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7 avril 2025
International
par Elgas
L’ANTICOLONIALISME COMME FREIN AU PROGRESSISME EN AFRIQUE, RETOUR SUR UN IMPENSÉ
Pourquoi les penseurs africains, farouches progressistes chez eux, deviennent-ils si souvent des réactionnaires une fois en Occident ? Un paradoxe dérangeant, symptôme d'un conflit plus vaste entre anticolonialisme et progressisme
Ce court texte est la transcription de mon intervention au colloque «Religion et révolution conservatrice: perspectives comparatives» les 23, 24 et 25 octobre 2023 à Genève, à l'initiative de la Chaire Yves Oltramare. Il revient sur le potentiel dévoiement des luttes progressistes captives d'une vision des sociétés colonisées encore très paternaliste. Avec deux focus sur les usages de la religion, l'islam en l'occurrence au Sénégal, et l'alliance pour le moins surprenante entre décoloniaux en Occident et identitaires au Sud, il évoque les fragilités du front anticolonial.
D’où vient cette malédiction qui rend orphelins de soutien tant de chercheurs, d’artistes, d’intellectuels, d’universitaires africains, progressistes convaincus chez eux au Sud affrontant vaillamment divers périls et qui, pourtant, deviennent, une fois en Occident, des réactionnaires en puissance1 ? Cette question est le coeur d’expression de mésusages courants en période postcoloniale, mésusages ou glissements qui confortent le confusionnisme et nourrissent le conservatisme qu’on prétend pourtant combattre à « gauche ». Esseulés, délaissés, l’accusation de félonie vis-à-vis de leur communauté planant comme une ombre disqualifiante, ces auteurs et intellectuels du Sud, comme par exemple Kamel Daoud, Salman Rushdie, Abnousse Shalmani ou Rahmane Idrissa, forment pourtant un gisement de déconstruction de leurs sociétés, hélas abandonnés par une perspective décoloniale qui souvent cède à la logique de front plus qu’à celle de principes communs incessibles.
Où se situe le curseur de ce crédit moral si arbitrairement accordé qui revisite la phrase connue, vérité en dessous de la Méditerranée et hérésie au-delà ? Sur toutes les questions dont le progressisme est l’enjeu fondamental – droits des minorités, liberté religieuse, égalité hommes/femmes –, cette ligne de démarcation survit à tout universel, à son pendant marchand, la globalisation, et à son expression technologique, appelé par notre ami Marshall McLuhan « le village planétaire2 ». Donnée nouvelle, elle survit au bon sens longtemps échelle certes imparfaite mais opérante d’appréciation commune du gouvernement du monde. Dans un monde qui connaît de profondes convulsions, il n’est pourtant pas inutile, de refaire la généalogie et une radioscopie des conservatismes comme l’a proposé ce colloque bienvenu. Et saisir que les transformations, révolutions conservatrices, qui paraissent connaître un regain aujourd’hui avec leur caractère apocalyptique, au fond, semblent davantage s’apparenter à l’éveil de volcans idéologiques longtemps enfouis, endormis, jamais réellement vaincus, sinon à des étendards de combat et à un socle d’idées au service d’une alternative souhaitée à l’hégémonie occidentale. Pour le dire autrement, ce qui paraît si hégémonique aujourd’hui semble, selon notre hypothèse, être la manifestation d’une présence latente, longtemps confinée, et qui connaît une déflagration à la faveur de l’essoufflement du mythe de la centralité occidentale et de la promesse toujours renouvelée du progrès comme horizon naturel de l’humanité. Toutes les forces qui avaient dû, à contrecoeur, monter dans ce train, sentant la fragilité de la locomotive, délogent leurs velléités des marges pour les assumer pleinement. La permanence de cette révolution est un invariant historique, particulièrement en Afrique : elle est au fondement de cette optique du Sud dit « global », dont les esquisses formelles semblent aujourd’hui plus nettes. Dans la lutte fondatrice et essentielle contre la colonisation, encore structurante, il est pourtant essentiel de mesurer le coût de certaines accointances, où par mégarde, bonnes intentions, bonne conscience, parfois cynisme, l’anticolonialisme est devenu un frein au progressisme, créant ainsi une double échelle de valeurs qui contribue à la relégation, au relativisme moral. Longtemps carburant du colonialisme, il semble basculer de plus en plus dans la frange extrême de certaines pensées décoloniales.
Comprendre ainsi l’articulation d’un mélange de ressentiment colonial et d’une offensive conservatrice jamais résignée, requalifiée en identité unificatrice, sera le coeur de notre propos. Nous esquisserons d’abord une rapide histoire du conservatisme religieux au Sénégal, avec un croisement des perspectives confrériques et néo-puritaines, pour situer l’importance du discours religieux dans toute résistance, pour ensuite procéder à un examen des mouvements de jeunesse citoyens au Sénégal, via le rap entre autres, et leur tournant conservateur au nom de la lutte contre l’Occident. Nous nous intéresserons enfin à la sophistication d’un relativisme décolonial, notamment en Occident, qui attribue à l’Afrique un particularisme qui justifierait un conservatisme appréciable, le seul prisme de la domination finissant par conférer aux dominés un blanc-seing et une exemption de reddition de compte.
Les africanistes du fait confrérique au Sénégal, qu’ils s’agissent de Paul Marty3, de Donal Cruise O’brien4 ou de Vincent Monteil5, ont établi des monographies exhaustives de la naissance d’une confrérie, le
mouridisme. Cédant parfois à la tentation d’un romantisme sur un « islam noir » aux particularismes marqués, leurs travaux ont été la matière revisitée par le roman national sénégalais, finissant par devenir un mantra surexploité résumable ainsi : le syncrétisme sénégalais fait du soufisme un rempart contre l’avancée du wahhabisme. Séduisante et rassurante, cette lecture a trouvé des relais en Occident, tant elle donnait des gages, dans un monde musulman où diverses révolutions ont convié au pouvoir des religieux intégristes. Sans explorer le corpus idéologique confrérique, qui n’entre jamais en opposition frontale avec la base doctrinale de l’islam, et qui reprend ainsi à son compte toute la sémantique, la symbolique, les représentations du religieux, du puritanisme considéré pour beaucoup comme l’essence de la piété. Confondant la logique de la configuration sociale intégrée dans le rituel des cultures avec la modalité dogmatique du culte, il a été ainsi opéré, parfois à dessein, des réductions consommables sur l’idée d’un rempart interne, autorégulant, de nature à dissuader toute radicalité. Cette dépolitisation et ce désossement du religieux sont demeurés longtemps une lecture dominante, tant il ne fallait pas regarder en face les évolutions convergentes vers une hégémonie de l’islam destiné à apurer un paganisme qui n’a jamais eu bonne presse, et qui était même un franc ennemi de la religion.
