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29 novembre 2024
Opinions
Par Mohamed GASSAMA
QUEL SORT POUR LES EPINGLES DE LA REPUBLIQUE ?
L’en-tête de notre contribution traduit, à suffisance, le foisonnement des questions qui accompagnent la publication, sur les instructions de Monsieur le Président de la République, des Rapports des différents organes de contrôle.
L’en-tête de notre contribution traduit, à suffisance, le foisonnement des questions qui accompagnent la publication, sur les instructions de Monsieur le Président de la République, des Rapports des différents organes de contrôle. Outre l’abasourdissement et l’ébahissement collectif, plus d’un sénégalais reste stupéfait face à l’ampleur des dérives supposées. De ce fait, l’on est en droit de se demander quel sort faudrait-il réserver à ceux qui seraient reconnus comme des délinquants ou brigands économiques.
N’allons pas vite en besogne et surtout ne mettons pas la charrue avant les bœufs. À ce stade de la procédure, il n’y a pas de coupables ipso facto tous bénéficient de la présomption d’innocence. C’est cela le charme de l’État de droit pour lequel nous ne cesserons jamais de nous mobiliser. C’est aussi cela l’essence du pacte noué entre le peuple et les nouvelles autorités du pays. Ainsi, nous revient-il à l’esprit la fameuse formule « force doit rester à la Loi ». À ce titre, il faut avoir une posture de légaliste, c’est-à-dire, laisser la Justice faire son travail. Pouvoir comme Opposition et agents pointés du doigt, nul ne devrait politiser le débat sur les Rapports de l’OFNAC, de la Cour des Comptes ou de l’IGE. Les cas de défaillances ou de malversations financières notées, çà et là, résultent de vérifications inexorables et implacables. Elles sont menées par des hommes et des femmes d’honneur dûment mandatés et hautement chevronnés. Limitons-nous donc au constat de visu et à l’analyse objective afin d’épargner le Sénégal de viles et vaines supputations qui ne seront agrémentées que de futilités sur les innombrables supports médiatiques et sociaux.
En effet, dans notre cher pays, nous avons coutume de parler ou de discuter de tout et de rien. Tout le monde est spécialiste ou expert. Les sachants n’étant presque plus magnifiés, les ignorants polluent l’atmosphère d’inepties. Il ressort des divers échanges quotidiens plusieurs avis, notamment, des poursuites judiciaires, des mesures conservatoires ou tout simplement des bons offices. Pour notre part, nous optons pour la retenue en prenant une distance critique qui amène à signifier que le Gouvernement du Président Bassirou Diomaye Diakhar FAYE fait bien de garder le silence et de ne rien commenter. L’heure n’est plus aux palabres mais plutôt à l’action.
L’amateurisme du régime précédent devrait servir de jurisprudence d’autant plus que l’on regrette toujours le brouhaha qui avait obstrué la voie qui conduisait à la reddition des comptes. Nous ne reviendrons pas sur les indicibles rebondissements et les péripéties ubuesques de la « traque des biens mal acquis ». Un tel scénario ne devrait plus se reproduire.
Pour ce faire, aucun Pouvoir ne doit dépasser ses limites, autrement, plus question d’immixtion de l’Exécutif dans le Judiciaire ou dans le Législatif. En l’espèce, seule la Justice est habilitée à donner une réponse, conformément aux Textes et Règlements en vigueur. Pour autant, le peuple, au nom duquel la Loi est rendue, ne saurait se croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur, comme le dirait un des chantres de la Négritude, Aimé CÉSAIRE, alter ego du Président Léopold Sédar SENGHOR. En effet, bon nombre de nos concitoyens n’en reviennent toujours pas. Le rythme de croissance des « épinglés » de la République s’accélère de telle sorte qu’il dépasse tout entendement. Le nombre d’actes supposés de banditisme économique, lui, fait avoir des nausées ou le tournis et chaque jour qui passe apporte son lot de manquements et d’abus.
La tendance laisse croire que, vraisemblablement, on tombe de Charybde en Scylla, en d’autres termes, que les choses vont de mal en pis. Indubitablement, plus on fouille, plus on découvre et plus on s’offusque.
C’est dire que partout et à tous les niveaux de responsabilité, l’on ne se gêne point de faire la java ou la fiesta avec l’argent du contribuable. Aucun respect du bien commun et aucune pudeur devant le trésor public. On mange à volonté. On sert les proches, les amis, les copains et copines. On joue au boss et plastronne avec les pauvres. Pire, on menace les sénégalais dont le butin a été grugé. Quel triste legs ! Il appartient donc d’effacer le tableau hérité voire le remplacer par un autre visage plus humain mais plus ferme et rigoureux. Il ne serait pas abusif de déclarer que nous sommes à bout de souffle, tant nous souffrons de la propension pathologique de certains administrateurs, directeurs ou gestionnaires de services publics, qui ne vivent que de kidnapping des biens de l’État. Il serait aussi judicieux de les assimiler à de purs cleptomanes. L’étymologie du mot « cleptomanie», qui tire sa source du grec, renvoie, ni plus ni moins, à une pulsion ou à un trouble psychique qui pousse une personne à voler ou à dérober des biens appartenant à autrui.
En conclusion, ce sont des dangers pour la société et il va falloir vite les neutraliser. En quoi faisant ? En fixant, dans les plus brefs délais, le sort des « épinglés » de la République pour d’abord, respecter des engagements pris devant le peuple, ensuite, dissuader toute velléité de récidive ou de résistance et enfin donner des gages de transparence dans la gestion des affaires de la Cité par l’envoi de signaux forts dans la croisade contre la corruption et l’impunité au Sénégal. Ce ne sera pas facile certes, mais, entre la rupture et le péril, qu’allons-nous choisir ?
Mohamed GASSAMA
Citoyen sénégalais de la Diaspora
Par Bocar SAKHO
LE DOUBLE JEU DIPLOMATIQUE
Si BDF poursuit ses tournées diplomatiques dans les pays démocratiques, Sonko a décidé de prendre le chemin des capitales où siègent des régimes autocratiques. Que cherche-t-il, au-delà d’assumer une proximité avec les putschistes ?
Si BDF poursuit ses tournées diplomatiques dans les pays démocratiques, Sonko a décidé de prendre le chemin des capitales où siègent des régimes autocratiques. Que cherche-t-il, au-delà d’assumer une proximité avec les putschistes ?
Le nouveau pouvoir scénarise deux productions diplomatiques : il y a le Président Diomaye Faye, qui enfile son costume de chef d’Etat pour raffermir les liens diplomatiques avec les voisins : il s’est rendu en Mauritanie, qui entretient des liens gaziers avec le Sénégal, en Gambie dont l’histoire se confond avec celle du Sénégal et en Guinée-Bissau dont le Président a tissé des relations solides avec Dakar depuis son accession au pouvoir. Aujourd’hui, il sera à Abidjan qui est la locomotive économique de l’Union économique ouest-africaine (Uemoa).
Ce dimanche, Ousmane Sonko a décidé parallèlement à ces voyages présidentiels de rendre visite aux putschistes du Sahel et de la Guinée. «Le parti Pastef assumera son option panafricaniste et souverainiste par le renforcement de ses partenariats politiques aux niveaux africain et sous-régional. A cet effet, nous projetons une tournée sur invitation de nos partenaires, qui devrait démarrer par les étapes de la Guinée Conakry, du Mali, du Burkina Faso et du Niger», assure le Premier ministre, qui a présidé ce dimanche la première réunion du Bureau politique post-Présidentielle du parti au pouvoir.
Ces visites chez les présidents de l’Alliance des Etats du Sahel (Aes), mise en place par le Burkina, le Niger et le Mali, qui ont annoncé leur sortie de la Cedeao, sont le prolongement des positions tranchées de Sonko, l’opposant. Le 18 août 2022, il avait affiché son soutien au Président de la transition malienne, Assimi Goita, lors de sa déclaration de candidature à la Présidentielle de 2024. Il avait soutenu que s’il est élu Président, qu’il n’hésiterait pas «à dépêcher des troupes pour soutenir» le Peuple malien et «en finir avec cette gangrène», en référence aux groupes djihadistes qui se propagent dans le pays. Lors de la même rencontre, il avait accusé l’ex-Président Sall d’avoir «rapatrié les quelques éléments sénégalais qui étaient sur le théâtre malien». L’Armée était obligée de sortir de son mutisme en rappelant que les troupes ne s’étaient pas désengagées, mais qu’il s’agissait d’une «relève périodique des contingents engagés dans le cadre de la Minusma».
Modèle souverainiste
Pour huiler ses liens avec les colonels maliens, Sonko avait envoyé en novembre 2023, une délégation à Bamako dirigée par Dr Dialo Diop, vice-président des «Patriotes» chargé des questions panafricaines, pour discuter des questions liées aux enjeux sous-régionaux, notamment la création de l’Aes, qui vise à contrer l’influence de la Cedeao. Selon ses propos relayés à l’époque par le site Maliweb, Dialo Diop a exprimé sa conviction que l’Aes ne serait pas entravée, considérant même sa création comme une défaite politique majeure pour la France, qui s’est désengagée du Mali au même titre que la Minusma. Aujourd’hui, le Ousmane Sonko, qui incarne une nouvelle génération de jeunes politiciens, la promesse de la rupture, avec un discours aux relents populistes et panafricanistes, qui a conduit son candidat à une victoire éclatante au premier tour de la Présidentielle avec 54, 28% des voix, dix jours seulement après sa libération de prison, ne veut pas changer de logiciel : il voudrait assumer cette apparente convergence de vues avec les régimes militaires au pouvoir dans ces quatre pays. Même si certains tentent de faire croire qu’il y a une différence entre Sonko, leader du parti Pastef et Sonko Premier ministre, ses propos à Bamako, Ouaga, Niamey et Conakry engageraient le Sénégal. La dichotomie discursive est impossible à ce niveau de responsabilité.
Demain Moscou ?
Au pouvoir grâce aux urnes, qui ont consacré son poulain, que cherche Sonko chez les putschistes ? Est-ce une refonte de la politique d’exclusion contre ces régimes, soutenues à l’époque par l’ancien Président, voulue par Sonko qui a réussi à provoquer l’alternance du 24 mars dernier, qui a marqué la fin d’un bras de fer de trois ans avec Macky Sall. Pour lui, ces visites seraient l’expression assumée des idéaux dits panafricanistes qu’il partage avec les militaires au pouvoir à Bamako, à Niamey, à Ouagadougou et Conakry.
