga intéresse des universitaires qui travaillent leurs mémoires consacrés à ses livres, comme lors de cet échange chez Sada Kane pour son dernier roman, L’or de Ninkinanka. Elle dit sa fierté. On ressent à échanger avec elle, qu’il ne lui manque que de l’attention, un peu plus de lumière, pour donner toute la mesure d’un talent jamais mort, et surtout la mesure d’un discours sur les évolutions intellectuelles du monde. Quand on la taquine sur le rapport encore la déconstruction et la foi, elle n’y voit pas d’incompatibilité. Sokhna Benga féministe ? Elle ne porte pas l’étiquette en bandoulière. Son œuvre lui suffit. Juste précise-t-elle : « Je suis post-féministe. La femme n’a pas besoin de singer l’homme pour se faire respecter. Il lui suffit d’être une femme. Un homme qui se respecte, n’écrase pas la femme. Il la respecte parce qu’il a une mère. Chacun a sa place dans une relation complémentaire ». En ces périodes où le féminisme tend à s’enfermer dans des dogmes, sa parole, différente, pourtant insoumise, est une fraicheur. Sur la politique ses fonctions lui imposent un droit de réserve, mais elle se défend. Pour évoquer sa vision, elle fait encore appel à son œuvre. Notamment un roman intitulé Bayo, publié en 2007. Un regard quasi-prophétique et sans concession sur les maux qui rongent la politique et qui couvre un spectre chronologique qui va des années 40 aux années 2000. On notera ici une habile prédisposition au rebond et une plume vigoureuse, qui ausculte au scalpel le fait national sénégalais.
Le pari du local, celui de Sokhna Benga, est un salut salutaire. Il nous dit surtout qu’il y a une réelle vie littéraire sénégalaise, qui s’épanouit avec sa modestie, mais avec ses vrais rendez-vous, ses auteurs, ses valeurs. Une vie littéraire qui n’éprouve aucun complexe et qui s’émancipe comme elle peut de la diaspora dont elle n’est ni l’antichambre, ni la version low cost. A l’époque des grands récits laudateurs d’Afrique, il ne faut jamais se substituer au discours de ceux qui vivent sur le continent et qui en partagent la quotidienneté. En livres, cela donne l’œuvre d’une grande royale, critiquable, imparfaite, avec ses pointes de génies et sa belle régularité. Elle nous pousse à nous voir, dans notre huis-clos. Si le ministère de la culture et la direction des livres, de son propre mot, appuient et soutiennent son œuvre, il ne faut en rester là. Les privilèges doivent sortir des réseaux et s’élever à l’exigence des mérites. Le pari du local qui se déplace, sans être prisonnier, de son espace vers d’autres partout dans le monde, ce n’est pas seulement le pari de la littérature, c’est le pari des sociétés africaines. Embrasser le monde, participer à son banquet, s’inscrire dans le temps du monde. C’est le chainon manquant pour l’heure. Mais la promesse est toute entière. Si les écrits restent et que les paroles s’en vont, Sokhna Benga a fait sa part. Celle d’une tradition écrite. Sans l’enjoliver, ni la ternir. L’œuvre d’une incontournable et unique dame des lettres sénégalaises.
QUE DIT CHEIKH ANTA DIOP AUX ÉCRIVAINS AFRICAINS ?
EXCLUSIF SENEPLUS #Enjeux2019 - Nous sommes de ces auteurs dont le public a entendu parler mais qu’il n’a guère lus - Seul fait recette l’afro-pessimisme qui dort dans le même lit que le racisme le plus abject
SenePlus propose en exclusivité ce texte jamais publié de Boubacar Boris Diop, rédigé il y a trois ans, à l'occasion du trentième anniversaire du décès de Cheikh Anta Diop. L'auteur a choisi de l'intégrer à l'ouvrage collectif issu de notre série #Enjeux2019, à paraître le mois prochain chez l'Harmattan.