Longtemps viatique du champ intellectuel, sur lequel le Sénégal a bâti sa réputation de havre du dialogue interreligieux, un livre pourtant en 1985, écrit par le journaliste Moriba Magassouba, venait jeter un pavé dans la mare. Son titre, un brin provocateur – L’islam au Sénégal. Demain les mollahs6 ? –, avait entraîné une déflagration. Première secousse dans l’entente cordiale, le document, fruit d’une enquête journalistique et d’un mémoire d’études, démontrait les assauts du puritanisme, la montée des marabouts, l’axe préférentiel des échanges religieux avec les pays du Golfe, et le puritanisme qui s’est attaqué aux religieux. Le film Cedo du cinéaste Ousmane Sembène en 1977, décrivant l’arrivée de l’islam en Afrique, la violence de la rencontre, et finalement la conversion progressive à marche forcée, semble avoir été un canevas pour le livre de Magassouba. La chronologie ainsi que l’enchaînement accréditent en effet l’idée d’une irréversible optique de conformisation religieuse. Le mouridisme a fondé sa légitimité et son autorité sur la figure charismatique de son fondateur, Cheikh Ahmadou Bamba. Résistant culturel, selon la terminologie des manuels d’histoire, il est le symbole le plus éloquent, et le plus populaire, d’un contre-discours qui s’appuie sur la résistance anticoloniale. Si l’histoire du djihad africain – comme le rappelle Pérouse de Montclos dans son livre L’Afrique, nouvelle frontière du djihad7 – n’obéit pas qu’à des logiques importées, le discours fédérateur s’est toujours fondé sur un conservatisme qui ne s’est jamais démenti. Il a été nourri, structuré, par une élite mouride et religieuse au Sénégal, avec la déconstruction de la « colonialité » comme boussole première. Cette déconstruction en cours et les bouleversements géopolitiques (choc pétrolier en 1973, révolution iranienne en 1979, attentats du 11 septembre 2001, guerre en Irak en 2003, proclamation de l’État islamique en 2014 entre autres) ont encouragé l’élite religieuse à investir le champ intellectuel et à gagner la bataille « culturelle ». C’est ainsi que la « laïcité » est devenue un ennemi, que la ville sainte de Touba a demandé un « statut spécial » pour s’affranchir de la République sénégalaise. Tout cela au nom d’un différentialisme, d’une revitalisation du conservatisme conçue, à renforts de livres, comme la voix d’une authenticité endogène à même d’offrir un miroir identificatoire aux populations, en minorant bien sûr la modalité d’une religion elle-même importée, et coloniale.
M’intéressant au contenu des prêches des imams le vendredi pour les besoins d’un travail de recherche, l’examen de ce discours montre la récurrence des griefs contre le progressisme, considéré comme l’aiguillon de la survivance coloniale. La dépravation des moeurs serait liée à l’absence de remparts face à la propagation des sources occidentales. La bataille des valeurs est donc essentielle et l’islam fournit le meilleur kit de résistance, mais aussi le meilleur programme politique. Au nom du refus de l’asservissement, la prospérité de ce discours a créé les conditions d’un raidissement tendant à disqualifier les droits humains, repeints en blanche domination honnie.
La gauche sénégalaise et les élites intellectuelles se sont montrées timides, reprenant le refrain commode pour la paix sociale, renonçant ainsi à questionner l’héritage des féodalités pour créer les conditions de viabilité d’une gauche qui n’importe pas uniquement les lignes de fractures postcoloniales. Les répercussions de cette question islamique feront l’objet d’un article de Mar Fall8 dans Présence africaine en 1987. En devenant de plus en plus un obstacle à l’établissement d’un État égalitaire, la perspective des mollahs devenait de moins en moins chimérique. Avec la multiplication des mouvements puritains dans la sous-région, et le long et patient travail de sape de la diplomatie religieuse des pays du Golfe, Mar Fall montrait cette avancée.
Autre échelle d’appréciation de notre propos, en 2011, au plus fort de la contestation des velléités de dévolution monarchique du pouvoir avec un président Abdoulaye Wade qui voulait outrepasser la
constitution, s’est érigé une véritable sentinelle démocratique. Dans un mouvement de la société civile, réveillé par un regain et unifié par cette cause, naissait le M23 (Mouvement du 23 juin), acteur majeur de la reculade du président. Tête de pont de ce mouvement, le collectif « Y’en a marre », essentiellement porté par des jeunes rappeurs, naissait au grand jour. Avec son énergie, sa fraîcheur, son engagement démocratique et son refus de plier, il fut un acteur majeur de la transition politique et de l’alternance. Victime de son succès, le collectif s’est ensuite structuré de façon horizontale, investissant les questions sociétales, sortant ainsi du seul champ de la politique électorale. Cette énergie a été saluée en Occident, financée, perçue comme ce gisement jeune et démocratique à même de bâtir le renouveau et de contrecarrer, là aussi, les tentations radicales ou religieuses. Financée par Osiwa (Open Society Initiative for West Africa), l’organisation de Georges Soros, conviée en Europe, le bel écho du mouvement « Y’en a marre » fera des petits sur le continent, avec « Le balai citoyen » au Burkina, acteur du départ de Blaise Compaoré, et Filimbi en République démocratique du Congo, qui rencontrera moins de succès car bâillonné par le pouvoir. Très vite pourtant, on déchante.
Les membres du collectif sénégalais se distinguent par un discours conservateur et s’opposent à tout progressisme. Ils reprennent à leur compte tous les discours émancipateurs du panafricanisme, avec de
véritables distorsions de son contenu, et articulent leur combat contre les valeurs occidentales, toutes considérées comme coloniales. Dans le contexte mondial, il y a donc deux conservatismes en miroir : un
occidental prenant appui sur les valeurs blanches et chrétiennes de l’Europe, et un autre, en Afrique, prospérant sur le lit d’une identité figée, conflictuelle, et des valeurs jugées supérieures à celles d’un Occident décadent, la question LGBT étant au coeur de la répulsion. Loin d’être un élément conjoncturel, cette structure paraît exister dès l’aube des groupes de rap primaux à Dakar. Le progressisme avait comme plafond le discours anticolonial. Le rap et son énergie militante et rebelle se sont pourtant rapidement embourgeoisés, captifs de ce périmètre réduit, où très rapidement il est devenu un cheval de Troie du conservatisme. Dans un article fort bien documenté, le chercheur sénégalais Abdoulaye Niang9 évoquait la notion de rap prédicateur, à mille lieues des représentations classiques sur ce genre qui semblait regorger de munitions contre l’establishment. Habilement récupéré, jamais en opposition frontale avec l’architecture des références morale et religieuse, ce rap prédicateur est devenu le catalyseur d’une énergie postcoloniale qui fédère les jeunes, non plus pour construire des sociétés ouvertes, mais comme puissance dégagiste des logiques jugées néocolonialistes, et de ses suppôts, c’est-à-dire les pouvoirs locaux.