Ensemble, ils voudraient montrer qu’ils entretiennent un grand dessein souverainiste pour le continent. Lors de la prestation de serment de Bassirou Diomaye Faye, Mamady Doumbouya et le Colonel Malick Diaw, président de l’organe tenant lieu de Parlement au Mali, étaient à Dakar. Dans la foulée de l’élection de Diomaye, Général Thiani, qui avait demandé au Peuple sénégalais de prendre son destin après l’ajournement de la Présidentielle par Macky, s’est dit convaincu «qu’ensemble», ils imprimeront «une nouvelle dynamique» aux relations entre le Sénégal et le Niger «dans le sens de l’affirmation de notre souveraineté et la défense véritable des intérêts de nos peuples et que les autorités de l’Alliance des Etats du Sahel (Aes) sont engagées à le faire dans l’honneur et pour la victoire». Alors que Capitaine Ibrahim Traoré, le président de la Transition burkinabè, est sûr que le Président Faye était le «symbole d’une nouvelle ère pour une Afrique décomplexée, libre et souveraine». Demain, une visite à Moscou, parrain des trois régimes du Sahel, après le départ des Français et celui annoncé des Américains de Niamey ? Par ailleurs, le parti Pastef annonce la réception d’une délégation de La France Insoumise (Lfi) «du 14 au 18 mai, composée d’élus et conduite par Jean-Luc Mélenchon». A coups de tweets, l’Insoumis s’était toujours ému de la situation de Sonko…
Par Mamadou Ndiaye
IVRESSE FONCIÈRE
Du feu couve sous la cendre. Au propre et au figuré, la honteuse convoitise des terres apparaît au grand jour comme la lame de fond d’un énorme brasier susceptible de provoquer des convulsions sociopolitiques aux conséquences incalculables.
Du feu couve sous la cendre. Au propre et au figuré, la honteuse convoitise des terres apparaît au grand jour comme la lame de fond d’un énorme brasier susceptible de provoquer des convulsions sociopolitiques aux conséquences incalculables.
L’onde de choc s’empare de toutes les couches qui découvrent des pratiques dont les acteurs cachés, mais dénichés au fur et à mesure, s’emberlificotent dans des raisonnements spécieux. Ils usent et abusent de ruses sans finesse aucune.
Pire, à force d’accumuler sans efforts, ils s’enrichissent sans cause au grand étonnement de populations médusées par les fortunes amassées et surtout déboussolées par la repoussante arrogance affichée par ces brutes encombrantes.
A la faveur de la récente publication des rapports des organismes de contrôle, des noms sont avancés, des listes s’ébruitent, des visages se découvrent, des réseaux ramifiés se révèlent. Tels des mille-pattes, certains ont des pieds partout, détiennent partout des avoirs, ont de tout un peu, parfois même beaucoup et, plus grave, acquièrent encore et encore sans gêne, sans vergogne, sans pitié. Bref, sans cœur…
Des arrivistes notoires se sont ligués à des fonctionnaires véreux, moyennant le silence coupable de hiérarchies qui « ne voient rien » mais « au courant de tout » et « palpent » de substantiels gains au détour d’une indifférence teintée de malices avec une faune de complicités « inconnues » au bataillon.
Petit à petit, des digues sont en train de céder. Du commandement territorial à la magistrature, des politiques, des parvenus et des élus, d’anciens ministres, des représentants de la haute administration aux intermédiaires véreux, de nouveaux riches sans épaisseur à des tâcherons lilliputiens paient ainsi le revers d’un système, le leur, aux antipodes de celui de l’État et de la République auxquels ils devaient une absolue loyauté et un sentiment élevé de dignité et de fierté. Que nenni !
Sans doute ces attitudes et ces comportements relèvent d’un ordre ancien devenu désormais désuets…
Ayant eu écho de ces clameurs, le Président de la République a été bien inspiré en se rendant l’autre semaine sur les lieux des forfaits pour mieux apprécier l’ampleur des suspicions dans la région de Thiès aux alentours de l’Aéroport Blaise Diagne.
Mbour 4 dit tant de nos terres, du foncier, des appétits féroces, des accaparements, des tentations, des vols et des viols organisés à une vaste échelle, des délits d’initiés et des rapports de forces futurs qui s’y développent à vitesse grand V.
Issu du corps des Impôts et domaines, le Président Diomaye mesure sous ses yeux l’étendue du désarroi, du désastre, de l’outrecuidance ou de la désinvolture des personnalités épinglées parce qu’attributaires de superficies que rien ne justifie. Absolument rien !
C’est à se demander si ces gens sont encore pourvus d’humanité, s’ils possèdent un sens du jugement ou de la modération ! Ainsi, aiment-ils leurs prochains ? Savent-ils que leur boulimie foncière prive nombre de leurs compatriotes de toit, de bien en propre, d’un « chez soi » qui leur ôte des illusions ou leur procure, un équilibre, un rang, une dignité ?
Tout le monde sait que la boulimie autour de la terre est contagieuse ? Et les zones ou les foyers de vives contestations s’énumèrent un peu partout dans le pays saisi par cette frénésie répétitive d’acquisitions. Même les forêts classées ne sont pas épargnées ! D’où l’exaspération des couches paysannes, disons populaires.
Partout le peuple sénégalais grommelle des injures. La frange la plus jeune, sabre au clair, mène le « combat » contre les grimpions, ces affidés des mauvais coups au service de « bras longs » encagoulés comme des braqueurs fantomatiques.
Autrefois, les terres servaient à la culture vivrière sur de modestes étendues. La démographie n’était pas aussi galopante qu’aujourd’hui pour justifier ou, à tout le moins, expliquer les convoitises dont elles font l’objet de nos jours. Dans les temps anciens, les superficies emblavées ne gênaient point l’éclosion des forêts, des ruisseaux, des affluents, des pâturages et des zones fourragères dans une belle harmonie dont la nature a le légendaire secret.
Ce narratif n’est plus de saison. La valeur résiduelle de la terre est passée de mode. En se démultipliant, la population sénégalaise, estimée à 18 millions d’êtres selon le dernier recensement de l’ANSD, a également engendré des héritages fantasmés.
Des appétences plus aiguës parfois, souvent plus graves, se mêlent à de féroces rivalités au sein des familles dépositaires, dans des luttes de clans, de tribus et même d’alliés appelés à la rescousses suivant l’épaisseur du portefeuille ou du carnet d’adresses et du pouvoir d’influence ou de nuisance.
Les litiges en leur sein sont à géométrie variable. En revanche, les blessures jamais guéries, mais endormies, se réveillent sous de nouvelles convulsions que d’amicales pressions familiales ne parviennent plus à étouffer ni à apaiser. Au lieu de quoi, les haines et les jalousies se donnent en spectacle.
Le désespoir explique-t-il cette déchéance des mœurs ? A quoi ou à qui attribuer ce délitement des valeurs ? Il s’inscrit dans l’âpre compétition pour la domination, le prestige et un égoïsme surdimensionné qui, hélas, entretient les guéguerres sur fond de dénigrement.
La politique se fait sur des réalités. En appréhendant mieux le phénomène foncier, les nouveaux dirigeants cernent davantage ses contours en lui appliquant les solutions idoines.
Seulement, en arrière-plan de ces crispations, se faufilent des écarts de revenus qui, en se creusant toujours plus, fissurent la société sénégalaise. Or le foncier surgit comme une nouvelle frontière de prospérité agitée par des esprits mercantiles discrètement soutenus par des « mains invisibles ».
Ce gouffre, s’il n’est pas comblé à temps, va accentuer la césure avec l’aide d’acteurs qui s’affranchissent des règles de jeu. La terre, au même titre que les ressources naturelles, pétrole et gaz entre autres, appartient au peuple qui le délègue à des dirigeants dignes de confiance, investis de missions à l’issue d’élections libres, régulières et transparentes.
Le foncier aiguise donc des appétits. Il suscite de plus en plus de convoitises souvent orchestrées par des puissances d’argent qui ne reculent devant aucun obstacle. N’est-il pas temps de se montrer moins naïf face aux dangers d’instabilité ? Le grand écart qui s’observe crée des inégalités qui s’accroissent en s’accentuant.
Des Sénégalais sont assis sur d’épais matelas financiers et se détournent ostensiblement de l’économie réelle pour privilégier les actifs spéculatifs. L’essor de l’immobilier, surtout de l’immobilier de luxe, ne s’explique pas autrement. Certains banquiers de renom n’hésitent pas à pointer l’indexe sur les réseaux de drogues qui investissent dans la pierre comme des filières-relais de blanchiment de l’argent sale.
A qui échoit le devoir d’endiguer le chaos qui se généralise et se perpétue ? « On a du mal à vivre », crient à tue-tête les Sénégalais dans une relative pudeur. Pendant ce temps, les nouveaux riches gambillent dans les hautes herbes alors que l’opinion s’attriste du spectacle des rabat-joie.
Par Ibrahima DIALLO
QUELQUES REMARQUES SUR LE RELIGIEUX ET LE FONCIER
A Touba, à Tivaouane, à Medina Gounass, en visite chez le clergé catholique, vous déconstruisez, de jour en jour , l’image que l’on posait sur vous et sur le premier ministre Ousmane Sonko, de leaders qui allaient déstabiliser les foyers religieux.
Encore félicitation au président Bassirou Diomaye Faye qui confirme, lors de chaque visite dans les familles religieuses et confrériques, son engagement à soutenir les valeurs spirituelles et culturelles qui fondent l’identité collective du Sénégal. Un peuple, un but, une foi ancrés dans le respect du sacré des uns et des autres dans un pays qui travaille à faire du religieux un acteur déterminant du vivre ensemble et de la paix sociale.
A Touba, à Tivaouane, à Medina Gounass, en visite chez le clergé catholique, vous déconstruisez, de jour en jour , l’image que l’on posait sur vous et sur le premier ministre Ousmane Sonko, de leaders qui allaient déstabiliser les foyers religieux. Vos premiers pas indiquent le contraire. Il n’est pas demandé dans un État laïc de dompter les religions. Il n’est pas demandé d’imposer une religion mais de respecter la liberté de croyances. Ce que l’Etat laïc doit éviter est de mettre en avant des préférences religieuses ou des préférences confrériques. C’est cela la neutralité de l’Etat qui ne veut pas dire l’insensibilité aux faits religieux. Je vous souhaite, monsieur le Président de la république, une participation réussie au Sommet de l’OCI. Votre prédécesseur, le président Macky Sall, a toujours fait entendre la voix d’une Oummah de la solidarité économique, sociale et religieuse. Aussi la voix d’un monde musulman ouvert au dialogue, à la tolérance et qui s’oppose, à la stigmatisation, au terrorisme, à la radicalisation et à l’insécurité.
La position de notre pays dans son soutien à la Palestine est claire et engagée. Il faut la réaffirmer. Je vous exprime, M. le président de la République, ma fierté pour la réaffirmation de la vision diplomatique de l’Etat du Sénégal par le soutien indéfectible à un État palestinien viable et souverain avec Jérusalem est comme capitale, conformément aux résolutions des Nations Unies. Le cessez le feu immédiat à Gaza que vous avez mentionné est une haute exigence d’humanité. M. le. Président, je ne peux manquer de vous citer encore pour vos propos de valorisation de l’Islam: « il est important que l’OCI et les États membres renforcent la diffusion des valeurs authentiques de l’islam, religion qui prône la modération, le savoir, le savoir-faire et le savoir -être
Dans tous les domaines de la vie de la nation, je vous conseille d’être le président raisonnable, de pondération et de hauteur. Vous êtes déjà apprécié et donc vous n’avez pas besoin du show et de l’exhibitionnisme démesurés. Vous avez jusqu’ici dégagé la pondération. Il en est de même du premier ministre Ousmane Sonko qui déroule avec un rythme maîtrisé. La pondération sur tout et l’analyse détaillée de l’impact de toutes vos décisions sont les voies d’une gouvernance réussie. C’est pourquoi, dans une récente contribution dans la presse nationale sur vos récentes décisions sur la gestion du foncier, je vous adressais mes félicitations pour votre engagement à lutter contre les abus. Mais aussi, je vous disais qu’après avoir ouvert la boîte de Pandore, il vous faudra vous arrêter sur tous les impairs commis et la chaîne d’acteurs qui en permettent la prolifération à tous les niveaux, y compris les fonctionnaires de l’Etat. La population ne réclame pas une justice des vainqueurs, une justice de revanche, une justice du système, mais plutôt une justice à l’endroit de tous, sans exclusive. Les méfaits dans le foncier ne datent pas d’aujourd’hui. C’est une longue histoire de laxisme dont ont même bénéficié certains qui aujourd’hui crient fort et pensent être des saints.