#Enjeux2019 - Presque tous les champs du savoir humain ont éveillé la curiosité de Cheikh Anta Diop. Il s’est employé chaque fois à les explorer en profondeur, avec une rare audace mais aussi avec une implacable rigueur. La création littéraire négro-africaine ne l’a donc pas laissé indifférent. De fait, il l’a toujours jugée si essentielle qu’une réflexion soutenue sur le sujet, que l’on pourrait aisément systématiser, traverse son œuvre, l’innervant en quelque sorte.
Cet intérêt est nettement perceptible dès Nations nègres et culture où il reste toutefois plus soucieux de raviver les liens entre les langues africaines et de démontrer leur aptitude à dire en totalité la science et la technique. Mais déjà en 1948, dans Quand pourra-t-on parler d’une Renaissance africaine ? il invitait les écrivains à faire des langues du continent le miroir de nos fantasmes, de notre imaginaire et de nos ambitions. Il y revient dans Parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négro-africaines et, quasi avec les mêmes mots, dans Civilisation ou barbarie. Si Cheikh Anta Diop élabore ce qu’il appelle une Esquisse d’une théorie esthétique de l’image littéraire en poésie et dans le roman africain, c’est surtout pour stopper la fuite en avant d’auteurs persuadés, assez étrangement, que les mots chargés de traduire leur moi intime ne peuvent leur venir que du dehors. Esprit nuancé et fin, il ne formule pas ce point de vue avec irritation ou sur un ton brusque. Il se défend même, non sans élégance, de reprocher aux écrivains africains l’utilisation provisoire d’une langue étrangère, car note-t-il « il n’existe actuellement, pour eux aucune autre expression adéquate de leur pensée ». Il souligne ensuite, avec une lucidité qui cache mal son amertume, ce qu’il nomme «un problème dramatique de notre culture» ainsi résumé : «... nous sommes obligés d’employer une expression étrangère ou de nous taire.» L’idée de haïr une langue humaine, même celle du colonisateur, ne l’effleure jamais. Il ne fait ainsi aucune difficulté pour concéder que les philosophes, manieurs de concepts universels, peuvent espérer formuler leur réflexion dans une langue étrangère.
Mais, insiste-t-il, il ne saurait en être de même pour les poètes et les romanciers en raison de leur rapport complexe au réel. Tout auteur de fiction sait en effet qu’il arrive toujours un moment où les mots, ses invisibles compagnons nocturnes, se dérobent à lui, un moment où il se sent comme perdu au pied d’une muraille de silence, un moment où l’écho de sa voix ne lui revient pas. Et plus l’écart entre sa culture de départ et sa langue d’arrivée est grand, plus cette muraille de silence s’avère difficile à escalader. Pour Cheikh Anta Diop, les écrivains africains se trouvent dans cette situation particulière qui les condamne à une certaine maladresse. Il est vrai que certaines fulgurances chez des poètes noirs talentueux - il cite nommément Senghor et Césaire - ont pu donner à tort l’impression qu’une langue d’emprunt peut gambader au-dessus des frontières et traduire notre génie. De l’avis de Diop, il s’agit là d’une illusion mortifère car au final la poésie négro-africaine d’expression française est de bien piètre qualité : «Une étude statistique révèlerait, écrit-il, la pauvreté relative du vocabulaire constitutif des images poétiques [chez l’auteur négro-africain]. Une liste très courte d’épithètes, surtout ‘moraux’ donnerait les termes les plus fréquents : valeureux, fougueux, langoureux...» Et Diop d’enfoncer le clou : «Les termes pittoresques peignant les nuances de couleurs, de goût, de sensations olfactives et même visuelles sont formellement interdits à la poésie négro-africaine parce qu’ils appartiennent au stock du vocabulaire spécifique lié à des coordonnées géographiques». Autant d’observations qui font remonter à la surface ce que le poète haïtien Léon Laleau appellera, en une complainte devenue fameuse, «cette souffrance ce désespoir à nul autre égal de dire avec des mots de France ce cœur qui m’est venu du Sénégal.»