Que faire donc face à ce conservatisme qui semble invincible ? En Occident, la malédiction la plus commune est de la considérer avec un exotisme circonspect, un mépris. Mais plus troublant, au nom de la même logique décoloniale, on trouve, dans la gauche particulièrement, une lecture sous le seul prisme de la domination. Le statut de dominés est ainsi essentialisé et, par atavisme, il donne des privilèges. Tout discours contre ce conservatisme s’expose à des foudres qui les qualifient de néocolonialisme d’une nouvelle mouture des Lumières et de l’universalisme, toujours suspecté d’être un agent de domination. Avec le procès des Lumières dévoyées, le front décolonial s’inscrit dans une impasse, au moins partiel, dans le sens où il anesthésie tout discours émancipateur local. Il fonde ainsi une double logique territoriale et temporelle, celui des dominés éternels et des bourreaux éternels.
C’est à ce niveau que la Méditerranée devient une ligne de démarcation, que l’anticolonialisme comme matrice devient négateur d’un projet de progrès universel. La convergence des luttes semble ainsi être celle des conflits sourds, retardés par une logique de front. Elle nourrit indirectement un conservatisme à l’affût, conscient des porosités, des gisements de forces que contient le discours anti ou décolonial. Et dans cette configuration, les progressistes du Sud ont besoin de soutien, celui naturel de la gauche, qui pourtant les ignore au prix d’accommodements déraisonnables. Progressistes qui doivent tout de même éviter le baiser de la mort de la droite si diligente à rafler la mise et à travestir de nobles luttes.
El Hadj Souleymane Gassama (Elgas) est journaliste, écrivain et chercheur associé à l’Iris (Institut des relations internationales et stratégiques). Ses recherches portent sur le don, la dette, les transferts d’argent, la décolonisation et la démocratie en Afrique. Il est l’auteur de plusieurs livres et articles, et notamment de Les bons ressentiments. Essai sur le malaise post-colonial (Riveneuve, 2023).
BASSIROU DIOMAYE FAYE SERA À ABIDJAN, MARDI
Ce sera la première visite du nouveau dirigeant sénégalais dans ce pays d’Afrique de l’Ouest depuis son élection le 24 mars dernier.
Le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, va s’entretenir avec son homologue de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, mardi, à Abidjan, a appris l’APS d’une source proche du chef de l’État.
La présidence de la République de Côte d’Ivoire a également annoncé, sur son compte Twitter, un entretien de M. Faye avec son homologue ivoirien, mardi.
Ce sera la première visite du nouveau dirigeant sénégalais dans ce pays d’Afrique de l’Ouest depuis son élection, le 24 mars dernier.
DÉBUT DE LA PRÉSIDENTIELLE AU TCHAD, UN DUEL INÉDIT AU SOMMET DU POUVOIR
Les Tchadiens ont commencé à voter lundi pour mettre fin à trois ans de pouvoir militaire dans une présidentielle qui se résume à un duel inédit entre le chef de la junte, le général Mahamat Idriss Déby Itno, et son Premier ministre Succès Masra.
Les Tchadiens ont commencé à voter lundi pour mettre fin à trois ans de pouvoir militaire dans une présidentielle qui se résume à un duel inédit entre le chef de la junte, le général Mahamat Idriss Déby Itno, et son Premier ministre Succès Masra, ex-opposant rallié à son régime.
Dans le bureau de vote de la grande poste de Ndjambal Ngato, à deux pas de la présidence dans le centre de N'Djamena, un quartier réputé acquis à M. Déby, quelques électeurs ont commencé à voter. Dans trois autres bureaux de la capitale, l'affluence était également relativement faible à l'ouverture du scrutin, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Comme à Guinebor, dans le nord de la ville, où une dizaine de personnes s'impatientaient devant un bureau installé sous un arbre, encore fermé une heure après l'ouverture officielle du scrutin. A Abena, le quartier du siège du parti de M. Masra, une trentaine de personnes qui patientaient depuis une bonne heure, ont commencé à déposer leur bulletin dans l'urne.
Au début de la campagne, tous les observateurs prédisaient une victoire massive du président de transition Déby après que ses rivaux les plus dangereux ont été écartés. Mais l'économiste Masra, accusé par ses anciens alliés de l'opposition d'être un "traître" rallié au système Déby et vrai-faux candidat pour "donner un vernis démocratique" au scrutin, est apparu en fin de campagne comme un possible trouble-fête. Capable au moins de pousser le général à un second tour, en drainant des foules imposantes à ses meetings.
"Premier tour"
Déby et Masra, âgés de 40 ans, se sont dits chacun convaincu d'être élu au premier tour. Huit autres candidats ne peuvent espérer que des miettes, car peu connus ou réputés peu hostiles au pouvoir.
Le 20 avril 2021, après avoir régné 30 ans d'une main de fer sur le Tchad, le maréchal Idriss Déby Itno était tué au front par une des innombrables rébellions qui sévissent depuis l'indépendance de la France en 1960. Quinze de ses fidèles généraux proclamaient son fils Mahamat président d'une transition de 18 mois.
Il était aussitôt adoubé par une communauté internationale – France et Union africaine en tête – prompte à condamner et sanctionner les militaires putschistes ailleurs en Afrique, au motif principal que le Tchad est réputé être le pilier régional de la guerre contre les jihadistes au Sahel.
Mais 18 mois plus tard, la junte prolongeait la transition de deux ans et les militaires tuaient par balle plus de 300 jeunes selon les ONG, une cinquantaine selon le pouvoir, qui manifestaient contre cette extension. Plus d'un millier étaient déportés dans un bagne en plein milieu du désert, et des dizaines exécutés ou torturés, selon les ONG. Les principaux cadres de l'opposition étaient traqués et certains – dont M. Masra – ont fui en exil.
"Assassiné"
L'un d'eux, resté au pays, Yaya Dillo Djérou, cousin et principal rival du général Déby pour la présidentielle, a été tué le 28 février dernier par des militaires à l'assaut du siège de son parti. "Assassiné", "d'une balle dans la tête à bout portant", selon l'opposition et des ONG internationales.
Vendredi, la Fédération Internationale pour les droits humains (FIDH) s'est inquiétée d'une "élection qui semble ni crédible, ni libre, ni démocratique", "dans un contexte délétère marqué par (...) la multiplication des violations des droits humains", dont la mort de Dillo.