J’alertais le président Bassirou Diomaye Faye afin qu’il ne tombe pas dans le piège de quelques activistes, maires, députés, politiciens, entrepreneurs, ou même d’agents des domaines qui sont dans l’excès et dans l’intimidation et qui cherchent ainsi un capital de visibilité professionnelle, politique et sociale. Monsieur le président de la république, sur ce dossier du foncier, il ne s’agit pas de s’engouffrer dans des réunions et des créations de comités à n’en plus finir. Il faut faire vite et clair. Celà est possible. Il faut sanctionner ceux qui ont abusé ( et on les connaît) et permettre vite à ceux qui sont dans leurs droits de bénéficier rapidement de leurs droits. Sinon, on participe à léser ces derniers dont certains ont déjà assez souffert. Les brebis galeuses ne doivent pas pénaliser les bénéficiaires légitimes et aussi empêcher le corps des notaires de leur apporter le soutien auquel ils ont droit. Nous prions pour le succès du Sénégal et pour l’application juste du « Jub Jubal Jubanti «
LA PALESTINE ET LE SILENCE GÊNANT DES UNIVERSITÉS SÉNÉGALAISES
A l’heure où des jeunesses européennes, américaines et asiatiques agissent pour la paix en Palestine/Israel, qu’exigent les étudiants sénégalais si prompts à envahir la rue et les ondes pour diverses causes ?
Il ne faut jamais cesser de condamner l’attaque du 7 octobre et les prises d’otages de civils israéliens perpétrées par le Hamas. Mais la riposte israélienne, son ampleur, son absence totale de discernement, les crimes perpétrés par l’une des plus puissantes armées au monde sur des civils dont une majorité d’enfants, sont indignes de toute forme d’humanité.
En sept mois, plus de 30 000 Palestiniens sont tués, la bande de Gaza rasée pour ne plus y permettre une possibilité de vie. La déshumanisation d’un peuple et la volonté de son effacement doivent faire réagir tous ceux qui croient encore en l’humanité.
Le gouvernement d’extrême-droite israélien, après avoir reçu un soutien inconditionnel de ses alliés traditionnels occidentaux, voit son image compromise et son isolement moral progressivement s’installer vu l’ampleur des crimes.
Les opinions publiques dans le monde face à la riposte massive et disproportionnée ont exprimé leur vive émotion face à ce que la Cour internationale de justice a qualifié de risque plausible de génocide. Nous sommes au 21e siècle, et cette barbarie qui s’installe devant les yeux du monde impuissant est intolérable.
Les jeunesses occidentales partout lèvent la voix pour dénoncer les crimes de guerre voire contre l’humanité commis par Benjamin Netanyahou et son gouvernement composé de suprémacistes juifs, ouvertement racistes, qui ont plusieurs fois appelé au nettoyage ethnique des Palestiniens.
Les universités américaines sont au cœur d’un tourbillon, avec des étudiants acquis à la cause palestinienne, qui appellent depuis des mois au cessez-le-feu malgré l’inertie d’un gouvernement Biden dont le soutien vis-à-vis d’Israël est absolu. Surtout que si cette guerre se poursuit, c’est aussi grâce au soutien de Washington, en fonds et en armes au gouvernement israélien. Face au caractère massif des protestations, vite les accusations d’antisémitisme ont émergé pour delégitimer une parole qui n’est pas hémiplégique et qui dit que les Palestiniens existent et ne doivent pas voir leur dignité d’exister bafouée.
En France également la polémique est vive. Les étudiants de Science-Po Paris manifestent pour l’arrêt des massacres à Gaza. Plusieurs conférences sont organisées dans les locaux de la prestigieuse institution et dans de nombreuses autres universités pour dénoncer l’ampleur des crimes de Netanyahou contre les civils palestiniens. Des troubles ont même été notés rue Saint Guillaume, générant un débat médiatique public national entre deux lignes distinctes. Tantôt accusés de soutenir le Hamas, tantôt faisant l’objet d’accusations d’antisémitisme, des jeunes étudiants prennent leur responsabilité pour élever la voix face à ce qui est devenu insupportable pour toute conscience un tant soit peu juste.
Dans notre pays, nous avons une tradition historique et diplomatique, depuis ininterrompue, de soutenir la cause palestinienne. Depuis Senghor, nous avons porté à l’Onu une voix exigeante sur la crise au ProcheOrient. Je me souviens, encore ces dernières années, de la hargne et de la redoutable efficacité, toujours avec une infinie délicatesse, des ambassadeurs Paul Badji, Fodé Seck et Cheikh Niang, qui ferraillaient aux Nations unies pour une paix et une solution à deux Etats.
A côté de l’Etat, que font les universités ? A l’heure où des jeunesses européennes, américaines et asiatiques agissent pour la paix en Palestine/Israël, qu’exigent les étudiants sénégalais si prompts à envahir la rue et les ondes pour diverses causes ?
Historiquement, l’Ucad a été un haut lieu de soutien au Peuple palestinien comme il l’a été pour le combat contre l’Apartheid. Notre pays a toujours été au cœur des convulsions du monde au nom de nos valeurs de paix, de tolérance et d’humanisme. Mais ces valeurs s’effritent et, outre la médiocrité qui a gagné les espaces de pensée, s’est installé un désintérêt vis-à-vis des grands principes universalistes. Nos universités fécondent de plus en plus des étudiants et des enseignants plus soucieux de la petite querelle politicienne locale, pour laquelle ils peuvent incendier un antre du savoir ou signer d’innombrables pétitions souvent sans intérêt autre que défendre des fascistes. Ils sont aussi désormais de plus en plus, dans la défense d’idées conservatrices et rétrogrades au lieu d’être des producteurs de nouveaux imaginaires progressistes conformes au sens de l’histoire.
Je suis surpris du mutisme de certains parmi nos illustres universitaires et penseurs sur un crime de cette ampleur et de cette gravité qui touche à ce que l’humanité a de plus essentiel, eux qui se disent pourtant parangons de la vertu et des grandes valeurs, et qui au nom de ces valeurs ont perturbé notre quiétude avec leurs tribunes massivement signées pour défendre une orientation politique rance animée par des gens à la moralité républicaine plus que douteuse.
Au regard du contexte international qui voit un chantage sur l’antisémitisme effectué sur de nombreuses voix critiques sur la politique israélienne, il est possible de comprendre le silence de nos intellectuels qui enseignent dans les établissements américains et européens.
S’ils soutiennent l’Etat hébreu, ils vont subir les assauts de nos compatriotes qui les taxeraient tout de suite de suppôts de «l’occident islamophobe». Et, à l’inverse, s’ils prennent publiquement position en faveur des droits légitimes du Peuple palestinien, leur faciès, leur origine voire leur foi religieuse seront instrumentalisés pour les harceler, jeter l’opprobre sur eux et peut-être exiger leur excommunication. Et ce sera leur mort sociale dans le champ intellectuel occidental avec ses conférences, ses rencontres et autres colloques.
En revanche, au moins depuis les amphithéâtres et les campus des facultés de notre pays, où ils ne peuvent pas brandir l’argument du risque de procès d’intention et de délit de faciès, les étudiants, les universitaires, la Société civile rentière de toutes les causes devraient davantage prendre position pour le Peuple palestinien. Pour la paix, pour deux Etats côte à côte dans des frontières sûres et reconnues, au nom du Droit international mais surtout au nom de la simple humanité.
Par Amadou Lamine SALL
NON, LA BIENNALE DAK’ART N’EST PAS HOSPITALISÉE
Radioscopie oui, autopsie non ! Le Dak’Art est bien vivant. Mais il faut toujours commencer par le commencement : remercier l’État du Sénégal !Ne jamais oublier ceux qui vous ont aidé à grandir
Radioscopie oui, autopsie non ! Le Dak’Art est bien vivant ! mais il faut toujours commencer par le commencement : remercier l’État du Sénégal !Ne jamais oublier ceux qui vous ont aidé à grandir. On dit souvent : « l’État n’a pas tout fait ». Avec le Dak’Art, il a tout fait. De 1990, date de sa création jusqu’à la prochaine édition de novembre 2024, près de 34 années se sont écoulées et l’État assume toujours le budget du Dak’Art. Ce n’est pas peu.
Moche, belle, pauvre ou riche, la Biennale a tenu, parce que l’État a tenu. Elle est née d’une volonté politique partie d’un rêve et d’une initiative du poète Amadou Lamine Sall et d’intellectuels qui le rejoindront dont le surdoué Moustapha Tambadou et l’écrivain Cheikh Hamidou Kane qui deviendra le 1er Président en exercice de la 1ère édition de 1990. Il y a eu surtout l’affirmation d’un homme : feu Moustapha KA, alors ministre de la Culture du Président Abdou Diouf. Les archives sont là pour tout attester. Une correspondance adressée au Président Abdou Diouf pourinstituer une « Biennale internationale des lettres et des arts », dans son appellation première, aura un écho favorable. Une réponse signée par un certain Jean Colin, Secrétaire Général de la présidence de la République de l’époque, nous donnera le feu vert.
L’année 1990 accueillit alors l’édition des Lettres. L’an 1992 celle des Arts, avant que Amadou Lamine Sall ne passe la main comme 1er Secrétaire Général en exercice. La Biennale devient alors une « Biennale de l’art africain contemporain », contre sa volonté, sous Madame le ministre feue Coura Ba Thiam. Son successeur, le brillant Rémy Sagna, fut d’une compétence hors norme. Pas un seul Secrétaire Général de la Biennale ne doit être omis dans les félicitations. Les ministres de la Culture également, même si certains nous laissent des souvenirs bien douloureux, à vite oublier.
Le Dak’Art est un tout. C’est l’œuvre d’une formidable famille depuis sa naissance. Pour l’histoire, nous avions convaincu le très chic et couru « BeauxArts Magazine » de Paris, dont le directeur de publication était Jean-Noël Beyler, de publier sous forme de numéro spécial, le catalogue de la Biennale des arts 1992, pour plus de rayonnement international. Même souvent en décomposition très avancée, le Dak’Art gagna et étonna le monde. Sa permanence, la foi des acteurs qui l’animent, la forte demande artistique africaine, l’encrage de la place de Dakar comme foyer ardent des arts depuis Senghor, la résonnance des galeristes dakarois, l’engagement admirable des critiques d’art nationaux, le travail colossal des journalistes culturels laissés à eux-mêmes, avec le nom du brave et inépuisable Alassane Cissé à retenir. Autant de dynamiques plurielles qui nourrissent la pérennité du Dak’Art.
