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29 novembre 2024
Opinions
Par NDIONE Joseph Etienne
LES RETOURS DE PAQUET OU L'INTERMINABLE NAVETTE
Les interviews données et les témoignages recueillis lors de la vague de libérations de détenus politiques, il y a quelques semaines, m’ont contraint à remettre au goût du jour l’épineuse question sur les retours de parquet
J’avais entamé l’écriture de cet article mais avais arrêté, absorbé que j’étais, par le travail. Que toutefois, les interviews données et les témoignages recueillis lors de la vague de libérations de détenus politiques, il y a quelques semaines, m’ont contraint à remettre au goût du jour l’épineuse question sur les retours de parquet.
Question d’une brûlante actualité, au regard des nombreux cas d’abus dont les personnes arrêtées ont été l’objet. Les détenus politiques Waly Diouf Bodian, Cheikh Bara Ndiaye, Mohamed Lamine Djiba, Pape Abdoulaye Touré et d’illustres anonymes ne diront pas le contraire. Sans oublier Clédor Sene, Assane Diouf, les journalistes Pape Alé Niang, Pape Sané et Serigne Saliou Gueye l’ont appris à leur dépens. L’ancien détenu politique, devenu Président de la République, Son Excellence Monsieur Bassirou Diomaye Diakhar Faye, n’a pas échappé à l’impitoyable “règle” du retour de parquet.
L’honorable député Guy Marius Sagna, pour avoir connu plusieurs retours de parquet lors de ses multiples séjours en prison, pourrait admirablement, j’en suis persuadé, dispenser un cours magistral sur cette pratique, illégale, qui a fini par être imposée.
Les dames, dans la longue liste des victimes ont, également, été durement frappées et ont payé un lourd tribut à cause de cette pratique détestable. Elles n’ont pas été épargnées. C’est le cas de Maïmouna Dieye, maire de la Patte d’oie devenue ministre, de la journaliste Thioro Makhou Mandela née Thioro Diouf, de Ndèye Fatou Fall plus connue sous le nom de Falla Fleur, de Ndèye Amy Dia, de Pascaline Diatta, de Fatima Sonko et de dizaines d’autres femmes.
J’avoue que j’ai vainement compulsé le lexique des termes juridiques, fouiné inlassablement dans le Code de Procédure Pénale du Sénégal et indéfiniment recherché dans les textes spéciaux mais n’ai, une seule fois, pas trouvé la notion « Retour de Parquet» ou «R.P.» en abréviation.
Pas découragé pour autant, j’ai remonté mon passé récent d’étudiant, voilà 33 ans, mine de rien et me suis rappelé de mes cours de procédure pénale. Que toutefois, je ne me souviens, mais pas une seule fois, avoir entendu mes brillants professeurs (dont Elisabeth Michelet) parler de “Ordre de mise à disposition ” autre nom, moins connu, du «Retour de parquet «
Un concept juridiquement… sénégalais ?
Aussi, je me suis posé des questions : ce concept n’existerait-il pas qu’au Sénégal ? N’est-il utilisé que par le Procureur de la République, ses substituts et quelques fois, par le juge d’instruction après réception du dossier accompagné du réquisitoire introductif ?
A ces questions, je réponds, de manière péremptoire, par : Oui ! Un «oui» appuyé.
Et c’est tellement vrai que je n’ai également pas rencontré ledit terme en droit français. Et même si le R.P. existait en France ou ailleurs en Afrique et que les parquetiers sénégalais l’aient emprunté ou copié, il (le retour de parquet) n’en serait pas moins illégal et ce, pour plusieurs raisons.
Non seulement, parce qu’il n’est prévu par aucun texte au Sénégal, comme dit plus haut, mais surtout, parce qu’il est incontestablement une violation flagrante des droits de l’homme. C’est une violation des droits des personnes qui en sont l’objet, pour ne pas dire les victimes. C’est tout simplement, une violation des droits de la défense, une entrave au travail de l’avocat que je suis.
C’est une vraie nébuleuse dans laquelle surfent, tranquillement et sans coup férir, le procureur, ses substituts et le juge d’instruction.
Sauf que, et à la décharge de certains, ils sont plus ou moins tenus de procéder de la sorte au regard des conditions difficiles de travail dans lesquelles ils opèrent. A ce titre, je prendrai le cas du Tribunal d’instance de Rufisque qui, pour une juridiction d’un département aussi important, en termes de ressort territorial, ne compte dans ses effectifs qu’un seul magistrat du parquet, le Délégué du Procureur de la République et ce, depuis près de quatre (04) ans. Inadmissible !
C’est l’exemple que je connais le mieux pour en parler mais suis sûr que d’autres juridictions, d’égale envergure et même de plus grande taille, sont logées à la même enseigne et souffrent terriblement d’un manque criant de bras.
Et c’est le lieu de plaider ou de lancer un appel pressant aux nouvelles autorités pour le recrutement, en nombre important, de magistrats surtout avec l’annonce faite de l’érection de nouvelles juridictions. Les magistrats croulent sous le poids des dossiers. Ils font un travail ardu, sans gros moyens pour ne pas dire en l’absence de moyens. Une tâche difficile, qui ne finit jamais, comme celle de Sisyphe.
Cela dit, j’ai, pour en avoir le cœur net, interrogé, des confrères, des pénalistes chevronnés, qui ont blanchi sous le harnais mais, personne n’a été en mesure de me raconter «l’histoire» du retour de parquet et trivialement, de ce machin. Toujours est-il que le constat est là. C’est une vieille pratique, une pratique vieille de plus de 25 ans qui s’est imposée par la force des choses et qui a fini par être érigée en règle non écrite.
Que signifie « Retour de parquet » ?
D’ailleurs, en quoi consiste-t-il ? Autrement dit que signifie «Retour de parquet»? En l’absence de définition tirée de la loi ou d’un texte, de la doctrine et encore moins de la jurisprudence, essayons d’en donner une tirée de la pratique des magistrats du parquet et des juges d’instruction. Elle se présente dans quatre cas, pouvons-nous dire.
On ne devrait, en vérité, parler de «Retour de parquet ” que dans le cas où la personne présentée au procureur ne connaît pas son sort le jour où elle est ou a été déférée. En effet, lorsqu’une personne est déférée, elle est, par le procureur, soit placée sous mandat de dépôt, soit mise en liberté provisoire. La personne peut aussi voir son dossier faire l’objet d’un classement sans suite ou voir une information (instruction) ouverte contre elle. Et lorsque le procureur ne peut, le jour du déferrement, prendre une des mesures qui précèdent, il est obligé de demander aux agents de l’administration pénitentiaire de lui présenter, à nouveau, le “déféré” le lendemain ainsi que les jours qui suivront et ce, jusqu’à ce qu’il statue sur son sort. C’est le premier cas de R.P. Parfois, et c’est le deuxième cas, on l’appelle improprement «Retour de parquet « alors que juridiquement, la personne n’est plus entre les mains du procureur mais sous la responsabilité du juge d’instruction chargé du dossier. Et c’est précisément le cas lorsque le procureur ouvre une information judiciaire par un acte appelé “réquisitoire Introductif ” et confie le dossier à un juge d’instruction par lui choisi, s’il y a en plusieurs dans la juridiction. Il est souvent arrivé, et c’est fréquent, pour ne pas dire que c’est pratiquement la règle, que le juge d’instruction désigné, pour diverses raisons, ne puisse entendre la personne, le même jour. Ce qui explique, comme le procureur dans le premier cas, qu’il soit obligé de «confier” la personne aux policiers jusqu’au lendemain et les jours suivants si la situation venait à persister.
Il existe un troisième cas de Retour de parquet. C’est lorsque les parties elles mêmes ou par leurs avocats représentées (et c’est souvent à la demande de la personne arrêtée) souhaitent une médiation pénale alors que le dossier est entre les mains du procureur, qui peut accepter ou rejeter la demande.
Une demande aux fins de consignation des montants en jeu peut également justifier un R. P. Et c’est un quatrième cas.
Que toutefois, et il est important de le relever, que ce sont les deux premiers cas qui entraînent le plus, et dans une grande proportion, les R.P. C’est donc un abus de langage, hormis le premier cas, de parler de «Retour de parquet». On devrait plutôt parler de «Retour d’instruction». Laissons, cependant, les choses comme telles appelées et ne changeons rien quant à la dénomination. Conformons-nous à cet abus et continuons, improprement, dans tous les cas de figure et pour faire simple, à utiliser le mot Retour de parquet ou R.P.
En termes simples, si l’on prend les différentes situations, le R. P. est le cas d’un individu qui est dans l’attente de la désignation d’un cabinet d’instruction en vue de son inculpation. Ces R.P sont tout simplement des pratiques attentatoires aux libertés ; pratiques honnies à bannir.
D’ailleurs, certains, durant cinq (05) jours consécutifs, ont été l’objet de retours de parquet. Les plus malheureux ou les moins chanceux font plus, pour avoir été l’objet de six (06), sept (07) voire huit (08) retours de parquet.
Douze (12) retours de parquet, un record !
Les journalistes Serigne Saliou Gueye, Pape Sané et Pape Alé Niang l’ont connu et subi. Le sieur Lamine Ndao, fils du célèbre Procureur général de la Crei à la retraite, Alioune Ndao, aujourd’hui engagé en politique, l’aura appris à ses dépens ou l’aura vécu dans sa chair pour avoir connu dix (1O) de retour de parquet. Le sieur Mohamed Lamine Djiba, plus haut cité, aura été l’objet de onze (11) retours de parquet.
Le plus frustrant est que les jours passés en R. P. ne comptent pas pour le temps de détention qui ne commence à courir qu’à compter de la date de placement sous mandat de dépôt. A titre d’exemple, celui qui a fait cinq (05) RP aura passé. Cinq jours, soit du Lundi au Vendredi, sans que son cas ne soit traité. Si l’on y ajoute le samedi et le dimanche, aura fait sept (07) jours de détention. Sept jours de détention qui ne comptent ou qui ne seront pas pris en compte dans la peine à purger en cas de condamnation.
La dame Yacine Diagne, arrêtée lors des manifestations politiques, n’a certes pas battu le record de R. P. mais a fait l’objet de douze (12) retours de parquet. Et cela pour ne citer que son exemple.
Des « déférés » ballotés comme des sacs à ordures, c’est injuste !
C’est, et le mot n’est pas trop fort, cruel ! Et c’est la raison pour laquelle j’estime que le retour de parquet est, tout simplement, une détention arbitraire. Je martèle et dis que c’est de la détention arbitraire et une violation extrêmement grave du principe selon lequel la liberté est la règle et la détention l’exception. Au Sénégal, le retour de parquet est devenu, malheureusement, une règle.