Le même jour, l'ONG International Crisis Group (ICG) a également émis des "doutes sur la crédibilité du scrutin" après l'éviction des candidats d'une "opposition politique muselée". M. Déby, grand favori, n'a aucun adversaire de poids hormis Succès Masra" mais celui-ci, nommé Premier ministre il y a quatre mois par M. Déby, a perdu "une partie importante de ses électeurs considérant qu'il est devenu un faire-valoir", conclut ICG.
Les deux ONG mettent aussi en doute "l'indépendance" des deux institutions chargées d'organiser le scrutin et de proclamer les résultats, dont les membres ont été nommés par M. Déby: le Conseil constitutionnel – qui avait invalidé dix candidats dont le remplaçant de M. Dillo – et l'Agence nationale de gestion des élections (ANGE).
"Le nouveau code électoral a supprimé l'obligation d'afficher les procès-verbaux (de dépouillement) à l'extérieur des bureaux de vote et permet de ne publier les résultats qu’au niveau régional, ce qui empêchera les observateurs de consolider les résultats par bureau de vote pour vérifier les chiffres", regrette ICG.
Par Madiambal DIAGNE
IL NE RESTE PLUS À DIOMAYE ET SONKO QUE DE NOMMER AMADOU BA PREMIER MINISTRE
Quand Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko voudront innover, changer les choses, opérer une rupture, ce sera à la fin du quinquennat. Ceux qui avaient voté pour la rupture ou pour le « dégagisme » apprécieront
C’est désormais assumé publiquement, vis-à-vis de l’opinion publique sénégalaise et auprès des partenaires techniques et financiers ! La gouvernance du tandem Diomaye-Sonko va s’adosser en quelque sorte sur le Plan Sénégal émergent (Pse). Ils ont fini par avouer, devant leurs électeurs, n’avoir pas eu de programme de gouvernement, contrairement à leurs promesses électorales les plus mirobolantes. Quand on s’amuse à relire les déclarations chocs de Ousmane Sonko pour pourfendre le Pse du temps où Macky Sall et ses équipes en vantaient les mérites, on retrouve des phrases du genre : «Le Pse est un leurre», «le Pse est tout sauf un plan d’émergence», «le Pse est une supercherie», «le Pse est le Plan Sénégal endettement», entre autres ; tout cela sous les vivats des foules excitées de militants. Les leaders de Pastef promettaient de remplacer le Pse par leur «Projet», le sésame qui ouvrirait grand les portes du développement économique et social. Ce miracle était si précieux qu’il fallait le cacher aux yeux curieux, pour mieux le préserver, le protéger du mauvais œil et ne le sortir de son écrin qu’au soir de la victoire électorale. On a vu dans la twittosphère et sur Facebook, et même sur des plateaux de télévision, des radios et des colonnes de journaux, de grands intellectuels plébisciter et défendre bec et ongles le «Projet», avec force arguments, que nous finissions par les considérer comme des auteurs de ce «Projet». L’existence du «Projet» était une évidence pour tout le monde, il peuplait notre quotidien. Pourtant, personne ne l’avait encore vu. Quand nous avions la curiosité de demander à voir ce «Projet», certains contempteurs nous rabrouaient. De grands intellectuels, au même titre que des citoyens moins qualifiés, croyaient à cette Arlésienne. La politique au Sénégal est le lieu où on peut poser ses fantasmes pour des certitudes. Les journalistes, qui relayaient les grandes idées du «Projet» virtuel, se sont aussi fait hara-kiri. J’invite à relire certains posts, et leurs auteurs doivent être dans leurs petits souliers quand le gouvernement leur annonce, sans sourciller, dans le communiqué du Conseil des ministres du 24 avril 2024, que la rédaction du «Projet», comme le nouveau référentiel de la politique économique et sociale du Sénégal, va démarrer et que la finalisation est attendue pour le dernier trimestre de l’année 2024. L’élaboration du «Projet» est confiée aux experts qu’un ministre de l’Economie, des finances et du plan qui s’appelait Amadou Ba, sous l’impulsion de Macky Sall, avait commis pour confectionner le Pse. Les mêmes personnes ont été appelées par un Premier ministre nommé Amadou Ba, pour l’élaboration du Programme d’actions prioritaires (Pap3 du même Pse). Que feront-ils alors de bien nouveau ?
Diomaye et Sonko font du Macky, sans Macky et les siens !
Le supplice des «avocats du Projet» est encore plus dur quand ils apprennent que le gouvernement décide de poursuivre les actions du Pse et accepte le programme signé par le gouvernement de Macky Sall avec le Fonds monétaire international (Fmi), couvrant la période 2023-2026, et que les conditions seront respectées (voir communiqué du Fmi du 3 mai 2024). En d’autres termes, quand Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko voudront innover, changer les choses, opérer une rupture, ce sera à la fin du quinquennat. Ceux qui avaient voté pour la rupture ou pour le «dégagisme» apprécieront ! On ose espérer que le nouveau ministre de l’Economie, du plan et de coopération, Abdourahmane Sarr, n’a pas été recruté sur la base de ses contributions caustiques et acerbes contre le Pse, et pour ses fumeuses théories sur la mise en place d’une nouvelle monnaie.
Finalement, on retiendra que le Pse est un bon programme (Conseil des ministres du 17 avril 2024). Finalement, on retiendra que la politique des bourses familiales et d’un Registre national unique (Rnu) des ménages pauvres et en situation de vulnérabilité (Conseil des ministres du 24 avril 2024) est une excellente trouvaille.