Il est temps, désormais, que l’État du Sénégal dont nous ne cesserons jamais de louer l’action, accepte enfin de franchirle pas et de donner à la Biennale un statut décisif qui sied à ses missions, dû-t-il garder avec elle un cordon ombilical protecteur. Cela pourrait être sous la forme d’une « Fondation internationale d’utilité publique » dénommée, entre autres, « Fondation Art Mécénat International ». Cette proposition date déjà des années 92. Mais les États sont un peu comme les continents qui se déplacent plus lentement que les hommes. L’État est lent, comme figé. Combien d’études ont été financées sur le renouveau du statut de la Biennale pour aboutir à des rapports laissés aux rats dans les tiroirs des ministres ? En un mot, il ne s’agit de rien d’autre que de créer un outil performant et gagnant, un réservoir précieux de ressources humaines qualifiées, aptes à conduire le Dak’Art, à lui offrir l’opportunité d’aller capturer des financements internationaux hors de portée d’un État, pour mieux assurer l’avenir toujours chancelant mais incroyablement debout d’une Biennale unique en Afrique et désirée du monde.
Jean Loup Pivin, critique d’art, auteur d’essais sur les expressions contemporaines africaines, également fondateur de la célèbre « Revue Noire » écrit ceci : « …la survie de la Biennale ne viendra que dans son externalisation à une structure tiers sénégalaise avec un droit de regard sur la probité de sa gestion, soit avec un État qui continue mais arrête de faire croire qu’il sait faire… le Sénégal ne capitalise pas ce formidable engouement, mais au contraire le détruit. Sa gestion étatique remet en question sa crédibilité et interdit tout autre forme de financement… Qu’un pays, le Sénégal, s’investisse dans la propagation de sa vitalité reste à célébrer. Mais qu’il en finisse avec le bricolage organisationnel ». Enfin, Pivin fait sa propre évaluation de l’édition Dak’Art 2016, allant du choix des commissaires, aux productions et expositions, au colloque international « invraisemblable de désorganisation et sans traducteurs… aux torpeurs du Village des arts, un village atone, des artistes assoupis qui vous accueillent comme des marchands maladroits d’une galerie de misère … le non-retour des œuvres quand elles arrivaient à être dédouanées et exposées… un programme inaccessible … Il semblait qu’il n’y avait pas de pilote dans l’avion ». Oui, les critiques sont nécessaires, même quand elles font mal. Hélas, nous n’en avons pas la culture !
Le Dak’Art pourrait s’autofinancer si on lui accordait l’autonomie adéquate et laisser enfin l’État sénégalais souffler. Ce n’est pas l’argent qui manque chez les bailleurs. Il fait florès. La Biennale est « vendable ». Elle est crédible, créatrice d’emplois, de visibilité et elle rayonne. Ce qui a fait jusqu’ici défaut, c’est l’engagement concret de ministres en charge de la Culture qui n’ont jamais pris solidement en main le dossier de la Biennale et le porter sur le bureau du président de la République. Encore que ce dossier de réforme puisse être traité sans que l’on soit obligé d’aller déranger le Président qui a tant à faire. Parions que Madame le ministre Khady Diène Gaye la Joalienne et son branché Secrétaire d’État M. Bacary Sarr, s’y essayeront et réussiront. Juste les laisser prendre le temps de mieux comprendre pourtrancher. Il est également temps de surseoir à la fonction de « Président » du Dak’Art, pour dégrossir. Les évaluations sont incontournables. Elles reflètent la transparence et la rigueur d’un management ! Le « Comité dit d’orientation ou comité scientifique » de la Biennale devrait pouvoir être dirigé parle Secrétaire général lui-même avec à ses côtés le Directeur artistique et ses commissaires. Il arriverait même que le Président et le Secrétaire Général se marchent sur les pieds. D’ailleurs, à la vérité, ni l’un ni l’autre n’occupe des fonctions bien définies qu’un Arrêté ministériel tiède fixe sans définition stricte les missions.
Pour parler d’un certain Simon Njami deux fois Directeur artistique du Dak’Art, disons qu’il a parrapport à tous les précédents Directeurs artistiques de la Biennale, l’éclat, l’insolence oratoire et créatrice de nous secouer, de nous contrarier, de nous étonner, de nous montrer nos insuffisances créatrices. Il est écrivain, commissaire d’exposition, essayiste et critique d’art. Il est « polysémique » ! C’est cela la marque apportée par ce Directeur artistique audacieux, énigmatique, subtilement génial et si dérangeant. C’est bien avec lui que Dak’Art a innové avec des thématiques osées, décisives ! Il est venu réveiller les éternels retardataires et poussiéreux critiques classiques de l’art africain qui se suffisent du peu. En art, cela fait du bien de venir avec l’insulte et le coup de pied dans la fourmilière. N’était-ce pas cela la posture féconde et révoltée que l’éclectique et osé artiste sénégalais El Hadji Sy comme feu Mbaye Diop, avaient eu face aux peintres de la fameuse école de Dakar, sortie de la non moins géniale vision de Senghor ? C’est dans l’audace, le refus, la révolte, que l’art se tisse. C’est un don de saisissement et de provocation. C’est un court-circuit électrique, une foudre. Dans l’histoire de l’art et de ses surprises légendaires, on se souvient de Marcel Duchamp qui avait « envoyé une pissotière à un jury américain en déclenchant une révolution esthétique. » On pense aussi dans le contexte de l’aprèsguerre à cette émergence d’un art américain, une sorte « d’expressionisme abstrait » avec des peintres comme Jakson Pollock et Barnett Newman. Le Dak’Art est devenu un boulevard de feux verts. Il faut y mettre des feux rouges. On veut des accidents esthétiques spectaculaires ! C’est cela l’éclat de l’art contemporain ! Nous sommes en train de créer ensemble une nouvelle histoire de l’art africain avec le Dak’Art. Il nous faut alors des directeurs artistiques téméraires, singuliers, poliment irrévérencieux, libres, dérangeants, explorateurs d’espaces nouveaux. Faire également appel demain à des directeurs artistiques asiatiques, américains et sud-américains, afin d’ouvrir un regard toujours neuf sur le Dak’Art pour le réinventer sous le saisissement d’autres cultures qui l’enrichiront en dialoguant avec l’Afrique « prodigieuse ».
Il faut libérer le Dak’Art ! L’art a besoin d’infinis, de « coups d’état », de génocides plastiques, de meurtres esthétiques et de ruines habitables ! Au diable l’académisme des critiques d’art ! L’imposture artistique est même devenue un nouveau courant par l’incongruité d’œuvres qui nous perturbent par le surgissement de supports quirenversent notre vision tranquille de l’art. Les « installations » en font partie ! Aux critiques d’art de s’adapter aux nouveaux rites ! Aux galeristes de donner leur place aux « voyous », aux « violeurs », aux « marginaux » d’un art qui très vite a atteint ses limites de créativité courte et d’imitation. Les embouteillages des copistes sont devenus insoutenables. Nous sommes fatigués des « photocopies ». Nous voulons de nouveaux fous. Il nous faut de nouveaux « asiles » pour l’art africain contemporain. L’avenir est dans de nouvelles autoroutes artistiques et plastiques, sans tracés et sans péage ! N’oublions pas surtout la part fondamentale que doit prendre l’enseignement de l’éducation artistique dans nos écoles, juste pour faire naître des vocations. Elle devrait être une discipline obligatoire dans l’éducation nationale comme le latin l’était au temps de Senghor !
En art, le temps ne rattrape jamais les mauvais artistes déjà consacrés. Il les renforce. Il est des œuvres qui sont de véritables mensonges artistiques, mais on les fait gagner. Oui, on fabrique des artistes comme on fabrique des smartphones ! J’ai vécu cette incroyable aventure en rencontrant des galeristes qui font et défont le marché de l’art sur la place de Paris, Londres, New-York, Tokyo, la Havane, Johannesburg, Kinshasa. La Biennale a fait du Sénégal la capitale artistique et culturelle de l’Afrique et du monde. « Ce que la politique et la diplomatie n’ont pas su faire », Dak’Art l’a fait ! Ils viennent de partout, ils sont tous là les passionnés de l’art contemporain, jusqu’aux pernicieux et fidèles pilleurs et voleurs de patrimoine aux yeux bleus. Vivement, par ailleurs, la mise en fonction du musée d’art contemporain. Soyons ambitieux. Redonnons à l’Afrique sa place dans l’histoire de l’art. Elle a plus donné qu’elle n’a reçu. Nos artistes, sans injure, décolonisent en silence notre art et ses espaces de représentations. Nous sommes assez puissants et « divins » pour reconstituer et proposer au monde un art nouveau et des musées vivants. Nos artistes le prouvent. Le Dak’Art n’est plus seulement une Biennale, un pays. Le Dak’Art est ce qu’un continent peut apporter à d’autres continents dans l’émerveillement et le métissage artistique mondial. Si nos artistes ne dialoguent pas avec les autres créations esthétiques du monde, ils mourront. Tant mieux alors si la Biennale dialogue désormais aux confins des métissages, avec de meilleurs Picasso, de meilleurs Manet, des Gauguin plus fous encore, de meilleurs Manessier, de meilleurs Vinci.
Je repensais aux deux tableaux de Picasso revendus il y a peu, à 27 millions d’euros, soit près de 17 milliards FCFA et au Vinci récemment découvert et vendu à près de 450 millions de dollars, soit près de 270 milliards de FCFA. Comment devant le vertige de tels chiffres, ne pas replacer l’art dans sa dignité et les artistes dans leurs droits au respect, au confort, à la reconnaissance ? C’est si injuste cette dignité des mendiants dont on habille nos artistes en Afrique ! Un marché de l’art africain crédible et puissamment pensé et encadré par un partenariat syndiqué des plus puissantes institutions financières et bancaires africaines avec leurs homologues du Nord, pourrait faire rêver les héritiers de Pape Ibra Tall, Ibou Diouf, Bocar Diongue, Iba Ndiaye, Souley Keïta, Ndary Lo, l’éthiopien Zérihun Yetmgeta, le Zimbabwéen Tapfuma Gutsa, le Nigérian Muaina Oyélami, l’algérien Malek Salah. Le Dak’Art doit avoir cette ambition et ne pas s’arrêter à rien d’autre qu’à des expositions in et off, des colloques, des remises de distinctions et des prix si faiblement dotés et vite oubliés ! C’est d’ailleurs ici l’occasion de rechercher et de trouver toutes les œuvres primées depuis la Biennale des arts de 1992 à nos jours, pour les exposer dans notre prochain musée d’art contemporain avec un espace dénommé : « Regard sur les trésors nominés du Dak’Art depuis sa création ».