On est sidéré de constater que c’est un jeune homme d’à peine vingt cinq ans qui pose dans une perspective historique aussi large le vieux dilemme des écrivains africains... Il pointe d’emblée le double manque d’auteurs qui, sans écrire en bambara, en moré ou en wolof, n’écrivent pas non plus tout à fait en français. D’habiter cet entre-deux-langues crée un malaise en quelque sorte structurant : ce déficit-là est aussi un défi que, du Nigerian Amos Tutuola à l’Ivoirien Ahmadou Kourouma en passant par le Sénégalais Malick Fall, chacun s’est efforcé de relever à sa manière. C’est ce mal-être linguistique que l’on trouve à l’origine de bien des révolutions formelles en littérature négro-africaine, de toutes ces tentatives de « violer la langue française pour lui faire des petits bâtards » pour reprendre un mot célèbre de Massa Makan Diabaté. Il permet aussi de comprendre l’émoi suscité par les romans de Tutuola ou, naturellement, ce qu’on peut appeler le «modèle Kourouma». Parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négro-africaines analyse sans les mentionner ces manœuvres de contournement ou, si l’on préfère, ce boitillement esthétique. Cheikh Anta Diop évoque après Sartre la nécessité pour le poète négro-africain de « dégorger » les mots français « de leur blancheur » avant de pouvoir en faire un usage efficace. Et le génie de Césaire, souligne Diop, c’est d’avoir su inventer «une langue propre» et d’une vibrante authenticité, qui n’a rien à voir avec le français ou le créole. De cette remarque de l’auteur de Civilisation ou barbarie, on peut déduire, avec quelque malice j’en conviens, que Césaire est l’ancêtre lointain et bien plus délirant de Kourouma. Mais la « dé-francisation du français » dont parle Sartre n’est aux yeux de Cheikh Anta Diop qu’un simple palliatif. Voici ce qu’il écrivait dans Quand pourra-t-on parler d’une Renaissance africaine ? : «Tout en reconnaissant le grand mérite des écrivains africains de langue étrangère, nous ne saurions nous empêcher de les classer dans la littérature de la langue qu’ils ont utilisée.» C’est ce que dira plus tard le Kenyan Ngugi Wa Thiong’o dans Decolonizing the mind, sur un ton plus rude, à propos de ses confrères de langue anglaise. Et à mon humble avis, cette remarque sur l’identité du texte est valable même pour les œuvres en rupture avec les normes de la langue d’emprunt : Les soleils des Indépendances a beau faire exploser du dedans la prosodie française, il reste un roman français.
En résumé, Cheikh Anta Diop avertit les écrivains de son époque : vous allez tout droit vers l’impasse, le ver est dans le fruit que vous croquez à si belles dents. Il faut signaler au passage qu’il compte de nombreux amis parmi ceux qu’il critique ; on peut imaginer que certains d’entre eux sont allés le soutenir bruyamment contre une institution académique obtuse lors de sa soutenance à la Sorbonne ; sans doute aussi a-t-il discuté avec quelques-uns de leurs manuscrits. Cette proximité garantit la qualité humaine du dialogue et lui donne de la hauteur. C’est d’ailleurs un poète, et non des moindres, qui a été le premier à comprendre et à dire dans Discours sur le colonialisme, l’importance de Nations nègres et culture, «l’ouvrage le plus audacieux qu’un Nègre ait jusqu’ici écrit et qui comptera, à n’en pas douter, dans le réveil de l’Afrique.» Mais cet homme est si singulier qu’il faut bien croire qu’il vient d’ailleurs. S’il mesure si bien l’importance de l’imaginaire chez les peuples spoliés de leur histoire, c’est en référence à une poésie bien éloignée de celle de ses camarades du Quartier latin : il a en tête, quand il leur parle, les vers de Serigne Mbaye Diakhaté, Mame Mor Kayré et Serigne Moussa Kâ, qui lui sont familiers depuis sa tendre enfance.
