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30 novembre 2024
International
L'OPPOSITION SAISIT LE JUGE CONSTITUTIONNEL
Un groupe de Trente-sept députés ont saisi le Conseil constitutionnel afin de dénoncer l'inconstitutionnalité de la loi adoptée pour reporter le scrutin au 15 décembre
Un groupe de trente-sept députés de l’opposition ont déposé jeudi au greffe du Conseil constitutionnel une saisine en inconstitutionnalité contre la loi portant report au 15 décembre prochain de l’élection présidentielle du 25 février, a appris l’APS de bonne source.
Ayib Salim Daffé et Samba Dang, députés à l’Assemblée nationale, agissant à leur nom et au nom et pour le compte de trente-sept autres parlementaires ont notamment déposé une saisine en inconstitutionnalité contre la loi portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de la constitution, a indiqué la source.
Cette saisine du Conseil constitutionnel survient après que l’Assemblée nationale a adopté lundi tard dans la soirée une proposition de loi reportant au 15 décembre prochain l’élection présidentielle initialement prévue le 25 février.
Quarante-heures avant, le chef de l’Etat, dans une brève adresse à la nation, a annoncé l’abrogation du décret convoquant le corps électoral le 25 février.
Macky Sall, élu et réélu en 2012 et en 2019, a réaffirmé sa volonté de ne pas se présenter à cette élection, une promesse qu’il avait faite en juillet dernier.
Pour reporter l’élection, il a invoqué des soupçons de corruption concernant des magistrats parmi ceux qui ont procédé à l’examen des 93 dossiers de candidature et jugé recevables 20 d’entre eux.
Une commission d’enquête parlementaire a été constituée à la demande de l’ex-parti au pouvoir, le PDS, dont le dossier de candidature a été rejeté par le Conseil constitutionnel en raison de la double nationalité de son candidat, l’ancien ministre Karim Wade.
Ce parti a demandé et a obtenu la création d’une commission d’enquête parlementaire après l’invalidation de la candidature de M. Wade.
MACKY SALL FACE À LA FRONDE
La décision de reporter l'élection présidentielle provoque un tollé sans précédent. Sous pression de la communauté internationale, le chef de l'État demande l'apaisement. Mais la contestation grandit face à ce report de dernière minute jugé illégitime
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 08/02/2024
Le président sénégalais Macky Sall fait face à la pression après avoir ordonné le report de l'élection présidentielle prévue initialement le 25 février au 15 décembre. Cette décision controversée a suscité un tollé de l'opposition et de la société civile qui dénoncent un "coup d'Etat constitutionnel".
Sous pression internationale, M. Sall a demandé à son gouvernement de prendre des "mesures d'apaisement" suite aux protestations. La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) a enjoint le Sénégal à "rétablir de toute urgence" le calendrier initial lors d'une réunion de ses ministres des Affaires étrangères au Nigeria. L'Union européenne et les États-Unis ont également exprimé leurs inquiétudes quant au risque de troubles et à l'atteinte portée à la démocratie sénégalaise.
Cependant, comme l'a déclaré le ministre des Affaires étrangères Ismaïla Madior Fall sur France 24, "nous privilégions aujourd'hui la logique politique interne". Le report a été approuvé par l'Assemblée nationale avec les voix du camp présidentiel et d'un candidat recalé, selon l'AFP.
Cette décision constitutionnellement douteuse pourrait ramener le pays à la case départ du processus électoral et alimente les soupçons d'une manœuvre pour éviter une défaite du candidat du pouvoir ou maintenir M. Sall plus longtemps. Des tentatives de manifestations ont été matées et des interpellations ont eu lieu. Une journée ville morte est prévue vendredi dans la capitale Dakar par un collectif d'organisations de la société civile.
Face à l'une des plus graves crises politiques depuis des décennies, M. Sall a réaffirmé sa confiance au Premier ministre Amadou Ba, désigné candidat malgré les critiques dans son propre camp.
MACKY SALL ACCUSÉ DE TUER LE SUFFRAGE UNIVERSEL
Le comité "Doleel PIT-Sénégal" appelle à l'union des forces vives de la nation pour empêcher "la dérive du camp libéral (APR/ PDS) et de la démission nationale". Il exhorte syndicats, partis politiques et société civile à intensifier la protestation
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 08/02/2024
En reportant sine die la date de la prochaine présidentielle, le président Macky Sall plonge le Sénégal dans l'inconnu et brise la vitrine démocratique du pays, selon les opposants.
"Sa parole n'est plus digne de confiance" déclare le Comité pour la Plate-forme de Réflexions "Doleel PIT-Sénégal ngir defaraat reewmi" dans son communiqué du 7 février 2024. Beaucoup avaient en effet vu venir cette dérive dictatoriale, à travers les agissements du chef de l'État ces dernières années : son fameux "ni oui ni non", la dissolution de la Commission électorale nationale autonome (CENA), la répression des manifestations de mars 2021 et juin 2023, l'emprisonnement de leaders de l'opposition comme Ousmane Sonko.
En reportant l'élection, Macky Sall montre selon ses détracteurs "sa peur bleue des lendemains de l’alternative" que représentait l'opposant pressenti pour la victoire au premier tour, Ousmane Sonko. Le président sortant se substitue ainsi au peuple souverain et remet en cause les décisions du Conseil constitutionnel, devenant aux yeux de beaucoup "le fossoyeur patenté de la République".
Face à cette dérive anticonstitutionnelle, le comité "Doleel PIT-Sénégal" appelle dans son communiqué à l'union de toutes les forces vives de la nation pour empêcher "la dérive du camp libéral (APR/ PDS) et de la démission nationale". Il exhorte syndicats, partis politiques et société civile à intensifier la lutte par des mouvements de protestation. Le comité demande aussi aux organisations internationales comme l'ONU, l'UA ou la CEDEAO d'exiger fermement le respect du calendrier électoral par Macky Sall.
LA CEDEAO AU PIED DU MUR
Son impuissance jugée "évidente" après le report de l'élection au Sénégal. Ses communiqués ne suffisent plus, selon des experts. Réunie en urgence ce jeudi, l'organisation doit retrouver les moyens d'agir pour stabiliser la région
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 08/02/2024
La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) tient ce jeudi une réunion d'urgence à Abuja, au Nigeria, pour discuter de "la situation sécuritaire et politique actuelle dans la région", selon son Conseil de médiation et de sécurité. Cette réunion intervient dans un contexte de crises majeures au Sénégal, au Burkina Faso, au Mali et au Niger, mettant à l'épreuve l'influence de l'organisation ouest-africaine.
"Le report de l'élection présidentielle sénégalaise est une 'nouvelle crise dont la Cédéao n'a pas besoin'", déclare à l'Agence France-Presse (AFP) Djidenou Steve Kpoton, consultant politique béninois indépendant. "Son impuissance face à la situation est évidente", ajoute-t-il. Au Sénégal, l'annonce samedi du report de la présidentielle du 25 février 2024 par le président Macky Sall a provoqué la pire crise politique depuis des décennies dans ce pays d'habitude stable.