Toujours est-il, qu’il s’agisse, de «Retour de parquet « ou de «Retour d’instruction», il faut noter que c’est une situation, comme dénoncé plus haut, illégale.
Il est rarement arrivé qu’une personne déférée et contre laquelle le procureur entend ouvrir une information judiciaire soit inculpée le même jour surtout pour les infractions qualifiées de crimes ou délits. Ce n’est pas impossible mais c’est un cas que je n’ai pas encore connu et même s’il existe, cela n’arrive pas souvent.
Pendant que le Procureur de la République attend, en vertu des dispositions de l’article 74 du Code de Procédure Pénale, que le Président du Tribunal de Grande Instance ou le Tribunal d’instance, choisisse ou plutôt exactement propose un cabinet chargé du dossier, la personne ou «le déféré» est ballotté comme un sac à ordures pendant un ou plusieurs jours voire durant plus d’une semaine, s’il est à Dakar, entre la «Cave» (le lieu de détention qui se trouve au Palais de Justice de Dakar) et les commissariats de police (le commissariat communément appelé «Police Centrale» pour les hommes et le commissariat du Plateau, aujourd’hui, auparavant, le poste de police de GrandDakar, pour les femmes).
A préciser, qu’une fois acheminés dans ces lieux, les R. P. ne subissent pas un autre interrogatoire. Ils y sont simplement “déposés” car, les auditions, perquisitions et autres actes nécessaires à la manifestation de la vérité ont déjà été faits et la procédure bouclée, du moins, en ce qui concerne l’enquête préliminaire. Et durant cette période, et la question mérite d’être posée, quel est le statut de la personne ? C’est “l’apatride judiciaire”!
La personne est dans une situation de non droit. Elle est entre le marteau et l’enclume. C’est également difficile pour les parents qui tous les jours pendant les retours de parquet viennent au tribunal pour y rester du matin au crépuscule.
Toujours est-il que pour l’individu entre les mains du procureur ou du juge d’instruction, le nombre de R.P, que j’appelle l’interminable navette, est fonction de la célérité ou du bon vouloir du procureur ou du juge d’instruction surtout que, pendant cette période, les magistrats (juge d’instruction ou le parquet) ne sont enfermés dans aucun délai. Ils peuvent prendre tout leur temps ! Logique me diriez-vous, puisqu’aucun texte ne règle cette situation. C’est un vide juridique.
Cette situation, bien qu’ancienne et connue de tous, n’a, jusqu’ici, malgré les différentes réformes pénales intervenues, connu aucun changement même si, comme dit plus haut, elle préjudicie gravement aux droits des personnes. Et d’ailleurs, rien ne sera fait tant qu’elle ne constitue pas une entrave au travail du parquet ou même du juge d’instruction. Durant cette période, les avocats ne peuvent ou peinent à communiquer avec leur client. Car, s’ils se présentent à la police précisément au poste de police, il leur est opposé cette rengaine : « Désolé Maitre, on nous l’a simplement confié ! C’est un Rp ! Il faut, pour que vous puissiez le voir et communiquer, obtenir l’autorisation du Procureur ou du Commissaire ».
Et lorsque c’est le weekend, c’est pire !
Et lorsque c’est le weekend, c’est pire, surtout que le parquet ne communique pas sur le nom du substitut de permanence. Rien ! Comment, dans ce cas alors, joindre le procureur qui est de permanence ? Ne serait-il pas judicieux ou plus simple que son nom et son numéro de téléphone soient communiqués à l’avocat venu voir son client et, comme dans le cadre de la garde-à-vue, lui permettre de s’entretenir avec lui ?
Et si on le permet durant la garde-à-vue (Règlement 05 CM.Uemoa relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace Uemoa), pourquoi le refuser lors des R.P. alors que l’enquête a été déjà faite et bouclée ?
C’est une entrave, qui ne dit pas son nom, au travail de l’avocat qui doit pouvoir communiquer avec son client à tout moment et précisément à ce stade. La défense, tant que la personne est privée de liberté ou dans les liens de la détention, est continue. Elle ne doit, en aucun cas, surtout pas pour le motif tiré de l’état ou de la situation de R.P, être nullement interrompue ou suspendue. Elle doit être exercée sans discontinuité.
Et quand le commissaire est absent ou n’est pas sur place, c’est encore plus décourageant. C’est la croix et la bannière lorsque notamment vous n’avez pas son portable. Les policiers refusent parfois de l’appeler. Ils vous disent de le faire mais, en même temps, refusent de vous donner son numéro si vous ne l’avez pas. Etsi vous insistez, ils poussent le ridicule jusqu’à vous dire qu’ils n’ont pas son contact téléphonique. N’est-ce pas de l’obstruction déguisée ?
Et si vous avez la chance de voir le commissaire, votre problème n’en est pas pour autant réglé. Au gré de ses humeurs, il peut refuser ou vous autoriser à voir le «Retourné de parquet « ou R.P. Et souvent, le commissaire refuse. Il invoque le statut du «R.P.» et vous demande de solliciter l’autorisation du procureur sans autre forme de motivation. On revient à la case départ.
Vous tournez en rond et perdez beaucoup de temps, pour ne pas dire, on vous tourne en bourrique. Peut-on, à ce stade de la procédure, interdire à un avocat, en vertu de la loi, le droit d’assister son client ? Le statut, inacceptable mais surtout illégal de «R.P.», fait-il ou devrait-il faire exception ? Le plus grave, c’est que durant cette période, l’avocat, même s’il le veut, ne peut voir le dossier et encore moins en avoir une copie.
Meme le dossier se perd dans les retours de parquet…
Le dossier lui est «caché» pourrait-on dire. Il n’a même pas la possibilité de le lire. Au Parquet, s’il y est encore, il faut un trésor d’efforts et d’ingéniosité pour savoir lequel d’entre les substituts s’en occupe, s’il n’est, le dossier, entre les mains du patron du parquet qui le gère en personne. Vous ne savez même pas à qui vous adresser pour la «localisation» du dossier. Aucune information n’est donnée à l’avocat constitué une fois la personne est déférée, sinon que par les gardes pénitentiaires qui, gentiment, vous livrent des bribes d’informations.
C’est aussi, le même calvaire que subit l’avocat qui s’est constitué dès l’interpellation et/ou qui a même accompagné son client venu répondre à la convocation de la police ou de la gendarmerie. Et pourtant, le procureur le sait bien, puisque l’identité de l’avocat ainsi que ses coordonnées tirées de sa carte professionnelle qu’il présente (sans compter son numéro de téléphone), sont mentionnées dans le procès-verbal d’enquête préliminaire de police ou de gendarmerie. Et parfois, l’avocat a fait des réserves et a même eu à assister son client lors de la perquisition ordonnée pendant l’enquête.
Cette phase du retour de parquet peut être cruciale car, l’avocat peut, au dernier moment, disposer d’informations ou de documents pouvant radicalement et favorablement changer la donne et amener le procureur à changer les mesures qu’il entendait prendre. Ces documents produits peuvent justifier un classement sans suite, laisser la porte ouverte à une médiation pénale (possible dans certains cas) ou amener le procureur, dans son réquisitoire introductif, en lieu et place du mandat de dépôt, à solliciter la mise en liberté provisoire, le placement sous contrôle judiciaire etc.
La logique aurait également été pour le parquet, après avoir recueilli l’avis du président du tribunal, d’aviser, par tout moyen pouvant laisser traces, l’avocat ou les avocats constitués depuis l’enquête préliminaire, sur le cabinet d’instruction choisi.
D’ailleurs, je propose que cette étape, pour recueillir l’avis du président de la juridiction, malheureusement obligatoire et qui, dans la pratique, alourdit considérablement la procédure, soit purement et simplement supprimée. Elle n’est d’aucune utilité. C’est superfétatoire. En effet, non seulement le choix du cabinet ou précisément la proposition du Président du Tribunal ne lie pas le Procureur de la République ou son Délégué, qui peut l’ignorer royalement mais surtout, participe à allonger la situation «bâtarde» du «Retourné de Parquet»
Et souvent, et sans qu’on ne le confesse, c’est une arme redoutable utilisée pour casser de l’opposant, pour brimer des activistes, des célébrités-récalcitrants et ce, en jouant sur leurs nerfs. Ces personnes emprisonnées, récemment, en ont fait l’amère expérience.
Au total, le R.P. est une gangrène à vite expirer, non pas de nos textes puisqu’ils n’existent pas, mais de notre pratique judiciaire.
Les concertations qui auront lieu dans le cadre des réformes hardies envisagées, seront l’occasion de plancher sur de nombreux points relevés par les sénégalais et par les autorités et entre autres, sur celui relatif au retour de parquet. Il sera alors question de proposer une ou des solutions pour que, plus jamais, un sénégalais ne souffre du retour de parquet.
Par Mbagnick DIOP
IL FAUT DECANTER ET DECAPER LA NEBULEUSE DES HYDROCARBURES ET DES MINES
A l’heure où les Sénégalais s’indignent des scandales révélés par les rapports des corps de contrôle (Ige, Cour des comptes, Contrôle financier), il leur est aussi loisible d’exiger que la lumière soit faite sur les contrats gaziers, pétroliers et miniers
A l’heure où les Sénégalais s’indignent des scandales révélés par les rapports des corps de contrôle (Ige, Cour des comptes, Contrôle financier), il leur est aussi loisible d’exiger que la lumière soit faite sur les contrats gaziers, pétroliers et miniers. En langage technique, il est nécessaire de décanter et décaper la nébuleuse des hydrocarbures et des mines. Cette exigence citoyenne est d’autant plus légitime que le Sénégal est décrit comme un futur eldorado avec une croissance à deux chiffres.
Monsieur Macky Sall, prédécesseur du Président Bassirou Diomaye, s’offusquait d’entendre le commun des Sénégalais s’exprimer sur ces questions qu’il a délimitées comme étant la chasse gardée des sachants de son acabit. Dans sa vision des choses, les citoyens sont tenus de croire, sans exprimer le moindre doute, aux promesses d’une vie meilleure avec l’exploitation de nos ressources naturelles, principalement le gaz et le pétrole.
Entre l’espoir et la naïveté, il n’y a qu’un pas que nos compatriotes, exigeants sur eux-mêmes et sur leur gouvernement, se garderont de franchir. Leur circonspection est fondée car aucune communication clairement déroulée ne leur permet de saisir la justesse et la fiabilité des projections faites concernant cette exploitation desdites ressources naturelles.