Cheikh Anta Diop a-t-il seulement été entendu de ses contemporains ? Je répondrai sans hésiter : non. C’est que son propos était, littéralement hors de saison. Un petit flasback nous fera revivre cette époque de grande fébrilité idéologique. Alioune Diop, qui avait déjà fondé « Présence africaine » en 1947, organise les Congrès de Paris et Rome en 56 et 59. Ce sont, pour les intellectuels et écrivains noirs progressistes, des années d’emportement lyrique : l’écriture est un long cri et même de purs théoriciens comme Fanon s’expriment souvent en poètes. Tous se donnent pour mission de guider leurs peuples sur les chemins de la liberté et celle-ci leur semble toute proche. Il faut donc aller vite, il n’est pas question de finasser. Cette jeunesse impatiente veut tout, tout de suite, et se sent presque irritée par la complexité du monde. Tous savent bien, par exemple, que les langues coloniales sont un cadeau empoisonné mais ils ne peuvent se permettre de les rejeter avec mépris : pour l’heure ce sont elles qui font tenir ensemble les combattants, lesquels y puisent pour ainsi dire leurs mots de passe.
Nous sommes du reste, ne l’oublions pas, au temps du marxisme triomphant et on se fait vite suspecter de chauvinisme étroit ou de remise en cause du primat de la lutte des classes. C’est peut-être David Diop qui exprime le mieux cette pression de l’urgence politique lorsqu’il observe en mars 56 dans sa Contribution au débat sur les conditions d’une poésie nationale : «Certes, dans une Afrique libérée de la contrainte, il ne viendrait à l’esprit d’aucun écrivain d’exprimer autrement que par sa langue retrouvée ses sentiments et ceux de son peuple. Dans ce sens, la poésie africaine d’expression française coupée de ses racines populaires est historiquement condamnée». L’auteur de Coups de pilon est ainsi l’un des premiers à suggérer une littérature négro-africaine de transition, idée qui ne gênait en rien Cheikh Anta Diop. [Conférence de presse RND relais ex-Route de Ouakam.]
Ces réflexions ne sont évidemment pas transposables telles quelles dans les colonies britanniques ou portugaises mais les similitudes restent assez fortes. Elles le sont à un point tel que Ngugi Wa Thiong’o arrivera à partir de 1964 aux mêmes conclusions que Cheikh Anta Diop sans l’avoir jamais lu et que la publication en 1966 par l’Ougandais Okot P’Bitek de Song of Lawino, est un événement autant par sa valeur poétique que par sa langue d’écriture, le luo.
Toutefois, ce qui rend le plus inaudible Cheikh Anta Diop, c’est ce que j’appelle souvent le « péché originel » de la littérature négro-africaine : dès le départ, l’écrivain se veut un porte-voix. Il ne parle donc pas à son peuple, il parle pour son peuple. De ces bonnes intentions libératrices naît un tête-à-tête avec le colonisateur qui change tout. En dénonçant les crimes de la conquête, c’est à l’oppresseur qu’il veut faire honte et cela n’est possible que dans la langue de ce dernier. Voilà pourquoi tant d’écrivains africains engagés, voire franchement militants ont été si à l’aise avec la langue française. Pour certains d’entre eux, il s’agissait surtout de dire à l’Européen : «Vous avez tort de nous dépeindre comme des sauvages ».
Cheikh Anta Diop, qui voit le piège se refermer sur les écrivains africains, aimerait les voir moins sur la défensive. Il ne suffit pas selon lui de réfuter la ‘théorie de la table rase’. Il s’emploie dès lors à contester les pseudo-arguments visant à dénier aux langues africaines tout potentiel d’expression scientifique ou littéraire. Il traduit ainsi dans Nations nègres et culture, un résumé du Principe de la relativité d’Einstein, un extrait de la pièce Horace de Corneille et La Marseillaise. C’est aussi à l’intention de ces mêmes écrivains arguant de la multiplicité des langues africaines - pour mieux justifier l’usage du français ou de l’anglais - qu’il démontre leur essentielle homogénéité. Au fond, il leur dit ceci : l’Afrique, mère de l’humanité, a fait de vous les maîtres du temps et lorsque les autres sont entrés dans l’Histoire, vous les avez accueillis à bras ouverts car vous, vous y étiez déjà, bien en place. Il veut surtout leur donner le courage d’oser rebrousser chemin, n’hésitant pas à leur offrir en exemple Ronsard, Du Bellay et tous les auteurs de La Pléiade qui avaient pris leurs responsabilités historiques en remettant en cause l’hégémonie du latin. Le plus ardent désir de Cheikh Anta Diop, c’était d’éviter à l’Afrique qui a inventé l’écriture, d’être le seul continent où langue et littérature se tournent si résolument le dos.