Selon Rama Salla Dieng, maîtresse de conférences en études africaines à l'Université d'Edimbourg, la Cédéao "publie des communiqués, mais lorsqu'il s'agit d'agir, elle ne fait rien". "Un coup d'État est un coup d'État, il y avait des élections planifiées avec une date fixée. On a l'impression qu'ils sont vraiment impuissants", estime-t-elle. Depuis leurs coups d'État respectifs, le Burkina Faso, le Mali et le Niger se sont officiellement retirés de la Cédéao cette semaine, compliquant encore davantage la situation.
Face à cette série de crises, certains experts appellent à une réforme de l'organisation. "On ne peut pas continuer comme si de rien n'était", affirme Mme Dieng, appelant à consulter le public sur le rôle de la Cédéao. Reste à savoir si cette dernière, créée il y a près de 50 ans, sera capable de s'adapter aux nouveaux défis sécuritaires et politiques en Afrique de l'Ouest.
Texte Collectif
STOPPER LE COUP CONSTITUTIONNEL
Macky Sall s’aventure à entraîner le Sénégal sur la voie de l’instabilité, de l’anarchie et des troubles civils, et toutes les forces démocratiques en Afrique et dans le monde devraient converger dans une lutte unie pour stopper cette dérive
Nous, intellectuels africains et activistes de la société civile réunis à Abuja ce 7 février 2024, tenons à exprimer notre choc et notre profond dégoût face à l'utilisation des gendarmes pour expulser physiquement les parlementaires de l'opposition de l’Assemblée nationale la veille, en vue de l'adoption d'un projet de loi inconstitutionnel prolongeant le mandat du président Macky Sall pour un troisième mandat et reportant l’élection présidentielle qui étaient prévues le 25 février 2024.
Cet acte constitue une violation flagrante de l'État de droit et des droits démocratiques du peuple sénégalais. C’est également une violation de la Charte de l’Union africaine, de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, ainsi que du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance, auxquels le Sénégal a adhéré et intégré dans son droit interne.
Nous exhortons donc le gouvernement sénégalais à respecter la sacralité du processus démocratique.
Nous avons suivi avec un vif intérêt la détermination du peuple sénégalais à bloquer toutes les tentatives du président Macky Sall de se procurer un troisième mandat ainsi que son annonce de ne pas rechercher un tel mandat illégal, catégoriquement interdit par la Constitution du Sénégal. Il est désormais clair que sa déclaration publique n’était qu’une ruse pour tromper le peuple et poursuivre son ambition mégalomane de prolonger son règne.
C'est pour cette raison qu’il a déployé la police pour arrêter brutalement toutes les manifestations, couper Internet et continuer à utiliser le système judiciaire pour emprisonner et intimider tous ceux qui s’opposent à son ambition de continuer à gouverner par des moyens extraconstitutionnels.
Le président Sall s’aventure à entraîner le Sénégal sur la voie de l’instabilité politique, de l’anarchie et des troubles civils, et toutes les forces démocratiques en Afrique et dans le monde devraient converger dans une lutte unie pour stopper cette dérive et maintenir le Sénégal dans sa tradition démocratique.
Nous appelons le peuple sénégalais à maintenir sa lutte opiniâtre pour la préservation de la démocratie. Il s'agit d'une lutte commune pour tous les Africains et les forces démocratiques ;
Nous appelons la CEDEAO, l’UA et l’ONU à déclarer ouvertement que les actions du président Sall et des crapuleux législateurs qui ont soutenu son projet de loi anticonstitutionnel sont contraires à la Constitution, tout en exigeant un retour immédiat à l'ordre constitutionnel et au calendrier électoral prévu.
Le constitutionalisme et l’organisation des élections en temps voulu sont les fondements de la démocratie qui doivent être préservés.
Ont signé cette déclaration :
⎯ Prof Adele Jinadu
⎯ Prof Adebayo Olukoshi
⎯ Dr Kole Shettima, Abuja, Nigeria
⎯ Dr Emmanuel Akwetey, Institute for Democratic Governance, Accra, Ghana
⎯ Prof Jibrin Ibrahim, Senior Fellow, Centre for Democracy and Development, Abuja
⎯ Prof Mohammad Kuna, Usman Danfodiyo University Sokoto, Nigeria
⎯ Dr Charmaine Pereira, Independent Scholar, Abuja
⎯ Princess Hamman-Obels, The Electoral Hub, Abuja
⎯ Moussa Tchangari, Alternative Espaces Citoyens, Niamey
⎯ Adagbo Onoja, Abuja, Nigeria
⎯ Dr. Sa’eed Husaini, Abuja, Nigeria
⎯ John Odah, Abuja, Nigeria
⎯ Samson Itodo, Yiaga Africa, Nigeria
⎯ Professor Victor Adetula, University of Jos, Nigeria
⎯ Professor Istifanus Zabadi, Bingham University, Nigeria
⎯ West Africa Civil Society Institute
⎯ Professor Warisu O Ali, Abuja
⎯ Professor Remi Aiyede, University of Ibadan
⎯ Bernadette French
⎯ Gloria Ukpong, The Electoral Forum, Abuja, Nigeria
⎯ Everest Amaefule, The Electoral Forum, Abuja, Nigeria
⎯ Okechukwu Ndeche, Dispute Resolution Practitioner, Abuja, Nigeria
⎯ Dr. Lassane Ouedraogo, Researcher, CDD West Africa, Abuja, Nigeria
⎯ E.A. Johnson, Electoral Practitioner, The Electoral Forum
LE REPORT DE L’ELECTION AU SÉNÉGAL AU MENU DE LA SESSION D’URGENCE DE LA CEDEAO CE JEUDI
Après le report de la présidentielle sénégalaise, la CEDEAO a exhorté Dakar à respecter son calendrier électoral initial. Mais elle essuie de plus en plus de critiques qui remettent en cause son influence sur les Etats membres.
La CEDEAO se réunit ce jeudi en urgence. La crise politique au Sénégal est bien inscrite à l’ordre du jour. Le pays est en passe de traverser une crise politique sans précédent après le report de l’élection présidentielle qui aura finalement lieu ce 15 décembre 2024. Lors de cette réunion, il sera aussi question des situations au Niger, Burkina Faso et Mali. Ces trois derniers ont annoncé la semaine dernière leur retrait de l’organisation sous-régional.
Les ministres des affaires étrangères de la CEDEAO devront tous prendre part à cette réunion, la présence de leur homologue Sénégalais reste à confirmer. Nous apprend-t-on.
Après le report de la présidentielle sénégalaise, la CEDEAO a exhorté Dakar à respecter son calendrier électoral initial. Mais elle essuie de plus en plus de critiques qui remettent en cause son influence sur les Etats membres.