Finalement, le gouvernement plébiscite le Projet du Bus rapide transit (Brt) (Conseil des ministres du 2 mai 2024) et les infrastructures routières. Finalement, il considère que le Pont de Rosso, reliant le Sénégal à la Mauritanie, est un investissement structurant (visite du Président Faye en Mauritanie le 19 avril 2024). Finalement, on admet que les investissements dans les domaines de l’hydraulique, de la santé, de l’éducation, du transport, de Dakar Dem Dikk et dans les transports aériens, ou encore le Programme 100 000 logements, entre autres, sont adéquats et pertinents. Finalement, le gouvernement, à l’issue du Conseil interministériel sur la campagne agricole du 3 mai 2024, va poursuivre la même politique dans le secteur. L’Armée va procéder à la distribution des semences et des engrais. On espère que les militaires seront plus vertueux que les autres Sénégalais. Le ministre de l’Agriculture, de l’élevage et de la sécurité alimentaire, Mabouba Diagne, prend à son compte et se vante de distribuer des tracteurs et autres matériels agricoles acquis par le régime déchu. Allez chercher où sera la rupture ? Les hommes et les femmes, qui avaient en charge de conduire la mise en œuvre du Pse, vont, eux, changer et céder leurs places à d’autres têtes d’œuf. Ces dernières qui n’ont pas réfléchi ou pensé la politique, ou écrit le Pse qu’ils vont devoir appliquer ! Ceux qui avaient fait ce travail et engrangé quelques succès sont des nigauds, des corrompus, des nullards et des voleurs. Ce sont les ressources humaines qu’il faudra changer, «dégager», pour reprendre leur rhétorique violente ou musclée. Seulement, comme pour leur faire un pied de nez, le Fmi, à l’issue de sa Mission de la semaine dernière, prodigue des satisfécits pour l’équipe sortante. Dans le communiqué rendu public, on lit que le gouvernement du Sénégal (est-il besoin de rappeler qu’il était dirigé par le candidat malheureux Amadou Ba qui se voulait en quelque sorte le candidat d’une certaine continuité) «s’est montré résilient» en 2023. Puisqu’il faudrait dire toutes les vérités, le Fmi ajoute que l’installation de la nouvelle équipe gouvernementale a été facilitée par la mise en place fort opportune «des réserves de liquidités de plus de 320 milliards de francs». On apprend alors que les caisses n’étaient pas aussi vides que le ministre des Finances et du budget, Cheikh Diba, avait voulu le faire croire. Le paradoxe est alors que Bassirou Diomaye Faye, élu sur la promesse de la rupture contre la continuité préconisée pourtant par le candidat Amadou Ba, va finalement être le Président de la continuité que les électeurs ont refusée. Ils se sont convertis au Pse au point qu’on a pu lire un commentaire, tournant en dérision la situation, pour rebaptiser le Pse : «Plan Sonko émergent.»
«Puisque vous renierez plus tard, pourquoi ne pas renier tout de suite ?»
Ils sont arrivés au pouvoir sans y avoir été préparés.C’est en quelque sorte les mains dans les poches qu’ils ont pris les rênes du Sénégal. Que faudra-t-il faire ? Poursuivre ce qui était en train de se faire et alors renier tous leurs engagements et promesses. La grande promesse de réduire le coût de la vie sera renvoyée aux calendes du Kayor. Le Président Bassirou Diomaye Faye semble avoir trouvé une excuse aux difficultés de baisser le coût de la vie. Au Daaka de Médina Gounass, un événement religieux musulman, il a indiqué que les soubresauts et tensions sur la scène internationale constituent des handicaps pour un pays comme le Sénégal, car cela renchéritles coûts des importations. En outre, le Fmi a exigé et obtenu du gouvernement de rester dans la logique de diminution, pourne pas dire de suppressiondes subventions sur les denrées de base ou sur l’énergie. L’institution financière internationale relève notamment «des dépenses élevées de subventions à l’énergie (620 milliards de francs Cfa, soit 3,3% du Pib)». La seule concession laissée à Ousmane Sonko et à son équipe est de jouer peut-être sur les tranches de facturation de l’électricité. En termes moins ésotériques, le gouvernement pourra travailler sur les grilles tarifaires de la Senelec pour faire baisser le prix du kilowatt heure pour les tranches concernant les couches sociales les plus défavorisées (environ 1 150 000 ménages qui paient des factures mensuelles de moins de 15 000 francs), mais que cette baisse sera répercutée sur les factures des consommateurs relativement plus aisés.
Le Fmi reviendra au mois de juin pour évaluer le respect des engagements souscrits par le Sénégal, avant de pouvoir procéder à un décaissement, courant juillet 2024, de la deuxième tranche des prêts d’un total de 1150 milliards de francs. Là également, les autorités gouvernementales vont devoir renier leurs promesses de renoncer à l’endettement. Opposants, ils avaient pourfendu le sinistre Fmi, accablé de tous les torts et de tous les maux du Sénégal. «Les nouvelles autorités ont réaffirmé leur engagement à poursuivre le programme actuel soutenu par le Fmi. Elles reconnaissent que les principaux piliers du programme s’alignent sur leurs propres objectifs stratégiques.» Dire qu’elles avaient aussi fustigé la politique d’endettement pour financer les projets ! Diomaye et Sonko, une fois au pouvoir, se retrouvent à chercher et obtenir la caution du Fmi pour aller sur les marchés internationaux afin de lever de gros financements pour profiler la dette déjà existante, par des efforts de «réduction de sa vulnérabilité», afin de rester dans la situation d’un «pays à endettement à risque modéré». Le principe est assez connu, ils vont augmenter l’encours en faisant baisser le service de la dette. Résultat des courses ? Ils vont alors continuer à endetter le pays de plus belle. On leur disait que l’économie du Sénégal n’a pas la capacité de générer des recettes intérieures de 15 mille milliards de francs Cfa, comme le proclamait le leader de Pastef dans ses envolées populistes.
La bonne touche des réformes à apporter au Pse
Le gouvernement pourra, dans une logique d’une amélioration continue, jusqu’à l’horizon temporel de 2035 du Pse, introduire plus de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des projets. Ce que le Président Bassirou Diomaye Faye pourra apporter dans l’exécution du Pse, sera sans doute de mener le train de réformes prévues dans la gouvernance publique. Au Groupe consultatif de décembre 2018 à Paris, le Président Macky Sall s’était engagé à mener des réformes attendues par les partenaires, mais qu’il mettra sous le boisseau, au lendemain de la Présidentielle de 2019. Les réformes dans les secteurs de la Justice, de l’Administration centrale, comme la digitalisation des procédures, du secteur de l’énergie, de l’agriculture ou de la fiscalité. Le Code général des Impôts, déjà vieux de dix ans, a besoin d’être revu. Les réformes du secteur de l’énergie étaient aussi prévues dans le Millenium challenge account (Mca) alors que la transparence et la rationalisation des dépenses dans le secteur de l’agriculture avaient été dans les accords avec la Banque mondiale, du temps où Mme Louise Cord était représentante de l’institution au Sénégal.
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LES MOTS DE LA RECONQUÊTE
Autour de thématiques comme le foncier, la monnaie ou les bases militaires étrangères, la série "Où va le Sénégal" animée par l'étudiant-chercheur en Histoire à l'Ucad Florian Bobin, aura redessiné sur la trajectoire démocratique du pays
C'est le post-scriptum riche en réflexions d'une série phare qui a rythmé les débats ces derniers mois au Sénégal. "Où va le Sénégal ?", animée en 10 épisodes par l’étudiant-chercheur en Histoire à l'Ucad Florian Bobin, aura donné la parole à 25 diverses - chercheurs, artistes, militants, journalistes - pour mettre des mots sur la trajectoire d' un pays en pleine reconquête démocratique.