Mais c’était un dialogue de sourds - une expression que lui-même utilise d’ailleurs à propos de son différend avec les égyptologues occidentaux. Il était dans l’Histoire et on lui opposait des arguments subalternes du genre : «il nous faut bien vendre nos ouvrages», «nos peuples ne savent ni lire ni écrire»... Mais qui donc a jamais su lire et écrire une langue sans l’avoir apprise ? Sur ce point précis, Cheikh Anta Diop rappelle à maintes reprises à ses interlocuteurs le cas de l’Irlande qui a sauvé le gaélique de la mort en le remettant en force dans son système éducatif. Cependant, derrière toutes les arguties des intellectuels africains il repère, comme indiqué dans Civilisation ou barbarie, «un processus d’acculturation ou d’aliénation» auquel il est impératif de mettre au plus vite un terme.
Acculturation ? Aliénation ? Voici un passage de À rebrousse-gens, troisième volume des Mémoires de Birago Diop où celui-ci répond directement à Cheikh Anta Diop. Tous deux, jeunes étudiants en France venus passer de brèves vacances au pays, se retrouvent à Saint-Louis. Birago raconte à sa manière désinvolte et volontiers sarcastique : «J’avais appris dans la journée que Cheikh Anta Diop faisait une conférence sur ‘l’enseignement des mathématiques en langue wolof.’ J’y ai été.» Par amitié pour l’orateur sans doute car le sujet ne le passionne pas vraiment. Il avoue même avoir essayé de coller ce jour-là son copain en lui demandant de traduire en wolof les mots « angle » et « ellipse ». Au terme de son récit, l’écrivain redit son admiration pour «le fervent égyptologue qui a combattu tant de préjugés» avant de trancher tout net : «J’étais et je demeure inconvaincu.» Et Birago d’ajouter ceci, qui à l’époque ne valait pas seulement pour lui : «Peut-être suis-je toujours et trop acculturé. Irrémédiablement.» (À mon avis, on aurait tort de prendre cette confession au pied de la lettre : Birago Diop, d’un naturel sceptique et irrévérencieux, s’exprime ainsi par allergie à tout ce qui lui semble de l’idéologie mais ne rejetait en rien ses racines. Cheik Aliou Ndao le sait bien, qui lui lance dans un poème de Lolli intitulé «Baay Bi- raago jaa-jëf» : ‘Dëkkuloo Cosaan di ko gal-gal’.)
Aujourd’hui, un demi-siècle après ce duel à distance entre deux de nos grands hommes, il est clair que les pires craintes de Cheikh Anta Diop se sont vérifiées. En vérité le visage actuel de la littérature négro-africaine d’expression française n’est pas aussi beau à voir qu’on cherche à nous le faire croire. J’en parle du dedans, avec l’expérience de celui qui a publié son premier roman il y a trente cinq ans. L’essentiel s’y joue aujourd’hui en France et on peut dire que le fleuve est retourné à sa source, sur les bords de la Seine où Cheikh Anta Diop l’a vue naître. Le phénomène s’est accentué après une période, trop courte hélas, où de grandes initiatives éditoriales au Sénégal, au Cameroun et en Côte d’Ivoire, par exemple, ont fait émerger des institutions littéraires crédibles et des auteurs respectés. Mais à la faveur du marasme économique, l’Hexagone a vite repris sa position centrale. C’est au dehors que nos œuvres sont publiées, validées de mille et une manières avant de nous revenir, sanctifiées en quelque sorte par des regards étrangers. Nos livres étant rendus difficilement accessibles par leur prix et par leur langue, nous sommes de ces auteurs dont le public a entendu parler mais qu’il n’a guère lus : nous sommes des écrivains par ouï-dire. Si j’osais pousser la taquinerie plus avant, je dirais que chez nous bien des réputations littéraires reposent sur ce malentendu fondamental.