VIDEO
LA PEUR DES URNES DE MACKY SALL
René Lake décrypte les motivations cachées du président sur VOA à travers l'émission « Straight Talk » diffusée en anglais. Selon lui, aucun des candidats pressentis n'arrangeaient le chef de l'État soupçonné de vouloir écarter certains noms menaçants
Le politologue sénégalais basé à Washington, René Lake, a analysé le report de l'élection présidentielle annoncé par Macky Sall sur le plateau de l'émission politique américaine consacrée à l'Afrique sur VOA Aftique « Straight Talk ».
Pour René Lake, « le paysage des candidats ne convenait pas à Macky Sall ». Selon lui, « le premier ministre Amadou Ba était donné perdant » et « Pastef représentait une menace, avec un candidat qui aurait de grandes chances de gagner ». Le président aurait ainsi voulu « redistribuer les cartes » pour choisir son adversaire.
Interrogé sur la perception de coup d'État institutionnel par l'opposition, l'analyste rappelle que des opposants comme Khalifa Sall « ont déjà été victimes de l'instrumentalisation de la justice ». Et d'ajouter : « Le nouveau candidat de Pastef, Bassirou Diomaye Faye, aurait été un scénario catastrophe pour Macky Sall ».
Sur l'image démocratique du Sénégal, René Lake indique que cette décision « a changé la perception ». Il rapporte même les propos d'un sénateur américain qualifiant la situation de « dictatoriale ». Pour l'invité de VOA, Macky Sall « utilise le système judiciaire de manière partisane » depuis son accession au pouvoir.
par Dialo Diop
LE LEGS POLITIQUE DE CHEIKH ANTA DIOP ET LES DÉFIS CONTEMPORAINS
Éclairage sur les principes qui inspirèrent la conduite politique de Cheikh Anta durant ses années partisanes, et comment il fut un aiguillon du pouvoir senghorien, se positionnant contre le gouvernement tout en faisant recours aux institutions
Dans ce témoignage précis, Dialo Diop, compagnon de route du Rassemblement national démocratique (RND), apporte un éclairage sur les principes qui inspirèrent la conduite politique de Cheikh Anta Diop durant ses années partisanes, et comment il fut un aiguillon du pouvoir senghorien, se positionnant contre le gouvernement tout en faisant recours régulièrement aux institutions. En second lieu, il montre les traces actuelles de cet héritage, tant parmi les intellectuels que les militants.
Rencontre avec Cheikh Anta Diop et parcours intellectuel et militant
Hasard ou nécessité, mon père, Ibrahima Blondin Diop, fut un ami personnel de Cheikh Anta Diop. « Médecin africain » de formation, il a choisi, à la veille des « Indépendances africaines », de poursuivre un cycle complet d'études médicales à Paris (doctorat et spécialité en endocrinologie). De ce fait, mes frères et moi-même avons eu l'occasion de rencontrer Cheikh Anta Diop dès 1958, nos domiciles étant proches dans la banlieue parisienne, lui à Villemomble et nous à Gournay. Rentré au pays immédiatement après avoir soutenu sa thèse de doctorat d'Etat ès lettres en 1960, nous ne l'y retrouverons qu'en 1965. Il rendait régulièrement visite au papa, quand il se trouvait à Dakar, jusqu'à sa mort subite, le 7 février 1986, où son certificat de décès fut établi par son fidèle et vieil ami !
Cependant, ma relation personnelle avec lui s'est nouée après ma sortie de prison en mars 1974, lors de la libération de tous les prisonniers politiques du Sénégal (une vingtaine), prélude à une « ouverture démocratique » limitée. C'est en effet dans les rangs de la jeunesse du Rassemblement national démocratique (RND) que Cheikh Anta Diop dirigeait, que j'ai eu l'opportunité de réviser ma formation marxiste-léniniste initiale pour m'orienter vers le nationalisme africain ou panafricanisme. Je fus ainsi le plus jeune membre du Bureau politique du RND durant la période de lutte pour sa reconnaissance légale (1976-1981).
Du point de vue du cursus académique, outre la majeure partie de mon cycle primaire et secondaire à Paris (lycées Montaigne et Louis-le-Grand), j'ai passé un baccalauréat série A à Dakar (1968) et obtenu une licence de philosophie à Paris 8 Vincennes (1970). Après ma sortie de prison, j'ai repris mes études de médecine à la Faculté de Dakar, d'où j'ai été exclu en fin de troisième année. C'est ainsi que j'ai dû regagner Paris, afin d'y achever mon cycle d'études médicales de 1978 à 1982 (Paris 6 Pitié-Salpêtrière).
Rentré au pays, j'y ai exercé dans la fonction publique loin de la capitale, en Casamance notamment, et me suis en fin de compte de compte réorienté vers la biologie moléculaire sur les conseils avisés du prof. Cheikh Anta Diop, qui me l'a désignée comme une « science d'avenir ». C'est ainsi qu'après un recyclage en maîtrise de biochimie, puis un DEA de biologie moléculaire (1986-1988), j'ai soutenu une thèse de doctorat ès sciences biologiques en 2006 (Paris 6 Jussieu).
Enfin, en ce qui concerne mon parcours politique, disons simplement que depuis que j'ai viré ma cuti de la maladie infantile du gauchisme, j'ai adhéré au RND, dont je suis membre fondateur, siégeant au Bureau politique depuis 1976, élu secrétaire général adjoint au Second Congrès (1992), puis SG titulaire aux Troisième et Quatrième Congrès (2008-2016). Notre parti ayant fusionné, en compagnie d'autres alliés politiques, avec celui des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (Pastef), j'assume à présent les fonctions de vice-président dudit parti, chargé du panafricanisme et des questions mémorielles.
Le parcours politique de Cheikh Anta Diop témoigne de la continuité de son engagement
Il convient de relever que le premier parti politique auquel il a adhéré à la fin des années 1940, durant ses études universitaires à Paris, fut le Rassemblement démocratique africain (RDA), dont il a dirigé la section estudiantine en France de 1950 à 1953. De même, le troisième et dernier parti politique qu'il crée après son retour définitif au pays en 1960 et dirige jusqu'à son dernier souffle est le Rassemblement national démocratique (RND) en 1976. Entre-temps, il a initié deux autres partis politiques, le Bloc des masses sénégalaises (BMS, 1961) et le Front national sénégalais (FNS, 1963-1964) qui furent respectivement dissous et interdits par le président Léopold Senghor. Quant au RND, il dut lutter pied à pied et faire face, quasiment seul, au despotisme senghorien cinq ans durant, avant d'obtenir de son successeur désigné, la reconnaissance légale du parti, en 1981.
L'on voit ainsi apparaître, dès le début de son engagement, une constante caractéristique de la conduite politique de Cheikh Anta Diop : la volonté de rassembler les forces patriotiques et démocratiques, de faire bloc ou front face à l'adversaire, doublée du souci de considérer l'Afrique comme un seul et unique champ de bataille, une totalité organique, définissant la patrie à défendre et la nation à reconstruire. Il s'agit là, d'un invariant politique, d'ordre à la fois stratégique et tactique, que l'on retrouva tout au long de son parcours.