C’est ici, à Dakar et nulle part ailleurs, que la terre se donne rendez-vous pour voir, admirer, l’art africain contemporain. Les suites et les retombées économiques sont immenses et dépassent notre attente, sans que nous essayions d’en consigner les statistiques, ce qui a toujours fait notre faiblesse non usurpée. Comment, diable, dans notre maladive manque de rigueur et de prospective, arrivons-nous d’ailleurs, avec deux sous, une organisation boiteuse et plâtrée, à toujours étonner le monde ?
Quoiqu’il arrive, la prochaine édition de novembre 2024 sera encore une belle fête, même avec une claudicante organisation. C’est notre secret à nous les grands et prodigieux nègres ! Toutefois, la réussite existe toujours. Il suffit d’en payer le prix !
par Elgas
L’ANTICOLONIALISME COMME FREIN AU PROGRESSISME EN AFRIQUE, RETOUR SUR UN IMPENSÉ
Pourquoi les penseurs africains, farouches progressistes chez eux, deviennent-ils si souvent des réactionnaires une fois en Occident ? Un paradoxe dérangeant, symptôme d'un conflit plus vaste entre anticolonialisme et progressisme
Ce court texte est la transcription de mon intervention au colloque «Religion et révolution conservatrice: perspectives comparatives» les 23, 24 et 25 octobre 2023 à Genève, à l'initiative de la Chaire Yves Oltramare. Il revient sur le potentiel dévoiement des luttes progressistes captives d'une vision des sociétés colonisées encore très paternaliste. Avec deux focus sur les usages de la religion, l'islam en l'occurrence au Sénégal, et l'alliance pour le moins surprenante entre décoloniaux en Occident et identitaires au Sud, il évoque les fragilités du front anticolonial.
D’où vient cette malédiction qui rend orphelins de soutien tant de chercheurs, d’artistes, d’intellectuels, d’universitaires africains, progressistes convaincus chez eux au Sud affrontant vaillamment divers périls et qui, pourtant, deviennent, une fois en Occident, des réactionnaires en puissance1 ? Cette question est le coeur d’expression de mésusages courants en période postcoloniale, mésusages ou glissements qui confortent le confusionnisme et nourrissent le conservatisme qu’on prétend pourtant combattre à « gauche ». Esseulés, délaissés, l’accusation de félonie vis-à-vis de leur communauté planant comme une ombre disqualifiante, ces auteurs et intellectuels du Sud, comme par exemple Kamel Daoud, Salman Rushdie, Abnousse Shalmani ou Rahmane Idrissa, forment pourtant un gisement de déconstruction de leurs sociétés, hélas abandonnés par une perspective décoloniale qui souvent cède à la logique de front plus qu’à celle de principes communs incessibles.
Où se situe le curseur de ce crédit moral si arbitrairement accordé qui revisite la phrase connue, vérité en dessous de la Méditerranée et hérésie au-delà ? Sur toutes les questions dont le progressisme est l’enjeu fondamental – droits des minorités, liberté religieuse, égalité hommes/femmes –, cette ligne de démarcation survit à tout universel, à son pendant marchand, la globalisation, et à son expression technologique, appelé par notre ami Marshall McLuhan « le village planétaire2 ». Donnée nouvelle, elle survit au bon sens longtemps échelle certes imparfaite mais opérante d’appréciation commune du gouvernement du monde. Dans un monde qui connaît de profondes convulsions, il n’est pourtant pas inutile, de refaire la généalogie et une radioscopie des conservatismes comme l’a proposé ce colloque bienvenu. Et saisir que les transformations, révolutions conservatrices, qui paraissent connaître un regain aujourd’hui avec leur caractère apocalyptique, au fond, semblent davantage s’apparenter à l’éveil de volcans idéologiques longtemps enfouis, endormis, jamais réellement vaincus, sinon à des étendards de combat et à un socle d’idées au service d’une alternative souhaitée à l’hégémonie occidentale. Pour le dire autrement, ce qui paraît si hégémonique aujourd’hui semble, selon notre hypothèse, être la manifestation d’une présence latente, longtemps confinée, et qui connaît une déflagration à la faveur de l’essoufflement du mythe de la centralité occidentale et de la promesse toujours renouvelée du progrès comme horizon naturel de l’humanité. Toutes les forces qui avaient dû, à contrecoeur, monter dans ce train, sentant la fragilité de la locomotive, délogent leurs velléités des marges pour les assumer pleinement. La permanence de cette révolution est un invariant historique, particulièrement en Afrique : elle est au fondement de cette optique du Sud dit « global », dont les esquisses formelles semblent aujourd’hui plus nettes. Dans la lutte fondatrice et essentielle contre la colonisation, encore structurante, il est pourtant essentiel de mesurer le coût de certaines accointances, où par mégarde, bonnes intentions, bonne conscience, parfois cynisme, l’anticolonialisme est devenu un frein au progressisme, créant ainsi une double échelle de valeurs qui contribue à la relégation, au relativisme moral. Longtemps carburant du colonialisme, il semble basculer de plus en plus dans la frange extrême de certaines pensées décoloniales.
Comprendre ainsi l’articulation d’un mélange de ressentiment colonial et d’une offensive conservatrice jamais résignée, requalifiée en identité unificatrice, sera le coeur de notre propos. Nous esquisserons d’abord une rapide histoire du conservatisme religieux au Sénégal, avec un croisement des perspectives confrériques et néo-puritaines, pour situer l’importance du discours religieux dans toute résistance, pour ensuite procéder à un examen des mouvements de jeunesse citoyens au Sénégal, via le rap entre autres, et leur tournant conservateur au nom de la lutte contre l’Occident. Nous nous intéresserons enfin à la sophistication d’un relativisme décolonial, notamment en Occident, qui attribue à l’Afrique un particularisme qui justifierait un conservatisme appréciable, le seul prisme de la domination finissant par conférer aux dominés un blanc-seing et une exemption de reddition de compte.
Les africanistes du fait confrérique au Sénégal, qu’ils s’agissent de Paul Marty3, de Donal Cruise O’brien4 ou de Vincent Monteil5, ont établi des monographies exhaustives de la naissance d’une confrérie, le
mouridisme. Cédant parfois à la tentation d’un romantisme sur un « islam noir » aux particularismes marqués, leurs travaux ont été la matière revisitée par le roman national sénégalais, finissant par devenir un mantra surexploité résumable ainsi : le syncrétisme sénégalais fait du soufisme un rempart contre l’avancée du wahhabisme. Séduisante et rassurante, cette lecture a trouvé des relais en Occident, tant elle donnait des gages, dans un monde musulman où diverses révolutions ont convié au pouvoir des religieux intégristes. Sans explorer le corpus idéologique confrérique, qui n’entre jamais en opposition frontale avec la base doctrinale de l’islam, et qui reprend ainsi à son compte toute la sémantique, la symbolique, les représentations du religieux, du puritanisme considéré pour beaucoup comme l’essence de la piété. Confondant la logique de la configuration sociale intégrée dans le rituel des cultures avec la modalité dogmatique du culte, il a été ainsi opéré, parfois à dessein, des réductions consommables sur l’idée d’un rempart interne, autorégulant, de nature à dissuader toute radicalité. Cette dépolitisation et ce désossement du religieux sont demeurés longtemps une lecture dominante, tant il ne fallait pas regarder en face les évolutions convergentes vers une hégémonie de l’islam destiné à apurer un paganisme qui n’a jamais eu bonne presse, et qui était même un franc ennemi de la religion.
Longtemps viatique du champ intellectuel, sur lequel le Sénégal a bâti sa réputation de havre du dialogue interreligieux, un livre pourtant en 1985, écrit par le journaliste Moriba Magassouba, venait jeter un pavé dans la mare. Son titre, un brin provocateur – L’islam au Sénégal. Demain les mollahs6 ? –, avait entraîné une déflagration. Première secousse dans l’entente cordiale, le document, fruit d’une enquête journalistique et d’un mémoire d’études, démontrait les assauts du puritanisme, la montée des marabouts, l’axe préférentiel des échanges religieux avec les pays du Golfe, et le puritanisme qui s’est attaqué aux religieux. Le film Cedo du cinéaste Ousmane Sembène en 1977, décrivant l’arrivée de l’islam en Afrique, la violence de la rencontre, et finalement la conversion progressive à marche forcée, semble avoir été un canevas pour le livre de Magassouba. La chronologie ainsi que l’enchaînement accréditent en effet l’idée d’une irréversible optique de conformisation religieuse. Le mouridisme a fondé sa légitimité et son autorité sur la figure charismatique de son fondateur, Cheikh Ahmadou Bamba. Résistant culturel, selon la terminologie des manuels d’histoire, il est le symbole le plus éloquent, et le plus populaire, d’un contre-discours qui s’appuie sur la résistance anticoloniale. Si l’histoire du djihad africain – comme le rappelle Pérouse de Montclos dans son livre L’Afrique, nouvelle frontière du djihad7 – n’obéit pas qu’à des logiques importées, le discours fédérateur s’est toujours fondé sur un conservatisme qui ne s’est jamais démenti. Il a été nourri, structuré, par une élite mouride et religieuse au Sénégal, avec la déconstruction de la « colonialité » comme boussole première. Cette déconstruction en cours et les bouleversements géopolitiques (choc pétrolier en 1973, révolution iranienne en 1979, attentats du 11 septembre 2001, guerre en Irak en 2003, proclamation de l’État islamique en 2014 entre autres) ont encouragé l’élite religieuse à investir le champ intellectuel et à gagner la bataille « culturelle ». C’est ainsi que la « laïcité » est devenue un ennemi, que la ville sainte de Touba a demandé un « statut spécial » pour s’affranchir de la République sénégalaise. Tout cela au nom d’un différentialisme, d’une revitalisation du conservatisme conçue, à renforts de livres, comme la voix d’une authenticité endogène à même d’offrir un miroir identificatoire aux populations, en minorant bien sûr la modalité d’une religion elle-même importée, et coloniale.
M’intéressant au contenu des prêches des imams le vendredi pour les besoins d’un travail de recherche, l’examen de ce discours montre la récurrence des griefs contre le progressisme, considéré comme l’aiguillon de la survivance coloniale. La dépravation des moeurs serait liée à l’absence de remparts face à la propagation des sources occidentales. La bataille des valeurs est donc essentielle et l’islam fournit le meilleur kit de résistance, mais aussi le meilleur programme politique. Au nom du refus de l’asservissement, la prospérité de ce discours a créé les conditions d’un raidissement tendant à disqualifier les droits humains, repeints en blanche domination honnie.
La gauche sénégalaise et les élites intellectuelles se sont montrées timides, reprenant le refrain commode pour la paix sociale, renonçant ainsi à questionner l’héritage des féodalités pour créer les conditions de viabilité d’une gauche qui n’importe pas uniquement les lignes de fractures postcoloniales. Les répercussions de cette question islamique feront l’objet d’un article de Mar Fall8 dans Présence africaine en 1987. En devenant de plus en plus un obstacle à l’établissement d’un État égalitaire, la perspective des mollahs devenait de moins en moins chimérique. Avec la multiplication des mouvements puritains dans la sous-région, et le long et patient travail de sape de la diplomatie religieuse des pays du Golfe, Mar Fall montrait cette avancée.