Un des signes du désastre, c’est que dans certains pays africains aucun texte de fiction n’est publié dans des conditions normales. Un ou deux noms constituent à eux seuls tout le paysage littéraire et, pour le reste, quelques histrions outrancièrement médiatisés en Occident font oublier ce vide sidéral sur le continent lui-même. En somme, le tête-à-tête originel se perpétue mais l’écrivain africain a revu sa colère à la baisse : seul fait recette l’afro-pessimisme qui dort, comme chacun sait, dans le même lit que le racisme le plus abject. Le profil type de cet auteur est facile à esquisser : il ne lui suffit pas de cracher tout le temps sur l’Afrique, il prétend aussi qu’étant né après les indépendances il n’a rien à dire sur la colonisation et encore moins sur la Traite négrière, qu’il aimerait bien que nous arrêtions de jouer aux victimes et d’exiger des autres une absurde repentance. Bref, cette littérature qui se voulait négro-africaine à l’origine, est bien contente de n’être aujourd’hui que négro-parisienne.
Si j’ai peint un tableau aussi sombre, c’est qu’il me semble crucial que nous nous gardions de tout optimisme de façade. Je veux dire par là que oui, trente ans après la mort de Cheikh Anta Diop, l’on n’est considéré comme un véritable écrivain en Afrique qu’à partir de l’anglais, du portugais ou du français. On entend encore souvent des auteurs de la génération de Diop et d’autres beaucoup plus jeunes dire avec sincérité leur préférence pour ces langues européennes. La situation complexe de certains de nos pays est selon eux une des preuves de l’impossibilité, voire du danger, de promouvoir le senoufo, le yoruba et le beti par exemple ou de s’en servir comme instrument de création littéraire.
Il est certain que la fragmentation linguistique est décourageante, même si Cheikh Anta Diop prend toujours soin de la relativiser. Comment y faire face ? Certains ont suggéré de forcer la main au destin en gommant toutes nos différences. Mais toujours clairvoyant et ennemi de la facilité, ce grand panafricaniste n’hésite pas à écrire dans Nations nègres et culture que «L’idée d’une langue africaine unique, parlée d’un bout à l’autre du continent, est inconcevable, autant que l’est aujourd’hui celle d’une langue européenne unique.» À quoi on peut ajouter qu’elle comporte le risque d’un terrible assèchement. J’ai entendu des intellectuels accuser Ayi Kwei Armah de préconiser, justement, cette langue africaine commune. Ce n’est pas du tout ainsi que j’ai compris le chapitre de Remembering the dismembred continent où le grand romancier ghanéen s’efforce de trouver une solution à ce qu’il appelle «notre problème linguistique». Il propose simplement une démarche politique volontaire qui ferait du swahili ou - ce qui a sa préférence - d’une version adaptée de l’égyptien ancien, l’outil de communication internationale privilégié des Africains. Cela rejoint, en creux, le plaidoyer de Cheikh Anta Diop en faveur d’humanités africaines fondées sur l’égyptien ancien.
Cela dit, dans des pays comme le Cameroun, le Gabon ou la Côte d’Ivoire aucune solution ne paraît envisageable pour l’heure. Est-ce une raison pour se résigner à un statu quo général ? Je ne le pense pas, car cela voudrait dire que chaque fois que nous ne pouvons pas faire face ensemble à une difficulté particulière, nous devons tous rester en position d’attente sur la ligne de départ. Je pense au contraire que là où les conditions sont réunies, il faut se mettre en mouvement en pariant sur l’effet de contagion d’éventuelles réussites singulières.