En témoignent notamment sa visite à Londres en 1951, à la tête d'une délégation de l'Association des étudiants du RDA venue rencontrer ses homologues de la West African Students' Union (WASU) qui, à leur tour, vont participer au Premier Congrès panafricain des étudiants africains tenu à Paris en juillet de la même année, ou encore sa solidarité active avec le Front de libération nationale (FLN) d'Algérie dès le déclenchement de la guerre d'indépendance le 1* novembre 1954, et l'année suivante, avec celle de l'Union des populations du Cameroun (UPC), section camerounaise du RDA dirigée par Ruben Um Nyobe (1913-1958). Plus tard, il dénonce le soutien occidental (anglo-américain et franco-allemand) au programme d'armement atomique du régime d'apartheid en Afrique du Sud, et apporte le ferme soutien du RND à la résistance armée du Polisario contre le projet d'annexion monarchique marocain, pour le respect du droit à l'autodétermination du peuple sahraoui.
Encore étudiant et prêchant par l'exemple au début des années 1950, il multiplie les conférences publiques à l'intention tantôt d'un auditoire africain lettré à Paris, tantôt d'un public dakarois ou saint-louisien réputé analphabète, auquel il s'adressait alors en wolof, durant ses vacances, pour attirer l'attention de l'opinion sur la « nécessité et la possibilité d'un enseignement dans la langue maternelle en Afrique' » ou bien sur les risques de sécheresse et de désertification au Sahel...
Et l'on retrouve aussi dans le programme de son parti jamais reconnu, le FNS (1963-1964), ses thèmes de prédilection récurrents et transversaux tels que « réaliser l'unité fédérale de l'Afrique noire » au plan po-litique, « restaurer la conscience de notre continuité historique » au plan culturel, « rechercher la sécurité économique du citoyen » au plan social et enfin « créer des secteurs d'État dans l'industrie et l'agriculture » au plan économique?.
C'est dire à quel point, tout au long d'une vie d'épreuves et de luttes théoriques et pratiques, il a su faire preuve de constance et de lucidité dans ses orientations politique et doctrinale, autant que de cohérence et de rigueur dans ses méthodes de lutte et de travail.
Malgré son engagement, Cheikh Anta Diop n'accède jamais au pouvoir, quitte à rester en retrait
L'une de ses formules favorites, répétée au soir de sa vie, indiquait que ni lui-même, ni ses partis politiques successifs « n'étaient intéressés par le pouvoir pour le pouvoir », réaffirmant ainsi son indifférence aux « délices et poisons » de la toute-puissance étatique !
C'est dans le cadre de son combat politique partisan qu'il va donner la mesure de l'ampleur et de l'originalité de son engagement personnel. En 1958, l'effondrement de la Quatrième République française, sous les coups de massue de la défaite de Dien Bien Phu, de la résistance algérienne et de la montée en puissance du RDA et des autres mouvements anticolonialistes (PAI, PRA, etc.), est sanctionné par le retour au pouvoir du général Charles de Gaulle. Cette évolution inattendue va nécessiter une révision déchirante de la politique coloniale de la France en Afrique. Un comité ad hoc fut donc créé pour la rédaction de l'avant-projet de Constitution de la future Cinquième République, à soumettre au référendum. Quelques élus africains de l'ancien empire devenu « Union française » furent conviés à y prendre part. Pressenti, Cheikh Anta Diop opposa un refus catégorique, arguant qu'on ne saurait lui demander d'aider à « une réflexion sur la meilleure manière de ligoter et asservir son propre peuple » !
Et ceci, contrairement aux députés Félix Houphouët Boigny et Léopold Sédar Senghor, qui vont non seulement y siéger, mais finiront de surcroît par se retrouver, au lendemain du référendum du 28 septembre, ministre ou secrétaire d'Etat dans le premier gouvernement de Gaulle. Et cela jusqu'à leur installation en 1960 comme présidents des pseudo-républiques de Côte d'Ivoire et du Sénégal respectivement !
Après sa mémorable soutenance de thèse, le 9 janvier 1960, et son retour immédiat au pays, avec l'intention déclarée de contribuer à la formation des cadres et à la recherche scientifique, ce pédagogue né s'est vu privé d'enseignement pendant deux décennies et même arbitrairement (mais brièvement) mis en prison en 1962, suite à une provocation partisane dans un contexte électoral.
Il a en outre su résister aux oftres insistantes du président Senghor de rallier son régime, moyennant un double quota substantiel de ministres et de députés, à condition qu'il renonce au programme de son propre parti et consente à le dissoudre dans le sien, l'Union progressiste sénégalaise (UPS).
Paradoxalement, la faible participation du RND à la vie politique assure sa longévité
Le paradoxe n'est qu'apparent, car c'est précisément l'originalité de sa ligne politique, centrée sur les besoins des masses laborieuses, ainsi que le caractère atypique de ses méthodes de lutte non violente, qui désorientaient le régime néocolonial senghorien… Tout en renforçant dans le même temps l’influence et le crédit du nouveau parti dans l’opinion. Telle semble être la logique explicative de la durabilité, voire de l’accroissement
continu de l’influence de sa pensée et de son action politique dans le pays d’abord, puis sur l’ensemble la jeunesse africaine.
Il fait preuve de la même fermeté sur ses principes lorsqu'à la suite d'une fausse accusation de « tentative de coup d'État » visant à éliminer l'aile patriotique du régime, alors incarnée par l'ancien président du Conseil Mamadou Dia', il contracte une alliance politique avec les partisans de ce dernier. Face au refus obstiné du président Senghor de reconnaître ce nouveau « Front » en 1963, Cheikh Anta Diop va tenir parole en patientant plus d'une décennie, jusqu'à la libération de tous les prisonniers politiques du Sénégal en mars 1974, avant de créer le 3 tévrier 1976 son dernier parti, le RND, qui compte Mamadou Dia parmi ses cofondateurs... C'est alors dans le cadre d'un regroupement hétérogène de courants politiques divers que le secrétaire général (SG) fondateur assisté de deux adjoints, M° Babacar Niang et D' Moustapha Diallo, déploie ses talents de stratège et d'organisateur. Il s'agissait aussi bien d'adeptes du nationalisme africain, fidèles compagnons de Cheikh Anta Diop secrétaire général (SG) ou de l'ex-président Mamadou Dia, associés à divers partis et groupuscules d'obédience marxiste-léniniste, dont l'ancien Parti africain de l'indépendance (PAI), que de personnalités indépendantes, patriotes et démocrates sincères. La cohésion d'un tel ensemble reposait, outre les statuts adaptés à un parti de masse plutôt qu'à un parti d'avant-garde, sur les trois textes fondateurs du RND :
• un manifeste, dont le premier objectif est l'avènement d'un État de type nouveau, indépendant et souverain, démocratique et populaire ;
• treize principes d'organisation avec un article 1e stipulant que « dans toutes les réunions du Parti, les langues de travail sont les langues nationales et, éventuellement, le français » ;
• un programme en 29 mesures parmi lesquelles, primo : « décoloniser complètement l'appareil d'État » ; deuxio : « réviser tous les accords inégaux qui portent atteinte à notre souveraineté nationale ou lèsent nos intérêts nationaux » ; tertio : « réviser la Constitution pour substituer au pouvoir personnel incontrôlable et incontrôlé, un pouvoir démocratique, contrôlable et contrôlé ».