Autre échelle d’appréciation de notre propos, en 2011, au plus fort de la contestation des velléités de dévolution monarchique du pouvoir avec un président Abdoulaye Wade qui voulait outrepasser la
constitution, s’est érigé une véritable sentinelle démocratique. Dans un mouvement de la société civile, réveillé par un regain et unifié par cette cause, naissait le M23 (Mouvement du 23 juin), acteur majeur de la reculade du président. Tête de pont de ce mouvement, le collectif « Y’en a marre », essentiellement porté par des jeunes rappeurs, naissait au grand jour. Avec son énergie, sa fraîcheur, son engagement démocratique et son refus de plier, il fut un acteur majeur de la transition politique et de l’alternance. Victime de son succès, le collectif s’est ensuite structuré de façon horizontale, investissant les questions sociétales, sortant ainsi du seul champ de la politique électorale. Cette énergie a été saluée en Occident, financée, perçue comme ce gisement jeune et démocratique à même de bâtir le renouveau et de contrecarrer, là aussi, les tentations radicales ou religieuses. Financée par Osiwa (Open Society Initiative for West Africa), l’organisation de Georges Soros, conviée en Europe, le bel écho du mouvement « Y’en a marre » fera des petits sur le continent, avec « Le balai citoyen » au Burkina, acteur du départ de Blaise Compaoré, et Filimbi en République démocratique du Congo, qui rencontrera moins de succès car bâillonné par le pouvoir. Très vite pourtant, on déchante.
Les membres du collectif sénégalais se distinguent par un discours conservateur et s’opposent à tout progressisme. Ils reprennent à leur compte tous les discours émancipateurs du panafricanisme, avec de
véritables distorsions de son contenu, et articulent leur combat contre les valeurs occidentales, toutes considérées comme coloniales. Dans le contexte mondial, il y a donc deux conservatismes en miroir : un
occidental prenant appui sur les valeurs blanches et chrétiennes de l’Europe, et un autre, en Afrique, prospérant sur le lit d’une identité figée, conflictuelle, et des valeurs jugées supérieures à celles d’un Occident décadent, la question LGBT étant au coeur de la répulsion. Loin d’être un élément conjoncturel, cette structure paraît exister dès l’aube des groupes de rap primaux à Dakar. Le progressisme avait comme plafond le discours anticolonial. Le rap et son énergie militante et rebelle se sont pourtant rapidement embourgeoisés, captifs de ce périmètre réduit, où très rapidement il est devenu un cheval de Troie du conservatisme. Dans un article fort bien documenté, le chercheur sénégalais Abdoulaye Niang9 évoquait la notion de rap prédicateur, à mille lieues des représentations classiques sur ce genre qui semblait regorger de munitions contre l’establishment. Habilement récupéré, jamais en opposition frontale avec l’architecture des références morale et religieuse, ce rap prédicateur est devenu le catalyseur d’une énergie postcoloniale qui fédère les jeunes, non plus pour construire des sociétés ouvertes, mais comme puissance dégagiste des logiques jugées néocolonialistes, et de ses suppôts, c’est-à-dire les pouvoirs locaux.
Que faire donc face à ce conservatisme qui semble invincible ? En Occident, la malédiction la plus commune est de la considérer avec un exotisme circonspect, un mépris. Mais plus troublant, au nom de la même logique décoloniale, on trouve, dans la gauche particulièrement, une lecture sous le seul prisme de la domination. Le statut de dominés est ainsi essentialisé et, par atavisme, il donne des privilèges. Tout discours contre ce conservatisme s’expose à des foudres qui les qualifient de néocolonialisme d’une nouvelle mouture des Lumières et de l’universalisme, toujours suspecté d’être un agent de domination. Avec le procès des Lumières dévoyées, le front décolonial s’inscrit dans une impasse, au moins partiel, dans le sens où il anesthésie tout discours émancipateur local. Il fonde ainsi une double logique territoriale et temporelle, celui des dominés éternels et des bourreaux éternels.
C’est à ce niveau que la Méditerranée devient une ligne de démarcation, que l’anticolonialisme comme matrice devient négateur d’un projet de progrès universel. La convergence des luttes semble ainsi être celle des conflits sourds, retardés par une logique de front. Elle nourrit indirectement un conservatisme à l’affût, conscient des porosités, des gisements de forces que contient le discours anti ou décolonial. Et dans cette configuration, les progressistes du Sud ont besoin de soutien, celui naturel de la gauche, qui pourtant les ignore au prix d’accommodements déraisonnables. Progressistes qui doivent tout de même éviter le baiser de la mort de la droite si diligente à rafler la mise et à travestir de nobles luttes.
El Hadj Souleymane Gassama (Elgas) est journaliste, écrivain et chercheur associé à l’Iris (Institut des relations internationales et stratégiques). Ses recherches portent sur le don, la dette, les transferts d’argent, la décolonisation et la démocratie en Afrique. Il est l’auteur de plusieurs livres et articles, et notamment de Les bons ressentiments. Essai sur le malaise post-colonial (Riveneuve, 2023).
Par Abdoulaye DIALLO
LE DAK’ART 2024, DU 7 NOVEMBRE AU 7 DECEMBRE
«Janmgi faamaali, Faami janmgaali, Janmgaali faamaali, Ko be’e tato wonoyta fii lanmugol Affriki.» «Celui qui a appris sans comprendre, Celui qui a compris sans apprendre, Celui qui n’a ni appris ni compris, Ces trois-là provoqueront un jour la destructio
«Janmgi faamaali, Faami janmgaali, Janmgaali faamaali, Ko be’e tato wonoyta fii lanmugol Affriki.» «Celui qui a appris sans comprendre, Celui qui a compris sans apprendre, Celui qui n’a ni appris ni compris, Ces trois-là provoqueront un jour la destruction de l’Afrique.» Djibril DIALLO
A un moment de notre histoire où l’écart est très grand entre l’état du pays et notre état d’esprit, à un moment où la pensée et la réflexion sont sorties des étroits milieux que constituent les érudits, les écrivains et les intellectuels, nous regardons 2024, la rue et son mouvement avec curiosité, appréhension, doute et tout de même espoir.
Nul besoin de convaincre qui que ce soit de l’importance du Sénégal dans la région, et de l’intérêt que nous avons que ce pays, avec ses traditions au plan politique, reste une démocratie prospère. Née de luttes séculaires avec la volonté de la parfaire dans une croissance économique à rendre plus inclusive, elle n’en révèle pas moins des insuffisances que les jeunes, fortement marginalisés dans leur grande majorité, mettent à nu
De ces jeunes, un grand nombre a choisi la culture, sous différentes formes d’expression, parce qu’elle est transversale et englobante. Ils la manifestent dans les arts plastiques en particulier, pour exprimer dans l’écriture propre à ce secteur ce qui est élevé, ce qui est beau, ce qui est prospectif et anticipe d’un meilleur monde.
Informer d’un report les participants et les visiteurs prévus à la Biennale de l’art contemporain africain, le Dak’Art, dans son édition de 2024, à vingt jours de l’ouverture officielle, relève d’une inélégance. Ma pensée a été envahie par un engourdissement nébuleux.
La Biennale de l’art contemporain africain, le Dak’Art, aurait dû se tenir le 16 mai 2024
Quatrième plateforme culturelle mondiale, en sa 15ème édition cette année, rien ne peut justifier ce report. Il intervient surtout à un moment où de nombreux pays ont leurs regards voraces et envieux posés sur la Biennale de l’art contemporain africain, le Dak’Art.
Rien ne peut justifier ce report dans un contexte où les pays en développement cherchent à doubler la valeur en dollars de leurs exportations culturelles : de 11,5 milliards de dollars à 25 milliards de dollars, en moins de dix ans..
Comme celles de 1994 et de 2020, la Biennale de l’art contemporain africain, le Dak’Art, de 2024 s’est heurtée à quelques résistances qui ont entraîné son report
C’est acté après moult rumeurs, controverses, luttes intestines stériles et constat d’une impréparation manifeste. Des phases successives qu’a connues la Biennale de l’art contemporain africain, le Dak’Art, les éditions qui s’attachent à celles de 1990, 1996, 2008, 2016 et 2018 furent celles de sa plus vaste étendue, de l’apogée de sa puissance et de son expansion.
Il convient aujourd’hui de s’arrêter et de réfléchir pour voir comment gagner les cœurs des femmes et des hommes de culture. Cela, en vue de les inscrire dans les espaces de la patience et de la lucidité.
La Biennale de l’art contemporain africain, le Dak’Art, se tiendra à partir du 7 novembre et nous avons le devoir de travailler à sa réussite. Il faut tirer les leçons.
Il faut que change la perception des forces vives de la Nation sur le monde de la culture et singulièrement des arts. Rappelons-le, la Biennale de l’art contemporain africain, le Dak’Art, est un outil de renforcement de la gouvernance de la culture, d’intégration de la culture dans les stratégies de développement durable, de promotion des droits humains et des libertés fondamentales
La Biennale de l’art contemporain africain, le Dak’Art, offre un environnement qui facilite l’accès équitable à des échanges ouverts et équilibrés, renforce les capacités et améliore les infrastructures culturelles dans le pays.
Le monde dans lequel nous vivons l’exige. Ce même monde nous invite à la formalisation d’un dialogue entre femmes et hommes de culture, artistes, la Ville de Dakar et l’Etat.
Nous vivons dans un monde en évolution et en mutations exponentielles. Un monde dit d’innovation. Dès lors, le Sénégal doit offrir à ses enfants toutes les occasions possibles de découverte et d’expérimentation scientifique, culturelle et sociale esthétique, artistique, sportive. Le savoir n’est pas une condition suffisante de la culture, mais une condition nécessaire. Il nous faut saisir l’opportunité de ce report, pour réfléchir sur comment soutenir les systèmes de gouvernance durables de la culture :
- Renforcer les moyens techniques et financiers des organismes gouvernementaux et ceux de la Ville de Dakar, responsables des politiques culturelles, afin qu’ils engagent une collaboration Etat/Ville de Dakar ;
- Décentraliser les compétences et les ressources pour favoriser la gouvernance à plusieurs niveaux, en délimitant clairement les responsabilités des uns et des autres ;
- Affecter des budgets appropriés pour une application concrète du programme de la Biennale de l’art contemporain africain, le Dak’Art, si nous voulons que le Sénégal soit du lot des pays en développement qui doublent la valeur en milliards de dollars de leurs exportations.
Des progrès ont été réalisés en termes d’intégration de la culture au sein des politiques et programmes de développement durable à l’échelle nationale qui entrecroisent les retombées économiques, sociales, environnementales et, bien évidemment, culturelles.
Personne n’est plus qualifié que les acteurs culturels pour nourrir cet exercice collectif d’invention d’un futur porteur d’une nouvelle humanité
Pour ce futur qui se fera au service de l’humain ou ne sera pas, il est établi que la «Création» est la matière la plus efficace. Elle est le témoignage bouleversant de la seule dignité de l’Homme : la révolte tenace contre sa condition.
La promotion de la liberté d’imaginer et de créer me paraît essentielle.