En attendant de voir les premiers barils de pétrole et les premiers mètres cubes de gaz dépotés dans les raffineries et centrales électriques, il convient d’abord de mettre de l’ordre dans le secteur minier où les exploitants trainent les pieds, font de la résistance abusive pour s’acquitter de la redevance minière et d’autres taxes dûment exigées au titre de l’appui aux collectivités locales dont ils accaparent les terres arables au détriment de l’agriculture.
Sous prétexte qu’elles appliquent, pour des montants dérisoires du reste, une politique de responsabilité sociétale, les entreprises minières appauvrissent démesurément les populations dont les revendications entraînent une répression inadmissible des forces de sécurité réquisitionnées pour faciliter la tâche aux capitalistes sans état d’âme. Et il n’est nul besoin d’aller jusqu’à Kédougou pour voir des exemples de ces exactions des compagnies minières au détriment des populations sur les terres desquelles elles exercent. A titre d’exemple, non loin de Dakar, dans l’arrondissement de Méouane (région de Thiès), des groupes miniers comme Indorama et Grande Côte Opération (Gco) décapent, à qui mieux- mieux, des milliers d’hectares pour exploiter des phosphates et du zircon. Les impacts sur l’environnement et la santé sont nuisibles et les populations riveraines des installations n’en peuvent plus de suffoquer sans une prise en charge médicale adéquate. Et sans bénéficier des retombées de l’exploitation de leurs terres.
L’attrait de l’or a dépeuplé les champs…
A Kédougou, dans la région naturelle du Sénégal-Oriental, l’exploitation de l’or a réduit les surfaces agricoles comme peau de chagrin. Dans cette région jadis propice aux cultures du coton, du riz et du fonio, la soif de l’or a désorienté les priorités économiques. Naguère engagées dans une stratégie d’intensification des cultures, sous l’encadrement de la société de développement des fibres et du textile (Sodefitex), les populations de cette région se contentent aujourd’hui d’une production vivrière minimale. L’attrait de l’or a dépeuplé les champs et cette ruée vers le métal jaune a compromis les perspectives de développement agricole offertes par l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie (Omvg).
Or, de cet or (sans jeu de mots !), les Sénégalais n’en ont qu’une vague connaissance. Pour ne pas dire qu’ils n’en voient pas les retombées. Depuis plus qu’un quart de siècle, ils en entendent parler sans que leur quotidien en ait été transformé qualitativement.
Au nord de notre pays, dans la circonscription administrative de Matam (région naturelle du Fouta-Toro), l’exploitation du gisement de phosphate de Ndéndory, Orkodiéré et Ouali-Diala est réellement un énorme gâchis. Concédé sur des bases nébuleuses pour enrichir des hommes de paille, ce gisement est malheureusement exploité selon des procédés aux antipodes de choix économiques raisonnables. Résultat, les affairistes se disputent sans cesse les panneaux miniers au mépris des dispositions réglementaires. D’où l’impératif d’un redressement sur la base d’un code minier judicieusement élaboré pour mieux situer les intérêts de l’État dans la constitution des sociétés concessionnaires.
Parallèlement aux erreurs de l’exploitation minière, le gouvernement doit se pencher résolument sur la complexité des contrats établis pour l’exploitation des hydrocarbures. Il est évident qu’il aura fort à faire pour déjouer les coups fourrés des majors dans l’exploitation du gaz et du pétrole. Les coûts cachés et les sociétés-satellites induisent une répartition inappropriée des profits. Les sociétés satellites sont créés pour l’évasion fiscale et l’usurpation des ressources théoriquement destinées au contenu local. Ces facteurs doivent être cernés et corrigés de sorte que les gisements ne deviennent pas un marais dans lequel le Sénégal s’enlisera.
En bonne intelligence avec la République de Mauritanie, et dans une dynamique de réajustement sans ambiguïté, les autorités de notre pays ont l’impérieux devoir de normaliser le processus qui doit aboutir à un partage convenable des recettes de l’exploitation de notre pétrole et de notre gaz.
Mbagnick Diop
Par Mamadou Ndiaye
FIGURES HYBRIDES
Une campagne peut en cacher une autre. Le délitement du monde urbain ne se limite plus aux villes. Il affecte le monde rural qui reproduit un mode de vie loin d’être le sien.
Une campagne peut en cacher une autre. Le délitement du monde urbain ne se limite plus aux villes. Il affecte le monde rural qui reproduit un mode de vie loin d’être le sien.
Cet incompréhensible mimétisme fausse le jeu des rapports et ôte à la ruralité son identité propre. En gommant, par ce biais, les différences, donc les spécificités, les deux univers se rapprochent au détriment de l’espace rural qui perd ainsi sa personnalité, son caractère et peut-être même sa géographie s’en trouve profondément modifiée.
Des voix s’élèvent pour flétrir l’effacement des facteurs de distinction. Mais qui les écoute pour les entendre ? Et pourtant elles ont raison d’alerter en se fondant sur les dangers qui guettent, l’engorgement dans les villes, et la ruée vers les campagnes comme zones de déversoir du trop-plein des centres urbains.
Désormais, la ville s’étend à la campagne dont les terres arables se rétrécissent en termes de superficies. Peu de monde s’en aperçoit. Conséquence immédiate : l’agriculture paysanne se modifie entrainant une baisse de la production familiale qui nourrit encore les ruraux.
Rien, pour l’instant, ne semble inverser la tendance. Or il urge d’agir pour mieux protéger l’espace rural que tous s’accordent à considérer comme « lieu stratégique de rayonnement » d’une économie recentrée. L’agriculture sera la base du décollage industriel de l’Afrique. A cet égard le débat est clos.
En plaidant pour une souveraineté alimentaire, il importe de définir une politique agricole ajustée à cet objectif. D’abord sauver les terroirs ruraux avec les vies et les activités qui s’y mènent en impliquant davantage les acteurs locaux dans la transformation graduelle et non brusquée de leur environnement. Le rythme de ce processus obéit à des facteurs endogènes qu’il importe de maîtriser pour ne pas reproduire des effets indésirables.
Dans quelques semaines, notre pays va renouer avec un hivernage pluvieux, annonce la météo nationale. Elle prédit même de fortes pluies, durables et largement réparties. Donc l’eau de pluie sera abondante. Une fois cela dit, que reste-t-il à faire ? Beaucoup.
La première attitude qui convienne est d’anticiper en mettant sur la table les vrais scénarios de prise en charge du phénomène attendu. Lequel, faut-il le rappeler, ne s’appréhende pas de la même manière en ville et à la campagne. De part et d’autre, le sourire est soit enjôleur ou carnassier.
Ces émotions furtives seront de peu d’effet face aux enjeux de protection, de projection et d’injection de moyens pour ne pas vivre dans la hantise comme les fois précédentes. La pluie n’est pas une menace mais un espoir. Elle représente un risque mineur si, en amont, les mesures appropriées sont prises pour canaliser les circuits de ruissellement.
En campagne l’abondance d’eau ne nuit pas. Mieux, elle est souhaitée. Et une fois qu’elle tombe, elle soulage, pondère les tempéraments et fouette les orgueils au sens d’amour-propre en direction des travaux champêtres. Aux autorités politiques et aux dirigeants des institutions faîtières de se hâter sans toutefois se précipiter pour amorcer la conduite des changements dans la vaillante lutte pour se nourrir de ce qu’on produit. Entre eux et les agriculteurs, les vrais, les passerelles peuvent s’établir avec moins d’intermédiation.
Ceux qui s’adonnent à cette pratique sont décriés. Ils sont nombreux, organisés. Ils se protègent en se couvrant pour mieux survivre. En outre, ils sont connectés à tous les centres de décision qu’ils tentent d’influencer par divers stratagèmes. Les affinités, les accointances, les valeurs, les origines, les appartenances et les liens familiaux se conjuguent avec subtilité si ce n’est avec habileté pour pérenniser des faveurs iniques.
Or ce cri du cœur est partout entendu, relayé dans les médias, amplifié dans les foyers religieux et fredonné par des artistes de renom à « l’âme bien paysanne. » Des semences aux intrants en passant par le matériel agricole, tout le circuit est court-circuité par ces indélicats qui n’ont que trop sévi.
Cela suffit à renforcer la perspective puisque désormais l’opinion s’empare de la problématique. Ces objections leur donnent chair avec une fougue combative inconnue jusque-là. Les céréales locales ont la côte. Une prise de conscience entérine la reconnaissance de leur valeur nutritive. Les femmes, véritables vecteurs de promotions, les plébiscitent.
Les recettes culinaires qui en découlent désarçonnent plus d’un, notamment parmi le réticents de moins en moins dubitatifs. Cet élan de sympathie en faveur d’une réinvention diffuse de nos patrimoines devrait être perçu comme une opportunité pour accentuer les ambitions affichées.
Tout concourt à une réelle émancipation qui, pour être effective, devrait se traduire par un relèvement du niveau de vie des populations et un accroissement conséquent des revenus ruraux, élevage et pêche inclus. A cette fin il est attendu du nouveau gouvernement, principalement au Ministère de l’Agriculture, de nouveaux repères adossés à de nouveaux codes pour fluidifier les rapports en élaguant les lourdeurs qui ont longuement vicié l’atmosphère au sein du secteur agricole.
Le combat à mener ne sera pas de tout repos. Cela va sans dire. Car ceux qui sont mis à l’index disposent encore d’arguments de puissance : connaissance des milieux ruraux, facilité d’adaptation (pour laisser passer l’orage), reconversion et leviers de connivence pour des ententes secrètes à l’abri des regards de suspicion.
A leurs yeux, changer les règles se ferait contre eux et contre leurs intérêts. Ils n’ont pas l’intention de céder et ne videront pas facilement les lieux. Pas plus qu’ils ne déserteront ces juteux secteurs au sein desquels ils sont des notabilités connues. Et reconnues ? Eux rasent les murs sous peine d’attirer encore plus d’hostilité. Et comble du paradoxe, ils n’excluent pas de prendre une part active à l’élaboration d’une politique agricole émancipée ! Ils savent naviguer même en eaux troubles en haute mer.
En revanche, le seul sujet légitime de la politique agricole reste et demeure le monde paysan qui ne se dépeuple pas malgré la sévérité des conjonctures. Des vocations se comptent par milliers chez les Sénégalais qui renouent par nécessité avec la terre.
Assiste-t-on à l’émergence de figures hybrides, nées en ville et adorant la campagne ou d’extraction rurale et à forte culture périurbaine ? Ce travail revient aux sociologues spécialistes des mutations et des dynamiques socio-économiques. Dès lors, il leur appartient de cerner les nouveaux pouvoirs d’influence au sein d’un monde rural qui change de nature, de vocation et d’échelle de perception.