La naissance du parti entraîna une modification unilatérale et autoritaire de la Constitution sénégalaise avec la fameuse loi restrictive des partis politiques dite « des trois courants de pensée » (socialisme démocra-tique, libéralisme et communisme). Préférant la contre-attaque à l'autodéfense, le parti a riposté au double plan politique et judiciaire. D'abord par une lettre ouverte au chef de l'Etat, lui rappelant, dates à l'appui, que prétendre appliquer rétroactivement à la demande de reconnaissance du RND des dispositions qui sont postérieures à sa création équivaudrait à suspendre la Constitution de facto : « En décider autrement c'est refuser d'appliquer la loi ; c'est suspendre la Constitution. Ce que personne n'a le droit de faire, fût-il le Président de la République. » Ensuite, par l'introduction d'un recours en excès de pouvoir auprès de la Cour suprême, dont la section administrative était présidée par Bruno Cheramy, maître de requêtes au Conseil d'Etat français et, par ailleurs, conseiller juridique du Président de la République... En dépit de ce conflit d'intérêt manifeste, ce magistrat a reconnu sur le fond le bien-fondé dudit recours, tout en déboutant le parti pour « tardiveté de la requête », le 8 janvier 1978 !
Ainsi, dès après le prononcé du délibéré par le juge suprême, c'est dans la salle des pas perdus du palais de justice de Dakar que le secrétaire général (SG) Cheikh Anta Diop demanda à l'énorme foule présente, de poursuivre au grand jour le travail d'organisation et d'implantation du RND à travers le pays, insistant sur la légitimité de notre combat et le refus de passer dans la clandestinité : « La détermination du peuple est plus forte qu'un simple récépissé. Le défaut de bulletin de naissance ne saurait empêcher un enfant de vivre et de grandir. Un jour viendra où nous obtiendrons ce récépissé qu'on nous refuse aujourd'hui ; alors nous le banaliserons en le jetant à la poubelle.
Après avoir été débouté par la Cour suprême, le Secrétariat politique (SEPO) prit l'initiative d'une pétition nationale exigeant la légalisation du RND et de tous les partis politiques qui en font la demande. Elle a aussitôt recueilli des milliers de signatures, parmi lesquelles plusieurs centaines de personnalités et d'intellectuels de renom. Mais c'est la diffusion par le quotidien parisien Le Monde, sous forme d'encart pu-blicitaire, d'un échantillon de cette liste de pétitionnaires, qui va provoquer la colère du président Senghor et une polémique ouverte dans les colonnes d’un journal étranger.
Un recours régulier aux outils de lutte officiels
L'on retrouve ici l'illustration d'une autre règle méthodologique du SG du RND, qui consiste à veiller dans toute lutte, individuelle ou a fortiori collective, à être et demeurer dans son bon droit : avoir la vérité, et donc la justice, de son côté aux yeux de tout observateur impartial. En cas de conflit majeur et de contentieux juridique, il faut épuiser les procédures légales dans la mesure du possible, avant d'engager une épreuve de force imposée par l'obstination de l'adversaire.
Toutefois, après la légalisation du parti par le président Abdou Diouf, le 18 juin 1981, l'acte politique emblématique de la démarche pédagogique de Cheikh Anta Diop et de son éthique personnelle reste, à notre avis, son attitude face aux premières élections générales auxquelles le RND a pu participer, le 27 février 1983. Un double scrutin, présidentiel et législatif, se tenait le même jour, tous deux à tour unique. Le Bureau politique (BP) du Parti choisit d'appeler à l'abstention pour l'élection présidentielle et de demander au peuple la majorité parlementaire pour le RND. Une option tactique qui sera assimilée par certains à une entente cait que le pouis tir un eond sectes lord ma posie le buteleide de anger de cion dectorale politique locale à partir du Parlement : la légitimité d'une majorité collégiale prévalant naturellement sur celle d'un seul individu, fût-il président de la République et chef de l'État !
Au terme d’une campagne électorale menée tambour battant à travers tout le pays et exclusivement en langue nationale, c’est le président de la Cour suprême lui-même, « juge des élections », qui, l’avant-veille du scrutin, émet une simple « circulaire » autorisant le vote avec la seule carte d’électeur, sans présentation concomitante d’une pièce d’identité, ouvrant ainsi la voie à un bourrage d’urnes sans limite !
Le samedi après-midi, le SEPO donna une conférence de presse alertant l'opinion nationale et internationale sur cette manœuvre qui enlevait toute signification au scrutin du lendemain, équivalant de ce tait à « une non-élection ». En conséquence, dès le 2 mars, le Bureau Politique du Parti, élargi aux candidats, rendit publique une résolution affirmant qu'il était hors de question pour le RND de siéger dans une Assemblée nationale issue d'un tel scrutin. Elle précisait en outre que le Parti ne participerait plus à aucune élection sans identification de l'électeur ni secret du scrutin, c'est-à-dire sans passage obligatoire à l'isoloir. Naturellement, Cheikh Anta Diop, tête de liste et unique élu du Parti, s'abstint d'occuper « le siège du refus», en ces termes :
J'ai le regret de vous faire savoir que je m'en tiens à l'engagement que j'avais pris le 13 mars 1983, devant l'Assemblée générale du RND, de ne pas siéger à l'Assemblée nationale. Notre parti, qui a longtemps lutté pour le triomphe de la démocratie au Sénégal, voudrait, par voie de conséquence, que soit garantie l'irréversibilité du processus de démocratisation de nos institutions. Puisse notre manière de protester contribuer dans l'avenir à sauver nos mœurs électorales de la dégradation. C'est aussi par respect pour tous nos militants dont les votes ont été bafoués que notre parti a choisi cette forme appropriée de protestation. Chaque parti politique a sa philosophie. La nôtre n'est pas élastique.