Pour ma part je vais essayer de montrer, par un bref état des lieux, la dette immense du Sénégal à l’égard de Cheikh Anta Diop. C’est lui-même qui raconte en 1979, dans sa ‘Présentation’ de l’édition de poche de Nations nègres et culture la mésaventure de Césaire qui «... après avoir lu, en une nuit, toute la première partie de l’ouvrage... fit le tour du Paris progressiste de l’époque en quête de spécialistes disposés à défendre avec lui, le nouveau livre, mais en vain ! Ce fut le vide autour de lui.» C’est que Césaire, on l’a vu, avait pris l’exacte mesure du texte qui a eu l’influence la plus profonde et la plus durable sur les Noirs du monde entier. Dans ‘Nan sotle Senegaal’, un des poèmes de son recueil Taataan, Cheik Aliou Ndao dit clairement que Nations nègres et culture est à la source de sa vocation d’écrivain en langue wolof : «Téereem bu jëkk baa ma dugal ci mbindum wolof Te booba ba tey ñàkkul lu ma ci def.»
L’auteur de Jigéen faayda et de Guy Njulli fait sans doute ici allusion au fameux ‘Groupe de Grenoble’, né lui aussi, très concrètement, du maître-livre de Cheikh Anta Diop. Sa lecture a en effet décidé des étudiants sénégalais - Saliou Kandji, Massamba Sarré, Abdoulaye Wade, Assane Sylla, Assane Dia, Cheik Aliou Ndao, le benjamin, etc. - à se constituer en structure de réflexion sur les langues nationales, allant jusqu’à produire par la suite un alphabet dénommé Ijjib wolof. Et plus tard, les travaux de Sakhir Thiam - en qui Cheikh Anta Diop voit explicitement un de ses héritiers dans sa conférence-testament de Thiès en 1984 - de Yéro Sylla, Arame Faal ou Aboubacry Moussa Lam, ont été dans la continuité de ce combat. On peut en dire de même de la revue Kàddu initiée par Sembène, Pathé Diagne et Samba Dione, qui en fut - on oublie souvent de le préciser - la cheville ouvrière. Ce sont là quelques-uns des pionniers qui ont rendu possibles les avancées actuelles. Il est frappant, et particulièrement émouvant, de constater que chez nous l’accélération de l’Histoire s’est produite peu de temps après la disparition du savant sénégalais, plus exactement à partir de la fin des années 80. Cheikh Anta Diop a semé puis il est parti. Cela signifie que de son vivant il n’a jamais entendu parler de maisons d’édition comme ARED, Papyrus-Afrique ou OSAD - pour ne citer que les plus connues ; en 1986, Cheik Aliou Ndao, déjà célébré pour L’exil d’Alboury, n’a encore publié aucun de ses quinze ouvrages en wolof dans tous les genres littéraires-poésie, théâtre, roman, nouvelle, essai et livres pour enfants. Il faudrait peut-être d’ailleurs ajouter à cette liste son livre d’entretien avec Góor gi Usmaan Géy dans lequel celui-ci revient, en termes inspirés, sur une rencontre fortuite à Pikine avec Cheikh Anta Diop chez un de leurs amis communs, le vieux Ongué Ndiaye ; Diop n’a pas eu le bonheur de tenir entre ses mains Aawo bi de Maam Younouss Dieng, Mbaggu Leñol de Seydou Nourou Ndiaye, Yari Jamono de Mamadou Diarra Diouf, Ja- neer de Cheikh Adramé Diakhaté, Séy xare la de Ndèye Daba Niane, Booy Pullo d’Abdoulaye Dia ou Jamfa de Djibril Moussa Lam, un texte que les connaisseurs disent être un chef-d’œuvre. Sans doute le CLAD faisait-il déjà un travail remarquable mais on peut bien dire que l’essentiel de la production scientifique d’Arame Fal et de Jean-Léopold Diouf a été publié après la disparition de Cheikh Anta Diop. S’il revenait en vie, Cheikh Anta Diop serait rassuré de voir que désormais dans notre pays le député incapable de s’exprimer dans la langue de Molière n’est plus la risée de ses pairs et que le parlement sénégalais dispose enfin d’un système de traduction simultanée interconnectant nos langues nationales. Mais ce qui lui mettrait vraiment du baume au cœur, ce serait de voir que des jeunes, souvent nés après sa mort, ont pris l’initiative de sillonner le pays pour faire signer une pétition demandant l’enseignement de la pensée de celui qui fut pendant si longtemps interdit d’enseignement... Et que l’un des initiateurs de cette pétition a, depuis Montréal et sur fonds propres, produit en octobre 2014 le premier film documentaire sur Serigne Mor Kayré et travaille en ce moment sur le second consacré à celui qu’il appelle «l’immense Serigne Mbaye Diakhaté.» ; que l’université Gaston Berger de Saint-Louis a formé les premiers licenciés en pulaar et en wolof de notre histoire.