Par Mamadou SECK et Ababacar FALL
RATIONALISATION ET FINANCEMENT PUBLIC DES PARTIS POLITIQUES
Le président Sarkozy, dans son ouvrage récent intitulé « Le temps des combats »1 affirmait que « dans une démocratie, le débat comme le contradictoire sont la règle. Et l’excès de ceux-ci sera toujours préférable à leurs insuffisances »
Mamadou SECK et Ababacar FALL |
Publication 14/05/2024
La crise des partis politiques : faillite ou crises d’identité
Le président Sarkozy, dans son ouvrage récent intitulé « Le temps des combats »1 affirmait que « dans une démocratie, le débat comme le contradictoire sont la règle. Et l’excès de ceux-ci sera toujours préférable à leurs insuffisances ». Ceci pour camper le décor quant à la pertinence, dans une démocratie, d’un pluralisme politique, mais scrupuleusement encadré.
Les partis politiques contribuent, dans un contexte de pluralisme politique, à la formation et la diffusion des opinions, à l’invention et à l’apprentissage des répertoires d’actions légitimes ainsi qu’à la transmission de croyances sur le pouvoir. Tous les travaux consacrés aux partis politiques privilégient, parmi leurs diverses caractéristiques, leurs tendances « à procurer à leurs chefs le pouvoir » (Max Weber), « à conquérir le pouvoir » (Georges Burdeau), à faire bénéficier leurs membres de « l’exercice du pouvoir c’est – à – dire soit de la conquête, soit de la conservation du pouvoir » (Raymond Aron).
Le Sénégal n’échappe pas à cette règle. Il convient toutefois de souligner que la situation qui sévit dans les partis politiques mérite une analyse assez pointue tant du point de vue de leur fonctionnement que de leur rapport au pouvoir et aux populations.
A la survenue de la première alternance démocratique en 2000, le nombre des partis politiques était de 45 environ ; en avril 2017, ce nombre est passé à 260 environ. Le quotidien « Le Soleil », dans un document exclusif daté du 06 avril 2018, informait de l’existence de 299 partis politiques avec un état des lieux du nombre de partis créés sous le magistère de chaque Président depuis Léopold Sédar Senghor(03) jusqu’à Macky Sall (111), en passant par Abdou Diouf (41) et Abdoulaye Wade (143). En février 2024 sous le magistère du Président Macky Sall, ce nombre est passé à 366 dont 70 seulement avaient une adresse précise selon le Ministre de l’Intérieur Sidiki KABA. Il y a très certainement des demandes de reconnaissance en cours d’instruction.
QU’EST CE QUI A PU FAVORISER UNE TELLE SITUATION ?
Analyser une telle situation de foisonnement de partis politiques impose de jeter un regard critique sur le militantisme, l’échec des partis politiques. Les partis politiques, comme nous l’avons affirmé supra, ont trois missions essentielles : ils sont des machines pour la conquête et la conservation du pouvoir, des espaces de dialogue et de confrontation d’idées et enfin des cadres de socialisation. Ces trois missions peuvent être des critères pertinents à l’aune desquelles les 366 partis politiques officiellement reconnus devraient être passés au crible. Il est évident qu’une crise du fait partisan impacte de manière « pavlovienne » la qualité de notre système politique qui a encore des résultats à réaliser, tant les acquis sont fragiles.
Par ailleurs, il convient d’emblée de préciser que les coalitions politiques ont une reconnaissance et un fondement constitutionnel. En effet, la Loi fondamentale actuelle, en son Article 4 affirme que : « Les partis politiques et coalitions de partis politiques concourent à l’expression du suffrage dans les conditions fixées par la Constitution et parla loi. Ils œuvrent à la formation des citoyens, à la promotion de leur participation à la vie nationale et à la gestion des affaires publiques ».
L’alternance survenue en 2000, par le fait d’une coalition autour de la principale force politique de l’opposition que constituait le PDS, a fini de convaincre nombre d’acteurs politiques – à tort ou à raison – que seule une coalition politique peut venir à bout du pouvoir. Du reste, le parti dominant qui s’installe a tendance à élargir sa sphère d’influence avec le slogan « gagner ensemble, gouverner ensemble » pour rallier autour de lui les partis l’ayant soutenu, car ayant nécessairement besoin d’un nouveau socle pour conforter son pouvoir. Pour le cas du PDS, c’est dans ces conditions que l’idée de création d’un cadre organisationnel fut agitée et prit forme avec la mise sur pied de la Convergence autour des actions du président de la République pour le troisième millénaire (CAP 21) qui, jusqu’à la veille de l’élection présidentielle de 2012, ne comptait pas moins de 80 partis qui prétendaient soutenir le Président Wade.
A la survenue de la seconde alternance, cette pratique prit une tournure beaucoup plus pernicieuse avec la création à une cadence plus accélérée de partis politiques qui vont faire acte d’allégeance au nouveau pouvoir en intégrant la Coalition Benno Bokk Yaakaar. On retrouvera dans cette coalition de nombreux partis qui, dans le cadre de la CAP 21, avaient pourtant soutenu le Président Wade.
Aujourd’hui, la Coalition Diomaye Président regrouperait selon certaines déclarations environ 200 partis, mouvements et personnalités indépendantes à la seule différence par rapport aux coalitions précitées que les partis qui la composent ont rejoint la Coalition dans un moment de grande incertitude politique où le principal parti dominant était encore dans l’opposition. Qu’en sera-t-il maintenant qu’il exerce le pouvoir ? L’avenir nous édifiera.
Ce regroupement dans des coalitions, il faut l’avouer contribue à ternir l’image, voire à décrédibiliser grandement la pratique politique, du fait d’une tendance des partis lilliputiens et des organisations sans consistance à rejoindre les coalitions avec la seule préoccupation de profiter des avantages et faveurs que cela procure.
CADRE JURIDIQUE OBSOLETE, UN DETERMINANT PRINCIPAL A LA CRISE DU FAIT PARTISAN
La floraison de partis politiques qui a dépassé la barre des trois cents soixante-six formations enregistrées dans les livres du Ministère de l’Intérieur, partis dont les lignes idéologiques ou doctrinales restent vagues, confuses et non adossées à des programmes clairs et cohérents constitue une des modalités de l’essoufflement de la démocratie au Sénégal.
Rappelons que, si l’on se réfère au cadre juridique actuel, les partis politiques sont régis par la Loi n° 81/17 du 6 mai 1981 qui a marqué la fin de la limitation du nombre de partis ainsi que la suppression à la référence à un courant de pensée. Cette modification a constitué en son temps une avancé par rapport à la Loi constitutionnelle n° 76- 01 du 29 mars 1976 qui instituait un régime de tripartisme assorti de l’obligation pour chacun des partis politiques, de représenter l’un des courants de pensée suivants : libéral, socialiste, marxiste-léniniste ou communiste auxquels va s’ajouter un quatrième courant conservateur suite à la modification de certaines dispositions de la Loi constitutionnelle n° 78-60 du 28 décembre 1978.
Cette Loi sera modifiée plus tard par la Loi n° 89-36 du 12 octobre 1989 qui modifie les articles 4 et 5 de la Loi de 1981 qui font ainsi obligation aux partis de déposer auprès du Ministre de l’Intérieur qui leur en donne récépissé, toute modification intervenue dans les statuts et règlements intérieurs, sous peine de dissolution. Ainsi la dissolution vise les subsides reçus de l’étranger ou d’étrangers établis au Sénégal, l’application d’une modification statutaire refusée par le Ministre de l’Intérieur et enfin dans les cas où le parti politique par son activité générale ou par des prises de position, a volontairement exprimé un mépris aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Constitution.
De même, cette loi garantissait l’accès des partis politiques aux antennes de l’Office de radiodiffusion télévision du Sénégal (ORTS- chaine de télévision public d’alors) pour la diffusion de leurs communiqués de presse et la couverture de leurs manifestations statutaires.
Dans une communication d’une grande valeur scientifique présentée à l’occasion d’un panel organisé parle GRADEC sur la rationalisation des partis politiques, le Docteur Mamadou Moustapha Thioune ancien directeur des libertés publiques au ministère de l’Intérieur concluait en ces termes :
« La problématique de la rationalisation de l’espace politique s’installe progressivement dans le débat public national. En effet, il y a, actuellement 300 partis politiques officiellement reconnus. Mais, il est évident que ces formations politiques ne sauraient présenter aux citoyens sénégalais autant de projets de société cohérents et distincts. Dès lors, leur rationalisation démocratique devient nécessaire afin de permettre une meilleure lisibilité de l’arène politique. Il ne s’agira pas d’instaurer une démocratie sans partis politiques comme ce fut le cas avec la démocratie en mouvement en Ouganda sous Yoweri Mousséveni, car comme l’affirme avec raison Hans Kelsen, « la démocratie moderne repose entièrement sur les partis politiques, dont l’importance est d’autant plus grande que le principe démocratique reçoit une plus large application ». 2 Il s’agira plutôt d’instaurer un cadre juridique permettant d’avoir des partis politiques viables et compétitifs. En définitive, les partis politiques sont pour la démocratie ce que le sel est pour la cuisson : ils sont nécessaires, mais il faut en éviter l’excès.
Le débat sur la rationalisation des partis politiques n’est pas seulement celui des politiciens ou des politiques, mais un débat de société qui interpelle, au-delà des considérations partisanes, le citoyen tout court. »
Dans le contexte du Sénégal d’aujourd’hui, il convient de souligner que cette Loi de 1989 est devenue obsolète et qu’il faille repenser la création des partis politiques en créant les conditions d’un large dialogue en vue de rationaliser et de moderniser les partis politiques. Sur les 366 partis officiellement déclarés, force est de constater que beaucoup n’ont plus d’existence pour diverses raisons.
A cet effet, les propositions que voici pourraient constituer une base de discussions pour arriver à des résultats probants.
1 – Faire l’état des lieux des partis légalement reconnus et supprimer du fichier tous les partis qui n’existent que sur le papier (partis ayant fusionné avec d’autres ou qui n’ont plus de présence sur l’échiquier politique du fait de la volonté ou du décès de leur fondateur) 2 – Exiger une caution non remboursable au dépôt de demande de reconnaissance pourtoute nouvelle création ainsi qu’une liste de membres fondateurs jouissant d’une bonne moralité et résidant dans la moitié des régions 3 – Exiger le respect des dispositions de l’article 04 de la Constitution en son dernier alinéa qui impose des règles de bonne gouvernance et de la loi sur les partis concernant le dépôt obligatoire des états financiers à la fin du premier trimestre de l’année suivante. 4 – Obliger tous les partis politiques à participer seul aux élections territoriales dans un dixième des collectivités territoriales et dissoudre tous ceux qui n’auront pas deux fois de suite atteint 2 % des suffrages globaux ; 5 – Dissoudre tout parti politique qui n’a participé à aucune élection au moins une fois depuis sa création ; 6 – Légiférer sur les coalitions de partis politiques en exigeant leur portage par un des partis qui la compose et qui a participé à deux élections au moins.