Cette lettre de démission sans précédent, lue intégralement en séance plénière par le président du Parlement et retransmise en direct par la radiotélévision nationale, est restée gravée dans la mémoire de ses concitoyens ! D'autant plus qu'une campagne de désinformation gouvernementale l'amènera à persister et signer à l'occasion d'une interview accordée à Elimane Babacar Faye sous le titre : « Je ne siégerai pas à l'Assemblée nationale ; le RND ne fera partie d'aucun gouvernement. » Ultime illustration de son éthique en politique, il ajoutait : « Qu'est-ce qui explique que soudainement un certain nombre de journalistes font chorus pour essayer de falsifier et de caricaturer notre personnalité et nos idées? Peine perdue, car s'ils contrôlent leur plume, ils ne contrôlent pas mes actes. Or, c'est par des actes que je répondrai toujours aux allégations issues de l'imagination des gens. »
Cette position de principe, fondée sur un style politique qui lui était propre, il s'efforçait de l'inculquer à la jeunesse du parti et le caractérisait ainsi : « le culte de la vérité et la sérénité de l'expression ». L'on peut croire que sa leçon a été retenue, car malgré des secousses répétées consécutives à sa disparition précoce et soudaine, le RND a su maintenir le cap du boycott électoral pendant une décennie (1983-1993), jusqu'à obtenir, dans le cadre de la Commission nationale de réforme du Code électoral (1992), le respect de deux principes démocratiques, à la fois élémentaires et fondamentaux, universellement exigibles : une seule voix par personne et le secret du scrutin.
Les légataires qui s'inscrivent aujourd'hui dans la pensée de Cheikh Anta Diop
La force démonstrative et persuasive des travaux scientifiques de Cheikh Anta Diop, autant que de son combat politique, explique sans doute qu'il ait connu des adhésions et suscité des vocations en plus grand nombre ailleurs en Afrique et surtout dans la diaspora extracontinentale. Ce n'est assurément pas un hasard si son premier et principal disciple et compagnon de route scientifique aura été Théophile Obenga du Congo, tandis qu'un des plus fins connaisseurs de sa pensée holistique, le regretté Jean-Marc Ela du Cameroun, ne l'a jamais rencontré, s'étant contenté de fréquenter son œuvre...
Et c'est un autre grand écrivain africain, Ayi Kwei Armah du Ghana qui, dans le cadre d'une coopérative multifonction dénommée Per Ankh et située à Popenguine, a initié une entreprise collective de traduction multilingue (neuf langues africaines, de l'Akan au Zulu, trois européennes et dernièrement une sémitique, l'arabe) de textes classiques de la littérature égypto-nubienne antique à partir du texte hiéroglyphique, après translittération (Shemsw Bak®).
De même, ce sont nos compatriotes africains-américains des États-Unis qui auront été les premiers et, à notre connaissance, les seuls, à lui avoir rendu sincèrement et de son vivant l'hommage solennel qu'il méritait en 1985. C'est en effet le maire Andrew Young de la ville d'Atlanta (Georgie), qui l'a invité officiellement à célébrer en personne le lancement d'une Journée Cheikh Anta Diop au niveau municipal (tous les 4 avril).
Pour sa part, Morehouse College lui a décerné un doctorat honoris causa, dans la chapelle Martin Luther King de l'établissement. Rappelons qu'il n'avait pas été convié à prendre part au premier Festival mondial des arts nègres de Dakar (1966), malgré sa participation fort remarquée aux deux Congrès des écrivains et artistes noirs de Paris (1956) et Rome (1959) à l'issue desquels il fut décidé de tenir ce futur festival en terre afri-caine, une fois les indépendances acquises. Ainsi, ni lui-même, ni le défunt érudit africain-américain quasi centenaire W.E.B. Dubois n'ont-ils pu recevoir en personne le prix décerné conjointement par le Colloque scientifique du festival aux « deux intellectuels africains ayant exercé l'influence la plus profonde sur la pensée noire au XX° siècle » !
Il n'en demeure pas moins que le plus bel hommage posthume, le plus durable aussi et sans doute celui auquel il eût été le plus sensible, reste la marée montante et irrésistible de l'intérêt porté par la jeunesse africaine du continent comme de la diaspora à son double héritage scientifique et politique. La quantité et la qualité, en croissance exponentielle, des travaux issus de son nouveau paradigme révolutionnaire africain, d'ordre à la fois conceptuel, méthodologique et programmatique, produits en wolof aussi bien qu'en français et anglais, en attendant le kiswahili et le hausa, l'arabe ou le mandarin, entre autres, en sont des preuves éloquentes.
Un bel exemple local en est fourni par l'équipe regroupée autour du romancier Boubacar Boris Diop, qui met en œuvre concrètement le même paradigme, en publiant des traductions bilingues (wolof et français) de classiques de la littérature tant nationale qu'internationale, en version papier, e-book et audio-book, ainsi qu'un périodique en ligne d'informations en wolof, Lu defu waxu. Et ceci, en dépit de l'exclusion persistante de l'œuvre de Cheikh Anta Diop des curriculae de l'enseignement officiel dans son pays de naissance... qui, il est vrai, demeure la plus vieille colonie française d'Afrique (près de quatre siècles de domination, alors que la Guinée n'a connu que soixante ans d'occupation coloniale : de la capture de Samory en 1898 au « Non » de Sékou Touré en 1958).
Cela dit, il est difficile de répondre dès à présent et de façon exhaustive à cette question pour deux raisons au moins : le caractère transdisciplinaire, voire encyclopédique, de l'œuvre du savant longtemps os-tracisée, sinon dénigrée, d'une part; la dimension de rupture paradigmatique de sa contribution politique théorique et pratique, qui fait l'objet d'une sorte d'occultation par le silence en lieu et place de la diabolisation antérieure, d'autre part ! C'est dire que nul « légataire », ni institutionnel ni individuel, ne saurait accaparer l'immense patrimoine intellectuel légué par Cheikh Anta Diop, en priorité à la jeunesse africaine du continent et de la diaspora d'ascendance africaine directe, mais aussi et plus largement à la jeunesse du monde entier. Car toutes deux portent solidairement la lourde responsabilité de sauver notre planète et tous ses habitants des multiples menaces d'autodestruction qui la guettent de nos jours.
Certaines idées politiques de Cheikh Anta Diop apparaissent aujourd'hui comme visionnaires
Elles sont nombreuses, mais nous ne retiendrons que les principales idées phares, à commencer par sa fameuse prédiction de 1960, au tournant des « indépendances africaines », sur le danger d'une éventuelle « sud-américanisation » de l'Afrique si ses dirigeants échouaient, à l'image de Simon Bolivar, à réunifier le continent divisé par le partage impérial de Berlin (1885). Une anticipation qui s'est vérifiée jusqu'à la caricature avec, notamment, la multiplication des guerres civiles et/ou étrangères, des coups d'État militaires ou constitutionnels, des compétitions électorales devenues la principale source d'instabilité et de violence, sans compter le phénomène de cocaïnisation massive du continent qui, de zone de transit vers l'Europe, s'est transformé en centre de consommation.
Cette clairvoyance ne relève d'aucun don particulier ; elle s'explique par sa méthode d'analyse consistant à « étudier l'histoire non pour s'y complaire, mais pour y puiser des leçons'». Il pense certes d'abord à l'histoire multimillénaire des peuples africains, mais aussi à l'expérience accumulée par les autres peuples du monde, en particulier ceux d'Asie, des Amériques et d'Océanie.