L’imagination et la créativité sont les manifestations les plus nettes de la liberté. Elles sont les intrants indispensables à l’innovation tant sociale, politique qu’économique. Elles sont les seuls ingrédients pouvant faciliter la mise en place des mécanismes de promotion continue de valeurs humaines, donc culturelles, et de confiance, de même que tout autre mécanisme de renforcement de l’échange dans les savoirs et connaissances, d’émulation réciproque donc de réciprocité, si réellement nous voulons meubler utilement les cerveaux de nos enfants et arracher nos peuples de la misère et de la pauvreté.
L’expression artistique fait partie intégrante de notre humanité qui repose sur notre capacité à peindre, à chanter, à danser et à jouer en spectacle qui nous distingue en tant qu’individus. Mais c’est également ce qui nous rapproche en tant que communauté et nous aide à dépasser nos différences linguistiques, géographiques, culturelles, religieuses et politiques. C’est dire que le Dak’Art doit aussi être à l’école et dans les universités, par l’art, c’est-àdire tous les arts dans les expressions multiples (la poésie, le théâtre, la danse, la musique, le cinéma, le cousinage à plaisanterie, etc.).
La Biennale est une occasion de travailler à l’investissement dans le talent et à la quête d’excellence dans les quartiers.
Une pratique d’un ou de plusieurs arts peut relever les exigences de notre époque et forger le Sénégalais nouveau. Car le Dak’Art se situe, plus que jamais, dans la perspective de l’accouchement douloureux d’une société mondiale au cœur du développement de la personne et des communautés.
Notre humanité est faite de voyages et de rencontres. L’effort culturel est une valeur de civilisation. L’artiste, qui témoigne de l’état de cette humanité, avec un message d’espoir, doit pouvoir se sentir libre. La mobilité fait partie intégrante de sa vie et de sa carrière
Les responsables culturels doivent développer et soutenir des moyens innovants permettant aux artistes et aux professionnels de la culture de voyager, et ce malgré l’aggravation des restrictions. Il est en effet essentiel que les artistes aient l’occasion de découvrir des milieux qui leur sont étrangers pour progresser professionnellement, mais aussi pour rencontrer d’autres communautés et élargir leur compréhension d’autres cultures
Un des invités d’honneur de la Biennale de l’art contemporain africain, le Dak’Art, est les Etats-Unis d’Amérique (Usa). Il faut profiter de leur présence pour rappeler que la mobilité culturelle est depuis longtemps un élément essentiel des sociétés et la source de certaines des créations artistiques les plus célèbres de l’humanité, depuis l’Antiquité.
Actuellement, du fait des restrictions de plus en plus drastiques sur les déplacements des personnes et du renforcement des mesures sécuritaires aux frontières, les influences artistiques transculturelles sont menacées.
Fait au PÉNC 1.9/ atelier LebergerdelîledenGor
Abdoulaye DIALLO
LebergerdelîledenGor
Par Madiambal DIAGNE
IL NE RESTE PLUS À DIOMAYE ET SONKO QUE DE NOMMER AMADOU BA PREMIER MINISTRE
Quand Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko voudront innover, changer les choses, opérer une rupture, ce sera à la fin du quinquennat. Ceux qui avaient voté pour la rupture ou pour le « dégagisme » apprécieront
C’est désormais assumé publiquement, vis-à-vis de l’opinion publique sénégalaise et auprès des partenaires techniques et financiers ! La gouvernance du tandem Diomaye-Sonko va s’adosser en quelque sorte sur le Plan Sénégal émergent (Pse). Ils ont fini par avouer, devant leurs électeurs, n’avoir pas eu de programme de gouvernement, contrairement à leurs promesses électorales les plus mirobolantes. Quand on s’amuse à relire les déclarations chocs de Ousmane Sonko pour pourfendre le Pse du temps où Macky Sall et ses équipes en vantaient les mérites, on retrouve des phrases du genre : «Le Pse est un leurre», «le Pse est tout sauf un plan d’émergence», «le Pse est une supercherie», «le Pse est le Plan Sénégal endettement», entre autres ; tout cela sous les vivats des foules excitées de militants. Les leaders de Pastef promettaient de remplacer le Pse par leur «Projet», le sésame qui ouvrirait grand les portes du développement économique et social. Ce miracle était si précieux qu’il fallait le cacher aux yeux curieux, pour mieux le préserver, le protéger du mauvais œil et ne le sortir de son écrin qu’au soir de la victoire électorale. On a vu dans la twittosphère et sur Facebook, et même sur des plateaux de télévision, des radios et des colonnes de journaux, de grands intellectuels plébisciter et défendre bec et ongles le «Projet», avec force arguments, que nous finissions par les considérer comme des auteurs de ce «Projet». L’existence du «Projet» était une évidence pour tout le monde, il peuplait notre quotidien. Pourtant, personne ne l’avait encore vu. Quand nous avions la curiosité de demander à voir ce «Projet», certains contempteurs nous rabrouaient. De grands intellectuels, au même titre que des citoyens moins qualifiés, croyaient à cette Arlésienne. La politique au Sénégal est le lieu où on peut poser ses fantasmes pour des certitudes. Les journalistes, qui relayaient les grandes idées du «Projet» virtuel, se sont aussi fait hara-kiri. J’invite à relire certains posts, et leurs auteurs doivent être dans leurs petits souliers quand le gouvernement leur annonce, sans sourciller, dans le communiqué du Conseil des ministres du 24 avril 2024, que la rédaction du «Projet», comme le nouveau référentiel de la politique économique et sociale du Sénégal, va démarrer et que la finalisation est attendue pour le dernier trimestre de l’année 2024. L’élaboration du «Projet» est confiée aux experts qu’un ministre de l’Economie, des finances et du plan qui s’appelait Amadou Ba, sous l’impulsion de Macky Sall, avait commis pour confectionner le Pse. Les mêmes personnes ont été appelées par un Premier ministre nommé Amadou Ba, pour l’élaboration du Programme d’actions prioritaires (Pap3 du même Pse). Que feront-ils alors de bien nouveau ?
Diomaye et Sonko font du Macky, sans Macky et les siens !
Le supplice des «avocats du Projet» est encore plus dur quand ils apprennent que le gouvernement décide de poursuivre les actions du Pse et accepte le programme signé par le gouvernement de Macky Sall avec le Fonds monétaire international (Fmi), couvrant la période 2023-2026, et que les conditions seront respectées (voir communiqué du Fmi du 3 mai 2024). En d’autres termes, quand Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko voudront innover, changer les choses, opérer une rupture, ce sera à la fin du quinquennat. Ceux qui avaient voté pour la rupture ou pour le «dégagisme» apprécieront ! On ose espérer que le nouveau ministre de l’Economie, du plan et de coopération, Abdourahmane Sarr, n’a pas été recruté sur la base de ses contributions caustiques et acerbes contre le Pse, et pour ses fumeuses théories sur la mise en place d’une nouvelle monnaie.
Finalement, on retiendra que le Pse est un bon programme (Conseil des ministres du 17 avril 2024). Finalement, on retiendra que la politique des bourses familiales et d’un Registre national unique (Rnu) des ménages pauvres et en situation de vulnérabilité (Conseil des ministres du 24 avril 2024) est une excellente trouvaille.
Finalement, le gouvernement plébiscite le Projet du Bus rapide transit (Brt) (Conseil des ministres du 2 mai 2024) et les infrastructures routières. Finalement, il considère que le Pont de Rosso, reliant le Sénégal à la Mauritanie, est un investissement structurant (visite du Président Faye en Mauritanie le 19 avril 2024). Finalement, on admet que les investissements dans les domaines de l’hydraulique, de la santé, de l’éducation, du transport, de Dakar Dem Dikk et dans les transports aériens, ou encore le Programme 100 000 logements, entre autres, sont adéquats et pertinents. Finalement, le gouvernement, à l’issue du Conseil interministériel sur la campagne agricole du 3 mai 2024, va poursuivre la même politique dans le secteur. L’Armée va procéder à la distribution des semences et des engrais. On espère que les militaires seront plus vertueux que les autres Sénégalais. Le ministre de l’Agriculture, de l’élevage et de la sécurité alimentaire, Mabouba Diagne, prend à son compte et se vante de distribuer des tracteurs et autres matériels agricoles acquis par le régime déchu. Allez chercher où sera la rupture ? Les hommes et les femmes, qui avaient en charge de conduire la mise en œuvre du Pse, vont, eux, changer et céder leurs places à d’autres têtes d’œuf. Ces dernières qui n’ont pas réfléchi ou pensé la politique, ou écrit le Pse qu’ils vont devoir appliquer ! Ceux qui avaient fait ce travail et engrangé quelques succès sont des nigauds, des corrompus, des nullards et des voleurs. Ce sont les ressources humaines qu’il faudra changer, «dégager», pour reprendre leur rhétorique violente ou musclée. Seulement, comme pour leur faire un pied de nez, le Fmi, à l’issue de sa Mission de la semaine dernière, prodigue des satisfécits pour l’équipe sortante. Dans le communiqué rendu public, on lit que le gouvernement du Sénégal (est-il besoin de rappeler qu’il était dirigé par le candidat malheureux Amadou Ba qui se voulait en quelque sorte le candidat d’une certaine continuité) «s’est montré résilient» en 2023. Puisqu’il faudrait dire toutes les vérités, le Fmi ajoute que l’installation de la nouvelle équipe gouvernementale a été facilitée par la mise en place fort opportune «des réserves de liquidités de plus de 320 milliards de francs». On apprend alors que les caisses n’étaient pas aussi vides que le ministre des Finances et du budget, Cheikh Diba, avait voulu le faire croire. Le paradoxe est alors que Bassirou Diomaye Faye, élu sur la promesse de la rupture contre la continuité préconisée pourtant par le candidat Amadou Ba, va finalement être le Président de la continuité que les électeurs ont refusée. Ils se sont convertis au Pse au point qu’on a pu lire un commentaire, tournant en dérision la situation, pour rebaptiser le Pse : «Plan Sonko émergent.»
«Puisque vous renierez plus tard, pourquoi ne pas renier tout de suite ?»
Ils sont arrivés au pouvoir sans y avoir été préparés.C’est en quelque sorte les mains dans les poches qu’ils ont pris les rênes du Sénégal. Que faudra-t-il faire ? Poursuivre ce qui était en train de se faire et alors renier tous leurs engagements et promesses. La grande promesse de réduire le coût de la vie sera renvoyée aux calendes du Kayor. Le Président Bassirou Diomaye Faye semble avoir trouvé une excuse aux difficultés de baisser le coût de la vie. Au Daaka de Médina Gounass, un événement religieux musulman, il a indiqué que les soubresauts et tensions sur la scène internationale constituent des handicaps pour un pays comme le Sénégal, car cela renchéritles coûts des importations. En outre, le Fmi a exigé et obtenu du gouvernement de rester dans la logique de diminution, pourne pas dire de suppressiondes subventions sur les denrées de base ou sur l’énergie. L’institution financière internationale relève notamment «des dépenses élevées de subventions à l’énergie (620 milliards de francs Cfa, soit 3,3% du Pib)». La seule concession laissée à Ousmane Sonko et à son équipe est de jouer peut-être sur les tranches de facturation de l’électricité. En termes moins ésotériques, le gouvernement pourra travailler sur les grilles tarifaires de la Senelec pour faire baisser le prix du kilowatt heure pour les tranches concernant les couches sociales les plus défavorisées (environ 1 150 000 ménages qui paient des factures mensuelles de moins de 15 000 francs), mais que cette baisse sera répercutée sur les factures des consommateurs relativement plus aisés.