La question de la rationalisation des partis risque de rester un serpent de mertant elle a été évoquée moult fois, sans action concrète. La Charte de gouvernance des Assises nationales de même que des voix très autorisées du milieu académique, de la société civile, etc. y ont réfléchi et ont proposé des pistes de solutions fort intéressantes. Le changement proposé parles actuels tenants du pouvoir pourrait être une grosse opportunité pour en finir avec une anarchie qui brouille la lisibilité de l’espace politique, donne l’impression d’un espace politique lieu de prédation et décourage l’engagement de profils très intéressants du fait de la mauvaise image de certains acteurs engagés dans la compétition politique.
De fait, si la question de la rationalisation des partis politiques n’est pas réglée, il sera difficile, voire impossible de trouver une solution au financement public ; problématique qui suivra dans la deuxième partie de notre contribution.
1.Nicolas Sarkozy, « Le temps des combats », Fayard, 2023, p. 60
2. H. KELSEN, La démocratie, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 2ième éd., 1932, p.19. Hans Kelsen est un des théoriciens de l’institutionnalisation des partis politiques. Il estime que « la démocratie ne peut sérieusement exister que si les individus se groupent d’après leurs fins et affinités politiques, c’est-à-dire si entre l’individu et l’Etat viennent s’insérer ces formations collectives dont chacun représente une certaine orientation commune à ses membres : les partis politiques. La démocratie est donc nécessairement et inévitablement un Etat des partis ». in, La démocratie, sa nature, sa valeur, Paris, Economica, 1988, p.29
par Ousmane Sy
BOUBACAR BORIS DIOP ET LES LANGUES : TOUT N’EST PAS FICTION
EXCLUSIF SENEPLUS - La lettre ouverte co-écrite avec Ngugi Wa Thiong'o laisse entrevoir une tendance sous-jacente à la hiérarchisation des langues sénégalaises, avec une mise en avant du wolof
Il est très difficile pour un passionné de lecture de résister à la plume et au style ô combien soignés de Boubacar Boris Diop. Lire cet homme procure un plaisir immense tant son cocktail est savamment bien dosé. Au-delà de ce style soigné et très souvent hautement intellectuel, il est naturel qu’on ne partage pas des fois ses positions, ses angles d’attaque et conséquemment ses conclusions.
Si la première partie de cette lettre a été dithyrambique à l’égard du destinataire, ce qui en fait peut relever d’un engagement politique, la seconde partie, par contre pose problème. Cette partie qui traite de questions et de planification linguistiques est à approfondir et à améliorer du fait qu’elle comporte en certains endroits des légèretés.
Au paraitre, elle serait bien teintée de subjectivités qui altèrent la rigueur scientifique et linguistique requise pour un tel sujet. Faire un plaidoyer pour les langues en soi est déjà une bonne chose mais la conception de l’organigramme des langues est malheureusement trahie par l’envie manifeste d’imposer le wolof comme langue officielle à la place du français.
La réflexion réfute sans ambages « toute hiérarchisation des langues » mais retombe aussitôt dans le même panneau. Le décret de 1971 avait élevé six langues (joola, mandinka,pulaar, serere, Soninke et wolof) au rang de langues nationales et pourtant malgré cette décision, la pratique linguistique aura plutôt penché pour une wolofisation tacite.
Une politique de laissez-faire qui permet sans décision administrative de donner tacitement tous les statuts à cette langue. Pour illustration, l’utilisation de nos langues dans nos médias officiels est éloquente à plus d’un titre quant à la volonté de faire du wolof la langue du travail. De fait, comme le montrent les articles de (D. C O’Brien) « the shadow-politics of wolofisation et de (Fiona Mc Laughin), Haalpulaar identity as a response to wolofisation, cette tendance à la hiérarchisation des langues entrainent des réponses communautaires. On est bien dans la hiérarchisation des langues depuis des décennies et la réflexion aurait pu relever cet état de fait, attirant ainsi l’attention du destinataire et décideur.
Le wolof est bien une lingua franca au Sénégal mais, selon les ères géographiques, nous avons encore d’autres lingua franca. Au Sud, le joola et un manding peuvent échanger en créole. Au nord, un soninke et wolof peuvent échanger en pulaar. On ne peut pas faire fi de toutes ses richesses.
Pour rappel, les recommandations du CNRF de 1983 parlaient déjà de la langue de la communauté dans un organigramme des langues à l’école qui faisait ni plus ni moins que le bilinguisme soustractif qui au fait ne promeut qu’une seule langue. La conception est bien celle-là : « la langue maternelle, d’abord. Et ensuite, disons le wolof. Ensuite, disons le swahili, le français, etc. ». On note bien la subtile et volontaire gradation vers le dessein caché. Ainsi, la réflexion part de la base des langues sénégalaises, (ce que nous partageons fort bien) mais dérive doucement vers un parti pris. A y voir de près, les autres langues ne seraient là que pour le décor. Cette conception pas loin de celle de 1983 rappelle le bilinguisme soustractif qui se résume à l’équation : L1 + L2 – L1 = ?
En effet, le wolof étant une langue maternelle, viendrait d’abord en tant que langue maternelle et ensuite reviendrait en vertu de quel statut ? Et pour quelle fonction ? Et que deviendront les autres langues nationales étant toutes celles codifiées avec les nouvelles dispositions constitutionnelles de 2001 ? Promouvoir les langues ne peut se limiter à les nommer et à les présenter pour un faire-valoir. Les promouvoir revient à les moderniser et à introduire au moins les six d’entre elles qui ont connu des études soutenues (Dr Sylla Yero 1991) dans divers domaines dont la linguistique et la production à l’école comme langues d’instruction. Le principe est d’introduire ces langues à l’école et de les y maintenir. Ce qui nous aiderait à avoir des enfants sénégalais aptes à parler au moins trois langues nationales. Cet effort qui serait renforcé de voyages d’immersion de petits locuteurs joola en pays serere et de petits locuteurs soninke en pays wolof, renforçant ainsi ce brassage culturel qui fait que le Sénégal est un havre de paix.
On voit apparaitre en filigrane dans la perception, le Sénégal (wolof) l’Afrique (le swahili) et le monde par d’abord le français. Thiong’o est Gikiyu voisin des luwo dans une région où le swahili est presque la grande langue de communication avec environ trente et soixante millions de locuteurs dont quinze pour langue première. Elle a un statut officiel dans quatre pays et au moins dans deux organisations. Le gikiyu ne s’est pas contenté de sa langue maternelle mais a suivi des principes autres que l’émotion et la subjectivité. Si nous parlons de l’Afrique, il est difficile que le mot langue soit au singulier d’une part. Et d’autre part, nous devons parler des langues africaines et point de nos langues maternelles. Même si la planification linguistique a des aspects politiques, il n’en demeure pas moins que l’arbitraire ne peut prévaloir dans ce contexte précis. Elle obéit tout au moins à une logique linguistique et sociolinguistique donc à des études soutenues sur lesquels se fondent un décideur sérieux. L’honnêteté intellectuelle de reconnaitre que le wolof est une lingua franca au Sénégal est celle-là qui nous met devant l’évidence de reconnaitre que, dans le cadre africain, le wolof n’est pas répandu. Force est de reconnaitre qu’en dehors des frontières de la Sénégambie et de la Mauritanie, le wolof reste une langue étrangère qui n’est parlée que par les ressortissants de la Sénégambie et de la Mauritanie dans une moindre mesure. Toutefois, le Sénégal a cette grande opportunité de compter parmi ses langues le mandinka et surtout le pulaar plus connu sous le vocable fulfude. On estimait déjà en 2010 le nombre de locuteurs à vingt-cinq millions de locuteurs (M. Barro 2010)[1] dans plus d’une vingtaine de pays avec des variétés dialectales mutuellement intelligibles. Ce n’est pas un hasard si nous avons aujourd’hui RFI mandenkan et RFI fulfulde. La toute nouvelle chaine Pulaagu sur le bouquet Canal+ passe des productions de plusieurs pays africains où le fulfulde est bien présent.
En Afrique de l’ouest, elles sont de loin les deux langues les plus transfrontalières et peuvent servir de moyens de communications dans tous les pays de cette région. En Afrique centrale, le fulfulde est très présent et constitue la langue véhiculaire dans le nord du Cameroun. Compte tenu de cette situation, le mandinka et le fulfulde occupent une place de choix pour figurer dans le cercle des langues de communication dans nos pays, notre sous-région et notre continent. Elles allient deux principes fondamentaux à savoir, le nombre de locuteurs et la répartition géographique. Ignorer ces données, c’est négligé un outil linguistique très important dans l’unification culturelle de l’Afrique si chère à Cheikh Anta Diop.
Ousmane Sy, ès-didactiques des langues, enseignant au lycée de Donaye Taredji.
La déception peut être naturelle après une défaite électorale et la perte de membres clés, mais c’est aussi une opportunité de renouveau. C’est le moment de réaffirmer nos valeurs, notre vision et notre engagement envers notre parti et envers les citoyens
La déception peut être naturelle après une défaite électorale et la perte de membres clés, mais c’est aussi une opportunité de renouveau. C’est le moment de réaffirmer nos valeurs, notre vision et notre engagement envers notre parti et envers les citoyens que nous servons.
Pour remobiliser les militants, nous devons écouter leurs préoccupations, reconnaître leurs efforts et leurs sacrifices, et leur offrir un espace pour contribuer activement à la réflexion et à la reconstruction du parti. Nous devons également réaffirmer notre engagement envers la transparence, la démocratie interne et la responsabilité, afin de restaurer la confiance au sein de notre base militante.
Enfin, nous devons nous concentrer sur l’avenir, en élaborant une stratégie solide pour renforcer notre parti, élargir notre base de soutien et préparer nos militants pour les prochaines échéances électorales. Cela nécessitera un leadership fort, une communication efficace et une collaboration étroite entre tous les membres du parti.