Il en est de même pour l'idée quasi obsessionnelle qu'un « État africain continental est une condition préalable à la survie des sociétés noires, où qu'elles se trouvent. Les communautés noires doivent trouver les moyens d'articuler leur unité historique. [...] Les liens entre les Africains noirs et les Noirs d'Asie, d'Océanie, des Caraïbes, d'Amérique du Sud et des États-Unis doivent être renforcés sur une base rationnelle'° ».
Une autre idée essentielle de sa doctrine politique souligne le rôle déterminant de la culture nationale, et donc des langues africaines, comme « le rempart le plus puissant contre les agressions étrangères"». D'où l'urgente nécessité de doter nos langues nationales du statut de langues de travail, c'est-à-dire d'administration et d'enseignement ! Ainsi que l'ardente obligation de s'entendre sur le choix d'une seule et même langue africaine d'unification pour le travail d'administration et d'éducation dans le futur État fédéral.
De même, Cheikh Anta Diop a dit et répété que « la sécurité précède le développement ». Une tormule galvaudée depuis lors par de nombreux chefs d'État africains, le plus souvent incapables de garantir aussi bien la paix civile sur leur territoire (la sécurité des personnes et des biens), que l'intégrité de leurs frontières extérieures. Il avait même précisé : « Au xx' siècle, un continent qui ne peut pas assurer sa propre sécurité militaire, qui ne contrôle pas en particulier son espace atmosphérique et cosmique, n'est pas indépendant et ne peut pas se développer'?.• » L'observation vaut a fortiori pour ce début de xxI siècle de tous les dangers.
Au vu de l'insécurité généralisée vécue de nos jours par tous les peuples et Etats africains sans exception (sans compter nos compatriotes de la diaspora d'ascendance africaine directe d'Occident et d'Orient), une première évidence saute aux yeux : aucun peuple lucide ne saurait déléguer ni sa sécurité, ni sa souveraineté à autrui, et surtout pas à un État étranger, c'est-à-dire non africain ! Autrement dit, une défense efficace du territoire repose d'abord sur une autodéfense populaire, structurée et disciplinée, tout comme la protection réelle des civils commence par une autoprotection collective, citoyenne et organisée.
Autre formule-choc chère à Cheikh Anta Diop : « l'intégration politique précède l'intégration économique!3 ». Or, les organismes africains dits d'intégration régionale ou sous-régionale (UEMOA/ CEMAC, UMA, CEDEAO, SADC, etc.) considérés par Cheikh Anta Diop comme autant de « faux ensembles », ne sont tout simplement pas viables, dans la mesure où « l'organisation rationnelle des économies africaines ne saurait précéder l'organisation politique de l'Afrique'». Pire, ils ont fini de se discréditer dernièrement aux yeux de l'opinion, non pas du fait de leur impuissance, mais surtout en s'affichant en véritables clubs de désintégration de l'Afrique, avec la manipulation de certains dirigeants africains contre d'autres, à l'instigation de puissances extracontinentales !
Enfin, venons-en au défi énergétique. « Au commencement est l'énergie. Tout le reste en découle », écrivait Cheikh Anta Diop dans son manifeste politique, publié au lendemain de sa soutenance de thèse, à la veille de la cascade des fausses indépendances africaines des années 1960. Mais il n'est pas sans intérêt de signaler, d'une part, que c'est à l'occasion de la première conférence de presse du RND, légalisé le 12 août 1981 à la Chambre de commerce de Dakar, qu'il a pour la première fois et longuement exposé sa proposition d'une « doctrine énergétique africaine » basée sur le vecteur hydrogène; et, d'autre part, que son avant-dernière communication publique, donnée au Symposium international de Kinshasa (avril 1985) sur le thème « La science, la technique et le développement de l'Afrique : l'Afrique et son avenir », avait pour titre : « Le problème énergétique africain ». C'est dire l'importance qu'il a toujours accordée à cette question centrale afin de mettre en évidence l'unicité et la cohérence de sa démarche en politique comme en science.
Sa communication débutait en ces termes : « Faisons une projection dans le proche avenir et demandons-nous quelle sera la physionomie énergétique du monde dans les 30 à 40 ans, aux confins des années 2010-2020. » Résumons sommairement son analyse telle qu'elle a été publiée dans les colonnes du journal du RND'5. Après avoir réitéré son postulat de base, à savoir que « nos principaux problèmes de sécurité et de développement ne peuvent trouver de solution qu'à l'échelle continentale et mieux dans un cadre fédéral », il attire l'attention sur « la vitesse à laquelle notre continent est vidé de ses richesses non renouvelables pendant notre somnolence », en prenant pour exemple « un Koweit africain comme le Gabon [qui] sera dans moins de 60 ans une caisse vide ». Se situant donc d'emblée dans la perspective d'un État fédéral continental ou subcontinental, il propose :
Un schéma de développement énergétique qui tienne compte à la fois des sources d'énergie renouvelables et non renouvelables, de l'écologie et des progrès techniques des prochaines décennies. [...] L'Afrique Noire devra trouver une formule de pluralisme énergétique associant harmonieusement les sources d'énergie suivantes : hydroélectrique (barrages), solaire, géothermique, nucléaire, hydrocarbures (pétrole) et thermonucléaire. Les cinq premières sources d'énergie sont déja exploitables à des degrés différents en Atrique et dans le reste du monde, alors que la dernière ne l'est même pas en laboratoire, mais il ne fait pas de doute, malgré un certain pessimisme de méthode, que son exploitation sera opérationnelle d'ici 40 ans, c'est-à-dire bien avant deux générations, et ce, au moment précis où le règne du pétrole s'achève avec l'épuisement des dernières nappes terrestres. Cependant, si cette source d'énergie devenait exploitable avec un contrôle efficace de la réaction thermonucléaire, les besoins énergétiques de la planète seraient couverts pour une période d'un milliard d'années. Les futurs appareils qui produiront cette énergie, que l'on appelle réacteurs thermonucléaires ou tokamaks (à cause de l'origine soviétique des premiers appareils d'essais qui portent ce nom) seront alimentés au stade vraiment opérationnel et définitif avec de l'hydrogène dit lourd qui sera obtenu essentiellement par l'électrolyse de l'eau de mer.
Il poursuit : « En ce qui concerne l'énergie solaire, le développement des recherches en vue d'abaisser le prix de revient des photopiles permettra peut-être de disposer au seuil de l'an 2000 de centrales solaires opérationnelles (dites héliovoltaïques terrestres ou solaires). »
On a coutume de dire qu'il n'est de science que prédictive. Pour mieux illustrer à la fois l'envergure paradigmatique et le caractère visionnaire de la réflexion du penseur africain contemporain capital, nous prendrons deux exemples significatifs : il a dit et répété que la politique ne l'intéressait guère et qu'il s'y est engagé par simple devoir patriotique, ajoutant que son tempérament le poussait plutôt vers la recherche scientifique, avec la physique théorique comme domaine de prédilection.