Le Fmi reviendra au mois de juin pour évaluer le respect des engagements souscrits par le Sénégal, avant de pouvoir procéder à un décaissement, courant juillet 2024, de la deuxième tranche des prêts d’un total de 1150 milliards de francs. Là également, les autorités gouvernementales vont devoir renier leurs promesses de renoncer à l’endettement. Opposants, ils avaient pourfendu le sinistre Fmi, accablé de tous les torts et de tous les maux du Sénégal. «Les nouvelles autorités ont réaffirmé leur engagement à poursuivre le programme actuel soutenu par le Fmi. Elles reconnaissent que les principaux piliers du programme s’alignent sur leurs propres objectifs stratégiques.» Dire qu’elles avaient aussi fustigé la politique d’endettement pour financer les projets ! Diomaye et Sonko, une fois au pouvoir, se retrouvent à chercher et obtenir la caution du Fmi pour aller sur les marchés internationaux afin de lever de gros financements pour profiler la dette déjà existante, par des efforts de «réduction de sa vulnérabilité», afin de rester dans la situation d’un «pays à endettement à risque modéré». Le principe est assez connu, ils vont augmenter l’encours en faisant baisser le service de la dette. Résultat des courses ? Ils vont alors continuer à endetter le pays de plus belle. On leur disait que l’économie du Sénégal n’a pas la capacité de générer des recettes intérieures de 15 mille milliards de francs Cfa, comme le proclamait le leader de Pastef dans ses envolées populistes.
La bonne touche des réformes à apporter au Pse
Le gouvernement pourra, dans une logique d’une amélioration continue, jusqu’à l’horizon temporel de 2035 du Pse, introduire plus de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des projets. Ce que le Président Bassirou Diomaye Faye pourra apporter dans l’exécution du Pse, sera sans doute de mener le train de réformes prévues dans la gouvernance publique. Au Groupe consultatif de décembre 2018 à Paris, le Président Macky Sall s’était engagé à mener des réformes attendues par les partenaires, mais qu’il mettra sous le boisseau, au lendemain de la Présidentielle de 2019. Les réformes dans les secteurs de la Justice, de l’Administration centrale, comme la digitalisation des procédures, du secteur de l’énergie, de l’agriculture ou de la fiscalité. Le Code général des Impôts, déjà vieux de dix ans, a besoin d’être revu. Les réformes du secteur de l’énergie étaient aussi prévues dans le Millenium challenge account (Mca) alors que la transparence et la rationalisation des dépenses dans le secteur de l’agriculture avaient été dans les accords avec la Banque mondiale, du temps où Mme Louise Cord était représentante de l’institution au Sénégal.
par Ndiaga Gueye
À L’INSTAR DE WADE ET SALL, DIOMAYE REMET EN CAUSE L’INDÉPENDANCE DE L’ARTP
Le décret nommant le DG de l'Autorité de Régulation des Télécoms sans appel à candidature est illégal. Cette situation révèle l’ignorance et une impréparation des autorités à intégrer le droit communautaire dans les actes réglementaires
Le communiqué du conseil des ministres du 02 mai 2024 annonce que le président de la République du Sénégal a pris la décision de nommer un Directeur Général de l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP). Une nomination effectuée, sans avoir procédé au préalable, à un appel à candidature transparent.
L’ARTP, créée par la Loi n°2001-15 du 27 décembre 2001 portant code des télécommunications, est une institution publique chargée d’établir et de préserver dans le secteur des télécommunications, un environnement économique sain et concurrentiel au bénéfice de tous les acteurs impliqués, des utilisateurs et de l’État. Elle est devenue une autorité administrative indépendante depuis la Loi n° 2011-01 du 24 février 2011 portant Code des Télécommunications, qui a abrogé et remplacé la Loi de 2001, pour mettre le cadre juridique régissant le secteur des télécommunications et des technologies de l’information et de la communication en conformité avec le droit communautaire UEMOA/CEDEAO.
Les textes communautaires relatif au secteur des télécommunications comportent des dispositions non équivoques, qui visent à garantir l’indépendance de l’ARTP aussi bien du pouvoir politique, du secteur privé que de tout groupe de lobbying. À cet effet,l’article 11 de l’acte additionnel A/SA 1/01/07 de la CEDEAO et l’article 4 de la Directive N° 01/2006/CM/UEMOA disposent que les États membres garantissent l’indépendance des autorités de régulation vis-à-vis du pouvoir politique et de toutes les organisations assurant la fourniture de réseaux, d’équipements ou de services de télécommunications et de toutes les organisation intervenant dans le secteur, en faisant en sorte que ces autorités soient juridiquement distinctes et fonctionnellement indépendantes.
Ces normes communautaires n’ont pas, cependant, fait l’objet d’une transposition fidèle, dans la législation nationale du Sénégal. En effet, aussi bien à l’article 164 du Code portant Code des Télécommunications de 2011 que dans celui 237 de 2018, il est indiqué que le Directeur général de l’ARTP, est nommé par décret. En outre, l’article 2 du Décret 2019-591 du 14 février 2019 portant organisation et fonctionnement de l'ARTP indique que l’ARTP est rattachée à la Présidence de la république. Il n'existe pas ainsi, en droit national, une disposition expresse garantissant que, dans l’exercice de ses fonctions, le Directeur General de l'ARTP est à l’abri de toute pression politique susceptible de compromettre son impartialité dans l’appréciation des questions de régulation qui lui sont soumises.
Sur le fondement de ces dispositions légales et règlementaires, non conformes aux textes communautaires, le Directeur Général de l’ARTP est non seulement nommé par décret, sans aucune procédure de recrutement par d’appel à candidature, mais pire encore, il est placé sous l’autorité du Président de la République, donc sous l’influence directe du pouvoir politique. Un manquement de l’État du Sénégal à ses obligations en vertu du droit communautaire UEMOA/CEDEAO.
L’article 4.I du Traité révisé de la CEDEAO proclame que les États membres affirment et déclarent leur adhésion au principe de « reconnaissance et de respect des règles et principes juridiques de la Communauté ». En sus, l’article 5.3 dispose « Chaque État membre s’engage à honorer ses obligations aux termes du présent Traité et à respecter les décisions et les règlements de la Communauté ». Les actes additionnels de la CEDEAO s’imposent aux États membres par conséquent respecter ses obligations signifie, d’une part, qu’ils sont d’application immédiate, et d’autre part, que chaque État doit prendre des dispositions pour rendre inapplicables ses lois nationales contraires au droit communautaire.
Enfin, l’article 6 du Traite modifié de l’UEMOA énonce expressément que «Les actes arrêtés par les organes de l'Union pour la réalisation des objectifs du présent Traité et conformément aux règles et procédures instituées par celui-ci, sont appliqués dans chaque État membre nonobstant toute législation nationale contraire, antérieure ou postérieure»
Les textes de la communauté consacrent ainsi le principe de la primauté du droit communautaire sur le droit national. Ainsi donc, les normes communautaires sont d’application immédiate dans chaque État membre nonobstant toute législation nationale contraire, antérieure ou postérieure. Par conséquent, si une norme sénégalaise est en conflit avec une norme UEMOA/CEDEAO, la norme sénégalaise doit être écartée au profit de la norme communautaire.
En vertu donc des normes communautaires, le décret nommant le Directeur Général de l’ARTP, sans appel à candidature transparent, est illégal.
Cette illégalité révèle, la méconnaissance, l’ignorance et une certaine impréparation des autorités à intégrer le droit communautaire dans les actes réglementaires qu’elles prennent au moment où il y a des pans entiers du droit qui lient le Sénégal. Aussi, il est ainsi fort opportun de rappeler que la primauté du droit communautaire s'impose à l'ensemble des autorités de ce pays, y compris le président de la République.
Cette décision illégale rappelle les pratiques récurrentes du droit des régimes précédents. La violation des textes, la mise en œuvre biaisée, tout cela, cumulé selon les objectifs du moment, pour pouvoir prendre des décisions qui ne sont pas au service de l’intérêt national, tout en clamant le contraire, en invoquant le respect de la loi.
La volonté des nouvelles autorités de mettre en place rapidement leur propre administration pour une collaboration dans la confiance, ne doit pas se faire dans la précipitation en invoquant un cadre légal et réglementaire problématique, encore moins en violant les textes communautaires UEMOA/CEDEAO.
Il est certes risqué politiquement de s’engager actuellement dans une réforme du cadre juridique au vue de la configuration actuelle de l’Assemblée Nationale. Cependant, certaines dispositions réglementaires non conformes aux textes communautaires peuvent bien être annulées et modifiées par l’exécutif pour faire comprendre à l’opinion nationale qu’il est toujours, comme promis, dans une dynamique de rupture systémique. À cette fin, les articles 2 et 14 alinéa 2 du Décret 2019-591 du 14 février 2019 portant organisation et fonctionnement de l'ARTP peuvent être modifiés.
À défaut, le régime en place est en train de perpétuer les pratiques qui ont sapé l’indépendance de l’ARTP depuis sa création en 2002. Sa subordination vis-à-vis du pouvoir politique, combinée à une politique publique du numérique chaotique à dessein, a engendré une régulation caractérisée par une impartialité et une absence de transparence notoires dont le résultat a été la transformation du marché des télécommunications d’un monopole à un oligopole avec un opérateur dominant. Autrement dit, d’un monopole public à un monopole privé.
Aussi, la régulation de l’ARTP a plus profité à quelques minorités (Orange, actionnaires, équipementiers, etc.) qu’à la grande majorité des Sénégalais pour qui les opportunités de développement offertes par le numérique restent encore inaccessibles. En conséquence, les défis à résoudre en 1996, il y a de cela 28 ans, au moment de la libéralisation du secteur des télécommunications, restent toujours actuels en 2024:
Difficultés d’accès à des services, de qualité, sécurisés à des tarifs abordables;
Absence d’une classe capitaliste nationale qui puisse porter la croissance du secteur;
Manque de résilience;
Menaces sur la sécurité nationale.
Relever ces challenges, demande l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie de développement du numérique souverainiste dont l’objectif fondamental est l’autosuffisance numérique.
Néanmoins, il est toujours possible de rectifier en adoptant une démarche de co-construction d’une politique publique du numérique basée sur un état des lieux rigoureux.
A la lumière de tout ce qui précède, ASUTIC recommande aux autorités, en attendant la réforme du cadre juridique:
L’annulation du décret de nomination du Directeur Général de l’ARTP;
Le recrutement d’un Directeur Général de l’ARTP par appel à candidature transparent;
La modification des articles 2 et 14 alinéa 2 du décret 2019-591 du 14 février 2019 portant organisation et fonctionnement de l'ARTP;
D’élaborer une politique publique du numérique fondée sur l’existant dans une démarche de co-construction.