Ensemble, en tant que militants de Rewmi, nous pouvons surmonter les défis actuels et continuer à travailler pour un avenir meilleur pour notre pays et ses citoyens.
par Cheikh Kasse
NOS LANGUES, À CONDITION QU’ELLES PARLENT FORTEMENT NOS IMAGINAIRES
EXCLUSIF SENEPLUS - Il y a un rapport idéologique à reconstruire avec sa propre langue : celle de sortir de la vision d’un Universel qui aplatit et détruit les divers cultuels, sociologiques, anthropologiques
Ces deux écrivains, dans leurs prescriptions, posent la centralité d’une langue dans la continuation anthropologique d’une communauté pour la sauvegarde de son imaginaire. C’est par la langue que l’essence d’une communauté se prolonge. Pourquoi il n’y a pas de mots wolofs pour désigner millions, milliards ? La réponse est dans l’absence de propension exagérée d’accaparement et de richesses au-delà des besoins de survie. Pourquoi le mot « mbok » signifie de nos jours « parents » alors qu’il est de la même famille que « bokk » qui veut dire : « se partager, ou ce qui est à tous » ?
Dans la réalité du carnage foncier sous le régime de Macky Sall, ce qui est agité contre son illégalité est une expression, ce qui est à tous, « li ñepp bokk ». La communauté dépose dans les mots le sens fort d’un en- commun. Dans les autres langues africaines, longtemps résilientes aux valeurs capitalo-libéralistes, il y a des traces - mémoires d’un en-commun tenace. Donc, l’enseignement et la pratique de nos langues prolonge leur lente et forte volonté de porter l’identité, les cultures, les imaginaires propres à nos sociétés africaines.
Donc, aujourd’hui, parler, écrire nos langues sont, certes, un palier important dans la reconquête de nos cultures, de notre souveraineté. Mais sont-ils suffisants pour ne pas parler la culture dominante de l’autre ?
Nous vivons dans ce que Patrick Chamoiseau nomme un monde-relié où règne, de nos jours, une domination furtive. Dans la domination brutale, l’injonction était de remplacer sa langue, sa culture par celles des dominateurs. Aujourd’hui, la domination furtive se fait par la cybernétique, les réseaux « sociaux ». Les centres dominateurs ont anesthésié les communautés. Patrick Chamoiseau décrit l’époque dans laquelle nous vivons en ces termes : /…/ La domination furtive ne s’oppose à rien. Ses forces uniformisantes naissent de puissances dématérialisées qui se moquent des vieilles armes. Je pouvais parler ma langue. Hisser mon drapeau. Clamer mon Dieu./…/ Je demeurais la proie de pouvoirs commerciaux : images, médias, finances, médicaments, consommation… Leurs points d’impulsion ne sont plus seulement des États-Territoires, mais, au cœur du cyberspace, des nodules d’interactions qui propagent des standards auxquels tu devrais adhérer.
Si nous sommes dans ce monde de domination furtive du capitalo-libéralisme, parler et écrire sa propre langue ne suffisent plus. Les valeurs standards (l’individu, l’atomisation même en étant en groupe, l’argent, la marchandise, le marché, etc.) passent aussi dans et par nos langues.
Il y a, à mon avis, un rapport idéologique à reconstruire avec sa propre langue. Et Chamoiseau dit qu’il y a lieu de dire contre et à l’endroit de la langue dominante : « Cette langue, c’est ma patrie. Cette langue m’a choisi ou j’habite cette langue. » Cette bifurcation te met en garde de la parler en l’infusant d’énormément de mots d’emprunt d’autres langues comme le français, le wolof, etc. Le présentateur de télévision, de radio, le discoureur dans sa propre langue refuse sciemment le processus de créolisation de leur-s langue-s par des langues dominantes (français, wolof, etc. Ce rapport idéologico- affectif est tout aussi une conscience de se défaire des normes standardisées propagées par la domination furtive qui sont les filets de notre déshumanisation. Alors que nos langues nous parlent autre pour nous rappeler la tradition de notre en-commun : « Nit nitëy garabam », ((traduit difficilement par l’homme est le remède de l’homme), la préservation de notre patrimoine identitaire : ku wacc sa ànd ànd bo dem fekko mu toj » (celui qui abandonne sa culture est sans culture ». Et beaucoup, beaucoup d’autres choses.
L’autre bifurcation fondamentale est le recentrage dans nos langues de nos imaginaires, de nos cosmogonies qui pourtant se démerdent encore par des grouillements païens, traditionnels parce qu’il y a le contrôle d’autres langues, d’autres croyances religieuses. C’est dans ce sens que la prescription de Boubacar Boris Diop et de Ngugi wa Thiong’ o de mettre aux programmes de nos classes les thèses de Cheikh Anta Diop, de traduire nos monuments littéraires en langues nationales pour que les traces-mémoires de nos traditions qui s’y trouvent participent de la re-fondation de notre identité. Césaire nous parle de ne pas nous en faire des clichés de racisme, populisme : « Ce n’est pas par haine des autres races que je m’exige bêcheur (arrogant) de cette unique race (les noirs). »
Dans ce monde-en-relation, des langues disparaissent sous l’œil joyeux des langues dominantes. Des cultures, des cosmogonies aussi par le processus de l’unité universalisante, donc par la négation ou l’uniformisation de ces divers. La bataille idéologique est de sortir de la vision d’un Universel qui aplatit et détruit les divers cultuels, sociologiques, anthropologiques. À ce niveau, la bifurcation se fait par une conscience d’être comme dit Édouard Glissant (écrivain nègre) l’oiseau de son propre divers qui vole vers d’autres lieux qui cherchent pourtant à imposer leurs divers derrière le masque de l’Universel.
C’est quoi le divers que chacune de nos langues doit porter ? Hélas, je cite encore Chamoiseau (oiseau de Cham, l’ancêtre des noirs brûlés par Dieu selon l’imaginaire européen mais principalement méditerranéen, Chamoiseau est un fils de descendants d’esclaves noirs de Martinique). Il écrit : « le divers est ce qui me densifie et me disperse, m’éloigne et me ramène, me nomme et me dilue, m’a précédé et me prolongera. » Le seul véhicule des divers d’une communauté qui entre en relation avec d’autres est sa langue. Et pour continuer ce que nous fûmes, « les fils aînés du monde », sans se faire absorber et sans le faire à d’autres, Édouard Glissant nous parle : « Maintenir notre lieu dans le monde pour signifier le monde entier. »
Dr Cheikh Kasse est Enseignant-chercheur en littérature orale.
Par Madiambal DIAGNE
LE CRASH D’UN VOL D’AIR SENEGAL, LA RANÇON DE NOTRE LAXISME
La compagnie Air Sénégal a pris le pli de louer des avions d’un autre âge et dont les conditions de contrôle et d’entretien techniques peuvent laisser à désirer ou lui ont échappé
Le grave accident survenu à l’aéroport Blaise Diagne de Diass, dans la nuit du 8 au 9 mai 2024, a fait de nombreux blessés et des dégâts matériels importants. Le bilan est lourd mais il s’avère quelque peu anodin, vu l’ampleur de la catastrophe qu’aurait pu provoquer un tel crash dans des circonstances d’un vol en haute altitude. Il y a lieu cependant de relever que cet incident, qualifié de minicrash dans le jargon des professionnels des transports aériens, n’en est pas moins un cas sérieux ; d’autant qu’il ne constitue guère une surprise pour les techniciens et de nombreux passagers.
On n’a jamais appris du naufrage du bateau «Le Joola»
Sur la plateforme de l’aéroport Blaise Diagne, tout le monde savait que le laxisme, qui est la règle dans toutes les opérations, ne pouvait pas manquer de provoquer un drame. Plus d’une fois, nous nous sommes fait l’écho de cette situation à travers ces colonnes et malheureusement, les responsables ne voulaient pas voir la réalité des choses et prenaient toute alerte comme un procès d’intention contre Monsieur X ou Madame Y. On a toujours récolté une bordée d’insultes. Le 20 novembre 2023, j’indiquais notamment : «Je m’étais résigné à cesser d’évoquer les misères et tribulations des passagers au niveau de l’Aéroport international Blaise Diagne de Diass (Aibd). J’ai baissé les bras, comprenant en fin de compte qu’il ne servait à rien de tirer la sonnette d’alarme, d’attirer l’attention, notamment celle des hautes autorités de l’Etat, sur les méfaits d’une exploitation laxiste à bien des égards et qui finira fatalement par dégrader la qualité de ce bijou qui a occasionné de très gros investissements au Sénégal. Les alertes ont toujours été prises avec une certaine désinvolture et les autorités et autres pontes ne semblent rien faire pour améliorer la situation ; encore que les responsables de l’aéroport prennent l’habitude, depuis toujours, de botter en touche, trouvant, derrière chaque dénonciation, on ne sait quel complot, cabale ou lugubre agenda. Seulement, le fait de fustiger les mauvaises pratiques qui ont libre cours, a fini par rendre difficiles quelques-uns de mes passages dans cet aéroport.»
Franchement, pour une fois, que personne ne verse dans le fatalisme ! C’est triste mais ce crash est la rançon du laxisme. Des esprits malins vont une fois de plus essayer de relier ce crash à l’incendie de l’usine de Patisen ou à un autre incident du genre pour invoquer des mains immanentes ou on ne sait quels mauvais esprits !
La compagnie Air Sénégal a pris le pli de louer des avions d’un autre âge et dont les conditions de contrôle et d’entretien techniques peuvent laisser à désirer ou lui ont échappé. On ne le dira jamais assez, la compagnie nationale devait être plus regardante sur l’état des appareils transportant des passagers et ainsi, n’aurait-elle jamais dû recourir à cet aéronef de Transair. Nul n’a non plus tenu compte de l’expérience ou de la qualité de l’équipage ou du passif de l’avion ou même du passif de Transair. On a encore en souvenir l’incident, le 17 décembre 2019, d’un avion de Transair dont un moteur avait pris feu au départ de Ziguinchor. L’incident a été minimisé. Transair laissait le soin à son chef d’escale à Ziguinchor de dire aux médias, ces quelques mots qui témoignent d’une désinvolture sidérante : «C’est juste que le pilote a mal démarré le moteur. Mais, dès qu’il s’en est aperçu, il a immédiatement coupé le moteur. Par mesure de prudence, les passagers ont été débarqués. Nous avons procédé à un contrôle. Mais vu que l’appareil a été mal démarré, il y a eu un problème au moteur. Ce n’est qu’un petit incident. Finalement, nous avons préféré faire venir des mécaniciens. Aussi, un autre appareil a été affrété pour acheminer les passagers vers Dakar.» On n’a pas connaissance de conclusions d’une enquête sérieuse sur cet incident et la compagnie a continué à faire voler le même avion.