Dans l’ultime article qu’il a donné à la Revue sénégalaise de philosophie, en conclusion du colloque « Philosophie, Science et Religion16 » qu’il avait présidé, Cheikh Anta Diop revient sur un sujet déjà évoqué dans sa somme finale, Civilisation ou Barbarie17, et discute dans le détail les résultats de l’expérience d’un certain Alain Aspect, chercheur au laboratoire physique théorique de l’université de Paris Orsay. Il prédit que ses résultats expérimentaux auront pour conséquence un bouleversement radical de notre conception de la réalité et de la rationalité, à la lumière des dernières découvertes dans l’univers des particules élémentaires. Quarante ans plus tard, Alain Aspect s’est vu attribué le prix Nobel de physique !
Le second exemple est plutôt révélateur de la démarche méthodique de Cheikh Anta Diop en sciences humaines. Il s’agit de sa préface à l’ouvrage du professeur de sciences économiques Makhtar Diouf : la longue citation vaut le détour...
Il s’agit d’un véritable programme de refonte des structures économiques actuelles à partir de l’analyse de leurs défauts. Ce livre contribuera à éclairer la décision des cadres appelés à forger le destin économique de l’Afrique. C’est un puissant outil de conscientisation que tous les agents impliqués dans le développement de l’Afrique devraient lire. Ce qui manque le plus, et ceci ne dépend pas de l’auteur, c’est la volonté politique pour la mise en œuvre de toutes les idées fécondes contenues dans ce travail d’avant-garde. Une volonté politique, non pas seulement régionale, mais continentale, suffisamment forte pour accepter la création d’un exécutif continental fédéral africain permettant l’organisation rationnelle de l’économie du continent et l’édification de nouveaux États adaptés à l’ère cosmique qui est la nôtre.
Même l’égoïsme lucide militerait pour l’émergence d’une telle volonté politique. Si elle tardait à apparaître dans les cercles des spécialistes qui gouvernent aujourd’hui le destin de l’Afrique, l’instinct vital des masses, et la volonté de survie des peuples africains ne tarderaient pas à l’engendrer au sein des couches sociales les plus déshéritées, comme une lame de fond venant briser tous les obstacles secondaires qui bouchent l’avenir du continent et risquent de compromettre son destin18.
L’autonomie énergétique africaine et le développement de l’industrialisation passaient en effet pour lui par une fédération africaine, au cœur de son projet politique
Le message politique fondamental légué par Cheikh Anta Diop est tiré de l’expérience historique singulière accumulée sur la longue durée par les peuples africains du continent et d’ascendance africaine directe ailleurs dans le monde (schématiquement pour la souche mère : un cycle de grandeur multimillénaire, puis de régression pluriséculaire et enfin de renaissance en cours), un message qui tient en une formule lapidaire : « hors la fédération panafricaine, point de salut ! Ni pour les Africains du continent, ni pour ceux de ses diasporas d’Orient comme d’Occident, dans la mesure où le sort individuel et collectif de nos compatriotes à l’étranger dépend directement de la position et du statut de l’Afrique dans le rapport de force mondial ».
Mais le stratège africain a pris soin de préciser qu'à la différence des deux grandes fédérations du xx* siècle, les États-Unis et l'URSS qui, comme tout projet impérial, ont été bâties par le fer, le feu et le sang, le projet fédéral africain devra se réaliser, non par la contrainte, mais plutôt par la persuasion, une adhésion consciente et volontaire étant la condition sine qua non de sa pérennité et de son épanouissement.
D’autant que sa conception de la renaissance africaine, telle qu’esquissée dans sa vision de l’État fédéral, est incompatible avec toute forme de discrimination ethnoraciale, de genre (vu que la tradition endogène à l’Afrique est le matriarcat), de caste ou de classe, ou encore d’ordre confessionnel ou idéologique ! Comme lui-même a pu le dire à propos de son travail multidimensionnel et du programme qui en résulte : « Malgré les insuffisances inévitables, les grandes lignes sont solides et les perspectives justes19. »
Aimé Césaire a pu dire que « le plus court chemin vers l'avenir passe, comme toujours, par l'approfondissement du passé ». En vue de la reconstruction d'une Afrique souveraine, réunifiée et véritablement démo-cratique, nous aurons vraisemblablement autant, sinon plus, à apprendre de l'expérience de l'Égypto-Nubie antique prédynastique durant ses millénaires d'édification communautaire et égalitaire, que de l'histoire des trois empires successifs (Ancien, Moyen et Nouvel) de l'ère pharaonique, prototype de l'État territorial centralisé, monarchique, théocratique et par conséquent inégalitaire.
LE NIGERIA EN FINALE AU BOUT DU SUSPENS
Alors qu'ils menaient logiquement sur un penalty de Troost-Ekong, les Nigérians ont cédé sur une égalisation sud-africaine dans le money-time. La prolongation n'ayant rien donné, tout s'est joué aux tirs au but
Le Nigeria a dû s'employer contre l'Afrique du Sud pour décrocher son billet pour la finale de la Coupe d'Afrique des Nations 2023. Opposés aux Bafana Bafana en demi-finale à Bouaké, les Super Eagles ont souffert mais peuvent remercier leur gardien Francis Uzoho, décisif lors de la séance de tirs au but, et leur buteur Kelechi Iheanacho.
Pourtant, les hommes de José Peseiro avaient bien démarré la rencontre en ouvrant le score sur penalty. A la 67e minute, c'est le défenseur central William Troost-Ekong qui se chargait de transformer le coup de pied de réparation obtenu par sa sélection, donnant l'avantage à son équipe.
Mais les Sud-Africains ne lâchaient rien et trouvaient les ressources pour égaliser en fin de match sur leur seule occasion. A la 89e, Teboho Mokoena réussissait à son tour son penalty après une faute dans la surface.
Il a donc fallu en découdre durant la prolongation, puis durant une séance de tirs au but à suspense. C'est finalement l'attaquant de Leicester City en deuxième division anglais, Kelechi Iheanacho, qui a scellé la qualification du Nigeria en transformant le tir victorieux.
Grâce à ce succès arraché de haute lutte, les Super Eagles disputeront donc la finale de la CAN face au vainqueur de l'autre demi-finale entre la Côte d'Ivoire et la RD Congo, programmée ce soir à 20h00 au stade Alassane Ouattara de Bouaké.
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L'ÉTAT DE DROIT AU RÉVÉLATEUR de 117 UNIVERSITAIRES
Des universitaires tirent la sonnette d'alarme après le report de la présidentielle, réclamant le respect des institutions. Leur tribune choc a été au cœur d'une émission spéciale sur TFM avec Jean Louis Corréa et Mouhamed Ly
La tribune intitulée « Restaurer la République », publiée en exclusivité sur SenePlus le 5 février 2024 par 117 éminents universitaires en réaction au report de la présidentielle était à l'honneur sur TFM dans une édition spéciale qui recevait : Professeur Jean Louis Corréa, agrégé de Droit privé (signataire du texte), Mouhamed Ly, président du Think Tank Panafricain IPODE (Innovations Politiques et Démocratiques), au micro d’Abdoulaye Cissé.