Dans ce dernier échange aux allures de bilan, Abdou Aziz Ndao, étudiant en littérature africaine et membre du Front Révolutionnaire Anti-impérialiste Populaire et Panafricain (FRAPP), analyse avec lucidité le sens de cette initiative suscitée par la dynamique organisation de gauche.
"C'était extrêmement important pour une organisation comme le FRAPP de tenir ces discussions, afin de remettre sur la table les problèmes cruciaux de souveraineté nationale", souligne le jeune militant. A l'heure où le Sénégal émerge d'années de dérive autoritaire, ces échanges permettront de "faire évoluer le processus démocratique" par la vertu du débat public.
Au cœur des discussions : des thématiques brûlantes comme le foncier, la monnaie, les bases militaires étrangères ou encore l'éducation populaire. Des sujets majeurs qui « continuent de troubler le sommeil » des peuples africains en quête de souveraineté réelle. Au-delà des constats, un message fort est rédigé aux nouvelles autorités : s'inspirer de l'héritage des luttes passées pour apporter les changements nécessaires.
Quelques épisodes de la série sont disponibles ci-dessous :
Alioune Tine prône la nécessité impérieuse d'un audit organisationnel global du système administratif sénégalais. Une opération de déminage indispensable pour "identifier les pathologies" d'une bureaucratie minée par les dérives et la corruption
C'est un plaidoyer à la fois lucide et ambitieux qu'a livré Alioune Tine, fondateur d'Afrikkajom Center, dans l'émission dominicale "Point de Vue" sur la RTS ce 5 mai 2024. Invité à s'exprimer sur les premiers pas du nouveau régime, l'expert des Nations Unies a dressé un constat sans concession des défis majeurs auxquels le Sénégal doit faire face, tout en traçant des pistes audacieuses pour renouer avec l'espoir.
Son message phare : la nécessité impérieuse d'un "audit organisationnel global" du système administratif sénégalais. Une opération de déminage indispensable pour "identifier les pathologies" d'une bureaucratie minée par des années de dérives et de corruption systémique. Seul ce préalable, juge M. Tine, ouvrira la voie à de véritables réformes structurelles et à l'avènement d'un "État neutre et impartial".
L'orateur a par ailleurs salué les premières mesures prises, notamment en matière de bonne gouvernance, de reddition des comptes et de protection du littoral. Mais il appelle sans détour à s'attaquer frontalement à l'urgence que constitue l'emploi des jeunes et la vie chère, en renégociant au besoin les accords internationaux défavorables.
Au chapitre des réformes politiques, Alioune Tine prône une cure de jouvence de la démocratie sénégalaise. Exit l'hyper-présidentialisme ; place à une justice transitionnelle, une participation citoyenne accrue et une "démocratie délibérative". Une remise à plat indispensable après les années de dérive qui ont mené aux tragiques événements de 2021-2024.
Mais c'est peut-être sur la scène internationale que l'analyste voit le plus grand défi à relever pour le Sénégal. Face à "l'impuissance des puissances" désormais patente dans la région, il incite le nouveau régime à embrasser un rôle d'équilibriste diplomatique. Une mission à laquelle Dakar serait idéalement positionnée pour apporter sa pierre, du Mali au Burkina Faso en passant par le Niger, contribuant à "recoller les morceaux" face à la déferlante terroriste.
LA PROMESSE TRAHIE DU RETOUR DES TRÉSORS D'AFRIQUE
Depuis l'engagement de Macron en 2017, l'attente se fait interminable pour les pays du continent. Dans une tribune cinglante, des responsables du Bénin, du Nigeria et du Sénégal dénoncent le "choc" d'un nouveau report de la loi sur les restitutions
(SenePlus) - Dans une tribune publiée dans Le Monde le 30 avril 2024, des responsables de musées et de la restitution du patrimoine du Bénin, du Nigeria et du Sénégal ont exprimé leur profonde déception face au report de la loi promise par Emmanuel Macron en 2017 pour faciliter les restitutions d'œuvres d'art africaines.
"Le report de la loi promise est pour nous un choc", ont écrit Babatunde E. Adebiyi, Fatima Fall Niang et Alain Godonou, déplorant que seuls 27 biens aient été rendus depuis les engagements du président français il y a sept ans.
En 2017 à Ouagadougou, M. Macron avait affirmé : "Je veux que, d'ici cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique." Cette déclaration, suivie du rapport Sarr-Savoy en 2018, avait soulevé un immense espoir chez les pays francophones dont certains trésors majeurs se trouvent encore en France depuis la colonisation.
Cependant, les critiques du Conseil d'État français sur le projet de loi, révélées par Le Monde, soulignent de nombreux vices juridiques. Le Conseil estime notamment que le projet "contrevient à un principe fondamental" en ne justifiant pas les restitutions par "un intérêt public supérieur".
"L'intérêt culturel des peuples n'est-il pas un motif impérieux, un intérêt général supérieur ?", s'interrogent les auteurs, citant le Pacte international de 1966 sur les droits civils et politiques ratifié par la France. Ils appellent à "fonder une éthique relationnelle repensée" avec des "commissions scientifiques paritaires" étudiant l'histoire de ces appropriations.
Le Conseil d'État a également critiqué la "conditionnalité" prévue par le texte, avec une "obligation de présentation au public" des œuvres restituées, perçue comme un contrôle néocolonialiste de la politique culturelle africaine.
"Depuis 2017, la France n'a restitué que 27 biens, alors que d'autres pays européens se sont engagés dans des restitutions bien plus ambitieuses", regrettent les responsables, évoquant le cas du Nigeria qui a recouvré la propriété de milliers d'œuvres via des accords.
"La restitution est d'un intérêt supérieur : transmettre notre histoire, éduquer, inspirer nos artistes, développer notre économie, refonder nos coopérations, asseoir notre identité", plaident-ils. "Nous sommes prêts à bâtir avec nos homologues français une éthique relationnelle repensée."
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APPEL AU GRAND SURSAUT
Penda Mbow aspire à une renaissance du Sénégal sur tous les plans. De la jeunesse en quête de sens à la place des femmes trop reléguées, rien n'échappe à son analyse visant à libérer tous les potentiels du pays
Dans une intervention incisive lors de l'émission "Grand Oral" sur Rewmi TV samedi 4 mai 2024, l'intellectuelle et activiste de renom Penda Mbow a lancé un vibrant appel au changement.
Avec sa verve habituelle, Mbow a dénoncé la sclérose du mouvement syndical, exhortant à un profond renouvellement des têtes et une refondation des structures. "Il faut reconstruire ce mouvement", a-t-elle martelé, déplorant le manque d'alternance réelle au sommet depuis des décennies. Dans la même veine, l'intellectuelle a appelé à la renaissance d'un leadership politique et intellectuel fort.