L’accident d’avion de cette semaine est le fait d’un appareil de l’âge de ses pilotes, acquis auprès de la compagnie nationale roumaine Tarom, pour une bouchée de pain, d’autant qu’il ne pouvait plus voler dans le ciel européen pour cause de non-satisfaction aux normes sécuritaires. Son état était déplorable. Encore une fois, nous recyclons tous les rebuts d’Europe, avec des «venant de France» ou des «France au revoir» tels réfrigérateurs, véhicules, machines de toutes sortes et d’objets ou de vieux matériels hors service et comble, jusqu’aux avions, sans aucun égard pour la vie des passagers. L’hécatombe sur nos routes du fait de bus et autres véhicules dont la circulation est refusée en Europe, est déjà fort éloquente. N’a-t-on pas vu le véhicule du Président Macky Sall prendre feu en juillet 2019, à Nguéniène, au moment des obsèques du regretté Ousmane Tanor Dieng ? La rumeur avait voulu que la voiture avait été achetée en seconde main, mais on saura qu’elle avait été acquise neuve, même si elle avait fait l’objet d’une transformation par un opérateur belge. Le diagnostic et le rapport d’audit avaient révélé qu’une des plaques de la carrosserie a été surchauffée et avait entraîné un courtcircuit. La présidence de la République a été finalement remboursée après une longue procédure de 15 mois. Mais d’aucuns voulaient croire à des coups de «sorciers» ou autres pangols !
En effet, chaque gouvernement promettait dans ses professions de foi «plus jamais ça», après les innombrables drames de la route, et aucune leçon de sagesse n’a été tirée du naufrage du bateau «Le Joola» en septembre 2002, qui a été l’une des plus douloureuses catastrophes des transports maritimes de l’Histoire. L’Etat du Sénégal se permet d’acheter des hélicoptères d’occase qui tombaient comme des pierres, faisant de nombreux morts à Missirah (voir notre chronique du 8 octobre 2019) ou la société de transports publics, Dakar Dem Dikk, qui met des bus recyclés en circulation. Rien d’étonnant car le Président Abdoulaye Wade avait acheté un avion de commandement, un avion Airbus abandonné par son homologue français Nicolas Sarkozy. C’est donc le cas de ce Boeing de Transair, affrété par Air Sénégal pour un vol en direction de Bamako. On se rappelle la série de pannes ayant cloué des avions loués dans de nombreux aéroports africains. Le cas le plus burlesque est celui d’une panne survenue à Douala, en janvier 2024, où les passagers étaient laissés en rade pendant plus de deux jours. L’avion manquait d’une pièce et un autre avion a été affrété pour aller récupérer les passagers et l’équipage. Mais ce deuxième avion tombera en panne et restera lui aussi cloué à Douala. Il avait alors fallu prélever une pièce de l’un des avions pour pouvoir faire décoller l’autre.
Les dégâts occasionnés par le crash du vol HC 301 (nom du code du vol DakarBamako) sont incommensurables. Un tel incident vous ruine ou abime une image d’une compagnie aérienne. Le crash fait de gros dégâts. Des sociétés européennes ont commencé à blacklister Air Sénégal et des passagers, plus d’une centaine de voyageurs prévus sur le vol Dakar-Paris dans la nuit du 9 au 10 mai 2024, s’étaient déportés sur le vol concurrent d’Air France. La saignée risque de se poursuivre, le temps que des conclusions d’une enquête permettent de rassurer la clientèle. Les polices d’assurances idoines auraient été souscrites et Air Sénégal ne devrait pas avoir de crainte de ce point de vue pour couvrir les sinistres.
4 milliards de pertes par mois ! Est-ce perdu pour tout le monde ?
Il s’y ajoute une certaine frénésie observée pour la location des appareils appartenant particulièrement à Transair. On notera qu’il est courant que la compagnie nationale loue pour plusieurs rotations en une journée, des avions de cette compagnie privée. Mieux, tous les vols intérieurs en direction de Saint-Louis sont effectués systématiquement avec ses aéronefs. Mais à chaque fois, de nombreux passagers ont eu à déplorer des situations de frayeur en vol. Les procédures d’affrétement ne sont pas toujours respectées. Des affrétements sont faits sur un simple coup de fil téléphonique, sans les contrôles techniques et de maintenance nécessaires. On invoque à chaque fois des urgences et cela a fini par devenir la règle. Trois avions d’Air Sénégal sont au sol dont un avion ATR cloué à Nouakchott, un avion cloué à Diass et un autre A330 qui effectuait le vol sur New York. Tous ces avions ont des problèmes de moteurs et attendent d’en trouver de nouveaux.
Des avions sont affrétés pour des destinations internationales, structurellement déficitaires. Pourquoi s’obstiner à poursuivre à perdre de l’argent de la sorte ? Sans doute que ce n’est pas perdu pour tout le monde. Air Sénégal se fait renflouer tous les mois à hauteur de 4 milliards sur le budget de l’Etat du Sénégal. Tel est le montant prévu dans la Loi de finances 2024, mais des sources proches du ministère des Finances indiquent que les perfusions dépassent largement ce seuil budgétaire. C’est comme un défi de garder la compagnie en vol. Soit ! Seulement qu’est-ce qui interdirait alors un audit des coûts et des opérations ?
Un projet de fusion Air Sénégal-Transair en péril
La situation de concurrence entre Air Sénégal et Transair semblait montrer à quel point il fallait harmoniser les interventions. Les deux compagnies desservent Ziguinchor quotidiennement et sont également en concurrence sur les lignes vers Praia, Conakry et autres. Le Directeur général d’Air Sénégal, Alioune Badara Fall, du temps où il officiait comme Conseiller technique au ministère des Transports aériens, préconisait l’idée de la création d’une filiale d’Air Sénégal appelée Air Sénégal Express. La gestion serait confiée aux dirigeants de Transair. Le modèle voudrait par exemple que la flotte de Transair soit acquise et repeinte aux couleurs de la filiale et s’occuperait de la desserte intérieure et des vols de proximité. Air Sénégal se déploierait sur les autres destinations et travaillerait à rationaliser ses coûts d’exploitation. En effet, précise un expert, «certaines lignes peuvent être très rentables comme le Dakar-Abidjan, alors que les lignes déficitaires provoquent un gap énorme dans l’exploitation, d’où toutes les difficultés de la compagnie nationale». Le schéma, porté jusqu’ici par le Directeur général d’Air Sénégal, aurait séduit le patron de Transair, Alioune Fall (curieuse homonymie me dirait-on). Il reste à savoir si ce crash et l’état de cette flotte ne vont pas le compromettre définitivement. Certaines sources affirment que les nouvelles autorités sénégalaises auraient adoubé le projet calqué sur le modèle de la Royal Air Maroc avec sa filiale Royal Air Maroc Express ou d’Air France avec sa filiale Hop. Au demeurant, les relations de proximité entre le Premier ministre et la compagnie privée auraient pu aider à matérialiser cette idée. En effet, Ousmane Sonko avait choisi de ne prendre que des vols de Transair sur l’axe DakarZiguinchor du temps où il était dans l’opposition. Cette préférence a pu laisser nourrir la rumeur d’une proximité des dirigeants de Transair avec les dirigeants de Pastef. Est-ce cela qui expliquait le fait que le régime de Macky Sall n’encourageait pas trop les activités de Transair ? Il reste qu’il appartiendra au gouvernement de se montrer intransigeant pour situer les responsabilités dans cet accident et engager toutes mesures qui permettront d’éviter qu’Air Sénégal ne continue d’être un gouffre à milliards.
Post scriptum : Bravo à Diomaye et Sonko de ne pas persister dans l’erreur
Les autorités gouvernementales ont très vite pris la mesure des dégâts que pouvait provoquer la mesure annoncée le 28 avril 2024 par l’architecte Pierre Goudiaby Atepa, de suspension unilatérale des chantiers de construction sur la Corniche de Dakar. C’est ainsi que le tandem Diomaye-Sonko a fini par autoriser les promoteurs et autres propriétaires à poursuivre leurs travaux. On doit les féliciter pour cette humilité et les encourager à plus de vigilance quant à des conseils a priori désintéressés, mais qui pourraient avoir des relents de conflits d’intérêts ou de petits règlements de comptes. En effet, un des plus grands promoteurs immobiliers frappés par la mesure de suspension des chantiers nous a confié son étonnement devant cette mesure brutale, après qu’un proche du nouveau régime n’a pas pu lui imposer de lui confier un marché de suivi de ses chantiers
Par GAÔUSSOU GUEYE
LE COMBAT POUR LA TRANSPARENCE DANS LA PÊCHE NE FAIT QUE COMMENCER
En date du 6 mai 2024, la Ministre des Pêches, des infrastructures maritimes et portuaires, Dr Fatou Diouf, a rendu publique la liste des bateaux autorisés à pêcher dans les eaux sous juridiction sénégalaise.
En date du 6 mai 2024, la Ministre des Pêches, des infrastructures maritimes et portuaires, Dr Fatou Diouf, a rendu publique la liste des bateaux autorisés à pêcher dans les eaux sous juridiction sénégalaise. Elle a par ailleurs souligné que cet acte ‘répond au principe de transparence dans la gestion des ressources naturelles qui constituent un patrimoine national’. Nous la félicitons pour cette initiative qui constitue un premier pas essentiel pour établir une gestion des pêches transparente et durable.
Qui contrôle les bateaux d’origine étrangère dans les sociétés mixtes ?
A la lecture de cette liste, nous voyons qu’il y a d’une part, les bateaux européens pêchant dans le cadre de l’accord de pêche (13 senneurs dont 6 espagnols et 7 français, 4 canneurs, dont trois espagnols et un français), et d’autre part, 132 bateaux pavillonnés au Sénégal. Sur ces 132 bateaux, - la quasitotalité étant des chalutiers-, ce qui est frappant, c’est qu’une bonne moitié affiche un nom d’origine chinoise. Ajoutons à cela une série de bateaux d’origine espagnole, française, coréenne et autres. La question qui se pose, c’est si ces bateaux d’origine étrangère sont réellement contrôlés par des sénégalais. Peut-on vraiment parler de ‘pêche industrielle locale’ ?
En 2020, l’association pour la promotion et la responsabilisation des acteurs de la pêche artisanale maritime du Sénégal (APRAPAM) avait publié une liste de bateaux d’origine étrangère qui avaient introduit une demande de licence et opéraient dans le cadre de sociétés mixtes. Tous ces navires étaient à l’époque « en voie de senegalisation», c’est-à-dire qu’ils allaient prendre le pavillon du Sénégal. En vue de ce repavillonnement, la loi exige que 51% du capital soit detenu par un senegalais.
APRAPAM avait dénoncé à l’époque le fait que cette condition n’était pas remplie par certaines sociétés mixtes. Certaines sociétés mixtes qui servaient d’écran à ces bateaux avaient seulement un ou deux millions de CFA de capital social.
Une société mixte avait même seulement 100.000 CFA de capital social, alors qu’elle gérait 6 chalutiers pélagiques côtier !