Il ne lui échapperait certes pas que la volonté politique n’y est toujours pas, dans notre curieux pays, qui réussit le tour de force de rester si farouchement francophile alors qu’il a cessé depuis longtemps d’être... francophone ! L’Etat sénégalais a financé une grande partie de la production littéraire en langues nationales et il serait injuste de ne pas l’en créditer. Il n’en reste pas moins que, pour l’essentiel, ces résultats ont été obtenus grâce à des initiatives militantes, dans des conditions difficiles, souvent d’ailleurs au prix de gros sacrifices personnels de disciples de Cheikh Anta Diop.
Renversant les termes de la question initiale, on peut se demander aujourd’hui : que disent les écrivains sénégalais à Cheikh Anta Diop ? Il ne fait aucun doute que sans lui la littérature sénégalaise en langues nationales ne serait pas en train de prendre une telle envergure. En 1987 un numéro spécial de la revue « Ethiopiques » intitulé Teraanga ñeel na Séex Anta Jóob, préfacé par Senghor, réunit des hommages de Théophile Obenga, Buuba Diop et Djibril Samb, entre autres ; de son côté, L’IFAN a publié grâce à Arame Faal une anthologie poétique en wolof entièrement sous le titre Sargal Séex Anta Jóob. Le recueil date de 1992 mais la plupart de ses 23 poèmes ont été écrits immédiatement après la mort du savant, sous le coup de l’émotion. Tous rendent certes hommage à l’intellectuel hors normes mais aussi, avec une frappante unanimité, à la personne, à ses exceptionnelles qualités humaines. Les auteurs de cette importante anthologie ne sont naturellement pas les seuls à savoir ce qu’ils lui doivent. Même ceux qui ne lui consacrent pas un poème comme Ceerno Saydu Sàll - ‘Caytu, sunu këru démb, tey ak ëllëg’ dans Suuxat - lui dédient tel ou tel de leurs ouvrages ou rappellent son influence. C’est le cas de Abi Ture, auteure en 2014 de Sooda, lu defu waxu et de Tamsir Anne, qui a publié en 2011 Téere woy yi, tra- duction en wolof de Goethe, Heinrich Heine, Bertold Brecht et d’autres classiques allemands. Cette allégeance intellectuelle à Cheikh Anta Diop si généralisée, vient aussi de très loin et pourrait même être analysée comme une pratique d’écriture spécifique.
Je ne veux pas conclure cette conversation en donnant l’impression d’un optimisme béat : il reste beaucoup à faire car les forces qui ont voulu réduire au silence Cheikh Anta Diop ne désarment jamais. Notre territoire mental est toujours aussi sévèrement quadrillé et, encore une fois, le désir de « basculer sur la pente de notre destin [linguistique] » est loin d’être largement partagé. On n’en est pas moins impressionné par les immenses progrès réalisés en quelques décennies dans le domaine des littératures en langues nationales. Si pour paraphraser Ki-Zerbo nous refusons de nous coucher afin de rester vivants, le rêve de Cheikh Anta Diop ne tardera pas à devenir une réalité.
Boubacar Boris Diop est journaliste, écrivain, essayiste et professeur de l’université américaine du Nigeria. Lauréat en 2000, du Grand Prix littéraire d’Afrique noire, l’éditorialiste de SenePlus, est l’auteur de nombreux romans, aussi bien en français qu’en wolof, dont : Murambi, le livre des ossements (Zulma, Paris 2011) et Doomi Golo (Papurys Afrique, Dakar, 2003), entre autres. Boris Diop est également directeur de publication du site d'information et d'analyse en wolof : www.defuwaxu.com