Penda Mbow a également insisté sur l'impératif de repenser le rôle de l'État et de redistribuer les pouvoirs trop concentrés. Selon elle, la "forte concentration entre les mains d'un seul individu" a trop duré, appelant à des réformes institutionnelles d'envergure. La justice, qu'elle juge « à terre », doit aussi être revigorée en toute urgence.
Femme de conviction, Mbow a réitéré son plaidoyer pour une réelle émancipation féminine, dénonçant les pesanteurs socioculturelles qui maintiennent les Sénégalaises à l'écart des sphères décisionnelles. "On écarte toujours les femmes quand elles ont une autonomie de pensée", a-t-elle regretté, exhortant le nouveau pouvoir à placer l'égalité des sexes au cœur de son agenda.
L'ancienne ministre n'a pas plus manqué de souligner le potentiel gigantesque de la diaspora sénégalaise, trop longtemps négligée selon elle. "Le moment est venu pour la diaspora d'être une force de mobilisation, de transferts de technologies et de ressources financières", a plaidé Mbow, citant l'exemple inspirant de l'Inde.
Enfin, s'appuyant sur l'héritage démocratique, intellectuel et diplomatique du Sénégal, Penda Mbow a exhorté le pays à assumer un leadership affirmé en Afrique et sur la scène internationale. "Nous devons tirer le meilleur de cette alternance et prendre le leadership pour l'Afrique et le reste du monde", a-t-elle lancé avec une conviction inébranlable.
par Patrick Chamoiseau
LES LITTÉRATURES FACE AUX URGENCES DU MONDE
Les forces progressistes de l'Hexagone trouvent normal que la France possède encore des "outremers" ; elles admettent ainsi que des peuples-nations différents soient niés dans leurs singularités
Le texte suivant est un extrait de : « Que peut Littérature quand elle ne peut ? », Discours de Strasbourg, avril 2024.
Aujourd'hui, s'il fallait questionner les littératures dans leur rapport au monde, donc à chaque être vivant, il serait indécent de parler d'autre chose que de Gaza. Il serait tout aussi bien honteux de ne pas évoquer l'irréductible intégrité de L'Ukraine quant à la santé de l'Europe et de cet autre monde que nous devons imaginer...
Je parlerai donc, ici, des littératures, mais en présence des palestiniens de Gaza, de Cisjordanie, de toutes les rives de leur exil. Auprès d'eux, restitués à leur terre, institués en État, je suis partisan d'une nation Israël qui, avec ses morts et ses souffrances, et au nom de sa mémoire elle-même, et donc plus que toute autre nation, s'inscrirait dans la légitimité juridique mondiale et le couperet de ses sanctions ; et qui se montrerait soucieuse des autres peuples, soucieuse du respect de la vie et de sa dignité ; et qui fonderait sa nécessaire sécurité sur les vivre-ensemble inédits, complexes, à mettre en œuvre dans ce monde autre qu'il nous faut désirer.
Mais, il serait inadmissible de pas inviter ici, sous cette arche offerte aux littératures, en présence des Tibétains et des Ouïghours en Chine ; des Rohingyas en Birmanie ; des Tutsis au Burundi et au Rwanda, des Kurdes en Syrie, en Irak, en Turquie ; des Peuples originels dans les Amériques et dans leurs archipels... tous ceux-là, en souffrance, en danger, et tant d'autres !
Haïtiens abandonnés, Syriens oubliés, Libanais délaissés, musulmans stigmatisés, Africains exploités, Kanaks encore spoliés, Mahorais emportés dans une fiction morbide, Antillais et Guyanais noyés dans l'étouffoir d'un "outremer" français où les vestiges coloniaux déshonorent la vieille République... Les forces progressistes de l'Hexagone trouvent normal que la France possède encore des "outremers" ; elles admettent ainsi que des peuples-nations différents soient niés dans leurs singularités et réduits par là-même à ne pas exercer dans la matière du monde leurs précieuses différences. Je les nomme un à un, les appelle tous, en ce qu'ils sont, ici, là-même, avec moi, parmi nous !
Et, puisque ce qui nous occupe sont les littératures, il serait indécent, devant vous, dans cette ville devenue à son tour capitale du sensible , de ne pas être habité des devenirs qui revendiquent ce monde que nous avons à deviner : je parle des devenirs empêchés de la situation-nègre, ceux de la situation-femme, de la situation-LGBT avec ses fluidités, ceux de ces minorités, de ces minorations, dont nous avons, chacun précisément, charge d'émancipation vers l'aurore des devenirs du monde, vers l'en-commun de nos devenirs-monde. L'accomplissement le plus élevé possible de ces devenirs est une urgence commune, un Nous très large pour lequel, nous, — artistes de la parole, serviteurs du langage — avons la charge d'apporter le renfort des plus hautes propulsions esthétiques.
Enfin, puisque nous sommes en Europe, si près du cimetière qu'est devenue la Méditerranée, — et qui rejoint pour moi cet autre cimetière, celui de l'Atlantique, cimetière oublié qui se souvient encore des longs sillages de la Traite négrière, — il serait indécent de ne pas convoquer un vaste désir-imaginant du monde, sans doute du monde que nous avons à faire, ouvert, mobile, un monde relationnel vers lequel nous avons tous à cheminer, à l'instar de ces hommes, de ces femmes, ces enfants qui, jour après jour, se noient dans la honte de vos indifférences, se fracassent au vif de vos frontières, s'écrasant sur vos murs, défiant vos barbelés, épelant les alphabets de l'opprobre, de l'offense, de la mort, dans des eaux soudainement barbares, sur des rives qu'on ne dirait pas civilisées mais que régentent pourtant des lois de la conscience commune. La Méditerranée est un immense sépulcre. On meurt, on laisse mourir, on regarde mourir, on tolère un océan de déchéances imposé à des hommes, des femmes, des enfants, et dans lequel où que l'on soit, où que l'on aille, on se retrouve à barboter. Rien de notre actuel niveau de conscience, de nos connexions démultipliées ou de nos transcendances concernant les questions de l’Humain ne parvient à s’opposer à cela. Ces migrants nous fixent, et nous ordonnent déjà un autre monde que nul ne saurait refuser.