Comment imaginer dans ces conditions que c’est le partenaire sénégalais, avec ses 100.000 CFA, qui détient réellement le contrôle de la société mixte, plutôt que le propriétaire de ces bateaux valant plusieurs milliards de CFA ?
Sur la liste publiée le 6 mai 2024, on voit que la plupart de ces bateaux ont, depuis 2020, bel et bien été sénégalisés. Le partenaire sénégalais a-t-il aujourd’hui plus de contrôle sur ces bateaux étrangers qu’il n’en avait en 2020 ? C’est peu probable. Sous le couvert de ces sociétés mixtes, la pêche industrielle sénégalaise est aux mains d’intérêts étrangers qui ne respectent pas nos réglementations. Ainsi, la législation sénégalaise oblige tout bateau industriel sénégalais à embarquer un observateur à bord. Dans la plupart des cas, cette obligation est ignorée par ces bateaux sénégalisés.
Certains de ces chalutiers n’hésitent pas également à se cacher derrière le pavillon sénégalais pour profiter des protocoles de pêche négociés par le Sénégal avec notamment la Guinée-Bissau et le Libéria. Ils profitent ainsi des ressources de pêche de ces pays, souvent en ne respectant pas non plus la législation en vigueur, au risque d’entacher les relations entre le Sénégal et ces voisins.
Recueillir et divulguer les informations sur les bénéficiaires effectifs
Ceux qui tirent les ficelles des sociétés mixtes sous lesquelles opèrent ces bateaux d’origine étrangères sénégalisés, ce sont les ‘bénéficiaires effectifs’, des entreprises et citoyens chinois, russes, européens, établis dans un pays étranger. En 2022, lors de la Conférence des Ministres des Etats d’Afrique, des Caraibes et du Pacifique, un engagement a été pris par tous les pays présents, dont le Sénégal. Cet engagement stipule : « prendre des mesures, en tant qu’État du pavillon ou État côtier, pour actualiser et mettre en œuvre la législation nationale afin d’exiger la déclaration des bénéficiaires effectifs ultimes des navires de pêche et des sociétés lors de l’attribution du pavillon ou de l’autorisation de pêcher, et la tenue d’un registre des propriétaires réels des navires de pêche au niveau nation »
En application de cet engagement, nous encourageons nos autorités à prendre toutes les dispositions nécessaires afin de recueillir et divulguer publiquement les informations sur les bénéficiaires effectifs des bateaux qui ont pris le pavillon sénégalais.
En particulier, nous insistons pour que l’audit de la flotte sénégalaise, promis depuis vingt ans, soit mené, et les résultats publiés.
Les objectifs de l’audit de la flotte devraient inclure au moins les éléments suivants :
- Un inventaire exhaustif des navires de pêche battant pavillon du Sénégal ;
- La vérification de la conformité de la situation de chaque navire avec les dispositions législatives et réglementaires en vigueur en matière d’acquisition du pavillon national ;
- Une évaluation de la contribution des armements à la sécurité alimentaire, à la création de la richesse nationale, à la promotion de l’emploi et à l’apport en devises ;
- Une réévaluation des caractéristiques techniques des navires (jauge, etc.)
Cet audit devra permettre d’avoir une vision claire de la situation administrative, technique et économique actualisée des bateaux de pêche battant pavillon sénégalais.
Etant donné l’état de nos ressources, il est impératif d’opter pour des politiques de réduction de la capacité. Les données publiées montrent que ce problème existe aussi bien dans la pêche industrielle que dans la pêche artisanale, avec 17.449 permis de pêche délivrés à des pirogues.
L’audit de la pêche industrielle, composée en majorité de sociétés mixtes, sera un outil important pour les choix politiques qui permettront de donner la priorité à ceux qui suivent les règles, qui contribuent le plus à la sécurité alimentaire et à la création d’emplois, dans le respect des droits d’accès prioritaires de la pêche artisanale, en ligne avec l’ODD 14b.
Nous encourageons Madame la Ministre et son administration à faire toute la lumière sur les sociétés mixtes et assurer qu’elles opèrent de façon légale, transparente, qu’elles contribuent à l’économie du pays, et ne portent pas préjudice à la pêche artisanale du Sénégal et des autres pays de la région dans lesquels ces bateaux opèrent.
Le rôle de la commission d’attribution des licences est à renforcer
Les acteurs de la pêche artisanale sénégalaise et la société civile qui les appuie ont dénoncé à de nombreuses reprises le manque de transparence dans la procédure d’octroi des licences de pêche industrielle au Sénégal. En 2020, une mobilisation générale avait eu lieu alors que les autorités s’apprêtaient à délivrer 54 licences de pêche industrielle, - pêche aux petits pélagiques, pêche au merlu surtout-, dont 52 licences a des bateaux d’origine chinoise, et deux licences a des senneurs turcs.
En août 2023 encore, le Conseil interprofessionnel de la Pêche artisanale au Sénégal (CONIPAS) exprimait son désaccord par rapport à l’octroi de nouvelle licence de pêche industrielle par les autorités sénégalaises, donnée en contradiction avec l’avis de la Commission Consultative d’Attribution des Licences de Pêche (CCALP).
Face à ces revendications, les autorités ont pris plusieurs engagements pour plus de transparence. En 2016, le gouvernement du Sénégal s’est engagé publiquement à mettre en œuvre l’initiative de transparence dans la pêche – FiTI (Fisheries Transparency Initiative).
Nous espérons que l’engagement de la nouvelle Ministre et de son administration pour plus de transparence dans la pêche sénégalaise vont se matérialiser par l’adhésion à l’initiative FiTi, afin de permettre aux acteurs et aux citoyens de savoir qui pêche quoi, et qui profite des bénéfices de cette pêche
Mais la transparence n’est pas une fin en soi, elle doit permettre une meilleure implication des professionnels dans la gestion de la pêche, à fortiori étant donné l’engagement du Sénégal en faveur de la cogestion [article 6 du Code de la Pêche].
Nous demandons, au-delà de la nécessaire transparence, la commission d’attribution des licences ne soit plus seulement consultative, mais ait le pouvoir de décider de qui, ou pas, est autorisé à pêcher ‘l’or bleu’ du Sénégal.
par Alymana Bathily de SenePlus
OMAR BLONDIN DIOP, IN MEMORIAM, ENCORE
EXCLUSIF SENEPLUS - Témoignage de l'engagement et des intuitions géniales de ce compagnon trop tôt disparu. Une figure majeure mais trop peu connue de la lutte anticoloniale
Alymana Bathily de SenePlus |
Publication 12/05/2024
Samedi 11 mai 2024, 51e anniversaire de son assassinat. Je n’arrive pas à parler de mort tout simplement, même si on n’en a toujours pas établi les circonstances.
Les éditions Jimsaan de Felwine Sarr ont saisi la date. Pour se joindre à la cérémonie d’hommage et de prières que la famille et les amis d’Omar organisent chaque année, en ce jour. Pour aussi présenter au public la biographie écrite par un jeune historien franco-canadien de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Florian Bobin, sous le titre « Cette si longue quête ».
J’ai été invité par Felwine Sarr pour parler de notre héros avec l’auteur, en compagnie de Dr Dialo Diop, frère cadet d’Omar et pour répondre aux questions du public.
J’ai souligné qu’Omar Blondin Diop avait été un intellectuel de haut vol, ce dont on ne parle pas assez. Ce qui n’est pourtant pas étonnant puisqu’il avait été formé dans les établissements d’élite français : lycée Montaigne, lycée Louis Legrand puis École Normale Supérieure de Saint Cloud.
J’ai rappelé qu’il projetait de soutenir une thèse sur Spinoza dans le sillage de son professeur Louis Althusser qui avait ouvert la voie à la recherche sur la relation entre le jeune Marx et Spinoza. Ce qui fera école plus tard en France et partout en Europe. Mais à l’époque, quand Omar s’y intéressait, le sujet ne faisait pas encore l’objet de recherches.
J’ai fait référence aussi à deux intuitions intellectuelles fulgurantes d’Omar : celle relative à son « projet de théâtre urbain » et celle sur la musique et sa consommation. A propos de son projet de théâtre, il écrivait : « Notre théâtre sera celui de la vie … ». « Rétablir le contact avec le peuple à partir de son expérience quotidienne, de son histoire et de son langage… », était un autre mot d’ordre de son manifeste.
J’ai suggéré que cette intuition d’Omar semblait avoir résonné comme en écho auprès de Ngugi Wa Thiogo qui allait expérimenter quelques années plus tard, au début des années 1970, avec ses collègues de l’Université de Nairobi, le Théâtre Itinérant Libre.
« Le vrai langage du théâtre africain ne se trouve qu’auprès du peuple, surtout de la paysannerie, dans sa vie, son histoire et ses combats », écrira l’écrivain kenyan.
L’autre intuition intellectuelle étonnante d’Omar est esquissée dans ce texte intitulé « Esthétique de la destruction outre atlantique. Du développement de la nouvelle musique populaire » qui date de juillet-décembre 1968. Il l’introduit ainsi : « de la musique, on peut dire ce qu’Arthaud disait de la drogue, certains s’en servent pour guérir, d’autres pour en jouir… ».
Il y a encore ceci : « la musique pop est donc une entité hybride : elle est à la fois une industrie (mass-medium) et un lien culturel où on rencontre des individus qui se caractérisent par la communauté d’âge… ». Suivent des pages lumineuses sur « la mise en condition du public par les mass media », la filiation de la musique pop avec le rock n’ roll et le rythm and blues, la création du « public » et de « l’audience ».
On croirait entendre Stuart Hall et les théoriciens des media studies de l’Université de Birmingham qui pourtant, ne feront école qu’à partir des années 1980. L’un des mérites du livre de Florian Bobin, c’est d’avoir révélé toutes ces fulgurances intellectuelles d’Omar. D’autant que l’introduction de Boubacar Boris Diop a très bien mis l’homme en perspective.
Au sortir du panel, j’ai pourtant ressenti une certaine frustration avec l’impression de n’avoir pas dit l’essentiel sur mon compagnon. Comme toujours quand je parle de lui. Je me suis dit que j’aurais dû dire seulement qu’Omar Blondin Diop était en fait comme nous tous de cette génération qui a eu autour de vingt ans à la fin des années 1960. Nous ressentions tous cette humiliation de laissés pour compte de l’histoire que le lycée et l’université nous rappelait insidieusement. La révolution était pour beaucoup d’entre nous le seul horizon, le seul espoir.
Omar était seulement plus renseigné sur la réalité du monde, plus structuré, plus intelligent donc plus conscient de la domination et du racisme de la France et de l’Occident, et plus meurtri. Plus sensible et plus courageux certainement. C’est cela qui explique son destin d’étoile filante.