Désormais, l'imaginaire capitaliste rassemble sous une même intention les anciennes puissances antagonistes. Son intention souveraine régente en solitaire nos existences, notre monde, la planète. Nous l'avons tous intériorisé au point de consentir à ses horreurs et à leurs ondes de choc. Sous sa régie, la planète réifiée, le vivant abîmé, s'effondrent dans des délitements écosystémiques qui vont faire dérailler nos bases existentielles. Un inconnu s'impose dans une lente catastrophe et dessine une possible disparition de notre espèce. Partout, du profond à l'entour, nous acceptons l'inacceptable jusqu'à l'inscrire dans nos banalités. Pourtant, ce ne sont pas les experts et expertises qui manquent. Discours savants, envolées rationnelles, exposés chiffrés, prédictions scientifiques, démonstrations historiques et horlogeries sociologiques sont légion. Mais, de fait, tous, au fil du temps, n’affectent pas l’inhumain qui sans mollir s’en accommode, mouline de plus belle, et s’installe pour durer, en nous, autour de nous. La Méditerranée, l'Atlantique, sont des gouffres symboliques qui ouvrent la voie aux proliférations inépuisables des crimes. Gaza est déjà un gouffre ouvert dans la conscience occidentale. L'Ukraine en est potentiellement un autre. L'arme nucléaire voit son option réactivée au-dessus un abîme offert à nos folies. Les équilibres du vivant s'effondrent en un trou noir comme sous l'impact de convergences morbides. Trump, Erdogan, Méloni, Le Pen, Bardella, Netanyahu, Orban, Poutine, Modi, Bolsonaro... fleurissent dans les premiers décombres... créatures consternantes... surgies d'un obscurantisme planétaire... incapables de penser un autre possible du monde, d'amorcer un quelconque avenir... N'exhibant que des défroques ramenées du passé, leurs triomphes insultent nos devenirs.
Notre conscience, maintenant individuée, nous rend tous responsables. Nous savons. Nous voyons. Nous entendons. Nous lisons. Nous constatons. Nous sommes comptables autant de ce que nous faisons que de ce que nous ne faisons pas. Chaque geste compte, chaque absence pèse, chaque défaillance menace l’équilibre salvateur : c’est la grandeur, la misère et le défi du principe de la démocratie désormais en péril. Nous ne pouvons plus rien déléguer d’essentiel : la responsabilité est diffuse, dans chaque instant, dans chaque seconde. Chacun se retrouve garant du niveau d’exigence de la seconde qui passe. Pourtant, ce niveau d’exigence n’est pas inatteignable : partout, dans les villes, les déserts et montagnes, dans les aubes et les neiges, sur les rives en Méditerranée, à Gaza, en Ukraine, en Russie, en Haïti, en Afrique, en Chine, en Inde, aux Amériques ou dans la Caraïbe, dans toutes les terres, toutes les guerres, tous les effondrements, il y a des gens, pas des héros de foire, créatures à médias ou philosophes utiles à nos consommations, mais des gens de l’ordinaire, des organismes, des associations dont le seul blason et dont les seuls moyens relèvent de la ferveur, qui agissent, qui contredisent les lois, qui bravent les tribunaux serviles et les barreaux de prison.
Qui refusent.
Qui, le faisant, nous instruisent de notre propre devoir et de la grâce de ce que peut l’éthique. Des gens qui ne renoncent pas à une idée exigeante d'eux-mêmes, et qui se portent au-devant des souffrants comme ils s’agenouilleraient au pied d’une sacralisation. Dessous les renoncements officiels, le possible citoyen, la ferveur anonyme, persistent comme une matière ultime. L’équation imprévisible, l’immesurable d’un au-delà de l’intelligible et du sensible, émerge, scintille. Demeure. Un improbable de ce qui fait l’humain se maintient sur la scène en pollens de lucioles encore indéchiffrables.
Alors que l'horreur peut s'asseoir à la table, — que l'indécence fleurit dans la vertu économique, que le besoin du symbolique, la vigueur spirituelle, le jeu de l'esprit créateur, sont évincés par les fastes matériels, que des monstruosités populistes devenues éligibles s'emparent des États, que les États eux-mêmes réduits au dogme marchand n'ont plus que le biais du racisme, de la xénophobie, des vieilles furies territoriales, nostalgies impériales, pour se donner l'illusion d'une action politique — rien de notre actuel capacité de conscience, de nos connexions démultipliées ou de nos transcendances, ne parvient à sérieusement s'y opposer. Quand une civilisation dominante renonce à ses propres valeurs, ou qu’elle ruse avec ses avancées, quand elle justifie l’injustifiable, quand elle déserte ses propres élaborations de ce qui est humain, ou qu’elle accepte que des pays s'effondrent, que des valeurs périssent, que des lots personnes puissent mourir à ses portes, c’est qu’il y a une part de l’intelligible et du sensible, et un au-delà de l’intelligible et du sensible, qui s’est fermé à toute élévation
C‘est cette fermeture qu’il nous faut questionner.
L’Art y peut quelque chose.
Les littératures donc....
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LES FEMMES RÉCLAMENT LEUR PLACE
Un nouveau collectif de femmes s'est formé pour réclamer davantage de place dans la prise de décision politique. Réunies à Dakar, elles ont lancé leur manifeste dénonçant leur sous-représentation au sein du gouvernement
(SenePlus) - Un collectif de femmes s'est réuni samedi 4 mai 2024 à Dakar pour lancer officiellement le "Cadre de concertation citoyen pour le respect et la préservation des droits des femmes et des filles", un nouveau mouvement féministe qui demande une meilleure prise en compte des femmes dans la gouvernance au Sénégal, selon un reportage de la radio RFI.
Réunies dans l'auditorium de la place du Souvenir africain, plusieurs dizaines de femmes vêtues d'orange et de blanc ont écouté avec attention la lecture du manifeste du mouvement par Arame Gueye. Dans ce manifeste, le collectif déplore notamment la faible représentation des femmes dans le nouveau gouvernement annoncé le 5 mars dernier, qui ne compte que 4 ministres sur 30.
"Cette sous-représentation est inquiétante et ne garantit pas la préservation des acquis en matière de droits des femmes", a affirmé Arame Gueye, pointant du doigt la suppression récente du ministère chargé de la condition féminine. Le mouvement demande au président Bassirou Diomaye Faye de garantir une "représentation équitable des femmes dans toutes les instances de gouvernance et de prise de décision".
Parmi les militantes présentes, Aminata Diallo, adjointe au maire d'une commune de Dakar et présidente du Réseau des femmes élues locales, s'est dit "déçue" de constater que seules deux femmes figurent parmi les 10 dernières nominations à la tête d'agences et sociétés publiques. "Nous avons les mêmes diplômes que les hommes, pourquoi cette discrimination ?", s'est-elle insurgée.
Les militantes espèrent pouvoir rencontrer prochainement le Premier ministre Ousmane Sonko ou le Diomaye Faye pour leur présenter leurs revendications de représentation égale.